|
Adèle.
Sur de la grande Virginie. Petite brunisseuse demeurant
rue des Poissonniers. Manque l'atelier deux jours sur trois [24]. Devient
la maîtresse d'Auguste Lantier et va habiter avec lui du côté
de la Glacière [235]. (L'Assommoir.)
Adèle.
Une bonne de maison bourgeoise. Traits accentués de Bretonne,
cheveux couleur de chanvre. A peine débarquée de son pays,
elle est entrée chez les Josserand, des maîtres qui abusent
de son ignorance et de sa saleté pour la mal nourrir [32] Adèle
est le souffre-douleur des autres bonnes de la maison, la bête
sale et gauche sur laquelle tout le monde tape. Ce sont des injures
continuelles, à travers. l'étroite cour de service, boyau
noir dont la puanteur d'évier mal tenu est comme l'exhalaison
même des ordures cachées des familles [136]. Trublot, toujours
empressé auprès des cuisinières et des femmes de
chambre, devient l'amant de la pouilleuse Adèle qui, un peu plus
tard, couchera aussi avec Duveyrier, n'osant faire une impolitesse au
propriétaire. D'ailleurs, la fréquentation des hommes
cause si peu de plaisir à cette fille, qu'elle reste sale exprès,
afin de ne pas leur donner des idées [340], Peu à peu,
les autres domestiques l'ont dégourdie; elle vole des pruneaux
et répond insolemment aux observations de madame Josserand, qui
n'ose renvoyer cette bonne, si dure au travail. Devenue enceinte, Adèle,
prise de terreur, a dissimulé sa grossesse avec des ruses de
sauvage; elle accouche clandestinement dans d'affreuses souffrances
[472] et, ne voulant pas tuer son enfant, va le déposer de bon
matin dans le passage Choiseul, sans être aperçue. (Pot-Bouille.)
Adèle.
Demoiselle de boutique chez le charcutier Quenu. Petite, fraîche,
rouge. Après la mort de son patron, elle a fait apposer les scellés,
prévenu le notaire et continué à tenir la boutique.
C'est elle qui remet Pauline Ouenu à madame Chanteau [25]. (La
Joie de vivre.)
Adolphe.
Conducteur d'artillerie, incorporé dans la batterie d'Honoré
Fouchard. C'est un bel homme blond, large de poitrine, très grand,
avec de grosses moustaches, dans son visage rouge. Il moule un porteur
solide, une bête alezane. Appareillé depuis trois ans avec
le pointeur Louis, scion la règle établie de marier un
homme à cheval et un homme à pied, il domine son camarade
et fait bon ménage avec lui, sauf lorsqu'on mange : Louis, doué
d'un gros appétit, se révolte lorsque Adolphe veut se
servir en maître [93].
Le jour de Sedan, devant le calvaire
d'Illy, où l'artillerie française est balayée par
les batteries prussiennes de Fleigneux, les conducteurs alignés
restent impassibles; ils ne battent même pas des yeux à
regarder les obus venir droit à eux. Pendant la manuvre
des avant-trains, une furieuse bordée de fer s'abat sur la pièce.
Adolphe culbute, la poitrine fendue, les bras ouverts: dans une dernière
convulsion, il a pris Louis, tué du même coup, et tous
deux restent embrassés, farouchement tordus, mariés jusque
dans la mort [313]. (La Débâcle.)
Albine.
Nièce de Jeanbernat. Elle avait neuf ans, quand son père,
subitement ruiné dans les affaires, s'est suicidé, la
laissant au vieux philosophe du Paradou. Demoiselle déjà,
lisant, brodant, bavardant, tapant sur les pianos, elle a dû quitter
la pension et se réfugier chez son oncle, qui vit loin de tout,
fumant sa pipe devant ses carrés de salade, ignorant l'immense
foret vierge dont il est le gardien. Cette mer de verdure, roulant sa
houle de feuilles jusqu'à l'horizon [156], Albine s'en est emparée,
elle y vit, elle a oublié son ancienne existence de pensionnaire
à jupons brodés, elle est revenue à la libre nature.
A seize ans, c'est une étrange fille blonde, au visage un peu
long, aux yeux bleus, aux bras minces, nus et dorés, avec des
fleurs sauvages tressées dans ses cheveux; elle s'habille d'une
jupe orange, avec un grand fichu rouge attaché derrière
la taille, ce qui lui donne un air de bohémienne endimanchée
[55]. Elle est l'âme tendre du merveilleux jardin où Serge
Mouret, évadé un instant de la névrose héréditaire,
va recommencer son existence, naître dans le soleil, s'ouvrir
à la nature, pleurer devant les roses et deviner lentement l'amour,
Albine sera l'innocente initiatrice, puis l'amante passionnée
qui s'insurgera contre Dieu même et, fleur vivante du Paradou,
voudra mourir parmi les fleurs [417]. (La Faute de l'abbé Mouret.)
Alexandre.
Fort aux Halles. Beau garçon de vingt-deux ans, rasé,
ne portant que de petites moustaches, air gaillard [22], nature franche,
pleine de santé et de gaieté. C'est un bon ami de Claude
Lantier, qui admire en peintre sa belle carrure [23). Il fait partie
du groupe Gavard [133] et, compromis comme un grand enfant dans l'affaire
du complot des Halles, il se fait condamner à deux ans de prison
[355]. (Le Ventre de Paris.)
Alexandre.
Gardien à l'Asile d'aliénés des Tulettes.
Grand garçon maigre, tout habillé de gris. De connivence
avec Antoine Macquart, il assure l'évasion de François
Mouret [367]. (La Conquête de Plassans.)
Alexandre.
Vue des bêtes favorites de Désirée Mouret.
Grand coq fauve qui commande la basse-cour [74.]. (La Faute l'abbé
Mouret.)
Alexandre.
Garçon de magasin au Bonheur des Dames [17]. (Pot-Bouille.)
Amadieu.
Habitué de la Bourse. Gros monsieur à figure rouge
et rasée, que les spéculateurs vénèrent
depuis son fameux coup sur les mines de Selsis, les actions achetées
à quinze francs en un coup d'entêtement imbécile,
et revendues plus tard avec un bénéfice d'une quinzaine
de millions, sans qu'il ait rien prévu ni calculé, au
hasard. Cet acte de brute chanceuse a haussé Amadieu au rang
des vastes cerveaux financiers; il est salué, consulté
partout [2], une véritable cour le suit, lâchant de surprendre
ses moindres paroles, jouant dans le sens qu'elles semblent indiquer
[329]. Quant à lui, il ne donne plus d'ordres, comme satisfait,
trônant désormais dans son coup de génie unique
et légendaire. (L'Argent.)
Amanda.
Chanteuse de genre au café-concert du boulevard Rochechouart
[343]. (L'Assommoir.)
Amélie.
Grande fille logée à l'hôtel Vanneau, tenu
par madame Correur. Couchait avec le petit Du Poizat et le jetait d'une
claque à la porte, quand il n'était pas sage [107]. (Son
Excellence Eugène Rougon.)
Amélie.
Femme de l'ouvrier menuisier qui habite une petite chambre du
cinquième, dans l'immeuble Vabre, rue de Choiseul. Elle est en
place et vient passer la nuit avec son mari une fois par mois, quand
ses maîtres le permettent. Les Gourd s'indignent contre cette
intruse et font donner congé à l'ouvrier [147]. (Pot-Bouille.)
Anatole.
Le revolver de Gavard [395]. (Le Ventre de Paris.)
André
(Le Père). Vieux paysan de Chavanoz, village où
Miette a passé son enfance [234]. (La Fortune des Rougon.)
Angèle
(Sur). Religieuse attachée à l'infirmerie
du collège de Plassans. Une figure de vierge qui révolutionne
la cour des grands. Disparaît un beau matin avec Hermeline, un
élève de rhétorique [36]. (L'uvre.)
Angélique
Marie (l). Fille non reconnue de Sidonie Rougon. Père
inconnu. Elle est née à Paris, le 22 janvier 1851, quinze
mois après la mort du mari de Sidonie. La sage-femme Foucart
l'a déposée le 23 du même mois aux Enfants-Assistés
de la Seine; elle y a été inscrite sous le numéro
matricule 1634 et, faute de nom, a reçu les prénoms d'Angélique
Marie. Le 25 janvier, l'enfant a été confiée à
la nourrice Françoise Hamelin, maman Nini, qui l'a emportée
dans la Nièvre, où elle a grandi en pleine campagne, conduisant
la Rousse aux prés, marchant pieds nus, sur la route plate de
Soulanges. Au bout de neuf ans, le 20 juin 1860, comme il fallait lui
apprendre un état, elle est passée aux mains d'une ouvrière
fleuriste, Thérèse Franchomme, née Rabier, cousine
par alliance de maman Nini. Thérèse est morte six mois
après chez son frère, un tanneur établi à
Beaumont, et Angélique Marie, affreusement traitée par
les Rabier, s'est enfuie, une nuit de décembre, le lendemain
de Noël, emportant comme un trésor, cachant avec un soin
jaloux le seul bien qu'elle possédât, son livret d'enfant
assisté! Habillée de loques, la tête enveloppée
d'un lambeau de foulard, les pieds nus dans de gros souliers d'homme,
elle a passé la nuit sous la neige, adossée à un
pilier de la cathédrale et serrée contre la statue de
sainte Agnès, la Vierge martyre, fiancée à Jésus.
Au matin, la ville est couverte d'un grand linceul blanc, toutes les
Saintes du portail sont vêtues de neige immaculée, et l'enfant
misérable, blanche de neige, elle aussi, raidie à croire
qu'elle devient de pierre, ne se distingue plus des grandes Vierges
[4.].
Les Hubert la recueillent toute
froide, d'une légèreté de petit oiseau tombé
du nid [9]. C'est une gamine blonde, avec des yeux couleur de violette,
la face allongée, le col surtout très long, d'une élégance
de lis sur des épaules tombantes [5]. Son allure est celle d'un
animal qui se réveille, pris au piège; il y a en elle
un orgueil impuissant, la passion d'être la plus forte [12], on
la sent enragée de fierté souffrante, avec pourtant des
lèvres avides de caresses [17]. Elle va, pendant une année,
déconcerter les Hubert par des sautes brusques; après
des journées d'application exemplaire à son nouveau métier
de brodeuse, elle deviendra tout à coup molle, sournoise, et,
si on la gronde, elle éclatera en mauvaises réponses;
certains jours, quand on voudra la dompter, elle en arrivera à
des crises de folie orgueilleuse, raidie, tapant des pieds et des mains,
prête à déchirer et à mordre. Mais ces affreuses
scènes se terminent toujours par le même déluge
de larmes, la même exaltation de repentir, qui la jette sur le
carreau, dans une telle soif de châtiment qu'il faut bien lui
pardonner [25]. C'est la lutte de l'hérédité et
du milieu. Hubertine lui a enseigné le renoncement et l'obéissance,
qu'elle oppose à la passion et à l'orgueil. A chaque révolte,
elle lui a infligé une pénitence, quelque basse besogne
de cuisine qui l'enrageait d'abord et finissait par la vaincre. Ce qui
inquiète encore, chez cette enfant, c'est l'élan et la
violence de ses caresses, on la surprend se baisant les mains; elle
s'enfièvre pour des images, des petites gravures de sainteté
qu'elle collectionne; elle s'énerve, les yeux fous, les joues
brûlantes.
Angélique est une Rougon,
aux fougues héréditaires, et elle vit loin du monde, comme
en un cloître où tout conspire à l'apaiser. A l'heure
de la première communion, elle a appris le mot à mot du
catéchisme dans une telle ardeur de foi qu'elle émerveillait
tout le monde par la sûreté de sa mémoire. Elle
adore la lecture. Le livre qui achèvera de former son âme
est la Légende dorée, de Jacques de Voragine, où
d'abord les vieilles images naïves l'ont ravie, et dont elle s'est
accoutumée à déchiffrer le texte. La Légende
l'a passionnée, avec ses Saints et ses Saintes, aux aventures
merveilleuses aussi belles que des romans, les miracles qu'ils accomplissent,
leurs faciles victoires sur Satan, les effroyables supplices des persécutions,
subis le sourire aux lèvres, un dégoût de la chair
qui aiguise la douleur d'une volupté céleste, tant d'histoires
captivantes où les bêtes elles-mêmes ont leur place,
le lion serviable, le loup frappé de contrition; elle ne vit
plus que dans ce monde tragique et triomphant du prodige, au pays surnaturel
de toutes les vertus, récompensées de toutes les joies
[39]. Le livre lui a appris la charité; c'est un emportement
de bonté, où elle se dépouille d'abord de ses menues
affaires, commence ensuite à piller la maison et se plaît
a donner sans discernement, la main ouverte. A quatorze ans, elle devient
femme, et quand elle relit la Légende, ses oreilles bourdonnent,
le sang bal dans les petites veines bleues de ses tempes, elle s'est
prise d'une tendresse fraternelle pour les Vierges. Elisabeth de Hongrie
lui devient un continuel enseignement; à chacune des révoltes
de son orgueil, lorsque la violence l'emporte, elle songe à ce
modèle de douceur et de simplicité [43] et la gardienne
de son corps est la vierge-enfant, Sainte Agnès [45].
A quinze ans, Angélique
est ainsi une adorable fille; elle a grandi sans devenir fluette, le
cou et les épaules toujours d'une grâce fière, la
gorge ronde, la taille souple : et gaie, et saine, une beauté
rare, d'un charme infini, où fleurissent la chair innocente et
l'âme chaste [46]. Elle est devenue une brodeuse remarquable,
qui donne de la vie aux fleurs, de la foi aux symboles ; elle a le don
du dessin, on s'extasie devant ses Vierges, comparables aux naïves
figures des Primitifs, on lui confie tous les travaux de grand luxe,
des merveilles lui passent par les mains. Et sa pensée s'envoie,
elle vit dans l'attente d'un miracle, au point qu'ayant planté
un églantier, elle croit qu'il va donner des roses. A seize ans,
Angélique s'enthousiasme pour les Hautecur, en qui elle
voit les cousins de la Vierge; elle voudrait épouser un prince,
un prince qu'elle n'aurait jamais aperçu, qui viendrait au jour
tombant la prendre par la main et la mènerait dans un palais;
il serait très beau, très riche, le plus beau, le plus
riche que la terre eût jamais porté. Et elle voudrait qu'il
l'aimât à la folie, afin elle-même de l'aimer comme
une folle, et ils seraient très jeunes, très purs et très
nobles, toujours, toujours [69]. C'est ce rêve qu'elle va poursuivre
maintenant.
Le miracle naîtra de son
imagination échauffée de fables, des désirs inconscients
de sa puberté. Elle s'est exaltée dans la contemplation
du vitrail de la chapelle Hautecur et quand, sous le mince croissant
de la lune nouvelle, elle entrevoit une ombre immobile, un homme qui,
les regards levés, ne la quitte plus, il lui semble que Saint
Georges est descendu de son vitrail et vient à elle. L'apparition
se précise, l'homme est un peintre verrier qui fait un travail
de restauration ; elle sourit, dans une absolue confiance en son rêve
de royale fortune. Lorsque l'inconnu pénètre chez les
Hubert, elle peut bien jouer l'indifférence, la femme qui est
en elle peut obéir à un obscur atavisme, se réfugier
dans la méfiance et le mensonge; Angélique, malgré
ses malices d'amoureuse, ne cesse de croire à sa grande destinée,
elle reste certaine que l'élu de son cur ne saurait être
que le plus beau, le plus riche, le plus noble. Et la révélation
décisive, l'humble verrier devenu Félicien VII de Hautecur,
héritier d'une illustre famille, riche comme un roi, beau comme
un dieu, ne parvient pas a l'étonner. Sa joie est immense, parfaite,
sans souci des obstacles, qu'elle ne prévoit pas. il semble à
Angélique que le mariage s'accomplira dès le lendemain,
avec celle aisance des miracles de la Légende. Hubertine la bouleverse
en lui montrant la dure réalité, le puissant évêque
ne pouvant marier son fils à une pauvresse. Son orgueil est abattu,
elle retombe à l'humilité de la grâce, elle se cloître
même, sans chercher à revoir Félicien ; mais elle
est certaine que les choses se réaliseront malgré tout
; elle attend un miracle, une manifestation de l'invisible. Dans son
inlassable confiance, sûre que si monseigneur refuse, c'est parce
qu'il ne la connaît pas, elle se présente à lui
au seuil de la chapelle Hautecur et, d'une voix pénétrante
de charme, peu à peu raffermie, elle dépend sa cause,
elle se confesse toute, dans un élan de naïveté,
d'adoration croissante; elle dit le cantique de son amour et elle apparaît
comme une décès vierges légendaires des anciens
missels, avec quelque chose de frêle, d'élancé dans
la passion, de passionnément, pur [227]. Au refus de l'évêque,
toute espérance humaine est morte, il semble que le rêve
soit à jamais aboli. Une courte révolte soulève
Angélique, elle aime en désespérée, prête
à fuir aveu l'amant : c'est une dernière bataille que
se livrent l'hérédité et le milieu. Elle sort de
ce suprême combat touchée définitivement par la
grâce, mais une langueur l'épuisé, c'est un évanouissement
de tout son être, une disparition lente, elle n'est plus qu'une
flamme pure et très belle [254].
Et alors le miracle s'accomplit.
Monseigneur a cédé. Angélique était sans
connaissance, les paupières closes, les mains l'aidés,
pareille aux minces et rigides figures de pierre couchées sur
les tombeaux. Le : « SI DIEU DIEU VEUT, JE VEUX » des Hautecur
l'a ressuscitée. Plus rien des révoltes humaines ne vit
eu elle. Désormais en état d'humilité parfaite,
elle remet au cher seigneur qu'elle va épouser son livret d'élève,
celte pièce administrative, cet écrou où il n'y
a qu'une date suivie d'un numéro et qui est son unique parchemin.
ET c'est maintenant la pleine réalisation de son rêve ;
elle laisse tomber sur les misérables un fleuve de richesses,
un débordement de bien-être; elle épouse la fortune,
la beauté, la puissance, au delà de tout espoir et, toute
blanche dans sa robe de moire ornée de dentelles et de perles,
parvenue au sommet du bonheur, elle meurt en mettant un baiser sur la
bouche de Félicien [309]. (Le Rêve.)
Anglars
(Irma d'). Une noceuse d'autrefois. A été
célèbre sous le premier Empire. Gaga, qui l'a connue,
prétend qu'elle vous nettoyait un homme rien qu'à souffler
dessus; on la disait dégoûtante chez elle, mais dans sa
voiture, elle avait un chic extraordinaire, Irma possède à
Chamont un domaine d'une tranquille et royale majesté, et un
château historique où l'on conserve la chambre de Henri
IV. A quatre-vingt-dix ans, restée droite et ayant toujours ses
yeux, elle est très simple et très grande, avec la face
vénérable d'une vieille marquise échappée
aux horreurs de la Révolution. Tous les gens de Chamont la saluent
profondément; c'est une reine puissante, comblée d'ans
et d'honneurs [218]. (Nana.)
Annouchka.
Maîtresse de Souvarine, affiliée avec lui à
un complot politique. Déguisée en paysanne, elle apportait
du pain tous les soirs aux conjurés qui minaient la voie du chemin
de fer où devait passer le train impérial. Comme un homme
aurait pu être remarqué, c'est Annouchka qui a allumé
la mèche. Souvarine, échappé aux recherches, a
suivi le procès de sa maîtresse pendant six longs jours
; deux fois, il a eu envie de crier, de s'élancer par-dessus
les têtes pour la rejoindre, mais un homme de moins, c'est un
soldat de moins, et Annouchka disait non, de ses grands yeux fixes.
Il a vu pendre les condamnés ; l'exécuteur perdait la
tête, dérangé par la pluie battante; Annouchka a
dû attendre son tour, tout debout, pendant vingt minutes ; elle
n'apercevait pas son amant, elle le cherchait en vain dans la foule,
puis Souvarine est monté sur une borne, elle l'a vu, leurs yeux
ne se sont plus quittés. Quand elle a été morte,
elle le regardait toujours. Alors, il a agile son chapeau et il est
parti [509]. (Germinal.)
Antonia.
Femme de chambre de Clorinde. Petite Italienne noire, aux yeux
pareils à deux gouttes d'encre, mal coiffée, velue d'une
robe jaune en loques [65]. Elle suce des oranges du matin au soir. Grande
familiarité avec sa maîtresse [175]. (Son Excellence Eugène
Rougon.)
Archangias
(Frère). Frère des écoles chrétiennes.
Dirige depuis quinze ans l'école des Artaud. Grand corps maigre,
taillé à coups de hache, dure face de paysan en lame de
sabre, nuque au cuir tanné [32]. Il est vêtu d'une grande
soutane graisseuse, avec un rabat sale glissant vers l'épaule
[34.]. Frère Archangias, terrible homme toujours mugissant, toujours
jetant l'anathème, pousse le dégoût et la haine
de la femme jusqu'à s'irriter contre la dévotion à
la Vierge. C'est une brute exaspérée par la continence,
un énergumène qui répand sa fureur sur la nature
entière, arrachant les nids, exécrant les fleurs, voyant
dans toute fécondité immondices et magie du diable. Vis-à-vis
de l'abbé Mouret, dont il a surpris la faute, il se constitue
le gendarme de Dieu [312]; il guette les moindres faiblesses du jeune
prêtre, devine à la clarté de son regard les pensées
tendres et les écrase d'une parole, sans pitié, comme
des bêtes mauvaises [313]. Le vieux Jeanbernat, qui l'avait déjà
corrigé dans une lutte à coups de pierre [317], lui coupe
une oreille devant le cercueil d'Albine, la petite fée du Paradou
que frère Archangias a poursuivie de ses insultes enragées.
(La Faute de l'abbé Mouret.)
Aubertot
(Madame Élisabeth). Veuve du notaire Aubertot,
sur du président Béraud Du Châtel, tante de
Renée et de Christine. Quand madame Béraud Du Châtel
est morte en mettant sa seconde fille au monde, madame Aubertot a recueilli
l'enfant; devenue veuve quelques années après, elle a
ramené Christine dans la maison paternelle, où elle-même
s'est installée. C'est une petite vieille de soixante ans, d'une
amabilité exquise [22], et qui aime tendrement ses nièces.
Désespérée de la grossesse clandestine de Renée,
s'accusant d'un manque de surveillance et voulant atténuer aux
yeux du père l'énormité de la faute commise, elle
s'est laissé suggérer par Sidonie Rougon l'idée
d'un mariage de Renée avec Aristide Saccard. A celui-ci, elle
fournit un apport de deux cent mille francs; à. Renée,
elle donne de vastes terrains situés à Charonne [8]. Madame
Aubertot meurt en 1863, quelques mois avant Renée [336]. (La
Curée.)
Aubry (Séverine).
Fille cadette d'un jardinier au service des Grandmorin. Sa mère
est morte en couches, et Séverine entrait dans sa treizième
année lorsqu'elle a perdu son père. Le président
Grandmorin, dont elle était la filleule, est devenu son tuteur,
il l'a gardée près de sa fille Berthe. Les deux compagnes
sont allées au même pensionnat de Rouen, elles passaient
leurs vacances au château de Doinville; c'est là que, docile
et ignorante, la petite Aubry s'est pliée aux désirs honteux
du vieux président ; plus tard, simplement désireuse d'arranger
les choses, elle s'est laissé marier avec Roubaud, un employé
de l'Ouest. Dans l'éclat de ses vingt-cinq ans, elle semble grande,
mince et souple, grasse pourtant avec de petits os ; elle n'est point
jolie d'abord, la face longue, la bouche forte, éclairée
de dents admirables; mais à la regarder, elle séduit par
le charme, 1'étrangeté de ses longs yeux bleus, des yeux
de pervenche, sous son épaisse chevelure noire [7]. Mariée
depuis trois ans, Séverine reste une grande enfant passive, d'une
affection filiale, où l'amante ne s'est point éveillée
; elle aime à se faire cajoler et couvrir de baisers qu'elle
ne rend pas, et cette femme, qui a connu les lubricités anormales
d'un vieillard, reste sans vice, dans sa demi-inconscience de fille
douée, chaste malgré tout. Un instant d'oubli, un insignifiant
mensonge qu'elle n'a pas su maintenir, révèle tout son
passé à Roubaud, et Séverine ne comprend rien à
la soudaine fureur de ce jaloux pour qui elle n'a qu'une calme affection
de camarade; elle se laisse arracher toute la vérité,
des détails affolants qui jettent l'homme à la folie du
sang; et, complètement dominée par son mari, instrument
d'amour devenu instrument de mort, elle accepte la complicité
d'un assassinat : Grandmorin est attiré dans un guet-apens, et
c'est elle qui, de tout son corps, pèse sur les jambes de la
victime, pendant que le meurtrier enfonce le couteau [255]. Les sens
de Séverine ne s'éveillent que plus tard, dans les bras
de Jacques Lantier. Gomme celui-ci a deviné le crime, elle n'a
d'abord eu qu'une pensée, le sentir à elle, tout à
elle, faire de lui sa chose pour n'avoir plus à le craindre;
puis, elle s'est mise à l'aimer de tout son cur vierge.
C'est l'horreur du passé qui la donne à Jacques, dans
le désir de disparaître en lui, d'être sa servante.
Alors elle se passionne, elle se dégage de cette longue virginité
froide, dont ni les pratiques séniles du président, ni
les brutalités conjugales n'ont pu la tirer; elle se donne sans
réserve et garde du plaisir une reconnaissance brûlante
[245]. Le crime a rompu tout lien entre Roubaud, réfugié
dans la passion du jeu, et Séverine, devenue amoureuse ; la vie
commune n'est plus que le contact obligé de deux êtres
liés l'un à l'autre, passant des journées entières
sans échanger une parole, allant et venant côte à
côte, comme étrangers désormais [277]. Longtemps,
ils ont eu peur; la vérité, que le juge Denizet avait
soupçonnée, est connue de M. Camy-Lamotte ; leur destinée
a dépendu de lui, mais des considérations politiques ont
fait classer l'affaire, nulle crainte ne subsiste, les meurtriers sont
même entrés en possession d'un legs de leur victime, et
la pensée de cette petite fortune, qui lui permettrait d'aller
vivre en Amérique avec Jacques, loin des souvenirs sanglants,
achève de surexciter Séverine Aubry. Son mari, tombé
à l'avachissement, l'a outrée par sa complaisance devant
un flagrant délit ; il l'a écurée en jetant
au jeu les dix mille francs trouvés dans le portefeuille de Grandmorin;
elle finit par rêver un nouveau crime qui la rendra libre. Mais
eu éveillant l'instinct du meurtre qui somnolait en l'âme
obscure de Jacques, c'est elle seule que Séverine a condamnée,
c'est contre elle-même qu'elle a déchaîné
la bête humaine, et le couteau qui devait la libérer, le
couteau qui a déjà servi au premier crime, lui pénètre
de toute sa lame dans la gorge, la tuant de la même blessure,
bâillante, affreuse, qui a tué Grandmorin [373]. (La Bête
humaine.)
Auguste.
Marchand de vin traiteur, à l'enseigne du Moulin d'argent,
boulevard de la Chapelle. La noce de Coupeau et de Gervaise a lieu chez
lui [78]. (L'Assommoir.)
Auguste.
Garçon de salle au café des Variétés
[29]. (Nana.)
Auguste.
Petit porcher de la Borderie. Garde les moutons avec le vieux
berger Soulas [283]. (La Terre.)
Augustine.
Apprentie blanchisseuse chez Gervaise Coupeau. Affreux petit
louchon, d'une méchanceté sournoise do monstre et de souffre-douleur
[176]. (L'Assommoir.)
Augustine.
Ouvrière fleuriste chez Titreville, rue du Caire. Grande
blonde laide, qui n'aime pas les vieux [463]. (L'Assommoir).
Aurélie
(Mademoiselle). A vu naître Madame Deberle. Vieille
amie pauvre, un peu gourmande, un peu mauvaise langue, qui est de toutes
les réceptions chez les Deberle et qu'on retient à dîner
le samedi [28]. (Une Page d'Amour.)
Aurélie
(Madame). Première du rayon de confection, au Bonheur
des Dames. Son père, concierge rue Cuvier, était un petit
tailleur alsacien. Elle a épousé Lhomme, un locataire
de la maison, puis elle a voulu monter un atelier de confection à
son compte et s'est aigrie, sans cesse traquée par la mauvaise
chance, exaspérée de se sentir des épaules à
porter la fortune et de n'aboutir qu'à des catastrophes. Le Bonheur
des Dames lui a enfin donné le succès; elle a fondé
dans cette maison la dynastie des Lhomme, poussant son mari au poste
de premier caissier, obtenant une caisse pour son fils Albert, un être
incapable et malfaisant dont on n'avait rien pu faire, jusque-là.
Et, par fierté, elle renie pour elle-même le nom de Lhomme;
le personnel doit l'appeler madame Aurélie. Hors du magasin,
la femme, le mari, le fils vivent chacun à sa guise.
Très forte à quarante-cinq
ans, elle est sanglée dans une robe de soie noire, dont le corsage,
tendu sur la rondeur massive des épaules et de la gorge, luit
comme une armure. Elle a, sous ses bandeaux sombres, de grands yeux
immobiles, la bouche sévère, les joues larges et un peu
tombantes; dans sa majesté de première, son visage prend
l'enflure d'un masque empâté de César [62]. Autoritaire
et vaniteuse, elle est bonne femme uniquement pour les demoiselles souples
et caressantes, qui tombent en admiration devant ses paroles et ses
actes; elle se montre dure pour les débutantes, comme la vie
s'est d'abord montrée dure pour elle, et Denise Baudu lui paraissant
chétive et sans défense, elle ne lui épargne aucune
humiliation. Mais, plate devant Octave Mouret, lui rendant des services
délicats qui la font apprécier, elle ne tarde pas à
deviner les intentions du maître; elle change alors d'attitude
et prend Denise sous sa protection [332].
Madame Aurélie possède
une propriété près de Rambouillet, les Rigoles,
achetée sur ses premiers cent mille francs d'économies;
plus tard, elle acquiert la campagne des Baudu. Son bonheur serait grand
si Albert, mêlé à une affaire de vol, ne se faisait
renvoyer. Cette mésaventure humilie profondément la première
des confections; son masque d'empereur romain semble avoir maigri de
la honte qui entache maintenant la famille; elle affecte de s'en aller
chaque soir au bras de son mari, rapprochés tous deux par l'infortune,
comprenant que le malheur est dû à la débandade
de leur intérieur. Puis, l'âge arrive, Bourdoncle commence
à regarder madame Aurélie de travers : « Trop vieille
pour la vente ! » ce glas va sonner bientôt, emportant la
dynastie des Lhomme. Et maintenant, malgré son orgueil, pour
faire sa cour, pour rester en grâce, cette femme hautaine ne demande
qu'à se mettre aux genoux de Denise [491]. (Au Bonheur des Dames.)
Aurigny
(Laure d'). Demi-mondaine du second Empire. Très
lancée, mais criblée de dettes, elle a fait un habile
traité avec Aristide Saccard qui, à la même époque,
avait besoin de raffermir sa propre situation. Grâce à
une vente de diamants où il achète, à grand tapage,
pour sa femme, les bijoux de la demoiselle, Saccard satisfait les créanciers
de Laure; il tire celle-ci d'affaire et feint ensuite d'être son
généreux amant. Cette combinaison, qui pose Aristide en
riche financier, remet la demoiselle en vue et lui fait trouver bientôt
un bon naïf [256], le jeune duc de Rozan, qui dépense avec
elle son premier demi-million [343]. (La Curée.)
|