Jacques Louis David

1748-1825

Jacques-Louis David était le peintre officiel de la Révolution et un membre de la Convention au plus fort de la Terreur. Il a toujours mis son art aux services de ses idéaux à travers les fêtes révolutionnaires, ou la propagande. Homme dangereux car manipulateur de l'art au service d'une cause, ce livre décrit les liens du peintre avec le domaine politique, la modernité de son action face à l'Histoire.

Époque révolutionnaire

En 1788 David fait le portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme. Le chimiste Antoine Lavoisier qui est aussi fermier général et occupe à l'époque la fonction d' administrateur des poudres et salpêtres, a provoqué en août 1789 une émeute à l'arsenal de Paris pour y avoir entreposé de la poudre à canon. Suite à cet incident, l'administration des Beaux-Arts juge plus prudent de ne pas exposer le tableau au salon de 1789[46].

C'est aussi ce qui faillit arriver pour la toile Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils. D'Angiviller craignant une comparaison entre l'intransigeance du consul Lucius Junius Brutus sacrifiant ses fils qui conspiraient contre la république romaine, et la faiblesse de Louis XVI face aux agissements du comte d'Artois contre le tiers-état, ordonna de ne pas l'exposer alors qu'il s'agissait d'une commande des bâtiments du roi[47]. Les journaux de l'époque se saisirent de l'affaire, y voyant une censure des autorités[48]. Peu après cette campagne de presse le tableau est exposé au Salon, mais le peintre consent d'enlever les têtes tranchées des fils de Brutus plantés sur des piques qui figuraient initialement sur la toile[49]. Le Brutus connaît une grande popularité auprès du public allant jusqu'à influencer la mode et le mobilier. On adopte des coiffures «à la Brutus», les femmes abandonnent les perruques poudrées et l'ébéniste Jacob réalise des meuble «romains» dessinés par David [50].

David fréquente depuis 1786 le milieu des aristocrates libéraux. Par l’intermédiaire des frères Trudaine il fait la connaissance entre autres de Chénier, Bailly et Condorcet, au salon de Mme de Genlis il rencontre Barère, Barnave et Alexandre de Lameth futurs protagonistes de la Révolution[51]. Deux anciens condisciples nantais rencontrés à Rome, l’architecte Mathurin Crucy et le sculpteur Jacques Lamarie, lui propose de faire une allégorie pour célébrer les événements pré-révolutionnaire qui se sont déroulés à Nantes à la fin de l’année 1788, le projet n’aboutit pas mais affirme la sympathie de David pour la cause révolutionnaire[52]. En septembre 1789 prenant la tête avec Jean-Bernard Restout, des Académiciens dissidents un groupe fondé pour réformer l'institution des Beaux-arts, il demande la fin des privilèges de l’Académie, et notamment le droit aux artistes non agréés de pouvoir exposer au salon[53].


Dessin pour le Serment du jeu de paume (1791) château de VersaillesEn 1790, il entreprend de commémorer le Serment du jeu de paume. Ce projet inspiré au peintre par Dubois-Crancé et Barère, est la plus ambitieuse réalisation du peintre. L'œuvre qui, une fois terminé, aurait été le plus grand tableau de David (dix mètres de large sur sept mètres de haut, un peu plus grand que le Sacre) devait représenter les 630 députés présent lors de l'événement. Le projet est d'abord proposé, par son premier secrétaire Dubois-Crancé, à la Société des amis de la constitution, premier nom du Club des Jacobins, dont David vient d'adhérer[54]. Une souscription pour la vente d'une gravure d'après le tableau pour le financement du projet est lancée mais celle-ci ne permet pas de réunir les fonds nécessaires pour l'achèvement du tableau.

En 1791 Barère proposa à l'Assemblée Constituante de prendre la suite du financement du Serment, mais malgré le succès de l'exposition du dessin au salon de 1791 le tableau ne fut jamais achevé, David abandonnant définitivement le projet en 1801. Selon les biographes les causes sont multiples, d'abord financières, la souscription est un échec, une somme de 6624 livres est réunie au lieu des 72000 livres prévues[55], ensuite pour des raisons politiques, l'évolution des événements fait que certaines personnalités comme Barnave, Bailly et Mirabeau sont discrédités par les patriotes pour leurs modérantisme et leurs rapprochements avec Louis XVI[56], et pour des raisons esthétiques, David n'étant pas satisfait de la représentation de costumes modernes dans un style antique[57].

Tout en poursuivant son activité artistique, il entre en politique, en prenant la tête en 1790 de la Commune des arts, issue du mouvement des Académiciens dissidents. Il obtient en 1790 la fin du contrôle du Salon par l’Académie des beaux-arts et participe comme commissaire adjoint au premier « Salon de la liberté » qui ouvre le 21 aout 1791. En septembre 1790 il milite auprès de l’assemblée pour la suppression de toutes les Académies, la décision n'est entérinée par un décret soutenu par le peintre et l’abbé Grégoire que le 8 aout 1793, entre temps il fait aussi supprimer le poste de directeur de l'Académie de Rome[58].

Le 11 juilet 1791 a lieu le transfert des cendres de Voltaire au Panthéon, des doutes subsistent quant au rôle de David dans son organisation. Il semble en fait n'avoir été qu'un conseiller et ne pas avoir pris une part active à la cérémonie

Elève de Joseph Marie Vien

Au service de Bonaparte (Napoléon Ier)

Professeur de Michel-Martin Drölling, Antoine-Jean Gros, François-Pascal-Simon Gérard, Jean Auguste Dominique Ingres, Marie-Guillemine Benoist, Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, Germain-Jean Drouais, Pierre-Nolasque Bergeret, Henri-François Riesener, Abel Alexandre-Denis de Pujol et Louis Léopold Robert


Peintre et conventionnel

Dès août 1790, Charlotte David, en désaccord avec les opinions de son mari, engage leur séparation et se retire un temps dans un couvent. Le 17 juillet 1791 David fait partie des signataires de la pétition demandant la déchéance de Louis XVI réunis au Champ de Mars juste avant la fusillade, il fait à cette occasion la connaissance de Roland[60]. En septembre de la même année il tente sans succès de se faire élire comme député à l'Assemblée législative[61]. Son activité artistique se fait moins présente : s' il trouve le temps de faire son deuxième autoportrait dit Autoportrait aux trois collets (1791 Florence Galerie des Offices), il laisse inachevés plusieurs portraits dont ceux de Mme Pastoret et Mme Trudaine.

En 1792 ses positions politiques se radicalisent : le 15 avril il organise sa première fête révolutionnaire en l'honneur des gardes suisses de Chateauvieux qui s'étaient mutinés dans la garnison de Nancy. Son soutien à cette cause provoque la rupture définitive avec ses anciennes relations libérales, notamment André Chénier et Mme de Genlis.

Le 17 septembre 1792 il est élu 20e député de Paris à la Convention nationale avec 450 voix aux élections du second degré[62], et le soutien de Jean-Paul Marat qui le classe parmi les «excellents patriotes»[63]. Il siège avec le parti de la Montagne.

Peu après le 13 octobre il est nommé au Comité d'instruction publique et à ce titre, est chargé de l'organisation des fêtes civiques et révolutionnaires, ainsi que de la propagande. Au Comité, de 1792 à 1794, il s'occupe de l'administration des arts, qui s'ajoute à son combat contre l'Académie. Également membre de la Commission des monuments, il propose l'établissement d'un inventaire de tous les trésors nationaux et joue un rôle actif dans la réorganisation du Muséum des Arts, offrant un poste à Jean-Honoré Fragonard. Il conçoit au début de l'année 1794 un programme d'embellissement de Paris et fait installer les chevaux de Marly de Guillaume Coustou à l'entrée des Champs Élysées[64].

Du 16 au 19 janvier 1793 (27 au 30 nivôse an I) il vote pour la mort du roi Louis XVI, ce qui provoque la procédure de divorce intentée par son épouse. Le 20 janvier le conventionnel Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau est assassiné pour avoir lui aussi voté la mort du roi. David est chargé par Barère de la cérémonie funéraire et fait exposer le corps place des Piques[65]. Il représente ensuite le député sur son lit de mort dans un tableau exposé à la Convention, puis récupéré par le peintre en 1795, probablement détruit en 1826 par la fille du conventionnel assassiné[66]. Il reste connu par un dessin de son élève Anatole Desvoge, et une gravure de Tardieu.


Pierre-Antoine Demachy Fête de l’Etre suprême au Champ de Mars (20 prairial an II - 8 juin 1794). Musée CarnavaletÀ l'annonce de l'assassinat de Marat le 13 juillet 1793, la Convention, par la voix de l'orateur François Élie Guirault porte-parole de la Section du Contrat-Social, commande à David de faire pour Marat ce qu'il avait fait pour Lepeletier. Proche relation du conventionnel, David avait fait partie des derniers députés à l'avoir vu vivant la veille de l'assassinat[67]. Il peint, avec Marat assassiné (1793), un de ses tableaux les plus célèbres et emblématiques de sa période révolutionnaire, exposant le crime dans sa crudité. Il s'occupe aussi des funérailles en organisant le 16 juillet une cérémonie quasi-religieuse dans l'église des Cordeliers précédée par un cortège funèbre[68]. En octobre 1793, David annonce l'achèvement de sa toile. De novembre 1793, jusqu'à février 1795, les tableaux de Lepelletier et Marat vont sieger dans la salle des séances de la Convention.

Avec La Mort du jeune Barra David fait son troisième et dernier tableau sur le thème du martyr révolutionnaire, en prenant cette fois comme exemple le cas d'un jeune tambour de treize ans Joseph Barra, tué lors de la guerre de Vendée pour avoir, selon la légende, refusé de crier « vive le roi ». Il était aussi chargé d'une célébration révolutionnaire pour sa panthéonisation, mais les évènements du 9 thermidor date de la chute de Robespierre font abandonner le projet[69].

David avait aussi envisagé de célébrer un autre héros, le général marquis de Dampierre, dont il a fait quelques croquis préparatoires à une toile qui ne sera pas réalisé, le projet fut peut être interrompu à l'annonce de l'assassinat de Marat[70].

A partir de la seconde moitié de l'année 1793 David occupe plusieurs postes à responsabilité politique, en juin il est nommé président du club des jacobins, le mois suivant il est secrétaire de la Convention. Il prend une part active dans la politique de la Terreur en devenant le 14 septembre 1793 membre du Comité de sûreté générale et préside la section des interrogatoires[71]. À ce titre il contresigne environ trois-cent mandats d'arrestation, et une cinquantaine d'arrêtés traduisant les suspects devant le tribunal révolutionnaire. Il intervient entre autres dans l'arrestation de Fabre d'Églantine, ainsi que dans celle du général Alexandre de Beauharnais, et dans le cadre du procès de Marie antoinette, il participe comme témoin à l'interrogatoire du Dauphin. Il n'interviendra pas pour empêcher l'execution d'anciens amis et commanditaire comme les frères Trudaines, Lavoisier, la duchesse de Noaille pour qui il avait peint un christ en croix ou André Chenier, et Carle Vernet lui imputera la responsabilité de l'exécution de sa sœur Madame Chalgrin. Cependant il protégea Dominique Vivant Denon en lui procurant un poste de graveur[72] et aida son élève Antoine Jean Gros dont les opinions royalistes pouvaient en faire un suspect, en lui donnant les moyens de s'expatrier en Italie. En 1794 David est nommé président de la Convention, fonction qu'il occupe du 5 au 21 janvier (16 nivôse au 2 pluviôse an II).

Il organise la cérémonie de la Fête de l'Être suprême.


Pendant le Directoire

Les SabinesAprès la chute de Robespierre, le 9 thermidor (27 juillet 1794), David est compris dans la proscription. Mais absent de la convention ce jour-là, ayant été prévenu par un ami, il échappe de justesse à l'échafaud. Dénoncé par Lecointre comme robespierriste il est mis en accusation et emprisonné à l'ancien Hôtel des Fermes générales, puis au Luxembourg. Ses étudiants se mobilisent et obtiennent sa libération le 8 nivôse an III (28 décembre 1794). Il est à nouveau emprisonné en 1795 avant d'être amnistié.

Durant son emprisonnement, David ne reste pas inactif, il peint l' Autoportrait du Louvre et conçoit Les Sabines. Ce tableau est une œuvre capitale de David, de style néo-classique, dans lequel il symbolise les rivalités fratricides des factions révolutionnaires et les vertus de la concorde. Les Sabines attira les critiques des Barbus, un groupe constitué de certains de ses élèves par Pierre-Maurice Quays qui prônait un retour au primitivisme. David dut se séparer de ces éléments perturbateurs.

C'est à cette époque qu'il reprend contact avec son ex-épouse Charlotte qui lui pardonne ses actes et qui accepte de l'épouser à nouveau.


Époque napoléonienne

Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard (1800) château de MalmaisonDès les premiers succès de Bonaparte en Italie, il fut séduit car il retrouvait en lui ses héros légendaires . Vers la fin de l'an VI (1797), sa rencontre avec le jeune général Bonaparte achève de le convaincre et il fait son premier portrait qui demeure inachevé.

Il réalisa, pour le nouveau maître de la France puis de l'Europe, plusieurs tableaux à des fins de propagande et devint le peintre officiel du Premier Empire. Sa première représentation majeure fut Bonaparte au Grand-Saint-Bernard monté sur un cheval fougueux. David dont c'était la première grande réalisation pour Bonaparte voulut en faire un tableau symbolisant le conquérant dans la ligne d'Hannibal avec le nom de Bonaparte gravé sur une pierre, en bas, à gauche du tableau. Originellement la toile fut commandée par le roi d'Espagne. Il existe quatre autres exemplaires de ce tableau qui furent exécutés par l'atelier de David. Cette œuvre majeure reproduite en France dans tous les manuels d'histoire depuis Jules Ferry est un des rares portraits équestres de Napoléon.

Le premier consul Bonaparte voulait nommer David « peintre du gouvernement » mais ce dernier refuse ce titre estimant mériter plus, et en 1804, le nouvel empereur l'investit dans la fonction de « premier peintre », fonction qu'avait occupé Charles Le Brun auprès du Roi Soleil. Ainsi à l'occasion des cérémonies du Couronnement, David reçoit commande de quatre tableaux dont il n'en exécutera que deux, « Le Sacre de Napoléon » et La Distribution des Aigles, à cause de difficultés de paiement.

Il réalisa Le Sacre de Napoléon en trois ans et disposa pour ce faire d'une loge à Notre-Dame d'où il put suivre, les épisodes et les détails de la grandiose cérémonie. Il a relaté lui-même comment il opéra : « J'y dessinai l'ensemble d'après nature, et je fis séparément tous les groupes principaux. Je fis des notes pour ce que je n'eus pas le temps de dessiner, ainsi on peut croire, en voyant le tableau, avoir assisté à la cérémonie. Chacun occupe la place qui lui convient, il est revêtu des habillements de sa dignité. On s'empressa de venir se faire peindre dans ce tableau, qui contient plus de deux cents figures… ». Cependant, le tableau n'est pas tout à fait véridique sur au moins deux points : la mère de Napoléon représentée dans la tribune la plus proche de l'autel, selon le vœu de l'empereur, n'assista pas à la cérémonie, et le pape Pie VII, représenté bénissant le mariage, n'a été en réalité que simple spectateur, restant toute la cérémonie assis dans une attitude résignée.

Dans le tableau La Distribution des Aigles il dut sur ordre de l'empereur réaliser deux modifications importantes : il vida le ciel de la « Victoire qui jette des lauriers aux officiers brandissant drapeaux et étendards » et après 1809 il fit disparaître de la scène Joséphine répudiée. La première modification rendit sans objet le mouvement de tête des maréchaux regardant désormais le vide à l'emplacement où se trouvait l'allégorie.

Vers la fin de l'Empire, les commandes officielles se raréfient et David achève son tableau Léonidas aux Thermopyles un épisode de l'histoire de l'Antiquité grecque qui va devenir à la mode. Ce tableau fut conçu par David vers 1800, époque où la glorification des vertus héroïques du sacrifice pour la nation était un modèle à suivre. Le Roi Léonidas à la tête de trois cents guerriers résolus, tient tête à plusieurs centaines de milliers de soldats perses, donnant aux Grecs le temps de se reprendre. Le tableau fut achevé en mai 1814, alors que Napoléon venait d'abdiquer et de s'exiler sur l'île d'Elbe. Lors des Cent-Jours, Napoléon de passage à Paris prit le temps d'aller voir le tableau. Le peintre conserva sa fidélité à l'Empereur en signant l' « Acte additionnel ».

Après la bataille de Waterloo, et le retour du roi Louis XVIII sur le trône, David, pour avoir signé l' « Acte additionnel », est définitivement proscrit du royaume de France et doit partir en exil, après la loi du 12 janvier 1816.


Exil à Bruxelles

Portrait de David (1817) par François-Joseph NavezDans un premier temps, il sollicite l'asile auprès de l'Italie qui le lui refuse. La Belgique plus libérale le reçoit et il retrouve à Bruxelles d'autres anciens conventionnels : Barrère, Pierre Joseph Cambon, Merlin de Douai, Thibaudeau, Alquier et Sieyès.

Il exécute de nombreux portraits pour vivre, mais ses capacités sont encore là, il n'a pas renoncé à la « grande manière » et reprend ses sujets liés à la mythologie grecque et romaine.

Refusant les généreuses interventions tendant à obtenir son retour en France, il restera en Belgique jusqu'à sa mort neuf ans plus tard malgré une amnistie. Dans ce pays, il a enfin trouvé la quiétude et, presque octogénaire, il exécute sans commanditaire en 1824, un tableau de plus de trois mètres de haut, « Mars désarmé par Vénus et les Grâces ». Ce fut sa dernière grande œuvre et David mourut l'année suivante, en 1825.