Emile Zola
Pot-Bouille 1882
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Pot-Bouille - 2 Lorsque Mme Josserand, précédée de ses demoiselles, quitta la soirée de Mme Dambreville, qui habitait un quatrième, rue de Rivoli, au coin de la rue de lOratoire, elle referma rudement la porte de la rue, dans léclat brusque dune colère quelle contenait depuis deux heures. Berthe, sa fille cadette, venait encore de manquer un mariage. Eh bien ! que faites-vous là ? dit-elle avec emportement aux jeunes filles, arrêtées sous les arcades et regardant passer des fiacres. Marchez donc ! Si vous croyez que nous allons prendre une voiture ! Pour dépenser encore deux francs, nest-ce pas ? Et, comme Hortense, laînée, murmurait : Ça va être gentil, avec cette boue. Mes souliers nen sortiront pas. Marchez ! reprit la mère, tout à fait furieuse. Quand vous naurez plus de souliers, vous resterez couchées, voilà tout. Ça avance à grand-chose, quon vous sorte ! Berthe et Hortense, baissant la tête, tournèrent dans la rue de lOratoire. Elles relevaient le plus haut possible leurs longues jupes sur leurs crinolines, les épaules serrées et grelottantes sous de minces sorties de bal. Mme Josserand venait derrière, drapée dans une vieille fourrure, des ventres de petits-gris râpés comme des peaux de chat. Toutes trois, sans chapeau, avaient les cheveux enveloppés dune dentelle, coiffure qui faisait retourner les derniers passants, surpris de les voir filer le long des maisons, une par une, le dos arrondi, les yeux sur les flaques. Et lexaspération de la mère montait encore, au souvenir de tant de retours semblables, depuis trois hivers, dans lempêtrement des toilettes, dans la crotte noire des rues et les ricanements des polissons attardés. Non, décidément, elle en avait assez, de trimbaler ses demoiselles aux quatre bouts de Paris, sans oser se permettre le luxe dun fiacre, de peur davoir le lendemain à retrancher un plat du dîner ! Et ça fait des mariages ! dit-elle tout haut, en revenant à Mme Dambreville, parlant seule pour se soulager, sans même sadresser à ses filles, qui avaient enfilé la rue Saint Honoré. Ils sont jolis, ses mariages ! Un tas de pimbêches qui lui arrivent on ne sait doù ! Ah ! si lon ny était pas forcé ! Cest comme son dernier succès, cette nouvelle mariée quelle a sortie, afin de nous montrer que ça ne ratait pas toujours : un bel exemple ! une malheureuse enfant quil a fallu remettre au couvent pendant six mois, après une faute, pour la reblanchir ! Les jeunes filles traversaient la place du Palais-Royal, lorsquune averse tomba. Ce fut une déroute. Elles sarrêtèrent, glissant, pataugeant, regardant de nouveau les voitures qui roulaient à vide. Marchez ! cria la mère, impitoyable. Cest trop près maintenant, ça ne vaut pas quarante sous Et votre frère Léon qui a refusé de sen aller avec nous, de crainte quon ne le laissât payer ! Tant mieux sil fait ses affaires chez cette dame ! mais nous pouvons dire que ce nest guère propre. Une femme qui a dépassé la cinquantaine et qui ne reçoit que des jeunes gens ! Une ancienne pas grand-chose quun personnage a fait épouser à cet imbécile de Dambreville, en le nommant chef de bureau ! Hortense et Berthe trottaient sous la pluie, lune devant lautre, sans avoir lair dentendre. Quand leur mère se soulageait ainsi, lâchant tout, oubliant le rigorisme de belle éducation où elle les tenait, il était convenu quelles devenaient sourdes. Pourtant, Berthe se révolta, en entrant dans la rue de lÉchelles sombre et déserte. Allons, bon ! dit-elle, voilà mon talon qui part Je ne peux plus aller, moi ! Mme Josserand devint terrible. Voulez-vous bien marcher ! Est-ce que je me plains ? Est-ce que cest ma place, dêtre dans la rue à cette heure, par un temps pareil ? Encore si vous aviez un père comme les autres ! Mais non, monsieur reste chez lui à se goberger. Cest toujours mon tour de vous conduire dans le monde, jamais il naccepterait la corvée. Eh bien ! je vous déclare que jen ai par-dessus la tête. Votre père vous sortira, sil veut ; moi, du diable si je vous promène désormais dans des maisons où lon me vexe ! Un homme qui ma trompée sur ses capacités et dont je suis encore à tirer un agrément ! Ah ! Seigneur Dieu ! en voilà un que je népouserais pas, si cétait à refaire ! Les jeunes filles ne protestaient plus. Elles connaissaient ce chapitre intarissable des espoirs brisés de leur mère. La dentelle collée au visage, les souliers trempés, elles suivirent rapidement la rue Sainte-Anne. Mais, rue de Choiseul, à la porte de sa maison, une dernière humiliation attendait Mme Josserand : la voiture des Duveyrier qui rentraient, léclaboussa. Dans lescalier, la mère et les demoiselles, éreintées, enragées, avaient retrouvé leur grâce, lorsquelles avaient dû passer devant Octave. Seulement, leur porte refermée, elles sétaient jetées à travers lappartement obscur, se cognant aux meubles, se précipitant dans la salle à manger, où M. Josserand écrivait, à la lueur pauvre dune petite lampe. Manqué ! cria Mme Josserand, en se laissant aller sur une chaise. Et, dun geste brutal, elle arracha la dentelle qui lui enveloppait la tête, elle rejeta sur le dossier sa fourrure, et apparut en robe feu garnie de satin noir, énorme, décolletée très bas, avec des épaules encore belles, pareilles à des cuisses luisantes de cavale. Sa face carrée, aux joues tombantes, au nez trop fort, exprimait une fureur tragique de reine qui se contient pour ne pas tomber à des mots de poissarde. Ah ! dit simplement M. Josserand, ahuri par cette entrée violente. Il battait des paupières, pris dinquiétude. Sa femme lanéantissait, quand elle étalait cette gorge de géante, dont il croyait sentir lécroulement sur sa nuque. Vêtu dune vieille redingote usée quil achevait chez lui, le visage comme trempé et effacé dans trente-cinq années de bureau, il la regarda un instant de ses gros yeux bleus, aux regards éteints. Puis, après avoir rejeté derrière ses oreilles les boucles de ses cheveux grisonnants, très gêné, ne trouvant pas un mot, il essaya de se remettre au travail. Mais vous ne comprenez donc pas ! reprit Mme Josserand dune voix aiguë, je vous dis que voilà encore un mariage à la rivière, et cest le quatrième ! Oui, oui, je sais, le quatrième, murmura-t-il. Cest ennuyeux, bien ennuyeux Et, pour échapper à la nudité terrifiante de sa femme, il se tourna vers ses filles, avec un bon sourire. Elles se débarrassaient également de leurs dentelles et de leurs sorties de bal, laînée en bleu, la cadette en rose ; et leurs toilettes, de coupe trop libre, de garnitures trop riches, étaient comme une provocation. Hortense, le teint jaune, le visage gâté par le nez de sa mère, qui lui donnait un air dobstination dédaigneuse, venait davoir vingt-trois ans et en paraissait vingt-huit ; tandis que Berthe, de deux ans plus jeune, gardait toute une grâce denfance, ayant bien les mêmes traits, mais plus fins, éclatants de blancheur, et menacée seulement du masque épais de la famille vers la cinquantaine. Quand vous nous regarderez toutes les trois ! cria Mme Josserand. Et, pour lamour de Dieu ! lâchez vos écritures, qui me portent sur les nerfs ! Mais, ma bonne, dit-il paisiblement, je fais des bandes. Ah ! oui, vos bandes à trois francs le mille ! Si cest avec ces trois francs-là que vous espérez marier vos filles ! Sous la maigre lueur de la petite lampe, la table était en effet semée de larges feuilles de papier gris, des bandes imprimées dont M. Josserand remplissait les blancs, pour un grand éditeur, qui avait plusieurs publications périodiques. Comme ses appointements de caissier ne suffisaient point, il passait des nuits entières à ce travail ingrat, se cachant, pris de honte à lidée quon pouvait découvrir leur gêne. Trois francs, cest trois francs, répondit-il de sa voix lente et fatiguée. Ces trois francs-là vous permettent dajouter des rubans à vos robes et doffrir des gâteaux à vos gens du mardi. Il regretta tout de suite sa phrase, car il sentit quelle frappait Mme Josserand en plein cur, dans la plaie sensible de son orgueil. Un flot de sang empourpra ses épaules, elle parut sur le point déclater en paroles vengeresses ; puis, par un effort de dignité, elle bégaya seulement : Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! Et elle regarda ses filles, elle écrasa magistralement son mari sous un haussement de ses terribles épaules, comme pour dire : « Hein ? vous lentendez ? quel crétin ! » Les filles hochèrent la tête. Alors, se voyant battu, laissant à regret sa plume, le père ouvrit le journal le Temps, quil apportait chaque soir de son bureau. Saturnin dort ? demanda sèchement Mme Josserand, parlant de son fils cadet. Il y a longtemps, répondit-il. Jai également renvoyé Adèle Et Léon, vous lavez vu, chez les Dambreville ? Parbleu ! il y couche ! lâcha-t-elle dans un cri de rancune, quelle ne put retenir. Le père, surpris, eut la naïveté dajouter : Ah ! tu crois ? Hortense et Berthe étaient devenues sourdes. Elles eurent pourtant un faible sourire, en affectant de soccuper de leurs chaussures, qui étaient dans un pitoyable état. Pour faire diversion, Mme Josserand chercha une autre querelle à M. Josserand : elle le priait de remporter son journal chaque matin, de ne pas le laisser traîner tout un jour dans lappartement, comme la veille par exemple ; justement un numéro où il y avait un procès abominable, que ses filles auraient pu lire. Elle reconnaissait bien là son peu de moralité. Alors, on va se coucher ? demanda Hortense. Moi, jai faim. Oh ! et moi donc ! dit Berthe. Je crève. Comment ! vous avez faim ! cria Mme Josserand, outrée. Vous navez donc pas mangé de la brioche, là-bas ? En voilà des dindes ! Mais on mange ! Moi, jai mangé. Ces demoiselles résistèrent. Elles avaient faim, elles en étaient malades. Et la mère finit par les accompagner à la cuisine, pour voir sil ne restait pas quelque chose. Aussitôt, furtivement, le père se remit à ses bandes. Il savait bien que, sans ses bandes, le luxe du ménage aurait disparu ; et cétait pourquoi, malgré les dédains et les querelles injustes, il sentêtait jusquau jour dans ce travail secret, heureux comme un brave homme lorsquil simaginait quun bout de dentelle en plus déciderait dun riche mariage. Puisquon rognait déjà sur la nourriture, sans pouvoir suffire aux toilettes et aux réceptions du mardi, il se résignait à sa besogne de martyr, vêtu de loques, pendant que la mère et les filles battaient les salons, avec des fleurs dans les cheveux. Mais cest une infection, ici ! cria Mme Josserand en entrant dans la cuisine. Dire que je ne puis pas obtenir de ce torchon dAdèle quelle laisse la fenêtre entrouverte ! Elle prétend que, le matin, la pièce est gelée. Elle était allée ouvrir la fenêtre, et de létroite cour de service montait une humidité glaciale, une odeur fade de cave moisie. La bougie que Berthe avait allumée, faisait danser sur le mur den face des ombres colossales dépaules nues. Et comme cest tenu ! continuait Mme Josserand, flairant partout, mettant son nez dans les endroits malpropres. Elle na pas lavé sa table depuis quinze jours Voilà des assiettes davant-hier. Ma parole, cest dégoûtant ! Et son évier, tenez ! sentez-moi un peu son évier ! Sa colère se fouettait. Elle bousculait la vaisselle de ses bras blanchis de poudre de riz et chargés de cercles dor ; elle traînait sa robe feu au milieu des taches, accrochant des ustensiles jetés sous les tables, compromettant parmi les épluchures son luxe laborieux. Enfin, la vue dun couteau ébréché la fit éclater. Je la flanque demain matin à la porte ! Tu seras bien avancée, dit tranquillement Hortense. Nous nen gardons pas une. Cest la première qui soit restée trois mois Dès quelles sont un peu propres et quelles savent faire une sauce blanche, elles filent. Mme Josserand pinça les lèvres. En effet, Adèle seule, débarquée à peine de sa Bretagne, bête et pouilleuse, pouvait tenir dans cette misère vaniteuse de bourgeois, qui abusaient de son ignorance et de sa saleté pour la mal nourrir. Vingt fois déjà, à propos dun peigne trouvé sur le pain ou dun fricot abominable qui leur donnait des coliques, ils avaient parlé de la renvoyer ; puis, ils se résignaient, devant lembarras de la remplacer, car les voleuses elles-mêmes refusaient dentrer chez eux, dans cette « boîte », où les morceaux de sucre étaient comptés. Cest que je ne vois rien du tout ! murmura Berthe, qui fouillait une armoire. Les planches avaient le vide mélancolique et le faux luxe des familles où lon achète de la basse viande, afin de pouvoir mettre des fleurs sur la table. Il ne traînait là que des assiettes de porcelaine à filets dorés, absolument nettes, une brosse à pain dont le manche se désargentait, des burettes où lhuile et le vinaigre avaient séché ; et pas une croûte oubliée, pas une miette de desserte, ni un fruit, ni une sucrerie, ni un restant de fromage. On sentait que la faim dAdèle, jamais contentée, torchait, jusquà dédorer les plats, les rares fonds de sauce laissés par les maîtres. Mais elle a donc mangé tout le lapin ! cria Mme Josserand. Cest vrai, dit Hortense, il restait le morceau de la queue Ah ! non, le voici. Aussi ça métonnait quelle eût osé Vous savez, je le prends. Il est froid, mais tant pis ! Berthe furetait de son côté, inutilement. Enfin, elle mit la main sur une bouteille, dans laquelle sa mère avait délayé un vieux pot de confiture de façon à fabriquer du sirop de groseille pour ses soirées. Elle sen versa un demi-verre, en disant : Tiens, une idée ! je vais tremper du pain là-dedans, moi ! Puisquil ny a que ça ! Mais Mme Josserand, inquiète, la regardait avec sévérité. Ne te gêne pas, emplis le verre pendant que tu y es ! Demain, nest-ce pas ? joffrirai de leau à ces dames et à ces messieurs ? Heureusement, un nouveau méfait dAdèle interrompit sa réprimande. Elle tournait toujours, cherchant des crimes, lorsquelle aperçut un volume sur la table ; et ce fut une explosion suprême. Ah ! la sale ! elle a encore apporté mon Lamartine dans la cuisine ! Cétait un exemplaire de Jocelyn. Elle le prit, le frotta, comme si elle leût essuyé ; et elle répétait quelle lui avait défendu vingt fois de le traîner ainsi partout, pour écrire ses comptes dessus. Berthe et Hortense, cependant, sétaient partagé le petit morceau de pain qui restait ; puis, emportant leur souper, elles avaient dit quelles voulaient se déshabiller dabord. La mère jeta sur le fourneau glacé un dernier coup dil, et retourna dans la salle à manger, en tenant son Lamartine étroitement serré sous la chair débordante de son bras. M. Josserand continua décrire. Il espérait que sa femme se contenterait de laccabler dun regard de mépris, en traversant la pièce pour aller se coucher. Mais elle se laissa tomber de nouveau sur une chaise, en face de lui, et le regarda fixement, sans parler. Il sentait ce regard, il était pris dune telle anxiété, que sa plume crevait le papier mince des bandes. Cest donc vous qui avez empêché Adèle de faire une crème pour demain soir ? dit-elle enfin. Il se décida à lever la tête, stupéfait. Moi, ma bonne ? Oh ! vous allez encore dire non, comme toujours Alors, pourquoi na-t-elle pas fait la crème que je lui ai commandée ? Vous savez bien que demain, avant notre soirée, nous avons à dîner loncle Bachelard, dont la fête tombe très mal, juste un jour de réception. Sil ny a pas une crème, il faudra une glace, et voilà encore cinq francs jetés à leau ! Il nessaya pas de se disculper. Nosant reprendre son travail, il se mit à jouer avec son porte-plume. Un silence régna. Demain matin, reprit Mme Josserand, vous me ferez le plaisir dentrer chez les Campardon et de leur rappeler très poliment, si vous pouvez, que nous comptons sur eux pour le soir Leur jeune homme est arrivé cette après-midi. Priez-les de lamener. Entendez-vous, je veux quil vienne. Quel jeune homme ? Un jeune homme, ce serait trop long à vous, expliquer Jai pris mes renseignements. Il faut bien que jessaye de tout, puisque vous me lâchez vos filles sur les bras, comme un paquet de sottises, sans plus vous occuper de leur mariage que de celui du grand Turc. Cette idée ralluma sa colère. Vous le voyez, je me contiens, mais jen ai, oh ! jen ai par-dessus la tête ! Ne dites rien, monsieur, ne dites rien, ou vraiment jéclate Il ne dit rien, et elle éclata quand même. À la fin, cest insoutenable ! Je vous avertis, moi, que je file un de ces quatre matins, et que je vous plante là, avec vos deux cruches de filles Est-ce que jétais née pour cette vie de sans-le-sou ? Toujours couper les liards en quatre, se refuser jusquà une paire de bottines, ne pas même pouvoir recevoir ses amis dune façon propre ! Et tout cela par votre faute ! Ah ! ne remuez pas la tête, ne mexaspérez pas davantage ! Oui, par votre faute ! Vous mavez trompée, monsieur, ignoblement trompée. On népouse pas une femme, quand on est décidé à la laisser manquer de tout. Vous faisiez le fanfaron, vous posiez pour un bel avenir, vous étiez lami des fils de votre patron, de ces frères Bernheim, qui, depuis, se sont si bien fichus de vous Comment ? vous osez prétendre quils ne se sont pas fichus de vous ? Mais vous devriez être leur associé, à cette heure ! Cest vous qui avez fait leur cristallerie ce quelle est, une des premières maisons de Paris, et vous êtes resté leur caissier, un subalterne, un homme à gages Tenez ! vous manquez de cur, taisez-vous. Jai huit mille francs, murmura lemployé. Cest un beau poste. Un beau poste, après plus de trente ans de service ! reprit Mme Josserand. On vous mange, et vous êtes ravi Savez-vous ce que jaurais fait, moi ? eh bien ! jaurais mis vingt fois la maison dans ma poche. Cétait si facile, javais vu ça en vous épousant, je nai cessé de vous y pousser depuis. Mais il fallait de linitiative et de lintelligence, il sagissait de ne pas sendormir sur son rond de cuir, comme un empoté. Voyons, interrompit M. Josserand, vas-tu maintenant me reprocher davoir été honnête ? Elle se leva, savança vers lui, en brandissant son Lamartine. Honnête ! comment lentendez-vous ? Soyez dabord honnête envers moi. Les autres ne viennent quensuite, jespère ! Et, je vous le répète, monsieur, cest ne pas être honnête que de mettre une jeune fille dedans, en ayant lair de vouloir être riche un jour, puis en sabrutissant à garder la caisse des autres. Vrai, jai été filoutée dune jolie façon ! Ah ! si cétait à refaire, et si javais seulement connu votre famille ! Elle marchait violemment. Il ne put retenir un commencement dimpatience, malgré son grand désir de paix. Tu devrais aller te coucher, Éléonore, dit-il. Il est plus dune heure, et je tassure que ce travail est pressé Ma famille ne ta rien fait, nen parle pas. Tiens ! pourquoi donc ? Votre famille nest pas plus sacrée quune autre, je pense Personne nignore, à Clermont, que votre père, après avoir vendu son étude davoué, sest laissé ruiner par une bonne. Vous auriez marié vos filles depuis longtemps, sil navait pas couru la gueuse, à soixante-dix ans passés. Encore un qui ma filoutée ! M. Josserand avait pâli. Il répondit dune voix tremblante, qui peu à peu sélevait : Écoutez, ne nous jetons pas une fois de plus nos familles à la tête Votre père ne ma jamais payé votre dot, les trente mille francs quil avait promis. Hein ? quoi ? trente mille francs ! Parfaitement, ne faites pas létonnée Et si mon père a éprouvé des malheurs, le vôtre sest conduit dune façon indigne à notre égard. Jamais je nai vu clair dans sa succession, il y a eu là toutes sortes de tripotages, pour que le pensionnat de la rue des Fossés-Saint-Victor restât au mari de votre sur, ce pion râpé qui ne nous salue plus aujourdhui Nous avons été volés comme dans un bois. Mme Josserand, toute blanche, sétranglait, devant la révolte inconcevable de son mari. Ne dites pas du mal de papa ! Il a été lhonneur de lenseignement pendant quarante ans. Allez donc parler de linstitution Bachelard dans le quartier du Panthéon ! Et quant à ma sur et à mon beau-frère, ils sont ce quils sont, ils mont volée, je le sais ; mais ce nest pas à vous de le dire, je ne le souffrirai pas, entendez-vous ! Est-ce que je vous parle, moi, de votre sur des Andelys, qui sest sauvée avec un officier ! Oh ! cest propre, de votre côté ! Un officier qui la épousée, madame Il y a encore loncle Bachelard, votre frère, un homme sans murs Mais vous devenez fou, monsieur ! Il est riche, il gagne ce quil veut dans la commission, et il a promis de doter Berthe Vous ne respectez donc rien ? Ah ! oui, doter Berthe ! Voulez-vous parier quil ne donnera pas un sou, et que nous aurons supporté inutilement ses habitudes répugnantes ? Il me fait honte, quand il vient ici. Un menteur, un noceur, un exploiteur qui spécule sur la situation, qui depuis quinze ans, en nous voyant à genoux devant sa fortune, memmène chaque samedi passer deux heures dans son bureau, pour que je vérifie ses écritures ! Ça lui économise cent sous Nous en sommes encore à connaître la couleur de ses cadeaux. Mme Josserand, lhaleine coupée, se recueillit un instant. Puis, elle poussa ce dernier cri : Vous avez bien un neveu dans la police, monsieur ! Il y eut un nouveau silence. La petite lampe pâlissait, des bandes volaient sous les gestes fiévreux de M. Josserand ; et il regardait sa femme en face, sa femme décolletée, décidé à tout dire et frémissant de son courage. Avec huit mille francs, on peut faire beaucoup de choses, reprit-il. Vous vous plaignez toujours. Mais il fallait ne pas mettre la maison sur un pied supérieur à notre fortune. Cest votre maladie de recevoir et de rendre des visites, de prendre un jour, de donner du thé et des gâteaux Elle ne le laissa pas achever. Nous y voilà ! Enfermez-moi tout de suite dans une boîte. Reprochez-moi de ne pas sortir nue comme la main Et vos filles, monsieur, qui épouseront-elles, si nous ne voyons personne ? Il ny a pas foule déjà Sacrifiez-vous donc, pour quon vous juge ensuite avec cette bassesse de cur ! Tous, madame, nous nous sommes sacrifiés. Léon a dû seffacer devant ses surs ; et il a quitté la maison, ne comptant plus que sur lui-même. Quant à Saturnin, le pauvre enfant, il ne sait pas même lire Moi, je me prive de tout, je passe les nuits Pourquoi avez-vous fait des filles, monsieur ? Vous nallez peut-être pas leur reprocher leur instruction ? À votre place, un autre homme se glorifierait du brevet de capacité dHortense et des talents de Berthe, qui a encore ravi tout le monde, ce soir, avec sa valse des Bords de lOise, et dont la dernière peinture, certainement, enchantera demain nos invités Mais vous, monsieur, vous nêtes pas même un père, vous auriez envoyé vos enfants garder les vaches, au lieu de les mettre en pension. Eh ! javais pris une assurance sur la tête de Berthe. Nest-ce pas vous, madame, qui, au quatrième versement, vous êtes servie de largent pour faire recouvrir le meuble du salon ? Et, depuis, vous avez même négocié les primes versées. Certes ! puisque vous nous laissez mourir de faim Ah ! vous pourrez bien vous mordre les doigts, si vos filles coiffent sainte Catherine. Me mordre les doigts ! Mais, tonnerre de Dieu ! cest vous qui mettez les maris en fuite, avec vos toilettes et vos soirées ridicules ! Jamais M. Josserand nétait allé si loin. Mme Josserand, suffoquée, bégayait les mots : « Moi, moi, ridicule ! » lorsque la porte souvrit : Hortense et Berthe revenaient, en jupon et en camisole, dépeignées, les pieds dans des savates. Ah bien ! ce quil fait froid, chez nous ! dit Berthe en grelottant. Ça vous gèle les morceaux dans la bouche Ici, au moins, il y a du feu, ce soir. Et toutes deux traînèrent des chaises, sassirent contre le poêle, qui gardait un reste de tiédeur. Hortense tenait du bout des doigts son os de lapin, quelle épluchait savamment. Berthe trempait des mouillettes dans son verre de sirop. Dailleurs, les parents, lancés, ne parurent pas même sapercevoir de leur entrée. Ils continuèrent. Ridicule, ridicule, monsieur ! Je ne le serai plus, ridicule ! Je veux quon me coupe la tête, si juse encore une paire de gants pour les marier À votre tour ! Et tâchez de nêtre pas plus ridicule que moi ! Parbleu ! madame, maintenant que vous les avez promenées et compromises partout ! Mariez-les, ne les mariez pas, je men fiche ! Je men fiche plus encore, monsieur Josserand ! Je men fiche tellement, que je vais les flanquer à la rue, si vous me poussez davantage. Pour peu que le cur vous en dise, vous pouvez même les suivre, la porte est ouverte Ah ! Seigneur ! quel débarras ! Ces demoiselles écoutaient tranquillement, habituées à ces explications vives. Elles mangeaient toujours, leur camisole tombée des épaules, frottant doucement leur peau nue contre la faïence tiède du poêle ; et elles étaient charmantes de jeunesse, dans ce débraillé, avec leur faim goulue et leurs gros yeux de sommeil. Vous avez bien tort de vous disputer, dit enfin Hortense, la bouche pleine. Maman se fait du mauvais sang, et papa sera encore malade demain, à son bureau Il me semble que nous sommes assez grandes pour nous marier toutes seules. Ce fut une diversion. Le père, à bout de force, feignit de se remettre à ses bandes ; et il restait le nez sur le papier, ne pouvant écrire, les mains agitées dun tremblement. Cependant, la mère, qui tournait dans la pièce comme une bonne lâchée, sétait plantée devant Hortense. Si tu parles pour toi, cria-t-elle, tu es joliment godiche ! Jamais ton Verdier ne tépousera. Ça, cest mon affaire, répondit carrément la jeune fille. Après avoir refusé avec mépris cinq ou six prétendants, un petit employé, le fils dun tailleur, dautres garçons quelle trouvait sans avenir, elle sétait décidée pour un avocat, rencontré chez les Dambreville et âgé déjà de quarante ans. Elle le jugeait très fort, destiné à une grande fortune. Mais le malheur était que Verdier vivait depuis quinze ans avec une maîtresse, qui passait même pour sa femme, dans leur quartier. Du reste, elle le savait et ne sen montrait pas autrement inquiète. Mon enfant, dit le père en levant de nouveau la tête, je tavais priée de ne pas songer à ce mariage Tu connais la situation. Elle sarrêta de sucer son os, et dun air dimpatience : Après ? Verdier ma promis de la lâcher. Cest une dinde. Hortense, tu as tort de parler de la sorte Et si ce garçon te lâche aussi, un jour, pour retourner avec celle que tu lui auras fait quitter ? Ça, cest mon affaire, répéta la jeune fille de sa voix brève. Berthe écoutait, au courant de cette histoire, dont elle discutait journellement les éventualités avec sa sur. Dailleurs, comme son père, elle était pour la pauvre femme, quon parlait de mettre à la rue, après quinze ans de ménage. Mais Mme Josserand intervint. Laissez donc ! ces malheureuses finissent toujours par retourner au ruisseau. Seulement, cest Verdier qui naura jamais la force de sen séparer Il te fait aller, ma chère. À ta place, je ne lattendrais pas une seconde, je tâcherais den trouver un autre. La voix dHortense devint plus aigre, tandis que deux taches livides lui montaient aux joues. Maman, tu sais comment je suis Je le veux et je laurai. Jamais je nen épouserai un autre, quand je devrais lattendre cent ans. La mère haussa les épaules. Et tu traites les autres de dindes ! Mais la jeune fille sétait levée, frémissante. Hein ? ne tombe pas sur moi ! cria-t-elle. Jai fini mon lapin, jaime mieux aller me coucher Puisque tu narrives pas à nous marier, il faut bien nous permettre de le faire à notre guise. Et elle se retira, elle referma violemment la porte. Mme Josserand sétait tournée avec majesté vers son mari. Elle eut ce mot profond : Voilà, monsieur, comment vous les avez élevées ! M. Josserand ne protesta pas, occupé à se cribler un ongle de petits points dencre, en attendant de pouvoir écrire. Berthe, qui avait achevé son pain, trempait un doigt dans le verre, pour finir son sirop. Elle était bien, le dos brûlant, et ne se pressait pas, peu désireuse daller supporter, dans leur chambre, lhumeur querelleuse de sa sur. Ah ! cest la récompense ! continua Mme Josserand, en reprenant sa promenade à travers la salle à manger. Pendant vingt ans, on séchine autour de ces demoiselles, on se met sur la paille pour en faire des femmes distinguées, et elles ne vous donnent seulement pas la satisfaction de les marier à votre goût Encore si on leur avait refusé quelque chose ! mais je nai jamais gardé un centime, rognant sur mes toilettes, les habillant comme si nous avions eu cinquante mille francs de rente Non, vraiment, cest trop bête ! Lorsque ces mâtines-là vous ont une éducation soignée, juste ce quil faut de religion, des airs de filles riches, elles vous lâchent, elles parlent dépouser des avocats, des aventuriers qui vivent dans la débauche ! Elle sarrêta devant Berthe, et, la menaçant du doigt : Toi, si tu tournes comme ta sur, tu auras affaire à moi. Puis, elle recommença à piétiner, parlant pour elle, sautant dune idée à une autre, se contredisant avec une carrure de femme qui a toujours raison. Jai fait ce que jai dû faire, et ce serait à refaire que je le referais Dans la vie, il ny a que les plus honteux qui perdent. Largent est largent : quand on nen a pas, le plus court est de se coucher. Moi, lorsque jai eu vingt sous, jai toujours dit que jen avais quarante ; car toute la sagesse est là, il vaut mieux faire envie que pitié On a beau avoir reçu de linstruction, si lon nest pas bien mis, les gens vous méprisent. Ce nest pas juste, mais cest ainsi Je porterais plutôt des jupons sales quune robe dindienne. Mangez des pommes de terre, mais ayez un poulet, quand vous avez du monde à dîner Et ceux qui disent le contraire sont des imbéciles ! Elle regardait fixement son mari, auquel ces dernières pensées sadressaient. Celui-ci, épuisé, refusant une nouvelle bataille, eut la lâcheté de déclarer : Cest bien vrai, il ny a que largent aujourdhui. Tu entends, reprit Mme Josserand en revenant sur sa fille. Marche droit et tâche de nous donner des satisfactions Comment as-tu encore raté ce mariage ? Berthe comprit que son tour était venu. Je ne sais pas, maman, murmura-t-elle. Un sous-chef de bureau, continuait la mère ; pas trente ans, un avenir superbe. Tous les mois, ça vous apporte son argent ; cest solide, il ny a que ça Tu as encore fait quelque bêtise, comme avec les autres ? Je tassure que non, maman Il se sera renseigné, il aura su que je navais pas le sou. Mais Mme Josserand se récriait. Et la dot que ton oncle doit te donner ! Tout le monde la connaît, cette dot Non, il y a autre chose, il a rompu trop brusquement En dansant, vous avez passé dans le petit salon. Berthe se troubla. Oui, maman Et même, comme nous étions seuls, il a voulu de vilaines choses, il ma embrassée, en mempoignant comme ça. Alors, jai eu peur, je lai poussé contre un meuble Sa mère linterrompit, reprise de fureur. Poussé contre un meuble, ah ! la malheureuse, poussé contre un meuble ! Mais, maman, il me tenait Après ? Il vous tenait, la belle affaire ! Mettez donc ces cruches-là en pension ! Quest-ce quon vous apprend, dites ! Un flot de sang avait envahi les épaules et les joues de la jeune fille. Des larmes lui montaient aux yeux, dans une confusion de vierge violentée. Ce nest pas ma faute, il avait lair si méchant Moi, jignore ce quil faut faire. Ce quil faut faire ! elle demande ce quil faut faire ! Eh ! ne vous ai-je pas dit cent fois le ridicule de vos effarouchements. Vous êtes appelée à vivre dans le monde. Quand un homme est brutal, cest quil vous aime, et il y a toujours moyen de le remettre à sa place dune façon gentille Pour un baiser, derrière une porte ! en vérité, est-ce que vous devriez nous parler de ça, à nous, vos parents ? Et vous poussez les gens contre un meuble, et vous ratez des mariages ! Elle prit un air doctoral, elle continua : Cest fini, je désespère, vous êtes stupide, ma fille Il faudrait tout vous seriner, et cela devient gênant. Puisque vous navez pas de fortune, comprenez donc que vous devez prendre les hommes par autre chose. On est aimable, on a des yeux tendres, on oublie sa main, on permet les enfantillages, sans en avoir lair ; enfin, on pêche un mari Si vous croyez que ça vous arrange les yeux, de pleurer comme une bête ! Berthe sanglotait. Vous magacez, ne pleurez donc plus Monsieur Josserand, ordonnez donc à votre fille de ne pas sabîmer le visage à pleurer ainsi. Ce sera le comble, si elle devient laide ! Mon enfant, dit le père, sois raisonnable, écoute ta mère qui est de bon conseil. Il ne faut pas tenlaidir, ma chérie. Et ce qui mirrite, cest quelle nest pas trop mal, quand elle veut, reprit Mme Josserand. Voyons, essuie tes yeux, regarde-moi comme si jétais un monsieur en train de te faire la cour Tu souris, tu laisses tomber ton éventail, pour que le monsieur, en le ramassant, effleure tes doigts Ce nest pas ça. Tu te rengorges, tu as lair dune poule malade Renverse donc la tête, dégage ton cou : il est assez jeune pour que tu le montres. Alors, comme ça, maman ? Oui, cest mieux Et ne sois pas raide, aie la taille souple. Les hommes naiment pas les planches Surtout, sils vont trop loin, ne fais pas la niaise. Un homme qui va trop loin est flambé, ma chère. Deux heures sonnaient à la pendule du salon ; et, dans lexcitation de cette veille prolongée, dans son désir devenu furieux dun mariage immédiat, la mère soubliait à penser tout haut, tournant et retournant sa fille comme une poupée de carton. Celle-ci, molle, sans volonté, sabandonnait ; mais elle avait le cur très gros, une peur et une honte la serraient à la gorge. Brusquement, au milieu dun rire perlé que sa mère la forçait à essayer, elle éclata en sanglots, le visage bouleversé, balbutiant : Non ! non ! ça me fait de la peine ! Mme Josserand demeura une seconde outrée et stupéfaite. Depuis sa sortie de chez les Dambreville, sa main était chaude, il y avait des claques dans lair. Alors, à toute volée, elle gifla Berthe. Tiens ! tu membêtes à la fin ! Quel pot ! Ma parole, les hommes ont raison ! Dans la secousse, son Lamartine, quelle ne lâchait pas, était tombé. Elle le ramassa, lessuya, et sans ajouter une parole, traînant royalement sa robe de bal, elle passa dans la chambre à coucher. Ça devait finir par là, murmura M. Josserand, qui nosa pas retenir sa fille, partie, elle aussi, en se tenant la joue et en pleurant plus fort. Mais, comme Berthe traversait lantichambre à tâtons, elle trouva levé son frère Saturnin, qui écoutait, pieds nus. Saturnin était un grand garçon de vingt-cinq ans, dégingandé, aux yeux étranges, resté enfant à la suite dune fièvre cérébrale. Sans être fou, il terrifiait la maison par des crises de violence aveugle, lorsquon le contrariait. Seule, Berthe le domptait dun regard. Il lavait soignée, gamine encore, pendant une longue maladie, obéissant comme un chien à ses caprices de petite fille souffrante ; et, depuis quil lavait sauvée, il sétait pris pour elle dune adoration où il entrait de tous les amours. Elle ta encore battue ? demanda-t-il dune voix basse et ardente. Berthe, inquiète de le rencontrer là, essaya de le renvoyer. Va te coucher, ça ne te regarde pas. Si, ça me regarde. Je ne veux pas quelle te batte, moi ! Elle ma réveillé, tant elle criait Quelle ne recommence pas, ou je cogne ! Alors, elle lui saisit les poignets et lui parla comme à une bête révoltée. Il se soumit tout de suite, il bégaya avec des larmes de petit garçon : Ça te fait bien du mal, nest-ce pas ? Où est ton mal, que je le baise ? Et, ayant trouvé sa joue, dans lobscurité, il la baisa, il la mouilla de ses pleurs, en répétant : Cest guéri, cest guéri. Cependant, M. Josserand, resté seul, avait laissé tomber sa plume, le cur trop gonflé de chagrin. Au bout de quelques minutes, il se leva pour aller doucement écouter aux portes. Mme Josserand ronflait. Dans la chambre de ses filles, on ne pleurait pas. Lappartement était noir et paisible. Alors, il revint, un peu soulagé. Il arrangea la lampe qui charbonnait, et recommença mécaniquement à écrire. Deux grosses larmes, quil ne sentait point, roulèrent sur les bandes, dans le silence solennel de la maison endormie. |