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Rabier (Les).
Tanneurs à Beaumont, dans la ville basse, au bord du Ligneul.
Le mari boit, la femme a une mauvaise conduite. Angélique Marie,
fille non déclarée de Sidonie Rougon, leur a été
confiée par la sur de Rabier, Thérèse Franchomme.
Injuriée, battue, souffrant le martyre, traitée d'enfant
de la borne, l'enfant s'enfuit peu après et est recueillie par
les Hubert [15]. (Le Rêve.)
Rachel.
Bonne de Berthe Vabre. Grande fille de vingt-cinq ans, au visage dur,
au grand nez, aux cheveux très noirs. Doit être juive,
mais elle le nie et dissimule ses origines. Avec son obéissance
muette, son air de tout comprendre et de ni~ rien dire, ses yeux ouverts
et sa bouche serrée, elle a pris possession du ménage,
en servante de flair attendant l'heure fatale et prévue où
madame n'aura rien à lui refuser [290]. Elle a surpris les amours
de Berthe et d'Octave Mouret, et ne demanderait qu'à les favoriser
; mais comme on n'a pas eu l'adresse de la récompenser, elle
dit tout au mari et provoque le renvoi de la femme, devenant alors maîtresse
du logis, volant et querellant son maître avec la tranquille impudence
d'une épouse [418]. Chassée après la réconciliation
des époux, cette fille silencieuse, dont les autres bonnes de
la maison n'avaient rien pu tirer, se venge de ses maîtres par
un flot de furieuses injures, qui dépassent toutes les bornes.
(Pot-Bouille.)
Rambaud (1).
Frère cadet de l'abbé Jouve. Grand, carré,
large figure de notaire de province, déjà tout gris à
quarante-cinq ans, il garde dans ses gros yeux bleus l'air étonné,
naïf et doux d'un enfant [321. Il a fondé rue de Rambuteau
une spécialité d'huiles et de produits du Midi, il v gagne
beaucoup d'argent. Originaire de Marseille où il a connu les
Grandjean, il aide son frère à tirer d'embarras Hélène
devenue subitement veuve. Fréquente chez celle-ci et se prend
bientôt pour elle d'une affection profonde, presque paternelle,
dont il reporte une Pelle part sur la fillette Jeanne. Partageant la
haute tolérance de l'abbé, il assiste, plein d'une douleur
muette, à la crise passionnelle d'Hélène Grandjean
et s'offre ensuite à l'abandonnée, comme un refuge tendre
etdoux. (Une Page d'Amour. )
Rambaud s'est retiré des affaires et
est allé habiter Marseille avec sa femme. Son mariage a fait
de lui un cousin par alliance de Lisa Quenu. A ce titre, il est nommé
membre du conseil de famille de la petite Pauline [26]. Il consent par
lettre à l'émancipation [117]. (La Joie de vivre.)
Rambaud mène une heureuse existence
avec Hélène, qu'il idolâtre [129]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Rambaud, se marie en 1857, avec Hélène
Mouret, veuve en premières noces de Grandjean. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Rambaud (Madame).
Voir MOURET (Hélène).
Ramond.
Élève et confrère du docteur Pascal. S'est fait
une belle clientèle à Plassans. Refusé par Clotilde
Rougon qui n'a pour lui qu'une très sincère affection
[182], il épouse mademoiselle Lévèque [207]. Lorsque
Pascal est atteint de palpitations, il l'ausculte, découvre de
la sclérose [318] et le soigne avec la déférence
d'un disciple [331]. Bouleversé de pitié et d'admiration,
il voit mourir ce savant resté enthousiaste et passionné
jusqu'à son dernier souffle [342]. (Le Docteur Pascal.)
Raimond (Madame).
Voir Lévêque (Mademoiselle).
Ranvier (Abbé).
A succédé à l'abbé Jouve comme curé
de Montsou. C'est un abbé maigre, aux yeux de braise rouge [296].
Il attaque violemment la bourgeoisie, et rejette sur elle toute la responsabilité
des faits de grève ; c'est la bourgeoisie qui, en dépossédant
l'Église de ses libertés antiques pour en mésuser
elle-même, a fait de ce monde un lieu maudit d'injustice et de
souffrance [421]. Tout Montsou tremble devant ce socialiste chrétien
; ainsi que Dansaert, avec ses gendarmes, recrute des hommes pour la
mine, il raccole, lui, des hommes de bonne volonté pour l'église
; son Dieu seul peut tout sauver; il exploite la grève, cette
misère affreuse, cette rancune exaspérée de la
faim, avec l'ardeur d'un missionnaire qui prêche des sauvages,
pour la gloire de sa religion [440]. Et il a pour les faits un tel dédain,
il vit si haut dans son rêve du triomphe final de l'Église,
qu'il court les cornus Sans aumônes, les mains vides au milieu
de cette armée mourante de besoins, en pauvre diable lui-même
qui regarde la souffrance comme l'aiguillon du salut [442]. Devant les
mineurs tués Par la troupe, il appelle sur les assassins la colère
de Dieu, annonçant, dans une fureur de prophète, l'heure
de la justice, la prochaine extermination de la bourgeoisie par le feu
du ciel [489]. L'évêque finit par déplacer cet abbé
compromettant [501]. (Germinal.)
Rasseneur.
Tient un cabaret entre le coron des Deux cent quarante et la fosse du
Voreux, avec cette enseigne : A l'Avantage. Très bon ouvrier
jadis, parlant bien, il se mettait à la tête de toutes
les grèves et avait fini par être le chef des mécontents.
La Compagnie l'a congédié, il a trouvé de l'argent
et a planté son cabaret en face du Voreux, comme une provocation.
C'est un gros homme de trente-huit ans, rasé, à la figure
ronde, au sourire débonnaire. Sa maison est en pleine prospérité,
il devient un centre, il s'enrichit des colères qu'il a peu à
peu soufflées au cur de ses anciens camarades [73]. Les
théories socialistes lui sont étrangères; il prétend
demander seulement le possible aux patrons, sans exiger, comme tant
d'autres, des choses trop dures à obtenir [75].
Ce qui fait son influence sur les ouvriers
des fosses, c'est la facilité de sa parole, la bonhomie avec
laquelle il peut leur parier pendant des heures, sans jamais se lasser;
il ne risque aucun geste, reste lourd et souriant, les noie, les étourdit,
jusqu'à ce que tous crient : « Oui, oui, c'est bien vrai,
tu as raison ! » Une rivalité éclate entre lui et
un nouveau venu, Étienne Lantier, qui, sans respect pour sa situation
acquise, apporte aux mineurs des idées nouvelles.
La jalousie de Rasseneur s'aggrave bientôt
de la désertion de son débit, où les ouvriers du
Voreux entrent moins boire et l'écouter [4971. Aussi eu arrive-t-il
parfois à défendre la Compagnie, oubliant sa rancune d'ancien
haveur congédié; il se déclare même contre
la grève, uniquement parce qu'elle est préconisée
par Étienne et qu'à son avis, ce dernier augmente sans
doute le gâchis pour y pêcher une position [269]. Cette
attitude rend très vite Rasseneur impopulaire; dans la forêt
de Vandame, on le hue, on crie : « A bas le traître! »
[323]. Mais, après la grève de Montsou, après l'écrasement
qu'il avait prédit, l'inconstance des foules s'exerce en sa faveur;
c'est lui, cette fois, qui sauve Étienne, et il retrouve sa popularité
sans effort, naturellement [501]. (Germinal.)
Rasseneur (Madame).
Tenait déjà un débit, comme beaucoup de
femmes de mineurs, à l'époque où Rasseneur a été
congédié du Voreux; ils se sont alors déplacés
et agrandis [73]. C'est une grande femme maigre et ardente, le nez long
les pommettes violacées. Elle est en politique beaucoup plus
radicale que son mari [75]. Son mot est qu'il faut que ça pète
[158]. Dans ses violences révolutionnaires, elle se montre toujours
d'une grande politesse; quand son locataire Souvarine parle de laver
la terre par le sang, de la purifier par l'incendie, elle dit courtoisement
: « Monsieur a bien raison » [160]. (Germinal.)
Rastoil.
Président du tribunal de Plassans. Soixante ans environ, gros
homme un peu court, chauve sans barbe, la tète ronde comme une
boule. Deux filles montées en graine. Un fils incapable, Séverin,
qu'il rêve de caser dans la magistrature assise. La fine fleur
de la légitimité se réunit chez lui; pour narguer
la sous-préfecture qui est voisine, on a illuminé son
jardin le soir de l'élection du marquis de Lagrifoul [417]. Peu
à peu, J'abbé Faujas usera cette opposition ; il offre
à Rastoil l'illusion d'un terrain neutre, et le président,
habilement circonvenu par madame de Condamin, finit par lâcher
Lagrifoul, devant la perspective d'un mariage pour une de ses filles
et la promesse d'au emploi de substitut pour Séverin [318]. (La
Conquéte de Plassans.)
Rastoil (Madame).
Femme du président du tribunal de Plassans. Quarante-cinq ans
environ. C'est une petite femme grasse, à tète de brebis
bêlante, très prude, pleine de dévotion, qui en
a fait voir de rudes à son mari [44]. Elle a tiré autrefois
l'avocat Delangre de la misère, lui envoyant jusqu'à du
bois l'hiver, pour qu'il ait bien chaud [71]. Sa fille aînée
est venue au monde à l'époque de cette liaison; on est
d'accord pour attribuer à la jeune fille une ressemblance physique
avec Delangre. (La Conquête de Plassans.)
Rastoil. (Angéline).
Fille aînée du président Rastoil. Vingt-six
ans, pas belle, toute jaune, l'air maussade [43]. Elle s'attarde à
des jeux de fillette, déployant des grâces pour trouver
un mari. Des combinaisons politiques lui permettront d'épouser
le fils du député Delangre, Lucien, presque un frère
pour elle, s'il faut en croire la légende [325]. (La Conquête
de Plassans.)
Rastoil (Aaurélie).
Seconde fille du président. Vingt-quatre ans environ.
Un peu moins disgraciée physiquement que sa sur, elle aurait
sans doute été choisie par Lucien Delangre, mais on ne
pouvait décemment marier la cadette avant l'aînée
[325]. (La Conquête de Plassans.)
Rastoil (Séverin).
Fils du président du tribunal de Plassans. Grand jeune
homme de vingt-cinq ans, le crâne mal fait, la cervelle obtuse
[179.]. Reçu avocat grâce à la position occupée
par son père, il est à peine capable de plaider. Il fait
partie du Cercle de la Jeunesse, qu'il a aidé à organiser,
faisant les courses, crevant d'importance [173]. Quand son père
se rallie à l'Empire, on nomme Séverin substitut à
Faverolles [325]. (La Conquête de Plassans.)
Ravaud.
Capitaine au 106e de ligne (colonel de Vineuil). Un jeune soldat de
sa compagnie est le premier blessé amené, le matin du
11, septembre, à l'ambulance Delaherche [268]. En mars 1871,
on retrouve le capitaine Ravaud à Paris, dans un régiment
de formation récente, le 124e de ligne, logé à
la caserne du Prince-Eugène. Jean Macquart est incorporé
dans sa compagnie [584]. (La Débâcle.)
Reading (Lord).
Propriétaire d'une écurie de courses. Un de ses
chevaux, Bramah, a gagné le Grand Prix de Paris [389]. (Nana.)
Rébufat.
Mari d'Eulalie Chantegreil, tante de Miette. Méger du
Jas Meffren, aux portes de Plassans, avare, âpre à la besogne
et au gain, il consent à recueillir Miette restée seule
au monde à l'âge de neuf ans. Il la traite en valet de
ferme, l'accable de besognes grossières se sert d'elle comme
d'une bête de somme, surtout après la mort d'Eulalie qui
protégeait l'enfant contre ses rudesses [209]. Informé
par son fils Justin des sorties nocturnes de Miette, il jure de la chasser
à coups de pied si elle a l'audace de revenir [192]. (La Fortune
des Rougon.)
Rébufat (Madame).
Voir CHANTEGREIL (Eulalie).
Rébufat (Justin).
Fils du méger du Jas Meffren. Garçon d'une vingtaine
d'années, grêle, blafard, les membres trop longs, le visage
de travers; hait violemment sa cousine Miette, rêvant de se venger
sur cette belle et puissante fille de sa propre laideur [192]. Il l'injurie
lâchement, l'affole en lui reprochant. son père, l'espionne
sans cesse, surprend son idylle avec Silvère Mouret et la dénonce
au brutal Rébufat. Cet affreux galopin ne sera satisfait qu'en
voyant Miette éperdue de honte [193] et Silvère assassiné
[383]. (La Fortune des Rougon.)
Remanjou (Mademoiselle).
Voisine des Lorilleux, rue de la Goutte d'Or. Petite vieille
qui habille des poupées à treize sous [71]. Toute fluette
dans l'éternelle robe noire qu'elle semble garder même
pour se coucher [85]. Elle est conviée à la noce des Coupeau
et, sous le pont Royal elle raconte ses souvenirs : en 1817, elle allait
dans un coin de Marne, avec un jeune homme qu'elle pleure encore [99].
(L'Assommoir.)
Renaudin.
Notaire à Paris, rue de Grammont. Jeune homme aimable. C'est
lui qui dresse le contrat de mariage d'Auguste Vabre et de Berthe Josserand
[175]. Il s'entend avec Duveyrier pour réaliser une vente d'immeuble
au détriment des autres membres de la famille [284]. (Pot-Bouille.)
Renaudin.
Médecin à Grenelle. Joséphine Dejoie a été
cuisinière chez lui [134]. (L'Argent.)
Rengade.
Gendarme à Plassans. Quand les insurgés ont envahi la
caserne de la rue Canquoin, Silvère Mouret s'est attaqué
à Rengade et, d'un mouvement brusque, lui a enlevé sa
carabine. Dans cette courte lutte, l'arme a frappé violemment
le gendarme à la face et lui a crevé l'il droit
[189]. Une semaine après, Rengade, l'il bandé, la
face sanguinolente, retrouve Silvère arrêté à
Saint-Roure et ramené à Plassans; il lui casse la tête
d'un coup de pistolet, assassinant avec lui un paysan de Poujols, Mourgue,
à qui le jeune homme était accouplé dans la colonne
de prisonniers [376]. (La Fortune des Rougon.)
Reuthlinguer (de).
Banquier à Paris, une des plus grosses fortunes de l'Europe.
Blême, froid, de murs austères. Il fait antichambre
chez Clorinde [375]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Rhadamante.
Surnom d'un professeur du collège de Plassans, un maître
qui n'a jamais ri [37]. (L'Oeuvre.)
Richomme.
Porion au Voreux, un gros à figure de bon gendarme, barrée
de moustaches grises [25]. Il s'épuise en vain à vouloir
éviter une collision entre les grévistes et la troupe
; pendant que les briques pleuvent sur les soldats, il supplie d'un
côté, il exhorte de l'autre, insoucieux du péril,
si désespéré, que de grosses larmes lui coulent
des yeux [485]. Et il est tué l'un des premiers [487]. (Germinal.)
Rivoire.
Associé de la maison Piot et Rivoire [2631. (Au Bonheur des Dames.)
Robert (Madame).
Une habituée de la table d'hôte de Laure Piédefer.
C'est une femme très brune, jolie, au visage allongé,
aux lèvres pincées dans un sourire discret. Elle occupe
rue Mosnier un appartement sévère et bourgeois, tendu
d'étoffes sombres, avec le comme il faut d'un boutiquier parisien,
retiré après fortune faite. On ne lui connaît qu'un
amant a la fois, pas plus, et toujours un homme respectable. C'était
auparavant un chef de bureau au ministère de l'intérieur
[30]. Pour le moment, elle a un ancien chocolatier, esprit grave ; quand
il vient, charmé de la bonne tenue de la maison, il se fait annoncer
et l'appelle « mon enfant » [276]. Madame Robert est la
rivale de Nana auprès de Satin ; évincée, elle
se venge en écrivant des lettres anonymes à Muffat et
aux autres amants de son ennemie [359]. (Nana.)
Robin-Chagot (Vicomte
de). Agronome, ancien conseiller d'Etat, devenu vice-président
du conseil d'administration de la Banque Universelle. C'est un homme
doux et ladre, une excellente machine à signatures [144]. Il
touche cent mille francs de primes secrètes pour tout signer
sans examen, pendant les longues absences d'Hamelin, président
de la Société [272]. (L'Argent.)
Robineau.
A été second du rayon de soieries, au Bonheur des Dames.
La maison s'est mal conduite à son égard ; on lui avait
promis depuis longtemps la situation de premier, et Bouthemont, arrivé
du dehors, l'a obtenue du coup; le rayon, excité par Hutin et
Favier, n'aime pas Robineau; on lui en veut surtout de ses nerfs de
femme, de ses raideurs, de sa susceptibilité [195]. Renvoyé
brusquement, après sept ans de service, il se décide à
acheter le fonds de Vinçard, marchand de soieries rue Neuve-des-Petits-Champs
; longtemps il a hésité, les soixante mille francs dont
il dispose appartiennent à sa femme et il est plein de scrupules
devant cette somme, aimant mieux, dit-il, se couper tout de suite les
deux poings que de la compromettre dans de mauvaises affaires [21].
Le fonds lui a coûté les deux tiers de son avoir, il ne
lui reste que vingt mille francs pour marcher, mais le fabricant Gaujean,
acquis aux intérêts du petit commerce, le soutiendra par
de longs crédits.
C'est le conflit qui divise la maison de spécialités
et les grands magasins; une lutte restée célèbre
s'engage entre le mince Robineau et le puissant Octave Mouret, leur
rivalité sur les failles de Lyon aboutit à un massacre
des prix, à un écrasement du boutiquier sous les reins
plus solides du Bonheur des Dames. [238]. L'ancienne maison Vinçard
va mourir de sa témérité. Robineau restreint son
personnel; Denise Baudu, employée chez lui, le quitte pour rentrer
chez Mouret; il vit dans des brusqueries continuelles, perdant patience
devant l'injustice des clientes [239]; mais surtout il s'affole en pensant
à la ruine qui menace sa femme, élevée dans une
paix heureuse, incapable de vivre pauvre ; le jour, il répète
sans cesse : «Je t'ai volée, l'argent venait de toi »;
la nuit, il rêve des soixante mille francs, se réveillant
en sueur, se traitant d'incapable, apercevant sa chère femme
dans la rue, en guenilles, mendiant, elle qu'il aime si fort, qu'il
désire riche, heureuse [459]. Cette obsession le mène
à l'idée de suicide; réduit aux expédients,
menant une vie d'enfer pour éviter d'être mis en faillite,
il finit par se jeter sous un omnibus, au carrefour Gaillon, devant
les étalages du Bonheur des Dames triomphant [454]. (Au Bonheur
des Dames.)
Robineau (Madame).
Femme du marchand de soieries. C'est la fille d'un piqueur des
ponts et chaussées, absolument ignorante des choses du commerce.
Élevée dans un couvent de Blois, très brune, très
jolie, avec une douceur -aie qui lui donne un grand charme, elle a encore
la gaucherie d'une pensionnaire. Adorant son mari et ne vivant que de
cet amour, elle le console dans les heures difficiles ; puisqu'il l'aime
bien, elle n'en demande pas davantage, elle lui donne tout, son cur,
sa vie [2391. L'utilité de la lutte lui échappe. Effarée,
dépaysée dans ces affaires, auxquelles sa nature tendre
ne mord pas, et qui tournent mal, il lui semble que ce serait plus gentil
de vivre tranquille, au fond d'un petit logement, où l'on ne
mangerait que du pain [457]. Madame Robineau est dans un état
de grossesse avancée lorsqu'on lui rapporte son mari, une jambe
brisée sous l'omnibus; cet affreux malheur la bouleverse, mais
la cassure est simple, aucune complication ne doit se produire et la
jeune femme se réjouit en pensant que, puisque la déclaration
de faillite est définitive, son mari sera maintenant débarrassé
du tracas des affaires [461]. (Au Bonheur des Dames.)
Robine.
Fait partie du groupe Gavard. Cinquante ans, air pensif et doux, avec
un chapeau douteux et un grand pardessus marron. Le menton appuyé
sur la pomme d'ivoire d'un gros jonc, il a la bouche tellement perdue
au fond d'une forte barbe, que sa face semble muette et sans lèvres
[128]. Ou ne l'a jamais vu sans chapeau sur la tête. Robine est
le silencieux du groupe. Il écoute les autres jusqu'à
minuit, mettant quatre heures à vider sa chope, regardant successivement
ceux qui parlent comme s'il entendait avec les yeux. Gavard le considère
comme un homme très fort. Il habite rue Saint-Denis, ne fait
absolument rien et vit d'on ne sait quoi. Son silence perpétuel
l'empêche d'être compromis dans le complot des Halles, mais
il assiste à l'audience, où Florent l'aperçoit,
s'en allant doucement au milieu de la foule [355]. (Le Ventre de Paris.).
Robine (Madame).
Femme de Bobine, habite avec lui, rue SaintDenis, un logement
où personne ne pénètre. Gavard qui croit l'avoir
vue de dos, entre deux portes, pense qu'elle est une vieille dame très
comme il faut, coiffée avec des anglaises, mais il ne pourrait
l'affirmer [129]. (Le Ventre de Paris.)
Robinot (Madame).
Connaissance des Deberle [25]. (Une Page d'Amour.)
Robiquet.
Fermier de la Chamade. A bout de bail. Il ne fume plus la terre, laisse
le bien se détruire [100] et finit par se faire expulser, parce
qu'il ne paye pas les fermages [473]. (La, Terre.)
Rochart (Monseigneur).
Évêque de Faverolles. Appuie les surs
dans l'affaire Chevassu [55], est battu par le ministre Eugène
Rougon et prend sa revanche contre lui, lors du scandale soulevé
par la visite domiciliaire pratiquée chez les surs [402].
(Son Excellence Eugène Rougon.)
Rochas.
Lieutenant au 106, de ligne (colonel de Vineuil). Fils d'un ouvrier
maçon venu du Limousin. Né à Paris et répugnant
à l'état de son père, il s'est engagé à
dix-huit ans; soldat de fortune, il a porté le sac, caporal en
Afrique, sergent à Sébastopol, lieutenant après
Solferino ; il a mis quinze ans de dure existence et d'héroïque
bravoure pour conquérir ce grade, d'un manque tel d'instruction
qu'il ne doit jamais passer capitaine [17]. En 1870, il a près
de cinquante ans. C'est un grand diable maigre, avec une figure longue
et creusée, tannée, enfumée; son nez énorme,
busqué, tombe dans une large bouche violente et bonne, où
se hérissent de rudes moustaches grisonnantes [15]. Pas commode,
d'une grossièreté parfois à lui ficher des gifles,
il est aimé de ses hommes, qui l'invitent à leurs repas
de maraude quand la cantine des officiers est vide. il partage le mépris
des soldais pour le capitaine Beaudoin, un freluquet sorti de Saint-Cyr
[92].
Les appréhensions des gens sensés
sur le sort de la campagne le font éclater d'un rire énorme;
il en est à la légende, le troupier français parcourant
le monde, entre sa belle et une bouteille de bon vin, la conquête
de la terre faite en chantant des refrains de goguette. Tout son grand
corps de chevalier errant exprime l'absolu mépris de l'ennemi,
quel qu'il soit, dans son insouciance complète des temps et des
lieux [18]. On reconduira les Prussiens jusqu'à Berlin à
coups de pied dans le cul [20]. Lorsqu'il apprend la première
défaite, une immense stupeur se peint dans ses yeux vides d'enfant
[23], mais, malgré Frschwiller et la déroute sur
Châlons, il est retombé d'aplomb dans sa foi au courage
invincible, les Prussiens seront aplatis comme des mouches [67]. L'effroyable
désordre de la marche vers la Meuse, n'entame point son entêtée
confiance -puisque les Prussiens sont là, on va les battre [128].
Quand on monte vers Villers, tournant le dos au canon de Beaumont, il
mâche sourdement des gros mots, des injures contre tous et contre
lui-même [146] ; près de Remilly, on est harcelé
par l'artillerie prussienne, un éclat d'obus lui effleure la
tête [151]; dans Sedan, il tombe foudroyé de sommeil devant
la statue de Turenne [180] ; sur le plateau de Floing où, dédaigneux
de tout abri, simplement enveloppé d'une couverture, il ronfle
en héros sur la terre humide [202], son képi est jauni
par les pluies, des boutons manquent à sa capote, toute sa maigre
et dégingandée personne est dans un pitoyable état
d'abandon et de misère; mais le matin de la bataille, il n'en
est pas moins d'une crânerie victorieuse, les yeux étincelants,
les moustaches hérissées [231].
Si, en sa cervelle étroite, l'idée
de trahison, répandue dans l'armée, n'est pas loin de
paraître naturelle, car elle explique les défaites survenues,
il garde quand même son mépris fanfaron de l'ennemi, son
ignorance absolue des conditions nouvelles de la guerre, son obstinée
certitude qu'un vieux soldat d'Afrique, de Crimée et d'Italie
ne peut pas être battu [232]. Après le plateau de l'Algérie
et le calvaire d'Illy, dans la retraite en désordre qui refoule
sa compagnie vers le bois de la Garenne, il garde sa belle confiance
inébranlable [358]. Cerné vers quatre heures dans l'Ermitage,
avec une poignée d'hommes, il reste gai, il va culbuter les armées
allemandes d'un coup, très à l'aise.
Jusqu'au bout, il n'aura rien compris à
cette fichue guerre, où l'on se rassemble dix pour en écraser
un, où l'ennemi ne se montre que le soir après vous avoir
mis en déroute par toute une journée de prudente canonnade.
Et dans son obstination, enveloppé de toutes parts, il répète
machinalement: « Courage, mes enfants, la victoire est là-bas
», tandis qu'il se sent dominé, emporté par quelque
chose de supérieur, auquel il ne résiste plus [375]. Sans
songer une minute à fuir, il essaye d'anéantir le drapeau.
Frappé au cou, à la poitrine, aux jambes, il s'affaisse
parmi ces lambeaux tricolores, comme vêtu d'eux [376]. Et il meurt
dans son ahurissement d'enfant, tel qu'un pauvre être borné,
un insecte joyeux, écrasé sous la nécessité
de l'énorme et impassible nature [376]. (La Débâcle.)
Rochefontaine.
Propriétaire des ateliers de construction de Châteaudun.
Grand garçon intelligent et actif, très riche, trente-huit
ans à peine, les cheveux ras, la barbe taillée carrément,
mise correcte sans recherche, froideur brusque, voix brève, autoritaire.
Tout en lui dit l'habitude du commandement, l'obéissance dans
laquelle il tient les douze cents ouvriers de son usine. C'est un libre-échangiste
enragé, il veut que le pain coûte bon marché pour
n'avoir pas à augmenter les salaires de son personnel. Tout prêt
à servir lEmpire, mais blessé de n'avoir pu obtenir
l'appui du préfet aux élections, il s'est obstiné
à se poser en candidat indépendant, mais ce titre lui
a enlevé toute chance, les habitants des campagnes l'ont traité
en ennemi publie, du moment qu'il n'était pas du côté
du manche [143]. Plus tard, par suite de la disgrâce de M. de
Chédeville, il devient candidat officiel, ses rudesses en imposent
aux paysans qui marchent plus que jamais avec l'autorité et,
du moment où il a été désigné par
l'empereur, son libre-échangisme, pourtant funeste à la
terre, ne l'empêche pas d'être élu [364]. (La Terre.)
Rodriguez.
Parent éloigné de l'impératrice. Réclame
au gouvernement français une somme de deux millions, depuis 1808.
Cette revendication, portée devant le Conseil d'État,
est combattue par le président Eugène Rougon, qui mécontente
ainsi l'impératrice [8] et est bientôt obligé de
se retirer pour « des raisons de santé ». (Son Excellence
Eugène Rougon.)
Rognes-Bouqueval (Les).
Vieille famille noble de l'ancien Danois, dont le domaine seigneurial,
déjà entamé pour subvenir à des besoins
d'argent, a été déclaré bien national en
1793, et racheté, pièce à pièce, par Isidore
Hourdequin [31]. (La Terre.)
Roiville (Les de).
Mondains parisiens, chez qui la baronne Sandorff a rencontré
quelquefois Gundermann [292]. (L'Argent.)
Rosalie.
Rempailleuse à Rognes. Pauvre femme vivant toute seule, malade
et sans un sou. L'abbé Godard lui vient en aide [512]. (La Terre.)
Rose.
Fille de comptoir chez Lebigre. Petite femme blonde très douce,
très soumise, poussant la soumission fort loin avec le patron.
C'est elle qui sert les clients du cabinet vitré, les membres
du groupe Gavard. Elle entre, elle sort, de son air humble et heureux,
au milieu des plus orageuses discussions politiques. Lorsque Lebigre
recherche la main de la belle Normande, c'est par Rose qu'il envoie
tous les dimanches aux Méhudin une bouteille de liqueur. Et Rose
se trouve chaque fois chargée pour la Normande d'un compliment
qu'elle répète d'un air soumis, pas du tout ennuyé
[286]. (Le Ventre de Paris.)
Rose.
Vieille servante des Mouret, à Plassans. Rougon et dévote,
elle admire l'abbé Faujas et applaudit à l'évolution
de Marthe, livrée à des pratiques religieuses qui lui
feront peu à peu déserter le logis. Rose devient maîtresse
de la maison [144], s'entend à merveille avec la mère
de l'abbé, puis avec Olympe Faujas et, de libre allure, elle
morigène François Mouret [ 184], allant bientôt
jusqu'à le bousculer et contribuant pour une bonne part à
la déchéance mentale de ce malheureux, (La Conquête
de Plassans.)
Rose.
Petite paysanne des Artaud, sur cadette de Lisa. Elle se moque
des timidités de l'abbé Mouret, qui n'ose rien lui dire
à confesse [286]. (La Faute de l'abbé Mouret.)
Rose.
Femme de chambre de madame Hennebeau [382]. L'émeute de Montsou
la laisse très gaie, elle est du pays, elle connaît les
mineurs, elle assure qu'ils ne sont pas méchants [403]. (Germinal.)
Rose.
Fille du concierge de la sous-préfecture, à Sedan. Petite
blonde, à l'air délicat et joli. Travaille à la
fabrique Delaherche. Le 31 août et le 1er septembre 1870, pendant
que l'armée succombe sous le fer, elle assiste aux va-et-vient
des officiers de l'état-major général. Son impression
est qu'ils ont tous l'air d'être fous, toujours du inonde qui
arrive, et les portes qui battent, et des gens qui se fâchent,
et d'autres qui pleurent, et un vrai pillage dans la maison, les chefs
buvant aux bouteilles, couchant dans les lits avec leurs bottes. Le
maréchal de Mac-Mahon a bien dormi, tandis que l'empereur, souffrant
de son affreuse maladie, gémissait toute la nuit, criant à
vous faire dresser les cheveux sur la tète ; de tout ce inonde,
d'ailleurs, c'est encore lui le plus gentil et qui tient le moins de
place, dans le coin où A se cache pour crier [256]. Le matin
du 1er, avant de partir vers les avant-postes, il s'est fait peindre
la figure, pour ne pas promener, parmi son armée, l'effroi de
son masque blême, décomposé par la souffrance, au
nez aminci, aux yeux troubles [220]. Dans l'après-midi, Rose
l'a vu sortir encore et aller sous les obus, jusqu'au pont de Meuse,
puis lentement revenir, en fataliste résigné qui comprend
que son destin lui refuse la mort d'un soldat. Et lorsque Napoléon
III, sous le coup du sort qui brise et emporte sa fortune, réclame
un armistice pour mettre fin à l'égorgement, c'est la
jeune fille qui fournit une nappe à l'officier chargé
de hisser le drapeau blanc.
Dans le trouble général, Rose
est restée d'une fraîcheur gaie, avec ses cheveux fins,
ses yeux clairs d'enfant qui s'agite, au milieu de ces abominations,
sans trop les comprendre [329]. Elle voit le tumulte causé par
l'annonce de la capitulation, des officiers arrachant leurs épaulettes
et pleurant comme des enfants, un vieux sergent frappé de folie
subite et traitant les chefs de lâches, des cuirassiers jetant
leur sabre à l'eau, des artilleurs précipitant le mécanisme
de leurs mitrailleuses au fond des égouts, certains enterrant
ou brûlant des drapeaux, beaucoup semblant hébétés,
d'autres, le plus grand nombre ayant des yeux qui rient d'aise, un allégement
ravi de toute leur personne, devant le bout de leur misère, après
tant de jours où ils ont souffert de trop marcher et de ne pas
mange [399]. (La Débâcle.)
Rose.
Nièce du coiffeur d'Aristide Saccard. Petite jeune fille de dix-huit
ans, très blonde, l'air candide. Saccard l'a placée auprès
de son fils malade, Maxime, avec mission de lui donner des soins, mais,
en réalité, pour enlever à l'ataxique le reste
de ses mlles [315]. Quand elle aura réussi, Aristide la
payera d'un tant pour cent généreux [384]. (Le Docteur
Pascal).
Roubaud.
Sous-chef de gare au Havre. Mari de Sèverine Aubry. Il est né
dans le Midi, à Plassans, d'un père charretier. Sorti
du service avec les galons de sergent-major, longtemps facteur mixte
à la gare de Mantes, passé facteur-chef à celle
de Barentin, il a connu là Séverine, filleule du président
Grandmorin, et l'a longtemps désirée de loin, avec la
passion d'un ouvrier dégrossi, pour un objet délicat qu'il
juge précieux. Le roman de son existence a été
d'obtenir cette jeune fille, de quinze ans moins âgée que
lui, et qui lui semblait d'une essence supérieure; pour comble
de fortune, le président a doté l'épouse et accordé
sa protection au mari : c'est le lendemain de la cérémonie
que Roubaud est passé Sous-chef.
Il est de taille moyenne, mais d'une extraordinaire
vigueur la quarantaine approche, sans que le roux ardent de ses cheveux
frisés ait pâli; sa barbe, qu'il porte entière,
reste drue, elle aussi, d'un blond de soleil. Il a la tête un
peu plate, un front bas marqué de la bosse des jaloux, une nuque
épaisse; sa face ronde et sanguine est éclairée
de deux gros yeux vifs [5]. Ses notes d'employé sont très
bonnes, il est solide à son poste, ponctuel, honnête, d'un
esprit borné, mais très droit, toutes sortes de qualités
excellentes [6]. Ou le soupçonne seulement d'être républicain;
à un petit crevé de sous-préfet qui s'entêtait
à monter en première classe avec un chien, il s'est oublié
à dire : « Vous ne serez pas toujours les maîtres!
» Cc serait une disgrâce inévitable, sans le tout-puissant
appui du précieux Grandmorin. Mais au moment même où
Roubaud s'émerveille des bienfaits que lui vaut l'amitié
d'un si haut personnage, il apprend brusquement la vérité
: Séverine quil aime, qui est sa femme depuis trois ans,
a été toute jeune débauchée par cet homme,
elle a subi ses impuissantes caresses de vieux.
Mordu alors d'une jalousie atroce, il éprouve
une faim de vengeance qui lui tord le corps et ne lui laissera plus
aucun repos, tant qu'il ne l'aura pas satisfaite [26]. De ses poings
d'ancien homme d'équipe, redevenant parfois la brute inconsciente
de sa force, il a contraint sa femme à lui dire toute la vérité;
comme malgré tout il l'aime encore, il va mettre quelque chose
de solide entre eux en la rendant complice de l'assassinat qu'il médite.
C'est dans l'express du Havre que le président Grandmorin est
égorgé par le mari, pendant que la femme pèse sur
ses jambes pour empêcher toute résistance [255].
L'alibi des Roubaud a été assez
habilement établi ; ils ont su faire croire à un vol,
en emportant l'argent et la montre du mort; le juge Denizet, après
les avoir soupçonnés un instant, s'est égaré
sur la piste du malheureux Cabuche et il a même plaidé
leur innocence devant les Lachesnaye, fille et gendre du président,
enragés de voir Séverine hériter de la maison de
la Croix-de-Maufras ; pourtant, une complication a failli tout perdre
: dans les papiers du défunt, M. Camy-Lamotte a trouvé
la lettre par laquelle les Roubaud avaient attiré Grandmorin
dans l'express; c'était leur perte, si la politique n'était
intervenue et si l'on ne s'était, en haut lieu, décidé
à étouffer l'affaire, pour ne pas mettre au jour des débauches
trop compromettantes. Ils semblent donc sauvés.
Jamais Roubaud ne s'est montré un employé
si exact, si consciencieux. Il vit sans remords. Mais le crime a introduit
en lui une désorganisation progressive, il s'est assombri de
plus en plus, n'étant vraiment gai qu'avec son nouvel ami, le
mécanicien Jacques Lantier, originaire de Plassans comme lui,
et qu'un hasard a placé devant le train, juste au moment où
Grandmorin tombait assassiné. Jacques est le seul témoin
que Roubaud redoute, il a voulu le conquérir, se l'attacher par
des liens de fraternité étroite, l'empêcher ainsi
de parler, et il a même chargé sa femme de circonvenir
le camarade. Peu à peu, tout lien s'est rompu entre les époux,
la présence de Jacques n'a plus suffi à retenir Roubaud
à son foyer. Épaissi, vieilli, devenu plus sombre, il
s'est mis à fréquenter un petit café du cours Napoléon,
où il retrouvait Cauche, le commissaire de surveillance administrative.
Des pertes de jeu l'amènent à
puiser dans la cachette où est enfoui le portefeuille de Grandmorin;
la pensée de cet argent le brûlait, dans les premiers temps,
il avait juré de n'y porter jamais la main. Mais ses scrupules
partent un peu chaque jour. C'est une gangrène morale, à
marche envahissante, qui désorganise la conscience entière
Il a tué, maintenant il vole et il va être un mari complaisant;
c'est avec indifférence qu'il surprend le flagrant délit
de sa femme et de Jacques Lantier [282]. Il se porte fort bien, d'ailleurs,
en dehors de la fatigue des nuits blanches; il engraisse même,
d'une graisse lourde, les paupières pesantes sur ses yeux troubles.
Et dans cette bouffissure, tout s'en va, même ses anciennes opinions
politiques [306].
L'assassinat inexpliqué de Séverine,
la trouvaille de la montre du président chez Cabuche, provoquent
une nouvelle instruction du juge Denizet; celui-ci imagine un système
fort logiquement déduit, d'où il résulte que Cabuche
a été, dans les deux crimes, l'instrument de Roubaud et
c'est en vain que celui-ci se décide à avouer la vérité
pure et simple, l'unique meurtre, le meurtre passionnel qu'il a accompli
en un jour de fureur. Cette version authentique n'est pas assez ingénieuse
pour renverser l'échafaudage du juge d'instruction et les prétendus
complices sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité
[405]. (La Bête humaine.)
Roubaud (Madame).
-Voir AUBRY (Séverine).
Roudier.
Ancien bonnetier parisien, retiré à Plassans, riche propriétaire,
fait partie du groupe réactionnaire qui se réunit chez
les Rougon [93]. Visage grassouillet et insinuant. Roudier, autrefois
garde national a Paris et fournisseur de la cour, possesseur d'une belle
fortune, a beaucoup de prestige parmi les bourgeois de Plassans. A l'heure
du coup d'État, il sauve l'ordre en compagnie de Pierre Rougon
et de Granoux. Son passé lui vaut alors le commandement de la
garde nationale réorganisée [286], poste d'honneur où
Rougon le laissera à l'écart, voulant accaparer toute
la gloire du massacre, se méfiant aussi de l'humanité
de ce bourgeois parisien égaré en province [343]. (La
Fortune des Rougon.)
Rouge d'Auneau (Le).
Lieutenant du Beau-François, chef de la bande d'Orgères.
A composé une complainte en prison [68]. (La Terre.)
Rougette.
Vache achetée par les surs Mouche, au marché de
Cloyes. C'est une cotentine blanche et noire, tête sèche,
aux cornes fines et aux grands yeux bleuâtres, le ventre un peu
fort sillonné de grosses veines, les membres plutôt grêles,
la queue mince plantée très haut [169]. (La Terre.)
Rougon (1).
Mari d'Adélaïde Fouque. Père de Pierre Rougon. Paysan
mal dégrossi, épais et commun, venu des Basses-Alpes et
entré chez les Fouque comme garçon jardinier, Rougon a
la chance d'être là quand la détraquée Adélaïde
devient orpheline. Elle l'épouse six mois après, en 1786,
et a de lui un fils, au bout d'une année. Rougon meurt presque
subitement, en 1787, d'un coup de soleil reçu en sarclant un
plant de carottes [49]. (La Fortune des Rougon.)
(1) Rougon, lourd et placide jardinier, marié
en 1786 à Adélaïde Fouque. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Rougon (Angélique).
Voir ANGÉLIQUE MARIE.
Rougon (Aristide).
Voir SACCARD (Aristide).
Rougon (Madame Aristide)
née BÉRAUD DU CHATEL. Voir BÉRAUD
DU CHATEL (Renée).
Rougon (Madame Aristide)
née SICARDOT.-Voir SICARDOT (Angèle).
Rougon (Charles).
Voir SACCARD (Charles).
Rougon (Clotilde).
Voir SACCARD (Clotilde).
Rougon (Eugène)
(2). Premier fils de Pierre Rougon et de Félicité
Puech. Frère de Pascal, Aristide, Sidonie et Marthe. Il a le
visage de son père, une tête de structure massive et carrée,
aux traits larges. De taille moyenne, il est, à quarante ans,
légèrement chauve et tourne déjà à
l'obésité. Dans ces chairs épaisses, héritées
du père, sont enfouies des qualités morales et intellectuelles,,
des ambitions hautes, des instincts autoritaires, un mépris singulier
pour les petits moyens et les petites fortunes, où l'on retrouve,
amplifiés, les traits du caractère maternel. Les appétits
de jouissance extraordinairement développés dans cette
famille sont, ici, épurés; Eugène Rougon jouira
par les voluptés de l'esprit, en satisfaisant ses besoins de
domination [73].
Il a fait son droit à Paris, est rentré
à Plassans, s'est fait inscrire au tableau des avocats, plaidant
de temps à autre, gagnant maigrement sa vie, végétant
ainsi pendant quinze ans, paraissant destiné à s'alourdir
dans une honnête médiocrité. Mais, dans ce garçon
endormi, il y a une force qui se cherche. Un mois avant les journées
de Février, Eugène secoué d'un pressentiment se
rend à Paris, n'ayant pas cinq cents francs en poche [74], et
lorsqu'il revient passer quinze jours à Plassans, en avril 1849,
il a lié partie avec le prince-président, dont il est
l'un des agents secrets les plus actifs.
Son voyage a pour but de tâter le terrain
[96]. Il trouve le salon maternel devenu le centre réactionnaire
de la ville ; il décide de convertir à l'idée napoléonienne
ces bourgeois attardés dans les anciens partis, confie secrètement
la besogne à son père qui recevra de lui des instructions
minutieuses et fréquentes, réussit sans difficulté
à créer dans la petite ville cléricale un courant
très nettement bonapartiste et, plus tard, au jour du triomphe,
il obtient pour son père, décoré par ses soins,
le poste de receveur particulier de Plassans [361]. (La Fortune des
Rougon.)
Au début de 1852, il habite, rue de
Penthièvre, deux grandes pièces froides à peine
meublées. C'est déjà une puissance occulte, l'embryon
d'un grand homme politique, plein de dédain pour le naïf
appât de l'argent, animé d'ambitions vers la puissance
pure [57]. Sollicité par Aristide venu de Plassans pour conquérir
Paris, et comprenant à merveille que les grosses faims aiguisées
par le coup d'État devront être satisfaites, il le case
rapidement dans un modeste emploi où l'on n'a qu'à regarder
et à écouter pour trouver la fortune. Mais, soucieux des
intérêts du régime et des siens propres, il conseille
à son frère de changer de nom et le prévient qu'au
premier scandale trop bruyant, il n'hésitera pas à le
supprimer [58]. Député de l'arrondissement de Plassans
[59], puis ministre de l'intérieur, il suit de loin les progrès
d'Aristide Rougon devenu Aristide Saccard ; quand cela devient nécessaire,
il lui rend le service de paraître l'aimer beaucoup [290]. (La
Curée.)
A son arrivée à Paris, avant
les journées de Février, il avait crevé de faim
avec Du Poizat et Gilquin, chez madame Mélanie Correur. La première
maison qui l'ait accueilli a été celle de Bouchard, chef
de bureau à l'intérieur. Devenu député des
Deux-Sèvres à la Législative, où il a connu
Delestang, il a pressenti l'extraordinaire fortune du prince Louis Napoléon,
a été un instant ministre des travaux publics sous la
Présidence et a coopéré activement au coup d'État;
c'est lui qui s'est emparé du Palais-Bourbon, à la tète
d'un régiment de ligne [41] « Plus tard, l'empereur l'a
chargé d'une mission en Angleterre, puis il est entré
an Conseil d'État et au Sénat. Chevalier de la Légion
d'honneur après le Dix-Décembre, officier en janvier 1852,
commandeur le 15 août 1854, grand officier en 1856, parvenu à
la présidence du Conseil d'Etat, il est l'un des dignitaires
impériaux les plus en vue. Il habite rue Marbeuf un hôtel
dont l'empereur lui a fait cadeau [129]. A quarante-six ans, ses épaules
se sont encore élargies, il a une grosse chevelure grisonnante
plantée sur son front carré; son grand nez, ses lèvres
taillées en pleine chair, ses joues longues, sans une ride, ont
une vulgarité rude, que transfigure par éclairs la beauté
de la force [15]. Au repos, il a une altitude de taureau assoupi [24].
L'erreur de Rougon, qui est un chaste, est
de ne pas croire à la toute puissance de la femme. Sa rencontre
avec Clorinde, une aventurière de haut vol qui a rêvé
de se faire épouser par lui, et dans laquelle il n'a su entrevoir
qu'une maîtresse excitante, va lui prouver son erreur; Clorinde
se vengera en lui faisant retirer le pouvoir, qu'il mettra trois ans
à reconquérir. Une autre faiblesse de Rougon est dans
sa bande; il souffre du même mal que l'empereur lui-même
: les faméliques qui l'entourent et dont il a besoin ne lui restent
fidèles qu'à la condition d'être constamment gorgés;
pour s'appuyer sur eux, il doit les combler de faveurs compromettantes,
reculer à leur profit les limites de l'arbitraire, prêter
ainsi le flanc à ses ennemis, tout en se grisant avec bonheur
de l'orgueil de ses propres abus. Entouré de cette bande aux
dents aiguës, il n'éprouve, lui, qu'un amour du pouvoir
pour le pouvoir, dégagé des besoins de vanité,
de richesses, d'honneurs. Il est certainement le plus grand des Rougon
[155]. Son rêve, pendant qu'il paraît s'absorber faire des
réussites compliquées [231], est de devenir très
puissant, afin de satisfaire ceux qui l'entourent, au delà du
naturel et du possible [245].
Politiquement, il est l'homme des situations
graves, l'homme aux grosses pattes, suivant le mot de Marsy [158]. Son
nom signifie répression à outrance, refus de toutes les
libertés, gouvernement absolu [267]. Il est de ceux qui ont fondé
lEmpire dans la boue et dans le sang. Au lendemain de J'attentat
de la rue Le Peletier, attentat que Gilquin lui a révélé
quelques heures à l'avance et qu'il a froidement laissé
s'accomplir, parce qu'il espérait bien ramasser le pouvoir dans
les décombres, l'empereur le rappelle au ministère et
c'est alors un coup de balai parmi les dix mille suspects oubliés
au Deux-Décembre [266], il répartit à sa guise
les arrestations par départements, ne se souciant que des chiffres
et laissant le choix d'es noms à ses sous-ordres [297], il censure
tout, même les feuilletons [300], il patauge en plein arbitraire.
Mais au fond, il a plutôt des besoins
que des opinions, il estime le pouvoir trop nécessaire à
sa fureur de domination pour ne pas l'accepter sous quelque condition
qu'il se présente. Et quand la cervelle fumeuse de Napoléon
III trouve l'idée de l'Empire libéral, c'est Rougon qui,
donnant un démenti à sa vie entière, se charge
d'appliquer la nouvelle politique. Cet homme, pour qui le parlementarisme
n'était que le fumier des médiocrités, et qui se
vantait de mâter les évêques, célébrera
de sa grosse voix brutale le rétablissement de la tribune et
s'agenouillera devant le pape. Il a reconquis le' pouvoir, en marche
vers sa royauté triomphale de vice-empereur. (Son Excellence
Eugène Rougon.)
En 1864, toujours au pouvoir, il a vu son
frère Saccard s'enliser dans les affaires. Il voudrait se défaire
de lui, l'envoyer dans une colonie comme gouverneur, mais Aristide ne
s'est pas laissé convaincre, il a fondé la Banque Universelle,
et ses allures de casse-cou batailleur, enragé contre la banque
juive, ont causé les plus graves ennuis au ministre. Rougon,
prisonnier de sa politique romaine, tiraillé entre l'opposition
libérale et les ultramontains, est furieux des manigances du
député Huret et de la dernière déconfiture
de Saccard; il prend l'énergique parti d'en finir avec ce membre
gangrené de sa famille, qui, depuis des années, le gêne,
dans d'éternelles terreurs d'accidents malpropres. Il le force
à s'expatrier, en lui facilitant la fuite, après une bonne
condamnation [376]. (L'Argent.)
L'appétit souverain du pouvoir se satisfait
en lui pendant douze années consécutives de ministère.
Puis, après la chute de l'Empire, redevenu simple député,
réduit à l'état de majesté déchue,
il est à la Chambre le témoin, le défenseur impassible
de l'ancien monde emporté par la débâcle [128].
(Le Docteur Pascal.)
(2) Eugène Rougon, né en 1811
; épouse, en 1857, Véronique Beulin d'Orchères,
dont il n'a pas d'enfants. [Mélange fusion. Prédominance
morale, ambition de la mère. Ressemblance physique du père].
Homme politique, ministre. Vit encore à Paris, député.
(Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Rougon (Madame Eugène).
-- Voir BEULIN D'ORCHÈRES (Véronique).
Rougon (Marthe)
(1). Fille de Pierre Rougon et de Félicité Puech.
Sur de Pierre, Pascal, Aristide et Sidonie. Mère d'Octave,
Serge et Désirée Mouret. Née à Plassans
en 1820, cinquième enfant des Rougon, tard venue, a été
mal accueillie par ses parents [70]. Elle a vingt ans, son père
qui ne possède point de dot pour elle ne sait comment s'en défaire;
à ce moment, François Mouret, fils d'Ursule Macquart et
cousin germain de Marthe, devient commis dans la maison. Entre les jeunes
gens naît rapidement une tendresse déterminée sans
doute par leur ressemblance physique. Comme François, Marthe
est le portrait même de l'aïeule Adélaïde Fouque,
mais tandis que François est un gros garçon laborieux,
Marthe atout l'effarement, tout le détraquement intérieur
de la grand'mère [81]. Pierre Rougon les marie en 1840. Ils ont
trois enfants et quittent avec eux Plassans en 1845, pour aller s'établir
à Marseille [161]. (La Fortune des Rougon.)
A quarante ans, madame Mouret est parfaitement
heureuse entre ses enfants et son mari, la fortune est venue, les Mouret
se sont retirés à Plassans. Une vie réglée,
les soucis quotidiens du commerce, ont assoupi en Marthe l'antagonisme
de nature qui la séparait de François. Sa nature nerveuse
a subi un amollissement qui serait sans doute définitif, si l'entrée
de l'ardent abbé Faujas dans cette existence douce et comme résignée
ne réveillait brusquement la névrose endormie. Le prêtre,
qui a besoin de Marthe pour s'imposer au inonde féminin de Plassans,
a vite fait de s'emparer de son faible esprit. Comme elle n'est pas
dévote, ne fréquentant même pas l'église,
Faujas la prend par des idées de charité, elle se laisse
entraîner à une fondation pieuse et devient présidente
de l'uvre de la Vierge [112]. Amusée d'abord par les détails
matériels de l'organisation, elle s'habitue à l'église
[118], se désintéresse des siens et s'abandonne à
une vague extase qui met dans sa vie un intérêt inconnu;
puis le détraquement s'aggrave, elle arrive aux pratiques religieuses,
glisse à la dévotion, s'abîme en des confessions
interminables, goûtant des joies naïves de communiante, se
détachant de tout, laissant sa maison à vauleau, regardant
d'un il sec le départ successif de ses enfants qu'elle
avait adorés, éprouvant enfin une véritable haine
pour ce mari silencieux, qui rôde sans cesse autour d'elle, pareil
à un remords [236].
C'est un affolement de l'être entier,
la terrible crise de la quarantaine, où Marthe, toute brûlante
d'ardeurs, confond dans un même culte la religion et son ministre,
Dieu et l'abbé Faujas, se prenant peu à peu pour celui-ci
d'une adoration charnelle. L'indifférence, la brutalité
de Faujas, qui dans cette détraquée ne voit qu'un obstacle
à briser, déterminent des crises nerveuses de plus en
plus graves, des attaques de catalepsie qui anéantissent Marthe
et lui donnent l'apparence d'une femme rouée de coups. C'est
alors que s'établit la légende des brutalités de
Mouret, soigneusement répandue par les Trouche et confirmée
par les silences approbateurs de Marthe. La crise finale a lieu après
une affreuse explication avec Faujas, où l'hystérique,
écrasée sous les duretés du prêtre, violemment
chassée par lui du paradis entrevu, court à l'Asile des
Tulettes pour délivrer son mari, le trouve en état de
folie complète et, frappée de terreur, se sauve chez sa
mère, où elle meurt le même soir, dans la rouge
clarté de l'incendie allumé par le fou [402]. (La Conquête
de Plassans.)
(1) Marthe Rougon, née en 1820 ; épouse,
en 1840, son cousin François Mouret, dont elle a trois enfants
; meurt, en 1864, dans une crise nerveuse. [Hérédité
en retour sautant une génération. Hystérique. Ressemblance
morale et physique d'Adélaïde Fouque. Marthe et François,
les deux époux, se ressemblent. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Rougon (Maxime).
Voir SACCARD (Maxime).
Rougon (Madame Maxime).
Voir MAREUIL (Louise de).
Rougon (Pascal).
Voir PASCAL (Le Docteur).
Rougon (Pierre)
(1). Fils d'Adélaïde Fouque et du jardinier Rougon.
Père d'Eugène, Pascal, Aristide, Sidonie et Marthe. Né
en 1787, Pierre n'a point connu son père, mort après quinze
mois de mariage. Il est élevé dans l'enclos Fouque en
compagnie d'Antoine et d'Ursule, les enfants nés des amours de
sa mère avec le contrebandier Macquart, ceux que le faubourg
de Plassans appelle les louveteaux. De taille moyenne, de face longue
et blafarde, un peu grosse, il a les traits de Rougon, avec certaines
finesses du visage maternel. Il est un paysan comme son père,
mais un paysan à la peau moins rude, au masque moins épais,
à l'intelligence plus large et plus souple. Ce mélange
équilibré se retrouve au moral. Pierre Rougon a une ambition
sournoise et rusée, un besoin insatiable d'assouvissement, un
cur sec, un fond de sagesse raisonnée, où se sont
mêlés les traits du caractère de ses parents [56].
A dix-sept ans, l'égoïsme s'éveille
en lui, il juge froidement la situation, constate le gaspillage qui
va tout emporter et, jugeant que, seul fils légitime, il a droit
à la fortune entière, il décide d'évincer
tout le monde et de rester seul maître. En peu d'années,
servi par les circonstances, doué d'une invincible ténacité,
il s'est débarrassé des louveteaux, il a réduit
sa mère à une complète soumission, réalisé
la fortune et mis dans sa poche, par un véritable vol légal,
les cinquante mille francs qui formaient tout le patrimoine de famille
[64].
Comme il a un invincible besoin de jouissances
régulières et qu'il rêve d'appartenir au inonde
du commerce, il épouse Félicité Puech, en 1810,
s'associe avec son beau-père dans la vente des huiles et devient
dès lors un petit bourgeois, très supérieur déjà
à son père, le rustre venu des Basses-Alpes pour travailler
chez les Fouque. Après quelques bonnes années, une série
de malchances atteint le ménage Rougon, où l'ambition
terre à terre du mari, facilement désemparée, est
soutenue, ranimée, entraînée par la femme. Cinq
enfants surviennent, de 1811 à1820, dont trois garçons,
que Rougon, désabusé, laisserait croupir dans l'ignorance,
si l'intelligente Félicité n'y mettait bon ordre, reconstituant
déjà sur leur tète l'édifice de sa fortune.
Ce sont alors de longues années de lutte pénible, de travail
incessant, de mesquineries misérables, au bout desquelles les
Rougon doivent s'avouer vaincus, avant amassé en tout une maigre
rente de deux mille francs qui les réduit à l'état
de petits rentiers et ne leur donne même pas accès dans
le quartier neuf, objet de leurs convoitises [81].
On est à la veille de la révolution
de 1818. A cette époque, Pierre Rougon a pris du ventre, l'insuccès
semble l'avoir rendu plus épais et plus mou, il a toute l'allure
d'un respectable bourgeois, un air nul et solennel, mais il lui manque
de grosses rentes pour être tout à fait digne. Sous la
placidité naturelle de ses traits, il cache des sentiments haineux,
il est sourdement exaspéré par sa mauvaise chance et,
comme Félicité, comme son frère Macquart, comme
ses fils Eugène et Aristide, il est prêt à tout
pour assouvir enfin son -âpre désir de fortune. Conseillés
par le marquis de Carnavant, qui a besoin de leur intermédiaire
pour parvenir jusqu'aux bourgeois de Plassans, les Rougon réussissent
à centraliser chez eux le mouvement réactionnaire. Un
peu méprisé des riches qui l'entourent, mais n'hésitant
pas à se compromettre parce qu'il a tout à gagner et rien
à perdre, poussé ardemment par sa femme, Pierre semble
bientôt être le chef actif du parti conservateur. D'abord
royaliste, il s'est rallié au bonapartisme dès que son
fils aîné l'a mis dans la confidence des événements
et lui a promis, après réussite, un poste dans les finances.
Au coup d'État, Rougon, soigneusement
stylé par Eugène, guidé par Félicité
qui lui laisse l'illusion de tout conduire, devient dans Plassans l'homme
nécessaire. Il se cache au moment opportun, réparait pour
délivrer la mairie, s'empare de la poignée d'émeutiers
dirigés par Antoine Macquart, organise un simulacre de bataille
pour se donner les apparences de l'héroïsme, puis s'institue
président de la commission municipale. Craignant de n'être
pas pris au sérieux dans son rôle de sauveur, il organise,
avec la complicité du lâche Antoine, un abominable guet-apens
qui glace de terreur la population de la ville et fait du mari de Félicité
un terrible monsieur dont personne n'osera plus rire [353]. Encore rouge
du sang versé, Rougon reçoit la croix de la Légion
d'honneur, en attendant le poste rémunérateur qui va payer
ses honteux services [361]. (La Fortune des Rougon.)
Les Rougon sont les maîtres de Plassans.
Eugène, devenu ministre de l'empereur, a fondé leur fortune.
Le receveur particulier Pierre Rougon est, à soixante-dix ans,
un gros homme blême, il a une belle tète, une tète
blanche et muette de personnage politique, une mine solennelle de millionnaire
[68]. L'âge et la prospérité ont annihilé
sa cervelle, ses besoins tout physiques sont largement satisfaits, il
orne d'un bel effet décoratif le salon où trône
sa femme. (La Conquête de Plassans.)
Devenu si gros qu'il ne remuait plus, Pierre
Rougon succombe, étouffé par une indigestion, le 3 septembre
1870, après avoir appris la catastrophe de Sedan. L'écroulement
du régime dont il se flattait d'être l'un des fondateurs,
semble l'avoir foudroyé [11]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Pierre Rougon, né en 1787; se marie,
en 1810, à Félicité Puech, intelligente, active,
bien portante; en a cinq enfants; meurt en 1870, au lendemain de Sedan,
d'une congestion cérébrale déterminée par
une indigestion. [Mélange équilibre. Moyenne morale et
ressemblance physique du père et de la mère]. Marchand
d'huile, puis receveur particulier. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Rougon (Madame Pierre).
Voir PUECH (Félicité).
Rougon (Sidonie)
(1). Fille de Pierre Rougon et de Félicité Puech.
Sur d'Eugène, Pascal, Aristide et Marthe. Mère d'Angélique
Marie. Elle est née en 1818 à Plassans. A vingt ans, elle
a épousé un clerc d'avoué de Plassans et est allée
se fixer avec lui à Paris [81]. (La Fortune des Rougon.)
Elle s'est établie rue Saint-Honoré,
où elle a tenté avec son mari, un sieur Touche, le commerce
des fruits du Midi. Mais les affaires n'ont pas été heureuses
et, en 1850, on la retrouve veuve, pratiquant des métiers interlopes,
dans une boutique avec entresol et entrée sur deux rues, faubourg
Poissonnière et rue Papillon.
Petite, maigre, blafarde, doucereuse, sans
âge certain [231], elle tient bien aux Rougon par cet appétit
de l'argent, ce besoin de l'intrigue qui caractérisent la famille.
Les influences de son milieu en ont fait une sorte de femme neutre,
homme d'affaires et entremetteuse à la fois [69]. La fêlure
de cet esprit délié est de croire elle-même à
une fantastique histoire de milliards que l'Angleterre doit rembourser,
appât magique dont elle sait se servir avec habileté pour
griser ses clientes. Son frère aîné Eugène
Rougon, qui estime fort son intelligence, l'emploie à des besognes
mystérieuses ; elle a puissamment aidé aux débuts
de son frère cadet Aristide, en combinant son mariage avec Renée
Béraud Du Châtel et elle continue ses bons offices au ménage,
servant les intérêts du mari auprès des puissants
[98], offrant des amants à la femme, dont elle abrite les passades
[131], mettant son entresol à la disposition du jeune Maxime
Saccard [133]. Elle juge les femmes d'un coup d'il, comme les
amateurs jugent les chevaux [132] et s'emploie, moyennant finances,
à protéger toutes les turpitudes et àétouffer
tous les scandales. Mielleuse et aimant l'église, Sidonie est
au fond très vindicative. Pleine de colère contre Renée,
qui s'est révoltée devant la grossièreté
d'un de ses marchés d'amour [235], elle se charge de l'espionner
et dénonce à Aristide ses amours avec Maxime [310]. Cette
dernière infamie lui rapporte dix mille francs [336], qu'elle
va manger à Londres, à la recherche des milliards fabuleux.
(La Curée.)
Son mari mort et enterré, elle a eu
une fille quinze mois après, en janvier 1851, sans savoir au
juste où elle l'a prise. L'enfant, déposée sans
état civil, par la sage-femme Foucart, à, l'Assistance
publique, a reçu les prénoms d'Angélique Marie.
Jamais le souvenir de cette enfant, née d'un hasard, n'a échauffé
le cur de la mère [50]. (Le Rêve.)
Sidonie vient à l'enterrement de son
cousin le peintre Claude Lantier. Elle a toujours sa tournure louche
de brocanteuse. Arrivée rue Tourlaque, elle monte, fait le tour
de l'atelier, flaire cette Misère Due et redescend, la bouche
dure, irritée d'une corvée inutile [477]. (L'uvre.)
Beaucoup plus tard, lasse de métiers
louches, elle se retire, désormais d'une austérité
monacale, à l'ombre d'une sorte de maison religieuse; elle est
trésorière de l'uvre du Sacrement, pour aider au
mariage des filles-mères [l29]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Sidonie Rougon, née en 1818; épouse,
en 1838, un clerc d'avoué de Plassans, qu'elle perd à
Paris, en 1850 ; a d'un inconnu, en 1851, une fille qu'elle met aux
Enfants Assistés. [Élection du père. Ressemblance
physique avec la mère]. Courtière, entremetteuse, tous
les métiers, puis austère. Vit encore à Paris,
trésorière de l'uvre du Sacrement. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart.)
Rougon (Victor).
Voir SACCARD (Victor).
Rougon (X ... )
(1). Fils de Clotilde Rougon, dite Saccard, et de son oncle Pascal
Rougon. Sa mère était enceinte de deux mois lorsque Pascal
est mort, emporté par une angine de poitrine [34-2]. Il vient
au monde dans les derniers jours de mai 1874. Et Clotilde, allaitant
l'enfant né de son amour, tâche de lui trouver des ressemblances.
De Pascal, il a le front et les yeux, quelque chose de haut et de solide
dans la carrure de la tête. Elle-même se reconnaît
en lui, avec sa bouche fine et son menton délicat. Mais elle
a de sourdes inquiétudes en pensant aux terribles ascendants
inscrits sur l'arbre généalogique, confiante pourtant,
rassurée devant les yeux limpides qui s'ouvrent ravis, désireux
de la lumière [390]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Enfant inconnu, à naître
en 1874. Que sera-t-il ? (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Rousse (La).
Jeune paysanne des Artaud. Fille superbe, cheveux et peau de
cuivre [283]. (La Faute de l'abbé Mouret.)
Rousse (La).
Une vache des Hamelin, cultivateurs à Soulanges (Nièvre).
Angélique Marie la conduisait aux champs [14]. (Le Rêve.)
Rousseau.
Commissaire-censeur de la Banque Universelle. Partage cette fonction
avec Lavignière, à qui il est complètement inféodé
[139]. (L'Argent.)
Rousselot (Monseigneur).
Archevêque de Plassans. Soixante ans. Vit frileusement
dans son cabinet, en douairière retirée du monde, ayant
horreur du bruit, se déchargeant sur le vicaire général
Fenil du soin de son diocèse. Il adore les littératures
anciennes et traduit Horace en secret [151]. Cet indolent prélat,
à l'amabilité enjouée, aux manières exquises,
tremble devant son vicaire général, qui le mène
par le bout du nez, jusqu'au jour où Faujas, venu de Paris pour
arracher Plassans aux influences ultramontaines, engage la lutte avec
Fenil et s'empare à son tour de l'archevêque. Au fond,
celui-ci est un aimable sceptique ; il se moque de tout le monde, ne
se passionnant que pour les petits vers de l'Anthologie grecque et se
bornant à souhaiter que les loups qui l'entourent se mangent
entre eux. (La Conquête de Plassans.)
Roussie (La).
Une hercheuse d'autrefois. Vivait au temps du vieux Bonnemort
et du père Mouque [141]. (Germinal.)
Roustan (Abbé).
Vicaire à Saint-Eustache. Bel homme, d'une quarantaine
d'années, l'air souriant et bon. Discret et sage, l'abbé
est consulté par Lisa Quenu dans les cas difficiles, sans que
jamais il soit question de religion entre eux [254]. C'est à
lui qu'elle demande conseil sur la conduite que l'honnêteté
l'autorise à tenir vis-à-vis de son beau-frère
; elle est décidée à se débarrasser de Florent,
et l'abbé Roustan met une habileté essentiellement ecclésiastique
à lui faire comprendre que tous les moyens sont bons. (Le Ventre
de Paris.)
Rouvet.
Vieux paysan beauceron, du village de Zéphyrin Lacour et de Rosalie
Pichon. Une de leurs joies consiste à se rappeler les raves du
père Rouvet [338]. (Une Page d'amour.)
Rozan (Duc de).
A été le premier amant de Renée Saccard,
grâce à l'obligeant intermédiaire de madame de Lauwerens
[133]. Remarqué pour sa douceur et sa tenue, il a été
trouvé, en tête-à-tête, nul, déteint,
assommant [ 130]. A trente-cinq ans, las d'ennuyer les femmes de son
monde, il aspire aux faveurs exclusives de Laure d'Aurigny ; mais, tenu
en laisse par la duchesse sa mère, il se met entre les mains
de l'usurier Larsonneau, qui lui fait des prêts à cinquante
pour cent [254] Devenu maître de son patrimoine, il laisse cinq
cent mille francs aux mains de Laure et mange son second demi-million
avec Blanche Müller [313]. (La Curée.)
Rozan (Duchesse de).
Mère du jeune due, qu'elle tient en charte privée
jusqu'à l'âge de trente-cinq ans, au point de ne pas lui
donner plus d'une dizaine de louis à la fois [254.]. Cette mère,
trop rigide, meurt de saisissement devant les cent cinquante mille francs
de billets souscrits par son fils à l'usurier Larsonneau [343].
(La Curée.)
Rusconi (Chevalier).
Légat d'Italie. Beau brun, diplomate grave à ses
heures. Il traite les affaires politiques chez la comtesse Balbi, tourne
autour de Clorinde avec sa galanterie langoureuse de bel Italien [185]
et seconde activement les vues de Cavour en vue d'une alliance contre
l'Autriche [370]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
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