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Macquart
(l). Fils dun ouvrier tanneur qui lui a laissé une
masure de limpasse Saint-Mittre, dans un faubourg de Plassans.
Grand, terriblement barbu, il a une face maigre où lon
ne distingue que le luisant des yeux bruns. Contrebandier doublé
dun braconnier, il disparaît pendant des semaines, puis
revient, les mains dans ses poches, menant alors une existence divrogne,
buvant avec un entêtement farouche. On ne parle de lui quen
disant : « Ce gueux de Macquart » [49]. En 1788, il devient
lamant dAdélaïde Fouque, veuve de Rougon depuis
un an, et dont la propriété confine à laire
Saint-Mittre. Deux enfants surviennent, Antoine en 1789, Ursule en 1791
; Macquart continue sa périlleuse existence jusquen 1810,
époque où, introduisant en France toute une cargaison
de montres de Genève, il est tué à la frontière
par le coup de feu dun douanier. On lenterre dans le cimetière
dun petit village des montagnes [61]. (La Fortune des Rougon.)
(l) Macquart, déséquilibré
et ivrogne, contrebandier, amant dAdélaïde Fouque.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Macquart (Antoine)
(2). Fils dAdélaïde Fouque et du contrebandier
Macquart. Mari de Joséphine Gavaudan. Père de Lisa, Gervaise
et Jean Macquart. Né à Plassans en 1789, il est élevé
en toute liberté, dans lenclos Fouque, entre son frère
Pierre Rougon et sa sur Ursule, et grandit franchement dans le
sens de ses instincts [53]. A seize ans, cest un grand galopin
ayant les traits de son père, mais adoucis, devenus fuyants et
mobiles; dAdélaïde, il na que les lèvres
charnues. Au moral aussi, le père domine, avec son amour du vagabondage,
sa tendance à livrognerie, ses emportements de brute, compliqués,
sous linfluence nerveuse de la mère, dune sournoiserie
pleine, dhypocrisie et de lâcheté. En 1809, Antoine
tombe au sort et, dupé par Pierre qui a manuvré
pour empêcher son remplacement [59], il devient soldat.
Rentré à Plassans en 1815, après
la chute de Napoléon, il rapporte tous ses vices naturels, développés
par la vie militaire. Paresseux et ivrogne, devenu le pire des garnements
[136], ruiné par Pierre qui sest emparé du patrimoine
maternel, il est décidé à ne jamais travailler,
se livre à des chantages contre son frère, tire de lui
quelques subsides [143], sinstalle dans une chambre du vieux quartier,
apprend à fabriquer la vannerie, exerce mollement ce métier
en sapprovisionnant la nuit dans les oseraies de la Viorne, ce
qui lui vaut quelques jours de prison [145] et se répand en imprécations
contre les riches, par haine des Rougon; il commence dès lors
à se poser dans la ville en républicain farouche [146].
En 1829 Antoine épouse une vendeuse
de la halle, Joséphine Gavaudan, robuste et courageuse commère
qui habite un logement rue Civadière et chez qui il sinstalle
le soir même de ses noces, sarrangeant aussitôt une
existence doisiveté absolue [148], exploitant cyniquement
le travail de sa femme, puis celui de ses enfants, Gervaise et Jean.
Il vit dans un égoïsme féroce, passe sa vie au café,
shabille chez un bon tailleur de Plassans, se vante hautement
de ses escapades amoureuses, pille la maison et festoie au dehors quand
te buffet est vide [154].
Rongé denvie et de haine, terriblement
bavard, étrange théoricien qui voit dans la république
un moyen demplir ses poches, il réunit facilement autour
de lui tin petit groupe douvriers qui prennent naïvement
ses fureurs jalouses peur des indignations honnêtes et convaincues
[155]. En 1848, il croit que Plassans va lui appartenir, il rêve
de terribles représailles contre les Rougon, rangés du
côté de la réaction, animés dailleurs
autant que lui dune rage dappétits brutaux [157].
Cherchant un allié dans la famille,
il a circonvenu son neveu Silvère Mouret, jeune démocrate
idéaliste, la exaspéré contre loncle
Pierre en exploitant la tendresse du brave enfant pour son aïeule
Adélaïde Fouque [176], nest pas parvenu à lassocier
à ses projets de vengeance personnelle, mais la exalté
au point de le jeter, tout vibrant, dans une sanglante échauffourée.
Au moment du Deux-Décembre, Macquart
est aux abois. La mort de sa femme, le départ de Gervaise et
de Jean lont réduit à une profonde misère,
sa fureur contre les riches est au paroxysme. Labstention des
libéraux honorables a fait de lui un des agents les plus en vue
de linsurrection, il se voit tenant les Rougon à la gorge,
commence par perquisitionner en vain chez eux [182] et sempare
de la mairie où il se laissera bientôt prendre par son
frère ennemi; puis, lorsque le coup détat triomphe,
il ne songe plus quà sauver sa peau et à vendre
les camarades. Lâchement, il maquignonne avec sa belle-sur
Félicité un guet-apens [335] où, moyennant salaire,
il mènera à la mort les ouvriers républicains qui
ont cru en lui. Le crime accompli, Macquart reçoit le prix du
sang et quitte la France pour quelque temps avec promesse dun
bon emploi [366]. (La Fortune des Rougon.)
Après un court exil dans le Piémont,
il est rentré en France, grâce à Pierre Rougon qui,
depuis le forfait perpétré ensemble, ne peut rien lui
refuser. Il mène alors une existence de bourgeois gras et rente,
buvant de bonnes bouteilles, cachant sous son attitude ironique des
menaces de chantage qui obligent son frère à lentretenir,
comme lentretenaient jadis sa femme et ses enfants. Il a renoncé
à la place promise et vit aux Tulettes, à trois lieues
de Plassans; les Rougon lui ont acheté un petit domaine [56],
à deux pas de lAsile où est enfermée tante
Dide, placée ainsi sous sa surveillance.
Toujours ricanant, il suit les manuvres
de Pierre et de Félicité, devenus les maîtres de
la ville; il garde sournoisement contre eux une haine de loup, multipliant
ses exigences quand il sent une nouvelle intrigue à expliquer.
Abouché avec labbé Fenil qui rêve une vengeance
contre Faujas, irrité dautre part contre Pierre qui fait
la sourde oreille à un nouvel appel de fonds [258], il lâche
le fou François Mouret contre les conquérants de Plassans.
Mais, quand la maison de la rue Balaude est en flammes, Macquart a la
rancur dapprendre quen supprimant Faujas, loin de
nuire aux Rougon, il a fait leur jeu [401]. (La Conquête de Plassans.)
Il vit longtemps, à laise dans
une terrible légende de fainéant et de bandit. Avec les
Rougon, il reste correct, dune diplomatie finaude, nayant
gardé que son rire goguenard, exécré dailleurs
de Félicité, à cause du linge sale dautrefois.
A quatre-vingt-quatre ans, loncle Macquart est encore aux Tulettes,
en vieil ivrogne, salure de boisson et que lalcool semble conserver.
Sa face est comme bouillie et flambée, dun rouge ardent
de brasier; il boit de tels coups deau-de-vie quil eu reste
plein, la chair baignée, imbibée ainsi quune éponge.
Lalcool suinte de sa peau [69], et, un beau jour de juillet, le
vieillard, fumant sa pipe, sallume lui-même comme un feu
de la Saint-Jean et se perd en fumée, jusquau dernier os
[233]. Cette combustion spontanée, à laquelle Félicité
assiste silencieuse [228], a tout détruit et ne laisse rien à
enterrer; la famille se contente de faire dire des messes pour le repos
de lâme du mort [235]. Quand on ouvre le testament, on constate
que Macquart a disposé de tout ce quil pouvait distraire
de sa petite fortune, pour se faire élever un tombeau superbe,
en marbre, avec deux anges monumentaux, les ailes repliées, et
qui pleureront [236]. (Le Docteur Pascal.)
(2) Antoine Macquart, né en 1789 ;
soldat en 1809 ; se marie, en 1829, avec Joséphine Gavaudan,
marchande à la Halle, vigoureuse, travailleuse, mais intempérante;
en a trois enfants ; la perd en 1851 ; meurt en 1873, alcoolique, de
combustion spontanée. [Mélangé fusion. Prédominance
morale et ressemblance physique du père]. Soldat, puis vannier,
puis rentier et fainéant. (Arbre généalogique des
Rougon-Macquart.)
Macquart (Madame).
Voir GAVAUDIN (Joséphine).
Macquart (Gervaise)
(l). Seconde Fille dAntoine Macquart et de Joséphine
Gavaudan. Sur de Lisa et de Jean. Mère de Claude, Jacques,
Etienne Lantier et dAnna Coupeau. Née à Plassans
en 1828, conçue dans livresse, Gervaise a la cuisse droite
déviée et amaigrie, reproduction héréditaire
des brutalités paternelles. Chétive, toute pâle,
elle est mise au régime de lanisette par sa mère,
qui adore cette liqueur. Devenue grande fille, elle est restée
chétive, fluette, avec une délicieuse tête de poupée,
une petite face ronde et blême dune exquise délicatesse.
Son infirmité est presque une grâce, sa taille fléchit
doucement à chaque pas, dans une sorte de balancement cadencé
[150]. Des huit ans, elle gagnait dix sous par jour en cassant des amandes
chez un négociant voisin; entrée ensuite en apprentissage
chez une blanchisseuse, elle reçoit comme ouvrière deux
francs par jour ; tout son argent passe dans la poche de son père,
qui godaille au dehors. A quatorze ans, Gervaise a de son amant, louvrier
tanneur Lantier, un premier fils, Claude, puis deux autres, qui sont
recueillis par leur grandmère paternelle, sans que Macquart
consente à faire une démarche qui réglerait la
situation et le priverait du salaire de sa fille. Celle-ci vit ainsi,
exploitée par son père, engrossée par son amant,
shabituant à boire avec sa mère des verres de liqueur
qui la soûlent à petites doses. Au début de 1851,
madame Lantier et Joséphine Macquart étant mortes, Lantier
retire Gervaise des mains de son père et lemmène
à Paris avec deux des enfants. (La Fortune des Rougon,)
Au bout de deux mois et demi, Lantier a mangé
le petit héritage maternel, il abandonne Gervaise et les enfants
dans une misérable chambre de lhôtel Boncur,
boulevard de la Chapelle. Jetée ainsi sur le pavé de Paris,
Gervaise est entrée comme ouvrière chez madame Fauconnier,
blanchisseuse, rue Neuve de la Goutte-dOr. A vingt-deux ans, elle
est grande, un peu mince, avec des traits fins, déjà tirés
par les rudesses de sa vie [9]. Elle ne boit plus de liqueurs comme
à Plassans, ayant failli en mourir un jour, ce qui la dégoûtée
des alcools. Son seul défaut est dêtre très
sensible, daimer tout le monde, de se passionner pour des personnes
qui lui font ensuite mille misères. Elle ressemble à sa
mère par sa rage de sattacher aux gens.
Son idéal est modeste : travailler,
manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants,
mourir dans son lit [50]. Mais elle na pas de volonté,
se laissant aller où on la pousse, par crainte de causer de la
peine à quelquun [57]. Cest ainsi que, sept semaines
après le départ de Lantier, elle consent à épouser
Coupeau, malgré des peurs irraisonnées, de noirs pressentiments,
lhostilité évidente des Lorilleux devant qui le
zingueur est si petit garçon.
Mariée, Gervaise travaille avec lardent
désir de satisfaire son idéal. Elle fait des journées
de douze heures chez madame Fauconnier, le ménage se met dans
ses meubles et sinstalle rue Neuve de la Goutte-dOr, sur
le palier des Goujet. La petite Anna vient au monde dès la première
année, Claude est parti au collège, les autres enfants
poussent, on a pu économiser six cents francs en quatre années
laborieuses, Gervaise va sétablir, lorsque Coupeau se casse
une jambe en travaillant et reste étendu, puis en convalescence,
pendant quatre mois. Les économies sont mangées, Coupeau
a perdu le goût du travail et commence une existence divrogne
qui le mènera peu à peu au délire alcoolique.
Gervaise, établie dans une boutique
de la maison des Lorilleux, grâce à un prêt de cinq
cents francs du forgeron Goujet, qui laime comme une sainte Vierge
[194], sest remise bravement à la besogne, éprouvant
des joies denfant devant son rêve réalisé;
mais elle sattriste de linconduite de Coupeau, ne voulant
pourtant pas quon la plaigne, excusant son mari, le déshabillant
maternellement lorsquil rentre ivre. Cette existence laveulit,
elle cède à tous les petits abandons de son embonpoint
naissent [221]; loisiveté et les désordres de lhomme
commencent à porter leur fruit, la gêne arrive. Dabord,
Gervaise avait rendu vingt francs par mois aux Goujet, elle ne donne
plus dargent et même contracte de nouveaux emprunts, elle
fait des billets. Lantier a reparu, ramené par la grande Virginie
qui, fessée, autrefois en plein lavoir, a gardé contre
la blanchisseuse une sourde rancune.
Et cest alors la lente déchéance
de Gervaise qui désespère dêtre jamais heureuse,
placée entre un mari indigne qui maintenant la dégoûte
et un ancien amant qui veut la reprendre. Elle a essayé un instant
de se réfugier dans le pur amour de Goujet, mais sans force pour
résister à Lantier, elle finit par succomber, presque
sous les yeux de la petite Anna. Et le quartier sait lhistoire,
grâce aux racontars de maman Coupeau. Gervaise a perdu tout respect
delle-même, elle vit tranquillement ou milieu de lindignation
publique [352], ses paresses lamollissent, elle passe dans le
lit de Lantier chaque fois que Coupeau rentre ivre ou quil ronfle
trop fort, elle se désintéresse du travail, les pratiques
sen vont une à une, elle doit renvoyer sa dernière
ouvrière et ne garder que lapprentie Augustine, la saleté
pénètre dans la boutique, les dettes croissent, tout va
au Mont-de-Piété de la rue Polonceau. Après une
courte révolte, Gervaise finit toujours par trouver sa position
naturelle [369], elle na de colère contre personne, sauf
peut-être contre madame Lorilleux qui la ridiculisée
sous le nom de la Banban et dont elle se venge en lappelant Queue-de-Vache.
A bout de ressources, elle se décide à céder sa
boutique à la grande Virginie, qui va enfin pouvoir lécraser.
Et alors, cest lenfer dans une petite chambre du sixième.
Gervaise sest mise à boire; acceptée
comme ouvrière par son ancienne patronne, elle gâte tellement
louvrage quon la classe au rang de simple laveuse. Lors
de la fuite de Nana, elle reste grise pendant trois jours; devenue énorme,
elle lave une fois par semaine le parquet chez Virginie, dont les rapports
avec Lantier la laissent indifférente. On ne veut plus delle
nulle pari; elle dort sur la paille et en arrive à chercher sa
vie dans les tas dordures. Enfin, après la mort de Coupeau
à Sainte-Anne, Gervaise succombe à son tour; elle meurt
de misère et va être emportée par Bazouge, le vieux
croque-mort dont elle avait si peur autrefois. (LAssommoir.)
Sa sur, la charcutière Lisa Quenu,
nest jamais venue à son aide ; elle naimait pas les
gens malheureux et avait honte de Gervuise unie à un ouvrier
[96]. (Le Ventre de Paris.)
Son fils Étienne lui envoyait de temps
à autre une pièce de cent sous, lorsquil était
machineur à Lille [48]. (Germinal.)
(l) Gervaise Macquart, née en 1828;
a trois garçons dun amant, Lantier, dont lascendance
compte des paralytiques, qui lemmène à Paris et
ly abandonne; épouse, en 1832, un ouvrier, Coupeau, de
famille alcoolique, dont elle a une fille; meurt de misère et
divrognerie, en 1869. [Élection du père, conçue
dans livresse. Boiteuse.] Blanchisseuse. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Macquart (Jean)
(l). Troisième enfant dAntoine Macquart et de Joséphine
Gavaudan. Frère de Lisa et de Gervaise. Né à Plassans
en 1831, cest un fort gaillard, tenant de sa mère, sans
avoir sa ressemblance physique. Visage aux traits réguliers,
avec la froideur grasse dune nature sérieuse et peu intelligente.
Grandit avec la volonté tenace de se faire un jour une position
indépendante [150]. Il apprend le métier de menuisier
et, dès les premières payes, est dépouille par
son père qui le traite en jeune fille et ne lui laisse pas un
centime [153]. Quand on sassomme dans le ménage, Jean se
lève pour séparer son père et sa mère [155].
Lorsque celte dernière meurt, le jeune homme, las dêtre
exploité, quitte la maison [179]. (La Fortune des Rougon.)
Tombé au sort, il a été
sept ans soldat et, en 1859, sétant battu à Solferino
et nayant gardé de cette journée que le souvenir
dune pluie diluvienne tombée pendant laction [71],
il est revenu dItalie avec son congé. Un camarade, libéré
comme lui, la emmené à Bazoches-le-Doyen; il a dabord
repris sou métier, mais les années de service lavaient
rouillé, dévoyé, dégoûté de
la scie et du rabot, avaient tait de lui un autre homme, avec des habitudes
de flânerie et un grand besoin de repos. Installé à
la Borderie pour des réparations, il y reste comme valet de ferme,
unissant par mordre à la culture, satisfaisant ainsi le tempérament
de buf de labour quil tient de sa mère [91].
A vingt-neuf ans, cest un gros garçon
châtain, aux cheveux ras, à la face pleine et régulière,
annonçant un mâle solide : on lappelle Caporal, en
souvenir de son métier de soldat. Il nest pas seulement
aux prises avec la terre dure qui fait payer chaque grain de blé
dune goutte de sueur, il lutte surtout avec le peuple des campagnes,
que lâpre désir, la longue et rude conquête
du sol brûle du besoin sans cesse irrité de la possession.
Les paysans exècrent Jean, dabord parce quil a été
un ouvrier, travaillant le bois au lieu de. cultiver la terre, ensuite
parce quil sest mis à la charrue et quil vient
manger le pain des autres dans un pays qui nest pas le sien. Il
a fait connaissance à Rognes des surs Mouche, Lise et Françoise,
il épouse celle-ci malgré les fureurs de Buteau et croit
avoir fixé sa vie en ce coin de la Beauce. Mais jusquau
bout, Jean reste un étranger, même pour sa femme qui ne
laime guère et qui, assassinée par les siens, leur
laisse tout, ne voulant pas quune moite de terre sorte de la famille
et aille à lintrus.
Lheure de la guerre va sonner. Dégoûté
de la vie, nayant plus de courage à travailler la vieille
terre de France, Jean saura du moins la défendre ; il se rengage
pour aller cogner sur les Prussiens [501]. (La Terre.)
Il a été incorporé au
106e de ligne (colonel de Vineuil) et, sachant tout juste lire et écrire,
nambitionnant même pas le grade de sergent, il fera la campagne
avec les galons de caporal. Gros garçon sérieux, à
la figure pleine et régulière, à la cervelle épaisse
et lente, il reste calme et têtu, solide en son, espoir, devant
la défaite. Les horreurs de Sedan nébranlent pas
son optimisme : on nest pas tous morts, après tout, il
en reste, et ceux-là suffiront bien à rebâtir la
maison, sils sont de bons bougres, travaillant dur, ne buvant
pas ce quils gagnent; lorsquon prend de la peine, on parvient
toujours à se tirer daffaire, au milieu des pires malchances;
même, il nest pas mauvais, parfois, de recevoir une bonne
gifle, ça fait réfléchir et sil y a quelque
pari de la pourriture, des membres gâtés, mieux vaut les
voir par terre, abattus dun coup de hache, que den crever
comme dun choléra [392].
Jean a deviné en Maurice Levasseur
une inimitié, une répugnance de classe et déducation,
il voudrait échapper à ce mépris hostile [20].
Il gagne Maurice peu à peu, lui donnant dabord une rude
leçon de courage moral [33], puis le soutenant de son exemple,
le soignant avec une douceur dhomme expérimenté
dont les gros doigts savent être délicats à loccasion.
Le tutoiement arrive bientôt [100]. Jean sattendrit devant
la souffrance physique de Maurice, il se prive démanger pour
lui et, plus tard, de même quil lui a sauvé la vie
pendant la marche vers Sedan, Maurice le sauvez sur le champ de bataille.
Puis, dans la presquîle dIges, où plane la
mort, Jean paye sa dette au centuple; cest le don entier de sa
personne, loubli total de lui-même pour lamour de
lautre [445].
Évadé de la colonne de prisonniers,
blessé dans la fuite, encore une fois sauvé par Maurice
et réfugié à Remilly, où Henriette Weiss
le soigne, Jean rêve un moment une femme comme elle, si tendre,
si douée, si active; il se voit confusément remarié
en ce pays, propriétaire dun champ qui suffit à
nourrir un ménage de braves gens sans ambition [511]. Mais comme
il faut aller jusquau bout du désastre, la guerre civile
va anéantir ce rêve.
Les curs de Jean et de Maurice sétaient
fondus lun dans lautre, pendant quelques semaines dhéroïque
vie commune. Aujourdhui, Maurice est plein de la démence
qui emporte Paris, un mal venu de loin, des ferments mauvais du dernier
règne; Jean, lui, est resté fort de son bon sens et de
son ignorance, sain encore davoir poussé à part,
dans la terre du travail et de lépargne. Un arrachement
sépare brusquement les deux hommes[586]. Et labomination
saccomplit. Maurice, le fils détraqué de la bourgeoisie,
meurt sur une barricade, des mains de Jean choisi par linexorable
destin pour accomplir lholocauste, pour abattre ce membre gâté,
dont lamputation est devenue nécessaire. Lheureuse
vie que Jean avait entrevue sen va avec le flot de sang qui emporte
le frère dHenriette. Désormais, luvre
de destruction est achevée, Jean se remet en marche, retournant
à la terre qui lattend, à la grande et rade besogne
de toute une France à refaire [636]. (La Débâcle.)
Licencié après la semaine sanglante,
Jean est venu se fixer près de Plassans, à Valqueyras,
où il a eu la chance dépouser une forte fille, Mélanie
Vial, unique enfant dun paysan aisé, dont il fait valoir
la terre [129]. Calme et raisonnable, toujours à sa charrue,
il crée rapidement toute une petite famille, un enfant dabord,
puis deux autres en trois années, toute une nichée qui
pousse gaillardement au soleil [385]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Jean Macquart, né en 1831 ; épouse,
en 1867, Françoise Mouche, quil perd en 1870, sans en avoir
eu denfants; se remarie en 1871, avec Mélanie Vial, paysanne
forte et saine, dont il a un garçon et qui est grosse de nouveau,
[Innéité. Combinaison où se confondent les caractères
physiques et moraux des parents, sans que rien deux semble se
retrouver dans le nouvel être]. Paysan, soldat, puis paysan. Vit
encore à Valqueyras. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart,)
Macquart (Madame Jean).
Voir MOUCHE (Françoise).
Macquart (Madame Jean).
Voir VIAL (Mélanie).
Macquart (Lisa)
(l). La fille aînée dAntoine Macquart et de
Josépiline Gavaudan. Sur de Gervaise et de Jean. Femme
de Quenu. Elle est née à Plassans en 1827, un an après
le mariage de ses parents ; cest une grosse et belle enfant, très
sanguine, qui ressemble beaucoup à sa mère, sera comme
elle vaillante à la besogne, mais naura pas son dévouement
de bêle de somme; elle tient de son père un besoin de bien-être
très arrêté. A sept ans, Lisa a été
prise en amitié par la directrice des postes; celle-ci en fait
une petite bonne et, devenue veuve, lemmène à Paris
[149]. (La Fortune des Rougon,)
En 1851, cest une belle fille bien portante,
dhumeur égale, un peu sérieuse, ce qui donne un
grand charme à ses rares sourires. Elle vivait rue Cuvier chez
sa protectrice qui la traitait comme sa propre enfant, lorsque cette
dame a été emportée par un asthme, laissant une
dizaine de mille francs à Lisa. La jeune fille entre comme demoiselle
de boutique chez le charcutier Gradelle, rue Pirouette, et fait très
vite la conquête de la maison. Lorsque, un an après, Gradelle
a été emporté par une attaque soudaine, Lisa trouve
tout naturellement un mari dans le neveu Quenu, faible desprit
mais acharné travailleur, quelle a dominé du premier
coup en sachant découvrir le magot de loncle, enfoui au
fond dun saloir [59]. Bientôt ils abandonnent la médiocre
boutique pour fonder une magnifique charcuterie où la belle Lisa
trône comme une des reines du quartier; avec son mari et sa fille
Pauline, elle forme une trinité grasse, suant la santé,
luisante et superbe. Lorsque Florent revient, maigre et mourant de faim,
Lisa est dans la maturité de la trentaine; cest une belle
femme, point trop grosse pourtant, forte de la gorge; ses cheveux lissés,
collés et comme vernis lui descendent en petits bandeaux plats
sur les tempes. Elle a un grand air dhonnêteté.
Cest une Macquart rangée, raisonnable,
logique avec ses besoins de bien-être, ayant compris que la meilleure
façon de sendormir dans une tiédeur heureuse est
encore de se faire soi-même un lit de béatitude [56]. Elle
est dun égoïsme tranquille et béat, écartant,
toutes les causes possibles de trouble, laissant couler les journées
au milieu de cet air gras, de cette prospérité alourdie
[64]. Larrivée de son beau-frère lui a laissé
tout son calme; comme les mauvaises pensées la dérangeraient
trop, elle parle aussitôt de partager fa succession Gradelle et,
pour ramener à renoncer à cet acte désintéressé,
il faut toute la résistance de Florent.
Mais celui-ci, installé chez son frère,
promenant dans la boutique sa lassitude et sa tristesse, impatiente
bientôt la belle madame Quenu, pleine de mépris pour les
gens qui se croisent les bras. Habituée à tout régenter,
Lisa sait vaincre les répugnances du républicain pour
un emploi officiel; elle ne lui a, du reste, aucune reconnaissance de
cette faiblesse [113]. Sa froideur de femme grasse et arrivée,
son instinctive méfiance pour ce maigre inquiétant, se
transforment bientôt en une hostilité active. Lisa ne pardonne
pas à Florent son amitié pour la belle Normande, brouillée
à mort avec elle; ce doux rêveur sera écrasé
par la formidable rivalité des deux femmes. Quand il entraîne
son frère chez Lebigre, aux réunions bavard, Lisa, émuepar
les racontars de la Saget, commence son uvre de défense;
tout en faisant grand étalage de patience et en se gardant dédire
du mal de Florent, elle ramèneQuenu aux saines idées politiques
et le poussepeu à peu vers le désir due rupture
avec ce frère qui trouble la digestion des honnêtes gens.
Après un conciliabule avec labbé Roustan[251], révolutionnée
par la découverte décharpes rouges préparées
pour le grand jour, indignée devant sa propre tranquillité
compromise à jamais, elle se décide brusquement à
dénoncer. le conspirateur en rupture de ban [318].
Florent arrêté, cest la
quiétude qui revient, une réconciliation publique se produit
entre Lisa et la belle Normande, les Quenu sembrassent, énormes,
débordants, déjà convalescents de ce malaise dune
année où leur tranquille bonheur tremblait et coulait
comme une graisse mal figée. Et, pendant que son maigre beau-frère
retourne à Cayenne, la belle Lisa montre un grand calme repu,
une tranquillité énorme que rien ne doit plus venir troubler.
(Le Ventre de Paris.)
Elle meurt à Paris, en 1863, dune
décomposition du sang [25]. (La Joie de vivre.)
(1) Lisa Macquart, née en 1837; épouse,
en 1852, Quenu, sain et pondéré, dont elle a une fille
dans lannée ; meurt six mois avant son mari, en 1863, dune
décomposition du sang. [Élection de la mère. Ressemblance
physique de la mère]. Charcutière, grande boutique aux
Halles. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Macquart (Urusule)
(l). Fille dAdélaïde Fouque et de Macquart.
Mère de François, Hélène et Silvère
Mouret. Née à Plassans en 1791, des amours illégitimes
dAdélaïde Fouque et de Macquart [50], elle est élevée
dans lenclos Fouque avec ses frères Pierre Rougon et Antoine,
qui la battent avec une égale rudesse. Cest une pauvre
petite créature chétive et pâle, chez qui les ressemblances
des parents sont comme fondues, avec une empreinte plus profonde du
tempérament de sa mère. Elle est fantasque, montrant par
moments des sauvageries, des tristesses, des emportements de paria,
puis, le plus souvent, elle rit par éclats nerveux, elle rêve
avec mollesse, en femme folle du cur et de la tête. Ses
yeux sont dune transparence de cristal [56]. A dix-neuf ans, elle
épouse Mouret, heureuse de fuir une maison où son frère
aîné lui rend la vie intolérable. Les époux
vont se fixer à Marseille [60]; Ursule reste chétive [141],
peu à peu consumée par une phtisie lente, résultat
des névroses maternelles, et elle meurt en 1840, laissant trois
enfants [160]. (La Fortune des Rougon,)
Macqueron.
Épicier-cabaretier à Rognes. Conseiller municipal et adjoint
au maire. Grosse face moustachue. A gagné des rentes en spéculant
sur les petits vins de Montigny et est tombé à la paresse,
chassant, pêchant, faisant le bourgeois. Reste très sale,
vêtu de loques, pendant que sa fille porte des corsages de velours.
Macqueron fermerait volontiers boutique, car il devient vaniteux, avec
de sourdes ambitions, mais il laisse sa femme tenir le cabaret pour
ennuyer son ennemi, le buraliste Lengaigne, qui vend aussi à
boire [55]. Zélé bonapartiste, se mettant en avant pour
la réparation de la cure, devenant lagent du candidat officiel
Rochefontaine, il parvient à renverser le maire Alexandre Hourdequin
et à prendre sa succession [375]. Mais ce triomphe est sans lendemain,
grâce à une dénonciation de Lengaigne qui révèle
aux rats-de-cave une grosse fraude du nouveau maire et oblige celui-ci
à donner sa démission [451]. (La Terre.)
(l) Ursule Macquart, née en 1791 ;
épouse en 1810, un ouvrier chapelier, Mouret, bien portant et
pondéré; en a trois enfants; meurt phtisique en 1840.
[Mélange soudure. Prédominance morale et ressemblance
physique de la mère]. (Arbre généalogique def Rougon-Macquart.)
Macqueron (Madame Clina).
Femme de lépicier. Sèche, nerveuse et insolente,
voix aigre [52]. Elle est dune âpreté féroce
au lucre [55]. (La Terre.)
Macqueron (Berthe.)
Fille des Macqueron. Cest une jolie brune, avec des yeux
clairs aux légers cercles bleuâtres. A été
élevée en demoiselle à la pension de Cloyes et
joue du piano. Très coquette, elle porte des corsages de velours
et va aux champs enrobe à volants [128]. Le voisinage laccuse
davoir des plaisirs solitaires, appris au pensionnat et les garçons.
samusent à lui attribuer une particularité physiologique
secrète qui la fait surnommer Nen-a-pas [130]. Berthe
tolère les prévenances du maître décole
Lequeu, quelle exècre, flattée pourtant de cette
cour du seul homme qui ait de linstruction [346]. Elle na
de penchant que pour le fils dun charron, que son père
lui a défendu de voir, à cause dune haine de famille.
Tombée plus tard à une maigreur jaune, déjà
ridée, de teint flétri, elle se compromet tellement avec
son amoureux quon est obligé de les marier [451]. (La Terre.)
Madeleine.
Blonde fillette de dix ans, recueillie à luvre du
Travail. Elle a des yeux savants déjà, un air de femme,
la chair hâtive et malade des faubourgs parisiens. Vivait avec
sa mère, une rouleuse adonnée à la boisson et changeant
constamment dhomme; les amants de la mère battaient la
fillette quand ils nessayaient pas de la violer [172]. La femme
misérable a gardé dans son abjection un ardent amour maternel,
cest elle-même qui a supplié quon lui enlevât
as fille et elle enseigne à celle-ci une prière pour le
bon monsieur Saccard, grâce à qui linnocence a trouvé
un refuge. A treize ans, Madeleine devient orpheline, sa mère
étant morte un soir de soûlerie dun coup dé
pied dans le ventre, quun homme lui a allongé pour ne pas
lui donner les six sous dont ils étaient convenus [420]. (LArgent.)
Madeline (Abbé).
Nommé à Rognes, lorsque cette commune sest
décidée à avoir un curé à elle. Agé
de trente ans, tout long, tout mince, avec une figure de Caroline qui
nen finit plus, lair bien doux, labbé arrive
du Puy-de-Dôme. Ses grands yeux gris clairs de montagnard, habitués
aux horizons étroits des gorges de lAuvergne, ont une mélancolie
désespérée devant limmensité plate
et grise de la Beauce [349]. Les femmes, layant senti faible,
en abusent pour le tyranniser dans les choses du culte[3821. Et navré
de lindifférence de ses nouveaux paroissiens, bouleversé
par lirréligion de ce pays, labbé sétiole,
son cur est noyé de tristesse, il sévanouit
en disant sa messe. Au bout de deux ans et demi, on s » décide
a le remporter, mourant, dans ses montagnes [456]. (La Terre.)
Madinier.
Patron dun atelier de cartonnages, rue de la Goutte-dOr,
dans la maison des Lorilleux. Ceux-ci prétendent quil mange
tout, laissant ses enfants le derrière nu [71]. Au mariage de
Coupeau, Madinier est lun des témoins [80]. Il se donne
une importance de patron et emmène la noce au musée du
Louvre, où il prétend expliquer les tableaux [96]. (LAssommoir.)
Maffre.
Juge de paix à Plassans. Tout blanc, face épaisse avec
de gros yeux à fleur de tête, très dévot,
chanoine honoraire de Saint-Saturnin. Ou laccuse davoir
tué sa femme par sa durcie et son avarice [43]. Il traite ses
grands fils Ambroise et Alphonse avec brutalité, les enfermant
au pain et à leau pour punir la moindre incartade. Maffre
fréquente chez Rastoil et se rallie lun des premiers à
labbé Faujas, qui se servira de lui pour lancer lidée
du Cercle de la Jeunesse [171]. (La Conquête de Plassans.)
Maffre (Alphonse).
Second fils du juge de paix de Plassans. Dix-huit ans. Très
tenus par leur père, les fils Maffre samusent en cachette
avec Guillaume Porquier, leur ami, qui les entraîne dans des maisons
suspectes[167]. (La Conquête de Plassans.)
Maffre (Ambroise).
Premier fils du juge de paix de Plassans. Vingt ans [167]. (La
Conquête de Plassans.)
Maginot.
Inspecteur des forêts, à Méziéres [7]. Il
a épousé Gilberte de Vineuil, qui aime le plaisir. Cest
un mari commode ; sa nullité laisse la jeune femme sans remords.
Il meurt après de courtes années de mariage [262]. (La
Débâcle.)
Maginot (Madame).
Voir VINEUIL (Gilberte de).
Maheu (Alzire).
quatrième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude.
Elle a neuf ans. Cest une petite bossue toute chétive,
aux yeux intelligents, une ménagère précoce qui
fait le ménage, entretient le feu, balaye, range la salle, un
être de dévouement et de sacrifice, qui ment déjà
avec héroïsme pour laisser son pain aux autres. Cest
la meilleure aide de sa mère, elle a des ruses tendres pour calmer
les rages de sa petite sur Estelle [93].Aizire meurt de froid
et de faim, pendant la grève de Montsou [446]. (Germinal.)
Maheu (Catherine).
Deuxième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Hercheuse
au Voreux. Fluette pour ses quinze ans, elle est rousse, elle a un visage
blême, déjà gâté par les continuels
lavages au savon noir, une bouche un peu grande, avec des dents superbes
dans la pâleur chlorotique des gencives, de grosses lèvres
dun rosé pâle, de grands yeux dune limpidité
verdâtre deau de source [72]. Ses bras délicats sont
dune blancheur de lait, et ses pieds, habitués à
courir dans la mine, sont bleuis, comme tatoués de charbon. Dans
sa culotte de mineur, sa veste de toile et le béguin qui enserre
son chignon, elle a lair dun petit homme, rien ne lui reste
de son sexe quun dandinement léger des hanches [16]. Les
promiscuités de la famille lui ont tout appris de lhomme
et de la femme, mais elle est vierge de corps, et vierge enfant, retardée
dans la maturité de son sexe par le milieu de mauvais air et
de fatigue où elle vit [50]. Ses idées héréditaires
de subordination et dobéissance passive lui donnent une
allure résignée et douée.
Elle trouve Étienne Lantier joli, avec
son visage fin et ses moustaches noires, mais cest Chaval qui
la prend, sans quelle ait la volonté de résister;
elle subit le mâle avant lâge, avec cette soumission
innée qui, dès lenfance, culbute en plein vent les,
filles de sa race [145]. Et désormais, elle obéit à
Chaval, elle supporte ses coups; maintenant quelle a ce galant,
elle aime encore mieux ne pas en changer [207]. Pourtant, cest
unie triste vie, Chaval na été bon pour elle quune
seule fois, à la fosse Jean-Bart, Je jour où elle allait
mourir, asphyxiéepar lair mort du fond de la mine [348].
Hors ce court instant, elle na connu que sa jalousie brutale,
ses colères mauvaises, son égoïsme de mâle
qui se laisse nourrir par le gain de la femme; mais Chaval est son homme
et, au jour de la bagarre, tille le défend, pardonnant les coups,
oubliant la vie de misère, soulevée par lidée
quelle lui appartient, puisquil la prise et que cest
une honte pour elle, quand il subit des violences [381]. Son cur
va quand même vers Etienne, elle le sauve îles gendarmes
[il4.], elle le sauve aussi du couteau de Chaval [408], et cependant
il faut que ce dernier la chasse, la jette grelottante dans la rue,
pour quelle se décide à partir, libérée
du premier amant. Et cest le lendemain, dans la secousse de labominable
collision où son père a trouvé la mort, quelle
devient femme; le flot de la puberté crève enfin, elle
pourra maintenant faire des enfants que les gendarmes égorgeront
[494]. Etienne la possède femme le premier, mais leurs tristes
noces saccomplissent au fond de la mine inondée, dans le
désespoir de tout, dans la mort et, jusquau bout, la pitoyable
Catherine est hantée par laffreuse image de Chaval [573].
(Germinal.)
Maheu (Estelle).
Septième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Elle
a trois mois. Ses interminables rages bouleversent la maison [18]. (Germinal.)
Maheu (Guillaume).
Bisaïeul de Toussaint Maheu. Étant un gamin de quinze ans,
il a trouvé le charbon gras à Réquillart, la première
fosse de la Compagnie de Montsou. La veine découverte par lui
a gardé le nom de veine Guillaume. Cet ancêtre a été
le grand-père de Bonnemort, qui ne la pas connu. Il était
gros, très fort et est mort de vieillesse à soixante ans
[10]. (Germinal.)
Maheu (Henri).
Sixième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Quatre
ans. Tête trop grosse et comme soufflée, ébouriffée
de cheveux jaunes. On le couche avec sa sur Lénore [14].
(Germinal.)
Maheu (Jeanlin).
troisième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude.
Onze ans. On lemploie au Voreux comme galibot. il gagne vingt
sous par jour. Il est petit, il a les membres grêles, avec des
articulations énormes, grossies par les scrofules, un masque
de singe blafard et crépu, avec des yeux verts et de grandes
oreilles. Dans sa précocité maladive, il semble avoir
lintelligence obscure et la vive adresse dun avorton humain
qui retourne à lanimalité dorigine [210].
Depuis longtemps, il exploite Bébert Levaque et Lydie Pierron
; avec celle-ci, il essaye, dans les coins noirs, lamour que tous
deux entendent et voient chez leurs parents, derrière les cloisons,
par les fentes des portes; ils savent tout, mais ils ne peuvent guère,
trop jeunes, tâtonnant, jouant pendant des heures à des
jeux de petits chiens vicieux; Jeanlin appelle ça « faire
papa et maman » [138].
Enseveli sous un éboulement dans la
mine, il conserve ses jambes, mais on les recolle si mal quil
reste boiteux de la droite et de la gauche, filant dun train de
canard, courant aussi ton quautrefois, avec son adresse de bête
malfaisante et voleuse [298]. Un besoin croissant de maraude le lance
avec Bébert et Lydie sur 1rs chemins, il est le capitaine de
ces expéditions, jetant sa troupe sur toutes les proies, ravageant
les champs doignons, pillant les vergers, attaquant les étalages;
dans le pays, on attribue ces méfaits aux mineurs en grève,
on parle, dune vaste bande organisée [301]. Et pendant
que les deux autres tremblent sous son autorité, Jeanlin garde
tout le butin et le transporte dans une caverne de Réquillard,
où il fait bombance tout seul [306]. Cet être malfaisant
martyrise pour le plaisir la grosse Pologne, une lapine familière
qui vit en liberté chez les Rasseneur [310]. Toute une sourde
végétation du crime se développe en son crâne
de bête inconsciente: des discours violents entendus dans la forêt,
des cris de dévastation et de mort hurlés au travers des
fosses, il na retenu quun invincible désir, celui
dégorger un soldat, un de ces cochons de soldats qui embêtent
les charbonniers chez eux; et il assassine le petit breton Jules, qui
était en faction nocturne sur le territoire du Voreux; il lui
a sauté sur les épaules, dun bond énorme
de chat sauvage, sy est agrippé de ses griffes et lui a
enfoncé dans la gorge son couteau grand ouvert [465]. (Germinal.)
Maheu (Lénore).
Cinquième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude.
Six ans. La même tête que son jeune frère Henri.
Ces enfants ne sentendent guère, ils ne se prennent gentiment
au cou que lorsquils dorment, Dés son lever, la fille tombe
sur le garçon, son cadet de deux années, qui reçoit
les gifles sans les rendre [93]. (Germinal.)
Maheu (Nicolas).
Grand-père de Toussaint Maheu. On lappelait le Rouge.
Cest le fils du Maheu qui a découvert la veine Guillaume
à Réquillart. A peine âge du quarante ans, il est
resté dans un éboulement du Voreux, que lon fonçait
en ce temps-là: un aplatissement complet, le sang bu et les os
avalés par les roches [10]. (Germinal.)
Maheu (Toussaint).
Fils du vieux Bonnemort. Mari de la Maheude. Père de Zacharie,
Catherine, Jeanlin, Alzire, Lénore, Henri et Estelle. Il est
haveur à la fosse du Voreux et habite le coron des Deux cent
quarante, au numéro 16 du deuxième corps. Tous les enfants
logent dans la même chambre, séparée par une porte
vitrée du palier où couchent les parents. Petit comme
son père, Maheu lui ressemble en gras, la tête forte, la
face plate et livide, sous ses cheveux jaunes coupés très
courts [18]. A quarante-deux ans, il a la peau blanche, dune blancheur
de fille anémique, ou les éraflures, les entailles du
charbon, laissent des tatouages, des « greffes » ; il sen
montre fier, il étale ses gros bras, sa poitrine large, dun
luisant de marbre veiné de bleu [129]. Les salaires sont tellement
bas quon doit vivre à dix avec neuf francs par jour, et
ce maigre gain est disputé rudement dans létouffement
des ténèbres, dans les crampes des attitudes forcées,
dans leau qui ruisselle, dans lair quempoisonnent
la fumée des lampes, la pestilence des baleines, lasphyxie
du grisou [53], et avec cela, il faut subir lobsession des mouchards,
il faut mesurer ses paroles, comme si la houille des actionnaires, encore
dans la veine, avait des oreilles [55].
Maheu est un bon ouvrier, il ne boit pas,
il adore ses petits et fait gentiment la dînette avec eux [162].
Cest le meilleur travailleur de la fosse, le plus aimé,
le plus respecté, celui quon cite pour son bon sens. Aussi
a-t-il été désigné pour présenter
à la direction les réclamations de ses camarades; elles
prendront, dans sa bouche, un poids décisif [240]. Depuis longtemps,
Etienne Lantier la endoctriné; Maheu commence à
se demander pourquoi lon vit parqués, les uns contre les
autres, comme des bêtes, si entassés quon ne peut
changer de chemise sans montrer son derrière au voisin, pourquoi
on est condamné à un travail qui était la punition
des galériens autrefois, un travail de vraies brutes, qui ne
vous donne même pas de viande à manger [185] ; cest
en sa cervelle une lente germination, laspiration vers une société
plus humaine, et ce sentiment lui donne le courage de parler au directeur
Hennebeau. Il dit les choses amassées au fond de sa poitrine,
leur misère à tous, le travail dur, la femme et les petits
criant la faim à la maison, il cite les dernières payes
désastreuses, les quinzaines dérisoires mangées
par les amendes et les chômages, rapportées aux familles
en larmes. Mais Hennebeau nest quun simple agent dexécution,
derrière lui il y a une Régie sourde et muette, les mineurs
sont acculés à la grève. Crever pour crever, ils
préfèrent crever à ne rien faire; ce sera la fatigue
de moins [244]. Et cest alors la triste grève de Montsou,
qui, après de longues semaines de famine, de froid, de sourdes
révoltes, va être noyée dans le sang. Maheu sest
vu rendre son livret [421], la Compagnie ne veut plus de lui, elle a
fait venir des Borains pour remplacer les grévistes [443] et
comme ceux-ci senragent devant les fosses occupées militairement,
des briques sont jetées aux soldats et ceux-ci répondent
par une décharge qui étend devant le Voreux triomphant
vingt-cinq blessés et quatorze morts, dont deux enfants et trois
femmes. Toussaint Maheu est frappé en plein cur [488].
(Germinal.)
Maheu (Vincent).
Voir BONNEMORT.
Maheu (Zacharie).
Fils aîné de Toussaint et de la Maheude. Vingt et
un ans. Maigre, dégingandé, il a la ligure longue, salie
de quelques rares poils de barbe, avec les cheveux jaunes et la pâleur
anémique de toute la famille [16]. Il est haveur et travaille
à la même taille que son père, mais il se moque
de la besogne, aime le plaisir et fréquente avec son ami Mouquet
le café-concert du Volcan [136]. Zacharie a fait deux enfants
à Philomène Levaque, on finit par le marier avec elle
[181]. La grève ne lintéresse guère, il fait
de longues parties de crosse avec Mouquet. [310]. Mais soudain, lorsque
sa sur Catherine est ensevelie dans le Voreux, une violente révolution
sopère en lui, il est au premier rang de léquipe
des recherches; avant tous les autres, il entend le rappel des mineurs,
battu au loin parles emmurés ; il sacharne à labatage,
volant le tour de ses camarades, refusant de lâcher la rivelaine;
cest une hâte fébrile, un besoin farouche, un enragement
victorieux devant la houille qui résiste. Le neuvième
jour, dans sa précipitation, il commet limprudence douvrir
sa lampe et une soudaine explosion de grisou le réduit en un
charbon noir, calciné, méconnaissable [546]. (Germinal.)
Maheude (La).
Femme de Toussaint Maheu. Déjà déformée
à trente-neuf ans, elle a une figure longue, aux grands traits,
dune beauté lourde [19]. Elle est descendue aux mines jusquà
vingt ans, le médecin a dit quelle y resterait, lorsquelle
a accouché la seconde fois, parce que ça lui dérangeait
quelque chose dans les os [102]. Cest à ce moment quelle
sest mariée et dès lors elle est restée au
coron; cinq autres enfants sont venus. Dans ce milieu, la misère
héréditaire fait de chaque petit un gagne-pain pour plus
tard, un fils ne doit se marier que lorsquil a rendu à
ses parents largent quil leur a coûté. Aussi
la Maheude consent-elle avec peine au mariage de son aîné
Zacharie [176]; de même Catherine devenue la maîtresse de
Chaval la désole, car cest encore une brèche aux
maigres ressources de la maison. Elle a un grand bon sens dans les questions
de travail, elle calme son homme exaspéré par les exigences
des chefs, elle déclare quon na rien à gagner
à se buter contre la Compagnie [130].
Pourtant léternelle misère
la révolte et, si elle a dabord refusé dentendre
Etienne Lantier et son rêve dune humanité meilleure,
le charme agit lentement sur son esprit, elle entre dans le inonde merveilleux
de lespoir, lidée de justice la passionne [189].
Son esprit de bonne ménagère la dinstinct
rendue hostile A la grève, mais le malheur sacharne trop,
les aînés sont partis, Jeanlin a été estropié
dans un éboulement, le vieux Bonnemort est perclus de rhumatismes,
il faut vivre à sept sur les trois francs du père ; raisonnablement,
lheure semble venue dobtenir justice [256]. Plus tard, lexcès
du malheur fera delle la plus acharnée à ne pas
se rendre, elle. ne voudra pas avoir pour rien crevé pendant,
deux mois, vendu son ménage, vu Alzire mourir de faim et ses
autres enfants mendier sur les routes. Longtemps elle est restée
modérée, à présent cest elle qui excite
Maheu à jeter des briques aux soldats et, même lorsquelle
le voit tué par une halle, même brisée dans cette
terrible chute du haut de lidéal, elle sexaspère
encore contre ceux qui parlent de retourner à la fosse [498].
Il faut dautres malheurs, Zacharie calciné
par le grisou, Catherine ensevelie dans le Voreux, pour que la mère
tragique retrouve son ancien calme de femme raisonnable. On lui fait
alors lexception charitable de ladmettre à quarante
ans aux travaux de la mine, on lui donne trente sous par jour pour tourner
une roue pendant dix heures, sous lenfer du Tartaret, au fond
dun boyau ardent. Et comme il faut nourrir les petits, elle vit
là, les reins cassés, la chair cuite par quarante degrés
de chaleur, uniquement soutenue par le sourd travail qui sest
fait en elle, la certitude que linjustice ne peut durer davantage,
et que sil ny a plus de bon Dieu, il en repoussera un autre,
pour venger les misérables [585]. (Germinal.)
Mahoudeau. Un sculpteur ami de Claude
Lantier et de Sandoz. Fils, dun tailleur de pierres de Plassans,
il a remporté là-bas de grands succès aux concours
du Musée; puis, il est venu à Paris comme lauréat
de la ville, avec une pension annuelle de huit cents francs pour quatre
années. A Paris, il a vécu dépaysé, sans
défense, ratant lEcole des Beaux-Arts, mangeant sa pension
à ne rien faire ; si bien que, les quatre ans finis, il sest
vu forcé, pour vivre, de se mettre aux gages dun marchand
do bons dieux, où il a gratté dix heures par jour des
Saint-Joseph, des Saint-Roch, des Madeleine, tout le calendrier des
paroisses.
Il est petit, maigre, la figure osseuse, déjà
creusée de rides à vingt-sept ans; ses cheveux de crin
noir sembroussaillent sur un front très bas; et dans ce
masque jaune, dune laideur féroce, souvrent des yeux
denfant, clairs et vides, qui sourient avec une puérilité
charmante. Lambition la repris, lorsquil a retrouvé
les camarades de Provence, connus autrefois chez tata Giraud, des gaillards
dont il était laîné et qui sont aujourdhui
de farouches révolutionnaires. Dans cette fréquentation
dartistes passionnés, qui lui troublent la cervelle avec
lemportement de leurs théories, son ambition tourne au
gigantesque [79]. En sculpture, il pose pour la force, il signore
et méprise la grâce invincible qui repousse quand même
de ses gros doigts douvrier sans éducation. La lutte entre
ses tendances naturelles et linfluence de Claude produit une uvre
débordante et colossale, Bacchante dabord, puis Vendangeuse,
avec une surabondance de cuisses et de gorge, et dès attaches
de membres fines et jolies.
Mahoudeau a installé son atelier rue
du Cherche-Midi, à quelques pas du boulevard Montparnasse, dans
la boutique dune fruitière tombée en faillite; il
couche là, en compagnie de son camarade Chaîne, partageant
avec lui les lionnes grâces de lherboriste voisine, Mathilde
Jabouille. Ce sont des années de dure misère, les bons
dieux traversent une crise, lherboristerie périclite, Mahoudeau
en est réduit à faire des bustes de bourgeois, notamment
celui dun avocat, à la figure longue, allongée encore
par des favoris, monstrueuse de prétention et dinfinie
bêtise. On na pas toujours du pain, les deux artistes se
brouillent un soir que Mahoudeau, le ventre vide, a surpris Chaîne
mangeant un pot de confitures avec Mathilde ; la rancune persiste, sans
une détente, sans une explication; ils réduisent les rapports
strictement nécessaires à de courtes phrases, charbonnées
le long des murs, et Mahoudeau se loue de cette combinaison, il trouve
que, quand on crève de faim, ce nest pas désagréable
de ne jamais sadresser la parole, on sabrutit dans le silence,
cest un empâtement qui calme un peu les maux destomac
[223].
Après la rupture définitive
avec Chaîne et lenvolement de Mathilde, le sculpteur, expulsé
de sa boutique, sinstalle dans un petit atelier de la rue des
Tilleuls ; il vit seul, dans un redoublement de misère, mangeant
lorsquil a des ornements de façade à gratter ou
quelque figure dun confrère plus heureux à mettre
au point ; la Vendangeuse, exposée jadis au Salon, trop grande
pour latelier, se pourrit dehors, pareille à un tas de
gravats déchargés dun tombereau, rongée,
lamentable [293].
Et Mahoudeau limite peu à peu son rêve.
Depuis longtemps, il a lidée dune Baigneuse debout,
tâtant leau de son pied ; la maquette contenait déjà
des concessions, un épanouissement du joli sous lexagération
persistante des formes, une envie naturelle de plaire, sans trop lâcher
encore le parti-pris du colossal [222] ; lorsquil réalise
luvre, cest une Baigneuse toute de charme, à
la gorge enfantine, aux cuisses allongées; la nature vraie du
sculpteur perce sous le dégonflement de lambition. Puis
un malheur survient : faute dargent, Mahoudeau a fait une armature
avec des manches à balai ; sous laction du dégel,
la terre rompt le bois trop faible, et la statue sécroule
comme une femme qui se jette, écrasant presque lartiste,
qui sanglote devant ce cadavre mutilé [298]. Plus tard, gagnant
quelque argent, grâce à un fabricant de bronzes dart
qui lui fait retoucher ses modèles, il finit par exposer sa Baigneuse,
mais rapetissée encore, à peine grande comme une fillette
de dix ans, et dune élégance charmante, les cuisses
fines, la gorge toute petite, une hésitation exquise de bouton
naissant [410]. Et la vie devient meilleure, son fabricant lance de
lui des statuettes charmantes, que lon commence à voir
sur les cheminées et les consoles bourgeoises [440]. Mais la
longue misère de Mahoudeau la aigri, il donne avec Gagnière
des coups de dent aux amis dautrefois et accuse formellement Claude
de lavoir paralysé et exploité [449], comme si lui
seul navait pas gâté son propre talent, en prétendant
le hausser à un idéal supérieur. (Luvre.)
Maigrat.
Le principal débitant de Montsou. Ancien surveillant du Voreux,
il avait débuté par une étroite cantine; puis,
grâce à la protection des chefs, son commerce sest
élargi, tuant peu à peu le détail. Il centralise
les marchandises, la clientèle considérable des corons
lui permet de vendre moins cher et de faire des crédits plus
grands. Dailleurs, il est resté dans la main de la Compagnie,
qui lui a bâti sa petite maison et son magasin, séparés
par un simple mur de lhôtel du directeur Hennebeau. Maigrat
possède là un entrepôt, un long bâtiment qui
souvre sur la route, en une boutique sans devanture ; il y tient
de tout, de lépicerie, de la charcuterie, de la fruiterie,
y vend du pain, de la bière, des casseroles.
Gros, froid et poli, autoritaire et rapace,
il accorde difficilement une prolongation de crédit, mais comme
il a du goût pour les hercheuses, un mineur qui veut lattendrir
na quà lui envoyer sa femme ou sa fille, laides ou
belles, pourvu quelles soient complaisantes [98]. Pendant la grève,
il a mis les femmes en fureur par sa grossièreté et son
entêtement à refuser toute fourniture sans argent comptant;
sil affame louvrier, cest pour répondre au
désir des chefs, pressés den finir, mais il a ainsi
attiré sur sa maison bondée de vivres la colère
des ventres creux et cest là, devant la porte close, que
sacharnent les grévistes en criant : « Du pain !
II y a du pain là-dedans! Foutons la baraque à Maigrat
par terre!» Lassiégé pourrait fuir, il revient,
au contraire, car en lui lavarice est plus forte que la lâcheté
; il veut défendre son bien et va gagner son magasin par le toit,
lorsque, tremblant de peur, il glisse le long des tuiles et vient sécraser
le crâne à langle dune borne.
Alors, les femmes, prises de livresse
du sang, entourent le cadavre encore chaud, elles linsultent avec
des rires, hurlait à la face du mort la longue rancune de leur
vie sans pain ; la Maheude lui emplit la bouche de deux poignées
de terre, il ne mangera plus autre chose maintenant ; lu Brûlé
le coupe comme un matou, vengeant toutes celles qui ont souffert de
sa bestialité. Et labominable trophée, le paquet
de chair velue et sanglante, est planté au bout dun bâton
et promené dans Montsou, ainsi quun drapeau [415]. (Germinal.)
Maigrat (Madame).
Femme du débitant. Créature chétive, battue, trahie
à chaque heure et qui passe les journées sur un registre,
sans même oser lever la tête [90]. Le jour de lémeute,
debout derrière sa fenêtre, elle a vu toute la scène,
les grévistes envahissant Montsou, se ruant sur sa maison, Maigrat
tombant du toit et mutilé par les femmes. Elle ne bouge pas,
mais les défauts brouillés des vitres déforment
sa face blanche, qui semble rire [415]. (Germinal.)
Malgras (Le Père).
Marchand de tableaux. Un gros homme, envelonpé dans une
vieille redingote verte, très sale, qui lui donne lair
dun cocher de fiacre mal tenu, avec ses cheveux blancs coupés
en brosse et sa face rouge, plaquée de violet ; carrément
planté sur ses fortes jambes, il examine les tableaux, de ses
veux tachés de sang. Le père Malgras, sous lépaisse
couche de sa crasse, est un bonhomme très fin, qui a le goût
et le flair de la bonne peinture; Claude Lantier reçoit souvent
sa visite; jamais il ne ségare chez les barbouilleurs médiocres,
il va droit, par instinct, aux artistes personnels, encore contestés,
dont son nez flamboyant divrogne sent de loin le grand avenir.
Avec cela, il a le marchandage féroce, il se montre dune
ruse de sauvage pour acheter à bas prix la toile quil convoite.
Ensuite, il se contente dun bénéfice de brave homme,
vingt pour cent, trente pour cent au plus, ayant basé son affaire
sur le renouvellement rapide de son petit capital, nachetant jamais
le malin sans savoir auquel de ses amateurs il vendra le soir, mentant
dailleurs superbement [61].
Plein de ressources, il commande aux peintres
besogneux des natures mortes et fournit le modèle, gigot, barbue
ou homard, quil leur laisse pour lu peine [63]; il prête
une cousine de sa femme, quand on veut bien lui en faire une académie
[107]. Les millions peu solides de Naudet, le marchand à la mode,
lui inspirent le plus profond dédain cl il se retire, en homme
prudent, avec une très modeste fortune, une rente dune
dizaine de mille francs, quil sest décidé
à manger dans une petite maison du Bois-Colombes [278]. (Luvre.)
Malignon.
Ami des Deberle. Grand jeune homme mis très correctement, fort
riche, au courant de tout. On lappelle le beau Malignon. Cest
un connaisseur qui trouve de loin eu loin une page bien écrite
dans Balzac et estime que le réalisme dégrade lart
[24]. Jugeant amusant de devenir amoureux de Juliette Deberle, il esquisse
avec elle une aventure dans loisiveté estivale de Trouville
et, revenu à Paris, obtient de cette jeune écervelée
un rendez-vous dans un petit appartement quil a meublé
dune façon ridicule. Ladultère naboutit
point, grâce à lintervention inattendue dHélène
Grannjean. Malignon, resté ami des Deberle, trouve un mari pour
Pauline Letellier, sur de Juliette. (Une Page dAmour.)
Maliverne (Rose).
Femme du père Fouan. Elle a travaillé plus quun
homme, levée avant les autres, faisant la soupe, balayant, récurant,
les reins cassés par mille soins, les vaches, la cochon, le pétrin,
toujours couchée la dernière, et sa seule récompense
est davoir vécu [79]. Stupide, réduite à
un rôle de bête docile et laborieuse, elle a toujours tremblé
devant lautorité despotique de son mari. Elle a élevé
ses enfants sans tendresse, dans une froideur de ménagère
qui reproche aux petits de trop manger de ce quelle épargne;
sa préférence a été pour laîné,
Jésus-Christ ; ce chenapan na rien delle ni de son
mari et pourtant il sera jusquau bout le chéri de son cur
[133]. Devenue vieille, Rosé semble être restée
grasse, le ventre gros dun commencement dhydropisie, le
visage couleur davoine, troué dyeux ronds, dune
bouche ronde, quune infinité de rides serrent ainsi que
des bourses davare [17]. Elle survivra peu à la démission
de biens du père Fouan. Ses faiblesses pour Jésus-Christ
excitent la fureur de son autre fils, Buteau, qui la traite de vieille
coquine, la jette violemment à terre et casse cette pauvre tête
grise, usée et lasse. La mère Fouan meurt après
trente-six heures dagonie [213]. (La Terre.)
Malivoire.
Loueur de voitures à Arromanches. Il a lentreprise de lomnibus
dArromanches à Bayeux [2]. (La Joie de vivre.)
Maloir (Madame).
Dame âgée, lair respectable, ayant des manières.
Elle sert de vieille amie et de secrétaire à Nana, lui
tient société, laccompagne et écrit pour
elle des lettres pleines de cur. Madame Maloir reçoit les
secrets des autres sans jamais rien lâcher sur elle-même.
On dit quelle vit dune pension mystérieuse, dans
une chambre où personne ne pénètre ; le certain
est quelle na jamais sur elle que les six sous dun
omnibus [53]. Sa manie est de refaire tous ses chapeaux; seule, elle
sait ce qui lui va, et elle transforme en casquette la plus élégante
coiffure [46]. (Nana.)
Manguelin (Madame).
Protégée de madame Deberle. Allure discrète
et effacée. Vient en visite pour remercier madame Deberle dun
service [21]. (Une Page dAmour.)
Manoury.
Facteur aux Halles. Patron du crieur Logre et de la tablettière
Clémence [139]. (Le Ventre de Paris.)
Marcel.
Marchand de fruits en gros aux Halles [16]. (Le Ventre de Paris.)
Mardienne frères.
Fabricants dornements déglise, rue Saint-Sulpice.
Mademoiselle Menu a travaillé dans leurs ateliers [163]. (Pot-Bouille.)
Maréchal.
Bookmaker véreux, ancien cocher du comte de Vandeuvres.
Enorme, les épaules dun buf, la face haute en couleur.
Il a tenté la fortune aux courses avec des fonds dorigine
louche et le comte le charge de ses paris secrets, le traitant toujours
en domestique dont on ne se cache pas [403]. Par suite dune fausse
manuvre. Maréchal est nettoyé de cent mille francs
sur la pouliche Nana; ruiné, sentant tout crouler sous ses pas,
il fait publiquement une scène affreuse, racontant lhistoire
avec des mots atroces, entraînant par ce scandale la disqualification
du comte de Vandeuvres [419]. (Nana.)
Marescot.
Propriétaire de la maison de la rue de la Goutte-dOr, où
habitent les Lorilleux et les Coupeau. Cest un grand coutelier
de la rue de la Paix, un homme de cinquante-cinq ans, fort, osseux,
décoré, étalant ses mains immenses dancien
ouvrier. Il a jadis tourné la meule, le long des trottoirs, et
maintenant on le dit riche à plusieurs millions. Un de ses bonheurs,
lorsquil visite ses locataires, est demporter les couteaux
et les ciseaux, pour les aiguiser lui-même, par plaisir [161].
Mais, quand on lui demande des réparations, il a des crampes
davare [163], réclame ses termes avec insolence [384] et,
dès quon est retard, a immédiatement le mot dexpulsion
à la bouche [415]. (LAssommoir.)
Mareuil (de).
Père de Louise. Cest un ancien raffineur du Havre,
dont le nom réel est Bonnet, et qui a pris le nom de sa femme
[143]. Grand bel homme, sérieux, à cervelle incroyablement
vide. Au physique, une ressemblance frappante avec le valet de chambre
Baptiste [23]. Très riche et plein dambition, M. de Mareuil
aspire au Corps législatif; longtemps candidat malheureux [29],
il dépense trois cent mille francs pour se faire élire
et voit son élection cassée, à cause de scandales
par trop vifs [243]. Tout à lidée fixe dêtre
un personnage politique, il maquignonne le mariage de sa fille et de
Maxime Saccard, dont il apprécie vivement létroite
parenté avec le ministre de lintérieur Eugène
Rougon [244]. Resté candidat officiel, il a le bonheur dêtre
définitivement élu député [344]. (La Curée.)
Mareuil (Madame Hélène
de). De famille noble, fort riche, elle a voulu épouser
un imbécile de grande mine et sest mariée avec lancien
raffineur Bonnet, qui a pu devenir ainsi M. de Mareuil. Cette femme,
grande et forte, de murs extrêmement libertines, a mis au
monde une enfant rabougrie, Louise, a vécu dans les débordements
les plus honteux et est morte rongée par les plaisirs comme par
un ulcère [144]. (La Curée.)
Mareuil (Louise de)
(l). Cest une enfant de dix-sept ans, chétive, légèrement
bossue, dune grâce maladive [4]. Fille dun colosse
sain et dune mère bien bâtie, sa difformité,
ses allures de bohémienne millionnaire, sa laideur effrontée
et charmante sexpliquent par la nymphomanie maternelle [144].
Avec sa poitrine plate, sa petite tête laide et futée de
gamin, elle ressemble à un garçon déguisé
en fille, elle a des plaisanteries de pensionnaire émancipée
[197], un sourire vague de sphinx vicieux [324], des instincts mauvais.
Cest dun air tranquillement amical quelle a surpris
linceste de Maxime Saccard et de Renée. Déjà
très malade à la veille de son mariage avec Maxime, elle
meurt pendant le voyage de noces et est enterrée dans une petite
ville de Lombardie [337]. (La Curée )
(1) Louise de Mareuil, mariée, en 1863,
à Maxime Rougon, dit Saccard ; meurt la même année
sans enfant. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mareuil (Comtesse de). Prenait dans
son château la petite Clara Prunaire pour les raccommodages [62].
(Au Bonheur des Dames.)
Margaillan.
Un gros entrepreneur de maçonnerie, plusieurs fois millionnaire,
et qui fait sa fortune dans les grands travaux de Paris, bâtissant
à lui seul des boulevards entiers. Gras et court, il a la face
cuite dun sang trop chaud. Lui, sa femme et sa fille ont sur la
face, au dire de Claude Lantier, tous les crimes de la bourgeoisie ;
ils suent la scrofule et la bêtise [157]. Margaillan possède,
au-dessus de Bennecourt, en remontant du côté de La Roche-Guyon,
une vaste propriété, la Richaudière, quil
a payée quinze cent mille francs et où il a fait des embellissements
pour plus dun million, par une vanité dancien gâcheur
de plâtre. Cest un fier homme dans sa partie, il a une activité
du diable, un sens étonnant de la bonne administration, un flair
merveilleux des rues à construire et des matériaux à
acheter [204].
Pendant trente ans, il a acquis des terrains,
bâti, revendu, en établissant dun coup dil
les devis des maisons de rapport; mais, comme tous les parvenus, il
a rêvé de trouver un gendre qui lui apportât, dans
sa partie, des diplômes authentiques et délégantes
redingotes. Enthousiasmé par la médaille de Dubuche, par
ce jeune élève de lEcole des Beaux-Arts, dont les
noies sont excellentes, si appliqué, si recommandé par
ses maîtres, il lui donne sa fille, il prend cet associé
qui décuplera les millions en caisse, puisquil sait ce
quil est nécessaire de savoir pour bâtir [215]. Mais
Dubuche montre une incapacité déplorable, il a des inventions
coûteuses, se trompe sur la chaux, la brique, la meulière,
met du chêne où le sapin doit suffire, et nu se résigne
pas à couper un étage, comme un pain bénit, en
autant de petits carrés quil le faut. Margaillan, dont
les millions périclitent, finit par se révolter contre
lart et il jette son gendre à la porte de ses bureaux,
eu lui défendant dy remettre les pieds [422]. (Luvre.)
Margaillan (Madame).
Femme de lentrepreneur. Celui-ci a eu lambition dépouser
une fille de bourgeois et, comme il avait le sang gâté
par des générations divrognes, comme elle était
épuisée, la chair mangée de tous les vices des
races finissantes, ils ont mis au monde Régine, un malheureux
petit chat écorché [215]. Madame Margaillan, très
maigre, couleur de cire, mangée danémie, finit par
mourir phtisique [422]. (Luvre.)
Margaillan (Régine).
Fille de lentrepreneur. Si chétive à dix-huit
ans quelle a encore la pauvreté grêle de la première
enfance [157]. Toujours triste, dune santé chancelante,
elle épouse Dubuche, un mari bien portant, et lui donne deux
enfants, Gaston et Alice, des ftus à peine viables. Cest
à ces avortons, produits dune dégénérescence
dernière, quiront les millions du père Margaillan.
Régine souffre de la phtisie maternelle, elle tousse depuis son
mariage et fait des cures au Mont-Doré, pendant que ses enfants,
trop débiles pour supporter un air si vif, sont soignés
à la Richaudière. La famille ne saccroîtra
plus : Régine a failli mourir à ses secondes couches,
elle sévanouit au moindre contact trop vif; Dubuche considère
comme un devoir de cesser tous rapports conjugaux avec elle [423]. (Luvre.)
Maria.
Figurante des Variétés. Est traitée de chameau
par Bordenave [146]. (Nana.)
Marjolin.
Orphelin, a été trouvé sous les légumes
au marché des Innocents, vers lâge de trois ans,
blond, gras, très heureux de vivre, mais si peu précoce
quil bredouillait à peine quelques mots. Devient lenfant
des Halles, accroché aux jupes de lune et de lautre.
Une belle fille rousse, qui vend des plantes officinales, la baptisé
Marjolin. Lorsque la mère Chantemesse adopte Cadine, Marjolin
se fait accepter aussi et les deux enfants grandissent ensemble. Il
a deux ans de plus que la fillette, mais reste enfant très tard,
nayant pas plus didée quun chou, ne sachant
même pas faire une commission. Lindustrieuse Cadine ne peut
rien tirer du petit bonhomme, qui nest bon quà crier:
« Mouron pour les ptits oiseaux». Il porte un grand
gilet rouge qui lui descend jusquaux genoux, le gilet du défunt
père Chantemesse, ancien cocher de fiacre [202].
Cadine et Marjolin sépanouissent
dans les Halles, grandissent et saiment librement comme de jeunes
bêtes livrées à linstinct. Après avoir
tenté tous les menus métiers des Halles, Marjolin est
recueilli par Gavard [75]. Cest maintenant un grand garçon
dune épaisseur et dune douceur flamandes, fort comme
un cheval, dintelligence nulle, vivant par les sens. Il voue à
Lisa Quenu une adoration silencieuse, arrive à la désirer
follement et tente un jour de la violenter. Rudement repoussé,
il tombe sur la tête et cette fracture du crâne fait de
lui une brute complète. On loccupe désormais à
gaver et à tuer les pigeons dans le sous-sol du pavillon de la
volaille, il est toujours chéri de sa fidèle Cadine qui
le mange de petites caresses. (Le Ventre de Paris.)
Marsoullier.
Tenancier de lhôtel Boncur, où Gervaise
Macquart et Lantier sont descendus [3]. (LAssommoir.)
Martin.
Ancien matelot opéré autrefois par le chirurgien de marine
Cazenove et resté ensuite à son service. Un vieil homme
à jambe de bois [8]. (La Joie de vivre.)
Martine.
Vieille servante de Pascal Rougon, devenue la vraie maîtresse
de la maison, depuis près de trente ans quelle est au service
du docteur. A soixante ans passés, elle garde un air jeune, elle
est active et silencieuse, dans son éternelle robe noire et sa
coiffe blanche qui la font ressembler à une religieuse, avec
sa petite figure blême et reposée, où semblent sêtre
éteints ses yeux couleur de cendre [6] Cest elle qui a
élevé Clotilde Rougon, dont la tendre affection pour le
docteur excitera plus tard sa jalousie. Brûlée dune
flamme dévote, Martine, qui adore son maître, voudrait
le forcer à faire sa paix avec Dieu, mais Clotilde, dabord
sa complice, a échappé aux influences religieuses pour
se donner entièrement à Pascal, et Martine, béante
devant ce quelle voit, na plus que la ressource de prier,
pour tenter darracher le maître à lenfer. Son
avarice est sordide; pourtant, lorsque Clotilde a quitté la maison
et que Martine reste seule en présence du docteur Pascal ruiné,
la vieille servante trouve, dans son amour de chien docile, lhéroïsme
extraordinaire de sortir son propre argent, heureuse de nourrir le savant
sans quil se doute que sa vie vient delle [310]. Naimant
que lui pour le bonheur de laimer, dêtre avec lui
et de le servir [330], Martine est affolée par sa mort soudaine
et, pour le sauver de la damnation, pour lui gagner le paradis, elle
aide madame Félicité à anéantir luvre
diabolique. Puis, comme rien ne la retient plus à la maison,
comme elle ne veut servir personne après monsieur, pas même
lenfant que lon attend et qui vient de lui, elle va vivre
à Sainte-Marthe, dans un trou perdu, reprise de sa fureur davarice
[371]. (Le Docteur Pascal.)
Martineau.
Frère de madame Mélanie Correur. Notaire à Coulonges,
dans les Deux-Sèvres, où les Martineau sont notaires de
père en fils, depuis sept générations [58]. Cest
un grand vieillard de soixante-trois ans, à la figure froide,
à lair grave, aux yeux énergiques. Sa sur
Mélanie, qui sétait enfuie jadis avec un garçon
boucher et quil na pas consenti à revoir, imagine,
pour hériter plus vite, de le dénoncer au ministre Rougon
comme républicain dangereux [307]. On larrête en
vertu de la loi, de Sûreté générale, Gilquin
est chargé de lopération et laccomplit avec
une telle brutalité que Martineau, déjà frappé
dune attaque de paralysie, agonise en route, est refusé
par le directeur de la prison et va mourir le soir même dans un
hôtel de Niort, en face des fenêtres de la préfecture,
où la bande Rougon donne une soirée magnifique [337].
(Son Excellence Eugène Rougon.)
Martineau (Madame).
Femme du notaire de Coulonges. Petite et grasse, face calme.
Elle reçoit avec une parfaite dignité les gendarmes chargés
darrêter son mari. Cest une femme forte qui ne compte
pas sur ses larmes [330]. Elle suit le cortège qui emporte le
paralytique et, quand on se décide à le lui rendre, elle
le fait transporter à lhôtel de Paris, où
elle défend les dernières minutes du moribond contre laffreuse
madame Correur [336]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Marsy (de).
Président du Corps législatif. A vingt-huit ans, il était
colonel ; plus tard, on le trouve à la tête dune
grande usine ; puis, il sest occupé successivement dagriculture,
de finance, de commerce ; enfin, il a fait des portraits et écrit
des romans [84]. Un mystère plane sur sa naissance; on assure
quil est né sur les marches dun trône. De gros
potins circulent sur lui : avant lempire, il était entretenu
par sa maîtresse, une baronne dont il a mangé les diamants
en trois mois ; pas une affaire véreuse ne se traite sans lui
sur la place de Paris. Sa tête pâle est fine et méchante,
il a une haute mine daventurier élégant [44]. Comme
homme politique, il a de la poigne, une main de fer, hardie, résolue,
très déliée pourtant [84], une fine main gantée
qui étrangle et que lempereur fait alterner avec le poing
de Rougon, un poing velu qui assomme [433]. Marié avec une princesse
valaque, il renoue six mois après avec madame de Llorentz, une
ancienne maîtresse qui possède une arme contre lui. Son
antagoniste Rougon parvient à le remplacer au ministère
de lintérieur [263] et il devient alors président
de la Chambre, apportant le sang-froid le plus parfait à la direction
des débats, tenant tête aux Cinq avec une autorité
mordante [452]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Marty.
Professeur de cinquième an lycée Bonaparte. Profil pauvre,
redingote étriquée et propre, visage blêmi par le
professorat [93]. Il gagne six mille francs par an et doit doubler ses
appointements en courant le cachet, pour suffire au budget sans cesse
croissant du ménage [74]. Devant les achats désordonnés
de sa femme, il a langoisse résignée dun pauvre
homme, qui assiste à la débâcle de son argent, si
chèrement gagné. Chaque nouveau bout de ruban est pour
lui un désastre, damères journées denseignement
englouties, des courses au cachet dévorées, leffort
continu de sa vie aboutissant à une gêne secrète,
à lenfer dun ménage nécessiteux [99].
A la suite de violentes scènes dintérieur, il est
frappé du délire des grandeurs et enfermé dans
une maison de fous [477]. (Au Bonheur des Dames.)
Marty (Madame).
Femme du professeur. Maigre, laide, ravagée de petite
vérole, mise avec une élégance compliquée,
elle est sans âge ; ses trente-cinq ans en valent quarante ou
trente, selon la fièvre qui lanime [74]. Fille dun
petit employé, elle ruine son mari par des achats désordonnés
dans les grands magasins. On la connaît pour sa rage de dépense,
sans force devant la tentation, dune honnêteté stricte,
incapable de céder à un amant, mais tout de suite lâche
et la chair vaincue, devant le moindre bout de chiffon [74]. Elle prend
tout au Bonheur des Dames, sans choix, au hasard des étalages.
La névrose des grands bazars la complètement détraquée
[322]. Quand son mari devient fou, elle continue sa course à
travers les comptoirs, mangeant un vieux bonhomme doncle qui,
après son veuvage, sest retiré chez elle [477].
(au Bonheur des Dames.)
Marty (Valentine).
Fille de Marty. Une grande demoiselle de quatorze ans, maigre
et hardie, une des coquetteries les plus chères de sa mère,
qui lhabille comme elle, de toutes les nouveautés de la
mode [74]. Valentine jette déjà sur les marchandises des
regards coupables de femme [124]. (Au Bonheur des Dames.)
Mascart (Le Père).
aveugle paralytique. Habite rue Basse, à Beaumont. Angélique
Marie lui fait manger elle-même lassiettée de soupe
quelle lui apporte [119]. (Le Rêve.)
Massacre.
Lun des chiens du berger Soûlas. Partage lexécration
de son maître pour la Cognette [100]. (La Terre.)
Massias.
Remisier. Fils dun magistrat de Lyon, frappé dindignité.
Est devenu employé à la Bourse, nayant pas voulu
continuer ses études de droit, après la disparition de
son père. Cest un gros garçon rougeaud, aux jambes
courtes, aux yeux bleus dune limpidité enfantine. Longtemps
malchanceux, avec son air inquiet de bon chien battu [94], il a pris
une importance énorme depuis quil est au service de la
Banque Universelle, il réalise des gains superbes et ne dit plus,
comme autrefois, quil faut être juif pour réussir.
Mais sil a violé la chance, sur les talons de Saccard,
il sort de son rêve les reins cassés. Au jour de la catastrophe,
il doit soixante-dix mille francs et, alors quil pourrait, comme
tant dautres, invoquer lexception de jeu, il fait celte
bêtise sublime et inutile de payer, il emprunte à des amis,
sengageant pour la vie entière, sans que personne lui en
sache gré, car on hausse même un peu les épaules
derrière lui [394]. (LArgent.)
Massicot.
Bourgeois de Plassans, enrôlé et armé par Pierre
Rougon pour délivrer la mairie occupée par les républicains
[272]; est pris démotion et tire en lair, dans la
mairie, sans savoir [289]. (La Fortune des Rougon.)
Masson (Colonel).
Adirigé avec le préfet des Bouches-du-Rhône,
en 1851, la terrible répression des troubles qui suivirent le
coup dÉtat. Au retour, il sarrête à
Plassans, ayant soin de faire passer hors de la ville ses soldats, las
et muets, encore saignants de la tuerie de Saint-Roure [360]. (La Fortune
des Rougon.)
Mathias.
Vieux bossu travaillant à la ferme de la Borderie. Il a possédé
la Cognette lorsquelle avait quatorze ans [288]. (La Terre.)
Mathieu.
Une des bêtes préférées de Désirée
Mouret. Un cochon quelle engraisse amoureusement et quelle
a baptisé du nom de Mathieu, parce quil ressemble au gros
homme qui apporte les lettres [294]. (La Faute de labbé
Mouret.)
Mathieu.
Gros chien de montagne, croisé de terre-neuve, appartenant aux
Chanteau [8]. Robe blanche aux longs poils frisés, une seule
tache noire à lil gauche [18]. Cette bête affectueuse,
au regard presque humain, remplit la maison, se faufilant partout, partageant
les joies et les peines de tous. Dès le premier jour, il a deviné
en Pauline une amie des bêtes et des gens. Mathieu a quatorze
ans à la mort de sa maîtresse, madame Chanteau. Encore
très vif, il passe des nuits à chasser les souris [229].
Vieillesse pénible ; son arrière-train se paralyse, des
hémorragies continuelles lépuisent peu à
peu. Il meurt doucement dans les bras de son maître Lazare [286].
(La Joie de vivre.)
Mathilde.
Actrice des Variétés. Un petit torchon dingénue
[172]. (Nana.)
Matignon.
Drapier me Croix-des-Petits-Champs, concurrent de Baudu. Il lui enlève
un excellent courtier [265]. (Au Bonheur des Dames.)
Mauduit (Abbé).
Vicaire à Saint-Roch. Visage gras et fin, caractère
affable dhomme du monde. Labbé confesse ces dames
et ces demoiselles de la bourgeoisie, les connaît toutes dans
leur chair et, pénétré de son impuissance à
les moraliser, finit par ne plus veiller quaux apparences, en
maître des cérémonies jetant sur cette société
gâtée le manteau de la religion [122]. Il fréquente
chez ses pénitentes, offrant les conseils de son expérience
pour mettre fin aux scandales des familles, se heurtant parfois à
des impossibilités, subissant des avanies, sanctionnant quand
il le faut certains désordres et se consolant dune aussi
lamentable besogne par lédification à Saint-Roch
dun magnifique calvaire, où il va réaliser de beaux
effets de théâtre. (Pot-Bouille.)
Maugendre.
Beau-père de Jordan. Avait à la Villette une manufacture
de bâches où il a gagné quinze mille francs de rente.
Gros homme calme et chauve, à favoris blancs. Sest retiré
avec sa femme en un petit hôtel, avec un beau jardin, rue Legendre.
Les deux époux vivent trop grassement, sennuyant à
ne plus rien faire. Cest à contre-cur quils
ont vu leur fille Marcelle épouser Jordan, jeune écrivain
dont le père est mort ruiné. Ils se méfient dun
poète, croient avoir beaucoup fait en consentant au mariage et
nont rien donné, sous le prétexte que Marcelle,
après eux, aura leur fortune intacte, engraissée déconomies
[19].
Dans sa vie désuvrée,
lancien fabricant, qui tonnait autrefois contre les agioteurs,
sest intéressé à la cote de la Bourse, lue
chaque soir dans le journal. Une somme importante lui rentre un jour,
il a lidée de lemployer en reports, un simple placement,
pas encore de la spéculation ; puis la fièvre commence
à le brûler, devant la danse des millions, dans cet air
empoisonné du jeu. Un gain de six mille francs achève
de le détraquer, il se met à opérer, dabord
au comptant, puis à ternie, petitement pour commencer, senhardissant
chaque fois davantage, malgré les premières résistances
de sa femme et le blâme formel de son beau-frère Chave
[202]. Le coup de Sadowa lui a fait perdre cinquante mille francs [215].
Il croit réparer le mal en achetant cinquante actions de lUniverselle
au cours de douze cents francs; il les voit progressivement monter et
en achète encore; on dépasse le cours de trois mille francs;
une première baisse laisse intacte la foi de Maugendre dans le
génie de Saccard ; pour se rattraper, il joue à découvert,
achetant toujours, et à lheure définitive de leffondrement,
cest un désastre irréparable, dénormes
différences à payer, plus de deux cent mille francs, qui
achèveront demporter la fortune gagnée si rudement
par trente années de travail [386]. (LArgent.)
Maugendre (Madame).
originaire de Marseille, sur du capitaine Chave. Sèche,
active, elle a travaillé comme son mari et gagné sa part
de la fortune. Elle voit avec inquiétude Maugendre se lancer
dans les spéculations de Bourse, car elle a toujours professé
contre le jeu une haine de bonne ménagère. Mais, si des
angoisses lagitent, elle a les yeux enflammés au moindre
gain [203]. Un jour, elle devient plus enfiévrée, plus
âpre que son mari, cest elle qui le gourmande de sa timidité;
acharnée aux grands coups de hasard, elle sexalte sur les
renseignements de la Cote financière, une vieille feuille honnête
qui inspire confiance à tous les rentiers, mais qui a été
achetée par Saccard [301]. Et madame Maugendre, si prudente autrefois,
si économe, la terreur de ses bonnes, toujours sur leurs talons,
à éplucher leurs comptes, ne parle plus que par centaines
de mille francs [386]. Après la ruine, elle et son mari sont
secourus par le gendre quils avaient méprisé, et
qui les installe à Clichy, dans un rez-de-chaussée, avec
jardin pas cher [388]. (LArgent.)
Maugendre (Marcelle).
Amie denfance de Paul Jordan et fiancée à
lui au temps où il était riche, elle sest entêtée
à vouloir quand même lépouser lorsquil
est devenu pauvre [18]. Marcelle est une petite personne grasse et brune,
elle a un clair visage aux yeux rieurs, à la bouche saine, et
qui exprime le bonheur, même aux heures difficiles [191]. Elle
a une bravoure souriante, lair décidé, très
pratique dans son désir de rendre heureux son cher mari, son
poète, qui travaille tant. Le rêve de sa vie est de le
rendre riche un jour, dêtre, comme en un conte de fées,
la bonne magicienne qui met des trésors aux pieds du prince ruiné,
pour laider à conquérir le monde. En attendant,
cest la grande gêne ; les quatre meubles dacajou dont
Marcelle est fière, dans ses deux étroites pièces,
si ensoleillées, de lavenue de Clichy, sont menacés
par lusurier Busch [299], et ce nest pas Jordan qui sauvera
la situation, car ces questions dargent le paralysent. Alors,
pleine de vaillance, la jeune femme va essuyer les rebuffades de ses
parents, ces Maugendre qui, autrefois, auraient tout dépensé
pour lui faire des cadeaux et, aujourdhui, ne se soucient plus
de rien, hors des opérations de Bourse. Energique et adroite,
elle lutte bravement avec les huissiers, elle sait se tirer daffaire,
elle ose, devant son mari, intéresser le grand patron Saccard
aux malheurs du jeune ménage, et tout est sauvé [310].
Mais le conte de fées ne se réalisera pas. Le trésor
des Maugendre a été englouti dans le gouffre de lUniverselle
et il semble à Marcelle quelle ne sera plus, avec sa famille,
quun obstacle pour son Paul. Elle lui a apporté sa jeunesse,
sa tendresse, sa belle humeur, pas une princesse au monde ne pourrait
donner davantage, un enfant viendra bientôt, et, gentiment, elle
croit que son mari ne lui doit rien [388]. (LArgent.)
Mauriac (Baron De).
Starter aux courses deLongchamp [409]. (Nana.)
Maurin.
Maître chapelier à Plassans, bonhomme très aimé
des ouvriers. Il est le candidat des républicains aux élections
législatives [310] et, grâce aux manuvres de labbé
Faujas, nobtient que les quinze cents voix irréconciliables
du faubourg [324]. (La Conquête de Plassans.)
Maurin.
Notaire des Tulettes et maire de la commune. Veuf depuis une dizaine
dannées, il vit en compagnie de sa fille, également
veuve et sans enfants. Cest lui qui dresse lacte do décès
dAntoine Macquart, mort de combustion spontanée [235].
(Le Docteur Pascal.)
Mazaud.
Un des plus jeunes agents de change, comblé par le sort, ayant
eu la chance de la mort de son oncle, qui la rendu titulaire dune
des plus fortes charges de Paris à trente-deux ans, à
un âge où lon apprend encore les affaires. De petite
taille, il est de ligure agréable, avec de minces moustaches
brunes, des yeux noirs perçants. Il a fait un mariage damour
qui lui apportait plus dun million [86], deux enfants sont venus,
et, après quatre ans de mariage, on ne lui prête quune
courte curiosité pour une chanteuse de lOpéra-Comique.
Il vit dans une bonne odeur de chance, de félicité sans
nuage, Mazaud montre une grande activité, lintelligence
très alerte elle aussi, beaucoup de flair, une intuition remarquable.
Il a une voix aiguë qui, autour de la corbeille, fait contraste
avec la voix mugissante de son collègue Jacoby; à lopposé
de celui-ci, il a la réputation de ne pas encore trop jouer pour
son compte. La Banque Universelle va lui être funeste.Très
engagé avec Saccard, quil reporte pour des sommes considérables,
il a cru à lappui décisif du syndicat Daigremont,
il sest laissé conquérir au point daccepter
encore, le matin même de la débâcle, dos ordres dachat
sans couverture pour plusieurs millions [360]. Et il est ruiné
par la catastrophe; il se suicide chez lui dun coup de revolver
et son sang tombe goutte à goutte, dans le luxe et le parfum
des rosés, éclaboussant sa femme et ses petits [401].
(LArgent.)
Mazaud. (Madame).
Épousée par amour, elle a apporté à
son mari une dot de douze cent mille francs. Cest une jeune femme
charmante, qui devient mère de deux enfants, une fillette et
un garçon. Comme eux, elle est blonde, dune blancheur de
lait, elle a lair aussi délicat et ingénu que ces
petits êtres [87]. Devant Mazaud étendu, la tête
fracassée, elle forme avec eux un groupe lamentable, hurlant
de douleur [400]. (LArgent.)
Mazel.
Un maître de lÉcole, un peintre fameux, le dernier
représentant de la convention élégante et beurrée.
Fagerolles raconte quun jour, comme il dessinait daprès
la petite Flore Beauchamp, Mazel sest approché et lui a
dit: « Les deux cuisses ne sont pas daplomb » ; et
comme il répondait : « Voyez, monsieur, elle les a comme
ça », Mazel sest écrié, furieux: «
Si elle les a comme ça, elle a tort. » La première
année où le jury du Salon est élu par les artistes,
cest Mazel quon nomme président. Il a de fâcheuses
distractions, faisant refuser étourdiment un hors concours, ou
se laissant aller à dire: « Quel est donc le cochon...?
» au moment même où il va reconnaître la signature
dun ami, rempart comme lui de la saine doctrine [372]. (Luvre.)
Méchain.
Propriétaire dune écurie de courses. Hasard,
un de ses chevaux, court dans le Grand Prix de Paris [388]. (Nana.)
Méchain (Madame).
Petite-cousine de Rosalie Chavaille, dont elle a recueilli le
fils, Victor Saccard. Une femme énorme, bien connue des habitués
de la Bourse. Son visage de pleine lune, bouffi et rouge, aux minces
yeux bleus, au petit nez perdu, à la petite bouche doù
sort une voix flûtée denfant, semble déborder
dun vieux chapeau mauve, noué de travers par des brides
grenat. La gorge géante et le ventre hydropique crèvent
la robe de popeline verte, mangée de boue, tournée au
jaune. Se dit veuve, mais personne na connu son mari. Elle vient
on ne sait doù et paraît avoir eu toujours cinquante
ans.
La Méchain est une de ces enragées
et misérables joueuses, dont les mains grasses tripotent dans
toutes sortes de louches besognes. Elle ne quitte jamais un antique
sac de cuir, immense, aussi profond quune valise, où vont
tomber les titres déclassés, les actions des sociétés
mises en faillite, marchandise scélérate quon cède
avec bénéfice aux banqueroutiers désireux de gonfler
leur actif. Dans les batailles meurtrières de la finance, cest
le corbeau qui suit les armées en marche [16]. Elle possède,
derrière la butte Montmartre, toute une cité, la cité
de Naples, un vaste terrain planté de huttes branlantes, dont
elle touche les loyers avec âpreté, jetant les familles
à la rue dès quon ne lui donne pas à lavance
ses deux francs, faisant elle-même sa police, si redoutée
que les mendiants sans asile noseraient dormir pour rien contre
un de ses murs [159]. Affiliée à Busch, elle organise
avec lui un chantage contre Aristide Saccard et parvient à soutirer
deux mille francs de madame Caroline, navrée devant la déchéance
du petit Victor [163]. Mal rassasiée par ce maigre résultat,
la Méchain aura plus tard la satisfaction dengloutir dans
son sac les actions de la Banque Universelle [436]. (LArgent.)
Mégot (Justine)
(l). Jeune femme de chambre de Renée Saccard. Séduite
par Maxime et devenue enceinte, elle accouche en 1857 dun fils,
Charles Rougon, obtient une petite rente de douze cents francs et est
renvoyée dans son pays avec lenfant [119]. (La Curée.)
A lépoque de la séduction,
cétait une fillette blonde de dix-sept ans, docile et douée.
Originaire des environs de Plassans et installée dans cette ville,
elle a épousé, trois ans plus tard, un bourrelier du faubourg,
Anselme Thomas. Devenue dune conduite exemplaire, engraissée,
guérie dune toux qui avait fait craindre une hérédité
fâcheuse, due à toute une ascendance alcoolique, Justine
a deux nouveaux enfants qui grandissent admirablement, tandis que le
fils de Maxime Saccard, le petit Charles, est atteint de dégénérescence
[62]. (Le Docteur Pascal.)
(l) Justine Mégot, tenante chlorotique,
fille dalcooliques, maîtresse de Maxime Rougon, dit Saccard.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Méhudin (La Mère).
Vieille poissonnière aux Halles. Tassée, avachie,
énorme de vie sédentaire, la taille débordante,
elle a conservé la robe à ramages, le fichu jaune, la
marmotte des harengères classiques. Pratique dune voix
enrouée lengueulade du catéchisme poissard. Doit
avoir amassé une belle fortune, révélée
seulement par les bijoux en or massif dont elle se charge dans les grands
jours. Originaire de Rouen, arrivée à Paris avec des anguilles
dans un panier, elle na plus quitté la poissonnerie et
a épousé un employé de loctroi, qui est mort
en lui laissant deux enfants, Louise et Claire [136]. Elle a cédé
plus tard son banc à laînée. Habite rue Pirouette
en compagnie de ses filles. La mère Méhudin hait le maigre
Florent et voudrait le jeter à la porte [164]. Elle pousse Louise
vers Lebigre et, comme la résistance de sa fille la rendue
furibonde, elle dénonce Florent par une lettre à la préfecture,
quatre pages presque indéchiffrables, dun style ordurier
[319]. (Le Ventre de Paris.)
Méhudin (Claire).
Marchande à la poissonnerie deau douce. Seconde
fille de la mère Méhudin, sur de la belle Normande.
Blonde paresseuse. Est à vingt-deux ans un Murillo, suivant le
mot de Claude Lantier, un Murillo décoiffé souvent, avec
de gros souliers, des robes taillées à coups de hache
qui lhabillent comme une planche [21]. Pas coquette, pleine de
mépris pour les élégances de sa sur, Claire
est une créature fantasque, très douce et en continuelle
querelle, dune droiture absolue un jour, dune injustice
révoltante le lendemain. A déclaré quelle
ne serait jamais la bonne de sa sur, habite avec elle rue Pirouette,
mais vexée de voir que Louise sest attribué la plus
belle chambre, refuse la pièce voisine et adopte, de lautre
côté du palier, un galetas quelle ne fait même
pas blanchir à la chaux. A légard de Florent, son
caprice est aussitôt de contrecarrer sa sur. Quand Louise
ameutait le pavillon contre lui, elle était seule à le
défendre [142]. Mais, dès que la belle Normande change
de tactique, Claire se fâche avec Florent, senfermant dans
un mutisme jaloux, parlant daller le dénoncer et de se
jeter ensuite à leau ; elle sexalte au point de faire
brûler des cierges à léglise [253] et, quand
Florent va être arrêté, elle veut le sauver et se
bat avec sa sur quelle accuse de lavoir vendu; affolée,
échevelée, elle arrive trop tard, derrière le fiacre
qui emporte le conspirateur au dépôt [336]. Après
cette crise, Claire revient plus molle, plus paresseuse que jamais,
à ses poissons deau douée. (Le Ventre de Paris.)
Méhudin (Louise).
Surnommée la belle Normande. Poissonnière superbe,
dune beauté hardie, très blanche et délicate
de peau, dil effronté et de poitrine vivante [88].
Fille aînée de la mère Méhudin, deviendra
plus tard madame Lebigre. Les Méhudin habitent rue Pirouette,
dans lancienne maison des Quenu, an second. Elles sont une puissance
à la poissonnerie, où elles dirigent les cabales et font
trembler le personnel. La belle Normande a dû se marier avec un
employé de la Halle au blé, mais celui-ci sest cassé
les reins dans une chute. Sept mois plus tard, elle a accouché
dun garçon, le gros Muche, et, dans lentourage, on
la considère comme veuve [138].
Très coquette, toujours parée,
étalant des nuds de rubans, une chaîne dor
qui sonne sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la
mode, elle est une des reines des Halles et, ancienne voisine de la
belle Lisa Quenu, reste son amie intime, avec une pointe de rivalité.
Elles ont affecté de saimer beaucoup, jusquau jour
où une banale querelle en a fait deux ennemies acharnées.
Cest alors un gros conflit dont les Halles vont être spectatrices,
une formidable guerre entre grasses marchandes, où le maigre
Florent recevra tous les coups. Louise Méhudin la dabord
persécuté dans ses nouvelles fonctions dinspecteur
de la marée, puis, gagnée par laffection de Florent
pour le petit Muche quil cherche à instruire [151], elle
sapplique à le détacher de Lisa dont elle le croit
lamant. Elle manuvre pour le séduire, refuse à
son profit les avances de Lebigre, se compromet à tous les yeux,
et soutient de terribles altercations avec sa sur et sa mère.
Mais Florent, plein de son idée fixe, reste insensible; et lorsque
la découverte du complot provoque une perquisition chez la belle
Normande, celle-ci, humiliée dans son orgueil, tourne sa rage
contre le grand innocent qui na satisfait ni ses vanités
ni ses rancunes; elle livre aux policiers les cahiers de Muche contenant
des modèles décriture subversifs [334], se réconcilie
publiquement avec la charcutière et achève de se relever
aux yeux du quartier en épousent Lebigre, dont elle tiendra superbement
le comptoir [357]. (Le Ventre de Paris.)
Meinhold (Madame de).
Mondaine du second Empire, belle femme à double menton,
faisant payer son luxe par ses amants et allant beaucoup chez madame
de Lauwerens [239]. Amie des Saccard. (La Curée.)
Mélanie.
Cuisinière des Grégoire. Vieille femme maigre,
qui les sert depuis trente ans [80]. Folle de peur devant un carreau
cassé à la Piolaine par les grévistes, elle transforme
lunique pierre lancée par Jeanlin Maheu en une canonnade
en règle, dont les murs restent fendus [[410].] (Germinal.)
Mélanie.
La bonne du juge dinstruction Denizet. Ce dernier voudrait
de lavancement pour quelle soit mieux nourrie et moins acariâtre
[150]. (La Bête humaine.)
Mélie.
Nièce des Faucheur. Une fille du village de Bennecourt,
qui est entrée au service de Claude Lantier et de Christine.
Sa stupidité les enchante. Après la mort des Faucheur,
lauberge, tombée à ses mains, devient répugnante
de saleté et de grossièreté [4.28]. (Luvre.)
Menu (Mademoiselle).
Tante de Fanny. Originaire de Villeneuve, près de Lille.
A été pendant trente ans brodeuse chez Mardienne frères.
Ayant hérité dune maison au pays, elle a eu la chance
de la louer en viager, mille francs par an, à des gens qui croyaient
lenterrer le lendemain. A soixante-quinze ans, elle habite avec
sa nièce, rue Saint-Marc, au troisième étage, et
reste en une inaction dancienne ouvrière qui a juré
de ne plus toucher une aiguille [163]. Mademoiselle Menu a vécu
dans un célibat et une chasteté qui ne lui ont rien coûté
; elle a des dents de jeune fille, un visage blanc et reposé
de sur tourière. Pour assurer lavenir de Fanny, elle
lui a cherché un vieil entreteneur et elle vit entre sa nièce
et Narcisse Bachelard, dans une heureuse bonhomie. (Pot-Bouille.)
Menu (Fanny), dite FIFI.
Fille du capitaine Menu, mort sans lui laisser un sou. Elle est
tombée sur les bras de sa tante, qui la retirée
de la pension, en a fait une brodeuse et lui a trouvé un bienfaiteur
dans la personne du vieux Bachelard. Cest une grande jeune fille
blonde, jolie, à lair simple. Bachelard lappelle
Fifi, la baise au front et lui donne des pièces de quatre sous
quelle doit conserver comme des .médailles. Mais linnocente
Fifi sest laissé surprendre au lit avec Gueulin, tout en
gardant, à travers tout, ses yeux ingénus, son odeur de
chasteté, la naïveté dune petite fille incapable
encore de distinguer un monsieur dune dame [387] ; loncle
Bachelard marie les deux amants en leur donnant les cinquante mille
francs de dot quil a obstinément refusés à
sa nièce Berthe. (Pot-Bouille.)
Merle.
Protégé de madame Correur. Homme superbe qui .a servi
dans la cavalerie. Rougon, président du Conseil dÉtat,
la accepté comme huissier [29]. Renvoyé pour inconduite
après la chute du grand homme [260], il suit la fortune de son
protecteur et redevient huissier lorsque Rougon redevient ministre [265].
(Son Excellence Eugène Rougon.)
Mes-Bottes.
Camarade de Coupeau, toujours chez le marchand de vin ou à lassommoir,
célèbre pour son formidable appétit. On la
invité comme boute-en-train au mariage de Coupeau et de Gervaise,
il fait la profonde admiration de toute la noce, dévorant comme
un ogre et buvant comme un trou [105]. Mes-Bottes se range en épousant
une femme galante de la rue des Martyrs, très décatie,
mais à son aise, et il vit en souteneur bourgeois, les mains
dans ses poches, bien vêtu, bien nourri [523]. (LAssommoir.)
Meyer.
Patron de la boulangerie viennoise du faubourg Poissonnière.
Les Coupeau prennent le pain chez lui pour faire plaisir à Lantier
[316]. (LAssommoir.)
Michelin.
Chef du bureau de la voirie à la préfecture de la Seine,
sons le second Empire [29]. La tête la plus nulle et lapins vide
quon puisse imaginer [95]. Il a toute une jolie collection de
sourires qui le dispensent presque toujours de se servir de la parole
[33]. Magistralement poussé par sa femme, il a su faire le jeu
dAristide Saccard dans ses opérations immobilières
[94] et, mari plein de complaisance, il se laisse pousser aux honneurs,
à la décoration [277] et à la fortune, toujours
nul et toujours souriant. (La Curée.)
Michelin (Madame).
Femme du chef de bureau, jolie brune toute potelée [29].
De murs aimables, elle a su agir pour lavancement de son
mari, visitant ses chefs et obtenant chaque fois un avantage pour Michelin,
dont elle a consolidé la fortune en le poussant vers Aristide
Saccard [95]. Elle va tranquillement dans la vie, utilisant Sidonie
Rougon pour trouver des amants généreux, se faisant donner
dix mille francs par M. de Maffré [192], une propriété
à Louveciennes par le vieux baron Gouraud [284], un coupé
par M. Hupel de La Noue et espérant obtenir bientôt une
voiture découverte [344]. (La Curée.)
Miette.
Marie Chantegreil, dite Miette, née en 1838, fille du braconnier
Chantegreil, nièce dEulalie Rébufat, la femme du
méger du Jas Meffren. A perdu sa mère dès le berceau
et vit entre son père et son grand-père à Chavanoz,
village des bords de la Seille. Quand elle a neuf ans, son père
est envoyé au bagne pour avoir tué un gendarme, son grand-père
meurt de chagrin, elle est recueillie parles Rébufat, rudoyée
par le mari, soutenue en cachette par la femme, persécutée
par le fils, son cousin Justin, honnie de tout le faubourg qui accable
doutrages cette innocente, dont le père est forçat.
Elle a onze ans quand sa tante meurt et cest alors pour Miette
une vie de pénible travail, de durs affronts qui laigriraient
à jamais et la rendraient mauvaise si, dans son idylle avec Silvère
Mouret, elle ne retrouvait les tendresses de sa nature aimante [212].
A treize ans, elle est nubile, la femme sépanouit rapidement
en elle ; avec un front très bas, des yeux à fleur de
tête, un liez court et des lèvres trop rouges, qui examinés
à part seraient autant de laideurs, son visage, couronné
de superbes cheveux noirs, est dune étrange et ravissante
beauté [16]. Depuis deux ans, Miette et Silvère saiment
en enfants innocents, se retrouvant chaque soir au fond de laire
Saint-Mittre, goûtant des bonheurs innocents et profonds. Cet
amour sauve Miette de ses désespoirs, elle adore ce doux et pensif
Silvère qui la libère de son existence de paria et qui,
plein didées hautes, chasse en elle les mauvais instincts,
la rend meilleure. Aussi, lorsquau coup dEtat, Silvère
senrôle parmi les insurgea, veut-elle le suivre et partager
ses périls. Lenthousiasme communicatif de Silvère,
le pressentiment dune mort prochaine, les suprêmes injures
du haineux Justin, jettent Miette dans une exaltation qui la fait défiler
à la tête de la troupe insurrectionnelle, échevelée,
mante au vent, brandissant le drapeau rouge. Cest pendant un repos
de cette longue marche qui les mène à la mort que Miette
et Silvère échangent leur premier baiser damour,
encore plein dignorance [206]. Miette meurt quatre jours après,
tuée dans la fusillade de Saint-Roure [263]. (La Fortune des
Rougon.)
Miette.
Une belle fille du village des Artaud, mariée par labbé
Caffin [288]. (La Faute de labbé Mouret.)
Mignon.
Gros entrepreneur, associé de Charrier [126]. (La Curée.)
Mignon.
Mari de lactrice des Variétés. Gaillard très
grand, très large, avec une tête carrée dhercule
de foire. Il porte un gros diamant au doigt [7]. Quand Rose la
épousé, Mignon était chef dorchestre dans
le café-concert où elle chantait. Aujourdhui, ils
restent bons amis. Cest réglé entre eux : elle travaille
le plus quelle peut de tout son talent et de toute sa beauté,
lui a lâché son violon pour mieux veiller sur ses succès
dartiste et de femme. On ne trouverait pas un ménage plus
bourgeois, plus uni. Quand Mignon parle de ses enfants, il sourit complaisamment,
il a les yeux humides de tendresse paternelle; il adore les petits;
une seule préoccupation le tient, grossir leur fortune en administrant
avec une rigidité dintendant fidèle largent
que gagne Rose au théâtre ou ailleurs [109].
Mignon est toujours linséparable
de lamant de Rose; au besoin, il laide à la tromper;
puis, la fantaisie passée, il le ramène, repentant et
fidèle. Complaisant aux banquiers comme Steiner, il a vu dun
mauvais il Rose perdre son temps avec le journaliste Fauchery
qui napporte au ménage quune publicité discutable.
Il a imaginé de se venger de Fauchery en le comblant de marques
damitié et en le bourrant de coups, comme emporté
par un excès de tendresse. Dailleurs, tout sarrange
entre eux par laccoutumance. Le principe de Mignon est quil
ne faut se fâcher avec personne [146]. Expérimenté
et supérieur, il nentre pas dans les querelles de femmes
; les ressentiments de Rose ne lempêchent pas dadmirer
Nana. Il éprouve, devant lénormité du travail
de cette fille, devant lentassement de ses richesses, cette sensation
de respect éprouvée par lui un soir de fête, dans
le château quun raffineur sétait fait construire,
un palais dont une matière unique, le sucre, avait payé
la splendeur royale. Elle, cest avec autre chose, une petite bêtise
dont on rit, un peu de sa nudité délicate, cest
avec ce rien honteux et si puissant, dont la force soulève le
monde, que toute seule, sans ouvriers, sans machines inventées
par des ingénieurs, elle a su ébranler Paris et bâtir
une fortune où dorment des cadavres. Et dans son ravissement,
avec un retour de gratitude personnelle, il laisse échapper ce
mot : « Ah! nom de Dieu! quel outil! » [500]. (Nana.)
Mignon (Charles).
Fils cadet des Mignon [214]. (Nana.)
Mignon (Henri).
Fils aîné des Mignon; À neuf ans, cest
un gaillard. On lélève avec son frère dans
un pensionnat [214]. (Nana)
Mignon (Rose).
Étoile des Variétés, fine comédienne
et adorable chanteuse [6]. Maigre et noire, elle est dune laideur
charmante de gamin parisien [15]. Largent quelle gagne au
théâtre et à la ville est sévèrement
administré par son mari, esprit pondéré qui sait
calmer, au besoin, ses ressentiments de femme et dactrice. Un
peu aigrie par la rivalité de Nana, une actrice de trottoir qui
lui enlève ses rôles et ses amants, elle a, en un jour
de colère, dénoncé au comte Muffat les amours de
la comtesse avec Fauchery [439]. Mais au fond, Rose nest pas méchante;
cest elle qui, prise de pitié devant Nana atteinte de la
petite vérole, prend linitiative de la faire transporter
au Grand Hôtel; elle ly soigne avec dévouement [507].
(Nana).
Mignot.
Commis du rayon de ganterie, au Bonheur des Dames. Un des rares Parisiens
de la maison, le joli Mignot, comme on lappelle. Bâtard
dune maîtresse de harpe [54]. Il affecte de coqueter avec
les clientes et vit sur la légende dune femme de commissaire
de police, tombée amoureuse de lui [120]. Cest un ami dAlbert
Lhomme ; il avantage les maîtresses que celui-ci lui adresse,
des filles en cheveux qui fouillent pendant des heures dans les cartons
[166]. Quant à lui, il joue aux courses, toujours serré
dargent, empruntant aux camarades [335]. Mignot finit par se faire
chasser pour une série de vols de marchandises, accomplis avec
le concours dAlbert Lhomme [416]. Plus tard, devenu courtier,
il reparaît effrontément au magasin [496]. (Au Bonheur
des Dames.)
Mimi-la-Mort.
Un élève du collège de Plassans, quon
nomme aussi le Squelette-Externe. Cest un maigre garçon
qui apporte en contrebande le tabac à priser de toute la classe.
On fait un jour la bonne blague de brûler ses souliers dans le
poêle [37]. (Luvre.)
Minouche.
Petite chatte blanche, appartenant aux Chanteau [8]. Dune propreté
minutieuse, froidement égoïste, elle traverse les événements
avec le continuel souci de ne pas se salir. Cest la parfaite indifférence,
opposée aux débordantes démonstrations du chien
Mathieu. Quatre fois par an, elle tire des bordées terribles,
disparaissant des deux et trois jours. Elle rentre abominable, si sale
quelle se lèche pendant une semaine; puis elle reprend
son air dégoûté de princesse. Ses portées
sont jetées à leau sans quelle sen inquiète,
pensant que la maternité finit là [68]. A seize ans, elle
perd un peu la vue [431]. (La Joie de vivre.)
Misard.
Stationnaire de la Compagnie de lOuest, à la Croix-de-Maufras,
entre Malaunay et Barentin. Un petit homme malingre, les cheveux et
la barbe rares, décolorés, la figure creusée et
pauvre. Sa femme, une cousine de Jacques Lantier qui lappelle
tante Phasie, garde la barrière du passage à niveau. Misard
est un ancien poseur de la voie, il gagne maintenant douze cents francs
à une besogne toujours la même pendant douze heures : sonner
de la trompe à chaque tintement électrique annonçant
un train, puis le train passé, la voie fermée, pousser
un bouton pour le signaler au poste suivant et un autre bouton pour
rendre la voie libre au poste précédent ; il vit là,
mange là, sans lire trois lignes dun journal, sans paraître
même avoir une pensée, sous son crâne oblique.
Silencieux, effacé, sans colère,
dune politesse obséquieuse devant les chefs, cet humble,
ce chétif, qui tousse dune petite toux mauvaise, empoisonne
lentement sa femme, mêlant dabord une poudre au sel quelle
absorbe, puis lorsquelle sen est aperçue, jetant
de la mort-aux-rats dans ses lavements. Ce crime patient et sournois,
commis dans la continuelle trépidation des trains, en un désert
où nul ne sarrête, a pour cause la convoitise dune
somme de mille francs qui a été léguée à
tante Phasie par son père et quelle a refusé de
remettre à Misard. Durant des mois et des mois, celui-ci ne songe
quà largent, fouillant partout, supposant en vain
mille cachettes.
Pour semparer du trésor, il a
fini par tuer sa femme, une grande et belle femme, une gaillarde, peu
à peu mangée par lui comme le chêne est mangé
par linsecte. Elle est maintenant sur le dos, réduite à
rien, et lui dure encore [309]. Mais tante Phasie triomphe quand même,
Misard reste battu, retournant la maison, creusant le jardin, cherchant
éperdument le jour et la nuit, sous laffolement de lidée
fixe, et ne trouvant décidément rien. Une vieille femme
du voisinage, la Ducloux, quil a prise pour tenir la barrière,
exploite sa manie, elle se fait épouser [408] et, désormais,
tous deux cherchent avec la même fièvre, tous deux chercheront
éternellement, sans que lassassinée consente à
livrer son secret. (La Bête humaine.)
Misard (Madame).
Voir PHASIE (Tante).
Morange (Charlot).
Fils de Silvine Morange et de Goliath Steinberg. Rose et blond,
très fort, il a une tignasse pâle frisée et de gros
yeux bleus, il ressemble extraordinairement à son père,
il est bien de race germanique, dans sa belle santé denfance,
souriante et fraîche. Cest le Prussien, comme les farceurs
de Remilly le nomment [168]. Il a trois ans au moment de loccupation
allemande. Ou lui a appris une injure : « Cochons, les Prussiens
! » quil répète avec obstination [518]. Caché
derrière Silvine, sans quelle sen doute, lenfant
assiste à la mort de son père, égorgé comme
un porc par les francs-tireurs des bois de Dieulet. A présent,
on ne dira plus que Charlot est un Prussien, il sera élevé
dans lexécration de sa famille paternelle et ira peut-être
un jour exterminer les siens [540]. (La Débâcle.)
Morange (Silvine).
Servante de ferme à Remilly. Elle a perdu toute jeune
sa mère, ouvrière séduite, qui travaillait dans
une usine de Raucourt. Son parrain doccasion, le docteur Dalichamp,
la placée comme petite servante chez le père Fouchard.
A seize ans, elle a été aimée du fils du maître
et devant lopposition du vieux, le jeune homme sest engagé.
Alors, dans une minute dinconscience, malade de chagrin, affaiblie
encore par les larmes de la séparation, la malheureuse fille
sest donnée à un valet de ferme, Goliath Steinberg,
elle est devenue enceinte, puis lhomme a disparu, le petit Charlot
est né. Mais elle na jamais cessé daimer Honoré
Fouchard, elle ose le lui écrire trois ans après, à
lheure de la guerre ; elle ne veut pas quil meure sans savoir
quelle na jamais aimé que lui ; cest un adieu
plein dune infinie tendresse.
Très brune, Silvine a dépais
cheveux noirs et de grands beaux yeux qui suffisent à sa beauté,
dans son visage ovale, dune tranquillité forte de soumission
[165]. Elle est toute saignante de linvasion ; à Raucourt,
elle a vu les Bavarois ivres de fureur ; près de Villers, elle
a rencontré une femme de Beaumont, qui fuyait devant eux et qui,
sur la grande route du village, a assisté au terrible passage
de lartillerie ennemie, menée dun train denfer,
se hâtant dans la diabolique poursuite des troupes françaises
[170]. Silvine adore son enfant, elle étreint sur son cur
le fils du Steinberg qui, à cette heure même, guide les
colonnes prussiennes à travers les bois. Une félicité
survient : Honoré a pardonné sa faute, il est de non-veau
à elle, lui quelle avait perdu; maintenant, elle mourra
plutôt que de se le laisser reprendre [173]. Et quand, le lendemain
de Sedan, elle apprend quil a été tué, cest
un écroulement, un besoin fou de le revoir.
Avec Prosper Sambac, elle va chercher Je corps
au calvaire dIlly; elle traverse la Meuse où des cadavres
passent au fil de leau ; elle parcourt Bazeilles effondré
[416] ; devant Montivilliers, elle rencontre des tombereaux débordants
de morts [118] ; elle voit à lErmitage les petits soldats
français, tués la veille et rangés par les Prussiens
dans des poses ridicules, en dérision de la vieille gaieté
française [419] ; elle traverse le bois de la Garenne, la forêt
bombardée, où tarit dhommes sont tombés fraternellement
avec les arbres [421] ; et elle aboutit enfin au vrai champ de bataille,
au plateau dEly, plein dhorreur, où dimmondes
rôdeurs détroussent les morts, où des chevaux errants,
libres et affamés, les naseaux couverts décume,
se livrent à des charges furieuses, au travers de la campagne
vide et muette [424]. Elle retrouve le cher mort, cet homme si
bon qui lui a pardonné et qui, entre ses doigts crispés,
tient encore la lettre où elle lui disait son amour [430]. Elle
ramène le corps à Remilly, en passant par Sedan, la ville
devenue immonde, le cloaque où, depuis trois jours, sentassent
les déjections et les excréments de cent mille hommes
[432].
Et Silvine, très belle dans sa pâleur,
avec les grands yeux superbes qui éclairent tout son visage,
pleure le seul homme quelle ait aimé; ses lourds cheveux
noirs la coiffent comme dun casque de deuil éternel [526].
Aussi repousse-t-elle farouchement les avances de Goliath, revenu avec
les armées allemandes; les menaces du Prussien laffolent,
elle le livre aux francs-tireurs [531], et, la face rigide, absente
delle-même, en proie à lidée fixe qui
la pousse, elle assiste à laffreuse mort de lespion
[537]. Après cette scène tragique, elle redevient la fille
courageuse et soumise de jadis, dirigeant la ferme en labsence
du maître, pendant que Charlot saute et rit autour delle
[542]. (La Débâcle.)
Morizot.
Amateur courant les salons, où il fait des tours de physique.
Il est amené par Malignon au bal denfants des Deberle [130].
(Une Page dAmour.)
Moser.
Un habitué de la Bourse. Taille courte, le teint jaune, ravagé
par une maladie de foie. Se lamente sans cesse, en proie à de
continuelles craintes de cataclysme, quil exprime de sa voix aigre
et très aiguë [7]. Même quand les liquidations sont
bonnes, il empoche ses gains dun air navré [91]. (LArgent.)
Mouche (Le Père).
De son vrai nom Michel Fouan. Cest le troisième
enfant de Joseph-Casimir. Frère de la Grande, du père
Fouan et de Laure Badeuil. Père de Lise et de Françoise
Mouche. Possédant sept arpents de terre, il sest embarrassé
dune amoureuse qui ne devait avoir en héritage que deux
arpents de vigne. Dans le partage des biens paternels, on a attribué
à Michel lantique maison patriarcale, bâtie par un
ancêtre, il y a trois siècles, et que la famille honore
dune sorte de culte. Veuf jeune, le père Mouche vit dans
une aigreur de malchanceux, encore humilié de son mariage pauvre,
accusant son frère et la Grande, après quarante ans, de
lavoir volé lors du tirage des lots; et, à la vérité,
il est devenu si raisonneur et si mou au travail que sa part, entre
ses mains, a perdu de moitié [33]. A soixante ans, gros, court,
il meurt dune attaque dapoplexie, pendant une tempête
de grêle dévastatrice qui affole les paysans et les jette
en pleine nuit dans leurs champs, avec des lanternes, pour constater
le désastre [109]. (La Terre.)
Mouche (Françoise)
(1). Fille cadette de Michel Fouan, dit Mouche. Orpheline à
quinze ans. Elle a une petite gorge dure quise foime, une face allongée
aux yeux noirs très profonds, aux lèvres épaisses,
dune chair fraîche et rose de fruit mûrissant. La
peau est très brune, hâlée et dorée du soleil
[5]. Le grand air et les durs travaux nont pas eu le temps de
lenlaidir. Françoise a le renom dune fameuse tête,
linjustice lexaspère; quand elle a dit : ça
cest à moi, ça cest à toi, elle nen
démordrait pas sous le couteau. Raisonnable, très sage,
sans vilaines pensées, seulement tourmentée par nu sang
hâtif, elle a été élevée par Lise,
leur mère étant morte, et cest une adoration entre
les deux surs, on les rencontre toujours ensemble.
Lorsque Buteau a abandonné Lise, dont
il était lamant, Françoise a éprouvé
une grande antipathie pour lui, elle a été soulevée
par une de ses révoltes dhonnêteté, comme
si elle avait à venger un dommage personnel [118]. Puis, lorsque
Buteau a réparé sa faute par un mariage, il a semblé
à Françoise quon lui prenait sa sur ; puisque
celle-ci est maintenant à un autre, elle la lui laisse. Au fond,
elle désire Buteau sans le savoir; sa colère nest
que de la jalousie inconsciente ; mais uniquement préoccupée
du tien et du mien, elle mourrait plutôt que de partager. Le désaccord
sest accentué entre les deux surs. Bateau, qui les
a désunies, rêve de les posséder toutes deux, dêtre
lamant de sa belle-sur pour garder tout le -bien. Et cest
une longue lutte entre lui et Françoise, celle-ci résistant
à ses attaques brutales, faisant tête avec une sorte de
rage, allant jusquà se réfugier dans un mariage
avec Jean Macquart, qui la possédée par surprise
et quelle naime pas, car elle le considère comme
un ami très âgé et bonhomme [117].
Devenu son mari, Jean nest pour elle
quun étranger, elle se sent bouleversée à
chaque rencontre avec Buteau et lorsque enfin, à vingt-trois
ans, enceinte de cinq mois, presque consentante au viol, elle subit
létreinte du mâle si longtemps repoussé, elle
est emportée dans un spasme de bonheur aigu, elle serre Buteau
à létouffer, en poussant un grand cri. La mort vient
alors, dans un meurtre lâchement conçu par Lise, et, gisante,
le flanc troué, assassinée par les siens, Françoise
conserve dans lagonie son profond sentiment de la famille, plus
fort que le besoin de vengeance. Dans son idée puérile
et têtue de la justice, elle ne veut pas laisser la terre, la
maison, à son mari, à lhomme venu dailleurs
et qui na fait que traverser son existence, en passant [453].
Elle meurt silencieuse, ainsi quune bête terrée au
fond de son trou [457]. (La Terre.)
(1) Françoise Mouche mariée
en 1867 à Jean Macquart. (Arbre généalogique des
Rougon-Macquart.)
Mouche (Lise).
Sur aînée de Françoise. Fille de la
Vierge, elle est enceinte des uvres de son cousin Buteau. Grasse
et ronde, la mine gaie, Lise est grande, elle a lair agréable,
malgré ses gros traits et la bouffissure commençante de
toute sa personne. Plus âgée de dix ans que Françoise,
elle apporte à la besogne un tel cur, tapant, criant, riant,
quelle réjouit la vue. Le petit Jules a près de
trois ans, lorsque Buteau, longtemps réfractaire au mariage,
est séduit par une opération de terrains qui avantage
les surs Mouche; il se décide à épouser Lise.
De nouveau enceinte, celle-ci accouche le
jour de la Saint-Fiacre, en même temps que la Coliche [248], et
la femme oublie ses propres douleurs pour sintéresser au
travail de la vache. Depuis quun homme est là, avec ses
volontés et ses appétits de mâle, une haine lente,
inconsciente, sest levée entre Lise. et Françoise.
Plus laînée a grossi, plus elle sest tassée
dans sa graisse, satisfaite de vivre, dune gaieté dégoïsme
rapace, ramenant à elle la joie dalentour [301]. Comme
Bateau devient brutal et quil casse tout lorsquil est repoussé
par Françoise, Lise voudrait voir sa sur céder ;
son unique désir est dêtre heureuse, même au
prix dun partage. Puis, rageant de voir son mari séchauffer
inutilement auprès de la jeune fille, elle prend en exécration
ce joli corps qui se refuse, elle voudrait que Bateau abîme tout
ça [359], et cest dans ce sentiment quelle aide plus
tard au viol, espérant aussi que Buteau pourra, par de convenu,
détruire lenfant que la femme de Jean porte en elle. Mais
dans le cur quil y mettait, Buteau a tout oublié.
Et une jalousie éclate tout à coup en lâme
de Lise, une jalousie qui porte moins sur lacte que sur tout ce
quil a fallu partager, dès la naissance, avec cette sur
maudite. Elle hait Françoise dêtre plus jeune, plus
fraîche, plus désirée, et, dans un paroxysme de
colère, elle la culbute de toute la force de ses poignets sur
une pointe de faux [447]. Le crime reste impuni, grâce au silence
volontaire de la victime. Lise aide ensuite à lassassinat
du père Fouan. (La Terre.)
Moulin.
Sous-chef de gare au Havre, collègue de Roubaud [72]. (La Bête
humaine.)
Moulin (Madame).
Femme du sous-chef de gare. Petite personne timide et frêle,
quon ne voit jamais et qui a un enfant tous les vingt mois [85].
(La Bête humaine.)
Moumou.
Une des bêtes préférées de Désirée
Mouret cest un gros chat noir qui lèche avec douceur le
menton de -sa maîtresse [304]. (La Faute de labbé
Mouret.)
Mounier.
Ténor de lOpéra. Donne la réplique
à une cantatrice mondaine, madame Daigremont [3091. (LArgent.)
Mouque.
Père de Mouquet et de Mouquette. Court, chauve, ravagé,
mais resté gros quand même, ce qui est rare chez un ancien
mineur de cinquante ans; a été gardé au Voreux
comme palefrenier. La Compagnie la logé dans les ruines
de Réquillard, pleines de trous perdus où les galants
culbutent les filles; le père Mouque achève ainsi de vieillir,
au milieu des amour, [139]. Il chique à un tel point que ses
gencives saignent dans, sa bouche noire [62]. Chaque soir, il reçoit
la visite de son vieux camarade Bonnemort [141]. (Germinal.)
Mouquet.
Moulineur au Voreux. Petit et gros comme son père, le vieux Mouque,
il a le nez effronté dun gaillard qui mange tout, sans
nul souci du lendemain [68]. Cest linséparable ami
de Zacharie Maheu. Venu en curieux, pendant la grève, à
la fosse gardée militairement et assaillie par les grévistes,
il est tué par une balle qui lui entre dans la bouche [488].
(Germinal.)
Mouquette.
Une hercheuse de dix-huit ans, bonne fille dont la gorge et le derrière
énormes crèvent la veste et la culotte. Elle habite avec
son père et son frère, dans les ruines de Réquillart.
An milieu des blés en été, contre un mur en hiver,
elle se donne du plaisir avec son amoureux de la semaine; toute la mine
y passe, une vraie tournée de camarades, sans autre conséquence.
On ne la fâche quen lui attribuant des amours extérieures;
elle se respecte trop pour aller avec un autre quun charbonnier
[29]. Le lundi, lorsquelle est lasse des farces du dimanche, elle
se donne un violent coup de poing sur le nez, quitte sa taille sous
prétexte daller chercher de leau, et vient se réfugier
à lécurie, dans la litière chaude [62].
Pour la Mouquette, la suprême expression
du dédain consiste à montrer son derrière; pendant
la marche des grévistes au travers des fosses, elle le présente,
énorme et nu, aux bourgeois de Montsou et quand lémeute
gronde autour du Voreux, quand les soldats chargent leurs fusils, elle
leur crache dabord tous ses gros mots, puis, nayant plus
que cette nouvelle offense à bombarder au nez de la troupe, elle
lui montre son cul [483]. Peu sentimentale de nature, la Mouquette sest
éprise pourtant dÉtienne Lantier [2861; cest
une très courte liaison quÉtienne rompt bientôt,
car il est hanté par son amour pour Catherine Maheu. Celle-ci
est sauvée le jour de lémeute par la Mouquette qui,
dun mouvement instinctif, sest jetée devant elle
en lui criant de prendre garde. La bonne fille reçoit deux balles
dans le ventre, elle sétale sur les reins et, mourante,
elle hoquète sans cesser de sourire à Catherine et à
mienne, comme si elle était heureuse de les voir ensemble, maintenant
quelle sen va [488]. (Germinal.)
Mouret (1).
Était ouvrier chapelier dans un faubourg de Plassans lorsquil
sest épris dUrsule Macquart, frêle et blanche
comme une demoiselle du quartier Saint-Marc. Il lépouse
en 4810, faisant un mariage damour, ne demandant pas un sou de
dot et il emmène sa femme à Marseille où il va
travailler de son état [60]. Lorsque, cinq ans après,
Antoine Macquart vient lui demander son concours contre Pierre Rougon
qui sest approprié le patrimoine maternel, Mouret conserve
son attitude désintéressée et se refuse à
tout démêlé avec la famille. Il sest établi
rue des Petites-Maries, a trois enfants, Hélène, François
et Silvère, perd en 1840 sa femme quil adorait et, terrassé
par le coup, se traîne encore un an, ne soccupant plus de
ses affaires, perdant largent quil avait amassé.
Un matin, on le trouve pendu dans un cabinet où étaient
encore accrochées les robes dUrsule [160]. (La Fortune
des Rougon.)
(1) Mouret, ouvrier chapelier, bien portant
et pondéré, marié à Ursule Macquart. (Arbre
généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Madame Ursule).
Voir MACQUART (Ursule).
Mouret (Désirée)
(1). Troisième enfant de François Mouret
et de Marthe Rougon. Sur dOctave. et de Serge. Née
en 1814 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)
A quatorze ans, forte pour son âge,
elle a un rire de petite fille de cinq ans. Cest une innocente
[16] qui naime que les bêtes et ne se porte bien que chez
sa nourrice, où elle vit dans la basse-cour [95]. Marthe qui,
avant son détraquement religieux, aimait tendrement cette petite,
la néglige de plus en plus [185] et finit par la prendre en grippe
[235], au point quun matin, Mouret ramène lenfant
à Saint-Eutrope, chez si nourrice. (La Conquête de Plassans.)
Orpheline en 1864, Désirée est
recueillie par son frère Serge qui, après le séminaire,
est devenu curé des Artaud. A vingt-deux ans, linnocente
est une forte fille, aux cheveux noirs noués puissamment derrière
la nuque, à lair enfant, aux pensées puériles,
que la Teuse couche tous les soirs en lui racontant des histoires pour
lendormir. Passant ses journées parmi les bêtes dont
elle est la fraternelle amie, son grand coq fauve Alexandre qui commande
la basse-cour, sa chèvre, ses lapins, son cochon Mathieu, sa
vache Lise, adorant les oiseaux, protégeant même les fourmis
qui ont envahi léglise, elle vit heureuse, le cerveau vide,
sans curiosité dépravée, goûtant dans le
pullulement qui lentoure toutes les joies de la fécondité,
devenant une belle bête fraîche, blanche, au sang rose,
à la peau fine [68]. Loncle Pascal, qui étudie les
Rougon-Macquart et leurs instincts si difficiles à assouvir,
dit que cest Désirée qui a eu le plus de chance
[47]. (La Faute de labbé Mouret.)
Elle a suivi son frère à Saint-Eutrope,
où il est devenu curé, et elle reste innocente et saine
comme une jeune bête heureuse [122]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Désirée Mouret née
en 1841. [Élection de la mère. Ressemblance physique de
la mère. Hérédité dune névrose
se tournant en imbécillité]. Vit encore à Saint-Eutrope,
avec son frère. (Arbre généalogique des Rouqon-Macquart.)
Mouret (François)
(1). Fils aîné dUrsule Macquart, et du chapelier
Mouret. Frère dHélène et de Silvère.
Père dOctave, Serge et Désirée. Né
à Marseille en 1817. Grande ressemblance physique avec sa mère
et avec laïeule Adélaïde Fouque ; tient de son
père un cerveau étroit et juste, aimant dinstinct
la vie réglée. Cest un garçon paisible et
méticuleux, un peu lourd de sang. Il a reçu une bonne
éducation commerciale et, après la mort de son père,
en 1840, a quitté Marseille et est entré, à titre
de commis, citez son oncle Pierre Rougon, à Plassans. Trois mois
après, François épouse sa cousine, Marthe Rougon,
avec qui il a une grande ressemblance physique et une grande dissemblance
morale. De 1840 à 18144, les deux époux ont trois enfants;
quand Pierre Rougon se retire, en. 1845, ils refusent de prendre le
fonds et vont sétablir à Marseille, avec quelques
économies [161]. (La Fortune des Rougon.)
En quinze ans, François a gagné
une fortune dans le commerce des vins, des huiles et des amandes [33].
Il se retire avec sa femme et ses enfants à Plassans, où
il a acheté rue Balande une maison avec grand jardin, attenant
en haut à la sous-préfecture, en bas à la propriété
de M. Rastoil. A quarante-cinq ans, Mouret, sous soit épaisseur
de négociant retiré, a conservé un esprit lin et
frondeur, il tyrannise son entourage par des goûts dordre
minutieux ; ses instincts dhotu nie rangé le portent à
lavarice.
Fort heureux, maître chez lui, concluant
encore des affaires pour le plaisir [28], il savise un jour que
deux chambres du second étage lui sont inutiles et il les loue
à un prêtre, labbé Faujas qu bientôt
va semparer de la maison tout entière, faisant delle,
entre les deux sociétés quelle sépare, le
quartier général de ses manuvres. Dès lors,
Mouret a perdu sa belle tranquillité égoïste. Habilement
circonvenu par Faujas, il le laisse pénétrer dans son
foyer, shabitue aux parties de piquet avec la mère de labbé
[92], voit peu à peu Marthe lui échapper sans avoir lénergie
de la reprendre. Il se console en la criblant de plaisanteries, puis
sirrite contre la prêtraille [119] ; mais au fond, il est
faible comme un enfant et en arrive à tout supporter [128], sattachant
à ne pas laisser deviner sa détresse, cachant soigneusement
ses émotions [146], refusant de livrer les secrets de son ménage
perdu [165].
Tout craque autour de lui, Marthe vit enfoncée
dans son rêve, laîné Octave gâte sa jeunesse
à Marseille [181], Serge sest réfugié au
séminaire, Désirée est presque idiote, la vieille
servante Rose est devenue grondante et hostile, les Faujas et les Trouche
enfin se partagent la maison. Cette lente expropriation écrase
Mouret. Il se concentre dans des silences mornes [225], vit oublié
à sa propre table [242], senferme pendant des heures au
premier étage, où il reste les bras ballants, la tète
blanche et fixe, le regard perdu [255].
Mais cet homme inoffensif tient encore trop
de place, sa seule présence excède Marthe, il gène
les Trouche qui rêvent dêtre les seuls maîtres,
Félicité Rougon voit dans cet opposant aimé des
petits bourgeois et des faubourgs un danger pour les élections
imminentes. Et tous ces appétits qui soufflent détraquent
lesprit affaibli de Mouret, une légende habilement répandue
montre en lui un monomane dangereux ; on lenferme enfin aux Tulettes,
à deux pas de laïeule Adélaïde Fouque,
et bientôt il devient complètement fou [362].
Lâché un soir par le gardien
Alexandre, complice dAntoine Macquart, il court à Plassans,
rentre dans son jardin dévasté, dans sa maison an pillage,
découvre les Trouche vautrés sur son lit et appelle en
vain Marthe et les enfants disparus. Alors, plein (lune fureur
homicide, il décide de tout détruire; avec une effroyable
lucidité, il dresse silencieusement des bûchers et il allume
en pleine nuit un terrible incendie où tout flambe, la maison
sabattant sur le fou, sur les Trouche, sur les Faujas, au milieu
dune poussière détincelles [385]. (La Conquête
de Plassans.)
(1) François Mouret, né en 1817;
épouse, en 1810, sa cousine Marthe Rougon, dont il a trois enfants;
meurt fou, en 1864, dans un incendie allumé par lui. [Élection
du père. Ressemblance physique de la mère. François
et Marthe, les deux époux, se ressemblant]. Marchand de vin en
gros, puis rentier. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Madame François).
Voir ROUGON (Marthe).
Mouret (Hélène)
(1). Deuxième enfant du chapelier Mouret et dUrsule
Macquart. Née à Marseille en 1824, devient orpheline en
1840. Sur de François et de Silvère. (La Fortune
des Rougon.)
Grandjean, son premier mari, plus âgé
quelle de six ans, sest pris dun grand amour pour
cette belle jeune fille qui avait alors dix-sept ans et habitait avec
son père à Marseille. Les Grandjean, riches bourgeois
exaspérés de la pauvreté dHélène,
ont rompu avec le jeune ménage qui végète longtemps
et vivra enfin à Jaise, grâce à dix mille
francs de renie, légués par un oncle du mari. Mais Grandjean,
venu à Paris avec sa femme et son enfant pour sy fixer,
est enlevé par une brusque maladie. Les seuls amis quHélène
ait à Paris, labbé Jouve et Rambaud, linstallent
avec sa fillette Jeanne, dans le quartier de Passy, sur les hauteurs
du Trocadéro, doù elle contemplera Paris, locéan
humain sans bornes et sans fond.
A vingt-huit ans, grande, magnifique, dune
beauté correcte, Hélène est une Junon châtaine,
dun châtain doré à reflets blonds [13]. Elle,
a des yeux gris à transparence bleue, des dents blanches qui
lui éclairent toute la face, un menton rond un peu fort. Saine
et chaste, avec un air grave et bon, cest une nature droite, à
sang calme. Elle vit dans une paix très douce, cousant des layettes
pour les pauvres de labbé, le recevant à dîner
tous les mardis avec le bon Rambaud, nayant dautre sortie
quune promenade quotidienne de deux heures au Bois de Boulogne,
avec sa fille, enfant délicate et nerveuse qui lui a voué
une adoration jalouse.
Hélène a perdu depuis dix-huit
mois son mari qui ladorait, mais pour qui elle neut jamais
quune amitié calme, lorsquune crise maladive de Jeanne
la met en présence du docteur Deberle. Portée dabord
par un élan de reconnaissance vers celui qui a sauvé son
enfant, rapprochée de lui par de communes visites chez une pauvresse,
la mère Fêtu, puis entrée dans lintimité
des Deberle, elle se prend pour le docteur dun profond amour,
le premier amour de sa vie, quelle rêve dabord chaste,
mais qui, bientôt, la jettera dans les bras de Henri, frémissante,
oubliant un instant sa fille, ne soupçonnant pas le terrible
mal qui va emporter lenfant.
La fin tragique de Jeanne, cette mort muette
sans une plainte, ce masque sombre et sans pardon de fille jalouse [382],
ébranle violemment Hélène et déchire dans
sa vie la page damour à peine commencée. Fidèle
aux conseils de labbé Jouve, elle épouse plus tard
le fidèle et paternel Rambaud qui lemmène à
Marseille et quand, revenue deux ans après au cimetière
de Passy, sur la tombe de Jeanne, elle apprend quun autre enfant
est né aux Deberle, cette fin mélancolique la laisse sans
colère, le cur muet, les sens pleins de sérénité.
(Une Page dAmour.)
Elle vit de longues années, très
heureuse, très à lécart, idolâtrée
de Rambaud, dans la petite propriété quils possèdent,
près de Marseille, au bord de la mer [129]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Hélène Mouret, née
en 1824; épouse en 1841, Grandjean, chétif et prédisposé
à la phtisie ; en a une fille en 1843 ; perd son mari dune
bronchite en 1853; se remarie, en 1857, avec M. Rambaud dont elle na
pas denfants. [Innéité. Combinaison où se
confondent les caractères physiques et moraux des parents, sans
que rien deux semble se retrouver dans le nouvel être].
Vit encore à Marseille avec son second mari. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Mouret (Octave)
(1). Fils aîné de François Mouret et de Marthe
Rougon. Frère de Serge et de Désirée. Né
en 1840 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)
A dix-neuf ans, il sest fait refuser
trois fois au baccalauréat. Cest un garçon gai,
bien portant, toujours le nez en lair, souriant sous les reproches
[15]. Comme il flâne dans la ville de Plassans, où ses
parents se sont retirés, on lenvoie à Marseille
pour apprendre le commerce [145]. Il mène là-bas joyeuse
vie, criblé de dettes, cachant des maîtresses dans ses
armoires[184]. (La Conquête de Plassans.)
Après la mort tragique de ses parents,
Serge, qui va entrer dans les ordres, renonce en faveur dOctave
à sa part de la fortune paternelle [251. (La Faute de labbé
Mouret.)
Il est membre du conseil de famille de sa
cousine Pauline Quenu [26] et consent à lémancipation
[l 17]. (La Joie de vivre.)
Octave est venu à Paris, très
décidé à y faire fortune. Il est grand, brun, beau
garçon, il a les moustaches et la barbe soignées, une
belle main aux on-les taillés correctement. Avec ses yeux couleur
de vieil or, dune douceur de velours, et malgré ses larges
épaules, il est femme, il a un sens des femmes qui tout de suite
le met dans leur cur. Cest une possession lente, par des
paroles dorées et des regards adulateurs [14], et, sous son air
dadoration amoureuse, cest aussi un fond de brutalité,
un dédain féroce [24]. Les stériles années
de Marseille lont révélé à lui-même,
le commerce de luxe de la femme le passionne, ses facultés vont
sélargir au contact de Paris, il concevra vite lidée
de grands comptoirs modernes écrasant lancien commerce,
se développant sous des coups daudace. Mais avant tout,
il est bien décidé à parvenir par les femmes. Ses
premières tentatives sont médiocres; plusieurs mois de
patientes manuvres, dans limmeuble Vabre où il habite,
rue de Choiseul, nont fait de lui que lamant de linsignifiante
Marie Pichon; puis il a possédé Berthe Vabre, la femme
de son patron, bourgeoise en qui sa gloriole de provincial voyait une
jolie créature de luxe et de grâce et qui na. été
quune maîtresse vénale, trop chère à
sa bourse de méridional avare. Enfin, la chance le favorise et,
en 1865, il épouse madame Caroline Bédouin, la fille des
fondateurs du Bonheur des Daines, une commerçante avisée
quil a séduite par ses seules facultés marchandes
et grâce à qui il va enfin conquérir Paris [492].
(Pot-Bouille.)
Bientôt veuf, seul héritier de
la belle fortune de sa femme, il continue les agrandissements commencés
par madame Bédouin. Le Bonheur des Dames menace maintenant denvahir
tout le quartier. Mouret sest jeté dans la spéculation
avec un tel faste, un besoin tel du colossal que tout semble devoir
craquer sous lui ; au milieu de leffarement général,
il a développé dangereusement ses magasins, avant de pouvoir
compter sur une augmentation suffisante de clientèle; chaque
mise en vente est un coup de carte, où il met tout largent
de la caisse; il emplit les comptoirs dun entassement de marchandises,
sans garder un sou de réserve; toujours il sagit de vaincre
ou de mourir. Et dans cette lutte qui fait frémir les timorés
comme Bourdoncle, Mouret garde une gaieté triomphante, une certitude
des millions, en homme adoré des femmes et qui ne peut être
trahi [411. Quand il a des accès de brusque franchise, il se
déclare au fond plus juif que tous les juifs ; il tient de son
père, un gaillard qui connaissait le prix des sous et auquel
il ressemble physiquement et moralement; et sa fantaisie nerveuse lui
vient de sa mère, il y voit le plus clair de la chance qui le
pousse, la force invincible de sa grâce à tout oser.
Sa conception du nouveau commerce des nouveautés
est basée sur le renouvellement continu et rapide du capital
[88], sur la puissance décuplée de lentassement
[89], le prestige de la marque en chiffres connus, qui rassure les gens
et étale la concurrence sous les yeux mêmes du publie [90],
lannonce retentissante de ventes à perte, qui fouette lâpreté
de la cliente et double sa jouissance dacheteuse, car elle croit
voler le marchand [97]. Tout le système aboutit à une
féroce exploitation de la femme, séduite et détraquée,
payant dune goutte de sang chacun de ses caprices [92].
Entre ses commis, Mouret a créé
une lutte pour lexistence, dont il bénéficie ; cette
lutte est sa formule favorite, le principe dorganisation quil
applique constamment; avec sa guelte, il lâche les passions, met
les forces en présence, laisse les gros manger les petits, et
sengraisse de cette bataille des intérêts. Il a créé
une dualité entre les chefs de rayon qui, touchant leur tant
pour cent sur le chiffre daffaires, poussent âprement à
la vente, et les intéressés qui, eux, touchent sur le
bénéfice total et empêchent lavilissement
des prix [46].
Plein de la passion de son époque,
il raille Paul de Vallagnosc et, avec lui, les désespérés,
les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades
de nos sciences commençantes, qui prennent des airs pleureurs
de poètes ou des mines pincées de sceptiques, au milieu
de limmense chantier contemporain [80]. Chaque matin, même
après les nuits de fête, Mouret est là, solide,
lil vif, la peau fraîche, tout à la besogne,
comme sil avait passé dix heures dans son lit. Il gouverne
tout, avec le concours de ses intéressés, des commis quil
a, au début, décidés à mettre de largent
dans la maison, qui forment quelque chose comme un conseil des ministres
sous un roi absolu et veillent chacun sur une province. Devant la femme,
il affecte des extases, reste ravi et câlin, emporté continuellement
dans de nouvelles amours, et ses coups de cur sont comme une réclame
à sa vente, on dirait quil enveloppe tout le sexe de la
même caresse, pour mieux létourdir et le garder à
sa merci. Dailleurs, il garde son ancien fond de brutalité;
quand les femmes lauront aidé à faire sa fortune,
il compte bien les jeter toutes par terre, comme des sacs vides [40].
Sans vains scrupules, il a demandé à sa maîtresse,
Henriette Desforges, de le présenter au baron Hartmann, il a
séduit le grand financier et obtenu par lui le concours du Crédit
Immobilier.
Laffaire devient alors formidable; elle
englobe tout le pâté de maisons, lîlot compris
entre les rues de la Michodière, Saint-Augustin, Monsigny et
la foute rue du Dix-Décembre, sur laquelle souvrira pins
tard une façade majestueuse. Le Bonheur des Dames emplit le quartier
de ruines, détruisant tout le petit commerce, dépouillant
les entêtés comme Bourras, tuant les Baudu et les Robineau;
il est une terrible force qui exerce au loin ses ravages, pousse au
vol la comtesse de Boves, accule au cabanon le professeur Marty, dénoue
les liens de famille comme dans le ménage Lhomme et réduit
en poussière les fabriques mai outillées, comme celle
de Gaujean.
Pour mieux trafiquer des désirs de
la femme, pour exploiter plus sûrement sa fièvre, Mouret
la grise dattentions galantes; ce sont maintenant des ascenseurs
capitonnés, des distributions de bouquets de violettes, un buffet
où se plaisent les gourmandes, un salon de lecture qui facilite
les rendez-vous damour; à lénorme publicité
en catalogues, annonces et affiches, il ajoute les primes aux bébés,
des images, des ballons surtout, qui, tenus au bout dun fil, voyageant
en lair, promènent par les rues une réclame vivante
[283]. Enfin, il a imaginé les « rendus », un chef-duvre
de séduction jésuitique, donnant une dernière excuse
à la femme qui résiste, lui laissant la possibilité
de revenir sur une folie, mettant sa conscience en règle et la
livrant désarmée aux tentations [284]. Au jour dune
grande vente, la recette dépasse aujourdhui un million.
Mais en face de Paris dévoré
et de la femme conquise, le triomphateur éprouve une faiblesse
soudaine, une défaillance de sa volonté, qui le renverse
à son tour, sous une force supérieure. Cette défaite
du grand capitaine, cette revanche de la femme va être assurée
par la petite vendeuse Denise Baudu. Mouret la vue arriver au
Bonheur des Dames, il y a sept ans, avec ses gros souliers, sa mince
robe noire, son air sauvage; elle bégayait, tous se moquaient
delle, lui-même lavait trouvée laide dabord.
Longtemps, elle est restée la dernière de la maison, rebutée,
plaisantée, traitée par lui en bête curieuse. Pendant
des mois, il a voulu voir comment une fille poussait, il sest
amusé à cette expérience, sans comprendre quil
y jouait son cur. Elle, peu à peu, grandissait, devenait
redoutable. Peut-être la-t-il aimée depuis la première
minute, même à lépoque où il ne croyait
avoir que de la pitié. Cest en vain quil a voulu
se dégager de cette possession, Denise apportait tout ce quon
trouve de bon chez la femme, le courage, la gaieté, la simplicité;
et de sa douceur montait un charme, dune subtilité pénétrante
de parfum [401]. Elle sest obstinément refusée à
lui, montrant à son scepticisme que la sagesse dune femme
nest pas toujours une chose relative. Il trouve en elle une résurrection
de madame Hédouin, cest le Bon sens, le juste équilibre
de celle quil a perdue, jusquà la voix douce, avare
de paroles inutiles [424].
Et ce vainqueur plie devant elle, tremblant
de la voir refuser sa main et repousser la royale fortune quil
lui offre. Mais Denise ne résiste plus, elle laimait et
il va lépouser. La revanche de la femme aura seulement
apporté dans le mécanisme trop rude de la maison, un peu
de justice et de bonté. Grâce à Denise, les commis
nont plus le sort, précaire dautrefois; aux coupes
sombres, on a substitué un système de congés; il
y a un corps de musique, une salle de jeux, des cour, du soir, des consultations
gratuites. Le Bonheur des Dames se suffit, plaisirs et besoins, au milieu
du grand Paris, occupé de ce tintamarre, de cette cité
de travail qui pousse si largement dans le fumier des vieilles rues,
ouvertes enfin au plein soleil. On va créer une caisse de secours
mutuels, qui mettra les employés àlabri des chômages
forcés, et leur assurera une retraite. Cest lembryon
des vastes sociétés du vingtième siècle.
Et ce progrès, Denise la obtenu en plaidant la cause des
rouages de la machine, non par des raisons sentimentales, mais par des
arguments tirés de lintérêt même des
patrons [428]. (Au Bonheur, des Dames.)
Octave assiste à lenterrement
de son petit-cousin, le peintre Claude Lantier. Très riche, bon
prince dans son élégance, il a voulu prouver son goût
élevé des arts. Il mène le deuil avec une correction
charmante et fière [477]. (Luvre.)
Octave Mouret, dont la fortune colossale grandit
toujours, a, vers la fin de lhiver 1872, un deuxième enfant
de sa femme Denise Baudu, quil adore, bien quil recommence
à se déranger un peu [129]. La petite fille demeure chétive,
inquiétante, tandis que le petit garçon, qui tient de
sa mère, est magnifique [131]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Octave Mouret, né en 1840; épouse,
en 1865, madame Hédouin, quil perd la même année;
se remarie, en 1869, avec Denise Baudu, saine et équilibrée,
dont il a deux enfants, une fille et un garçon, trop jeunes encore
pour être classés. [Élection du père. Ressemblance
physique de son oncle, Eugène Rougon, hérédité
indirecte]. Fondateur et directeur des grands magasins : Au Bonheur
des Dames. Vit encore à Paris. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Mouret (Madame Octave),
née BAUDU. Voir BAUDU (Denise).
Mouret (Madame Octave),
née DELEUZE. Voir DELEUZE (Caroline).
Mouret (Serge)
(l). Deuxième enfant de François Mouret et de Marthe
Rougon. Frère dOctave et de Désirée. Né
en 1841 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)
Il fait ses études au collège
de Plassans et, à dix-sept ans, il est bachelier. Cest
le savant de la famille, un esprit très tendre et très
grave, un tempérament nerveux qui, sous linfluence de labbé
Faujas, sexaltera vite dans le sens de la mysticité. Un
refroidissement contracté à la veille de son départ
pour Paris, où il devait finir ses études, le met aux
portes de la mort, labbé devient son grand ami, et à
peine convalescent, plein dune extase religieuse, il demande à
entrer an séminaire [183]. Cest là quon ira
le chercher pour venir au lit de sa mère mourante [402]. (La
Conquête de Plassans.)
Au séminaire de Plassans, ancien couvent
tout plein dune odeur séculaire de dévotion [l17],
Serge a vécu cinq années heureuses. Indifférent
aux faiblesses de ses camarades, il sest replié sur lui-même,
se donnant à Dieu, lapprochant chaque année de plus
près, emporté dans un rêve damour et de foi.
Devenu curé des Artaud, coin de Provence aride et perdu, il a
laissé toute la fortune paternelle à son frère
Octave et ne tient pins au monde que par sa sur linnocente
Désirée, dont il sest chargé. Il vit dans
un désir danéantissement, dans une ardeur mystique,
dans une adoration éperdue de la Vierge, fermé aux joies
terrestres, sourd aux voix qui montent de cette terre ardente où
grouille une incessante fécondation, mortifiant sa chair, sabîmant
en de profondes extases qui, à vingt-cinq ans, lentraîneront
au délire, terrassé par une fièvre qui le mettra
à deux doigts de la folie et de la mort.
Mené au Paradou par son oncle, le docteur
Pascal, qui la sauvé et qui rêve une cure merveilleuse
en ce Paradis terrestre où le malade, redevenu enfant, doit vivre
une existence nouvelle, Serge se trouve en présence dAlbine,
la délicieuse fille qui est comme lâme vivante et
un peu sauvage de ladmirable forêt vierge. Et cest,
entre le jeune prêtre qui a tout oublié de sa vie passée,
et la pure enfant qui signore, une douée amitié
qui naît, puis un amour candide, puis une adoration grandissante,
cest le lent apprentissage de leur tendresse, une Genèse
nouvelle où la nature splendide et complice leur enseigne le
bonheur. Mais, à lheure même de la possession, quand
Serge et Albine sont encore dans la stupeur de leur félicité,
lirruption de frère Archangias, dans cet Éden nouveau,
replace brusquement labbé Mouret en présence de
son passé [278]. Invinciblement entraîné vers ce
clocher des Artaud où sonne langélus, il quitte
le Paradou sans détourner la tête, rentre en sa cure et
vit de longs jours en une agonie muette, sécrasant le cur,
luttant pour la mort de son sexe, cherchant en vain loubli, nosant
plus adorer 1Immaculée-Conception, dont la grâce
féminine était un piège. Il se réfugie en
une dévotion extraordinaire pour la Croix [323], trouve enfin
la grâce et redevient la .chose de Dieu, au point de résister
victorieusement aux appels poignants dAlbine et de revenir an
Paradou, de revoir ces fleurs, ces arbres, ces rochers, ces sources,
toute celte nature imprégnée de passion, sans un frisson
de sa chair anéantie. Et il achève sa lutte victorieuse
contre la vie, en jetant sur le corps dAlbine morte, la poignée
de terre de lofficiant [423]. (La Faute de labbé
Mouret.)
Envoyé plus lard à Saint-Eutrope,
au fond dune gorge marécageuse, il sest cloîtré
li avec sa sur Désirée, dans une grande humilité,
refusant tout avancement de son évêque, attendant la mort
eu saint homme qui repousse les remèdes, bien quil souffre
dune phtisie commençante [129]. (Le Docteur Pascal.)
(l) Serge Mouret, né en 1841. [Mélange
dissémination. Ressemblance morale et physique de la mère.
Cerveau du porc troublé par linfluence morbide de la mure.
Hérédité dune névrose se tournant
en mysticisme]. Prêtre. Vit encore, curé de Saint-Eutrope.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Silvère) (l). Troisième
enfant dUrsule Macquart et du chapelier Mouret. Frère de
Francois et dHélène. Né à Marseille,
en 1834, orphelin à six ans, il vient à Plassans avec
François. Accueilli de mauvaise grâce par loncle
Pierre Rougon, Silvère grandit dans les larmes, comme un malheureux
abandonné, jusquau jour où sa grandmère
Adélaïde Fouque, ayant pitié de lui, lemmène
en son louis de limpasse Saint-Mittre. Cest alors une heureuse
vie pour lenfant, en qui la vieille femme, pleine de tendresse
contenue, trouve une lointaine ressemblance avec le grand-père
Macquart. Silvère la cajole, il invente pour elle le nom caressant
de tante Dide; dabord effrayé des crises nerveuses qui
la secouent périodiquement, il shabitue à ces fureurs
incompréhensibles, il est pris de pitié devant la douloureuse
aïeule victime de maux inconnus, il la soigne doucement et laime
dune affection silencieuse et attendrie [165].
A douze ans, avant seulement quelques notions
dorthographe et darithmétique, il entre comme apprenti
chez Vian, un charron voisin, et devient en peu de temps un excellent
ouvrier. Plein du désir de sinstruire, il fréquente
lécole de dessin, puis il senfonce dans létude
sans guide, acquérant des bribes de science, sappliquant
à lire tous les volumes dépareillés, science, histoire,
philosophie, qui lui tombent sous la main, se faisant une idée
sainte de tant de grandes choses quil entrevoit. Cette vie sérieuse
lui donne une âme exaltée, où samassent tous
les enthousiasmes [167].
Les idées républicaines le passionnent
; prédisposé à lutopie par certaines influences
héréditaires [226], il veut le bonheur universel, un gouvernement
idéal dentière justice et dentière
liberté. Ces belles aspirations, que loncle Antoine Macquart
essaye vainement dexploiter au profit dune vengeance personnelle
[179], ces rêveries sans fin surexcitent le généreux
enfant dont le docteur Pascal va dire un peu plu, tard : La famille
est complète, elle aura un héros [257]; mais ce nest
pas seulement la déesse Liberté qui exalte Silvère,
il éprouve une tendresse infinie pour Miette, la fille du forçat
Chantegreil, innocente enfant persécutée de tous et dont
il a voulu être lami, la sauvant du désespoir, lui
apportant la rédemption. Leurs pures amours au fond de Faire
Saint-Mittre durent deux belles années pleines de douceurs infinies
et sachèvent dans un ardent baiser [206], que le coup dÉtat
noie dans le sang. Deux jours après la mort de Miette, tuée
à Saint-Roure par les troupes de lordre [263], Silvère
qui avait accidentellement éborgné le gendarme Rengade
[189] est assassiné par celui-ci, dans le coin même e
laire Saint-Mittre où avait fleuri la fraîche idylle
[382]. (La Fortune des Rougon.)
(1) Silvère Mouret, né en 1834;
meurt, en 1851, la tête cassée dun coup de pistolet,
par un gendarme. [Élection de la mère. Innéité
de la ressemblance physique]. (Arbre généalogique des
Rougon-Macquart. )
Mousseau (Abbé).
Prêtre du clergé de Plassans. A prêché
au pèlerinage de Saint-Janvier [236]. (La Conquête de Plassans.)
Mourgue.
Paysan de Poujols, cinquante ans, voûté, mains raidies,
face plate. Parti, armé dune fourche, avec tout son village
qui sinsurgeait contre le coup dÉtat, il a été
arrêté à Saint-Roure ; puis, ramené dans
un complet ahurissement avec les autres prisonniers accouplés
deux à deux, attaché par un bras au jeune Silvère
Mouret, Mourgue est assassiné en même temps que ce dernier
par le gendarme Rengade [383]. (La Fortune des Rougon.)
Mouton.
Chat des Quenu, aimé de la petite Pauline [101]. Sa peau pète
de graisse. Cest un gros chat jaune, avec un double menton, plein
de quiétude dans ce milieu dabondante nourriture. Troublé
par lintrusion du triste Florent, Mouton ne digère plus
en paix ; il participe à lhostilité générale
et ne retrouvera son bel appétit quaprès le départ
de ce maigre inquiétant [349]. (Le Ventre de Paris.)
Muche.
Fils de Louise Méhudin, la belle Normande, qui la mis au
monde sept mois après la mort dun fiancé, employé
à la Halle. A grandi librement au milieu de la poissonnerie,
exprimant ses admirations par un éternel « Cest rien
muche ! » qui lui vaut son surnom. Est, à sept ans, un
petit bonhomme joli comme un ange et grossier comme un roulier. Cheveux
châtains crépus, beaux yeux tendres, bouche pure, il dit
des mots gras à écorcher un gosier de gendarme. Son grand
succès est de faire la maman Méhudin quand elle est en
colère [149]. Attiré par la chaleur du poêle vers
le bureau de linspection, il a intéressé Florent
qui, dans son rêve secret de dévouement, veut linstruire,
retrouvant en lui son jeune frère Quenu au bon temps de la rue
Royer-Collard. Muche, docile et aimant, sattache à Florent
et devient le trait dunion entre sa mère et son professeur
; les leçons continuent rue Pirouette, Muche étudie gravement,
il apprend lécriture sur des cahiers où Florent
a tracé des modèles subversifs, formules lapidaires qui
seront une lourde charge contre lui dans laffaire du complot des
Halles [335]. (Le Ventre de Paris.)
Muffat (Maman).
Femme du général Muffat de Beuville, créé
comte par Napoléon Ier. Une vieille insupportable, toujours dans
les curés; dailleurs, un grand air, un geste dautorité
qui pliait tout devant elle [74]. Tant que la maman Muffat a vécu,
lhôtel de la famille, rue de Miromesnil au coin de la rue
de Penthièvre, a gardé une mélancolie de couvent;
on entrait là dans une dignité froide, dans des murs
anciennes, un âge disparu exhalant une odeur de dévotion
[68]. (Nana.)
Muffat de Beuville (Comte).
Fils du général. Mari de Sabine de Chouard. Père
dEstelle. La maman Muffat lui a donné une éducation
sévère : tous les jours à confesse, pas descapades,
pas de jeunesse daucune sorte [74]. Sa chambre denfant était
toute froide; plus tard, à seize ans, lorsquil embrassait
sa mère, chaque soir, il emportait jusque dans son sommeil la
glace de ce baiser. Un jour, en passant, il a aperçu par une
porte entre-bâillée, une servante qui se débarbouillait,
et cest lunique souvenir qui lait troublé,
de la puberté au mariage. Entré vierge dans la chambre
nuptiale, il a trouvé chez sa femme une stricte obéissance
aux devoirs conjugaux ; lui-même éprouvait une sorte de
répugnance dévote. Il a grandi, il a vieilli, ignorant
de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses,
ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois
[161], avec des crises de foi dune violence sanguine, pareilles
à des accès de fièvre chaude. Grâce au souvenir
de son père, il sest naturellement trouvé en faveur
après le Deux-Décembre. Il est maintenant chambellan de
limpératrice.
Carré et solide, avec sa chevelure
fortement plantée [59], son visage encadré de favoris,
sans moustaches [74], il sent brusquement sa jeunesse qui séveille
devant Nana, devant la soudaine révélation de la femme;
cest une puberté goulue dadolescent, brûlant
tout à coup dans sa froideur de catholique et dans sa dignité
dhomme mûr [179]. La savante tactique de Nana, qui se refuse
obstinément, détermine en lui de terribles ravages, il
mord la nuit son traversin et sanglote, exaspéré, évoquant
toujours la même image sensuelle. Malgré Venot, malgré
tout un passé de vertu rigoriste, il se donne éperdumeut
à cette fille, qui va corrompre sa vie ; en trois mois, il se
sent gâté jusquaux mlles par des ordures quil
navait pas soupçonnées. Tout pourrit en lui. Il
a commencé par souffrir des mensonges de Nana, il sest
senti lâche devant, elle ; pour contenter ses curiosités,
il la renseignée sur la comtesse, lui a même donné
des détails sur sa nuit de noces [211]. Une courte révolte
a paru le sauver, lorsque, surprise par lui aux bras du hideux Fontan,
cette fille la traité de cocu et, furieuse de sentendre
appeler putain, lui a répondu cyniquement : Et ta femme ! Mais
laffront a été vite oublié.
Nana disparue, remplacée un instant
par Rose Mignon, reconquiert lentement Maffit par les souvenirs, par
les lâchetés de la chair. Il a une passion jalouse de cette
femme, un besoin delle seule, de ses cheveux, de son corps. Pour
être de nouveau accepté, il obtient de Bordenave, contre
argent, un rôle de femme honnête quelle convoite dans
la Petite Duchesse, il sabaisse même à solliciter
lauteur, ce Fauchery quil soupçonne dêtre
lamant de la comtesse ; il installe luxueusement Nana dans un
hôtel de lavenue de Villiers ne demandant, en échange
de ses ruineuses folies, quune promesse de fidélité.
Bientôt, dailleurs, il se résignera à nêtre
plus lamant exclusif. Le chien Bijou est le premier petit homme
dont il soit jaloux [355] ; puis, il tolère Satin [360] ; il
surprend Nana aux bras de Georges Hugon [1452] ; ensuite, cest
Foucarmont [ 452], dautres encore ; il en arrive plus tard à
accepter les inconnus, tout un troupeau dhommes galopant au travers
de lalcôve [482].
Il a eu des crises de remords ; cet homme,
qui fait sa prière tous les soirs avant de monter dans le lit
de Nana, a voulu se réfugier dans la religion, ses crises de
foi ont repris une violence de coups de sang, le laissant comme assommé;
dans sa détresse, il a répété continuellement
: « Mon Dieu... mon Dieu... mon Dieu.» Cétait
le cri de son impuissance, le cri de son péché, contre
lequel il est resté sans force, malgré la certitude de
sa damnation [425]. Linfluence de la dangereuse fille demeure
entière ; il accepte pour gendre Daguenet, un ancien amant de
cur de Nana [382]. Eclairé sur ladultère de
sa femme, il a passé une nuit atroce, rèvant de vengeance,
voulant souffleter lamant, plaider en séparation ; mais
dans lélan de sa colère, quelque chose dappauvri
et de honteux est venu lamollir ; sa maîtresse la
convaincu quil devait pardonner et se remettre avec sa femme.
Et il a consenti à cette bassesse, parce quil est à
court dargent et quune signature de Sabine lui est nécessaire
pour trouver des fonds. Sa virilité, enragée par linjure,
sen est allée à la chaleur du lit de Nana [435].
Toute la dignité de Muffat sest
écroulée. Rue de Miromesnil, il donne la main à
lamant de la comtesse [448] ; avenue de Villiers, il met son dernier
amour-propre à rester monsieur pour les domestiques et les familiers
de la maison ; il subit le pouvoir tyrannique de la fille, marche à
quatre pattes, fait le cheval ou le chien ; il apporte son costume de
chambellan, un costume plein dapparat, évoquant la majesté
de la cour impériale, et Nana, dans une rancune inconsciente
de famille, léguée avec le sang, loblige à
cracher dessus, à le piétiner, à écraser
les aigles et les décorations [492]. Puis, cest une dernière
honte. Dans un lit magnifique don t il vient de faire don à cette
femme, un lit dor et dargent où elle pourra étendre
la royauté de ses membres nus, un autel dune richesse byzantine,
digne de la toute-puissance de son sexe, Muffat, le petit Mufe comme
elle lappelle, surprend son beau-père, le vieux marquis
de Chouard, épave comique et lamentable, loque humaine tombée
au gâtisme et qui met un coin de charnier dans la gloire des chairs
éclatantes de la monstrueuse idole [494].
Cest alors un dernier élan vers
Dieu. La vie de Muffat est foudroyée ; les pudeurs révoltées
des Tuileries lont obligé à donner sa démission
de chambellan ; Estelle, sa fille, lui intente un procès, pour
une somme de soixante mille francs, lhéritage dune
tante quelle aurait dû toucher à son mariage ruiné,
il vit étroitement avec les débris de sa grande fortune
après des aventures, la comtesse est rentrée; il la reprend,
dans la résignation du pardon chrétien ; elle laccompagne
partout comme sa honte vivante. Et définitivement reconquis par
Venot, il oublie au fond des églises les voluptés de Nana
; les genoux glacés par les dalles, il retrouve ses jouissances
dautrefois, les spasmes de ses muscles et les ébranlements
délicieux de son intelligence, dans une même satisfaction
des obscurs besoins de son être [497]. (Nana.)
Muffat de Beuville (Comtesse).
Voir CHOUARD (Sabine de).
Muffat de Beuville (Estelle).
Fille du comte. Mariée à Daguenet. A seize ans,
cest une jeune personne mince et insignifiante [69], nulle et
guindée [76]. Une jolie planche, dit-on, à mettre dans
un lit [83]. Après le mariage, chez cette fille plate, une femme
dune volonté de fer apparaît tout à coup;
elle domine complètement son mari [476] (Nana.)
Müller (Blanche).
Actrice en vogue. Joue la Belle Hélène aux Variétés.
Très lancée, elle donne un bal aux princesses de la rampe
et aux reines du demi-monde [154], trompe son attaché dambassade
avec son coiffeur [135] et remplace Laure dAurigny comme maîtresse
du due de Rozan, à qui elle mange un second demi-million [313].
(La Curée.)
Mussy (de).
Jeune diplomate de vingt-six ans qui fait son chemin en conduisant le
cotillon avec des grâces particulières. Cest lêtre
le plus insignifiant du monde [130]. Quatrième amant de Renée
Saccard et lâché par elle, il intéresse en vain
à sa cause Maxime, un ancien ami de collège [39]. Attaché
à lambassade dAngleterre, où le ministre lui
a dit quune tenue sévère est de rigueur, il se guinde,
affecte de vieillir [286], et ne redevient galant que lorsquil
est nommé à lambassade dItalie [343]. (La
Curée.)
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