Histoire
de Juliette
ou les Prospérités
du vice
TROISIÈME PARTIE
Il est temps, mes amis, de vous parler un peu de moi, surtout de vous
peindre mon luxe, fruit des plus terribles débauches, afin
que vous puissiez le comparer à l'état d'infortune où
se trouvait ma sur, pour s'être avisée d'être
sage. Vous tirerez de ces rapprochements les conséquences que
votre philosophie vous suggérera.
Le train de ma maison était énorme. Vous devez vous
en douter, en voyant toutes les dépenses que j'étais
obligée de faire pour mon amant. Mais, en laissant à
part la multitude des choses exigées pour ses plaisirs, il
me restait à moi un hôtel superbe à Paris, une
terre délicieuse au-dessus de Sceaux, une petite maison des
plus voluptueuses à la Barrière-Blanche, douze tribades,
quatre femmes de chambre, une lectrice, deux veilleuses, trois équipages,
dix chevaux, quatre valets choisis à la supériorité
du membre, tout le reste des attributs d'une très grande maison,
et, pour moi seule, plus de deux millions à manger par an,
ma maison payée.
Voulez-vous ma vie maintenant ?
Je me levais tous les jours à dix heures. Jusqu'à onze,
je ne voyais que mes amis intimes ; depuis lors, jusqu'à une
heure, grande toilette, à laquelle assistaient tous mes courtisans
; à une heure précise, je recevais des audiences particulières
pour les grâces que l'on avait à me demander, ou le ministre,
quand il était à Paris. A deux heures, je volais à
ma petite-maison, où d'excellentes entremetteuses me faisaient
trouver régulièrement tous les jours quatre hommes et
quatre femmes, avec qui je donnais la plus ample carrière à
mes caprices. Pour que vous ayez une idée des objets que j'y
recevais, qu'il vous suffise de savoir qu'il n'y entrait aucun individu
qui ne me coûtât vingt-cinq louis au moins, et souvent
le double. Aussi n'imagine-t-on pas ce que j'avais de délicieux
et de rare dans l'un et l'autre sexe : j'y ai vu plus d'une fois des
femmes et des filles de la première naissance, et je puis dire
avoir goûté dans cette maison des voluptés bien
douces et des plaisirs bien recherchés. Je rentrais à
quatre heures, et dînais toujours avec quelques amis. Je ne
vous parle point de ma table : aucune maison de Paris n'était
servie avec autant de splendeur, de délicatesse et de profusion
; il n'était jamais rien d'assez beau ni d'assez rare. L'extrême
intempérance que vous me voyez doit, je crois, vous faire bien
juger de cet objet. Je place l'une de mes plus grandes voluptés
dans ce léger vice, et j'imagine que sans les excès
de celui-là, on ne jouit jamais bien des autres. J'allais ensuite
au spectacle, ou je recevais le ministre, si c'était ses jours.
A l'égard de ma garde-robe, de mes bijoux, de mes économies,
de mon mobilier, quoiqu'il y eût à peine deux ans que
je fusse avec M. de Saint-Fond, je ne vous dirai point trop, en évaluant
ces objets à plus de quatre millions, dont deux en or dans
ma cassette, devant lesquels j'allais quelquefois, à l'instar
de Clairwil, me branler le con en déchargeant sur cette idée
singulière : J'aime le crime, et voilà tous les moyens
du crime à ma disposition. Oh ! mes amis, qu'elle est douce,
cette idée, et que de foutre elle m'a fait perdre ! Désirais-je
un nouveau bijou, une nouvelle robe ? Mon amant, qui ne voulait pas
me voir trois fois de suite les mêmes choses, me satisfaisait
à l'instant, et tout cela sans exiger autre chose de moi que
du désordre, de l'égarement, du libertinage, et les
soins les plus excessifs aux arrangements de ses débauches
journalières. C'était donc en flattant mes goûts
que tous mes goûts se trouvaient servis, c'était en me
livrant à toute l'irrégularité de mes sens que
mes sens se trouvaient enivrés.
Mais dans quelle situation morale tant d'aisance m'avait-elle placée
? Voilà ce que je n'ose dire, mes amis, et ce dont il faut
pourtant que je convienne avec vous. L'extrême libertinage dans
lequel je me plongeais tous les jours avait tellement engourdi les
ressorts de mon âme, qu'aidée des pernicieux conseils
dont j'était abreuvée de toutes parts, je n'aurais pas,
je crois, détourné un sol de mes trésors pour
rendre la vie à un malheureux. A peu près vers ce temps,
une disette affreuse se fit sentir dans les environs de ma terre ;
tous les habitants furent à la plus grande détresse
: il y eut des scènes affreuses, des filles entraînées
dans le libertinage, des enfants abandonnés et plusieurs suicides.
On vint implorer ma bienfaisance : je tins ferme, et colorai très
impertinemment mes refus, des dépenses énormes auxquelles
m'avaient entraînée mes jardins. Peut-on donner l'aumône,
disais-je insolemment, quand on fait faire des boudoirs de glaces
au fond de ses bosquets, et qu'on garnit ses allées de Vénus,
d'Amours et de Saphos ? En vain offrait-on à mes regards tranquilles
tout ce qu'on imaginait de plus propre à toucher ma sensibilité
: des mères éplorées, des enfants nus, des spectres
dévorée par la faim ; rien ne m'ébranlait, rien
ne sortait mon âme de son assiette ordinaire, et l'on n'obtenait
jamais de moi que des refus. Ce fut alors qu'en me rendant compte
de mes sensations, j'éprouvai, ainsi que me l'avaient annoncé
mes instituteurs, au lieu du sentiment pénible de la pitié,
une certaine commotion produite par le mal que je croyais faire en
rejetant ces malheureux, et qui fit circuler dans mes nerfs une flamme
à peu près semblable à celle qui nous brûle,
chaque fois que nous brisons un frein ou que nous subjuguons un préjugé.
Je conçus dès lors combien il pouvait devenir voluptueux
de mettre ces principes en action ; et ce fut de ce moment, que je
sentis bien qu'aussitôt que le spectacle de l'infortune causée
par le sort pouvait être d'une sensualité si parfaite
sur des âmes disposées ou préparées par
des principes comme ceux que l'on m'inculquait, le spectacle de l'infortune
causée par soi-même devait améliorer cette jouissance
; et comme vous savez que ma tête va toujours bien loin, vous
n'imaginez pas ce que je conçus de possible et de délicieux
sur cela. Le raisonnement était simple : je sentais du plaisir
au seul refus de mettre l'infortune dans une situation heureuse ;
que n'éprouverais-je donc pas si j'étais moi-même
la cause première de cette infortune ? S'il est doux de s'opposer
au bien, me disais-je, il doit être délicieux de faire
le mal. Je rappelai, je flattai cette idée dans ces moments
dangereux où le physique s'embrase aux voluptés de l'esprit,
instants où l'on se refuse d'autant moins qu'alors rien ne
s'oppose à l'irrégularité des vux ou à
l'impétuosité des désirs, et que la sensation
reçue n'est vive qu'en raison de la multitude des freins que
l'on brise, et de leur sainteté. Le songe évanoui, si
l'on redevenait sage, l'inconvénient serait médiocre
: c'est l'histoire des torts de l'esprit, on sait bien qu'ils n'offensent
personne ; mais on va plus loin, malheureusement. Que sera-ce, ose-t-on
se dire, que la réalisation de cette idée, puisque son
seul frottement sur mes nerfs vient de les émouvoir si vivement
? On vivifie la maudite chimère, et son existence est un crime.
Il y avait, à un quart de lieue de mon château, une malheureuse
chaumière appartenant à un paysan fort pauvre qui se
nommait Martin Des Granges, père de huit enfants, et possédant
une femme que l'on pouvait appeler un trésor par sa sagesse
et son économie. Croiriez-vous que cet asile du malheur et
de la vertu excita ma rage et ma scélératesse ! Il est
donc vrai que c'est une chose délicieuse que le crime ; il
est donc certain que c'est au feu dont il nous embrase que s'allume
le flambeau de la lubricité... qu'il suffit seul à l'éveiller
en nous, et que pour donner à cette délicieuse passion
tout le degré d'activité possible sur nos nerfs, il
n'est besoin que du crime seul.
Elvire et moi, nous avions apporté du phosphore de Boulogne,
et j'avais chargé cette fille leste et spirituelle d'amuser
toute la famille, pendant que je fus le placer adroitement dans la
paille d'un grenier qui se trouvait au-dessus de la chambre de ces
malheureux. Je reviens, les enfants me caressent, la mère me
raconte avec bonhomie tous les petits détails de sa maison,
le père veut que je me rafraîchisse, il s'empresse à
me recevoir de son mieux... Rien de tout cela ne me désarme,
je ne suis attendrie par rien ; je m'interroge, et loin de cette fastidieuse
émotion de la pitié, je n'éprouve qu'un chatouillement
délicieux dans toute mon organisation : le plus chétif
attouchement m'aurait fait décharger dix fois. Je redouble
mes caresses à toute cette intéressante famille, dans
le sein de laquelle je viens apporter le meurtre ; ma fausseté
est au comble, plus je trahis, et mieux je bande. Je donne des rubans
à la mère, des bonbons aux enfants. Nous revenons, mais
mon délire est tel que je ne puis rentrer chez moi sans prier
Elvire de soulager l'état terrible dans lequel je suis. Nous
nous enfonçons dans un taillis, je me trousse, j'écarte
les cuisses... elle me branle... A peine m'a-t-elle touchée
que je décharge ; jamais encore je ne m'étais trouvée
dans un égarement si terrible ; Elvire, qui ne se doutait de
rien, ne savait comment interpréter l'état où
elle me voyait.
- Branle... branle... lui dis-je en suçant sa bouche, je dans
une prodigieuse agitation ce matin ; donne-moi ton con, que je le
chatouille aussi, et noyons-nous dans des flots de foutre.
- Et qu'est-ce donc que madame vient de faire ?
- Des horreurs... des atrocités, et le sperme coule bien délicieusement
lorsque ses flots s'élancent au sein de l'abomination. Branle-moi
donc, Elvire. il faut que je décharge.
Elle se glisse entre mes jambes, elle me suce...
- Oh, foutre ! lui criai-je, que tu as raison : tu vois que j'ai besoin
des grands moyens, tu les emploies...
Et j'inonde ses lèvres.
Nous rentrâmes ; j'étais dans un état qui ne peut
se peindre, il me semblait que tous les désordres, tous les
vices s'armaient à la fois pour venir débaucher mon
cur, je me sentais dans une espèce d'ivresse, dans une
sorte de rage : il n'était rien que je n'eusse fait, aucune
luxure dont je ne me fume souillée. J'étais désolée
de n'avoir atteint qu'une si petite portion de l'humanité ;
j'aurais voulu que la nature entière eût pu se ressentir
des égarements de ma tête. Je fus me jeter nue sur le
sopha d'un de mes boudoirs, et j'ordonnai à Elvire de m'amener
tous mes hommes, en leur recommandant de faire de moi tout ce qu'ils
voudraient, pourvu qu'ils m'invectivassent et me traitassent comme
une putain. Je fus maniée, pelotée, battue, souffletée
; mon con, mon cul, mon sein, ma bouche, tout servit : je désirais
avoir vingt autels de plus à présenter à leur
offrande. Quelques-uns amenèrent des camarades que je ne connaissais
pas : je ne refusai rien, je me rendis la coquine de tous, et je perdis
des torrents de foutre au milieu de toutes ces luxures. Un de ces
grossiers libertins (je leur avais tout permis) s'avise de dire que
ce n'était pas sur des canapés qu'il voulait me foutre,
mais dans la fange... Je me laisse traîner par lui sur un tas
de fumier, et me prostituant là comme une truie, je l'excite
à m'humilier davantage encore. Le vilain le fait, et ne me
quitte qu'après m'avoir chié sur le visage... Et j'étais
heureuse ; plus je me vautrais dans l'ordure et dans l'infamie, plus
ma tête s'embrasait de luxure, et plus augmentait mon délire.
En moins de deux heures, je fus foutue plus de vingt coups, pendant
qu'Elvire me branlait toujours... et rien... non, rien n'apaisait
l'état cruel où me plongeait l'idée du crime
que je venais de commettre.
Remontée dans mon boudoir, nous apercevons l'atmosphère
éclaircie.
- Oh ! madame, me dit Elvire en ouvrant une fenêtre, regardez
donc... le feu... le feu où nous avons été ce
matin !
Et je tombe, presque évanouie...
Restée seule avec cette belle fille, je la conjure de me branler
encore.
- Sortons, lui dis-je, je crois que j'entends des cris, allons savourer
ce délicieux spectacle, Elvire : il est mon ouvrage, viens
t'en rassasier avec moi... Il faut que je voie tout, il faut que j'entende
tout, je ne veux pas que rien m'échappe.
Nous sortons toutes deux, échevelées, froissées,
enivrées nous ressemblions à des bacchantes. A vingt
pas de cette scène d'horreur, derrière un petit tertre
qui nous déguisait aux regards des autres sans nous empêcher
de rien voir, je retombe dans les bras d'Elvire, presque autant agitée
que moi. Nous nous branlons à la lueur des flammes homicides
qu'allumait ma férocité, aux cris aigus du malheur et
du désespoir que faisait pousser ma luxure, et j'étais
la plus heureuse des femmes.
Nous nous levons enfin pour analyser mon forfait. Je vois avec douleur
que deux victimes me sont échappées ; je reconnais les
autres cadavres, je les retourne avec le pied.
- Ces individus vivaient ce matin, me dis-je, j'ai tout détruit
dans quelques heures... tout cela pour perdre mon foutre... Et voilà
donc ce que c'est que le meurtre : un peu de matière désorganisée,
quelques changements dans les combinaisons, quelques molécules
rompues et replongées dans le creuset de la nature, qui les
rendra dans quelques jours sous une autre forme à la terre
; et où donc est le mal à cela ? Si j'ôte la vie
à l'un, je la donne à l'autre : où est donc l'offense
que je lui fais ?
Cette petite révolte de mon esprit contre mon cur ébranla
vivement les globules électriques de mes nerfs... et mon con
mouille encore une fois les doigts de ma tribade. Si j'avais été
toute seule, je ne sais pas, d'honneur, jusqu'où j'aurais porté
les effets de mon dérèglement. Aussi cruelle que les
Caraïbes, j'aurais peut-être dévoré mes victimes
: Elles étaient là, jonchées... Le père
et l'un de ses enfants s'étaient seuls échappés
; la mère et les sept autres étaient sous mes yeux ;
et je me disais en les observant, en les touchant même : C'est
moi qui viens de consommer ces meurtres, ils sont mon unique ouvrage
; et je déchargeais encore... Pour la maison, il n'en restait
plus de vestiges, à peine se doutait-on de la place qu'elle
avait occupée.
Eh bien ! croiriez-vous, mes amis, que lorsque je racontai cette histoire
à Clairwil, elle m'assura que je n'avais fait qu'effleurer
le crime, et que je m'étais conduite comme une poltronne ?
- Il y a trois ou quatre fautes graves, me dit-elle, dans l'exécution
de cette aventure. Premièrement (et je vous rends tout ceci
pour que vous jugiez mieux le caractère de cette étonnante
femme), premièrement, tu as manqué de conduite, et si
malheureusement quelqu'un fût venu, à ton désordre,
à tes mouvements, on t'aurait jugée criminelle. Prends
garde à cette faute : tout ce que tu voudras d'ardeur au-dedans,
mais le plus grand flegme au-dehors. Quand tu resserreras ainsi les
effets lubriques, ils auront plus d'activité. Deuxièmement,
ta tête n'a pas conçu la chose en grand ; car tu conviendras
qu'ayant sous tes fenêtres un bourg immense de sept ou huit
gros villages aux environs, il y a de la sagesse... de la pudeur,
à n'aller s'égarer que sur une seule maison et dans
un endroit bien isolé... de crainte que les flammes, en se
propageant, n'augmentent l'étendue de ton petit forfait : on
voit que tu as frémi en exécutant.
Voilà donc une jouissance manquée, car celles du crime
ne veulent pas de restriction. Je les connais : si l'imagination n'a
pas tout conçu, si la main n'a pas tout exécuté,
il est impossible que le délire ait été complet,
parce qu'il reste toujours un remords : Je pouvais faire davantage,
je ne l'ai pas fait. Et les remords de la vertu sont pis que ceux
du crime. Lorsqu'on est dans le train de la vertu et que l'on fait
une mauvaise action, on imagine toujours que la multitude des bonnes
uvres effacera cette tache : et comme on se persuade aisément
ce qu'on désire, on finit par se calmer. Mais celui qui, comme
nous, s'achemine à grands pas dans la carrière du vice,
ne se pardonne jamais une occasion manquée, parce que rien
ne le dédommage ; la vertu ne vient pas à son secours,
et la résolution qu'il forme de faire quelque chose de pis,
en échauffant davantage sa tête sur le mal, ne le consolera
sûrement pas de l'occasion qu'il a manquée d'en faire.
A ne considérer ton plan, d'ailleurs, que dans le rétréci,
poursuivit Clairwil, il y a encore une grande faute, car j'aurais
fait poursuivre Des Granges, moi. Il était dans le ou d'être
brûlé comme incendiaire, et tu sens bien qu'à
ta place, je ne l'aurais sûrement pas manqué. Quand le
feu prend à la maison d'un homme en sous-ordre, comme celui-là
dans ta terre, ne sais-tu donc pas que tu es en droit de faire vérifier
par tes gens de justice si ce n'est pas lui qui est coupable. Qui
t'a dit que cet homme ne voulait pas se défaire de sa femme
et de ses enfants, pour aller gueuser hors du pays ? Dès qu'il
tournait le dos, il fallait le faire arrêter comme fuyard et
comme incendiaire, le livrer à la justice. Avec quelques louis,
tu trouvais des témoins. Elvire elle-même t'en servait
: elle déposait que, le matin, elle avait vu cet homme errer
dans son grenier, d'un air insensé ; qu'elle l'avait interrogé,
qu'il n'avait pu répondre à ses questions ; et dans
huit jours on serait venu te donner le spectacle voluptueux de brûler
ton homme à ta porte. Que cette leçon te serve, Juliette
: ne conçois jamais le crime sans l'étendre, et quand
tu es dans l'exécution, embellis encore tes idées.
Voilà, mes amis, les cruelles additions que Clairwil eût
désiré me voir mettre au délit que je lui avouais,
et je ne vous cache pas que, profondément frappée de
ses raisons, je me promis bien de ne plus retomber dans des fautes
si graves. La fuite du paysan me désolait surtout, et je ne
sais ce que j'aurais donné pour le voir rôtir à
ma porte ; je ne me suis jamais consolée de cette fuite.
Enfin, le jour de ma réception au club de Clairwil arriva.
On appelait cette réunion : La Société des Amis
du Crime. Dès le matin, mon introductrice m'apporta les statuts
de l'assemblée. Je les crois assez curieux pour vous les montrer
; les voici :
STATUTS DE LA SOCIÉTÉ
DES AMIS DU CRIME.
La Société se sert du mot crime pour se conformer aux
usages reçus, mais elle déclare qu'elle ne désigne
ainsi aucune espèce d'action, de quelque sorte qu'elle puisse
être.
Pleinement convaincue que les hommes ne sont pas libres, et qu'enchaînés
par les lois de la nature, ils sont tous esclaves de ces lois premières,
elle approuve tout, elle légitime tout, et regarde comme ses
plus zélés sectateurs ceux qui, sans aucun remords,
se seront livrés à un plus grand nombre de ces actions
vigoureuses que les sots ont la faiblesse de nommer crimes, parce
qu'elle est persuadée qu'on sert la nature en se livrant à
ces actions, qu'elles sont dictées par elle, et que ce qui
caractériserait vraiment un crime, serait la résistance
que l'homme apporterait à se livrer à toutes les inspirations
de la nature, de telle espèce qu'elles puissent être.
En conséquence, la Société protège tous
ses membres ; elle leur promet à tous, secours, abri, refuge,
protection, crédit, contre les entreprises de la Loi ; elle
prend sous sa sauvegarde tous ceux qui l'enfreignent, et se regarde
comme au-dessus d'elle, parce que la Loi est l'ouvrage des hommes,
et que la Société, fille de la nature, n'écoute
et ne suit que la nature.
1° Il n'y aura aucune distinction parmi les individus qui composent
la Société. Non qu'elle croie tous les hommes égaux
aux yeux de la nature (elle est loin de ce préjugé populaire,
fruit de la faiblesse et de la fausse philosophie), mais elle est
persuadée que toute distinction serait gênante dans les
plaisirs de la Société, et qu'elle les troublerait nécessairement
tôt ou tard1.
2° L'individu qui veut être reçu dans la Société
doit renoncer à toute religion, de quelque espèce qu'elle
puisse être. Il doit s'attendre à des épreuves
qui constateront son mépris pour ces cultes humains et leur
chimérique objet. Le plus petit retour de sa part à
ces bêtises lui vaudra sur-le-champ l'exclusion.
3° La Société n'admet point de Dieu ; il faut faire
preuve d'athéisme pour y entrer. Le seul Dieu qu'elle connaisse
est le plaisir ; elle sacrifie tout à celui-là ; elle
admet toutes les voluptés imaginables, elle trouve bon tout
ce qui délecte ; toutes les jouissances sont autorisées
dans son sein ; il n'en est aucune qu'elle n'encense, aucune qu'elle
ne conseille et ne protège.
4° La Société brise tous les nuds du mariage
et confond tous ceux du sang. On doit jouir indifféremment,
dans ses foyers, de la femme de son prochain comme de la sienne, de
son frère, de sa sur, de ses enfants, de ses neveux,
comme de ceux des autres. La plus légère répugnance
à ces règles est un titre puissant d'exclusion.
5° Un mari est obligé de faire recevoir sa femme ; un père,
son fils ou sa fille ; un frère, sa sur ; un oncle, son
neveu ou sa nièce, etc.
6° On ne reçoit personne dans la Société
qui ne prouve au moins vingt-cinq mille livres de rente, attendu que
les dépenses annuelles sont de dix mille francs par individu.
Sur cette masse, se prennent toutes les dépenses de la maison,
celles du loyer, des sérails, des voitures, des bureaux, des
assemblées, des soupers, de l'illumination. Et quand le trésorier
a de l'argent de reste au bout de l'année, il le partage entre
les frères ; si les dépenses ont excédé
la recette, on se cotise pour rembourser le trésorier, toujours
cru sur sa parole.
7° Vingt artistes ou gens de lettres seront reçus au prix
modique de mille livres par an. La Société, protectrice
des arts, veut leur décerner cette déférence
; elle est fâchée que ses moyens ne lui permettent pas
d'admettre à ce médiocre prix un beaucoup plus grand
nombre d'hommes dont elle fera toujours tant d'estime.
8° Les amis de cette Société, unis comme on l'est
au sein d'une famille, partagent toutes leurs peines comme tous leurs
plaisirs ; ils s'aident et se secourent mutuellement dans toutes les
différentes situations de la vie ; mais toutes aumônes,
charités, secours donnés aux veuves, orphelins ou indigents
sont absolument défendus, et dans la Société
et aux personnes de la Société ; tout membre seulement
soupçonné de ces prétendues bonnes uvres
sera exclu.
9° Il y aura toujours en réserve une somme de trente mille
livres pour l'utilité d'un membre que la main du sort aurait
plongé dans quelque mauvais cas.
10° Le président est élu au scrutin, et n'est jamais
qu'un mois en exercice ; il est pris, tantôt dans un sexe, tantôt
dans un autre, et préside douze assemblées (il y en
a trois par semaine) ; son unique emploi est de faire respecter les
lois de la Société, de maintenir la correspondance exécutée
par un comité permanent dont le président est le chef.
Le trésorier et les deux secrétaires de l'assemblée
sont membres de ce comité, mais les secrétaires se renouvellent
tous les mois, comme le président.
11° Chaque séance s'ouvre par un discours, ouvrage de l'un
des membres ; l'esprit de ce discours est contraire aux murs
et à la religion ; s'il en mérite la peine, il est imprimé
sur-le-champ aux frais de la Société, et mis dans ses
archives.
12° Dans les heures consacrées à la jouissance,
tous les frères et toutes les surs seront nus ; ils se
mêlent, ils jouissent indistinctement, et jamais un refus ne
pourra soustraire un individu aux plaisirs d'un autre. Celui qui sera
choisi doit se prêter, doit tout faire : n'a-t-il pas le même
droit, l'instant d'après ? Un individu qui se refuserait aux
plaisirs de ses frères, y serait contraint par la force, et
chassé après.
13° Dans le sein de l'assemblée, aucune passion cruelle,
excepté le fouet, donné simplement sur les fesses, ne
pourra s'exercer, il est des sérails dépendant de la
Société et dans lesquels les passions féroces
pourront avoir le cours le plus entier ; mais au sein de ses frères,
il ne faut que des voluptés crapuleuses, incestueuses, sodomites
et douces.
14° La plus grande confiance est établie parmi les frères
; ils doivent entre eux s'avouer leurs goûts, leurs faiblesses,
jouir de leurs confidences, et y trouver un aliment de plus à
leurs plaisirs. Un être qui trahirait les secrets de la Société,
ou qui reprocherait à l'un de ses frères les faiblesses
ou les passions qui font le bonheur de sa jouissance, serait exclu
sur-le-champ.
15° Près de la salle publique des jouissances, sont les
cabinets secrets où l'on peut se retirer pour se livrer solitairement
à toutes les débauches du libertinage ; on peut y passer
en tel nombre que l'on veut. On y trouve tout ce qui est nécessaire,
et, dans chacun, une jeune fille et un jeune garçon prête
à exécuter toutes les passions des membres de la Société,
et même celles qui ne sont permises que dans l'intérieur
des sérails, parce que ces enfants étant de la même
espèce que ceux que l'on livre aux sérails, et en dépendant
même, peuvent être traités comme eux.
16° Tous les excès de table sont autorisés ; on
donnera tout secours et toute assistance à un frère
qui s'y sera livré ; tous les moyens possibles sont fournis
dans l'intérieur pour y satisfaire.
17° Aucune flétrissure juridique, aucun mépris public,
aucune diffamation n'empêchera d'être reçu dans
la Société. Ses principes étant basés
sur le crime, comment ce qui vient du crime pourrait-il jamais entraver
! Ces individus, rejetés du monde, trouveront des consolations
et des amis dans une Société qui les considérera
et les admettra toujours de préférence. Plus un individu
sera mésestimé dans le monde, plus il plaira à
la Société ; ceux de ce genre seront élus présidents
dès le même jour de leur réception, et admis dans
les sérails sans noviciat.
18° Il y a une confession publique aux quatre grandes assemblées
générales, lesquelles se tiennent aux époques
appelées par les catholiques les quatre plus grandes fêtes
de l'année. Là, chacun est obligé d'avouer, à
haute et intelligible voix, généralement tout ce qu'il
a fait ; si sa conduite est pure, il est blâmé ; on le
comble de louanges, si elle est irrégulière ; est-elle
horrible, s'est-il couvert de forfaits et d'exécrations ? il
est récompensé, mais, dans ce cas, il doit produire
des témoins. Les prix s'élèvent toujours à
deux mille francs, toujours pris sur la masse.
19° Le local de la Société, qui ne doit être
connu que de ses membres, est d'une grande beauté ; de superbes
jardins l'environnent. L'hiver il y a grand feu dans les salles. L'heure
de la réunion est depuis cinq heures du soir jusqu'à
midi du lendemain. Vers minuit, on y sert un superbe repas, et des
rafraîchissements tout le reste du temps.
20° Tous les jeux possibles sont défendus dans la Société
; occupée de délassements plus agréables à
la nature, elle dédaigne tout ce qui s'écarte des divines
passions du libertinage, les seules en possession d'électriser
l'homme.
21° Le récipiendaire, de quelque sexe qu'il soit, est,
pendant un mois, au noviciat ; il est tout ce temps aux ordres de
la Société ; il en est comme le plastron, et ne peut
pas entrer aux sérails, ni être admis à aucune
place. Il y a peine de mort prononcée contre lui, s'il s'avisait
de se refuser à telles propositions qui pourraient lui être
faites.
22° Toutes les places s'élisent au scrutin secret ; les
cabales sont sévèrement défendues. Ces places
sont : celle de la présidence, les deux du secrétariat,
celle de la censure, celles des deux directions des sérails,
celle du trésorier, du maître d'hôtel, des deux
médecins, des deux chirurgiens, de l'accoucheur, de la direction
de la secrétairerie, dont le chef a sous lui les écrivains,
les imprimeurs, le réviseur et le censeur des ouvrages, et
l'inspecteur général des billets d'entrée.
23° On ne reçoit point de sujets au-delà de quarante
ans pour les hommes, et de trente-cinq pour les femmes ; mais ceux
qui vieillissent dans la Société peuvent y rester toute
leur vie.
24° Tout membre que l'on n'aura pas vu d'un an dans la Société
en sera exclu, sans que ses emplois publics ou ses charges puissent
légitimer ses absences.
25° Tout ouvrage contre les murs ou la religion, présenté
par un membre de la Société, soit qu'il l'ait composé
ou non, sera sur-le-champ déposé à la bibliothèque
de la maison, et l'on récompensera celui qui l'aura offert,
en raison du mérite de l'ouvrage et de la part qu'il y aura
prise.
26° Les enfants faits dans la Société seront aussitôt
placés dans la maison du noviciat des sérails, pour
en devenir membres, dès qu'ils auront atteint l'âge de
dix ans pour les garçons, de sept pour les filles. Mais une
femme ou une fille qui serait sujette à faire des enfants,
serait promptement exclue : la propagation n'est nullement l'esprit
de la Société ; le véritable libertinage abhorre
la progéniture ; la Société le réprime
donc. Les femmes dénonceront les hommes assujettis à
cette manie, et si l'on les reconnaît incorrigibles, ils seront
également priés de se retirer bientôt.
27° Les fonctions du président sont de veiller à
la police générale de l'assemblée. Il a sous
lui le censeur ; tous deux doivent maintenir le calme, la tranquillité,
les caprices des agents, la soumission des patients, le silence, modérer
les rires, les conversations, tout ce qui n'est pas enfin dans l'esprit
du libertinage, ou tout ce qui y nuit. Il a, pendant sa présidence,
la grande inspection sur les sérails. Dans le cours de sa séance,
il ne peut quitter le bureau sans s'y faire remplacer par son devancier.
28° Les jurements, et surtout les blasphèmes, sont autorisés
; on peut les employer à tous propos. On ne doit jamais se
parler entre soi qu'en se tutoyant.
29° Les jalousies, les querelles, les scènes ou propos
d'amour, sont absolument défendus : tout cela nuit au libertinage,
et l'on ne doit s'occuper là que de libertinage.
30° Tout tapageur, tout duelliste, sera exclu sans miséricorde.
La poltronnerie y sera révérée comme à
Rome : le poltron vit en paix avec les hommes ; il est d'ailleurs
assez communément libertin, c'est le sujet qu'il faut à
la Société.
31° Jamais le nombre des membres ne pourra être au-dessus
de quatre cents, et l'on le maintiendra toujours le plus possible
en égalité de sexe.
32° Le vol est permis dans l'intérieur de la Société,
mais le meurtre ne l'est que dans les sérails.
33° Un membre n'aura pas besoin d'apporter les meubles nécessaires
au libertinage : la maison fournira ces objets avec abondance, choix
et propreté.
34° Nulles infirmités dégoûtantes ne seront
souffertes. Quelqu'un qui se présenterait affligé de
cette manière ne serait assurément pas reçu.
Et si de pareils maux survenaient à des membres déjà
reçus, ils seraient priés de donner leur démission.
35° Un membre attaqué du mal vénérien sera
contraint à se retirer jusqu'à son entier rétablissement,
attesté par les médecins et chirurgiens de la maison.
36° Aucun étranger ne sera reçu, pas même
les habitants de la province. Cet établissement n'existe absolument
que pour les personnes domiciliées à Paris ou dans la
banlieue.
37° Les titres de naissance ne feront rien pour l'admission ;
il ne s'agira que de prouver que l'on a le bien nécessaire
et indiqué ci-dessus. Telle jolie que puisse être une
femme, elle ne sera point reçue si elle ne prouve la fortune
requise. Il en sera de même d'un jeune homme, quelque beau qu'il
puisse être.
38° La beauté, ni la jeunesse, n'ont aucun droit exclusif
dans la Société : ces droits détruiraient bientôt
l'égalité de murs qui doit y régner.
39° Il y a peine de mort contre tout membre qui révélerait
les secrets de la Société ; il sera poursuivi partout,
aux frais d'icelle.
40° L'aisance, la liberté, l'impiété, la
crapule, tous les excès du libertinage, tous ceux de la débauche,
de la gourmandise, de ce qu'on appelle, en un mot, la saleté
de la luxure, règneront impérieusement dans cette assemblée.
41° Il y aura toujours cent frères servants en activité,
soudoyés par la maison, qui, tous jeunes et jolis, pourront
être employés comme patients aux scènes libidineuses
; mais ils n'y joueront jamais d'autre rôle. La Société
possède à ses ordres seize équipages, deux écuyers
et cinquante valets extérieurs. Elle a une imprimerie, douze
copistes et quatre lecteurs, sans comprendre ici tout ce que nécessitent
les sérails.
42° Aucune arme, aucun bâton ne sera toléré
dans les salles destinées aux jouissances. Tout se laisse en
entrant dans une vaste antichambre, où des femmes sûres
vous déshabillent et vous répondent de vos vêtements.
Il y a, aux environs de la salle, plusieurs cabinets d'aisances servis
par des jeunes filles et de jeunes garçons, obligés
de se prêter à toutes les passions, et de la même
espèce que ceux qui sont dans les sérails. Ils tiennent
là : des seringues, des bidets, des lieux à l'anglaise,
des linges très fins, des odeurs, et généralement
tout ce qui est nécessaire, avant, après le besoin,
ou pendant qu'on y procède ; leur langue, après, est
à votre service.
43° Il est absolument défendu de s'immiscer dans les affaires
du gouvernement. Tout discours de politique est expressément
interdit. La Société respecte le gouvernement sous lequel
elle vit ; et si elle se met au-dessus des lois, c'est parce qu'il
est dans ses principes que l'homme n'a pas le pouvoir de faire des
lois qui gênent et contrarient celles de la nature. Mais les
désordres de ses membres, toujours intérieurs, ne doivent
jamais scandaliser ni les gouvernés, ni les gouvernants.
44° Deux sérails sont affectés aux membres de la
Société, et leurs bâtiments forment les deux ailes
de la grande maison. L'un est composé de trois cents jeunes
garçons, depuis sept ans jusqu'à vingt-cinq ; l'autre
d'un pareil nombre de filles, de cinq ans à vingt et un. Ces
sujets varient perpétuellement, et il n'y a pas de semaine
où l'on ne réforme au moins trente sujets de chaque
sérail, afin de procurer plus d'objets nouveaux aux membres
de la Société. Près de là, est une maison
où l'on élève quelques sujets destinés
à des remplacements ; soixante maquerelles sont chargées
de ces renouvellements ; et il y a, comme on l'a dit, un inspecteur
à chaque sérail. Ces sérails sont commodes, bien
distribués ; on y fait absolument tout ce que l'on veut ; les
passions les plus féroces s'y exécutent ; tous les membres
de la Société y sont admis sans payer. Les meurtres
seuls s'y paient cent écus par sujet. Ceux des membres qui
veulent souper là sont les maîtres ; les cartes pour
y entrer sont distribuées par le président, qui ne peut
jamais les refuser à tout membre ayant fait son mois de noviciat.
La plus grande subordination des sujets règne dans les sérails
; les plaintes que l'on aurait à faire du défaut de
soumission ou de complaisance seront sur-le-champ portées à
l'inspecteur de ce sérail ou au président, et l'on punit
aussitôt le sujet de la peine prononcée par vous, et
que vous avez le droit d'infliger vous-même, si cela vous amuse.
Il y a douze cabinets de supplice par sérail, où rien
ne manque de ce qui peut plonger la victime dans les tourmenta les
plus féroces et les plus monstrueux. On peut mêler les
sexes et conduire à volonté des hommes chez les femmes,
ou celles-ci chez les hommes. Il y a aussi douze cachots, par chaque
sérail, pour ceux qui se plaisent à y laisser languir
des victimes. Il est défendu de conduire, ni chez soi, ni dans
les salles, aucun des sujets de ces deux sérails. On trouve
également dans ces pavillons des animaux de toutes les espèces,
pour ceux qui sont adonnés au goût de la bestialité
: c'est une passion simple et dans la nature, il faut la respecter
comme les autres.
Trois plaintes contre un même sujet suffisent à le faire
renvoyer. Trois demandes de mort suffisent à l'en faire punir
sur-le-champ. Il y a, dans chaque sérail, quatre bourreaux,
quatre geôliers, huit fustigateurs, quatre écorcheurs,
quatre sages-femmes et quatre chirurgiens, aux ordres des membres
qui, dans leurs passions, pourraient avoir besoin du ministère
de pareils personnages ; bien entendu que les sages-femmes et les
chirurgiens ne sont là que pour des supplices, et nullement
pour des soins à rendre. Dès qu'un sujet a le plus léger
symptôme de maladie, il est envoyé à l'hôpital,
et ne rentre plus à la maison.
Les deux sérails sont environnés de hauts murs. Toutes
les fenêtres en sont grillées, et jamais les sujets ne
sortent. Entre le bâtiment et le haut mur environnant, est un
intervalle de dix pieds formant une allée plantée de
cyprès, où les membres de la Société font
quelquefois descendre les sujets, pour se livrer avec eux, dans cette
promenade solitaire, à des plaisirs plus sombres et souvent
plus affreux. Au pied de quelques-uns de ces arbres sont ménagés
des trous, où la victime peut à l'instant disparaître.
On soupe quelquefois sous ces arbres, quelquefois dans ces trous mêmes.
Il y en a d'extrêmement profonds, où l'on ne peut descendre
que par des escaliers secrets, et dans lesquels on peut se livrer
à toutes les infamies possibles avec le même calme, le
même silence que si l'on était dans les entrailles de
la terre.
45° Nul ne peut être reçu sans signer préalablement,
et le serment qu'on lui fait prononcer, et les obligations imposées
à son sexe.
L'heure arrivée, nous
partîmes. J'étais parée comme la déesse
du Jour. Clairwil, comme jouant le rôle de ma marraine, était
mise avec une coquetterie moins jeune. Elle me prévint, en
route, de l'extrême docilité que je devais apporter à
tous les désirs des membres de la Société, et
me dit aussi de ne point m'impatienter, si je ne pouvais, comme novice,
participer d'un mois aux plaisirs du sérail.
La maison se trouvant dans un des faubourgs les plus déserts
et les moins peuplés de Paris, nous fûmes près
d'une heure en chemin. Le cur me battit, dès que je vis
la voiture entrer dans une cour très sombre, absolument entourée
de grands arbres, et dont les portes se refermèrent aussitôt
sur nous. Un écuyer vint nous recevoir à la descente
de notre voiture, et nous introduisit dans la salle. Clairwil fut
obligée de se mettre nue ; je ne devais me déshabiller
qu'en cérémonie. Le local me parut superbe et magnifiquement
éclairé ; nous ne pûmes arriver qu'en marchant
sur un grand crucifix tout parsemé d'hosties consacrées,
au bout duquel était la Bible, qu'il fallait de même
fouler aux pieds. Vous croyez bien qu'aucune de ces difficultés
ne m'arrêta.
Je pénétrai. C'était une fort belle femme de
trente-cinq ans qui présidait ; elle était nue, magnifiquement
coiffée ; ce qui l'entourait au bureau était également
nu : il y avait deux hommes et une femme. Plus de trois cents personnes
étaient déjà réunies et nues : on enconnait,
on se branlait, on se fouettait, on se gamahuchait, on se sodomisait,
on déchargeait, et tout cela dans le plus grand calme ; on
n'entendait aucune autre espèce de bruit que celui nécessité
par les circonstances. Quelques-uns se promenaient doubles ou seuls
; beaucoup examinaient les autres, et se branlaient lubriquement en
face des tableaux. Il y avait plusieurs groupes, quelques-uns même
formés de huit ou dix personnes ; beaucoup d'hommes seuls avec
des hommes ; beaucoup de femmes entièrement livrées
à des femmes ; plusieurs femmes entre deux hommes ; et plusieurs
hommes occupant deux ou trois femmes. Des parfums extrêmement
agréables brûlaient dans de grandes cassolettes et répandaient
des vapeurs enivrantes qui plongeaient, malgré soi, dans une
sorte de langueur voluptueuse. Je vis plusieurs personnes sortir ensemble
des cabinets d'aisances. Au bout d'un instant, la présidente
se leva et prévint, à voix basse, qu'on lui prêtât,
quand on pourrait, un moment d'attention. Quelques minutes après,
tout le monde m'entoura ; je n'avais été de ma vie tant
examinée ; chacun prononçait, et j'ose dire que je ne
recueillis de tout cela que des éloges ; de grands complots,
de grands projets se formèrent sur moi et autour de moi, et
je frémis d'avance de l'obligation où j'allais être
de me prêter à tous les désirs que faisaient naître
ma jeunesse et mes charmes. Enfin la présidente me fit monter
sur une estrade en face d'elle ; et là, séparée
par une balustrade de toute l'assemblée, elle ordonna que l'on
me mît nue : deux frères servants arrivèrent,
et, en moins de trois minutes, il ne me resta pas un vêtement
sur le corps. J'avoue qu'un peu de honte s'empara de moi, lorsque
les frères, en se retirant, m'exposèrent absolument
nue aux yeux de l'assemblée, mais les nombreux applaudissements
que j'entendis me rendirent bientôt toute mon impudence.
Telles furent les questions que m'adressa la présidente ; j'y
joins mes réponses :
- Promettez-vous de vivre éternellement dans les plus grands
excès du libertinage ?
- Je le jure.
- Toutes les actions luxurieuses, même les plus exécrables,
vous paraissent-elles simples et dans la nature ?
- Je les vois toutes comme indifférentes à mes yeux.
- Les commettriez-vous toutes au plus léger désir de
vos passions ?
- Oui, toutes.
- Protestez-vous de vous conformer exactement à tout ce qui
vous a été lu par votre marraine dans les statuts de
notre Société ? et vous soumettez-vous aux peines portées
par ces statuts, si vous devenez réfractaire ?
- Je jure et promets tout ce qui est contenu dans cet article.
- Êtes-vous mariée ?
- Non.
- Êtes-vous pucelle ?
- Non.
- Avez-vous été enculée ?
- Souvent.
- Foutue en bouche ?
- Souvent.
- Fouettée ?
- Quelquefois.
- Comment vous appelez-vous ?
- Juliette.
- Quel âge avez-vous ?
- Dix-huit ans.
- Vous êtes-vous branlée avec des femmes ?
- Souvent.
- Avez-vous commis des crimes ?
- Plusieurs.
- Avez-vous attenté à la vie de vos semblables ?
- Oui.
- Promettez-vous de vivre toujours dans les mêmes écarts
?
- Je le jure.
(Ici de nouveaux applaudissements se firent entendre.)
- Ferez-vous recevoir à la Société tous ceux
qui vous tiendront par les liens du sang ?
- Oui.
- Promettez-vous de ne jamais trahir les secrets de la Société
?
- Je le jure.
- Promettez-vous la complaisance la plus entière à tous
les caprices, à toutes les lubriques fantaisies des membres
de la Société ?
- Je la promets.
- Qu'aimez-vous le mieux, des hommes ou des femmes ?
- J'aime beaucoup les femmes pour me branler, infiniment les hommes
pour me foutre.
(Cette naïveté fit éclater de rire tout le monde.)
- Aimez-vous le fouet ?
- J'aime à le donner et à le recevoir.
- Qu'aimez-vous le mieux des deux jouissances qui peuvent être
procurées à une femme : celle de la fouterie en con,
ou celle de la sodomie ?
- J'ai quelquefois raté l'homme qui m'enconnait, jamais celui
qui me foutait en cul.
(Il me parut que cette réponse faisait aussi le plus grand
plaisir.)
- Que pensez-vous des voluptés de la bouche ?
- Je les idolâtre.
- Aimez-vous à être gamahuchée ?
- Infiniment.
- Et gamahuchez-vous bien les autres ?
- Très moelleusement.
- Vous sucez donc aussi des vits avec plaisir ?
- Et j'en avale le foutre.
- Avez-vous fait des enfants ?
- Jamais.
- Protestez-vous de vous en abstenir ?
- Le plus que je pourrai.
- Vous détestez donc la progéniture ?
- Je l'abhorre.
- S'il vous arrivait de devenir grosse, auriez-vous le courage de
vous faire avorter ?
- Assurément.
- Votre marraine est-elle munie de la somme que vous devez payer avant
que d'être reçue ?
- Oui.
- Êtes-vous riche ?
- Immensément.
- Vous n'avez jamais fait de bonnes uvres ?
- Je les déteste.
- Vous ne vous êtes livrée à aucun acte de religion
depuis votre enfance ?
- A aucun.
Clairwil remit aussitôt entre les mains du secrétaire
la somme convenue, et elle prit un papier que l'on m'ordonna de lire
à haute voix. Ce papier imprimé avait pour titre : Instructions
aux femmes admises à la Société des Amis du Crime.
- Le voilà, mes amis, dit Mme de Lorsange, il est trop intéressant
pour que je ne vous en fasse pas la lecture2 :
« En quelque état ou condition que soit née celle
qui va signer ceci, dès qu'elle est femme, elle est, de ce
moment-là seul, créée pour les plaisirs de l'homme
; il faut donc lui prescrire une conduite qui la mette à même
de rendre ces plaisirs utiles à sa bourse et à sa lubricité.
C'est dans l'état de mariage que nous allons la prendre ; car
celles qui, n'étant point mariées, vivent néanmoins
avec un homme, soit comme maîtresses, soit comme entretenues,
se trouvant avec les mêmes chaînes que celles qui existent
sous les nuds de l'hymen, trouveront, dans les conseils suivants,
les mêmes avis pour se soustraire à ces chaînes
ou pour se les rendre plus douces. On prévient donc que le
mot homme employé dans cet écrit, voudra génériquement
dire amant, époux ou entreteneur, tout individu s'arrogeant,
en un mot, des droits sur une femme, dans quelque état qu'elle
soit, parce que, fût-elle riche à millions, elle doit
néanmoins toujours retirer de l'argent de son corps. La première
loi de toutes les femmes étant de ne foutre jamais que par
libertinage ou par intérêt, et comme souvent elle est
obligée de payer ceux qui lui plaisent, il faut qu'elle se
mette en fonde pour cela, par le moyen de ce qu'elle retire des prostitutions
où elle se livre avec ceux qui ne lui plaisent pas. Bien entendu,
que tout ceci n'a pour objet que sa conduite dans le monde : les statuts
qu'elle vient de jurer fixent celle que l'on doit garder dans la Société.
« 1° Pour réussir à cette apathie nécessaire
à conserver, soit qu'elle foute pour de l'argent, soit qu'elle
foute pour son plaisir, la première chose qu'elle observera
sera de tenir toujours son cur inaccessible à l'amour
; car si elle fout pour son plaisir, elle jouira mal, étant
amoureuse ; l'occupation où elle sera de donner des plaisirs
à son amant l'empêchera d'en goûter elle-même
; et si elle fout pour de l'argent, elle n'osera jamais pressurer
celui qu'elle aimera : telle doit être pourtant son unique occupation
avec l'homme qui la paye.
« 2° Abstraction faite de tout sentiment métaphysique,
elle donnera donc toujours la préférence à celui
qui, si elle fout par plaisir, bandera le mieux, aura le plus beau
vit ; et si elle fout par intérêt, à celui qui
la payera le plus cher.
« 3° Qu'elle évite toujours avec soin ce qu'on appelle
des greluchons : cette engeance-là paye aussi mal qu'elle fout.
Qu'elle s'en tienne aux valets, aux crocheteurs : voilà les
culottes où la vigueur est reléguée !... les
esprits où le secret se conserve !... On change de cela comme
de chemise, et il n'y a jamais d'indiscrétion à redouter.
« 4° Quel que soit l'homme qui l'enchaîne, qu'elle
se garde bien de la fidélité. Ce sentiment puéril
et romanesque n'est bon qu'à perdre une femme, à lui
causer beaucoup de chagrins ; elle peut être sûre qu'il
ne lui rapportera jamais aucun plaisir. Et par quelle raison serait-elle
fidèle, puisqu'il est certain qu'il n'est pas un seul homme
dans le monde qui le soit ? N'est-il pas ridicule que le sexe le plus
fragile, le plus faible, celui que tout entraîne perpétuellement
au plaisir, celui que des séductions journalières autorisent
à succomber, n'est-il pas absurde que ce soit celui-là
qui résiste, pendant que l'autre n'a pour faire le mal que
sa seule et unique méchanceté ? Et d'ailleurs, à
quoi sert la fidélité à une femme ? Si son homme
l'aime véritablement, il doit être assez délicat
pour tolérer toutes ses faiblesses, et pour partager même
idéalement les jouissances qu'elle se procure ; s'il ne l'aime
pas, quelle extravagance elle ferait de s'enchaîner à
quelqu'un qui la trompe journellement ! Les infidélités
de la femme sont les torts de la nature : celles de l'homme, ceux
de sa fourberie et de sa méchanceté. La femme dont il
s'agit ici ne se refusera donc à aucune infidélité
: au contraire, elle en fera naître les occasions le plus souvent
possible, et elle les multipliera journellement.
« 5° La fausseté est un genre de caractère
essentiel dans une femme. De tout temps elle fut l'arme du faible
: toujours placée devant son maître, comment résisterait-elle
à l'oppression, sans le mensonge et sans l'imposture ? Qu'elle
use donc sans crainte de ses armes ; elles lui sont données
par la nature pour la défendre contre toutes les entreprises
de ses oppresseurs. Les hommes veulent être trompés,
une agréable erreur est plus douce qu'une triste réalité
: ne vaut-il pas mieux qu'elle déguise ses torts que de les
avouer ?
« 6° Une femme ne doit jamais avoir de caractère
à elle : il faut qu'elle emprunte, avec art, celui des gens
qu'elle a le plus d'intérêt à ménager,
soit pour sa luxure, soit pour son avarice, sans néanmoins
que cette souplesse lui ôte l'énergie essentielle à
se plonger dans tous les genres de crimes qui doivent flatter ses
passions ou les servir, tels que ceux de l'adultère, de l'inceste,
de l'infanticide, des empoisonnements, du vol, du meurtre, et tous
ceux enfin qui peuvent lui être agréables, et auxquels,
sous le voile de la fausseté et de la fourberie que nous lui
conseillons, elle peut se livrer sans aucune espèce de crainte
ni de remords, parce qu'ils sont placés par la nature dans
le cur des femmes, et que de faux principes reçus avec
l'éducation l'empêchent seuls de les caresser chaque
jour comme elle le devrait.
« 7° Que le libertinage le plus excessif, le plus renouvelé,
le plus crapuleux, loin de l'effrayer, devienne la base de ses plus
délicieuses occupations. Si elle veut écouter la nature,
elle verra qu'elle a reçu d'elle les plus violenta penchants
à cette sorte de plaisir, et qu'elle doit, par conséquent,
s'y livrer journellement sans crainte : plus elle fout, mieux elle
sert la nature ; elle ne l'outrage que par sa continence3.
« 8° Qu'elle ne se refuse jamais à tel acte de débauche
qui lui sera proposé par son homme ; la complaisance la plus
entière en ce cas-là lui deviendra toujours un des plus
sûrs moyens de captiver celui qu'elle a intérêt
de conserver. La jouissance d'une femme fatigue bientôt un homme
: qu'arrive-t-il, si elle n'a pas l'art de le ranimer ? Il se dégoûte
et l'abandonne. Mais celui qui reconnaîtra dans une femme l'étude
la plus entière à deviner et savoir ses goûts,
à les prévenir et à s'y enchaîner, celui-là,
dis-je, trouvant la possession d'une femme toujours nouvelle, se fixera
bien plus certainement : il deviendra dès lors bien plus facile
à la femme de le tromper ; et telle doit toujours être
la plus chère étude de l'individu du sexe dont nous
traçons les devoirs.
« 9° Que cet individu charmant évite avec le plus
grand soin l'air de la pruderie et de la modestie, quand elle est
avec son homme : il en est très peu qui aiment cette manière
d'être, et l'on risque de dégoûter fort promptement
ceux qui ne l'aiment point. Qu'elle adopte ce masque pour en imposer
dans le monde, si elle le croit nécessaire : tout ce qui tend
à l'hypocrisie est bon, c'est un moyen de plus de tromper,
et il n'en est aucun qu'elle ne doive prendre.
« 10° On ne saurait trop lui recommander d'éviter
les grossesses, soit en faisant un grand usage de toutes les manières
de jouir qui détournent la semence du vase prolifique, soit
en détruisant le germe, sitôt qu'elle en soupçonne
l'existence. Une grossesse trahit, gâte la taille, et n'est
bonne sous aucun rapport. Qu'elle se livre de préférence
au plaisir antiphysique ; cette délicieuse jouissance lui assure
à la fois et plus de plaisir et plus de sûreté
: presque toutes les femmes qui en ont essayé s'y tiennent.
L'idée, d'ailleurs, de donner ainsi bien plus de plaisir aux
hommes doit être, pour leur délicatesse, un motif puissant
de ne plus adopter d'autre genre.
« 11° Que son âme, absolument cuirassée, ne
laisse jamais pénétrer dans elle une sensibilité
qui la perdrait. Une femme sensible doit s'attendre à tous
les malheurs, car, comme elle est plus faible et plus délicate
que les hommes, tout ce qui attaquera cette sensibilité la
déchirera bien plus cruellement, et, dès lors, plus
aucun plaisir pour elle. Sa complexion la porte à la luxure
: si par cet excès de sensibilité que nous cherchons
à détruire, elle va s'enchaîner à un seul
homme, elle divorce, de ce moment-là, avec tous les charmes
du libertinage, les seuls qui soient vraiment faits pour elle, et
qui doivent la combler de volupté, d'après l'organisation
qu'elle a reçue de la nature.
« 12° Qu'elle évite soigneusement toute pratique
de religion : ces infamies, qu'elle doit avoir foulées sous
les pieds longtemps, ne pourraient, en timorant sa conscience, que
la rappeler à un état de vertu, qu'elle ne reprendrait
pas sans être obligée de renoncer à toutes ses
habitudes et à tous ses plaisirs ; ces platitudes affreuses
ne valent pas les sacrifices qu'elle serait obligée de leur
faire, et, comme le chien de la fable, elle quitterait, en les poursuivant,
la réalité pour l'apparence. Athée, cruelle,
impie, libertine, sodomiste, tribade, incestueuse, vindicative, sanguinaire,
hypocrite et fausse, voilà les bases du caractère d'une
femme qui se destine à la Société des Amis du
Crime, voilà les vices qu'elle doit adopter, si elle veut y
trouver le bonheur. »
L'énergie avec laquelle je lus ces principes, en convainquant
la société qu'ils étaient déjà
tous au fond de mon cur, me valut de nouveaux applaudissements,
et je descendis dans la salle.
Tous les couples, distraits par l'événement de ma réception,
se renouèrent, et je fus bientôt attaquée ; de
ce moment jusqu'à celui du souper, je ne revis plus Clairwil.
Le premier qui m'aborda était un homme de cinquante ans.
- Te voilà bien putain, pour le coup ! me dit-il en me conduisant
sur un canapé, il n'y a plus à t'en dédire à
présent ; te voilà garce comme une raccrocheuse ; j'ai
été content de toi, tu m'as fait bander.
Et le paillard m'enconne en me disant cela. Il lime un quart d'heure,
baise beaucoup ma bouche, puis, saisi par une autre femme, il me quitte
sans décharger. Une vieille de soixante ans vint à moi,
et m'ayant recouchée sur le canapé que j'allais quitter,
elle me branla, et se fit branler fort longtemps. Trois ou quatre
hommes nous examinaient ; un d'eux encula la matrone, et la fit crier
de plaisir. Un autre de ces hommes, voyant que je me pâmais
sous les coups de doigts de la tribade, vint m'offrir son vit à
sucer ; et comme la vieille me quitta, le coquin passa de ma bouche
à mon con ; il avait le plus beau vit du monde, et foutait
à merveille. Une jeune personne me l'enleva encore, il me laissa
là pour la foutre à mes yeux ; ma rivale me fit un signe,
je l'approchai et la putain me gamahucha ; elle eut le foutre de l'homme
qu'elle m'avait enlevé, je lui donnai le mien. Deux jeunes
gens nous assaillirent, et formèrent le groupe le plus agréable,
en nous enconnant toutes deux ; ma compagne suivit le jeune homme
avec lequel elle venait de s'amuser, et me laissa seule un instant.
Un homme, que je reconnus pour un évêque avec lequel
j'avais fait des parties chez la Duvergier, m'enconna de même,
après s'être fait pisser sur le nez. Celui qui vint après,
et que je reconnus également pour un ecclésiastique,
me le mit dans la bouche, et y déchargea. Une jeune personne
très jolie vint se faire branler, je la gamahuchai de tout
mon cur. Un homme d'environ quarante ans la prit, les fesses
en l'air, et l'encula ; le libertin m'en fit bientôt autant
; il nous invectivait, en jouissant ainsi de nous, il nous traitait
de tribades, de gamahucheuses, et lorsqu'il en enculait une, il claquait
toujours les fesses de l'autre.
- Que fais-tu de ces deux bougresses ? lui dit un jeune homme, en
l'abordant et l'enculant lui-même ; tiens, bougre, voilà
ce qu'il te faut, disait-il, et non pas des culs de femmes.
Tout me quitte encore une fois, lorsqu'un vieil homme, armé
d'une poignée de verges, vient m'en échauffer le derrière,
et se faire un instant branler.
- N'est-ce pas toi qu'on a reçue ce soir ? me dit-il.
- Oui.
- Je suis fâché de ne t'avoir pas vue, j'étais
au sérail ; tu as le plus beau cul du monde... Courbe-toi,
que je te sodomise.
Et le vilain triompha, j'eus son foutre. Un très joli jeune
homme parut, et me traita de même, mais je fus fouettée
bien plus fort : il en vint dix de suite, parmi lesquels je reconnus,
à la coiffure, six robins et quatre prêtres ; tous m'enculèrent.
J'étais en feu, je m'approchai d'une garde-robe ; comme les
femmes n'allaient qu'à celles qui étaient servies par
des hommes, et les hommes à celles que les femmes soignaient,
le jeune garçon, après m'avoir placée sur le
fauteuil, me demanda si j'emploierais sa langue. Lui ayant répondu
en lui exposant mon derrière, il me nettoya d'une manière
si agréable que je perdis du foutre. Je m'aperçus, en
rentrant, qu'il y avait des hommes qui guettaient les femmes sortant
de ces garde-robes ; l'un d'eux m'aborde, et me demande le cul à
baiser : je le présente, il gamahuche, et paraît très
fâché de ne plus trouver de vestiges. Il me quitta sans
me rien dire, pour prendre un jeune homme qui entrait dans le même
lieu, et qu'il suivit. Parcourant alors un instant la salle, je puis
dire que je vis là tous les tableaux que l'imagination la plus
lascive pourrait à peine concevoir en vingt ans : que d'attitudes
voluptueuses, que de caprices bizarres, quelle variété
de goûts et de penchants ! Oh, Dieu ! me dis-je, comme la nature
est belle, et combien sont délicieuses toutes les passions
qu'elle nous donne ! Mais une chose fort extraordinaire, que je ne
cessais de remarquer, c'est qu'excepté les mots nécessaires
à l'action, les cris de plaisir et beaucoup de blasphèmes,
on eût entendu le vol d'une mouche. Le plus grand ordre régnait
au milieu de tout cela. S'élevait-il quelques altercations,
ce qui était fort rare, d'un geste la présidente ou
le censeur y ramenait l'ordre : les plus décentes actions ne
se seraient point passées avec plus de calme. Et je pus facilement
me convaincre, en cette circonstance, que ce que l'homme respecte
le plus dans le monde, ce sont ses passions.
Beaucoup d'hommes et de femmes passaient aux sérails ; la présidente,
en souriant, leur distribuait des cartes. En ce moment, plusieurs
femmes m'attaquèrent ; je me branlai avec trente-deux, dont
plus de la moitié avait passé quarante ans ; elles me
sucèrent, me foutirent en cul et en con avec des godemichés
; une d'elles me fit pisser dans sa bouche, pendant que je la gamahuchais
; une autre me proposa de nous chier mutuellement sur les tétons,
elle le fit, je ne pus le lui rendre ; un homme, en se faisant enculer,
vint manger l'étron que cette femme avait fait sur mon sein,
et il chia lui-même après, en déchargeant dans
la bouche de celui qui venait de le foutre.
La présidente eut envie de moi. Elle se fit relever par un
homme, et vint me trouver ; nous nous baisâmes, nous nous suçâmes,
nous nous dévorâmes de caresses ; je n'avais jamais vu
de femme, excepté Clairwil, décharger avec tant d'abondance
et de lubricité ; sa passion favorite était de se faire
enculer, pendant qu'appuyée sur le visage d'une femme, elle
s'en faisait sucer le con, en en gamahuchant une autre ; nous exécutâmes
ce tableau, et la putain reprit son fauteuil.
Les hommes revinrent. A cette seconde séance, je trouvai peu
de conistes, mais infiniment de bougres, quelques masturbateurs et
une douzaine de fouteurs en bouche ; un d'eux se fit sucer par un
jeune homme, pendant qu'il sentait et respirait mes aisselles ; il
les léchait de temps en temps, ce qui m'occasionnait un chatouillement
très agréable. Je fus fouettée cinq ou six fois
; je reçus trois ou quatre lavements que ceux qui les administraient
me firent rendre dans leur bouche ; on me fit péter, cracher
; un homme se fit enfoncer un million d'épingles dans les couilles,
dans les fesses, et resta ainsi toute la soirée ; un autre
avait pour manie de me sucer partout : il passa pendant deux heures
os langue dans ma bouche, sur mes yeux, autour de mes oreilles, dans
mes narines, entre les doigts de mes pieds, et déchargea en
me l'enfonçant dans le cul. Plusieurs femmes exigèrent
de moi d'être enculée avec des godemichés ; une
me fit branler sur le trou de son cul le vit d'un homme qu'elle m'amena,
elle voulut que j'y fisse ensuite entrer le foutre avec le bout de
mon doigt ; une très jolie fille me chia sur les fesses, un
vieil homme la suivit, qui l'encula en dévorant sur mon cul
l'étron qu'elle venait d'y faire ; on m'assura que c'était
le père et la fille. Je vis d'autres couples semblables ; je
vis des frères enculant leurs surs ; des pères
enconnant leurs filles ; des mères foutues par leurs enfants
; enfin tous les tableaux de l'inceste, de l'adultère, de la
sodomie, de la prostitution, de l'impureté, de la crapule,
de l'impiété, s'offrirent à moi sous mille nuances,
et je crois que jamais des bacchantes ne réunirent à
la fois plus d'ordures et plus d'infamie.
Lassée du rôle de victime, je voulus être agente
à mon tour. J'attaquai cinq ou six jeunes gens dont les vite
me parurent fort gros, et qui, tantôt d'un côté,
tantôt de l'autre, quelquefois de tous deux ensemble, me foutirent
pendant près de deux heures. Au sortir de là, un vieil
abbé se fit branler sur mon clitoris par une très jolie
nièce que je gamahuchais ; un assez beau jeune homme voulut
baiser mes fesses pendant qu'il enculait sa mère. Deux jolies
surs me mirent entre elles, l'une me branlait le con, pendant
que l'autre me chatouillait le derrière ; je déchargeai,
sans me douter que le papa les enconnait alternativement toutes deux.
Un autre père me fit enculer par son fils, pendant ,qu'il jouissait
du jeune homme de la même manière ; il me sodomisa lui-même
après, et le fils lui rendit ce qu'il venait d'en recevoir.
Un frère m'enconna, pendant que sa sur l'enculait avec
un bijou de religieuse... Et tous ces prétendus outrages à
la nature se passaient avec un ordre, une tranquillité, bien
capables de nourrir les réflexions d'un philosophe. S'il y
a quelque chose de simple, en effet, dans le monde, c'est l'inceste
: il est dans les principes de la nature, il est conseillé
par elle ; les lois climatériques seules le poursuivirent ;
mais ce qui est toléré dans les trois quarts de la terre
peut-il faire un crime dans l'autre quart ? L'impossibilité
de commettre ce délicieux crime me désolait ; je ne
sais ce que j'aurais donné pour avoir un père ou un
frère : avec quelle ardeur je me serais livrée à
l'un ou l'autre... comme il eût fait de moi tout ce qu'il aurait
voulu !...
D'autres objets m'environnèrent bientôt.
Deux très jolies surs, de dix-huit à vingt ans,
me menèrent dans un cabinet où elles s'enfermèrent
avec moi. Là, elles me firent exécuter sur elles tout
ce que la lubricité peut avoir de plus piquant et de plus fort.
- Si nous nous amusions ainsi dans le salon, me dirent-elles, nous
serions entourées de ces vilains hommes qui viendraient nous
inonder de leur sperme gluant ; il est bien plus joli de n'être
qu'entre femmes.
Et les petites friponnes, alors, me firent l'aveu de leurs goûts.
Délicates zélatrices de leur sexe, elles ne pouvaient
supporter les hommes ; entraînées dans cette société
par leur père, l'espoir de posséder des femmes tant
qu'elles en voudraient les avait consolées de l'obligation
de se prêter aux hommes...
- Vous ne vous marierez donc point ? leur dis-je.
- Oh ! jamais ! nous aimerions mieux mourir que de nous enchaîner
avec des hommes.
Je les tâtai sur leurs autres principes. Quoique si jeunes encore,
elles étaient fermes : philosophiquement élevées
par leur père, on ne trouvait plus dans ces curs-là
ni morale, ni religion, tout était soigneusement élagué
; elles avaient tout fait, étaient prêtes à tout
recommencer, et leur énergie m'étonna. De tels caractères
s'arrangeaient trop parfaitement au mien pour que je n'accablasse
pas ces charmantes filles de caresses ; et après avoir bien
perdu du foutre ensemble, et nous être promis de nous cultiver,
nous rentrâmes. Un jeune homme, qui m'avait vue sortir d'avec
elles, me pria de me renfermer un instant avec lui dans le cabinet.
- Oh, ciel ! me dit-il dès que nous fûmes seuls, j'ai
frémi, vous voyant avec ces créatures ; méfiez-vous
d'elles, ce sont des monstres qui, malgré leur extrême
jeunesse, sont capables de toutes les horreurs.
- Mais, dis-je, n'est-ce donc point ainsi qu'il faut être ?
- Soit ; mais entre nous, il faut se respecter, se chérir ;
ce n'est qu'au-dehors que doivent s'aiguiser nos armes ; et les créatures
que vous venez de quitter n'ont de plaisir qu'à nuire à
leurs frères. Méchantes, sournoises, traîtresses,
elles ont tous les défauts qui peuvent déplaire à
la Société : il suffit qu'elles viennent de s'amuser
avec vous, pour tâcher de vous perdre ou de vous faire esclave,
si elles peuvent en venir à bout ; sachez-moi quelque gré
de vous prévenir, et donnez-moi votre cul pour récompense.
Je crus qu'il allait me foutre : point du tout. La seule passion de
cet original consistait à m'épiler en dessous, en léchant
le trou de mon cul. Sur ce que je lui représentai qu'il me
faisait mal, il me dit que l'avis qu'il me donnait m'en épargnait
de bien plus grands. Nous sortîmes enfin au bout d'un quart
d'heure de ce supplice, sans que mon jeune homme éjaculât.
A peine l'eus-je quitté, que j'appris que tout ce qu'il m'avait
dit sur les deux surs n'était pas vrai, que la calomnie
le faisait bander, et, par ces faux avis, il croyait payer à
merveille les tourments auxquels il condamnait toutes les femmes.
Une musique mélodieuse se fit entendre : on me dit que c'était
l'avertissement du souper. Je passai avec tout le monde dans la voluptueuse
salle du festin. La décoration représentait une forêt
coupée par une infinité de petits bosquets, sous lesquels
étaient des tables de douze couverte. Des guirlandes de fleurs
pendaient aux festons des arbres, et des millions de lumières,
placées avec le même art que cilles de l'autre selon,
répandaient la clarté la plus douce. Deux frères
servants, attachée à chacune de ces tables, la soignaient
avec autant de propreté que de promptitude. Il n'assiste guère
que deux cents personnes au souper ; tout le reste était aux
sérails. Chacun choisissait sa compagnie pour se placer à
ces différentes tables ; et là, splendidement et magnifiquement
servis, au son d'une musique enchanteresse, on se livrait à
la fois aux intempérances de Comus et à tous les désordres
de Cypris.
Clairwil, revenue des sérails, s'était rapprochée
de moi. Il était facile de voir, à son désordre,
les excès où elle venait de se porter ; ses regards
brillants, ses joues animées, ses cheveux flottants sur son
sein, les mots obscènes ou féroces qu'elle prononça,
tout, tout peignait encore des nuances de délire qui la rendaient
mille fois plus belle ; je ne pus m'empêcher de la baiser en
cet état.
- Scélérate, lui dis-je, à combien d'horreurs
tu viens de te livrer !
- Console-toi, me dit-elle, nous les ferons bientôt ensemble.
Les deux petites surs avec lesquelles je venais de me branler,
deux femmes de quarante ans, deux fort jolies de vingt à vingt-cinq,
et six hommes, composaient notre table.
Ce qu'il y avait de fort régulier dans l'arrangement de ces
bosquets, c'est qu'il n'était pas une seule table d'où
l'on ne pût voir toutes les autres ; et, par une suite du cynisme
qui avait dirigé tout ceci, les lubricités du souper
ne pouvaient pas plus échapper à l'il observateur
que celles du salon.
Ces dispositions me firent voir des choses bien extraordinaires :
on ne se figure point l'égarement d'une tête luxurieuse
en de pareils instants. Je croyais tout savoir en libertinage, et
cette soirée me convainquit que je n'étais encore qu'une
novice. Oh ! mes amis, que d'impuretés, que d'horreurs, que
d'extravagances ! Quelques-uns sortaient de table pour passer dans
des cabinets, et il était impossible de se refuser à
ces désirs : ceux des membres de la Société devenaient
des lois pour l'individu qui en était l'objet. Celui-ci bientôt
en faisait autant : il ne se voyait là que des despotes et
des esclaves, et ces derniers, consolés par l'espoir de changer
à l'instant de rôle, ne balançaient jamais à
se plier aux soumissions qu'ils retrouvaient bientôt à
leur tour.
La Présidente, élevée dans une chaire d'où
elle dominait sur tout, maintenait l'ordre au souper comme au salon,
et le même calme y régnait. Le ton des conversations
y était extrêmement bas ; on s'y croyait dans le temple
de Vénus, dont la statue se voyait sous un bosquet de myrtes
et de roses, et on s'apercevait là que ses sectateurs recueillis
ne voulaient troubler leurs mystères par aucune de ces vociférations
dégoûtantes qui n'appartiennent qu'au pédantisme
et à l'imbécillité.
Électrisés par les vins étrangers et par la bonne
chère, les orgies de l'après-soupée furent encore
plus luxurieuses que celles d'avant. Je vis un instant où tous
les membres de la société ne formaient plus qu'un seul
et unique groupe ; il n'y en avait pas un qui ne fût agent ou
patient, et l'on n'entendait plus que des soupirs et des cris de décharges.
J'eus encore de terribles amants à soutenir : pas un sexe qui
ne me passât par les mains, pas une partie de mon corps qui
ne fût souillée ; et si j'avais les fesses meurtries,
j'avais la gloire d'en avoir outragé beaucoup d'autres. Enfin
je sortis au jour, dans un tel état de fatigue et d'épuisement,
que je fus obligée d'être trente-six heures dans mon
lit.
Je ne respirai qu'après la fin de mon mois de noviciat ; il
arrive enfin, ce terme si désiré : l'entrée des
sérails m'est permise. Clairwil, qui voulait me faire tout
connaître, m'accompagna partout.
Rien de si délicieux que ces sérails, et comme celui
des garçons ressemblait à celui des filles, en vous
donnant la description de l'un, vous aurez celle de l'autre.
Quatre grandes salles entourées de chambres et de cabinets
formaient l'intérieur de ces ailes séparées ;
ces salles servaient à ceux qui voulaient, comme à la
Société, s'amuser l'un devant l'autre ; les cabinets
se donnaient aux personnes qui désiraient isoler leurs plaisirs,
et les chambres étaient destinées à loger les
sujets. Le goût et la fraîcheur présidaient à
l'ameublement ; les cabinets surtout étaient de la dernière
élégance : c'étaient autant de petite temples
consacrés au libertinage, où rien ne manquait de tout
ce qui pouvait en échauffer le culte. Quatre duègnes
présidaient à chaque salle ; elles recevaient les billets
que vous apportiez, s'informaient de vos désirs, et vous satisfaisaient
aussitôt. On voyait, dans le même lieu, également
toujours prête, un chirurgien, une sage-femme, deux fustigateurs,
un bourreau et un geôlier ; rien d'aussi rébarbatif que
la figure de ces derniers personnages.
- Ne t'imagine pas, me dit Clairwil, que ces êtres-là
soient simplement pris dans la classe qui les fournit ordinairement
; ce sont des libertins comme nous, mais qui, n'ayant pas de quoi
payer ce qu'il faut pour être admis, exercent ces fonctions
par plaisir, et la besogne, de cette manière, est, comme tu
le vois, bien mieux faite ; quelques-uns se payent, d'autres ne demandent
que les droits d'un membre de la Société, on le leur
accorde.
Lorsque ces êtres-là étaient en fonctions, ils
étaient revêtus d'un costume effrayant ; les geôliers
avaient autour d'eux des ceintures de clefs, les fustigateurs étaient
entourés de verges et de martinets, et le bourreau, les bras
nus, deux effrayantes moustaches sous les lèvres, avait toujours
deux sabres et deux poignards à ses côtés. Celui-ci
se leva dès qu'il vit entrer Clairwil et vint la baiser sur
la bouche.
- M'emploies-tu aujourd'hui, bougresse ? lui dit-il.
- Tiens, répondit Clairwil, voilà une novice que je
t'amène et qui, sois-en bien sûr, fera, pour le moins,
de tes bras, un usage aussi grand que moi.
Et le scélérat, me baisant comme il avait fait à
mon amie, m'assura qu'il était sous tous les rapports à
mes ordres. Je le remerciai, lui rendis son baiser de tout mon cur,
et nous poursuivîmes notre examen.
Chacune de ces salles était destinée à un genre
de passion particulière. On se livrait dans la première
aux goûts simples, c'est-à-dire, à toutes les
masturbations et à toutes les fouteries possibles. La seconde
salle était destinée aux fustigations et autres passions
irrégulières. La troisième aux goûts cruels.
La quatrième au meurtre. Mais comme un sujet de l'une ou l'autre
de ces salles pouvait mériter la prison, le fouet ou la mort,
il se trouvait également dans toutes, des geôliers, des
bourreaux, des fustigateurs. Les femmes étaient aussi bien
reçues dans le sérail des garçons que dans celui
des filles, et les hommes dans celui des filles que dans celui des
garçons. Tous les sujets, lorsque nous entrâmes, étaient
employés, ou attendaient dans leurs chambres qu'on les mît
en uvre. Clairwil ouvrit quelques cellules du sérail
féminin et me fit voir des créatures vraiment célestes
: elles étaient en chemises de gaze, coiffées de fleurs,
et toutes celles dont nous ouvrîmes les portes nous reçurent
avec l'air du plus profond respect. J'allais m'amuser d'une de seize
ans qui me parut belle comme un ange, je lui maniais déjà
le con et la gorge, lorsque Clairwil me gronda de l'air de délicatesse
et d'honnêteté que j'employais avec cette jolie personne.
- Ce n'est point ainsi que l'on se conduit avec ces garces-là,
me dit-elle ; trop heureuses du choix que tu veux bien en faire...
commande, et l'on t'obéira.
Je changeai de ton aussitôt, et l'on répondit à
mes ordres par la plus aveugle obéissance. Nous visitâmes
d'autres chambres : partout mêmes grâces, mêmes
beautés, partout même soumission.
- Il ne faut pas sortir d'ici, dis-je à Clairwil, sans quelques
petites expéditions.
Et comme cette idée me vint dans la cellule d'une fille de
treize ans, jolie comme l'amour, par laquelle je venais de me faire
lécher le cul et le con pendant plus d'un quart d'heure, je
choisis sur-le-champ celle-là pour ma première victime.
Nous appelâmes un fustigateur ; l'enfant fut conduite par une
des vieilles dans un des cabinets de supplices, et là, liée,
garrottée comme une carotte de tabac, nous fîmes mettre
la donzelle en sang, pendant que nous nous branlions en face du sacrifice.
Clairwil, s'apercevant que l'opérateur bandait, développa
son vit, et se l'introduisit dans le con, pendant qu'à la prière
de ce libertin, je lui rendais ce qu'il venait d'appliquer à
ma jeune victime. Le coquin m'enfila après Clairwil, et nous
nous remîmes à fustiger la petite fille, qui sortit de
nos mains en un tel état, qu'il fallut l'envoyer à l'hôpital
le lendemain. Nous passâmes au sérail des hommes.
- Que veux-tu faire ici ? me dit Clairwil.
- Branler beaucoup d'engins, lui dis-je ; il n'y a rien que j'aime
autant que de secouer un vit ; la récolte du foutre humain
est une chose délicieuse pour moi : j'aime à le moissonner,
j'aime à voir jaillir le sperme, à m'en sentir arrosée.
- Eh bien, satisfais-toi ! me répondit mon amie, je ne me nourris
pas de viande si creuse. Écoute, contractons ensemble un arrangement
que je fais quelquefois avec une femme de mes amies. Comme je ne veux
pas que les vits me déchargent dans le corps, ils me foutront,
et tu les branleras : je te les enverrai tout roides, tu auras de
moins la peine de les mettre en train.
- J'accepte.
On nous envoya, dans la grande salle, quinze garçons de dix-huit
à vingt ans. Nous les rangeâmes en haie devant nous,
et sur des canapés ; en face d'eux, nous nous placions, pour
les défier, dans les plus lascives postures. Le moins fourni
avait un engin de sept pouces de long sur cinq de tour, et le plus
gros huit sur douze ; ils arrivaient à nous en raison du feu
que nous leur inspirions. Clairwil les recevait et me les renvoyait
: je les faisais couler sur mon sein, sur ma motte, sur mon visage
ou sur mes fesses ; au quatrième, je me sentis des démangeaisons
si violentes autour de l'anus, que je mis à présenter
le derrière à tous ceux qui sortaient du vagin de Clairwil
; ils se préparaient dans son con, et venaient décharger
dans mon cul ; ils redoublèrent, mais sans nous rassasier.
Rien n'est tel que le tempérament d'une femme quand il est
excité, c'est un volcan que l'on enflamme en voulant l'apaiser.
Nous redemandâmes des hommes ; on nous en envoya dix-huit de
vingt à vingt-cinq ans. Ici nous avions changé de rôle
: ces nouveaux vite, pour le moins aussi beaux que les précédents,
s'allumaient dans mon con et s'éteignaient au cul de ma compagne
; mais nous branlions nous-mêmes ceux que nous préparions
; et il arrivait souvent que l'excès de nos désirs troublant
l'ordre que nous avions établi, nous en trouvions tout d'un
coup six ou sept, ou dans nous, ou autour de nous.
Nous nous relevâmes enfin, collées de foutre sur nos
sophas, comme Messaline sur le banc des gardes de l'imbécile
Claude, après avoir été foutues quatre-vingt-cinq
coups chacune.
- Les fesses me brûlent, me dit Clairwil ; quand j'ai été
prodigieusement foutue, j'éprouve un incroyable besoin d'être
fouettée.
- J'ai la même envie, répondis-je.
- Il faut faire venir deux fustigateurs.
- Prenons-les tous les quatre, mon ange : il faut, ce soir, que mon
cul soit mis en marmelade.
- Attends, dit Clairwil en voyant entrer un homme de sa connaissance,
il faut faire de cela une petite scène.
Elle parle bas à cet homme, qui, se chargeant d'avertir les
fustigateurs, eut l'air de nous condamner lui-même au supplice.
Nous fûmes saisies, on nous lia les mains, et, fustigées
toutes deux devant cet homme qui se branlait en ordonnant, et en maniant
le cul des flagellateurs, quand nous fûmes en sang, nous présentâmes
le con à nos bourreaux, qui, munis de vite monstrueux, nous
foutirent encore deux coups chacun.
- Pour moi, mes belles poulettes, me dit le maître des cérémonies,
je ne vous demande, pour ma récompense, que de contenir à
mes attaques le râble d'un de ces gaillards-là.
Nous le satisfaisons, il encule ; les autres le fouettent pendant
qu'il sodomise, et nous suçons avec délices les vits
des fustigateurs.
- Je n'en puis plus, dit Clairwil, dès que nous fûmes
seules, le libertinage m'entraîne aux cruautés ; immolons
une victime... As-tu remarqué ce joli garçon de dix-huit
ans, qui nous baisait avec tant d'ardeur... Il est joli comme un ange,
et m'échauffe horriblement la tête. Faisons-le passer
dans la salle des tourments, nous l'égorgerons.
- Friponne, tu ne m'as point fait la même proposition dans le
sérail des femmes !
- Non, j'aime mieux massacrer les hommes ; je te l'ai dit, j'aime
à venger mon sexe, et s'il est vrai que celui-là ait
une supériorité sur le nôtre, l'imaginaire offense
à la nature n'est-elle pas plus grave en l'immolant ?
- On te croirait désolée de ce que cette offense est
nulle.
- Tu me juges bien : je suis au désespoir de ne trouver jamais
que le préjugé, au lieu du crime que je désire
et que je ne rencontre nulle part. Oh ! foutre, foutre ! quand pourrai-je
donc en commettre un !
Nous emmenons le jeune homme.
- Nous faudra-t-il un bourreau ? dis-je à mon amie.
- N'en ferons-nous pas bien nous-mêmes les fonctions ?
- A merveille.
- Allons donc.
Nous fîmes entrer notre victime dans un cabinet attenant à
cette salle, où nous trouvâmes tout ce qui était
nécessaire pour le supplice que nous destinions à ce
jeune homme. Il fut aussi long qu'affreux : l'infernale Clairwil but
son sang et avala une de ses couilles. Moins portée à
ces meurtres masculins que Clairwil, mon délire ne fut peut-être
pas aussi vif que le sien : il l'eût été davantage
avec une femme. Quoi qu'il en fût, je déchargeai beaucoup,
et, quittant le sérail des hommes, nous repassâmes dans
celui des filles.
- Montons dans la salle où il se fait des choses extraordinaires,
dis-je à Clairwil, nous ne ferons rien si tu veux, mais nous
verrons faire.
Un homme de quarante ans (c'était un prêtre) tenait une
petite fille de quinze ans, fort jolie, pendue par les cheveux au
plafond ; il la lardait à coups d'aiguille : le sang ruisselait
de toutes parte. Il encula Clairwil en mordant mon cul. Un second
donnait le fouet sur la gorge et sur le visage à une très
belle fille de vingt ans ; il se contenta de nous demander si nous
voulions en recevoir autant. C'était par un pied que le troisième
avait pendu sa victime. Rien n'était plaisant comme de voir
cette créature ainsi accrochée : elle paraissait avoir
dix-huit ans, un beau corps ; au moyen de cette attitude, le con se
trouvant fort écarté, le vilain enfonçait dedans
un godemiché à pointes de fer. Quand il nous vit, il
dit à Clairwil de tenir celle des jambes de cette fille qui
pendait, afin de lui entr'ouvrir davantage le vagin, et il me plaça
à genoux près de lui, en m'ordonnant de lui branler
le cul d'une main, le vit de l'autre ; en très peu de minutes,
nous fûmes toutes deux couvertes du sang que perdait la victime.
Le quatrième était un vieux robin de soixante ans ;
il avait enchaîné sur un gril une très jolie petite
fille de douze ans, et, par le moyen d'un vaste réchaud de
braise que le vilain ôtait et remettait à volonté,
il la faisait rôtir en détail : je vous laisse à
penser quels cris poussait la malheureuse, quand il plaisait à
cet homme cruel de lui griller les chairs. Dès qu'il nous vit,
il chauffa sa créature, et me demanda le cul ; je le lui présentai
; il l'enfile en claquant celui de ma compagne ; mais malheureusement
il décharge : le supplice est interrompu, et le barbare nous
maudit d'être ainsi venues le troubler.
Tout cela m'avait échauffé la tête : je voulus
absolument passer dans la salle des meurtres. Clairwil m'y suivit
par complaisance : quoiqu'elle n'aimât pas tuer les femmes,
sa férocité naturelle lui faisait indifféremment
accepter tout ce qui flattait ses goûts.
Je fis mettre vingt filles en haie, sur lesquelles j'en choisis une
de dix-sept ans, de la plus jolie figure qu'il fût possible
de voir. Je passai avec elle dans le cabinet qui m'était destiné.
La malheureuse que j'allais sacrifier, s'imaginant trouver plus de
pitié dans mon cur que dans celui d'un homme, se jeta
à mes pieds pour m'attendrir : belle comme un ange, et pleine
de délicatesse, ses moyens eussent nécessairement triomphé
avec une âme moins endurcie, moins corrompue que la mienne...
Il n'était plus temps. Tout ce qu'elle employa pour m'adoucir
ne servit qu'à m'irriter davantage ... Aurais-je osé
faiblir sous les yeux de Clairwil ! Après m'être fait
sucer deux heures par cette belle fille, après l'avoir souffletée,
battue, fustigée, après l'avoir enfin flétrie
de toutes les manières, je la fis lier sur une table, et la
criblai de coups de poignard, pendant que mon amie, accroupie sur
moi, me chatouillait à la fois, le clitoris, l'intérieur
du vagin, et le trou du cul. De mes jours je n'avais fait une aussi
délicieuse décharge ; elle m'épuisa au point
de m'ôter la force de reparaître au salon. J'emmenai Clairwil
chez moi ; nous soupâmes et couchâmes ensemble. Ce fut
là où cette charmante femme, s'imaginant m'avoir vu
manquer d'énergie dans l'action que je venais de commettre,
crut devoir m'adresser le conseil suivant :
- En vérité, Juliette, me dit-elle, ta conscience n'est
pas encore où je la voudrais ; ce que j'exige est qu'elle devienne
tellement tordue qu'elle ne puisse jamais se redresser ; il faudrait
employer mes moyens pour en venir là ; je te les indiquerai,
si tu veux, mais je crains que tu n'aies pas la force de les mettre
en usage. Ces moyens, chère amie, sont de faire à l'instant,
de sang-froid, la même chose qui, faite dans l'ivresse, a pu
nous donner des remords. De cette manière, on heurte fortement
la vertu quand elle se remonte, et cette habitude de la molester positivement,
à l'instant où le calme des sens lui donne envie de
reparaître est une des façons les plus sûres de
l'anéantir pour jamais. Emploie ce secret, il est infaillible
; dès qu'un instant de calme laisse arriver à toi la
vertu sous la forme du remords (car c'est toujours là le déguisement
qu'elle prend pour nous ressaisir), dès que tu t'en aperçois,
fais, sur-le-champ, la chose dont tu allais concevoir du regret :
à la quatrième fois, tu n'entendras plus rien, et tu
seras tranquille toute ta vie. Mais il faut beaucoup de force pour
cela ; car c'est l'illusion qui soutient le crime, et il devient très
difficile, pour une âme faible, de le commettre quand elle est
dissipée ; le secret est pourtant certain : je dis mieux, c'est
que, par vertu même, tu ne concevras plus le repentir, car tu
auras pris l'habitude de faire mal dès qu'elle se montre ;
et pour ne plus faire mal, tu l'empêcheras de paraître.
&0circ; Juliette ! sois-en sûre, il est difficile de te
donner un meilleur conseil sur cette importante matière : tu
le vois, puisqu'il t'apprend à vaincre totalement la plus pénible
dos situations, soit que tu veuilles la combattre par le vice, soit
que tu veuilles l'anéantir par la vertu.
- Clairwil, dis-je à mon amie, ce conseil est excellent, sans
doute, mais mon âme a fait un tel chemin dans la carrière
du vice, que je ne crois pas avoir besoin de ton remède pour
lui redonner de la vigueur : sois bien assurée que tu ne me
verras jamais frémir, quelle que soit l'action qu'il me faille
commettre, soit pour mes intérêts, soit pour mes plaisirs.
- Cher ange, me dit Clairwil en me baisant, je t'exhorte à
n'avoir jamais d'autres Dieux.
A quelque temps de là, Clairwil vint me proposer une assez
singulière partie. Nous étions dans le carême.
- Allons faire nos dévotions, me dit-elle.
- Es-tu folle ?
- Non : c'est une fantaisie fort extraordinaire que j'ai conçue
depuis quelque temps, et que je ne veux passer qu'avec toi. Il y a,
aux Carmes, un religieux de trente-cinq ans, beau comme le jour ;
je le convoite depuis six mois ; je veux absolument en être
foutue, mais par un moyen bien plaisant : nous allons aller en confesse
à lui ; nous échaufferons sa tête par les plus
lubriques détails ; il bandera ; je suis persuadée que,
de lui-même, il nous fera des propositions ; il nous indiquera
la façon de le voir, nous nous y rendrons sur-le-champ, et
nous l'épuiserons... Nous n'en resterons pas là ; nous
irons communier, nous recueillerons les hosties dans nos mouchoirs,
puis nous reviendrons déjeuner chez toi et faire des horreurs
sur ce misérable symbole de l'infâme religion chrétienne.
Ici, je crus devoir faire observer à mon amie que la première
partie de ses projets me paraissait avoir plus de charmes et plus
de réalité que la seconde.
- Dès que nous ne croyons pas en Dieu, ma chère, lui
dis-je, les profanations que tu désires ne sont plus que des
enfantillages absolument inutiles.
- J'en convions, me dit-elle, mais je les aime ; elles échauffent
ma tête ; rien, selon moi, n'enlève comme cela la possibilité
du retour : on ne peut plus rendre aucune existence à des objets
qu'on a traités de cette manière. Te l'avouerai-je,
d'ailleurs ? je ne te crois pas encore très ferme sur toutes
ces choses-là.
- Ah ! Clairwil, quelle est ton erreur, répondis-je, je suis
peut-être plus rassurée que toi ; mon athéisme
est à son comble. N'imagine donc pas que j'aie besoin des enfantillages
que tu me proposes pour m'y affermir ; je les exécuterai, puisqu'ils
te plaisent, mais comme de simples amusements, et jamais comme une
chose nécessaire, soit à fortifier ma façon de
penser, soit à en convaincre les autres.
- Eh bien ! mon ange, me répondit Clairwil, eh bien ! soit,
nous ne les ferons que comme un plaisir : bien sûre de toi maintenant,
je ne les exigerai pas d'une autre manière. Mais livrons-nous
à cette plaisanterie par libertinage, je t'en conjure.
- La confession où nous séduirons le carme en est un
acte bien constaté et bien délicieux, répondis-je
; mais la profanation du petit morceau de pâte rond, qui forme
la ridicule idole des chrétiens, ne saurait pas plus en être
un, que la rupture ou la brûlure d'un chiffon de papier.
- D'accord, reprit Clairwil, mais aucune sorte d'idée n'est
attachée à ce morceau de papier, et les trois quarts
de l'Europe en attachent de très religieuses à cette
hostie... à ce crucifix, et voilà d'où vient
que j'aime à les profaner ; je fronde l'opinion publique, cela
m'amuse ; je foule aux pieds les préjugés de mon enfance,
je les anéantis, cela m'échauffe la tête.
- Eh bien ! partons, répondis-je, je suis à toi.
Nous montâmes en voiture ; notre toilette simple et sans art
répondit parfaitement à nos projets, et le père
Claude, que nous demandâmes et qui arriva bientôt au confessionnal,
ne put assurément nous prendre que pour deux dévotes.
Clairwil commença ; je m'en aperçus : le pauvre carme
était déjà tout en feu quand je le pris.
- Oh ! mon père, lui dis-je, accordez-moi beaucoup d'indulgence,
car j'ai de grandes horreurs à vous révéler !
- Courage, mon enfant, Dieu est bon et miséricordieux, il nous
écoute avec bonté ; de quoi est-il donc question ?
- De fautes énormes, mon père, et qu'un affreux libertinage
me fait commettre chaque jour : quoique bien jeune encore, j'ai brisé
tous les freins, j'ai cessé d'implorer l'Être suprême
et il s'est séparé de moi. Oh ! quel besoin j'ai de
votre intercession près de lui ! les écarts de ma luxure
vous feront frémir, j'ose à peine vous les avouer.
- Êtes-vous mariée ?
- Oui, mon père, et j'outrage chaque jour mon époux
par la conduite la plus débordée.
- Un amant... une inclination ?
- Le goût des hommes en général, celui des femmes,
tous les genres possibles de débauche.
- Vous avez donc un tempérament ?...
- Irrassasiable, mon père ; voilà ce qui m'entraîne
dans la carrière du vice... ce qui m'y plonge avec un tel acharnement,
que je crains bien de succomber sans cesse, malgré tous les
secours que la religion peut m'offrir... Faut-il vous l'avouer, dans
ce moment-ci même, le plaisir de vous entretenir en secret vient
troubler l'action de la grâce ; je cherche Dieu dans ce saint
tribunal, et je n'y vois qu'un homme charmant que je suis prête
à préférer à lui.
- Ma fille... dit le pauvre moine tout troublé, votre état
me fait peine... il m'afflige... De grandes pénitences pourront
seules...
- Ah ! la plus cruelle pour moi sera de ne plus vous voir... Et pourquoi
donc les ministres de Dieu ont-ils des charmes qui distraient du seul
objet qui devrait occuper ici ? Mon père, je brûle au
lieu d'être apaisée ; homme céleste, c'est à
mon cur que vont tes paroles, et non à mon esprit, et
je ne rencontre que de l'irritation où je voudrais trouver
du calme. Voyons-nous dans un autre lieu ; quitte cet appareil redoutable
qui m'effraie, cesse un moment d'être l'homme de Dieu, pour
n'être plus que l'amant de Juliette.
Claude bandait comme un homme de son ordre ; une gorge blanche et
ronde que j'avais adroitement découverte devant lui, des yeux
très animée, des gestes qui devaient le convaincre de
l'état où j'étais, tout détermina le carme
; il était hors de lui.
- Aimable dame, me dit-il de l'air le plus ardent, votre amie, dans
le même cas que vous, vient aussi de me proposer des choses...
que vos yeux m'inspirent... que je brûle de faire... ,Vous êtes
deux sirènes qui m'enivrez par vos douces paroles, et je ne
suis plus en état de résister à tant de charmes
: quittons l'église ; j'ai près d'ici une petite chambre...
voulez-vous y venir ? je ferai tout ce qui dépendra de moi
pour vous calmer.
Puis, quittant le confessionnal et prenant la main de ,Clairwil :
- Suivez-moi, suivez-moi toutes deux, femmes séductrices, c'est
l'esprit infernal qui vous envoie pour me tenter : ah ! puisqu'il
fut plus puissant que Dieu même, il faut bien qu'il maîtrise
un carme.
Nous sortîmes. La nuit était déjà fort
sombre ; Claude nous dit de bien examiner où il entrerait,
et de le suivre à vingt pas de distance. Il prit le chemin
de la barrière de Vaugirard, et nous arrivâmes bientôt
dans un réduit mystérieux et baie, où le bon
moine nous offrit des biscuits et des liqueurs.
- Homme charmant, lui dit ma compagne, laissons là le langage
mystique ; nous te connaissons maintenant toutes lu deux ; nous t'aimons
: que dis-je, nous brûlons du désir d'être foutues
par toi. Ris avec nous de la ruse que nous avons employée ;
et satisfais-nous. Il y a pour mon compte six mois que je t'adore,
et deux heures que je décharge pour ton vit. Tiens, poursuit
notre libertine, en se troussant, voilà où je veux le
nicher ; vois si la cage est digne de l'oiseau.
Se jetant aussitôt sur le lit, la coquine a bientôt mis
le braquemart à l'air.
- Oh ! juste ciel, quel engin !... Juliette, me dit Clairwil eu se
pâmant d'avance, saisis cette poutre, si tes mains peuvent l'empoigner,
et conduis-là ; je te rendrai bientôt le même service.
Clairwil est obéie ; l'engin disparaît bientôt
dans un con qui, déjà tout humecté de foutre,
bâillait depuis un quart d'heure pour le recevoir. Oh ! mes
amis, qu'on a raison de citer un carme, quand on veut offrir un modèle
de vit et d'érection. Le membre de Claude, semblable à
celui d'un mulet, portait neuf pouces six lignes de tour sur treize
pouces de long, tête franche, et cette tête redoutable,
mes amis, mes deux mains l'empoignaient à peine. C'était
le plus beau champignon, le plus rubicond qu'il soit possible d'imaginer.
Par un miracle de la nature, uniquement accordé par elle à
ses favoris, Claude était doué de trois couilles !...
mais comme elles étaient pleines !... comme elles étaient
gonflées ! Il y avait, de son propre aveu, plus d'un mois que
le coquin n'avait perdu de semence. Quels flots il en répandit
dans le con de Clairwil, sitôt qu'il en eut touché le
fond ! et dans quel état cette prolifique éjaculation
mit ma voluptueuse compagne ! Claude me maniait en foutant, et la
manière adroite dont il chatouillait mon clitoris me fit bientôt
imiter le modèle que j'avais sous les yeux. le moine se retire
; je le patine ; Clairwil reste en attitude ; la putain se chatouille
en attendant qu'on la refoute. L'outil reprend sa vigueur : j'ai si
bien l'art de le branler4 ! Claude, échappant bientôt
de la main qui le dirige, veut s'engloutir au vagin présenté.
- Non, non, dit Clairwil en contenant l'ardeur de son amant, Juliette,
fais-le moi désirer ; branle-moi le clitoris.
Et Claude ne se prête à ces préliminaires qu'en
me palpant ; pendant qu'une de ses main entr'ouvre le con de Clairwil,
l'autre me masturbe. Enfin, semblable au coursier fougueux qui se
dérobe au frein de son conducteur, Claude s'engloutit dans
l'antre qui lui est offert... et, me renversant à côté
de Clairwil, le fripon fout l'une à tour de reins, pendant
qu'il branle l'autre avec toute l'adresse imaginable.
- Tu me crèves, scélérat ! dit Clairwil en jurant
comme me forcenée. Ah ! sacré foutredieu !je ne tiens
pas à tes coups de reins : il n'en est pas un qui ne me coûte
un torrent de sperme... Baise-moi donc, au moins, redoutable fouteur...
enfonce ta langue dans ma bouche, aussi avant que ton vit l'est dans
ma matrice... Ah ! foutre, je décharge... Ne m'imite pas, poursuit-elle
en le jetant de côté d'un vigoureux coup de cul, réserve
tes forces ! il faut que tu me limes encore.
Mais le malheureux, ne pouvant se contenir, déchargeait une
seconde fois ; je le branlai en dirigeant sur le con tout bâillant
de Clairwil les flots écumants qu'il lançait. C'était
avec du foutre que je tâchais d'éteindre les feux qu'allumait
le foutre.
- Ah ! double foutu Dieu ! dit Clairwil en se relevant, ce bougre-là
m'a tuée... Juliette, tu ne le soutiendras pas.
Cependant, elle s'empare du moine, elle le secoue ; pour presser l'érection
du serviteur de Dieu, la coquine essaye de le sucer, mais l'engin
est trop gros pour entrer dans sa bouche ; usant d'un autre moyen,
elle lui enfonce deux doigts dans le cul : avec des moines faits à
s'enculer, un tel remède est toujours efficace.
Sur les libertines questions de Clairwil à ce sujet, Claude
convient que, dans sa jeunesse, il servit de bardache à ses
confrères.
- Eh bien ! nous te foutrons aussi, dit Clairwil en découvrant
les fesses du moine, les lui baisant et gamahuchant le trou. Oui,
nous te sodomiserons, poursuit-elle en lui montrant un godemiché
: ta maîtresse va devenir ton amant. Fouts, mon ami, je vais
t'enculer, et tu nous enculeras toutes deux après, si cela
t'amuse. Tiens, vois ce derrière, dit-elle en montrant ses
fesses au carme, ne valent-elles pas bien le con que tu viens de foutre
? Tout est bon pour des putains comme nous ; et lorsque nous venons
pour être foutues, c'est dans toutes les parties de notre corps
que nous prétendons l'être. Allons, scélérat
! tu bandes, fous cette charmante novice qui vient de se confesser
à toi, enconne-là, jean-foutre ! pour sa pénitence,
et fous-là surtout aussi roide que tu m'as foutue.
Elle m'amène ce monstre ; j'étais sur le lit, les cuisses
écartées... l'autel s'offrait au sacrificateur...
Mais quel que fût mon libertinage, à quelque point que
je fusse accoutumée aux introductions des plus beaux vits de
Paris, il me fut cependant impossible de soutenir celui-là
sans préparation. Clairwil a pitié de moi ; elle humecte
de sa bouche, et les lèvres de mon con et l'énorme tête
du vit de Claude. Pressant ensuite mes fesses d'une main, pour avancer
mon ventre sur le bélier, et rapprochant de l'autre ce terrible
engin sur mon con, elle fit tant, qu'il pénétra de quelques
lignes. Claude, encouragé par ce commencement de victoire,
me saisit les reins avec force ; il sacre, il écume, il pourfend,
il triomphe. Mais ses lauriers me coûtent du sang ; j'en perds
autant que le jour où mon pucelage fut cueilli, et les douleurs
furent les mêmes ; bientôt métamorphosées,
néanmoins, dans les plus douces sensations de plaisir, je rends
à mon vainqueur tous les coups de reins dont il m'accable.
- Fixe un moment ces impétueux élans, dit Clairwil à
mon cavalier, je ne puis saisir ton cul dans ces voluptueuses agitations,
et tu sais que je t'ai promis de le foutre.
Claude s'arrête ; deux très belles fesses s'entr'ouvrent
sous les doigts libertine de Clairwil : affublée d'un godemiché,
la garce encule mon fouteur. Cet épisode, si précieux
pour un libertin, ne sert qu'à le rendre plus agile encore,
il pousse, il presse, il décharge, et je n'ai pas le temps
de le rejeter : l'aurais-je pu, grand Dieu ! et ma tête égarés
me l'eût-elle permis ? Ah ! pense-t-on à des dangers
quand on est ivre de plaisir ?
- A mon tour, dit Clairwil, ne le laissons pas reposer ; tiens, bougre,
voilà mes fesses, encule-moi ; tu vas me mettre en sang, je
le sais, que m'importe ? Prends le godemiché, Juliette, tu
le sodomiseras, tu me rendras ce que j'ai fait pour toi.
Claude, excité par mes caresses, par la perspective du beau
cul que lui présente Clairwil, n'est pas longtemps à
se ranimer ; je rends à mon amie ce que j'en ai reçu,
ma bouche humecte son anus et le saint dard du serviteur du Christ.
On ne se figure pas les peines que Claude éprouve à
pénétrer : vingt fois il est hors de combat par la difficulté
de l'entreprise ; mais mon amie se prête avec tant d'art, elle
désire ce vit avec tant d'ardeur, qu'il s'engloutit enfin dans
son cul...
- Oh ! foutre, il m'estropie ! s'écrie-t-elle.
Elle veut fuir, elle veut se débarrasser du poignard monstrueux
qui la sonde. Il n'est plus temps : l'engin, disparu tout entier,
ne laisse plus même apercevoir sa liaison avec le libertin qui
l'emploie.
- Ah ! Juliette ! s'écrie mon amie, laisse ce bougre-là,
ne l'excite pas plus qu'il n'est ; j'ai bien plus besoin de ta main
que son cul n'a besoin de ton godemiché ; viens me branler,
car je me meurs.
Quoi qu'elle en dise, j'encule avant tout le moine, puis, allongeant
mon bras, je branle mon amie : vivement chatouillée par moi,
la putain soutient avec un peu plus de courage les assauts qui lui
sont portés.
- J'ai trop auguré de mes forces ! s'écrie-t-elle ;
Juliette, ne m'imite pas, il pourrait t'en coûter la vie.
Cependant Claude décharge ; on ne vit jamais ardeur mieux soutenue,
le vilain braie comme un âne, et laisse au fond du cul de ma
compagne des preuves non équivoques du plaisir qu'il vient
de goûter.
Clairwil était en sang ; je brûlais de l'imiter, elle
s'y opposa.
- Il ne faut pas, dit-elle, pour le vain plaisir d'un instant, risquer
le bonheur de ses jours : ce n'est pas un homme que ce drôle-là,
c'est un taureau ; je suis bien persuadée qu'il n'a jamais
pu foutre de femmes de sa vie.
Et le pénaillon avoua qu'il n'y avait, dans tout Paris, que
le cul de son supérieur qui pût résister à
son vit.
- Tu l'encules donc, scélérat ? dit Clairwil.
- Très souvent.
- Et tu dis la messe, tu confesse, avec la journalière habitude
de ces désordres ?
- Pourquoi pas ? le plus dévot des hommes est celui qui sert
tous les Dieux... Mesdames, poursuivit le moine assis au milieu de
nous et maniant un cul de chaque main, vous imaginez-vous que nous
croyons à la religion plus que vous ? Placés plus près
de l'Être qu'elle suppose, nous apercevons bien mieux que d'autres
tous les linéaments de la chimère. La religion est une
fable sacrée dont nous avons besoin pour vivre, et le marchand
ne doit pu discréditer sa boutique. Nous vendons des absolutions
et des Dieux, comme une maquerelle vend des putains. Sommes-nous donc
d'une autre chair que la vôtre, pour être insensibles
à vos passions ? et croyez-vous que quelques actions ridicules,
quelques simagrées absurdes, nous cuirassent aux dards de l'humanité
? Eh non ! « Les passions, dit un homme d'esprit, prennent une
nouvelle force sous le froc ; on les porte dans le cur, l'exemple
les fait éclore, l'oisiveté les renouvelle, l'occasion
les augmente : le moyen d'y résister ? » Les vrais athées
sont chez les prêtres, mes chères dames ; vous ne faites,
vous autres, que soupçonner le néant de l'idole : nous
qui sommes les prétendus confidents, nous sommes bien sûrs
qu'elle n'existe pas. Toutes les religions révélées
que l'on voit dans le monde sont remplies de dogmes mystérieux,
de principes inintelligibles, de merveilles incroyables, de récits
étonnants qui ne semblent imaginés que pour confondre
la raison ; elles annoncent toutes un Dieu caché, dont l'existence
est un mystère. La conduite que l'on lui prête est aussi
difficile à concevoir que l'essence de ce Dieu lui-même
: si la Divinité existait, aurait-elle parlé d'une façon
si énigmatique ? Que signifierait de se révéler,
pour n'annoncer que des mystères ? Plus une religion a de mystères,
plus elle présente à l'esprit de choses incroyables,
et plus elle plaît, malheureusement, aux hommes, qui y trouvent
dès lors une pâture continuelle ; plus une religion est
ténébreuse, et plus elle paraît divine, c'est-à-dire
conforme à la nature d'un être caché, et duquel
on n'a point d'idée. C'est le propre de l'ignorance de préférer
l'inconnu, le fabuleux, le merveilleux, l'incroyable, le terrible
même, à ce qui est clair, simple et vrai. Le vrai ne
donne pas à l'imagination des secousses aussi vives que la
fiction ; le vulgaire ne demande pas mieux que d'écouter les
fables absurdes que nous lui débitons ; les prêtres et
les législateurs, en inventant des religions et en forgeant
des mystères, ont bien servi le peuple à son gré
; ils se sont attachée par là des enthousiastes, des
femmes, des ignorants ; de pareils individus se payent aisément
de raisons qu'ils sont incapables d'examiner ; l'amour du simple et
du vrai ne se trouve que dans le petit nombre de ceux dont l'imagination
est réglée par l'étude et par la réflexion.
Non, non, mesdames, rassurez-vous, il n'est point de Dieu : l'existence
de cette infâme chimère est impossible à supposer,
et toutes les contradictions qu'elle renferme suffisent à la
culbuter, au plus léger examen que nous daignons en faire.
Pendant cette discussion, le moine, assis entre Clairwil et moi, ainsi
que je viens de vous le dire, branlait à la fois nos deux culs.
- Le beau derrière ! disait-il en parlant du mien... quel dommage
de ne pouvoir enfiler cela !... Mais si nous essayions ?... Oh ! madame,
un peu de complaisance : avec tant de beauté, peut-on être
cruelle ?
- Scélérat, dis-je en me relevant, je ne te prêterai
même plus mon con ; je me ressens encore trop du mal que tu
m'as fait, pour avoir envie de m'exposer à de nouvelles douleurs.
Secouons-le, Clairwil, faisons-le décharger jusqu'au sang pour
qu'il n'ait plus envie de recommencer.
Nous l'étendîmes sur le lit ; Clairwil le branlait sur
ses tétons, et moi, accroupie sur son nez, je lui faisais baiser
la porte du temple dont je lui interdisais l'entrée ; il le
chatouillait avec sa langue, et, repassant une de ses mains sur ma
motte, il me branlait le clitoris ; nous déchargeâmes
encore une fois tous les deux.
Clairwil demanda au moine s'il existait beaucoup de libertins comme
lui dans son couvent ; Claude lui ayant assuré qu'il y en avait
au moins trente, mon amie voulut savoir s'il serait possible d'aller
faire une partie dans l'intérieur de sa maison.
- Assurément, répondit le moine ; si vous voulez être
bien foutues, vous n'avez qu'à venir l'une et l'autre, et je
vous réponds qu'on vous forcera d'implorer grâce.
Alors Clairwil demanda si la partie d'impiété qu'elle
désirait aurait également lieu de cette manière.
- Bien mieux qu'ailleurs, dit le carme, nous vous ferons faire chez
nous tout ce que vous voudrez.
- Mon cher, dit Clairwil, comme nous ne voulons pas venir en vain,
va demander à ton supérieur si ce que nous désirons
est possible ; explique-lui bien tout ; nous attendons ta réponse.
- Juliette, me dit Clairwil, dès que le moine fut dehors, tu
sens que ce coquin-là m'a trop bien foutue pour que je ne lui
désire pas la mort... et la plus affreuse, sans doute.
- Oh, ciel ! tu complotes déjà contre ce malheureux
?
- L'horreur que j'ai pour les hommes, quand ils m'ont satisfaite,
se mesure aux plaisirs que j'ai reçus, et il y avait bien longtemps
que je n'avais aussi délicieusement déchargé...
Il faut qu'il meure. Deux moyens s'offrent à mon esprit pour
le perdre : celui de le faire mettre in pace par son supérieur
; il ne s'agit pour cela que de faire sentir à ce chef combien
il est dangereux d'avoir chez lui un homme capable de révéler,
comme Claude l'a fait avec nous, tous les secrets de la maison ; mais,
par ce moyen, il ne me restera plus rien de lui : et j'ai des projets
sur son merveilleux engin.
- Mais si tu le fais mourir, comment ces projets s'exécuteront-ils
?
- Le plus facilement du monde ; engageons-le à venir passer
vingt-quatre heures à la terre : on verra le reste... Oh, Juliette
! quel beau godemiché que le vit de ce bougre-là !
Et comme mon amie ne voulut pas s'expliquer davantage, en attendant
le retour du moine, nous nous amusâmes à fouiller son
manoir.
On n'a pas d'idée de ce que nous y trouvâmes d'estampes
et de livres obscènes : le premier que nous aperçûmes,
fut le Portier des Chartreux, production plus polissonne que libertine,
et qui, néanmoins, malgré la candeur et la bonne foi
qui y règne, donna, dit-on, au lit de la mort, des repentirs
à son auteur... Quelle sottise ! l'homme capable de se repentir
en ce moment de ce qu'il osa dire ou écrire pendant sa vie,
n'est qu'un lâche dont la postérité doit flétrir
la mémoire.
Le second fut l'Académie des Dames, ouvrage dont le plan est
bon, mais l'exécution mauvaise ; fait par un homme timide qui
avait l'air de sentir la vérité, mais qui n'osait la
dire, et d'ailleurs, plein de bavardage.
L'Éducation de Laure fut le troisième : autre production
manquée net, par de fausses considérations. Si l'auteur
eût prononcé l'uxoricide, qu'il laisse soupçonner,
et l'inceste, autour duquel il tourne sans cesse en ne l'avouant jamais,
s'il eût multiplié davantage les scènes luxurieuses...
mis en action les goûts cruels dont il ne fait que donner l'idée
dans sa préface, l'ouvrage, plein d'imagination, devenait délicieux
: mais les trembleurs me désespèrent, et j'aimerais
cent fois mieux qu'ils n'écrivissent rien, que de nous donner
des moitiés d'idées.
Thérèse philosophe figurait : ouvrage charmant du marquis
d'Argens5, le seul qui ait montré le but, sans néanmoins
l'atteindre tout à fait ; l'unique qui ait agréablement
lié la luxure à l'impiété, et qui, bientôt
rendu au public tel que l'auteur l'avait primitivement conçu,
donnera enfin l'idée d'un livre immoral.
Le reste était de ces misérables petites brochures,
faites dans des cafés ou dans des bordels, et qui prouvent
à la fois deux vides dans leurs mesquins auteurs : celui de
l'esprit et celui de l'estomac. La luxure, fille de l'opulence et
de la supériorité, ne peut être traitée
que par des gens d'une certaine trempe... que par des individus, enfin,
qui, caressés d'abord par la nature, le soient assez bien ensuite
par la fortune pour avoir eux-mêmes essayé ce que nous
trace leur pinceau luxurieux ; or, cela devient parfaitement impossible
aux polissons qui nous inondent des méprisables brochures dont
je parle, parmi lesquelles je n'excepte pas même celle de Mirabeau,
qui voulut être libertin pour être quelque chose, et qui
n'est et ne sera pourtant rien toute sa vie6.
A la suite de nos recherches chez le moine, nous trouvâmes des
godemichés, des condoms, des martinets, tous meubles qui nous
convainquirent que le père Claude ne nous avait pas attendues
pour se jeter dans le libertinage. Il revint.
- J'ai, nous dit-il, l'acceptation en forme de mon supérieur
: vous pouvez venir quand il vous plaira.
- Ce ne sera pas long, mon ami, répondis-je, nous avons été
trop bien choyées par un seul membre de l'ordre, pour ne pas
merveilleusement augurer du reste : repose-toi sur nos cons fougueux,
et juge, par ce que tu leur as vu faire, de ce qu'ils pourront entreprendre
quand ils seront encore mieux foutus. En attendant, Claude, je t'invite
à nous venir voir dans trois jours ; mon amie et moi nous te
recevrons dans une terre charmante où tu nous combleras de
plaisirs ; répare tes forces, et ne manque pas.
Nous voulûmes, en passant, prendre langue nous-mêmes avec
le supérieur ; c'était un homme de soixante ans, d'une
superbe figure, et qui nous reçut à merveille.
- Vous nous ferez le plus grand plaisir, nous dit-il ; parmi les trente
moines qui sont dignes de ces orgies, je vous en promets vingt de
trente à trente-cinq ans qui, membrés comme Claude et
vigoureux comme des moines, vous traiteront comme des Messalines.
A l'égard du mystère, vous pouvez être sûres
qu'il sera plus exact qu'il ne saurait jamais l'être dans le
monde. Vous avez désiré quelques impiétés
; nous savons ce que sont toutes ces petites folies, soyez tranquilles,
vous serez satisfaites sur tout. Les sots disent que les moines ne
sont bons à rien : nous vous prouverons, mesdames, que les
carmes, au moins, sont excellents pour foutre.
Un langage aussi énergique, joint aux épreuves que nous
venions de faire, ne pouvait plus nous laisser de doutes sur la façon
dont nous serions reçues. Nous prévînmes ces honnêtes
anachorètes que nous amènerions avec nous deux jolies
filles pour aider et servir nos amusements. Mais comme différentes
affaires s'opposaient à ce que cette agréable partie
s'arrangeât aussi vite que nous l'aurions désiré,
elle fut remise au jour de Pâques.
- Ce choix s'arrange on ne peut mieux avec nos petites impiétés,
dit Clairwil ; j'aurai, quoi qu'on en puisse dire, un véritable
plaisir à profaner le plus saint des mystères de la
religion chrétienne, dans celui des jours de l'année
qu'elle regarde comme une de ses plus grandes fêtes.
Il y avait près d'un mois jusqu'à cette époque,
et comme cet intervalle est marqué par deux événements
assez singuliers, je crois devoir les placer ici dans leur ordre,
avant que de vous entretenir des suites de notre libertinage aux Carmes.
Le premier de ces événements fut la mort tragique de
Claude. Le malheureux vint à la campagne au jour indiqué
; Clairwil s'y trouva ; nous entourâmes cet infortuné
de plaisirs, et quand son vit fut dans la plus grande érection,
ma scélérate amie, le faisant aussitôt captiver
par cinq femmes, lui fit trancher la verge au niveau du ventre et,
l'ayant fait préparer par un chirurgien, elle s'en composa
le plus singulier et le plus beau godemiché qu'on ait vu de
la vie. Claude expira dans d'affreux tourments, dont Clairwil nourrit
sa lubrique rage, pendant que trois femmes et moi la branlions à
deux pieds de la victime, et parfaitement en face d'elle.
- Eh bien ! me dit la putain après nous avoir inondées
de foutre, ne t'avais-je pas dit qu'en massacrant ce bougre-là
il me resterait pourtant quelque chose de lui ?
Voici quel fut le second événement. Je doute qu'il fasse
plus d'honneur à mon âme que n'en fit, à celle
de mon amie, le trait que je viens de vous raconter.
J'étais à ma toilette, entourée d'une foule de
courtisans qui paraissaient attendre avec respect toute leur fortune
de moi. Un de mes gens m'annonce un homme de quarante-cinq ans, dans
la plus extrême misère, et qui sollicite avec ardeur
la grâce de m'entretenir un instant en particulier. Je fais
répondre d'abord que je ne suis pas dans l'usage de recevoir
de pareilles gens, que, s'il s'agit de secours ou de recommandations
auprès du ministre, on n'a qu'à me présenter
un mémoire, et que je verrai ce qu'il sera possible de faim.
L'ardent solliciteur insiste : plus par curiosité que par aucun
autre motif, je dis enfin qu'on fasse entrer dans un petit salon où
je donnais communément mes audiences secrètes ; et,
après avoir ordonné à mes gens de ne point s'éloigner,
je vais écouter ce nouveau personnage.
- Je me nomme Bernole, madame, me dit l'inconnu, je sais que ce nom
doit être ignoré de vous : il ne le serait pas autant
de la mère que vous avez eu le malheur de perdre, et qui, malgré
le faste où vous vivez, ne vous laisserait pas dans le désordre
et le libertinage qui vous le procurent.
- Monsieur, dis-je à cet homme en l'interrompant, le ton que
vous prenez n'est guère, ce me semble, celui de quelqu'un qui
sollicite des secours...
- Doucement, Juliette, reprit Bernole, il est possible que je demande
des secours, et très possible en même temps que j'aie
avec vous des droits qui m'autorisent au ton dont vous vous plaignez.
- Quel que soit votre rang, apprenez, monsieur...
- Apprenez vous-même, Juliette, que si je viens implorer des
secours près de vous, je vous honore en vous les demandant
; jetez les yeux sur ces papiers, mademoiselle, et vous y verrez à
la fois, et le besoin que j'ai de ces secours, et le droit que j'ai
de les demander à vous.
- Oh, ciel ! que vois-je ? interrompis-je après avoir parcouru
ces papiers ; quoi, ma mère !... elle fut coupable... et c'est
avec vous ?
- Oui, Juliette, je suis votre père, reprit Bernole avec vivacité...
c'est moi qui vous donnai le jour ; j'étais le cousin de votre
mère ; mes parents me destinaient à elle : un mariage
plus avantageux se présenta, elle fut sacrifiée ; elle
était déjà grosse de vous : nous osâmes
tromper votre père, il s'aveugla sur votre naissance... C'est
à moi seul que vous la devez ; une tache de café au-dessous
du sein droit prouve ce que j'avance... Juliette, portez-vous cette
marque ?
- Oui monsieur.
- Reconnais donc ton père, âme insensible et froide !
ou, si tu balances encore, parcours avec plus d'attention ces papiers
: ils éclairciront tous tes doutes. Après la mort de
ta mère... mort affreuse... fruit de la scélératesse
d'un certain Noirceuil, avec lequel tu oses, quoique instruite, avoir
des liaisons, et qui serait roué demain si nous avions des
preuves (elles nous manquent malheureusement)... après cette
mort, dis-je, toutes les infortunes possibles sont venues fondre sur
ma tête : mon bien fut englouti avec celui de ta mère
; il y a dix-huit ans que je ne vis que des charités publiques.
Mais je te retrouve, Juliette, tous mes malheurs sont finis...
- Monsieur, dis-je, j'ai ma sur, que des préjugés,
vaincus par moi, retiennent sans doute dans la misère : est-ce
aussi de vous qu'elle tient la vie ?
- Justine !
- Oui, monsieur.
- Assurément, elle est aussi ma fille, rien ne put vaincre
le penchant qu'eut pour moi ta mère de tout temps, et j'ai
toujours joui seul du bonheur de la rendre mère.
- Ô ciel ! s'écria la malheureuse Justine, mon père
était vivant, et je l'ignorais ! Dieu ! que ne me l'envoyais-tu
? J'eusse adouci ses peines, j'eusse partagé ma misère
avec lui, et il eût, ma sur, retrouvé dans mon
âme sensible les consolations que la vôtre lui refusa
barbarement, sans doute.
- Mon enfant, dit le marquis, qu'une nuit passée avec Justine
avait étonnamment irrité contre cette fille, quand on
vous fait ici l'honneur de vous admettre, ce n'est point pour entendre
vos jérémiades, et je prie madame de continuer.
- J'imagine, mes amis, que vous me rendez assez de justice pour croire
que je n'étais ni flattée, ni attendrie de cet événement
; aucune âme n'était moins faite que la mienne aux reconnaissances
dramatiques ; je n'avais pas même versé une larme pour
la perte de celui que je croyais mon père depuis ma naissance
: était-il naturel que je fusse fort touchée des malheurs
de celui que le hasard me rendait ? J'avais d'ailleurs, vous le savez,
un profond éloignement pour les aumônes ; c'était,
selon moi, l'argent le plus mal employé ; et l'individu qui
se présentait avait beau se dire mon père, il n'en fallait
pas moins, pour le contenter, ou diminuer mon trésor, ou implorer
pour ce malheureux un ministre qui, aussi dur, aussi inflexible que
moi sur ces sortes de réclamations, ne pouvait pas souffrir
que je l'importunasse pour lui en faire. Assurément, je ne
pouvais pas douter que le personnage dont il s'agissait ne fût
l'auteur de mes jours ; j'en avais la preuve sous les yeux, mais la
nature était muette : j'avais beau l'interroger, elle ne m'inspirait
rien pour cet original.
- Monsieur, lui dis-je fermement, tous les contes que vous me faites
peuvent être vrais, mais je ne vois pas la plus petite nécessité
à ce que je les entende ; j'ai d'invariables principes qui
m'éloignent, malheureusement pour vous, de cette commisération
que vous implorez ; quant aux titres de paternité que vous
établissez vis-à-vis de moi, les voilà, monsieur,
je vous les rends, en vous assurant que je n'en ai pas le moindre
besoin : que j'aie un père, que je n'en aie pas, tout cela
est pour moi d'une indifférence dont vous pourriez difficilement
vous faire une idée. Je vous conseille donc, monsieur, de me
débarrasser fort vite de votre présence, à moins
que par un entêtement ridicule, vous ne vouliez me contraindre,
en restant malgré moi, à vous faire jeter par les fenêtres.
Et je me lève aussitôt pour sonner ; mais Bernole, se
précipitant au-devant de moi...
- Enfant ingrat ! s'écrie-t-il, ne me punis pas d'une faute
que j'ai pleurée toute ma vie ; si ta naissance n'est pas légitime,
en es-tu moins sortie de mon sang, et m'en dois-tu moins des secours
? Que les accents plaintifs de la misère et du désespoir
remplacent, s'il est possible, dans ton âme endurcie, les sentiments
que la nature paraît avoir oublié d'y mettre !
Et, se courbant à mes genoux qu'il arrose de larmes :
- Juliette, s'écrie-t-il, tu nages au milieu des richesses,
et ce n'est que du pain que demande ton malheureux père ! Soulage
les malheurs de l'amant de ta mère ! respecte le seul homme
qu'ait aimé celle qui t'a portée neuf mois dans son
sein, et si tu ne veux pas que le ciel te punisse, ne ferme pas ton
cur aux accents plaintifs de l'infortune !
Il y avait sans doute beaucoup de pathétique dans ce que m'adressait
ce malheureux homme ; mais il existe des âmes qui s'endurcissent
au lieu de s'émouvoir aux efforts de ceux qui cherchent à
les attendrir. Semblables à cette espèce de bois que
l'on met au feu pour le rendre plus dur, c'est dans l'élément
même qui paraîtrait devoir les consumer qu'elles retrouvent
un nouveau degré de force. Bernole, au lieu d'exciter en moi
les sentiments de la compassion, était au moment d'y faire
naître cette commotion lubrique, née du refus de procurer
un bien : imparfaite image de celle qui arrive à nous par l'action
du mal. Mes regards, qui n'étaient encore que ceux de l'indifférence,
s'enflammèrent bientôt de plaisir ; ce chatouillement
perfide qui nous délecte à l'idée, au souvenir
ou au complot d'une mauvaise action, vint glisser sur mon cur7
; mes sourcils se froncent, ma respiration se presse. Et sentant que
je deviens plus dure, parce que je commence à l'être
avec volupté... parce que je bande, enfin :
- Je vous ai déclaré, mon ami, dis-je à ce manant,
que je vous méconnaissais, que je vous méconnaîtrais
toujours, et que je ne donne jamais rien aux pauvres ; c'est donc
pour la dernière fois que je vous supplie de sortir de mon
appartement, si vous ne voulez pas que je vous fasse périr
dans un cachot.
Un mouvement de rage s'empare aussitôt de cet homme : employant
tour à tour les imprécations et les prières,
les invectives et les mots les plus tendres, il se jette la tête
contre terre, il se la brise, des flots de sang inondent mon cabinet...
Ce sang est le mien, et c'est avec délices que je le vois répandre
; après avoir joui quelques instants, je sonne.
- Qu'on prenne l'adresse de cet original, dis-je à mes gens,
et qu'on le fasse aussitôt sortir de chez moi.
On m'obéit... J'étais dans une agitation... dans un
feu... Je fus obligée d'aller m'éteindre dans le sein
de mes femmes, qui furent deux heures avant de pouvoir m'apaiser.
Puissant effet du crime sur un cur comme le mien ! Il était
écrit, dans le livre sacré de la nature, que tout ce
qui révolterait les âmes ordinaires devait délecter
la mienne, et que tout ce qui devait outrager cette nature méconnue
par elles, devait absolument devenir pour moi les premiers moyens
du plaisir.
Le ministre et Noirceuil dînaient tous les deux chez moi, là
jour-là : je demandai à celui-ci s'il avait connaissance
d'un certain Bernole, se disant l'amant de ma mère, et convaincu
de m'avoir donné le jour ?
- Oui, me dit Noirceuil, j'ai connu cela ; il avait des fonds chez
ton père, perdus avec ceux de ta famille, et perdus par mes
soins. Je me souviens que ce Bernole était effectivement fort
bien avec ta mère, qu'il la regretta beaucoup, et que ce n'est
pas sa faute si je n'ai pas été pendu... Il faut se
défaire de ce drôle-là.
- Assurément, dit le ministre, Juliette n'a qu'à dire,
nous le ferons coucher ce soir à la Bastille.
- Non, non, dit Noirceuil, il faut faire de cela une scène
pathétique.
- Assurément, répondis-je, des cachots sont trop doux
pour de tels scélérats... Noirceuil et vous, Saint-Fond,
vous savez à quel point vous avez travaillé mon âme,
croyez qu'en cette occasion elle ne se montrera pas au-dessous de
vos leçons ; puisque nous faisons tant que de commettre un
crime, faisons-le bon : il faut que ce coquin-là périsse
de ma main, pendant que vous jouirez de moi.
- Oh ! Juliette, s'écrie le ministre déjà bien
pris de vin de Champagne... tu es délicieuse ! (Et se déculottant)
Vois comme ton idée met mon vit en courroux... Quoi ? tu auras
la force de te déterminer à cela ?
- J'en fais serment sur ce vit que j'anime ! dis-je en empoignant
le redoutable membre que Saint-Fond venait de mettre au jour.
Et Noirceuil, profitant de l'attitude penchée où me
tenait mon mouvement, s'empare de mon cul en s'écriant :
- Oh ! foutre, ne t'ai-je pas dit, Saint-Fond, que cette créature
était délicieuse ?
Et il se donne deux ou trois coups de poignet sur mes fesses.
- Écoute, dis-je en me remettant, il faut joindre à
ceci quelques épisodes divins. Je vais me raccommoder avec
Bernole, le tromper par des avances, le rendre amoureux de moi, lui
faire beau jeu... Il me le mettra... Je veux plus : il faut qu'il
m'encule... Il le fera. Vous, Saint-Fond, vous le surprendrez, vous
tomberez sur lui au moment de la crise, et pour me punir, le poignard
sur le sein, vous m'obligerez à le tuer moi-même. Confions
cette idée à Clairwil, qu'elle en partage la douce exécration,
et faisons de cela une scène unique.
Le projet d'un crime est toujours sûr de plaire aux scélérats.
Ces deux-ci s'échauffèrent tellement la tête de
mon plan, qu'il ne fut plus possible de les contenir. Un boudoir s'ouvre
; quelques individus secondaires se joignent à nous, et mon
cul reçoit la double offrande de deux monstres qu'irritait
ma perfide imagination : un bon de cinq cent mille francs me fut aussitôt
remis, avec promesse du double, le jour de l'exécution.
Elle me chatouillait trop pour la reculer ; je vole à ma terre
; j'écris à Bernole que la tendresse filiale vient enfin
d'entr'ouvrir mon âme. La pureté de l'air de la campagne
adoucit, je crois, cette férocité dont celui de Paris
souille nos curs, lui mandai-je ; venez me voir au sein de la
nature, et vous éprouverez bientôt tout ce qu'elle m'inspire
pour vous. Mon homme arrive... Vous n'imaginez pas à quel point
jouissais de le tromper... J'en étais exactement dans l'ivresse.
Mon premier soin est d'étaler à ses yeux tout le luxe
dont j'étais environnée ; de séduisantes caresses
achèvent d'étourdir Bernole.
- Comment, lui dis-je après un excellent souper, comment réparer
tous les torts que ma mauvaise tête m'a fait commettre envers
vous ? Faut-il vous l'avouer, Bernole ? Je me suis crainte ; j'ai
des précautions bien sévères à garder
; je suis la confidente et l'amie du ministre ; d'un mot, il peut
me perdre : vous ne m'avez rien inspiré comme père,
je l'avoue ; un autre sentiment mille fois plus tendre et plus délicat,
en me faisant redouter la chute, m'a contrainte à ne vous montrer
que de la dureté, où s'allumait le plus saint amour...
Bernole, vous avez aimé ma mère, je veux que vous m'aimiez
aussi ; il ne s'agit, pour être heureux ensemble, que d'une
discrétion à toute épreuve ; en êtes-vous
capable ?
L'honnête et loyal Bernole frémit à ce discours.
- Ô Juliette ! me dit-il très ému, je ne cherche
à ranimer en vous que les sentiments de l'amour filial ; ceux-là
seuls me sont dus ; la religion et l'honneur, dont je fis toujours
profession, m'empêchent d'en accepter d'autres : ne me taxez
pas d'immoralité pour avoir vécu avec votre mère
; nous n'avons jamais cru, l'un et l'autre, ne devoir respecter d'autres
nuds que ceux volontairement adoptés par nous à
la face du ciel : c'est un tort, j'en conviens, mais c'est celui de
la nature, et ceux que vous me proposez lui feraient horreur.
- Quel préjugé, Bernole ! m'écriai-je, en devenant
pressante au point de baiser sa bouche et de laisser tomber une main
sur ses cuisses ; toi que j'adore, hélas ! poursuivis-je au
redoublant de chaleur, ne te refuse pas à mon empressement
; viens rendre une seconde fois à la vie celle qui se glorifie
de la tenir de toi : je dus ma première existence à
l'amour, laisse-moi lui devoir la seconde ; laisse embellir par lui
les jours qu'il a formés. Oh ! mon ami, je le sens, je ne puis
plus exister sans toi !
Une gorge blanche et fraîche, qui se découvre alors comme
par hasard, des yeux pleins de langueur et de volupté... des
mains s'égarant au point de déboutonner la culotte paternelle
et de secouer avec art l'instrument à demi bandé qui
m'a donné le jour, tout réveille à la fin les
passions timides de Bernole.
- Ô grand Dieu ! s'écrie-t-il, quels assauts... et comment
puis-je y résister ? Comment repousser la vivante image de
celle que j'adorai jusqu'au dernier soupir ?
- Tu la retrouves en moi, Bernole, la voilà celle que tu aimas...
Elle respire, achève de la rendre à la vie, par les
tendres baisers que sa bouche implore. Tiens, vois l'état où
tu me mets, ajoutai-je en me troussant et me précipitant sur
un canapé... oui, vois-le, cet état cruel, et résistes-y,
si tu l'oses.
Le crédule Bernole, entraîné, tombe dans le piège
que je tends à sa vertu, et vient s'enivrer d'amour dans le
sein de celle qui ne s'occupe, en le caressant, que de la manière
perfide dont elle le fera bientôt tomber sous ses coups. Bernole,
doué d'un membre sec, dur, nerveux, et surtout fort long, foutait
délicieusement ; il m'échauffait, je le traitais bien,
je maniais ses fesses en le pressant sur moi. Bientôt, me coulant
sous lui, je pompe avec plaisir ce premier mobile de mon existence
; reprenant ensuite mon poste, je me le renfonce jusqu'aux couilles
: Bernole, très échauffé de mes écarts,
n'est pas long ; le coquin décharge ; je l'imite, et reçois
dans mes entrailles incestueuses le germe d'un fruit semblable à
celui qu'il laissa jadis dans le sein de ma mère. Telle fut
l'époque de la grossesse dont je vous parlerai bientôt.
Bernole, égaré par l'amour, oubliant, sous les lois
de ce Dieu, celles de l'honneur et de la probité qui l'avaient
si bien contenu jusqu'alors, me conjure de lui laisser passer la nuit
avec moi. Très échauffée de la délicieuse
idée de foutre avec un père que ma férocité
condamne à mort, je consens à tout. Les efforts de Bernole
surpassèrent mes espérances : je fus foutue sept coups,
et moi, toujours brûlée de mes projets féroces,
je décharge le double, à la délicieuse pensée
d'enterrer le lendemain celui qui joint, au tort d'être mon
père, le tort plus grand de m'enivrer de délices. Ce
fut vers le milieu de ces courses que, lui dévoilant les craintes
affreuses où j'étais qu'une grossesse ne vînt
à trahir notre intrigue, je lui tournai le plus beau cul du
monde, pour l'engager à changer de route : le crime, hélas
! était si loin du cur de mon vertueux père, qu'il
ignorait jusqu'à la manière de procéder à
ces infamies (je me sers de ses expressions), auxquelles il ne consentait,
me dit-il, que par prudence et par excès d'amour. Le butor
m'encula trois fois : cette répétition était
nécessaire à la pièce qui devait se jouer le
lendemain. Ce que j'en ressentis fut si vif que je m'évanouis
de plaisir.
Il arriva, cet heureux lendemain où je devais enfin goûter
les charmes indicibles d'un crime que je me désolais de ne
pouvoir exécuter : la nature, que j'allais si grièvement
outrager, ne m'avait jamais paru si belle ; jamais je ne m'étais
trouvée si jolie, si fraîche et si bien portante ; jamais
des chatouillements aussi vifs ne s'étaient fait éprouver
en moi... Je me sentis, dès en me levant, d'une luxure... d'une
méchanceté... J'éprouvais le besoin des horreurs,
et, près de lui, le désespoir affreux de ne pouvoir
les aggraver au point où je le désirais... C'est un
crime que je vais commettre, me disais-je... un très grand
crime, assure-t-on, mais ce n'en est qu'un : et qu'est-ce qu'un crime
pour celle qui voudrait n'exister qu'au milieu du crime, ne vivre
que pour lui seul et n'adorer que lui ? Je fus quinteuse, maussade,
capricieuse, taquine, toute la matinée. Je fouettai deux de
mes femmes, en colère ; je fis méchamment tomber par
la fenêtre un enfant confié à l'une d'elles, il
se tua, j'en fus enchantée : il n'y eut enfin sorte de petites
cruautés, de petites lutineries auxquelles je ne me livrasse
tout le jour. L'heure du souper vint enfin ; j'avais ordonné
qu'il fût aussi délicieux que la veille ; et comme la
veille, dès qu'il fut fini, j'entraîne Bernole sur un
canapé, et c'est mon cul que je lui présente. Séduit
par mes sophismes, le malheureux s'y plonge... A peine y est-il, que
Clairwil, Noirceuil et Saint-Fond se jettent sur nous avec impétuosité
: Bernole est garrotté de tous ses membres.
- Juliette, me dit Saint-Fond, tu mériterais que je t'immolasse
à côté de ce monstre, pour te punir d'abuser ainsi
de ma confiance... Un seul moyen, perfide, peut te sauver la vie :
saisis ce pistolet destiné pour ton crime, trois balles sont
dedans... Il faut qu'elles fassent voler la cervelle de ce scélérat
!
- Oh, ciel ! qu'exigez-vous ? c'est mon père !
- Celle qui fut à la fois sodomiste et incestueuse pourra bien
être parricide.
- Quel arrêt !
- Il le faut, ou vous périssez à l'instant vous-même.
- Confiez donc cette arme à ma main chancelante... Père
adoré, m'écriai-je, pardonneras-tu cette mort aux violences
dont tu vois que je suis victime
- Monstre, répond Bernole, exécute, et souviens-toi
seulement que tu ne me rends pas ici la dupe de tes fourberies et
de tes crimes...
- Eh bien ! papa, dit Clairwil, en éclatant de rire, cesse
donc d'être dupe, puisque tu ne veux pas l'être, et sache
qu'il est très vrai que ta mort est l'ouvrage de ta fille,
qui, certes, n'a pas grand tort d'immoler un individu qui ne peut
être qu'un grand scélérat, puisqu'il a pu donner
le jour à une telle fille.
Tout s'arrange ; Bernole est lié sur une chaise attachée
par de grands clous à terre ; sa tête, à dix pas
de moi, se trouve à ma portée. Saint-Fond se couche
dans un canapé et me fixe sur lui par le moyen du membre qu'il
m'introduit dans le derrière, Noirceuil dirige l'instrument
d'une main, il se branle de l'autre ; Clairwil, à droite, baise
la bouche de Saint-Fond, et chatouille mon clitoris. Je mets en joue
:
- Saint-Fond, dis-je, attendrai-je les flots de ton foutre ?
- Non, non, sacré nom d'un foutredieu ! non, non ! tue, garce,
tue ! c'est le coup qui fera jaillir mon sperme.
Je le lâche. Bernole, atteint au front, expire, et nous déchargeons
tous les quatre en jetant des cris furieux.
Le barbare Saint-Fond se lève et va contempler la victime ;
c'était son plus grand plaisir. Il m'appelle, il veut que j'observe
avec lui... il m'examine, il est content de mon sang-froid. C'est
avec une curiosité méchante que Clairwil observe les
contorsions de la mort sur le visage de ce malheureux.
- Rien ne me fait bander comme cela, dit la scélérate
: qui de vous trois veut me branler pendant cet examen ?
Je m'offre, et comme je suis penchée. sur les genoux du mort,
Noirceuil m'encule en cet état, pendant que Saint-Fond, prenant
Clairwil à revers, la traite de même... Tout le monde
décharge encore une fois, et le plus voluptueux souper est
de nouveau servi sur une table, aux pieds de laquelle on veut que
le corps reste.
- Juliette, me dit Saint-Fond en me baisant avec ardeur, tiens, voilà
ce que je t'ai promis. Faut-il te l'avouer ? chère fille, ce
n'est en vérité que d'aujourd'hui que je te crois bien
digne de nous.
- Je ne pense pas tout à fait comme cela, dit Clairwil, et
je lui trouve toujours le même défaut : elle ne commet
le crime que dans l'enthousiasme, il faut qu'elle bande ; et l'on
ne doit jamais s'y livrer que de sang-froid. C'est au flambeau du
crime qu'il faut allumer celui de ses passions, tandis que ce n'est
qu'à celui des passions que je la soupçonne d'allumer
celui du crime.
- La différence est fort grande, dit Saint-Fond, car le crime
alors n'est que l'accessoire, et il doit toujours être le principal.
- Je pense comme Clairwil, ma chère Juliette, dit Noirceuil
: vous avez encore besoin de quelques encouragements ; il faut diminuer
cette sensibilité qui vous perd.
Tous les écarts où notre imagination nous entraîne,
poursuivit Noirceuil, deviennent des preuves certaines de notre esprit.
Sa vivacité, ses élans ne lui permettent de s'arrêter
à rien ; plus il voit de digues à franchir, plus il
conçoit de délices ; mais ce n'est point une preuve
qu'il se déprave, comme les sots se l'imaginent : c'en est
une bien plus certaine qu'il se fortifie. Vous voilà parvenue,
Juliette, à l'âge où cette faculté de notre
existence est dans sa plus extrême vigueur ; vous avez prévenu
cette époque par de bonnes études, par des réflexions
solides, par un abandon total de tous les liens et de tous les préjugée
de l'enfance. Ne doutez point qu'à présent, cet espoir
si bien préparé ne vous fasse culbuter toutes les bornes
: un tempérament ardent et vigoureux, une santé robuste,
une grande chaleur d'entrailles, un cur très froid viennent
à l'appui de cet esprit bouillant, instruit et dégagé
de tous les freins. Soyons bien assurée que Juliette ira aussi
loin qu'elle peut aller. Mais qu'elle ne s'arrête pas en chemin,
qu'elle ne tourne jamais les yeux en arrière que pour se reprocher
son peu de progrès et non pour s'étonner de la grandeur
du chemin qu'elle a fait.
- Je veux plus, dit Clairwil, je vous répète que j'exige
d'elle de faire le mal, non pas pour s'exciter à la luxure,
comme je crois qu'elle le fait, mais pour le seul plaisir de le commettre.
Je veux qu'elle trouve dans le mal, dénué de toute luxure,
l'entière volupté qui existe pour elle dans la luxure
; je veux qu'elle n'ait besoin d'aucun véhicule pour exercer
le mal. Qu'une fois dans cette situation, elle y éprouve tous
les attraits piquants du libertinage, à la bonne heure ! mais
je ne veux pas qu'elle ait besoin de se branler pour faire un crime,
parce qu'alors, il résultera de cette manière de se
conduire, qu'aussitôt que son tempérament sera usé,
elle n'osera plus se livrer à aucun écart ; au lieu
que par le moyen que j'indique, ce sera dans le crime qu'elle retrouvera
le feu des passions. Elle n'aura plus besoin de se branler pour commettre
un crime ; mais en commettant ce crime, elle désirera se branler.
Il est, je crois, impossible de s'expliquer plus clairement.
- C'est précisément parce que je comprends à
merveille ta philosophie, ma chère, dis-je à Clairwil,
que je crois devoir t'assurer que j'en adopte tous les principes,
et que j'en suis l'esprit mot à mot. Je suis prête à
te le prouver par telle épreuve où il te plaira de me
soumettre. Si tu m'avais mieux observée que tu n'as fait, dans
l'événement qui vient de se passer, tu ne m'adresserais,
j'en suis sûre, aucun reproche ; j'aime à présent
le mal pour lui-même ; ce n'est que dans son sein que mes plaisirs
s'allument, et nulle volupté n'existerait pour moi si le crime
ne l'assaisonnait. Je ne dois plus maintenant vous consulter que sur
un seul point. Le remords est nul, je vous proteste que je n'en ressens
pas la plus légère atteinte, quelle que soit l'horreur
où je me livre : mais j'ai quelquefois de la honte ; je rougis
comme Ève après son péché, il me semble,
qu'excepté vous et nos amis, je ne voudrais pas que personne
sût les écarts où nous nous livrons. Expliquez-moi,
je vous prie, pourquoi, placée entre ces deux sentiments, j'éprouve
le plus faible, n'étant plus sensible au plus actif ; quelle
est, en un mot, la différence qui se trouve entre la honte
et le remords ?
- La voici, dit Saint-Fond : c'est que la honte est le fruit de la
douleur d'une mauvaise action, relativement à l'opinion publique
; et le remords, relativement à notre propre conscience ; en
sorte qu'il est possible d'avoir honte d'une action qui ne donne aucun
remords, si cette action n'offense que les usages reçus, sans
effleurer la conscience ; et qu'il est également possible d'avoir
des remords sans honte, si l'action commise s'accorde avec les lois
et les usages de notre pays, quoiqu'elle répugne à notre
conscience. Un homme, par exemple, rougirait d'aller se promener tout
nu dans la grande allée des Tuileries, quoiqu'il n'y eût
rien dans cette action qui dût lui donner des remords ; et un
général d'armée aura peut-être des remords
d'avoir fait tuer vingt mille hommes dans une bataille, quoiqu'il
n'y ait rien dans cette action qui doive lui donner de la honte. Mais
ces deux mouvements fâcheux s'énervent également
par l'habitude. La Société des Amis du Crime, dans laquelle
Clairwil vous a fait entrer, absorbera dans vous ce sentiment pusillanime
de la honte ; l'habitude que vous vous ferez d'un cynisme toujours
prononcé, dissipera bientôt cette faiblesse ; et pour
vous en guérir, je vous exhorte à faire parade de vos
écarts, à vous montrer souvent nue en public, à
affecter le plus grand désordre dans la manière de vous
habiller : insensiblement vous finirez par ne plus rougir de rien.
Quand la fermeté des principes se joindra aux procédés
que je vous conseille, tout se dissipera, tout s'aplanira petit à
petit, et vous ne sentirez plus que du plaisir où vous éprouviez
jadis de la honte.
Des choses plus sérieuses succédèrent à
cette discussion. Saint-Fond m'annonça que le mariage d'Alexandrine,
sa fille, avec son ami Noirceuil, allait enfin se terminer, et que,
d'accord avec son gendre, la jeune personne demeurerait trois mois
dans ma maison pour y être instruite et formée aux goûts
du nouvel être avec lequel on allait l'unir.
- Nous vous prions, Noirceuil et moi, poursuivit Saint-Fond, de mettre
cette petite âme au même point que la vôtre... Ne
lui refusez aucun soin, aucun conseil, aucun exemple. Peut-être
Noirceuil la conservera-t-il, s'il la trouve aussi ferme que vous
: à coup sûr, il ne la gardera pas longtemps, si elle
est prude ou bégueule. Tâchez, Juliette, que cette éducation
vous fasse honneur, et soyez bien assurée que vos peines ne
seront pas perdues.
- Monsieur, dis-je au ministre, vous savez que de pareilles leçons
ne peuvent se donner qu'entre deux draps.
- C'est bien ainsi que je l'entends, dit Saint-Fond.
- Moi de même, très assurément, dit Noirceuil.
- Peut-on instruire une fille sans coucher avec elle ? dit Clairwil.
- Aussi, reprit Noirceuil, notre chère Juliette couchera-t-elle
avec ma femme aussi souvent que bon lui semblera.
Saint-Fond nous entretint ensuite d'un projet cruel de dévastation
qu'il avait conçu pour la France.
- Nous craignons, nous dit-il, une prochaine révolution dans
le royaume ; nous en voyons le germe dans une population beaucoup
trop nombreuse. Plus le peuple s'étend, plus il est dangereux
; plus il s'éclaire, plus il est à craindre : on n'asservit
jamais que l'ignorance. Nous allons, poursuivit le ministre, supprimer
d'abord toutes ces écoles gratuites dont les leçons,
se propageant avec rapidité, nous donnent des peintres, des
poètes et des philosophes où il ne doit y avoir que
des crocheteurs. Quel besoin tous ces gens-là ont-ils donc
de talents, et quelle nécessité y a-t-il de leur en
donner ? Diminuons bien plutôt leur nombre ; la France a besoin
d'une vigoureuse saignée, et ce sont les parties honteuses
qu'il faut attaquer. Pour parvenir à ce but, nous allons d'abord
vivement poursuivre la mendicité : telle est la classe où
se trouvent presque toujours les agitateurs. Nous démolissons
les hôpitaux, les maisons de piété ; nous ne voulons
pas laisser au peuple un seul asile qui puisse le rendre insolent.
Courbé sous des chaînes mille fois plus lourdes que celles
qu'il porte en Asie, nous voulons qu'il rampe en esclave, et il n'y
aura sorte de moyens que nous ne mettions en usage pour y réussir.
- Ces moyens seront longs, dit Clairwil, et si vous avez besoin d'une
diminution subite, il en faut de plus prompts : la guerre, la famine,
la peste.
- Le premier est sûr, dit Saint-Fond, nous allons avoir la guerre.
Nous ne voulons pas du dernier, parce qu'il serait à craindre
que nous nous en trouvassions les premières victimes. Quant
à celui de la famine, l'accaparement total des grains auquel
nous travaillons, en nous comblant d'abord de richesses, va bientôt
réduire le peuple à se dévorer lui-même.
Nous espérons beaucoup de ce moyen.
Il est arrêté dans le conseil, parce qu'il est prompt,
infaillible, et qu'il nous couvre d'or...
Il y a bien longtemps, poursuivit le ministre que, pénétré
des principes de Machiavel, je suis infiniment persuadé que
les individus ne sont rien en politique. Machines secondaires du gouvernement,
les hommes doivent travailler à la prospérité
de ce gouvernement, et jamais le gouvernement ne doit travailler à
celle des hommes. Tout gouvernement qui s'occupe de l'homme est faible
; il n'y a de vigoureux que celui qui se compte pour tout, et les
hommes pour rien ; le plus ou le moins d'esclaves dans un État
est indifférent : ce qui est essentiel, c'est que la chaîne
pèse lourdement sur le peuple, et que le souverain soit despote.
Rome fut languissante et faible, tant qu'elle voulut se gouverner
elle-même ; elle maîtrisa la terre, quand des tyrans envahirent
l'autorité. C'est dans le souverain seul que doit être
considérée toute la force, et puisque cette force n'est
que morale, dès que physiquement le peuple est le plus puissant,
ce ne doit donc être que par une suite non interrompue d'actions
despotiques que le gouvernement peut établir en lui la force
physique qui lui manque : elle n'y sera jamais qu'idéalement
sans cela. Lorsque nous sommes jaloux d'en imposer aux autres, il
faut les accoutumer petit à petit à voir en nous ce
qui foncièrement n'y existe pas, autrement ils nous verront
tels que nous sommes, et nous y perdrons infailliblement.
- J'ai toujours cru, dit Clairwil, que l'art de gouverner les hommes
était celui qui demandait le plus de fausseté.
- Cela est vrai, et la raison en est simple, reprit Saint-Fond : on
ne gouverne les hommes qu'en les trompant ; or, il faut être
faux pour les tromper ; l'homme éclairé ne se laissera
jamais conduire : il faut donc le priver de la lumière pour
le mener à sa guise, et la fausseté seule conduit à
tous ces moyens.
- Mais la fausseté n'est-elle pas un vice ? demandai-je à
Saint-Fond.
- Je la vois bien plutôt comme une vertu, répondit le
ministre. Elle est la seule clef du cur de l'homme : il serait
impossible de vivre avec lui en n'employant que la franchise. Uniquement
occupé à nous tromper, où en serions-nous, si
nous n'apprenions pas à le tromper nous-mêmes ? La principale
étude de l'homme, et surtout de l'homme d'État, est
de pénétrer toujours les autres, sans se laisser démêler
lui-même ; c'est son seul talent. Or, s'il n'arrive là
que par la fausseté, la fausseté est donc une vertu.
Dans un monde absolument corrompu, il n'y a jamais de danger à
être plus gangrené que les autres ; c'est s'assurer alors
toute la somme de bonheur et de tranquillité que nous procurerait
la vertu dans un gouvernement moral. Mais jamais la machine qui mène
le gouvernement ne pourra être vertueuse, parce qu'il est impossible
de prévenir tous les crimes, de se mettre à l'abri de
tous les crimes sans être criminel aussi ; ce qui mène
les hommes corrompus doit être corrompu lui-même ; et
ce ne sera jamais avec la vertu, qui est un mode sans action, que
vous conduirez le vice, qui est un mode toujours en action. Le gouvernant
doit avoir plus d'énergie que le gouverné ; or, si celle
du gouverné n'est pétrie que de crimes, comment voulez-vous
que celle du gouvernant ne soit pas elle-même criminelle ? Les
punitions que l'on emploie pour l'homme sont-elles autre chose que
des crimes ? Qui les excuse ? la nécessité de le gouverner.
Voilà donc le crime un des ressorts du gouvernement. Je vous
demande maintenant de quelle nécessité peut être,
dans le monde, le mode que vous appelez vertu, lorsqu'il est constant
que vous ne pouvez obtenir ce mode que par des crimes ? D'ailleurs,
il est extrêmement nécessaire, pour le gouvernement même,
que la masse des hommes soit très corrompue : plus elle le
sera, plus il agira facilement. Examinez, en un mot, la vertu sous
tous ses rapports, et vous la verrez toujours inutile et dangereuse.
Je voudrais, Juliette, poursuivit Saint-Fond en ne s'adressant plus
qu'à moi, détruire radicalement en vous tous les préjugés
sur cet objet, qui feront infailliblement votre malheur ; je voudrais
assurer vos opinions dans le cours de votre vie, car il est affreux
d'être née avec des penchants à mal faire et de
ne pouvoir s'y livrer sans frémir. Convainquez-vous bien, mon
ange, que dussiez-vous troubler et déranger l'ordre de la nature
dans tous les sens possibles, vous n'auriez jamais fait qu'user des
facultés qu'elle vous a données pour cela... des facultés
qu'elle savait bien que vous emploieriez à cela, usage qu'elle
ne blâme pas, sans doute, puisque loin de vous priver d'aucune
de ces facultés nuisibles, elle vous inspire à tout
moment le désir de les mettre en uvre. Faites donc tout
le mal qu'il vous plaira, sans que cela trouble un instant votre repos
: soyez bien sûre que, de quelque espèce que soit celui
que vous inventerez, il ne sera jamais aussi violent que pourrait
le désirer la nature... qu'elle veut la destruction... qu'elle
l'aime... qu'elle s'en nourrit... qu'elle s'en abreuve, et que vous
ne lui plairez jamais mieux que quand vos mains détruiront,
comme les siennes, de même que vous ne l'outragez jamais davantage...
que vous n'empiétez jamais autant sur ses droits, que lorsque
vous travaillez à une propagation qu'elle abhorre... ou que
vous laissez subsister sans trouble cette masse d'hommes qui nuit
à ses facultés : car le crime et la mort sont les véritables
lois de la nature, et nous ne la servons jamais mieux qu'en moissonnant,
comme elle, tout ce que nos bras peuvent atteindre.
- Ô Saint-Fond ! dis-je à mon amant, j'adhère
à tous la principes que vous venez d'établir. Une seule
chose m'inquiète. Il faut, avez-vous dit, être fausse
avec tout le monde : si malheureusement vous l'étiez avec moi,
vous sentez tout ce que j'aurais à craindre.
- Ne redoutez point cela, dit le ministre, je ne serai jamais faux
avec mes amis, parce qu'au fait, il faut avoir quelque chose de solide
dans le monde ; et sur quoi pourrait-on compter, si ce n'est sur le
commerce de ses amis ? Vous pouvez donc être certains, tous
trois, que je ne vous tromperai jamais, à moins que vous ne
me trompiez les premiers. La raison de cela est bien simple, je vais
l'étayer par l'égoïsme, la seule règle que
je connaisse pour se bien juger soi et les autres.
Nous vivons ensemble : n'est-il pas vrai que si vous vous aperceviez
que je vous trompe, vous me le rendriez bientôt ? Et je ne veux
pas être trompé. Voilà toute ma logique en amitié.
C'est, dans le fait, un sentiment fort difficile entre sexe égal,
impossible entre sexe différent, et que je n'estime qu'autant
(ce qui est fort rare) qu'il peut être fondé sur des
rapports d'humeurs et de goûts. Mais il est faux de dire qu'il
faille que la vertu en soit le ciment : il deviendrait alors, si cela
était vrai, un sentiment fort plat, que la monotonie détruirait
bientôt. Quand les plaisirs en sont la base, chaque nouvelle
idée en resserre les liens ; le besoin, seul aliment réel
de l'amitié, rapproche ses nuds à tous les instants
; d'autant plus, que tous les jours on a plus besoin l'un de l'autre
: on jouit de son ami, on jouit avec son ami, on jouit pour son ami,
les voluptés s'augmentent les unes par les autres, et ce n'est
véritablement qu'alors qu'on peut se flatter de les connaître.
Mais qu'obtiens-je d'un sentiment vertueux ? Quelques voluptés
sèches, quelques jouissances intellectuelles qui se détruisent
à la première épreuve, et qui donnent des regrets
d'autant plus amers que l'amour-propre en demeure blessé, et
qu'il n'est point de traits plus sensibles que ceux qui vont à
l'orgueil.
Il était tard, on se coucha. Nous nous mîmes tous quatre
dans un lit de huit pieds carrés, construit pour de pareilles
scènes, et, après quelques luxures, on s'endormit. Des
affaires ayant rappelé Noirceuil, à Paris, il nous quitta
de bonne heure. Clairwil et moi tînmes compagnie à Saint-Fond,
qui désirait passer quelques jours à la campagne.
A notre retour à Paris, Saint-Fond m'amena sa fille, dont l'appartement
avait été préparé pendant notre voyage.
Il était impossible de rien voir d'aussi régulièrement
beau : la plus sublime gorge, de très jolis détails
dans les formes, de la fraîcheur dans la peau, du dégagement
dans les masses, de la grâce, du moelleux dans l'attachement
des membres, une figure céleste, l'organe le plus flatteur,
le plus intéressant, et beaucoup de romanesque dans l'esprit.
- Voici ma fille, me dit Saint-Fond en me la présentant, vous
savez que je la destine à Noirceuil, qui ne se scandalisera
pas des privautés que j'ai déjà prises et que
je prends encore tous les jours avec elle. Tout n'est pas cueilli
: Alexandrine est vierge d'un côté... Mais son cul...
ce superbe cul, Juliette, est depuis bien longtemps effeuillé
par moi... Eh ! comment y aurais-je résisté ? Regardez-le,
mon ange, et dites si, de vos jours, vous vîtes quelque chose
de plus délicieux.
Il était difficile, en effet, de rien voir de plus blanc et
de mieux coupé.
- Il n'y paraît pas, poursuivit Saint-Fond en écartant,
on ne peut se douter, ni que je la fouette tous les matins, ni que
je la sodomise tous les soirs. Je vous laisse cette fille, Juliette,
éduquez-la pendant quelque temps, rendez-la digne de l'ami
auquel je la destine, inspirez-lui le goût de tous les crimes
et la plus forte horreur pour toutes les vertus. Je vous cède
mes droits sur elle ; transmettez-lui les principes que vous avez
reçus de celui qui doit l'épouser ; donnez-lui tous
nos goûts, communiquez-lui toutes nos pulsions. Jamais le mot
de Dieu ne fut prononcé devant elle ; ce n'est pas avec vous
que je crains qu'elle puisse en concevoir l'idée : je lui brûlerais
moi-même la cervelle, à l'instant où je lui entendrais
parler de cette exécrable chimère. D'importants objets
empêchent Noirceuil et moi de nous livrer aux soins que nous
vous confions : ils ne sauraient être en meilleures mains.
Ce fut à cette occasion que le ministre m'apprit la nomination
de Noirceuil à l'une des places les plus importantes de la
cour, et qui lui valait cent mille écus de rente.
- Il l'a obtenue, me dit Saint-Fond, en même temps que le roi
vient de m'en conférer une qui me vaut le double.
Et pendant que le vice triomphait avec cette impudence, vous voyez,
mes amis, comme la main du sort écrasait toutes les victimes
de ces indignes scélérats... Combien ces réflexions,
si fort au désavantage du bien, si singulièrement en
faveur du mal, achevèrent de me captiver à jamais dans
le sein du crime et de l'infamie !... Oh ! quelle horreur j'avais
pour la vertu !
Je passai la nuit suivante avec Alexandrine. Cette jeune fille était,
sans doute, délicieuse, mais j'avoue que je la vis si philosophiquement,
avec des sens tellement rassis, que je ne serais pas trop en état
de vous parler des voluptés que j'en reçus : il aurait
fallu de l'enthousiasme, à peine y eut-il de l'émotion.
J'étais si fort affermie dans mes idées, le moral dominait
si bien en moi le physique, mon indifférence était telle,
mon flegme si soutenu, que, soit satiété, soit dépravation,
soit système, je pus, sans m'émouvoir, la tenir nue
dix heures dans mon lit, la branler, m'en faire branler, la sucer,
la gamahucher, sans que ma tête en fût seulement échauffée.
Et voilà, j'ose le dire, un des plus heureux fruits du stoïcisme.
En roidissant notre âme contre tout ce qui peut l'émouvoir,
en la familiarisant au crime par le libertinage, en ne lui laissant
de la volupté que le physique, et en lui en refusant opiniâtrement
la délicatesse, on l'énerve ; et de cet état
dans lequel son activité naturelle ne lui permet pas de rester
longtemps, elle passe à une espèce d'apathie qui se
métamorphose bientôt en plaisirs mille fois plus divins
que ceux que lui procureraient des faiblesses ; car le foutre que
je perdis avec Alexandrine, quoiqu'il ne fût dû qu'à
cette fermeté que je vous peins, me procura des jouissances
bien plus vives que celles qui n'eussent été le fruit
que de l'enthousiasme ou des tristes feux de l'amour.
Quoi qu'il en soit, Alexandrine me parut presque aussi neuve au moral
qu'au physique ; son cur et son esprit n'avaient encore fait
nuls progrès. Cependant la petite coquine avait du tempérament,
et quand je cherchais à l'émouvoir, je la trouvais toujours
pleine de foutre. Je lui demandai si son père lui faisait beaucoup
de mal en l'enculant.
- Les premières fois, me dit-elle.
Mais elle y était si fort accoutumée, qu'elle ne souffrait
plus. Sur ma demande si elle n'avait jamais vu que Noirceuil, elle
me dit que son père avait exigé d'elle des complaisances
pour un autre homme, et je vis, au portrait, que c'était Delcour.
Mais ce Delcour l'avait-il enculée ?... Non, il l'avait seulement
fouettée devant son père, et vous pouvez juger par là
quelle est la trempe de l'imagination d'un père qui bande et
qui décharge en faisant fouetter devant lui sa fille par un
bourreau. J'appris, dès la première nuit, à mon
écolière tout ce qui tient à la théorie
du libertinage, et, au bout de trois jours, elle me branlait aussi
bien que Clairwil. Peu à peu, néanmoins, cette petite
fille parvint à me monter la tête, je l'immolais déjà
dans ma perfide imagination, lorsque je demandai enfin à Noirceuil
ses intentions sur cette créature.
- Je veux en faire une victime, me répondit-il, comme j'ai
fait de toutes mes autres femmes.
- En ce cas, pourquoi retarder ?
- A cause de la dot, à cause d'un enfant qu'il faut que je
lui fasse, ou que je lui fasse faire, à cause de la protection
du ministre qu'il faut que je conserve au moyen de cette alliance.
Ces réflexions, auxquelles je ne m'étais pas livrée,
dérangèrent un peu mes idées. Et comme j'ai à
vous raconter des événements plus intéressants
pour moi que ceux-là, vous saurez seulement, pour ne plus revenir
à Alexandrine, qu'elle épousa Noirceuil, qu'elle devint
grosse, je ne sais comment, et que, comme rien dans elle ne répondit
aux instructions morales que je lui avais données, elle périt
au bout de fort peu de temps, victime de la scélératesse
de son époux et de son père, dans des orgies, que des
événements, dans le détail desquels je vais bientôt
entrer, m'empêchèrent de partager.
Les filles que j'étais obligée de fournir au ministre
ne me coûtaient pas toujours les soins que je recevais pour
elles. Il arrivait même quelquefois qu'elles me rapportaient
au lieu de me coûter : je vais vous en citer un exemple, qui
ne vous donnera peut-être pas une haute idée de ma probité.
Un homme de province m'écrit un jour que le gouvernement lui
doit cinq cent mille francs pour des avances dans la dernière
guerre. Sa fortune, bouleversée depuis lors, le réduit,
faute de cette somme, à mourir de faim, lui et une fille de
seize ans qui fait la consolation de ses jours, et qu'il marierait
avec une partie de cet argent, s'il pouvait en obtenir la rentrée.
Le crédit qu'il me connaît auprès du ministre
l'engage à s'adresser à moi, et il m'envoie toutes mes
pièces. Je m'informe ; le fait est vrai : ce ne sera pas sans
beaucoup de crédit qu'on aura ces fonds, mais ils sont dus
très effectivement. La jeune personne dont il s'agit est d'ailleurs,
m'assure-t-on, l'une des plus intéressantes créatures
qu'il y ait au monde. Sans rien expliquer de mes projets au ministre,
je lui demande un ordre pour retirer l'argent. Je l'obtiens à
la minute ; vingt-quatre heures suffisent à me procurer ce
que le bon provincial ne pouvait obtenir depuis six ans. Dès
que je suis en possession de la dette, j'écris au solliciteur
que tout est en bon train, mais que sa présence est absolument
nécessaire, qu'une jeune et jolie personne produite avec lui
dans les bureaux ne peut qu'accélérer la réussite
de sa demande ; que je l'invite, en conséquence, à amener
sa fille avec lui. Le benêt, dupe de mes conseils perfides,
apporte lui-même sa réponse, et me présente effectivement
une des plus belles filles que j'eusse encore vues. Je ne les fis
pas languir longtemps après leur arrivée. Un de ces
dîners ministériels que je donnais chaque semaine à
Saint-Fond les mit en ma puissance. Déjà maîtresse
des cinq cent mille francs, et le devenant, par cette insigne trahison,
du père et de la fille, vous devinez, je crois, aisément
l'emploi que je fis des uns et des autres. L'argent, qui eût
fait la fortune de plusieurs familles, fut dépensé par
moi dans moins d'une semaine ; et la fille, destinée à
faire la félicité d'un honnête homme, après
avoir été souillée par nos pollutions nocturnes
pendant trois jours de suite, devint, le quatrième, victime
avec son père de la férocité de Saint-Fond et
de Noirceuil, qui les firent expirer tous deux dans un supplice d'autant
plus barbare qu'ils y vécurent douze heures dans les angoisses
les plus effrayantes.
A ces preuves de ma perfidie, je dois, pour achever de me peindre
à vous, vous en donner de mon avarice. Croiriez-vous que je
la portais au point de prêter sur gages ? M'en trouvant un jour
pour huit cent mille francs, qui m'eussent à peine, en les
rendant, rapporté le quart de la somme, je fis banqueroute
et ruinai, par ce trait, vingt malheureuses familles qui n'avaient
mis dans mes mains leurs effets les plus précieux, que pour
se procurer une triste subsistance momentanée, et qu'ils ne
trouvaient pas dans des travaux qui leur coûtaient néanmoins
tant de peines et tant de sueurs.
L'époque de Pâques approchait, Clairwil fut la première
à me rappeler notre partie des Carmes. Introduites dans l'intérieur
du couvent avec Elvire et Charmeil, mes deux plus jolies tribades,
le supérieur commença par nous demander des nouvelles
de Claude. Il n'avait pas paru, nous assura-t-il, depuis l'invitation
que nous lui avions faite. Nous assurâmes le bon moine que nous
ignorions absolument le sort de son confrère ; mais qu'avec
le libertinage que nous lui avions reconnu, il paraissait fort vraisemblable
qu'il avait jeté le froc aux orties. Il n'en fut plus question.
Nous passâmes dans une salle immense, et ce fut là où
le supérieur nous fit faire la revue des combattants. Eusèbe
les faisait tous passer les uns après les autres ; ils arrivaient
entre les mains de mes deux femmes, qui les branlaient et nous montraient
les vits. Tout ce qui n'avait pas au moins six pouces de tour sur
neuf de long fut réformé, ainsi que tout ce qui passait
cinquante ans. On ne nous en avait promis qu'une trentaine : il y
eut soixante-quatre moines et six novices, tous munis d'engins dont
les plus petits se trouvent dans les proportions qui viennent d'être
dites, et quelques-uns de dix sur quatorze. La cérémonie
commença.
Clairwil et moi, toujours dans cette même salle, nous étions
étendues sur des canapés larges, élastiques et
profonds, les jambes pendantes, les reins soulevés par de gros
carreaux, absolument nues, et c'était le con que, dans cette
première attaque, nous présentions à nos adversaires.
Les tribades nous envoyaient les vits par rang de taille, de manière
à ce que les plus petits commençassent ; mais ce n'était
qu'aux pollutions de nos doigts qu'on adressait des vits, attendu
que nous branlions de chaque main les deux successeurs de celui qui
nous enconnait. Aussitôt que le con se remplissait aux dépens
d'une main, il arrivait tout de suite un nouveau vit dans cette main,
et nous avions toujours trois hommes chacune sur le corps. Celui qui
était hors de combat se retirait dans une salle voisine jusqu'à
nouvel ordre. Tous étaient nus, et tous déchargeaient
dans un condom, dont leur vit était revêtu. Ils passaient
successivement de Clairwil à moi : nous fûmes donc ainsi
foutues chacune d'abord soixante-quatre coups. Pendant les derniers,
nos femmes étaient passées dans la seconde pièce,
où elles travaillaient à faire rebander les moines.
La seconde course recommença... Encore soixante-quatre coups
chacune. Mêmes procédés pour la troisième,
mais ce fut le cul que nous présentâmes, et nos athlètes
nous furent envoyés cette fois de manière à ce
que nous eussions toujours un vit dans le cul, l'autre dans la bouche
; et c'est celui qui sortait de nos culs que nous sucions afin de
le préparer à la quatrième attaque. Ici l'on
observait l'alternative, c'est-à-dire que je suçais
le vit qui se retirait du cul de Clairwil, et elle suçait celui
qui sortait du mien. On redoubla, de manière qu'après
cette première scène, nous avions été
foutues chacune cent vingt-huit coups en con et cent vingt-huit en
cul, formant deux cent cinquante-six en tout. On servit des biscuits
et des vins d'Espagne, puis les groupes se formèrent.
Nous reçûmes à la fois huit hommes : nous avions
un vit sous chaque aisselle, un dans chaque main, un dans les tétons,
un dans la bouche, le septième en con, le huitième en
cul. Ici plus de gondons ; il fallait que tous déchargeassent,
afin que nous nous trouvassions arrosées de foutre sur toutes
les parties de notre corps, et que, de toutes parts, on le vît
bouillonner sur nous. Chaque brigade de huit redoubla, en changeant
de femme et de manière de foutre, de façon que nous
éprouvâmes chacune huit pareils assauts, au bout desquels
nous n'exigeâmes plus rien. Toutes deux offertes à leur
lubricité, nous leur déclarâmes qu'ils étaient
les maîtres de choisir entre Clairwil et moi, et de jouir comme
bon leur semblerait. Clairwil, de cette manière, fut encore
foutue quinze coups en bouche, dix en con et trente-neuf en cul ;
et moi quarante-six en cul, huit en bouche et dix en con : deux cents
coups chacune au total8.
Le jour parut, et comme c'était celui de Pâques, les
coquins, en nous traitant ainsi, allaient dire leur messe et en revenaient.
On nous avertit pour le dîner ; nous témoignâmes
au supérieur le désir de procéder avant aux petites
impiétés convenues. Spectateur de nos lubricités,
Eusèbe, qui n'aimait que les hommes, s'était contenté
de nous disposer des vits, et d'enculer quelques-uns de ses confrères,
pendant que nous en étions foutues.
- Eh bien ! nous dit-il, je vais moi-même célébrer
le saint mystère dans la chapelle de la Vierge, en haut. Comment
désirez-vous que cela se fasse ?
- Il faut, dit Clairwil, qu'un autre moine célèbre à
côté de vous. Ces deux messes se diront sur les cons
de nos deux tribades ; un moine les foutra en bouche pendant ce temps-là,
afin de présenter son cul au célébrant, et il
chiera sur le ventre de la fille dès que l'hostie sera consacrée.
De ce moment, le prêtre fera tenir le petit Dieu dans cet étron
; mon amie et moi irons le chercher là ; nous en brûlerons
une partie ; nous donnerons des coups de couteau dans l'autre. On
fera quatre parts ensuite de ce qui restera : deux de ces parts seront
enfoncées à coups de vit dans le cul des deux célébrants,
le reste s'introduira de même dans le cul de Juliette et dans
le mien. Au bout d'un instant, le vin consacré s'introduira
dans quatre petites seringues, et l'on injectera ces quatre portions
dans le cul des deux prêtres et dans les deux nôtres.
On nous resodomisera tous quatre, et l'on nous déchargera dans
le cul. Vos plus beaux crucifix seront sous nos ventres et sous nos
pieds pendant l'opération, et nous chierons dessus, ainsi que
dans vos ciboires et vos calices, dès que nous aurons été
foutues.
Tout se passa comme l'avait désiré mon amie.
- Allons, dit-elle, je suis satisfaite ; je sais bien que ce sont
des enfantillages, des inutilités, mais cela m'a échauffé
la tête : n'était-ce donc pas tout ce qu'il fallait ?
Les voluptés ne sont que ce que l'imagination les fait, et
la plus délicieuse de toutes n'est jamais que celle qui plaît
le mieux :
Tous les goûts sont dans
la nature
Le meilleur est celui qu'on a.
Eusèbe et les quatre
moines qui nous avaient plu davantage furent les seuls admis au magnifique
repas qui nous fut servi ; nous reposâmes deux heures, et les
orgies recommencèrent.
Cette fois-ci, nos deux tribades, placées au-dessus de la tête
de Clairwil, exposaient l'une son con, l'autre son cul ; moi, je devais
branler les soixante-quatre vits et les introduire l'un après
l'autre, d'abord dans le vagin, ensuite dans l'anus de ma compagne,
qui les attendait couchée sur le dos et les jambes en l'air
liées aux quenouilles d'un lit ; ils ne faisaient que s'exciter
dans le con : tous étaient obligée de décharger
dans le cul. Je pris la place de Clairwil ; elle me rendit le même
service. Ces libertins, en jouissant ainsi de nous, avaient non seulement
le plaisir de foutre de deux manières, mais même encore
celui (pendant qu'ils foutaient) d'être aidés, servis
par une jolie main, et de baiser une bouche, un con ou un cul, à
leur volonté ; tous répandirent du foutre. A la seconde
séance, chacune de nos tribades nous branlait un vit sur la
figure, nous en branlions un de chaque main, et deux moines nous gamahuchaient.
Nous étions assises sur le visage de celui qui nous léchait
le trou du cul ; entre nos jambes, à genoux, était celui
qui nous suçait le con ; le septième et le huitième
attendaient nos ordres, le vit à la main, et ils nous enconnaient
ou nous enculaient au moment où, suffisamment excitées
par les gamahucheurs, nous leur faisions signe de s'introduire. Nous
obtînmes encore huit coups de cette manière.
Ma compagne et moi étions excédées, lorsqu'il
passa par la tête de Clairwil une idée bien digne de
son libertinage.
- En s'y prenant, dit-elle, avec adresse, il est possible qu'une femme
soit enconnée par deux hommes à la fois. Que ceux qui
bandent encore m'approchent ; que le mieux fourni des deux m'enfile
en me prenant sur lui ; que l'autre me le mette à l'envers
en me branlant le trou du cul ; qu'un troisième vienne se faire
sucer ; tout cela ne m'empêchera pas d'en pouvoir branler encore
deux.
Clairwil se trouvait heureusement assez large pour l'exécution
de son projet. Vigoureusement secouée par deux monstrueux engins,
dont l'un se retirait pendant que l'autre s'engloutissait jusqu'au
poil9, ainsi foutue en mesure pendant plus de trois heures par vingt-six
moines, qui furent assez adroits pour réussir, la putain sortit
de là comme une frénétique : ses yeux étincelaient,
sa bouche écumait, elle était en nage. Et tout excédée
qu'elle paraissait, la garce en désirait encore ; on la voyait,
comme une bacchante, parcourir les rangs et sucer les vits pour tâcher
d'en obtenir de nouveaux efforts. Trop jeune et trop délicate
pour me permettre d'essayer même l'obscène irrégularité
que ma compagne venait de mettre en couvre, je m'étais amusée
pendant ces orgies à lui préparer des vits, mais il
ne m'était plus possible de rien faire : j'éprouvais,
dans l'une et l'autre région du plaisir, un tel feu, une cuisson
si considérable, que je pouvais à peine me tenir assise.
Nous soupâmes... Il était tard. Clairwil dit qu'elle
voulait coucher au couvent.
- Tu me feras mettre un matelas sur le maître-autel, dit-elle
au supérieur : je veux y foutre toute la nuit. Juliette m'imitera
: il fait chaud, nous serons là plus fraîchement. Ou
bien elle ira dans la chapelle de cette putain qui, dit-on, fut la
mère du Dieu pendu de l'infâme religion chrétienne...
Juliette, tu coucheras sur cet autel, en te modelant sur le putanisme
de la garce chez laquelle tu seras : au lieu des soldats de la garnison
de Jérusalem, par qui la bougresse s'en faisait donner tous
les jours, tu choisiras parmi ces moines ceux dans qui tu soupçonneras
encore quelque vigueur.
- Ah ! je ne peux plus foutre ! m'écriai-je.
- Eh bien ! tu les branleras, ils te branleront ; tu les suceras,
ils te suceront : il y aura toujours du foutre de répandu sur
les autels impies de cette effroyable putain.
Pour moi, continua-t-elle, je ne te ressemble pas, il s'en faut. A
quelque point que j'aie été limée, je brûle
encore du besoin d'être foutue ; les flots de sperme qui m'ont
inondé le cul et le con n'ont fait que m'enflammer : je brûle...
Plus l'on fout, à mon âge, et plus l'on veut foutre :
ce n'est que le foutre qui apaise l'inflammation causée par
le foutre, et quand une femme a le tempérament que m'a donné
la nature, ce n'est qu'en foutant qu'elle peut être heureuse.
Le putanisme est la vertu des femmes ; nous ne sommes créées
que pour foutre : malheur à celle qu'une stupide vertu enchaîne
encore à de plats préjugés ! Victime de ses opinions
et de la froide estime qu'elle attend presque en vain des hommes,
elle aura vécu sans plaisir et mourra sans être regrettée.
Le libertinage des femmes fut honoré sur toute la terre ; partout
il eut et des sectateurs et des temples. Ah ! comme je deviens sa
zélatrice ! comme je jure et proteste d'être putain le
reste de mes jours !... Que de grâces j'ai à rendre à
ceux qui m'ont aplani la carrière du vice : c'est à
eux seuls que je dois la vie ! Je l'avais reçue de mes parents,
souillée d'indignes préjugés : le feu des passions
les a consumés tous, et puisque le jour n'est pur à
mes yeux que depuis que je connais l'art de foutre, c'est de cette
seule époque que j'ai reçu l'existence... Des vits oui,
sacredieu ! des vits ! voilà mes dieux, mes parents, mes amis
; je ne respire que pour ce membre sublime, et quand il n'est ni dans
mon con, ni dans mon cul, il se place si bien dans ma tête,
qu'en me disséquant un jour on le trouvera dans ma cervelle
!
Après ce mouvement d'effervescence, prononcé de l'air
et du ton d'une énergumène, Clairwil prit deux carmes
avec elle, et fut se coucher sur l'autel. Je l'imitai. M'étant
bien bassinée avec de l'eau de rose, j'essayais de me prêter
aux nouvelles attaques de deux superbes novices que j'avais amenés,
et j'en jouissais, lorsque Clairwil, se jetant au bas de l'autel où
elle s'est mise, s'écrie qu'il lui faut de nouveaux hommes.
- Que l'on soit difficile et que l'on choisisse au sein de l'abondance,
dit-elle, rien de plus simple. Mais nous manquons maintenant ; ces
bougres-là sont anéantis : le crois-tu, Juliette ? je
viens d'être ratée... moi, qui jamais n'éprouvai
cet affront. Allons, allons ! il y a d'autres vits dans ce couvent
; nous n'avons choisi que les plus beaux, tâtons les autres
maintenant ; suis-moi. Si le supérieur, poursuit-elle en ordonnant
qu'on aille le lui chercher, n'a pas été bon pour satisfaire
individuellement mes désirs, il le sera pour les faire apaiser
par ceux de ses confrères qui, reposés, frais et gaillards,
et n'ayant encore rien fait avec nous, doivent avoir toutes les forces
requises pour nous contenter... Allons ! lui dit-elle, dès
qu'elle le vit paraître, conduis-nous dans les cellules habitées
par les moines qui n'ont point paru à nos bacchanales !
Nous le suivons ; les portes s'ouvrent à notre approche ; et
quelle que fût la conformation de ceux que nous trouvions dans
ces chambres, il fallait qu'ils jouissent de nous. Tous souscrivent
au marché, tous le signèrent de leur sperme ; les uns
nous prenaient par-devant ; d'autres, et ce fut le plus grand nombre,
ne voulaient enfiler que le cul ; et nous, ne poursuivant qu'un seul
objet, celui d'être foutues, nous présentions indistinctement
tout ce qu'on pouvait exiger de nous, contentes d'obtenir du foutre,
dans quelque partie du corps qu'il dût couler : voilà
comment doivent penser toutes les femmes. Est-il rien de plus absurde,
en effet, que de supposer qu'il n'y ait pour recevoir des vits qu'une
partie de notre corps, et que si malheureusement on s'écarte
de la grande route, il y a aussitôt des crimes de commis ? comme
si la nature, en nous formant deux trous, n'avait pas indiqué
à l'homme que c'était pour les boucher indistinctement
l'un et l'autre ; et que, quel que soit celui qu'il préférât,
il accomplirait toujours les lois d'une mère trop sage pour
avoir donné à l'une de ses plus faibles créatures
le plaisant droit de l'outrager.
Très partisan de cette manière de jouir, et la préférant,
sans nulle comparaison, à l'autre, je fus assez heureuse, dans
cette seconde tournée, pour ne m'entendre demander que le cul,
et je ne le refusai à personne.
Nous passâmes enfin chez les vieux.
- Il ne faut rien excepter, dit Clairwil ; tous les hommes sont intéressants
dès qu'ils déchargent : je n'exige d'eux que du foutre.
Quelques-uns, couchés avec des novices, nous repoussèrent.
- Vous ne nous dédommageriez pas de l'infidélité,
nous dirent-ils ; dussiez-vous même nous offrir l'autel où
nous sacrifions, il y aurait un voisin trop redoutable pour que nous
puissions essayer l'hommage :
Une femme a beau faire, elle
a beau se tourner,
Ce sera toujours une femme.
MARTIAL, Épig.
D'autres nous reçurent,
mais, que de peines nous eûmes seulement à les faire
bander... que de complaisances... que de soins... que de lubriques
attentions ! que de différents rôles à jouer !
Tour à tour victimes ou prêtresses, tantôt il nous
fallait réveiller chez les uns, par de cruelles macérations,
une nature épuisée, que les autres ne sortaient de la
léthargie qu'en nous molestant nous-mêmes. Un de ces
vieux pécheurs voulut nous fouetter, nous le souffrîmes
; nous étrillâmes les autres ; il fallut prêter
nos bouches à cinq ou six, et, dupes de nos complaisances avec
ceux-là, leurs forces s'y épuisèrent sans que
nous puissions y rien gagner. D'autres voulurent des choses plus singulières
encore ; nous fîmes tout... Tout déchargea, jusqu'au
sacristain, jusqu'au portier, jusqu'aux balayeurs, qui nous foutirent
deux ou trois cents coups chacune. Et après avoir couru plus
de trois cents postes, soit d'un côté, soit de l'autre,
nous nous retirâmes, épuisées de tous les genres
de fatigue qui peuvent accabler le corps humain. Un régime
exact de neuf jours, pendant lesquels nous prîmes beaucoup de
bains et de petit lait, nous rendit aussi fraîches que si nous
n'eussions jamais imaginé cette partie.
Mais s'il n'en restait plus de vestige à mon extérieur,
ma tête n'en était pas moins embrasée ; on n'imagine
pas dans quel état cette extravagance l'avait mise : j'étais
exactement dans le délire de la lubricité. Je voulus,
ou pour m'apaiser ou pour m'enflammer davantage, aller toute seule,
une fois, à notre Société des Amis du Crime.
Il y a des moments où, quelque agréable que soit la
compagnie d'un être qui pense comme nous, on préfère
cependant la solitude : il semble que l'on sera plus libre, que l'on
inventera davantage ; on est alors dispensé de cette espèce
de honte dont on a tant de peine à se débarrasser avec
les autres, et rien ne vaut enfin les crimes solitaires.
Il y avait quelque temps que je n'avais paru dans ce cercle : perpétuellement
entourée de plaisirs, je savais rarement auquel donner la préférence.
Je n'y fus pas plus tôt entrée, que je reçus mille
éloges et mille compliments nouveaux, et je me vis bientôt
contrainte à n'être que victime, lorsque j'arrivais pour
être sacrificateur. Un homme de quarante ans m'enconna, et,
fort peu occupée de répondre à ses feux, me laissant
faire comme une machine, j'observais avec bien plus d'attention un
fort bel abbé, enculant alternativement deux jeunes personnes,
pendant qu'on le fouettait lui-même. Il était à
deux pieds de moi ; je l'excitai par des propos, et je m'aperçus
promptement qu'il faisait à moi bien plus attention qu'aux
individus dont il se servait. Nous étant donc promptement débarrassés
de nos entours, nous nous liâmes.
- Votre façon de jouir me plaît bien plus que celle de
celui où vous venez de me voir livrée, lui dis-je :
je ne conçois pas comment un homme fait pour être dans
cette société, ose encore s'amuser d'un con.
- Je ne l'entends pas non plus, me dit Chabert (car c'était
lui, mes amis, lui qui fait aujourd'hui les délices de notre
campagne, et que vous allez bientôt voir jouer un rôle
dans mes aventures). C'est-à-dire, poursuivit mon aimable abbé,
que ce vit que vous voyez bander encore, vous chatouillera davantage
au cul qu'au con !
- Assurément, répondis-je.
- Eh bien ! dit-il, en emmenant avec nous celui qui le foutait, passons
dans un boudoir, et je vous ferai voir là que nos goûts
se ressemblent.
Nous entrons. Le fouteur de Chabert l'avait comme un mulet, l'abbé
lui-même était fort bien muni : mon cul les épuisa
tous deux. Je promis à Chabert de le retrouver, et m'esquivai
bientôt dans les sérails, où les stimulants que
je venais de recevoir me firent entrer tout en feu. Après m'en
être fait donner trois heures dans celui des hommes, je fus
me chercher des victimes dans celui des femmes. Je brûlais de
descendre dans ces trous pratiqués sous terre, entre les deux
murs, et dans lesquels il semblait que l'on fût au bout du monde.
J'y conduisis deux petites filles de cinq ou six ans, et n'ai jamais
eu tant de plaisir. On criait, on déraisonnait, on battait
la campagne, là, tant que l'on voulait : les antipodes nous
eussent plutôt entendues que les habitants de notre hémisphère.
Et après des horreurs dont vous vous doutez sans que je sois
obligée de vous les peindre, je remontai seule, quoique nous
fussions descendues trois.
Ce fut à quelque temps de là que je me trouvai à
dîner chez Noirceuil avec un fort bel homme de quarante-cinq
ans, qui fut annoncé sous le nom du comte de Belmor.
- Voilà notre nouveau président, me dit Noirceuil ;
c'est aujourd'hui le jour de son entrée à la présidence,
et il a promis, pour sa réception, un discours sur l'amour,
que je suis charmé de te faire entendre pour prémunir
ton cur contre ce sentiment que les femmes n'ont que trop souvent
l'extravagance de concevoir pour les hommes. Vous, mon ami, continua-t-il
en s'adressant à Belmor, trouvez bon que je vous présente
la fameuse Juliette. Vous êtes-vous rencontrés à
la société ?
- Non, dit le comte, je ne me rappelle pas avoir vu madame.
- Eh bien ! dit Noirceuil, vous ferez connaissance ici avant de partir.
C'est le cul le plus blanc... et l'âme la plus noire ! Oh !
elle est bien digne de nous ! Elle viendra vous entendre cette après-midi...
Voulez-vous faire quelque chose avant dîner ?... J'attends Clairwil...
Mais avant que sa toilette ne soit finie, il sera quatre heures :
or, comme il n'en est que trois, je vous exhorte à passer tous
deux un instant dans mon boudoir ; mon valet de chambre va vous suivre.
Belmor consentit, le valet vint, et nous nous enfermâmes tous
trois. La passion de Belmor était simple : il baisait, il examinait
longtemps les fesses de la femme pendant que l'homme l'enculait ;
puis, dès que cet homme avait déchargé, il lui
branlait le vit sur le cul de la femme, lui faisait perdre une seconde
fois le foutre, bien positivement au trou, et dévorait ce que
venait de perdre cet homme, pendant que la femme pétait ; on
le fouettait alors. Le comte remplit avec moi tous les épisodes
de ses goûts ; mais, se sentant de la besogne pour le soir,
il ne déchargea pas. Nous rentrâmes ; Clairwil, belle
comme un ange, venait d'arriver ; on se mit à table.
- Juliette, me dit Noirceuil, ne vous imaginez pas que le comte ait
toujours des passions aussi douces que celle que vous venez de lui
satisfaire : il vous a traitée comme notre amie.
- Comme un homme qui se ménage, dit Clairwil.
- Vous savez donc, madame, ce que fait monsieur dans ses moments de
délire, dis-je à Clairwil en souriant ? Si cela est,
dites-le moi, je vous en conjure, car il me paraît si aimable,
que je ne veux rien ignorer de ce qui le concerne.
- Comte, dit Noirceuil, trouvez-vous bon qu'on le lui dise ?
- Je ne devrais pas y consentir, cela va donner à madame une
beaucoup trop mauvaise idée de moi.
- Je connais assez mon amie, dit Clairwil, pour vous amurer qu'elle
ne vous estimera qu'en raison de la multitude ou de la supériorités
de vos vices.
- Eh bien ! dit Noirceuil, ce scélérat a pour passion
favorite de faire attacher un petit garçon de cinq ou six ans
sur les épaules d'une belle femme ; on fait couler le sang
de la petite victime par mille plaies différentes, mais de
manière à ce que le ruisseau coule sur le trou du cul
de cette femme, obligée de chier pendant cette opération.
Quant à lui, agenouillé devant le derrière, il
avale le sang, pendant que trois hommes s'énervent dans son
cul. Vous voyez que ce que vous venez de faire avec lui n'est qu'un
diminutif de sa fantaisie de choix : tant il est vrai que les petites
habitudes, chez les hommes, caractérisent les plus grandes,
et que le vice dominant s'annonce toujours par quelque chose.
- Oh, foutre ! dis-je au comte, en l'embrassant de tout mon cur,
votre manie me fait tourner la tête : employez souvent, je vous
prie, mes fesses à de semblables opérations, et soyez
bien sûr que je ne négligerai rien de ce qui pourra perfectionner
votre extase.
M. de Belmor m'assura que la journée ne se passerait pas sans
cela, et il me conjura tout bas de lui réserver mon étron.
- Ah ! dit Clairwil, je savais bien que vous ne déplairiez
pas à mon amie en lui annonçant votre libertinage.
- Il est certain, dit Noirceuil, que c'est une sotte vertu que la
tempérance ; l'homme est né pour jouir, et ce n'est
que par ses débauches qu'il connaît les plus doux plaisirs
de la vie : il n'y a que les sots qui se contiennent.
- Pour moi, reprit Clairwil, je pense qu'il faut aveuglément
se livrer à tout, et que ce n'est qu'au milieu de ces égarements
que doit se trouver le bonheur.
- La nature, dit le comte, indique à l'homme de ne le chercher
que dans les excès ; l'inconstance dont il est doué,
en lui conseillant d'augmenter ses sensations chaque jour, prouve
bien que les plus douces ne sont que dans les écarts. Malheur
à ceux qui, contenant les passions de l'homme dans sa jeunesse,
lui font une habitude des privations, et le rendent par là
le plus infortuné des êtres : quels mauvais services
on lui rend alors !
- Il ne faut pas se tromper sur le but de ceux qui se conduisent ainsi,
dit Noirceuil ; ne doutons point que ce ne soit par méchanceté,
par jalousie... de peur que les autres ne soient aussi heureux que
ces pédants-là sentent bien qu'on peut l'être
en se livrant à toutes leurs passions.
- La superstition, dit Belmor, y contribue beaucoup. Il fallait bien
composer des offenses envers le Dieu que la superstition créait
; un Dieu qui ne se serait fâché de rien, devenait un
être sans puissance : et où pouvait mieux se trouver
le germe des crimes, que dans le jet des passions ?
- Que de torts, dit Noirceuil, la religion a fait à l'univers
! Je la regarde, dis-je, comme le fléau le plus dangereux de
l'humanité ; celui qui le premier put en parler aux hommes,
dut être nécessairement son plus grand ennemi : le plus
effrayant des supplices eût encore été beaucoup
trop doux pour lui.
- On ne sent pas assez, dit Belmor, la nécessité de
la détruire... de l'extirper, dans notre patrie.
- Ce sera fort difficile, dit Noirceuil : il n'y a rien à quoi
l'homme tienne, comme aux principes de son enfance. Un jour, peut-être,
par un enthousiasme de préjugés tout aussi ridicules
que ceux de la religion, vous verrez le peuple en culbuter les idoles.
Mais semblable à l'enfant timide, il pleurera, au bout de quelque
temps, le brisement de ses hochets, et les réédifiera
bientôt avec mille fois plus de ferveur. Non, non ! jamais vous
ne verrez la philosophie dans le peuple : ses organes épais
ne s'amolliront jamais sous le flambeau sacré de cette déesse
: l'autorité sacerdotale, un instant affaiblie peut-être,
ne se rétablira qu'avec plus de violence, et c'est jusqu'à
la fin des siècles que vous verrez la superstition nous abreuver
de ses venins.
- Cette prédiction est horrible.
- Elle est vraie.
- Le moyen de s'y opposer ?
- Le voici, dit le comte, il est violent, mais il est sûr :
il faut arrêter et massacrer tous leurs prêtres dans un
seul jour... traiter de même tous les adhérents, détruire
à la même minute jusqu'au plus léger vestige du
culte catholique... proclamer des systèmes d'athéisme
; confier dans l'instant l'éducation de la jeunesse à
des philosophes ; multiplier, donner, répandre, afficher les
écrits qui propagent l'incrédulité, et porter
sévèrement, pendant un demi-siècle, la peine
de mort contre tout individu qui rétablirait la chimère10.
Mais, ose-t-on vous dire, on fait des prosélytes avec la sévérité
: l'intolérance est le berceau de tous les martyrs. Cette objection
est absurde : ce que l'on me dit là n'est arrivé que
parce qu'on a mis, au contraire, beaucoup trop de mollesse et de douceur
dans le procédé : on a tâtonné l'opération,
et jamais on n'a été au but. Ce n'est pas une des têtes
de l'hydre qu'il faut couper, c'est le monstre en entier qu'il faut
étouffer. Le martyr d'une opinion voit la mort avec courage,
parce que cette force lui est inspirée par celui qui le précède
: massacrez tout en un seul jour, que rien ne reste, et vous n'aurez
plus, de ce moment, ni sectateurs, ni martyrs.
- Cette opération n'est pas aisée, dit Clairwil.
- Infiniment plus qu'on ne pense, répondit Belmor, et je me
charge de l'exécuter avec vingt-cinq mille hommes, il le gouvernement
veut me les confier. Il ne faut à cela que de la politique,
du secret, de la fermeté, surtout point de mollesse et point
de queue : vous craignez les martyrs, vous en aurez, tant qu'il restera
un sectateur à l'abominable Dieu des chrétiens.
- Mais, dis-je, il faudrait donc détruire les deux tiers de
la France !
- Pas même un, répondit Belmor ; mais à supposer
que la destruction nécessaire fût aussi grande que vous
le dites, vaudrait-il pas cent fois mieux que cette belle partie de
l'Europe ne fût habitée que par dix millions d'honnêtes
gens que par vingt-cinq millions de coquins ? Cependant, je le répète,
ne croyez pas qu'il y ait en France autant de sectateurs de la religion
chrétienne que vous semblez l'imaginer ; le triage serait bientôt
fait : un an dans l'ombre et le silence me suffirait à l'établir,
et je n'éclaterais que sûr de mon fait.
- Cette saignée serait prodigieuse !
- J'en conviens, mais elle assurerait à jamais le bonheur de
la France : c'est un remède violent administré sur un
corps vigoureux : en le tirant promptement d'affaire, il lui évite
une infinité de purgations qui, trop multipliées, finissent
par l'épuiser tout à fait. Soyez bien certains que toutes
les plaies qui déchirent la France depuis dix-huit cents ans
ne viennent que des factions religieuses11.
- A vous entendre, comte, dit Noirceuil, vous n'aimez pas infiniment
la religion ?
- Je la vois peser sur les peuples comme une des plaies dont la nature
afflige quelquefois les hommes, et si je n'aimais pas autant mon pays,
j'abhorrerais moins tout ce qui peut l'embraser et le détruire.
- Allons ! dit Noirceuil, puisse le gouvernement vous confier le soin
que vous désirez : je jouirais bien sincèrement avec
vous du résultat, puisqu'il bannirait de dessus la partie du
monde que j'habite, une abominable religion que je hais pour le moins
autant que vous.
Et, comme il était tard, après le plus succulent et
le plus somptueux dîner, on partit pour la Société.
Il y avait un usage fort extraordinaire à la réception
d'un nouveau président. Appuyé sur le ventre, dans un
canapé au bas de sa chaire, il fallait que tous les membres
de la Société fussent lui baiser le cul, avant qu'il
ne s'établît dans son fauteuil. Le comte se place, et
chacun satisfait à l'hommage. Il monte.
- Mes frères, dit-il, j'ai promis d'entretenir aujourd'hui
la Société sur l'amour, et quoique ce discours n'ait
l'air de s'adresser qu'aux hommes, les femmes, j'ose vous l'assurer,
trouveront de même tout ce qui leur est nécessaire pour
se préserver d'un sentiment aussi dangereux.
Puis, s'étant couvert, et l'assemblée l'écoutant
avec le plus grand silence, voici comme il s'exprima :
« On appelle amour ce sentiment intérieur qui nous entraîne,
pour ainsi dire comme malgré nous, vers un objet quelconque,
qui nous fait vivement désirer de nous unir à lui...
de nous en rapprocher sans cesse... qui nous flatte... qui nous enivre
quand nous réussissons à cette union, et qui nous désespère...
qui nous déchire, quand quelques motifs étrangers viennent
nous contraindre à briser cette union. Si cette extravagance
ne nous entraînait jamais qu'à la jouissance prise avec
cette ardeur, cet enivrement, elle ne serait qu'un ridicule ; mais
comme elle nous conduit à une certaine métaphysique
qui, nous transformant en l'objet aimé, nous rend ses actions,
ses besoins, ses désirs aussi chers que les nôtres propres,
par cela seul elle devient excessivement dangereuse, en nous détachant
trop de nous-même et en nous faisant négliger nos intérêts
pour ceux de l'objet aimé ; en nous identifiant, pour ainsi
dire, avec cet objet, elle nous fait adopter ses malheurs, ses chagrins,
et ajoute, par conséquent, ainsi, à la somme des nôtres.
D'ailleurs, la crainte ou de perdre cet objet, ou de le voir se refroidir,
nous tracasse sans cesse ; et de l'état le plus tranquille
de la vie, nous passons insensiblement en adoptant cette chaîne,
au plus cruel, sans doute, qui se puisse imaginer dans le monde. Si
la récompense ou le dédommagement de tant de peines
était autre chose qu'une jouissance ordinaire, peut-être
conseillerais-je de le risquer ; mais tous les tous les tourments,
toutes les épines de l'amour ne conduisent jamais qu'à
ce qu'on peut aisément obtenir sans lui : où donc est
la nécessité de ses fers ? Lorsqu'une belle femme s'offre
à moi et que j'en deviens amoureux, je n'ai pas avec elle un
but différent que celui qui la voit qui la désire sans
former aucune espèce d'amour. Tous deux nous voulons coucher
avec elle : lui, ce n'est que son corps qu'il désire, et moi,
par une métaphysique fausse et toujours dangereuse, m'aveuglant
sur le véritable motif qui, néanmoins, n'est autre que
celui de mon concurrent, je me persuade que ce n'est que le cur
que je veux, que toute idée de jouissance est exclue, et je
me le persuade si bien, que je ferais volontiers avec cette femme
l'arrangement de ne l'aimer que pour elle-même, et d'acheter
son cur au prix du sacrifice de tous mes désirs physiques.
Voilà la cause cruelle de mon erreur ; voilà ce qui
va m'entraîner dans ce gouffre affreux de chagrins ; voilà
ce qui va flétrir ma vie ; tout va changer pour moi dans cet
instant : les soupçons, les jalousies, les inquiétudes
vont devenir les aliments cruels de ma malheureuse existence ; et
plus j'approcherai de mon bonheur, plus il se constatera, plus la
fatale crainte de le perdre empoisonnera mes jours.
« En renonçant aux épines de ce sentiment dangereux,
n'imaginez pas que je me prive de ses roses : je les cueillerai alors
sans danger ; je ne prendrai que le suc de la fleur, j'en éloignerai
toutes les matières hétérogènes ; j'aurai,
de même, la possession du corps que je désire, et n'aurai
pas celle de l'âme qui ne m'est utile à rien. Si l'homme
s'éclairait mieux sur ses vrais intérêts dans
la jouissance, il épargnerait à son cur cette
fièvre cruelle qui le brûle et qui le dessèche.
S'il pouvait se convaincre qu'il n'est nullement besoin d'être
aimé pour bien jouir, et que l'amour nuit plutôt aux
transports de la jouissance qu'il n'y sert, il renoncerait à
cette métaphysique du sentiment qui l'aveugle, se bornerait
à la simple jouissance du corps, connaîtrait le véritable
bonheur, et s'épargnerait pour toujours le chagrin inséparable
de sa dangereuse délicatesse.
« C'est pour un être de raison, une sensation tout à
fait chimérique, que cette délicatesse que nous plaçons
dans le désir de la jouissance. Elle peut être de quelque
prix dans la métaphysique de l'amour : c'est l'histoire de
toutes les illusions, elles s'embellissent mutuellement. Mais elle
est inutile, nuisible même, dans ce qui ne tient qu'à
la satisfaction des sens. De ce moment, vous le voyez, l'amour devient
parfaitement inutile, et l'homme raisonnable ne doit plus voir, dans
l'objet de sa jouissance, qu'un objet pour lequel le fluide nerveux
s'enflamme, qu'une créature fort indifférente par elle-même,
qui doit se prêter à la satisfaction purement physique
des désirs allumés par l'embrasement qu'elle a causé
sur ce fluide, et qui, cette satisfaction donnée et reçue,
rentre, aux yeux de l'homme raisonnable, dans la classe où
elle était auparavant. Elle n'est pas unique dans son espèce
: il peut en retrouver d'aussi bonnes, d'aussi complaisantes. Il vivait
bien autrefois, avant de l'avoir connue : pourquoi ne vivrait-il pas
tout de même après ? Comment l'infidélité
de cette femme pourrait-elle le troubler en quoi que ce pût
être ? En prodiguant ses faveurs à un autre, enlève-t-elle
quelque chose à son amant ? Il a eu son tour : de quoi se plaint-il
? Pourquoi un autre ne l'aurait-il pas de même ? et que perdra-t-il
en cette créature qu'il ne puisse aussitôt retrouver
dans une autre ? Si elle le trompe, d'ailleurs, pour un rival, elle
peut de même tromper ce rival pour lui ; ce second amant ne
sera donc pas plus aimé que le premier : pourquoi, d'après
cela, serait-il jaloux, puisqu'ils ne sont pas mieux traités
l'un que l'autre ? Ces regrets seraient tout au plus pardonnables,
si cette femme chérie était unique dans le monde : ils
sont extravagants dès que cette perte est réparable.
Me mettant un instant ici à la place de ce premier amant, qu'a-t-elle
donc, cette créature, je vous prie, pour occasionner ainsi
mes douleurs ? Un peu d'attention sur moi-même, quelque retour
sur mes sentiments : l'illusion seule me prêtait de la force,
c'est le désir de posséder cette femme, c'est la curiosité
qui l'embellissait à mes yeux, et si la jouissance ne me les
dessille pas, c'est, ou parce que je n'ai pas encore assez joui, ou,
par un reste de mes premières erreurs, c'est le voile que j'étais
accoutumé de porter avant de jouir qui retombe encore malgré
moi sur mes yeux. Et je ne l'arrache pas ! C'est de la faiblesse...
de la pusillanimité. Détaillons-la bien après
la jouissance, cette déesse qui m'aveuglait avant... Saisissons
le moment du calme et de l'épuisement pour la considérer
de sang-froid ; passons un instant, comme dit Lucrèce, dans
les arrière-scènes de la vie. Eh bien ! nous le verrons,
cet objet divin qui nous faisait tourner la tête, nous le verrons
doué des mêmes désirs, des mêmes besoins,
des mêmes formes de corps, des mêmes appétits...
affligé des mêmes infirmités que toutes les autres
créatures de son sexe ; et nous dépouillant, à
cet examen de sang-froid, du ridicule enthousiasme qui nous entraînait
vers cet objet entièrement semblable à tous les autres
du même genre, nous verrons qu'en ne l'ayant plus, nous ne perdons
que ce que nous pouvons aisément réparer. Ne faisons
entrer pour rien ici les agréments du caractère : ces
vertus, entièrement du ressort de l'amitié, ne doivent
être appréciées que par elle. Mais, en amour,
je me trompe, si j'ai cru que c'était là ce qui m'avait
décidé ; c'est le corps seul que j'aime, et c'est le
corps seul que je plains, quoique je puisse le retrouver à
tout moment : à quel point, dès lors, sont donc extravagants
mes regrets !
« Osons le dire, dans aucun cas, la femme n'est faite pour le
bonheur exclusif de l'homme. Envisagée du côté
de la jouissance, assurément elle ne la rend pas complète,
puisque l'homme en trouve une beaucoup plus vive avec ses semblables.
Si c'est comme amie, sa fausseté, sa soumission ou plutôt
sa bassesse, s'opposent à la perfection du sentiment de l'amitié.
Il faut dans l'amitié de la franchise et de l'égalité
; si l'un des deux amis domine l'autre, l'amitié se détruit
; or, cette autorité de l'un des deux sexes sur l'autre, fatale
à l'amitié, existe nécessairement entre deux
amis de sexe différent : donc la femme n'est bonne ni pour
maîtresse, ni pour amie. Elle n'est réellement bien placée
que dans l'esclavage où les orientaux la tiennent : elle n'est
bonne que pour la jouissance, au-delà de laquelle, comme le
disait le bon roi Chilpéric, il faut s'en défaire le
plus tôt possible.
« S'il est aisé de démontrer que l'amour n'est
qu'un préjugé national, que les trois quarts des peuples
de l'univers dont la coutume est d'enfermer leurs femmes, n'ont jamais
connu ce délire de l'imagination, en remontant alors à
l'origine de ce préjugé, il nous sera facile et de nous
assurer qu'il n'est que cela, et d'arriver au moyen sûr de sa
guérison. Or, il est certain que notre esprit de galanterie
chevaleresque, qui offre ridiculement à notre hommage l'objet
qui n'est fait que pour nos besoins, il est certain, dis-je, que cet
esprit vient de l'ancien respect que nos ancêtres avaient autrefois
pour les femmes, en raison du métier de prophétesses
qu'elles exerçaient dans les villes et dans les campagnes :
on passa par frayeur du respect au culte, et la galanterie naquit
au sein de la superstition. Mais ce respect ne fut jamais dans la
nature, on perdrait son temps à l'y chercher. L'infériorité
de ce sexe sur le nôtre est trop bien établie pour qu'il
puisse jamais exciter en nous aucun motif solide de le respecter,
et l'amour, qui naquit de ce respect aveugle, n'est qu'un préjugé
comme lui. Le respect pour les femmes augmente en raison de ce que
l'esprit du gouvernement s'éloigne des principes de la nature
; tant que les hommes n'obéissent qu'à ces premières
lois, ils doivent souverainement mépriser les femmes : elles
deviennent des Déesses quand ils s'avilissent parce que l'homme
s'affaiblit alors, et qu'il faut nécessairement que le plus
faible commande quand le plus fort se dégrade : aussi le gouvernement
est-il toujours débile quand les femmes règnent. Ne
me citez point la Turquie ; si son gouvernement est faible, ce n'est
que depuis l'époque où les intrigues du sérail
ont réglé ses démarches : les Turcs ont détruit
l'empire de Constantinople quand ils traînaient ce sexe enchaîné,
et quand, en face de son armée, Mahomet second tranchait la
tête d'Irène, à laquelle on soupçonnait
trop d'empire sur lui. Il y a de la bassesse et de la dépravation
à rendre le plus léger culte aux femmes ; ce culte est
impossible, même au moment de l'ivresse : comment le peut-on
soupçonner après ? Si de ce qu'une chose sert, devient
un motif pour l'adorer, il faut donc de même adorer son buf,
son âne, sa chaise percée, etc.
« Ce qui s'appelle amour, en un mot, n'est autre chose que le
désir de jouir ; tant qu'il existe, le culte est inutile ;
dès qu'il est satisfait, il est impossible : ce qui prouve
que ce ne fut certainement point du culte que naquit le respect, mais
du respect que naquit le culte. Jetez les yeux sur les exemples d'avilissement
où ce sexe fut autrefois, où il est encore chez une
grande partie des peuples de la terre, et vous achèverez de
vous convaincre que la passion métaphysique de l'amour n'est
nullement innée dans l'homme, mais qu'elle est le fruit de
ses préjugés et de ses usages, et que l'objet qui fit
naître cette passion, généralement méprisée
partout, n'aurait jamais dû l'aveugler.
« Ce mépris est tel chez les Croates, plus particulièrement
connus des géographes sous le nom d'Uscoques et de Morlaques12,
que quand ils veulent parler de leurs femmes, de emploient cette même
expression vulgaire dont se sert le peuple au sujet d'un animal vil13.
Jamais ils ne les souffrent dans leur lit, elles couchent à
terre, sont obligées d'obéir au moindre signe, et déchirées
à coups de nerfs de buf à la plus légère
désobéissance. Leur soumission, leur régime,
leurs fatigues journalières ne s'interrompent jamais, même
dans leur grossesse : on les voit souvent accoucher en pleine campagne,
ramasser leurs enfants, les laver au premier ruisseau, les rapporter
chez elles, et continuer leurs occupations. On a remarqué que,
dans ce pays, les enfants étaient beaucoup plus sains, beaucoup
plus robustes, et les femmes beaucoup plus fidèles. Il semble
que la nature ne veuille pas perdre les droits que notre luxe et notre
fausse délicatesse cherchent à lui ravir en nos climats,
sans en recueillir d'autres fruits que d'abaisser notre sexe, en lui
assimilant celui qu'elle n'a créé que pour en être
l'esclave.
« Chez les Cosaques Zaporariens, les femmes sont absolument
exclues des peuplades ; celles qui servent à la propagation
sont reléguées dans des îles séparées,
et ils vont s'en servir là quand ils en ont besoin, mais sans
choix, sans distinction ; le besoin seul agit ; l'âge, la figure,
ni le sang n'établissent aucune différence, en sorte
que le père a des enfants de sa fille ; le frère, de
sa sur ; et point d'autres lois chez ces peuples, que celles
qu'établit le besoin.
« Il y a des pays où, quand les femmes ont leurs règles,
elles sont traitées comme des bêtes ; on les enferme
étroitement, et on leur jette à manger de loin, comme
à des tigres ou à des ours : croyez-vous que ces peuples-là
soient bien amoureux de leurs femmes ?
« Au royaume de Louango, en Afrique, les femmes enceintes sont
encore plus maltraitées. Une fois dans cet état, elles
n'en paraissent que plus impures, que plus difformes et plus dégoûtantes.
Et qu'y a-t-il, en effet, de plus affreux qu'une femme grosse ? Pour
se bien pénétrer de toute l'horreur qu'inspire ce sexe,
il me semble que ce devrait être toujours à nu, et dans
cet état, qu'il faudrait l'offrir à ses sectateurs.
« Les nègres de Barré n'ont de commerce avec elles
que quatre ans après qu'elles sont accouchées.
« Les femmes de Maduré ne parlent de leurs maris qu'avec
des circonlocutions qui expriment le profond respect qu'elles ont
pour eux.
« Les Romains et les Celtes avaient sur leurs femmes le droit
de vie et de mort, et ils en usaient souvent. Ce droit nous est assuré
par la nature : nous lui désobéissons et nous dégradons
ses lois en ne l'exerçant pas.
« Leur esclavage est affreux dans presque toute l'Afrique :
elles se trouvent bien heureuses en ce pays, quand le mari daigne
accepter leurs soins.
« Elles sont si maltraitées, si malheureuses, dans le
royaume de Juida, que celles que l'on recrute pour compléter
le sérail du souverain aiment mieux, quand elles le peuvent,
se tuer que de se laisser conduire, ce prince ne jouissant jamais
de ses femmes qu'en leur imposant, dit-on, d'exécrables supplices.
« Jetterons-nous les yeux sur ces magnifiques retraites de l'Asie
? Nous y verrous d'orgueilleux despotes faisant prendre leurs désirs
pour des ordres, assouplir la beauté la plus pure aux sales
caprices de leur imagination, et réduire à l'avilissement
le plus extrême ces fières divinités que notre
bassesse encense.
« Les Chinois méprisent souverainement les femmes ils
disent qu'il faut se presser de les rejeter aussitôt qu'on s'en
est servi.
« Lorsque l'empereur de Golconde veut se promener, douze des
plus grandes et des plus vigoureuses filles de son sérail forment,
en s'arrangeant les unes sur les autres, une espèce de dromadaire
dont les quatre plus grandes composent les jambes ; on huche Sa Majesté
sur les reins de ces filles, et elles partent. Je vous laisse à
soupçonner les murs de ce monarque dans l'intérieur
de son harem, et dans quel étonnement il serait, si l'on venait
lui dire que les créatures dont il se sert pour ses besoins
sont des objets de culte en Europe.
« Les Moscovites ne veulent rien manger de ce qui a été
tué par une femme.
« Ah ! croyez-le, mes frères, ce n'est pas pour nous
avilir par un sentiment aussi bas que celui de l'amour, que la nature
a mis la force de notre côté : c'est, au contraire, pour
commander à ce sexe faible et trompeur, pour le contraindre
à servir nos désirs ; et nous oublions totalement ses
vues, quand nous laissons quelque empire aux êtres qu'elle nous
a soumis.
« Nous imaginons trouver le bonheur dans la tendresse que nous
supposons aux femmes pour nous. Mais ce sentiment n'est jamais que
joué, que mesuré sur le besoin qu'elles croient avoir
de nous, ou l'espèce de passion que nous flattons en elles.
Que l'âge vienne, ou que la fortune change, ne pouvant plus
servir à leurs plaisirs ou à leur orgueil, elles nous
abandonnent à l'instant, et deviennent souvent nos plus mortelles
ennemies. Dans tous les cas, nous n'en avons point de plus cruels
que les femmes qui même nous adorent sincèrement : si
nous en jouissons, elles nous tyrannisent ; si nous les méprisons,
elles se vengent, et finissent toujours par nous nuire. D'où
il résulte que, de toutes les passions de l'homme, l'amour
est la plus dangereuse et celle dont il doit se garantir avec le plus
de soin.
« Mais faut-il autre chose que son aveuglement pour en juger
la folie ? faut-il autre chose que cette illusion fatale qui lui fait
prêter tant de charmes à l'objet qu'il encense ? Il n'est
pas un tort qui ne devienne une vertu ; pas un défaut qui ne
soit une beauté ; pas un ridicule qui ne soit une grâce.
Eh ! quand l'ivresse est dissipée, et qu'éclairé
sur le misérable objet de son culte, l'homme peut le considérer
de sang-froid, ne devrait-il pas au moins, en rougissant de son indigne
erreur, prendre de fermes résolutions pour ne plus s'aveugler
à l'avenir !
« L'inconstance et le libertinage : voilà, mes frères,
les deux contrepoisons de l'amour. Tous deux, en nous accoutumant
au commerce de ces fausses divinités, font insensiblement tomber
l'illusion : on n'adore plus ce que l'on voit tous les jours. Par
l'habitude de l'inconstance et du libertinage, le cur perd insensiblement
de cette mollesse dangereuse qui le rend susceptible des impressions
de l'amour ; il se blase, il s'endurcit, et la guérison suit
de près. Eh ! comment irais-je me morfondre près des
rigueurs de cette créature qui me brave, lorsque avec un peu
de réflexion, je vois qu'un couple de louis peut me procurer
sans peine la possession d'un corps aussi beau que le sien ?
« Ne perdons jamais de vue que la femme qui essaie de nous captiver
le mieux, cache certainement des défauts qui nous dégoûteraient
bientôt si nous pouvions les connaître. Que notre imagination
les voie, ces détails... qu'elle les soupçonne, qu'elle
les devine ; et cette première opération, faite dans
le moment où l'amour naît, parviendra peut-être
à l'éteindre. Est-elle fille ? certainement elle exhale
quelque odeur malsaine ; si ce n'est dans un temps, c'est dans l'autre
: est-ce bien la peine de s'enthousiasmer devant un cloaque ? Est-elle
femme ? les restes d'un autre peuvent, j'en conviens, exciter un moment
nos désirs, mais notre amour ?... Et qu'idolâtrer là,
d'ailleurs ? Le vaste moule d'une douzaine d'enfants... Représentez-vous-la
quand elle accouche, cette divinité de votre cur ; voyez
cette masse informe de chair sortir, gluante et empestée, du
centre où vous croyez trouver le bonheur ; déshabillez
enfin, même dans un autre temps, cette idole de votre âme
: seront-ce ces deux cuisses courtes et cagneuses qui vous tourneront
la cervelle ? ou ce gouffre impur et fétide qu'elles soutiennent
?... Ah ! ce sera peut-être ce tablier plissé qui, retombant
en ondes flottantes sur ces mêmes cuisses, échauffera
votre imagination ?... ou ces deux globes amollis et pendant jusqu'au
nombril ? Peut-être est-ce au revers de la médaille que
votre hommage s'érige ? Et ce sont ces deux pièces de
chair flasque et jaune, renfermant en elles un trou livide, qui se
réunit à l'autre ; oh ! ce sont assurément ces
charmes-là dont votre esprit se repaît ! et c'est pour
en jouir que vous vous ravalez de la condition des bêtes les
plus stupides !... Mais je me trompe, ce n'est rien de tout cela qui
vous attire : de bien plus belles qualités vous enchaînent
! C'est ce caractère faux et double, cet état perpétuel
de mensonge et de fourberie, ce ton acariâtre, ce son de voix
semblable à celui des chats, ou ce putanisme, ou cette pruderie
(car jamais une femme n'est hors de ces deux extrêmes), cette
calomnie... cette méchanceté... cette contradiction...
cette inconséquence... Oui, oui ! je le vois, ce sont ces attraits
qui vous retiennent, et, sans doute, ils valent bien la peine de vous
tourner la tête14.
« N'imaginez pas que j'outre la matière. Si tous ces
défauts ne sont pas réunis dans le même être,
celui que vous adorez en possède assurément une partie.
Si vous ne les voyez pas, c'est qu'on vous les dérobe, mais
ils existent. Si la toilette, ou l'éducation, déguise
ce qui nous dégoûterait, le défaut n'en est pas
moins réel ; recherchez-le avant de vous lier, vous le reconnaîtrez
infailliblement, et si vous êtes sages, n'allez pas sacrifier
votre bonheur et votre tranquillité à la jouissance
d'un objet qui certainement vous fera bientôt horreur.
Ô mes frères ! jetez les yeux sur la multitude de peines
où cette funeste passion entraîne les hommes : les maladies
cruelles, fruits des tourmente qu'elle donne, la perte des biens,
du repos, de la santé, l'abandon de tous les autres plaisirs
; sentez les sacrifices énormes qu'elle coûte, et, profitant
de tous ces exemples, faites comme le nautonier prudent, qui ne passe
point auprès de l'écueil où vient d'échouer
le navire qui fendait les mers avec lui.
« Eh ! la vie ne vous offre-t-elle pas bien d'autres plaisirs
sans ceux-là ?... Que dis-je ?... elle vous présente
les mêmes, et elle vous les donne sans épines. Puisque
le libertinage vous assure les mêmes jouissances, et ne vous
demande que de les dégager de cette métaphysique à
la glace qui n'ajoute rien aux plaisirs, jouissez sans liens de tous
les objets offerts à vos sens. Et quelle nécessité
y a-t-il donc d'aimer une femme pour s'en servir ? Il me semble que
nous éprouvons tous ici qu'on s'en sert beaucoup mieux quand
on ne l'aime point, ou qu'il est au moins très inutile de l'aimer
pour en venir là. Qu'avons-nous besoin de prolonger ces plaisirs
par une ivresse folle et ridicule ? Au bout de cinq à six heures,
n'avons-nous pas eu de cette femme tout ce qu'il nous en faut ? Une
autre nuit, cent autres nuits ne nous ramèneraient que les
mêmes plaisirs : et d'autres objets vous en préparent
de nouveaux. Quoi ! tandis que des millions de beautés vous
attendent, vous auriez la folie de ne vous attacher qu'à une
? Ne ririez-vous pas de la simplicité d'un convive qui, dans
un repas magnifique, ne se nourrirait que d'un seul plat, quoique
plus de cent fussent offerts à son appétit ? C'est la
diversité, c'est le changement qui fait le bonheur de la vie,
et il n'est pas un seul objet sur la terre qui ne puisse vous procurer
une volupté nouvelle : comment pouvez-vous porter l'extravagance
au point de vous captiver à celui qui ne peut vous en présenter
qu'une ?
« Ce que j'ai dit des femmes, mes frères, vous pouvez
le rapporter aux hommes. Nos défauts sont aussi grands que
les leurs, et nous ne méritons pas mieux de les fixer : toute
espèce de chaîne est une folie, tout lien est un attentat
à la liberté physique dont nous jouissons sur la surface
du globe. Et tandis que je perds mon temps avec cet être quelconque,
cent mille autres se flétrissent autour de moi, qui mériteraient
bien mieux mon hommage.
« Est-ce une maîtresse, d'ailleurs, qui peut satisfaire
un homme ? Est-ce, alors qu'esclave des volontés et des désirs
de sa déesse, il ne travaillera qu'à la contenter, qu'il
pourra s'occuper de ses voluptés personnelles ? La supériorité
est nécessaire dans l'acte de la jouissance : celui des deux
qui partage, ou qui obéit, est certainement exclu du plaisir.
Loin de nous cette délicatesse imbécile qui nous fait
trouver des charmes, même dans nos sacrifices... Ces jouissances,
purement intellectuelles, peuvent-elles valoir celles de nos sens
? Il en est de l'amour des femmes comme de celui de Dieu : ce sont
des illusions qui nous nourrissent dans l'un et l'autre cas. Dans
le premier, nous voulons n'aimer que l'esprit, abstraction faite du
corps ; dans le second, nous prêtons un corps à l'esprit
; et dans tous deux, nous n'encensons que des chimères.
« Jouissons : telle est la loi de la nature. Et comme il est
parfaitement impossible d'aimer longtemps l'objet dont on jouit, subissons
le sort de tous les êtres que nous ravalons injustement au-dessous
de nous, et que nous enchaînons par la force, bien plus que
par la raison. Voyons-nous le chien ou le pigeon reconnaître
sa compagne quand il en a joui ? Si l'amour l'enflamme un instant,
cet amour n'est que le besoin, et sitôt qu'il est satisfait,
l'indifférence ou le dégoût succède, jusqu'au
moment d'un nouveau désir. Mais ce ne sera plus avec la même
femelle : toutes celles qui se rencontreront, deviendront tour à
tour l'objet des vux du mâle inconstant ; et s'il s'élève
une dispute, la favorite de la veille sera sacrifiée comme
le rival du jour. Ah ! ne nous éloignons pas de ces modèles,
plus rapprochés que nous de la nature ! ils en suivent bien
mieux les lois ; et si nous avons reçu quelques sens de plus
qu'eux, c'est pour raffiner leurs plaisirs. Du moment que la femelle
de l'homme n'a, au-dessus de l'animal, précisément que
ce qui forme ses défauts, pourquoi voulons-nous adorer dans
elle cette portion qui ne l'en distingue que pour l'humilier ? Aimons
le corps, comme fait l'animal ; mais n'ayons aucun sentiment pour
ce que nous croyons être distinct du corps, puisque c'est positivement
là que se trouve ce qui contrebalance le reste, et ce qui devrait
servir seul à nous en éloigner. Quoi ! c'est le caractère
d'une femme, c'est son esprit bourru, c'est son âme perfide,
qui devraient toujours me refroidir sur l'envie que j'ai de jouir
de son corps, et j'oserais dire, dans mon ivresse métaphysique,
que ce n'est point le corps que je veux, mais le cur, c'est-à-dire,
précisément la chose qui devrait m'éloigner de
ce corps ! Cette extravagance ne peut se comparer à rien. Et
d'ailleurs, la beauté n'étant qu'une chose de convention,
l'amour ne peut plus être qu'un sentiment arbitraire, dès
que ces traits de beauté qui font naître l'amour ne sont
pas uniformes.
« L'amour, ne devenant plus que le goût exigé par
les organes, ne peut plus être qu'un mouvement physique où
la délicatesse ne peut plus s'allier ; car, de ce moment, il
est clair que j'aime une blonde, parce qu'elle a des rapports qui
s'enchaînent à mes sens ; vous... une brune, par de semblables
raisons ; et, dans tous deux, l'objet matériel s'identifiant
à ce qu'il y a de plus matériel en nous, comment adapterez-vous
de la délicatesse et du désintéressement à
cet unique organe du besoin et de la convenance ? Tout ce que vous
y mettrez de métaphysique ne sera plus qu'illusoire, fruit
de votre orgueil bien plus que de la nature, et que le plus léger
examen doit dissiper comme un souffle. Ne traiteriez-vous pas de fou
l'homme qui, de sang-froid, vous assurerait qu'il n'aime d'un illet
que l'odeur, mais que la fleur lui est indifférente ? Il est
impossible d'imaginer dans quelles erreurs on tombe, en s'attachant
ainsi à toutes les fausses lueurs de la métaphysique.
« Mais, m'objectera-t-on peut-être, ce culte exista de
tout temps : les Grecs et les Romains firent des divinités
de l'Amour et de sa mère. Je réponds à cela que
ce culte put avoir chez eux les mêmes principes que chez nous.
Les femmes prédisaient aussi l'avenir chez les Grecs et chez
les Romains : de là, sans doute, sont nés le respect
et le culte du respect, ainsi que je l'ai fait voir. D'ailleurs, il
faut très peu s'en rapporter aux Grecs et aux Romains, sur
les objets de culte ; et les peuples qui adoraient la merde sous le
nom du dieu Sterculius, et les égouts sous celui de la déesse
Cloacine, pouvaient bien adorer les femmes, si souvent rapprochées
par l'odeur de ces deux antiques divinités.
« Soyons donc sages à la fin, et faisons de ces ridicules
idoles ce que les Japonais font des leurs, quand ils n'en obtiennent
pas ce qu'ils désirent. Adorons, ou faisons semblant d'adorer,
si l'on veut, jusqu'à l'obtention de la chose désirée
: méprisons-les, dès qu'elle est à nous. Si on
nous refuse, donnons cent coups de bâton à l'idole, pour
lui apprendre à dédaigner nos vux ; ou, si vous
l'aimez mieux, imitons les Ostiaques qui fustigent leurs Dieux à
tour de bras, aussitôt qu'ils en sont mécontents. Il
faut pulvériser le Dieu qui n'est bon à rien : c'est
bien assez d'avoir l'air d'y croire dans le moment de l'espérance.
« L'amour est un besoin physique, gardons-nous de le considérer
jamais autrement15. L'amour est, dit Voltaire, l'étoffe de
la nature que l'imagination a brodée. Le but de l'amour, ses
désirs, ses voluptés, tout est physique en lui. Fuyons
pour toujours l'objet qui semblerait prétendre à quelque
chose de plus. L'absence et le changement sont les remèdes
assurée de l'amour : on ne pense bientôt plus à
la personne qu'on cesse de voir, et les voluptés nouvelles
absorbent le souvenir des anciennes ; les regrets de pareilles pertes
sont bientôt oubliés. Ce sont les plaisirs irrécouvrables
qui peuvent en donner d'amers : mais ceux qui se remplacent aussi
facilement, ceux qui renaissent à toutes les minutes... à
tous les coins de rues, ne doivent pas coûter une larme.
« Eh ! si l'amour était vraiment un bien, s'il était
réellement fait pour notre bonheur, un quart de la vie s'écoulerait
donc sans en pouvoir jouir ? Quel est l'homme qui peut se flatter
d'enchaîner le cur d'une femme, quand il a passé
soixante ans ? Il en a pourtant quinze encore à jouir, s'il
est bien constitué : il doit donc renoncer au bonheur pendant
ces quinze années-là ? Gardons-nous d'admettre un pareil
système : si l'âge vient faner les roses du printemps,
il n'éteint ni les désirs, ni les moyens de les satisfaire
; et les plaisirs que goûte le vieillard, toujours plus recherchés...
toujours plus améliorés... toujours plus dégagés
de cette froide métaphysique, véritable tombeau des
voluptés, ces plaisirs, dis-je, seront mille fois plus délicieux,
cueillis au sein de la débauche, de la crapule et du libertinage,
que ne pouvaient l'être ceux qu'il procurait jadis à
sa belle maîtresse : alors, il ne travaillait que pour elle,
c'est de lui seul qu'il s'occupe aujourd'hui. Regardez ses raffinements
; observez comme il craint de perdre ce qu'il sait bien ne pouvoir
caresser qu'une minute ; quels détails dans sa lubrique jouissance
!... comme tout est pour lui, et comme il veut qu'on ne s'occupe que
de lui ! L'apparence même du plaisir le troublerait dans l'objet
qui le sert : ce n'est que de la soumission qu'il veut. La blonde
Hébé détourne ses regards, elle ne peut cacher
ses dégoûts : qu'importe au septuagénaire Philatre
? Ce n'est pas pour elle qu'il veut jouir, c'est pour lui seul ; ces
mouvements d'horreur qu'il produit, tournent au profit de sa volupté
même ; il est bien aise de l'inspirer. Il est obligé
de contraindre, il faut presque qu'il menace, pour obtenir qu'on dirige
dans sa bouche fétide une langue douce et fraîche, que
la jeune beauté qui lui est sacrifiée craint de profaner
par ce sale ministère : et voilà tout d'un coup l'image
du viol, et, par conséquent, pour Philatre, un plaisir de plus.
Jouissait-il de tous ces plaisirs à vingt ans ? On le prévenait,
on l'accablait de caresses, à peine avait-il le loisir d'en
désirer, et la jouissance, éteinte dans elle-même,
ne lui laissait jamais aucune pointe. Est-ce un désir, que
le mouvement satisfait avant que de naître ? La résistance
n'est-elle donc pas la seule âme du désir : où
peut-elle, en ce cas, exister plus entière qu'au sein des dégoûts
? Si donc le plaisir ne s'irrite que par la résistance, et
que celle-ci ne soit réelle qu'enfantée par le dégoût,
il peut donc devenir délicieux d'en causer, et toutes les fantaisies
qui en donnent à une femme peuvent donc devenir plus sensuelles,
et cent fois meilleures que l'amour... que l'amour... la plus absurde
de toutes les folies, et dont je crois vous avoir suffisamment démontré
le ridicule et tous les dangers. »
On imagine bien que cette dissertation ne fut pas très applaudie
par les femmes ; mais Belmor, qui ne recherchait guère plus
leurs éloges que leurs sentiments, fut amplement consolé
par les applaudissements masculins qui partirent de tous les coins
de la salle. Remettant les attributs de la présidence à
son devancier, il descendit pour aller prendre connaissance des sérails
et y exercer son autorité. Noirceuil, Clairwil et moi, le rejoignîmes
au bout de la tribune, et nous passâmes ensemble aux harems.
Un homme de soixante ans arrête Belmor comme il allait sortir
avec nous de la salle, et pour lui témoigner la reconnaissance
qu'il avait du discours qu'il venait de prononcer, il le supplie de
lui prêter son cul. Belmor, ne pouvant refuser, se mit en posture.
Le sexagénaire l'encule, et ne nous rend Belmor qu'après
lui avoir déchargé dans le derrière.
- Voilà une bonne fortune, à laquelle je ne m'attendais
pas, dit le comte.
- Elle est due à ton éloquence, répondit Noirceuil.
- Partisan du physique, comme vous venez de le voir, dit Belmor, j'aimerais
mieux la devoir à mon cul qu'à mon esprit.
Et nous entrâmes au sérail, en riant tous de cette saillie.
Le président se fit tout ouvrir, et, pendant ce temps, personne
ne put pénétrer que nous, à qui il permit de
l'escorter. Vous imaginez qu'avec le genre d'esprit que vous venez
de lui reconnaître, le nombre des coupables qu'il trouva fut
prodigieux. Il était suivi, dans sa tournée, de quatre
bourreaux, de deux écorcheurs, de six flagellateurs et de quatre
geôliers. Le premier sérail qui s'ouvrit fut celui des
femmes. Il en condamna au fouet trente, de cinq à dix ans ;
vingt-huit, de dix à quinze ; quarante-sept, de quinze à
dix-huit ; soixante-cinq, de dix-huit à vingt et un. Il y eut,
dans ce même sérail, trois enfants condamnée à
être écorchés vifs, de l'âge de six à
dix ans ; trois de cette même classe reçurent leur sentence
de mort ; dans celle de dix à quinze, il y eut six filles destinées
à ce premier supplice, quatre au second ; dans celle de quinze
à dix-huit, six écorchées et huit sentences de
mort ; et dans la dernière, seulement quatre à la mort
et cinq à être écorchées. Ces sortes d'exécutions
ne se faisaient pas tout de suite. Les créatures ainsi condamnées
passaient dans des chambres séparées, et c'étaient
les premières qu'on livrait aux libertins qui voulaient sacrifier
à ces goûts. Quatre sujets chez les femmes furent condamnée
au cachot. A l'égard des flagellations, elles furent toutes
subies sous nos yeux. On amenait la victime nue au président
; il l'examinait, la maniait à son aise un instant ; ensuite,
un des flagellateurs s'en emparait, il la courbait vigoureusement
sur ses genoux, et dès qu'elle était en position de
ne pouvoir plus remuer, un second flagellateur, armé de verges
ou de martinets, le tout au gré du président, appliquait
le nombre de coups prescrit de même par lui. Belmor nous fit
l'honnêteté de nous laisser presque toujours fixer ce
nombre, et vous imaginez aisément que nous ne fûmes pas
en dessous de sa sévérité. Six de ces jeunes
filles reçurent une si grande quantité de coups, qu'on
fut obligé de les emporter à moitié mortes. Tous
les quatre, enlacés dans les bras l'un de l'autre, nous nous
branlions beaucoup pendant ces lubriques opérations, et le
foutre jaillissait souvent.
On passa chez les hommes. Ici Clairwil excite vivement Belmor à
n'être pas plus compatissant ; et celui-ci, dont je vous ai
dit que les goûts consistaient à faire massacrer des
petite garçons sur lui, n'eut pas besoin de stimulant pour
montrer sa férocité. Quarante-deux enfants de sept à
douze ans reçurent le fouet avec la plus extrême rigueur
; il y eut dans cette clame six sentences de mort et dix d'écorchure.
Soixante-quatre garçons de douze à dix-huit ans ne furent
pas plus épargnés ; et là, trois sentences de
mort et huit d'écorchure. Dans la dernière classe, c'est-à-dire
dans celle de dix-huit à vingt-cinq ans, il y eut cinquante-six
culs fouettés, deux morts et trois écorchures ; six
en tout, sur le total, furent condamnés au cachot. Il y eut
aussi deux matrones de fouettées pour cause de relâchement
dans leur service, et ce fut Belmor qui les étrilla de sa main,
jusqu'à ce qu'il eût enlevé la première
peau de leurs fesses.
Je n'avais pas cessé de le branler pendant toutes ces opérations
; il bandait excessivement ; mais je dois rendre à la fermeté
de son caractère la justice de dire qu'il ne déchargea
pas une seule fois, et ne s'apitoya pas un instant.
- Allons, lui dit Noirceuil, occupons-nous de plaisirs maintenant
: fais-nous voir ta passion, Belmor, tu nous l'as promis.
- J'y consens, dit le comte, mais comme me voilà furieusement
échauffé, je prétends lui donner une extension
terrible.
- A la bonne heure, dit Noirceuil, nous en jouirons mieux.
Le président, alors, révisa tous les petits garçons
; il en choisit dix de sept ans ; il lui fallait un pareil nombre
de belles et grandes filles, mais, ayant désiré tenir
la place de l'une d'elles, il n'en fit sortir que neuf. Elles étaient
toutes de dix-huit à vingt et un ans ; je remarquai, comme
une chose assez singulière, que ces neuf sujets étaient
tous du nombre de ceux que sa méchanceté venait de condamner
à la mort ou à l'écorchure. Dix hommes, mais
uniquement choisis à la supériorité du membre,
furent nommés pour le foutre pendant son opération,
et voici comme elle commença.
On lia d'abord sur une fille (afin qu'avant de servir à la
chose, j'eusse au moins le plaisir d'en juger), on lia, dis-je, un
des enfants sur les épaules de cette fille, mais si étroitement
garrotté, qu'on eût presque dit que les deux corps n'en
faisaient qu'un. Alors la fille, avec son paquet sur le dos, se mit
à plat ventre sur un sopha, les fesses prodigieusement exposées.
Le comte examina, mordit, pinça vigoureusement le cul de l'enfant
et claqua de même celui de la fille ; une autre fille, sur trois
de douze ans, choisie à cet effet, s'étendit à
terre entre les jambes de celle qui avait l'enfant sur le dos, et
Belmor, se mettant à genoux sur un carreau, de même,
entre les jambes de la fille au paquet, foutit en bouche celle qui
était étendue ; on l'encula dans cette posture, et Clairwil
devait enculer le fouteur. Par l'attitude du comte, sa tête
se trouvait à la hauteur des fesses de la fille appuyée
sur le sopha ; deux bourreaux s'emparèrent alors du corps de
l'enfant lié, et, par mille différentes blessures, firent
couler son sang dans l'entre-deux des fesses en face desquelles se
trouvait la tête du comte.
- Allons, chiez, dit-il à la fille, dès qu'il aperçut
le premier ruisseau de sang, chiez, putain ! chiez-moi dans la bouche.
On obéit, et le paillard, collant ses lèvres au trou
du cul, reçut par ce moyen, à la fois, et le sang qui
coulait du corps de l'enfant, et la merde qui sortait du cul de la
fille. Il ne se faisait aucun changement, que la victime liée
n'eût perdu tout son sang. Dès qu'il n'avait plus de
vie, la fille qui le portait se relevait, et sans quitter son fardeau,
elle se portait en face de l'opération, de manière à
former une perspective au comte. Je fus seule dispensée de
cette cérémonie ; je passai la troisième, et
l'on détacha l'enfant dès que je me relevai ; tous dix
furent ainsi massacrés, pendant que les dix filles chiaient,
et que les trois suceuses se relayaient. Belmor déchargea une
fois dans chaque bouche, et continua toujours son opération
sans s'arrêter. Clairwil était excédée
; elle avait au moins distribué plus de dix mille coups de
fouet sur le cul des fouteurs du comte. Pour Noirceuil, il avait examiné
avec assez de sang-froid, au milieu de deux filles de seize ans, fort
jolies, qui le branlaient et le suçaient tour à tour,
pendant qu'il molestait leurs fesses.
- Voilà une charmante passion, dit-il à Belmor, quand
celui-ci eut déchargé pour la dernière fois,
mais je vais, moi, avec la permission du comte, lui faire voir qu'on
pourrait, ce me semble, donner une autre tournure à cette même
fantaisie. Qu'on m'amène, dit-il, dix petites filles de cinq
à sept ans, et dix garçons de seize à dix-huit
; il me semble que les fouteurs du comte bandent encore : je me servirai
d'eux. Voici maintenant comme je disposerai cette jouissance.
Il fit tenir droit un des jeunes gens de seize à dix-huit ans,
et ce fut sur son sein qu'il lia la petite fille, en sorte qu'elle
avait le con sur la bouche du jeune homme ; la ligature se fit si
serrée, que le jeune homme étouffait presque.
- Vous voyez, nous dit Noirceuil, que le porteur et le porté
souffrent, dans mon opération, ce qui n'est pas dans celle
du comte, où la porteuse n'éprouve pas la moindre douleur
; et il me semble que de telles expéditions ne se perfectionnent
qu'autant que les douleurs se multiplient.
Noirceuil s'agenouilla devant le porteur et lui suça le vit
; les bourreaux se mirent à travailler l'enfant ; les suceuses
pompèrent tour à tour le vit de Noirceuil, et on le
foutit ; le sang de la victime coula bientôt sur le vit que
suçait Noirceuil, qui, par ce moyen, avalait à la fois
et du foutre et du sang. Les victimes passèrent, et cette fantaisie
barbare coûta, comme vous le voyez, la vie à vingt enfants.
- J'aime mieux la scène de cette manière, dis-je, et
s'il n'était pas si tard, ce serait ainsi que je l'exécuterais
dans l'instant.
Belmor, loin de combattre l'avis de Noirceuil, parut approuver.
- Mais ce qui fait pourtant, nous dit-il, que je ne changerai pas,
c'est que ce sont des filles que sacrifie Noirceuil, et que j'ai,
moi, le mauvais goût de n'aimer à sacrifier que des petits
garçons.
- Ah ! voilà ce qui me décidera toujours pour votre
genre, s'écrie Clairwil ; il n'y a rien de délicieux
dans le monde comme de choisir ses victimes parmi les hommes ; qu'est-ce
que le triomphe de la force sur la faiblesse ? ce qui est tout simple,
peut-il amuser ? Mais qu'elles sont flatteuses, qu'elles sont douces,
les victoires remportées par la faiblesse sur la supériorité.
Puis, s'adressant aux deux amis, avec cette effervescence qui la rendait
si belle :
- Hommes féroces ! s'écria-t-elle, massacrez des femmes
tant que vous voudrez : je suis contente, pourvu que je venge seulement
dix victimes de mon sexe par une du vôtre.
Ici l'on se sépara ; Noirceuil et Belmor passèrent au
sérail des femmes, où nous sûmes qu'ils avaient
encore immolé une dizaine de créatures de toutes les
manières et de tous les genres possibles. Clairwil et moi,
nous restâmes à celui des hommes, dont nous sortîmes
après nous être fait foutre soixante ou quatre-vingts
coups chacune, et après quelques autres petites horreurs, dont
vous vous doutez sans que je sois obligée de vous le dire.
Très peu de jours après les infamies où nous
nous étions livrées, à la Société,
avec le comte de Belmor et son amie, cet aimable président
de notre assemblée vint me voir et me convaincre que Clairwil
ne m'avait point trompée en m'assurant qu'il éprouvait
le plus grand désir de se lier à moi. Le comte, excessivement
riche, me proposa cinquante mille francs par mois, seulement pour
deux soupers par semaine : rien ne s'y opposait, puisque Saint-Fond
ne me gênait nullement. Je répondis au comte que je me
lierais avec lui de bon cur, mais que les cinquante mille francs
qu'il me proposait ne suffiraient seulement pas à payer les
frais des soupers. Le comte m'entendit, et doubla la somme, en se
chargeant de payer tous les détails à part... lesquels
étaient d'autant plus considérables que le libertin
voulait avoir régulièrement, à chaque souper,
trois superbes femmes nouvelles sur le corps desquelles il immolerait,
ou ferait immoler, trois jeunes garçons. Ses meurtres consommés,
il coucherait avec moi, et nous nous branlerions quelquefois encore
deux ou trois heures, au bout desquelles il se retirerait chez lui.
Telles étaient ses conventions ; j'acceptai.
Sans en excepter Noirceuil et Saint-Fond, il y avait peu d'hommes
aussi corrompus que Belmor ; il l'était par principe... par
tempérament... par goût, et sa perfide imagination lui
faisait souvent inventer des choses qui surpassaient tout ce que j'avais
conçu... entendu jusqu'alors.
- Cette imagination que vous vantez en moi, Juliette, me dit-il un
jour, est précisément ce qui m'a séduit chez
vous : on en a difficilement une plus lascive... une plus riche...
une plus variée ; et vous avez dû remarquer que mes plus
douces jouissances avec vous, sont celles où, donnant l'essor
à nos deux têtes, nous créons des êtres
de lubricité dont l'existence est malheureusement impossible.
Ô Juliette ! qu'ils sont délicieux les plaisirs de l'imagination,
et que l'on parcourt voluptueusement toutes les routes que nous offre
sa brillante carrière ! Conviens, cher ange, que l'on n'a pas
d'idée de ce que nous inventons, de ce que nous créons,
dans ces moments divins où nos âmes de feu n'existent
plus que dans l'organe impur de la lubricité : de quelles délices
on jouit en se branlant mutuellement pendant l'érection de
ces fantômes, comme on les caresse avec transport !... comme
on les entoure !... comme on les augmente de mille épisodes
obscènes ! Toute la terre est à nous dans ces instants
délicieux ; pas une seule créature ne nous résiste
; tout présente à nos sens émus la sorte de plaisir
dont notre bouillante imagination le croit susceptible : on dévaste
le monde... on le repeuple d'objets nouveaux, que l'on immole encore
; le moyen de tous les crimes est à nous, nous usons de tous,
nous centuplons l'horreur, et les épisodes de tous les esprits
les plus infernaux et les plus malins n'atteindraient pas, dans leurs
plus malfaisants effets, où nous osons porter nos désirs...
« Heureux, cent fois heureux, dit La Mettrie, ceux dont l'imagination
vive et lubrique tient toujours les sens dans l'avant-goût du
plaisir !... » En vérité, Juliette, je ne sais
si la réalité vaut les chimères, et si les jouissances
de ce que l'on n'a point ne valent pas cent fois celles qu'on possède
: voilà vos fesses, Juliette, elles sont sous mes yeux, je
les trouve belles, mais mon imagination, toujours plus brillante que
la nature, et plus adroite, j'ose le dire, en crée de bien
plus belles encore. Et le plaisir que me donne cette illusion n'est-il
pas préférable à celui dont la vérité
va me faire jouir ? Ce que vous m'offrez n'est que beau, ce que j'invente
est sublime ; je ne vais faire avec vous que ce que tout le monde
peut faire, et il me semble que je ferais avec ce cul, ouvrage de
mon imagination, des choses que les Dieux mêmes n'inventeraient
pas.
Il n'était pas étonnant qu'avec une telle tête,
le comte n'eût donné dans bien des écarts. Peu
d'hommes, sans doute, avaient été aussi loin que lui,
et peu d'hommes étaient plus aimables. Mais j'ai tant de choses
à vous raconter encore, qu'il m'est impossible de m'arrêter
aux horreurs que nous commîmes ensemble ; qu'il vous suffise
de savoir qu'elles furent à leur comble, et que ce que vous
pourriez concevoir ne trouverait toujours au-dessous du vrai.
Il y avait environ quatre mois écoulés, depuis que j'avais
admis mon père à l'honneur de ma couche ; le moment
où il m'avait vue étant critique, je mourais de peur
d'être restée grosse. Cette funeste crainte ne se réalisa
que trop ; il ne me fut plus possible de m'aveugler ; mon parti fut
bientôt pris. J'en fis part à un célèbre
accoucheur qui, nullement scrupuleux sur cette manière, introduisit
adroitement une aiguille aussi longue qu'effilée dans ma matrice,
en atteignit l'embryon et le perça : deux heures après,
je le rendis sans la plus légère douleur. Ce remède,
plus sûr et meilleur que la sabine, parce qu'il n'attaque en
rien l'estomac, est celui que je conseille à toutes les femmes
qui, comme moi, auront assez de courage pour préférer
leur taille et leur santé à quelques molécules
de foutre organisées qui, venues à maturité,
feraient souvent le désespoir de celles qui les auraient vivifiées
dans leur sein. L'enfant de monsieur mon père une fois dans
la fosse d'aisances, je reparus avec une taille plus belle et plus
dégagée que jamais.
- Écoute, me dit Clairwil un jour, j'ai l'adresse d'une femme
fort extraordinaire, il faut que nous y allions ensemble ; elle compose
et vend des poisons de toutes les sortes ; elle dit, de plus, la bonne
aventure, et rarement elle manque la vérité.
- Et donne-t-elle, dis-je, la recette des poisons qu'elle vend ?
- Pour cinquante louis.
- Éprouvés ?
- Devant soi, si l'on veut.
- Assurément, je te suis, Clairwil ; j'ai toujours aimé
l'idée des poisons.
- Ah ! mon ange, il est délicieux d'être maître
de la vie des autres !
- Il faut absolument, dis-je, que ce soit une grande jouissance que
celle-là, car, au même instant où tu m'as parlé
de ce projet, j'ai senti mes nerfs tressaillir ; une flamme inconcevable
embrasait leur masse, et je suis sûre que si tu me touchais,
tu me verrais encore toute mouillée.
- Ah ! sacredieu, me dit Clairwil en me troussant pour vérifier,
quelle tête est la tienne, ma chère !... Comme je t'aime
!... tu es un dieu pour moi... Mais ne m'as-tu pas dit, ce me semble,
que Saint-Fond t'avait confié une caisse entière ? Qu'en
as-tu fait ?
- Elle est consommée, et je n'ose plus lui en demander.
- Comment, tu as usé ?
- Tout.
- Pour ses besoins ?
- Un tiers au plus, le reste pour mes passions.
- Des vengeances ?
- Quelques-unes, mais beaucoup de lubricités.
- Délicieuse créature !
- Oh ! Clairwil ! tu n'imaginerais jamais jusqu'où j'ai porté
l'horreur en ce genre... les voluptés que m'ont fait éprouver
ces écarts ! Une boîte de dragées empoisonnées
dans mes poches, je parcourais à pied, déguisée,
les promenades publiques, les rues, les bordels ; je distribuais indifféremment
ces funestes bonbons ; je poussais la noirceur au point d'en donner
de préférence aux enfants. Je vérifiais ensuite
mes forfaits ; trouvais-je une bière à la porte de l'individu
auquel j'avais administré, le jour d'avant, mes cruelles attrapes,
un feu divin circulait dans mes veines... je n'étais plus à
moi... il fallait que je m'arrêtasse, et la nature qui, pour
mes besoins sans doute, m'organisa différemment que les autres
couronnait d'une extase indicible ce que des sots auraient cru devoir
l'outrager d'autant.
- Rien de plus facile à concevoir, me répondit Clairwil,
et les principes dont Saint-Fond, Noirceuil et moi, t'avons nourrie
depuis longtemps, doivent dévoiler à tes yeux, sur tout
cela, les grands secrets de la nature. Il n'est pas plus extraordinaire
d'en venir là, que d'aimer à donner le fouet ; c'est
le même plaisir raffiné, et dès qu'il est prouvé
que, de la commotion de la douleur éprouvée par les
autres, il résulte une vibration sur la masse de nos nerfs
qui doit nécessairement disposer à la lubricité,
tous les moyens possibles de faire ressentir de la douleur en deviendront
pour nous de goûter des plaisirs, et, débutant par les
choses légères, nous arriverons bientôt aux exécrations.
Les causes sont les mêmes, il n'y a que les effets qui diffèrent.
Par un accroissement insensible, suite nécessaire des lois
de la nature, et, plus que tout, de la satiété, on commence
par une piqûre, on finit par un coup de poignard. Il y a, d'ailleurs
une sorte de perfidie dans l'emploi du poison qui en accroît
singulièrement les délices. Te voilà supérieure
à tes maîtres, Juliette : j'en avais peut-être
conçu davantage, mais je n'en avais pas tant exécuté...
- Conçu davantage ! dis-je à mon amie, et que diable,
je te prie, pouvais-tu concevoir de plus ?
- Je voudrais, dit Clairwil, trouver un crime dont l'effet perpétuel
agît, même quand je n'agirais plus, en sorte qu'il n'y
eût pas un seul instant de ma vie, ou même en dormant,
où je ne fusse cause d'un désordre quelconque, et que
ce désordre pût s'étendre au point qu'il entraînât
une corruption générale, ou un dérangement si
formel, qu'au-delà même de ma vie l'effet s'en prolongeât
encore.
- Je ne vois guère, mon ange, répondis-je, pour remplir
tes idées sur cela, que ce qu'on peut appeler le meurtre moral,
auquel on parvient par conseil, par écrit ou par action. Belmor
et moi, nous avons raisonné sur cette matière ; il y
a peu d'imaginations comme la sienne, et voici un petit calcul de
sa main qui suffira à te faire voir la rapidité de cette
contagion, et combien elle peut être voluptueuse à produire,
s'il est vrai, comme ni moi, ni toi n'en doutons, que la sensation
gagne en raison de l'atrocité du crime.
Et Mme de Lorsange montra à ses amis le même papier qu'elle
avait autrefois reçu de Belmor. Le voici :
« Un libertin décidé à cette sorte d'action
peut aisément, dans le cours d'une année, corrompre
trois cents enfants ; au bout de trente ans, il en aura corrompu neuf
mille ; et si chaque enfant corrompu par lui l'imite seulement dans
le quart de ses corruptions, ce qui est plus que vraisemblable, et
que chaque génération ait agi de même, au bout
de ses trente ans, le libertin, qui aura vu naître sous lui
deux âges de cette corruption, aura déjà près
de neuf millions d'êtres corrompus, ou par lui ou par les principes
qu'il aura donnés. »
- Charmant ! me répondit Clairwil, mais le projet adopté,
il faut le suivre.
- Il faut, dis-je, que non seulement le nombre des trois cents victimes
soit régulièrement corrompu tous les ans, mais il faut
même aider, autant qu'on le peut, à la corruption du
reste.
- Sacredieu ! dit Clairwil, si dix personnes s'entendaient pour le
même plan, ce qui est extrêmement possible, le degré
de la corruption, sous leurs yeux mêmes, deviendrait plus rapide
que les progrès les plus violents de la peste ou de la fièvre
maligne !
- Assurément, répondis-je ; mais quand on entreprend
un tel projet, il faut employer à la fois, pour la plus grande
sûreté de la réussite, les trois moyens que je
viens d'indiquer : conseils, actions, écrits.
- Comme tout cela peut être dangereux ! dit Clairwil.
- J'en conviens, répondis-je, mais souviens-toi que Machiavel
a dit qu'il valait mieux être impétueux que circonspect,
parce que la nature est une femme de qui l'on ne saurait venir à
bout qu'en la tourmentant. On voit, par expérience, continue
le même écrivain, qu'elle accorde ses faveurs bien plutôt
aux gens féroces qu'aux gens froids.
- Sais-tu, continua Clairwil, que ton Belmor doit être délicieux
?
- Il l'est aussi, répondis-je ; peu d'hommes sont plus aimables
; il n'en est pas de plus libertins.
- Il aimera les emplettes que nous allons faire : il faudra les lui
vendre au poids de l'or.
- Tu crois donc qu'à quelque point que l'on aime un homme,
quels que soient ses rapports avec nous, tu crois donc, dis-je, que
nous devons, malgré cela, le tromper toujours également
?
- Bien certainement, répondit Clairwil, sa seule qualité
d'homme nous oblige à le traiter comme il le fait toujours
quand il vit avec nous, et dès qu'il n'y a pas un seul homme
de franc, pourquoi veux-tu donc que nous le soyons avec eux ? Amuse-toi
des goûts de ton amant, dès qu'ils s'enchaînent
avec tes caprices, jouis de ses facultés morales et physiques,
échauffe-toi de son esprit, de ses talents ; mais ne perds
point de vue qu'il est d'un sexe ennemi déclaré du tien,
que tu ne dois jamais manquer l'occasion de te venger des outrages
que ton sexe a reçus de lui, et que tu es tous les jours toi-même
à la veille d'en recevoir : en un mot, il est homme, et tu
dois le duper... Tu es encore d'une incroyable bonhomie sur tout cela
: tu respectes les hommes, tandis qu'il ne faut que s'en servir et
les tromper. Tu ne tires pas de Saint-Fond le quart de ce que j'en
aurais à ta place : avec l'extrême faiblesse qu'il a
pour toi, j'en obtiendrais des millions tous les jours.
Et comme toute cette conversation se tenait dans la voiture de Clairwil
qui nous conduisait chez la sorcière, les chevaux, que nous
sentîmes s'arrêter, nous contraignirent à suspendre.
C'était au bout du faubourg Saint-Jacques, dans une petite
maison isolée et située entre cour et jardin, que demeurait
l'aventurière que nous allions consulter. Nos gens sonnèrent
; une vieille servante s'étant informée de ce que nous
voulions, nous introduisit, dès qu'elle le sut, dans une salle
basse, en nous priant d'ordonner à nos gens d'aller avec notre
voiture nous attendre dans un cabaret assez loin ; ce qui fut aussitôt
exécuté.
Au bout d'un quart d'heure, la Durand parut. C'était une très
belle femme de quarante ans, des formes bien prononcées, étonnamment
d'éclat, la taille majestueuse, une tête à la
romaine, les yeux les plus expressifs, un très bon ton, des
manières nobles, et généralement tout ce qui
annonce des grâces, de l'éducation et de l'esprit.
- Madame, lui dit mon amie, des personnes qui vous connaissent bien
et que vous avez satisfaites, nous envoient vers vous... Il faut d'abord
que vous nous disiez ce que nous prépare l'avenir : voilà
vingt-cinq louis pour cela. Il faut ensuite que vous nous donniez
les moyens de maîtriser cet avenir, en nous vendant une collection
complète de tous les poisons que vous préparez : voilà,
poursuivit Clairwil, en lui donnant cinquante autres louis, la somme
que vous prenez ordinairement pour apprendre à composer ces
mêmes poisons, pour faire voir votre cabinet et votre jardin
de plantes vénéneuses ; soyez assurée que nous
n'en resterons pas là.
- La première chose que j'observe, répondit la Durand,
c'est que vous êtes deux dames fort jolies, et qu'il vous faut
subir, avant que d'être satisfaites sur les objets que vous
demandez, des cérémonies préliminaires qui, peut-être,
ne vous plairont pas.
- De quoi s'agit-il, madame ? dit Clairwil.
- Il faut, répondit la sorcière, que vous me suiviez
dans un cabinet fort obscur où je vais vous faire passer, et
que là, toutes les deux parfaitement déshabillées,
vous soyez fustigées par moi.
- Vigoureusement ?
- Au sang, mes belles amies... oui... au sang : je n'accorde jamais
rien sans cette complaisance préliminaire ; j'ai besoin de
votre sang pour vous expliquer l'avenir, et du sang résultant
d'une fustigation préalable.
- Entrons, dis-je à Clairwil, dans de semblables circonstances,
il ne faut se refuser à rien.
Le cabinet où nous pénétrâmes était
trop singulier pour ne pas mériter une description particulière,
et quoiqu'il ne fût éclairé que par une lampe,
nous en discernâmes assez bien les objets pour en expliquer
les détails. Ce cabinet, peint en noir, avait à peu
près vingt pieds carrés : toute la partie droite était
remplie d'alambics, de fourneaux et autres instruments de chimie ;
à gauche, se voyaient des tablettes contenant une grande quantité
de bocaux et des livres ; quelques tables étaient au-dessous
; en face, un rideau noir cachait une pièce dont je parlerai
tout à l'heure, et le milieu était orné d'une
colonne de bois, garnie de velours noir, autour de laquelle Mme Durand
nous lia toutes deux en face l'une de l'autre.
- Alors, nous dit l'exécutrice, êtes-vous déterminées
à souffrir quelques douleurs pour parvenir aux instructions
que vous désirez ?
- Agissez, répondîmes-nous, agissez madame, nous sommes
prêtes à tout.
Et la Durand, alors, nous baisa toutes deux très amoureusement
sur la bouche, mania nos fesses, et nous mit un bandeau sur les yeux.
Dès lors, le plus grand silence s'observa ; on s'approcha doucement
de nous, et sans trop savoir qui nous frappait, nous reçûmes
alternativement l'une et l'autre d'abord cinquante coups chacune ;
on se servait de verges, mais elles étaient si vertes et si
dures, l'on y allait d'une telle violence que, malgré l'habitude
où nous étions, Clairwil et moi, de ces plaisirs, je
suis bien sûre que le sang paraissait déjà. Cependant
on ne disait mot, et nous n'osions nous plaindre. Nos fesses furent
palpées, et certainement les mains qui les empoignèrent
n'étaient pas celles de Mme Durand.
On recommença. Ici nous ne pûmes plus douter de quel
sexe était le bourreau ; un vit s'approcha de nos fesses, on
le frotta sur le sang qui en coulait ; quelques soupirs, quelques
gémissements voluptueux se firent entendre, et deux ou trois
baisers se portèrent au trou de nos culs, une langue même
y pénétra quelques instants. Une troisième reprise
eut lieu, mais on ne se servit plus de verges : quoique nos culs fussent
endormis, il nous fut facile de discerner que les coups qu'on nous
appliquait ne pouvaient venir que de martinets très aigus ;
ils devaient l'être, sans doute, puisque je sentis aussitôt
mes cuisses et mes jambes inondées de sang. Le vit se rapprocha,
la langue se fit encore sentir, et la cérémonie cessa.
On enleva le bandeau de nos yeux, et nous ne vîmes plus que
Mme Durand, une soucoupe à la main, qui, placée par
elle soigneusement sous nos fesses, se remplit aussitôt de sang.
Elle nous détacha, nous bassina le derrière avec de
l'eau et du vinaigre, puis nous demanda si nous avions souffert.
- Cela est égal, répondîmes-nous ; et y a-t-il
autre chose à faire ?
- Oui, répondit la Durand, il faut que l'on vous branle le
clitoris ; je ne puis vous faire aucune prédiction si je ne
vous ai pas vues dans le plaisir.
Alors la sorcière nous coucha toutes deux, près l'une
de l'autre, sur un canapé, de façon que nos têtes,
passées derrière le rideau dont j'ai parlé, ne
se trouvaient plus dans la même chambre. Ce fut dans celle-là
où vint la maîtresse du lieu, qui, resserrant un cordon
au-dessus de nos seins nous ôta, par ce moyen, la possibilité
de nous relever et de pouvoir distinguer à qui nous avions
affaire.
Elle était assise près de nous, à moitié
nue ; sa superbe gorge était presque à la hauteur de
nos visages ; elle se plaisait à nous la faire baiser ; elle
nous observait et regardait la soucoupe teinte de notre sang. On nous
branla d'abord sur le clitoris, ensuite, avec beaucoup d'art, dans
le con et au trou du cul ; on nous gamahucha à l'un et l'autre
de ces orifices ; puis, relevant et rattachant nos jambes par des
cordons qui les maintenaient en l'air, un vit assez médiocre
s'introduisit alternativement et dans nos cons et dans nos culs.
- Madame, dis-je à la Durand, dès que je m'aperçus
de cette supercherie, êtes-vous au moins bien sûre de
l'homme qui nous voit ?
- Simple créature, répondit la Durand, ce n'est pas
un homme qui jouit de vous, c'est Dieu.
- Vous êtes folle, madame, dit Clairwil, il n'y a point de Dieu
; et s'il y en avait un, comme tout ce qu'il ferait rapprocherait
de la perfection, on l'enculerait peut-être, mais il ne foutrait
pas des femmes.
- Silence ! dit la Durand, livrez-vous aux impressions de la chair,
sans vous inquiéter de ceux qui vous les font sentir : si vous
dites encore un mot, tout est perdu.
- Nous ne dirons rien, répondis-je, mais réfléchissez
bien, surtout, que nous ne voulons ni vérole, ni enfants.
- Aucune de ces choses n'est à craindre avec Dieu, reprit la
Durand. Encore une fois, silence, car je ne peux plus rien vous répondre.
Et je sentis très distinctement le vit du personnage qui se
servait de moi, abondamment décharger dans mon cul ; il jura
même, il devint furieux ; et, sans presque nous en apercevoir,
à l'instant nous fûmes enlevées, toujours sur
le même sopha.
Nous nous trouvâmes dans une chambre sans meubles, laquelle,
au temps que nous avions été à monter, nous parut
extrêmement haute. Là, plus de rideaux qui séparassent
nos têtes de nos corps. La Durand nous avait suivies : la même
trappe l'avait enlevée près de nous. Deux petites filles
de treize à quatorze ans se trouvaient dans cette chambre ;
elles étaient liées sur des fauteuils... A leur contenance,
à leur pâleur, nous jugeâmes facilement que ces
créatures devaient être nées dans la plus extrême
misère ; près de là, reposaient dans un berceau
deux petits garçons de neuf mois. Une grande table était
dans la chambre, et sur cette table beaucoup de paquets ressemblant
à ceux qui enveloppent des drogues dans une pharmacie. Il y
avait aussi dans cette pièce une beaucoup plus grande quantité
de bocaux que nous n'en avions vu dans l'autre.
- C'est ici que je vais vous parler, dit la Durand, et elle nous détacha.
Vous, Clairwil, dit-elle en fixant les yeux sur la coupe qui contenait
son sang (et vous voyez que je sais votre nom sans que vous me l'ayez
appris), vous, dis-je, Clairwil, vous ne vivrez plus que cinq ans
; vous en auriez vécu soixante, sans les excès où
vous vous plongez ; votre fortune augmentera, à mesure que
votre santé s'affaiblira, et le jour que l'Ours passera dans
la Balance vous regretterez les fleurs du printemps.
- Je ne vous comprends pas, dit Clairwil.
- Écrivez mes paroles, dit la Durand, et vous verrez qu'elles
seront justes un jour. Pour vous, Juliette... (et qui m'a dit votre
nom, je vous prie), vous, Juliette, vous serez éclairée
par un songe ; un ange vous apparaîtra, il vous dévoilera
des vérités incompréhensibles ; mais ce que je
puis, en attendant, vous prédire, moi, c'est qu'où le
vice cessera, le malheur arrivera.
Ici, un nuage fort épais s'éleva dans la chambre. La
Durand tomba en syncope, elle cria, fit d'étranges contorsions,
pendant lesquelles son beau corps parut tout nu, et revint à
elle dès que le nuage fut dissipé. Cette vapeur avait
laissé dans la chambre une odeur mêlée d'ambre
et de soufre. Nos vêtements nous furent rendus. Dès que
nous les eûmes repris, la Durand nous demanda quelles étaient
les sortes de poisons que nous désirions.
- Votre prédiction me tourmente, dit Clairwil... Mourir dans
cinq ans !...
- Peut-être l'éviterez-vous, répondit la Durand,
j'ai dit ce que j'ai vu, mes yeux me trompent quelquefois.
- J'embrasse cet espoir, dit Clairwil, il me devient nécessaire...
Que m'importe, au reste, n'eussé-je que huit jours à
vivre, il faut qu'ils soient souillés par des crimes. Allons,
faites-moi voir tous les poisons que vous avez : nous voulons visiter,
et vos bocaux, et toutes les plantes curieuses de votre jardin. Vous
nous expliquerez les propriétés de toutes ces choses
; nous ferons mettre de côté celles qui nous plairont
; vous nous en donnerez le compte après.
- Il me faut encore vingt-cinq louis, dit la sorcière, tout
le reste aura son prix à part. Si vous voulez faire des expériences,
vous en serez les maîtresses ; les deux petites filles que vous
voyez là sont à vos ordres : si elles ne vous suffisent
pas, à cinquante louis pièce, je vous fournirai des
hommes ou des femmes à volonté.
- Vous êtes délicieuse, madame ! dis-je en sautant au
cou de la Durand... oui, vous êtes une femme adorable, et vous
serez contente de nous.
La sorcière, s'emparant alors d'une baguette d'ébène,
et descendant à mesure tous les bocaux qui se trouvaient sur
les rayons, commença l'explication des aphrodisiaques et des
philtres amoureux, ainsi que des emménagogues et des électuaires
anti-aphrodisiaques. Nous fîmes mettre de côté
une ample provision des premiers, parmi lesquels beaucoup de cantharide,
de gens-eng, et quelques fioles de la liqueur de joui, du Japon, que
la Durand nous fit payer, à cause de sa rareté et de
ses vertus surprenantes, dix louis la fiole.
- Ajoutez pour mon compte quelques-unes des dernières, dit
Clairwil, il y a beaucoup d'hommes à qui j'en ferai prendre
avec plaisir.
- Venons maintenant aux poisons, dit la Durand ; s'il est quelquefois
beau de travailler à la progéniture de l'espèce
humaine, il est plus souvent délicieux d'en arrêter le
cours.
- Ne mettez donc point ces deux actions sur la même ligne, dis-je
à la Durand : l'une est horrible, l'autre est divine. Ce n'est
point pour travailler à la progéniture que nous achetons
ces philtres, c'est pour doubler notre lubricité ; et cette
progéniture, bien constamment abhorrée, c'est pour la
détruire avec délices que nous allons acheter ce qui
suit.
- Embrassez-moi, dit la Durand, voilà les femmes que j'aime
; plus nous nous connaîtrons, et plus, j'espère, nous
nous conviendrons mutuellement.
Ces poisons étaient en très grand nombre, classés
chacun suivant son genre. Dans la nomenclature des premiers que nous
parcourûmes, la Durand nous fit remarquer particulièrement
la poudre du crapaud verdier : les effets qu'elle nous en raconta
irritèrent tellement notre imagination, que nous témoignâmes
sur-le-champ à la Durand le désir d'en faire une épreuve.
- Volontiers, nous dit-elle, choisissez l'une des deux filles qui
nous accompagnent.
Et ayant détaché celle qui paraissait nous convenir,
elle nous demanda si nous avions la fantaisie de la faire foutre par
un homme, et de l'empoisonner pendant ce temps : nous répondîmes
que cet épisode nous amuserait. La Durand sonna : un homme
grand, sec, pâle et bilieux, d'environ cinquante ans, parut
dans un assez grand désordre.
- Voilà, dis-je tout bas à ma compagne, l'homme qui
vient de s'amuser de nous.
- Je le crois, me répondit Clairwil.
- Alzamor, dit la Durand, il faut dévirginer cette pucelle,
pendant que ces dames vont la désorganiser avec cette poudre
; bandes-tu ?
- Abandonnez-moi l'enfant, dit Alzamor, je verrai ce que je pourrai
faire.
- Madame, dis-je à la Durand, quel est cet homme ?
- C'est un vieux sylphe, me répondit la Durand, voulez-vous
que d'un mot je le fasse disparaître ?
- Oui, dis-je.
La Durand prononça deux effroyables paroles qu'il me fut impossible
de retenir, et nous ne vîmes plus que de la fumée.
- Faites revenir le sylphe, dit Clairwil.
Un mot presque pareil, et un second nuage le ramenèrent. Cette
fois-ci, le sylphe bandait, et ce fut le vit en l'air qu'il s'empara
de l'enfant. Cet homme était d'une vigueur prodigieuse : en
deux minutes, il dépucela la jeune fille, et fit couler le
sang dans la chambre. Ce fut alors que Clairwil fit avaler à
la petite fille de la poudre de crapaud verdier dans un bouillon.
Ses convulsions furent subites. Au milieu de ces convulsions, Alzamor
la retourna promptement pour l'enculer : alors ses contorsions et
ses cris augmentèrent ; elle faisait horreur à regarder.
En six minutes elle creva, et le sylphe ne lui déchargea dans
le cul que lorsqu'elle fut absolument sans vie. Ses angoisses furent
épouvantables ; lui-même poussa des cris affreux, et
ce fut à la violence de cette extase que nous achevâmes
de nous convaincre que cet homme était le même qui avait
joui de nous. Le mot barbare fut répété : Alzamor
disparut et la victime avec lui.
La Durand poursuivit son poison, et après nous avoir expliqué
quelques instructions du second genre.
- Voici, nous dit-elle, de la chair calcinée de l'engri, espèce
de tigre d'Éthiopie : son effet est d'une subtilité
qui mérite d'être observée par des dames aussi
curieuses que vous.
- Faisons donc un essai, dit Clairwil, mais sur un jeune homme.
- De quel âge le voulez-vous ? demanda la Durand.
- Dix-huit ou vingt ans.
Aussitôt il en parut un beau, bien fait, porteur d'un superbe
membre, mais dans un état de misère et de délabrement
qui nous fit voir quelle était la classe où notre sorcière
choisissait ses victimes.
- Vous en amuserez-vous ? dit la Durand.
- Oui, dis-je, mais nous voulons que tu sois en tiers avec nous ;
il faut qu'il nous foute toutes les trois.
- Comment ! vous avez envie de me voir foutre ?
- La plus grande, répondis-je.
- Je suis une scélérate, je vous effrayerais.
- Non, garce, non, dit Clairwil en lui sautant au cou, non, tu ne
nous effrayeras pas ; tu es digne de nous, et nous brûlons de
te voir en action.
Et, sans autre formalité, Clairwil vole au jeune homme ; elle
l'excite pendant que je trousse la Durand, et que je dévore
des yeux, des mains et de la langue, toutes les parties de son beau
corps. Il était impossible d'être mieux faite, d'avoir
des chairs plus fraîches, plus fermes et plus blanches ; Durand
avait surtout les plus belles fesses et les plus beaux tétons
qu'il fût possible de voir, et un clitoris... oh ! de nos jours
nous n'en avions vu ni de si longs ni de si raides. J'avoue que je
ressentis dès lors un penchant invincible pour cette femme,
et je la gamahuchais déjà de tout mon cur, lorsque
Clairwil, amenant le jeune homme par le bout du vit, m'écarta
pour enfoncer ce vit dans le con de la sorcière : mais elle
s'y opposa avec un cri terrible.
- Pourquoi donc exiger cette horreur de moi ? dit-elle. Je n'aime
pas à foutre en con, je ne le puis, d'ailleurs : me prenez-vous
donc pour une femme ordinaire ?
Et rejetant l'homme d'un vigoureux coup de poing, elle lui présente
aussitôt les fesses. Clairwil conduit le membre, qui disparaît
sans préparation dans l'anus, avec la même facilité
qu'il se serait englouti dans le plus vaste con. Et ce fut alors que
la putain frétilla de la plus lubrique manière ; Clairwil
et moi, nous nourrissions son extase en la gamahuchant, en la polluant,
en la baisant, en la caressant de tous nos moyens physiques et moraux.
On ne se peint point l'ardeur de l'imagination de cette femme, la
saleté de ses propos, le décousu original de ses idées
luxurieuses, le désordre, en un mot, qui régnait dans
toute sa personne, établi par l'incroyable chaleur de ses passions.
Au milieu de la crise, elle voulut baiser nos culs ; et la putain
les gamahucha et les foutit comme l'eût fait un homme.
- Empoisonnez !... empoisonnez donc ! nous cria-t-elle, au moment
où le délire allait s'emparer de ses sens.
- Non, pardieu ! dit Clairwil, il faut que ce manant-là nous
encule toutes les deux avant.
Ici la Durand jeta des cris affreux, se tordit les membres, tomba
dans une affreuse attaque de nerfs, et perdit une si grande quantité
de foutre, que ma bouche, qui la suçait alors, s'en trouvait
pleine exactement.
- Il n'a rien perdu, nous dit-elle en rejetant le jeune homme, empêchez-le
de décharger, afin qu'il vous foute mieux.
Et mon cul se trouvant présenté le premier, ce fut dedans
que le fouteur vint élancer son sperme dont le derrière
de la Durand avait si bien préparé l'éjaculation.
Je continuai, pendant qu'on m'enculait, de pomper les jets de foutre
jaillissant encore du vagin de la Durand, dont Clairwil langotait
l'anus.
Mon amie me remplaça bientôt et ce fut pendant que le
jeune homme la sodomisait que la Durand lui fit avaler la poudre.
Les convulsions lui prirent avant qu'il n'eût le temps de sortir
du cul de mon amie, de manière qu'il mourut en l'enculant,
ce qui jeta Clairwil dans une crise de plaisir si violente, que je
crus qu'elle en expirerait elle-même.
- Sacredieu, nous dit la bougresse, je crois que j'ai son âme
et son foutre à la fois. Vous n'imagineriez pas à quel
point le vit de ce coquin-là s'est grossi pendant que les convulsions
le travaillaient ; on n'a pas d'idée du plaisir que donne une
semblable opération.
Ô femmes voluptueuses ! empoisonnez vos fouteurs pendant qu'ils
sont dans vos culs ou dans vos cons, et vous verrez ce qu'on y gagne...
Nous eûmes effectivement toutes les peines du monde à
retirer le vit du mort de l'anus de ma compagne, et quand nous en
fûmes venues à bout, nous nous aperçûmes
que les convulsions de la mort ne l'avaient point empêché
de décharger.
- Eh bien ! dit Clairwil, ne vous avais-je pas bien dit que son âme
s'était exhalée avec son foutre, et que mon cul avait
tout recueilli.
Le cadavre s'emporte, et notre examen continue.
Ce troisième examen nous offrit, entre autres, le poison royal
(celui qui, sous Louis XV, fit périr tant d'individus de sa
famille) : des épingles et des dards empoisonnés, des
venins mêlée des serpents connus sous les noms de cucurucu,
de kokob et d'aimorrhoüs, celui de polpoch, sorte de serpent
qui se trouve dans la province Jupatan.
- La liqueur où je le tiens, nous dit la Durand, est suffisamment
empreinte de ce venin pour devenir très dangereuse : jamais
les épreuves que j'en ai faites n'ont manqué. Voulez-vous
en voir une ?
- Assurément, répondis-je, vous êtes bien sûre
que nous ne refuserons jamais de telles propositions.
- Quelle victime choisissez-vous ?
- Un beau jeune homme, dit Clairwil.
- Allons, dis-je, tu m'entraînes dans toutes les erreurs ; il
faut bien que je me corrompe avec toi.
Un simple coup de cloche fit apparaître un garçon de
dix-huit ans, plus beau que le dernier, et dans le même état
de misère.
- Voulez-vous, dit la Durand, qu'Alzamor l'encule devant vous ?
- Volontiers.
Un nuage s'élève et le sylphe paraît.
- Foutez ce garçon, dit la Durand, ces dames veulent éprouver
sur lui la liqueur du polpoch.
- Attendez, dit Clairwil, il faut qu'il m'encule pendant ce temps-là.
- Et que ferons-nous, Durand et moi ?
- Tu gamahucheras le cul d'Alzamor, Juliette ; et la Durand, sur laquelle
je serai couchée, m'enconnera avec son clitoris ; rien n'empêchera
ma fouteuse d'agir, et quand elle verra le jeune homme prêt
à me décharger dans le cul, elle lui donnera un petit
verre du poison dont nous désirons voir l'épreuve.
Tout s'arrange au gré de mon amie ; mais, le verre avalé,
le jeune homme éprouve une si forte crise que toutes les attitudes
se dérangent. Nous cédons le milieu de la chambre au
patient ; Alzamor branle Clairwil. Je me jette dans les bras de la
Durand, qui me chatouille à ravir : on n'a ni plus d'art, ni
plus d'expérience, toutes les issues de la volupté sont
également parcourues par les doigts libertins de cette délicieuse
femme, dont la bouche amoureuse me couvre des plus chauds baisers.
Cependant la malheureuse victime chancelle comme un homme ivre ; peu
à peu l'infortuné tombe, toujours sous nos yeux, dans
un vertige effrayant. Les commotions ressenties au cerveau étaient
si terribles, qu'il s'imaginait avoir la tête pleine d'eau bouillante.
Cet état fut suivi d'une enflure générale de
tout le corps ; le visage devint livide, les yeux lui sortaient de
la tête, et le malheureux, en se débattant d'une manière
horrible, tombe enfin à nos pieds au milieu des contorsions
et des convulsions les plus bizarres, pendant que nous répandions,
tous quatre, des flots du foutre le plus impur et le plus abondant.
- Voilà la plus divine de toutes les passions dit Clairwil
; voilà celles qui me feront toujours tourner la tête,
et auxquelles je me livrerai sans cesse avec délices, toutes
les fois que je le pourrai sans crainte !
- Jamais, dit la Durand, le meurtre causé par le poison ne
peut en inspirer : quels témoins vous trahiront dans ce cas
? quelles traces déposeront contre vous ? L'art du plus habile
chirurgien y échoue, et il lui est presque impossible de discerner
les effets du poison d'avec les causes d'une maladie naturelle d'entrailles.
Niez, et soyez ferme ; que le crime soit gratuit ; que l'on ne vous
trouve point d'intérêt à l'avoir commis, et vous
serez toujours à couvert.
- Poursuis, séductrice, poursuis, lui dit Clairwil, si je te
croyais, je dépeuplerais, je crois, tout Paris ce soir !
La Durand prononça son mot barbare : le sylphe disparut.
- Descendons maintenant au jardin, nous dit la sorcière ; je
vous le propose pour vous contenter, car la rigueur du dernier hiver
a fait périr toutes mes plantes : il ne me reste presque plus
rien.
Ce jardin, extrêmement sombre, ressemblait beaucoup à
un cimetière. Excepté dans la partie des plantes rares,
de très grands arbres l'ombrageaient partout. Notre curiosité
nous porta sur-le-champ vers un coin isolé où la terre
nous parut fraîchement remuée.
- Voilà où tu caches tes crimes, est-il vrai, Durand
? demanda Clairwil.
- Venez, venez, dit la sorcière en nous entraînant :
il vaut mieux vous faire voir avec quoi l'on tue, que ce qui est tué.
Nous la suivîmes. Après plusieurs explications qu'elle
nous fit :
- Écoute, lui dis-je, la vue de ce cimetière, positivement
à côté de nous, m'échauffe étonnamment
la tête. Je voudrais que tu fisses avaler de la plante qui occasionne
les crises les plus violentes à une petite fille de quatorze
ou quinze ans. On ouvrirait un trou prêt à la recevoir,
nous nous enfermerions dans ce cimetière, et lorsque les convulsions
du venin entraîneraient naturellement la victime dans le trou
préparé, on la couvrirait de terre et nous déchargerions.
- Je suis décidée à ne rien vous refuser, nous
dit la Durand. Vous voyez que j'ai prévu votre proposition,
car voilà une jeune fille, et, si vous voulez bien observer
le cimetière, vous y verrez, vers l'orient, une fosse toute
prête. Une très jolie enfant se trouve effectivement
toute nue derrière un figuier sauvage de Cayenne, et le trou
qu'annonçait la Durand s'ouvrit sous nos yeux, sans qu'il nous
fût possible de deviner par quelle magie.
- Eh bien ! dit la sorcière en nous voyant pétrifiées,
est-ce que vous avez peur de moi ?
- Peur ! non : mais nous ne te concevons pas.
- Toute la nature est à mes ordres, nous répondit la
Durand, et elle sera toujours aux volontés de ceux qui l'étudieront
: avec la chimie et la physique on parvient à tout. Archimède
ne demandait qu'un point d'appui pour soulever la terre, et moi, je
n'ai plus besoin que d'une plante pour la détruire en six minutes.
- Délicieuse créature, dit Clairwil en la serrant dans
ses bras, que je suis heureuse d'avoir rencontré quelqu'un
dont les procédés répondent si bien à
mes opinions !
Nous nous enfermâmes dans le cimetière avec la petite
fille. Dès qu'elle eut avalé le venin, ses contorsions
commencèrent.
- Asseyons-nous, dis-je, sur la paille la plus fraîchement remuée.
- Je vous entends, répondit la sorcière.
Elle sort une boîte de sa poche, parsème le cimetière
de la poudre contenue dans cette boîte, et le terrain, se bouleversant
aussitôt, nous offre un sol hérissé de cadavres.
- Oh ! foutre, quel spectacle ! dit Clairwil se vautrant sur ces monceaux
de morts. Allons, sacredieu ! branlons-nous ici toutes trois, en voyant
souffrir cette garce.
- Mettons-nous nues, dit la Durand : il faut que nos chairs pressent
et foulent ces ossements ; c'est de cette voluptueuse sensation que
nous devons obtenir une des meilleures branches de lubricité.
- Il y a, dis-je, une chose toute simple à faire : formons-nous
des godemichés avec les os de ces victimes.
Et Clairwil, trouvant l'idée délicieuse, se hâte
de nous donner l'exemple.
- Bien ! dis-je à ma compagne, mais il faut être assise
sur des têtes, il faut que le trou de nos culs soit chatouillé
de cette pression aiguë... Voyez où je me place...
- Ah ! dit Durand, c'est justement sur la tête fraîche
encore du dernier garçon que vous avez immolé. Attends,
Juliette, je vais saisir une de ses mains, pour te branler avec.
Que vous dirai-je... mes amis ! le délire et l'extravagance
furent à leur comble, nous imaginâmes... nous exécutâmes
cent autres choses plus infâmes encore, et la victime expira
sous nos yeux dans d'exécrables convulsions. Les dernières
l'ayant machinalement conduite vers son trou, elle y tomba ; je déchargeai
dans les bras de mes deux amies qui, elles-mêmes, m'inondèrent
de foutre en suçant l'une ma gorge, l'autre ma bouche. Nous
nous rhabillons, et notre examen se poursuit avec le même sang-froid
qu'auraient fait des sots qui viendraient de se livrer à la
vertu. Après avoir parcouru le reste de son jardin, nous remontâmes.
- Les deux enfants que vous voyez dans ce berceau, nous dit la Durand,
sont les matières dont je vais, si vous voulez, me servir devant
vous, pour composer le plus cher et le plus actif de mes poisons.
Désirez-vous jouir de ce spectacle ?
- Assurément, répondîmes-nous.
- Je ne m'en étonne pas,. dit la Durand, je vous connais maintenant
pour des femmes philosophes qui ne voient la désorganisation
de la matière que comme une opération de chimie, et
le puissant intérêt des résultats l'emporte dans
vous sur le prétendu crime que trouvent les sots dans cette
action... Je vais manipuler.
La Durand saisit, l'un après l'autre, les enfants qui étaient
dans ce berceau ; elle les pend au plafond par les pieds, et les déchire
à coups de verges. La bouche de ces infortunés se couvre
d'écume : la sorcière recueille précieusement
cette mousse, et nous la vend cent louis, en nous certifiant que,
de tous les poisons qu'elle compose, celui-là est le plus violent,
et c'était vrai. Les enfants expirèrent, sans que la
Durand, qui les laissa toujours accrochés, eût seulement
l'air de s'en douter. Heureux flegme du crime ! voilà où
il faut être pour vous commettre avec délices !
- Oh ! ma chère amie, dit Clairwil en réfléchissant
sur tout ce qu'elle venait de voir, vous avez là de terribles
secrets.
- J'en ai bien d'autres, mesdames, répondit la Durand. La vie
des hommes est entre mes mains. Je puis répandre des pestes,
empoisonner des rivières, propager des épidémies,
putréfier l'air des provinces, corrompre des maisons, des vignes,
des vergers, transformer en venin la chair des bestiaux, incendier
des maisons, faire mourir subitement celui qui respirera une fleur
ou décachettera une lettre : je suis, en un mot, une femme
unique dans mon genre, personne ne peut me le disputer.
- Mais, madame, dis-je à la Durand, comment quelqu'un qui connaît
aussi bien la nature peut-il admettre l'existence d'un Dieu ? Quand
nous vous avons demandé tout à l'heure par qui nous
étions foutues, vous nous avez répondu que c'était
par Dieu.
- En est-il un plus puissant que le vit ? répondit la Durand.
- Ah ! j'aime mieux que vous me répondiez ainsi qu'autrement...
Allons, de la franchise, ma chère, n'est-il pas vrai que vous
ne croyez pas en Dieu ?
- Mes amies, nous dit la Durand, plus on étudie la nature,
plus on lui arrache ses secrets, mieux on connaît son énergie,
et plus on se persuade de l'inutilité d'un Dieu. L'érection
de cette idole est, de toutes les chimères, la plus odieuse,
la plus ridicule, la plus dangereuse et la plus méprisable
; cette fable indigne, née, chez tous les hommes, de la crainte
et de l'espérance, est le dernier effet de la folie humaine.
Encore une fois, c'est méconnaître la nature que de lui
supposer un auteur ; c'est s'aveugler sur tous les effets de cette
première puissance, que d'en admettre une qui la dirige, et
vous ne verrez jamais que des sots ou des fripons admettre ou croire
à l'existence d'un Dieu. Le prétendu Dieu des hommes
n'est que l'assemblage de tous les êtres, de toutes les propriétés,
de toutes les puissances ; il est la cause immanente et non distincte
de tous les effets de la nature ; c'est parce qu'on s'est abusé
sur les qualités de cet être chimérique, c'est
parce qu'on l'a cru tour à tour bon, méchant, jaloux,
vindicatif, qu'on a supposé de là qu'il devait punir
ou récompenser ; mais Dieu n'est que la nature, et tout égal
à la nature ; tous les êtres qu'elle produit sont indifférents
à ses yeux, puisqu'ils ne lui coûtent pas plus à
créer l'un que l'autre, et qu'il n'y a pas plus de mal à
détruire un buf qu'un homme.
- Et votre système sur l'âme, quel est-il, madame ? demanda
Clairwil, car votre philosophie s'accorde trop avec nos principes,
pour que nous n'aimions pas à l'analyser.
- Aussi matérialiste sur le système de l'âme que
sur celui de la divinité, je vous avouerai, nous dit la Durand,
qu'après avoir lu avec attention toutes les rêveries
des philosophes sur cet article, j'en suis venue à me convaincre
que l'âme de l'homme, absolument semblable à celle de
tous les animaux, mais autrement modifiée dans lui, à
cause de la différence de ses organes, n'est autre chose qu'une
portion de ce fluide éthéré, de cette matière
infiniment subtile dont la source est dans le soleil. Cette âme,
que je regarde comme l'âme générale du monde,
est le feu le plus pur qui soit dans l'univers, il ne brûle
point par lui-même, mais, en s'introduisant dans la concavité
de nos nerfs, où est sa résidence, il imprime un tel
mouvement à la machine animale, qu'il la rend capable de tous
les sentiments et de toutes les combinaisons. C'est un des effets
de l'électricité dont l'analyse ne nous est pas encore
suffisamment connue, mais ce n'est absolument pas autre chose. A la
mort de l'homme, comme à celle des animaux, ce feu s'exhale
et se réunit à la masse universelle de la même
matière, toujours existante et toujours en action. Le reste
du corps se putréfie et se réorganise sous différentes
formes que viennent animer d'autres portions de ce feu céleste.
Jugez, d'après cette définition, ce que doivent être,
aux yeux de ceux qui l'admettent, les comiques idées de l'enfer
et du paradis.
- Ma chère, dit Clairwil, après cette manière
franche de raisonner avec nous, et d'après celle dont vous
nous voyez adopter vos opinions, vous devriez bien nous avouer, avec
la même candeur, quel est ce Dieu par qui vous nous avez fait
si bien fouetter et foutre tout à l'heure. Dès que vous
révélez à nos yeux les mystères de la
nature, pourquoi craindriez-vous de nous dévoiler ceux de votre
maison ?
- Parce que ceux de la nature sont à tout le monde, répondit
la Durand, et que ceux de ma maison n'appartiennent qu'à moi.
Je puis, d'après cela, les avouer ou les faire, suivant ma
volonté : or elle n'est pas de vous les dire, et si vous persistez
à me les demander, dussiez-vous me couvrir d'or, vous n'emporterez
rien de chez moi.
- Eh bien, dis-je, n'appuyons pas davantage sur un objet qu'il plaît
à madame de nous cacher ; continuons seulement de lui faire
quelques-unes des questions où il me semble qu'elle peut répondre...
Il est certain qu'il se fait du libertinage chez vous, nous sommes
payées pour en être sûres : quel est celui que
vous pouvez nous faire ? car nous sommes extrêmement libertines.
- Il n'est pas une seule passion, répondit la Durand, pas une
seule fantaisie, pas un être vivant sur la terre, pas un égarement,
quelque bizarre qu'il puisse être, dont vous ne puissiez vous
procurer ici la jouissance. Indiquez-moi seulement, quelques heures
avant, ce à quoi vous avez envie de vous livrer, et, tel extravagant,
tel irrégulier, tel effroyable que cela puisse être,
je vous proteste de vous le faire exécuter. Je dis plus, s'il
y a quelques hommes ou quelques femmes dans le monde dont vous vouliez
connaître les goûts ou les passions, je les ferai trouver
ici, et sans qu'ils puissent soupçonner la trahison, vous les
observerez au travers d'une gaze. Cette maison est tout entière
à moi ; la facilité avec laquelle on arrive de quatre
côtés sans être vu, sa position isolée,
la sévérité de sa clôture, le mystérieux,
en un mot, dont elle est, assure, ce me semble, à la fois,
et la discrétion et le plaisir. Ordonnez donc et vous serez
servies : tous les individus, toutes les nations, tous les sexes,
tous les âges, toutes les passions, toutes les débauches,
tous les crimes, tout... tout est à vos ordres ici. Vous payez
bien, je le sais, et avec de l'argent l'on fait tout chez moi.
- Vous ne devez pourtant pas en avoir grand besoin, madame, vos richesses
doivent être immenses ?
- Oui, répondit la Durand, mais j'ai des goûts aussi,
et comme je mange presque tout ce que je gagne, je ne suis pas, à
beaucoup près, aussi riche que vous pourriez le penser... Oui,
madame, oui, le mystère et la distraction sont dans leur centre
ici ; vous avez immolé cinq ou six victimes : vous en assassineriez
cinq cents, qu'il n'en serait pas davantage. Voulez-vous renouveler
quelques expériences sur des garçons, sur des filles,
sur des personnes faites, sur des enfants, sur des vieillards ? Parlez,
dans un instant vous serez servies.
- Je veux, dit Clairwil, enculer, avec des godemichés de fer
rouge, deux garçons de quinze ans, pendant que vous les martyriserez,
et que deux beaux hommes, déjà tout empoisonnés,
m'enculeront.
- Cent louis pour chaque victime, dit la Durand, et vous serez satisfaites.
- Vous me donnerez donc deux jeunes filles, dis-je, car je n'aime
à faire que sur mon sexe ce que cette putain veut faire aux
hommes. Je les enconnerai avec des godemichés semblables, et
votre sylphe leur déchirera le corps avec des martinets d'acier
également rouges ; on me fouettera pendant l'opération.
- Cinquante louis par fille, dit la Durand.
Nous payâmes, et en moins de dix minutes tout fut en train.
Rien de plus joli comme les petites filles qu'on me donna, et rien
de féroce comme les procédés du sylphe. Les malheureuses
victimes expirèrent dans nos bras, et notre délire à
l'une et l'autre devint impossible à peindre ; le sylphe et
les cadavres disparurent, mais rien ne nous apaisait. Clairwil, échevelée
comme une bacchante, écumait de luxure, et je n'étais
guère plus calme. La Durand nous conjura de nous livrer à
quelque autre passion, et que si cela nous plaisait, elle nous ferait,
pendant ce temps-là, observer par des libertins.
- Donnez une victime à chacune, répondîmes-nous,
et les examinateurs seront contents.
On m'amène une fille charmante, nue et garrottée ; un
semblable holocauste du sexe masculin est offert à ma compagne.
Nous commençâmes à les étriller avec des
paquets d'orties et des martinets à pointes. Ici, la Durand,
qui s'était retirée, revint doucement frapper à
notre porte.
- La preuve qu'on vous regarde, nous dit-elle, c'est qu'on vous conjure
de prolonger le supplice, et de vous tourner de ce côté
en opérant : on veut voir vos culs, l'on n'a pu les juger encore.
- Sors, et dis qu'on sera satisfait, répondit Clairwil.
Nous continuâmes. La féroce créature ouvre le
ventre du jeune garçon qu'on lui a donné, elle lui arrache
le cur et se l'enfonce tout chaud dans le con ; elle se branle
avec.
- Oh ! sacredieu ! dit-elle en se pâmant, il y a un siècle
que j'ai la fantaisie de me branler avec des curs d'enfants
! tu vas voir comme je vais décharger.
Couchée sur le cadavre de sa malheureuse victime, elle lui
suçait encore la bouche en se foutant avec le cur.
- Je veux qu'il m'entre tout entier dans le con, dit-elle.
Et pour se procurer la facilité de le retirer, elle passa une
ficelle au travers, et le viscère disparut.
- Oh, foutre ! que c'est délicieux ! dit Clairwil en hurlant
de plaisir ; essaye, Juliette, essaye ! il n'est pas au monde de voluptés
plus grandes.
- J'ai connu, répondis-je, un homme qui avait à peu
près le même goût. Il faisait un trou dans un cur
encore palpitant, y fourrait son vit et y déchargeait.
- Cela pouvait être charmant, dit Clairwil, mais moins joli
que ce que je fais : tâtes-en, Juliette, je t'en conjure.
Rien de tel que l'exemple sur une imagination comme la mienne : il
décide, il encourage, il électrise. J'eus promptement
éventré ma victime, et son cur palpitant fut bientôt
dans mon con. Mais les voies, plus étroites que celles de ma
compagne, résistèrent : je ne pus jamais l'introduire.
_ Coupe-le, me dit Clairwil en voyant mon embarras, pourvu qu'il en
entre une partie, c'est tout ce qu'il faut.
J'exécute, et par les mêmes procédés que
Clairwil, je m'enfonce une moitié du cur dans la matrice.
L'affreuse coquine avait raison : il n'est point de godemiché
qui vaille cela ; il n'en est point qui ait autant de chaleur et d'élasticité...
Et le moral, mes amis, comme il est embrasé par ces horreurs
! Oh ! oui, oui, je l'avoue, Clairwil avait une excellente idée,
et depuis bien longtemps je n'avais si délicieusement déchargé.
Au bout d'une heure passée dans ces infamies, nous fîmes
remonter la Durand.
- Foutre ! dit-elle en voyant ces affreux débris, il ne s'agit,
me semble, que de vous en faire voir !
- Nous en massacrerions comme cela à toutes les heures du jour,
dit Clairwil ; va, ma chère, le meurtre nous est aussi familier
qu'à toi... nous l'idolâtrons comme toi, et dès
qu'on tue dans ta maison, tu as dans nous deux excellentes pratiques.
- Mes bonnes amies, nous dit la Durand, ce n'est pas tout, j'ai encore
quelque chose à vous proposer. Voulez-vous me faire gagner
cinquante louis ?
- Assurément.
- Eh bien, ayez la complaisance de vous prêter toutes les deux
un moment à l'examinateur : il brûle du désir
de s'amuser avec vous, il en bande comme un furieux.
- Soit, dis-je, mais nous voulons aussi de l'argent : rien ne porte
bonheur comme celui qu'on gagne au bordel. Demande-lui cent louis,
nous en voulons vingt-cinq chacune.
- Je suis de l'avis de ma compagne, dit Clairwil : mais que nous fera
cet homme ? Il faut se faire payer en raison des complaisances.
- Ah ! dit Durand, il vous fera beaucoup de choses, il est extrêmement
libertin. Mais il sait que vous êtes des dames comme il faut,
et il vous ménagera.
- Qu'il entre, dis-je, et qu'il paye bien, nous n'avons pas envie
d'être ménagées : nous sommes des putains, et
nous voulons être traitées comme telles.
Le personnage parut. C'était un petit homme d'environ soixante
ans, gros, court, et de la tournure d'un opulent financier ; il était
presque nu, on le sodomisait, son enculeur l'instrumentait tout en
marchant.
- Les beaux culs... foutre !... les beaux culs ! s'écria-t-il
en nous les maniant, vous avez fait des choses délicieuses...
(et continuant toujours de se branler) vous avez tué... vous
avez massacré : comme j'aime toutes ces choses-là !
Quand vous voudrez, nous en ferons ensemble.
A ces mots, le paillard me renverse sur le lit, et m'encule, en maniant
les fesses de Clairwil. Au bout de quelques allées et venues
assez grossièrement faites, il change de poste et c'est ma
compagne qu'il gommorrhise, en examinant et baisant mon derrière.
Ici son fouteur déchargea. Le petit homme, bien persuadé
qu'il ne peut se tenir valeureusement en selle s'il n'est étayé
d'un bon vit au derrière, décule aussitôt, et,
s'emparant d'une poignée de verges, il ordonne à son
fouteur de nous tenir, pendant qu'il va nous fouetter à la
fois. Mais dans quelle posture bizarre le petit scélérat
nous met ! Son homme était entre nous deux, nous étions
chacune sous un des bras de cet homme, et contenues par les cheveux.
Au moyen de cela, M. Mondor avait un beau vit à branler et
deux superbes culs à fesser. Il se met à l'ouvrage :
nos derrières, déjà très en train, reçoivent
tout ce qu'il plaît à ce bougre-là de leur administrer
; l'opération devient aussi longue que sanglante, il usa six
poignées de verges, et nos cuisses furent aussi maltraitées
que nos fesses ; dans les intervalles, il suçait le vit de
son homme, et dès qu'il l'eut fait bander, il nous fit foutre
par ce superbe membre. Après avoir été aussi
bien flagellées, vous imaginez facilement que nous avions besoin
de ce baume. Pendant que cet homme nous foutait alternativement, le
financier maniait le cul du fouteur, et y introduisait son vit de
temps en temps. Quand sa passion fut bien allumée, le scélérat
désira un meurtre. On lui amena un petit garçon de onze
qu'il encula ; on le foutit, le vilain nous ordonna d'ouvrir la victime,
d'en arracher le cur comme nous venions de faire, et de lui
en barbouiller le nez pendant qu'il déchargeait : tout s'exécuta,
et le monstre, inondé de sang, perd son foutre en beuglant
comme un taureau. A peine a-t-il fini, qu'il disparaît comme
un éclair, sans nous adresser un seul mot. Tels sont les effets
du libertinage sur des âmes timorées : le remords et
la honte suivent de près l'instant du délire, parce
que ces gens-là ne savent pas se faire de principes, et qu'ils
s'imaginent toujours avoir mal fait, parce qu'ils n'ont pas fait comme
tout le monde.
- Quel est cet original ? demandâmes-nous à la Durand.
- C'est un homme excessivement riche, nous répondit-elle, mais
dont vous ne saurez pas le nom : vous ne voudriez pas que je dise
les vôtres ?
- Et ses mains quelquefois se souillent-elles de meurtres ?
- Très souvent il opère lui-même ; il n'était
pas en train aujourd'hui, et voilà d'où vient qu'il
vous a chargées de l'opération ; il est timide... dévot
même... il va prier Dieu quand il fait des horreurs.
- L'imbécile ! que je le plains. Quand on fait tant que de
se jeter dans la carrière où nous sommes, il faut avoir
franchi tous les préjugés ; il faut y marcher d'un pas
ferme, ou l'on se prépare bien des maux.
Et, nous rajustant, nous fîmes un paquet de tous les poisons
que nous avions achetés, payâmes largement une aussi
bonne connaissance, et regagnâmes notre voiture, en nous promettant
bien, l'une et l'autre, de cultiver une femme si utile, et de faire
de nos emplettes chez elle l'usage le plus multiplié.
- J'en donnerai, me dit Clairwil, à toutes les créatures
que je rencontrerai, dans la seule vue de commettre une action qui,
je le sens, devient la plus chatouilleuse pour mes sens et la plus
chérie de mon cur.
Je brûlais de faire connaître la Durand à Belmor,
je les trouvais tous deux si dignes l'un de l'autre, que je me branlais
depuis longtemps sur l'idée de voir mon amant dans les bras
de cette mégère. Je lui en parlai, il ne la connaissait
pas ; nous y fûmes. Je n'avais pas eu le temps d'y retourner
depuis la fameuse visite que nous lui avions faite avec Clairwil.
Après quelques reproches de l'avoir négligée
si longtemps, elle reçut le comte à merveille. Enchanté
de tout ce qu'il vit là, après un grand nombre d'emplettes,
il ne put tenir aux titillations voluptueuses que lui inspirait cette
belle femme. La scène, ainsi que je la voulais, se passa sous
mes yeux. Après avoir sodomisé la coquine, Belmor la
pria de satisfaire à sa passion de choix : je fus chargée
de l'expliquer. Les victimes paraissent à l'instant, et Belmor,
aidé par moi, se satisfait délicieusement.
- Cette passion est charmante, nous dit la Durand ; si vous voulez
venir après demain chez moi, je vous en ferai voir une à
peu près dans le même genre, quoique mille fois plus
extraordinaire.
Nous n'y manquâmes pas ; mais la Durand était disparue
; la maison, bien fermée, ne s'ouvrit point ; et quelques perquisitions
que je pusse faire, il me fut impossible de savoir ce qu'était
devenue cette femme.
Deux ans passèrent ainsi, sans qu'il m'arrivât rien de
bien singulier. Mon luxe, mes débauches se multipliaient à
tel point, que je ne goûtais plus les plaisirs simples de la
nature, et que s'il n'y avait pas quelque chose d'extraordinaire ou
de criminel dans les fantaisies qui m'étaient proposées,
j'y devenais absolument insensible. Il est vraisemblable que c'est
dans cet état d'anéantissement que la vertu fait un
dernier effort en nous, soit que notre épuisement nous mette
dans cette situation de faiblesse où sa voix reprend son empire,
soit que, par une inconstance naturelle, nous voulions, ennuyés
de crimes, essayer un peu du contraire. Toujours est-il qu'il est
un moment où les préjugés reparaissent, et s'ils
triomphent lorsqu'on a pris la route du vice assurément ils
nous rendent bien malheureux : il n'est rien de pis que les retours.
Les événements que je vais raconter vous convaincront
de cette assertion.
Je venais d'atteindre ma vingt-deuxième année, lorsque
Saint-Fond me fit part d'un projet exécrable. Toujours entiché
de ses vues de dépopulation, il s'agissait de faire mourir
de faim les deux tiers de la France par d'affreux accaparements. Je
devais avoir la plus grande part à l'exécution de ce
dessein. Je l'avoue, toute corrompue que j'étais l'idée
me fit frémir. Funeste mouvement, que vous me coûtâtes
cher ! Pourquoi ne pus-je vous vaincre ? Saint-Fond, qui le surprit,
se retira sans dire un mot. Et comme il était tard, je me couchai.
Je fus longtemps avant de m'endormir ; un rêve affreux vint
troubler mes sens : je crus voir une figure épouvantable, embrasant
d'un flambeau mes meubles et ma maison ; au milieu de cet incendie,
une jeune créature me tendait les bras... cherchait à
me sauver, et périssait elle-même dans les flammes. Je
m'éveille en songe, la prédiction de la sorcière
se présente aussitôt à mon esprit : Où
le vice cessera, m'a-t-elle dit, le malheur arrivera. Oh ciel ! je
suis perdue ! j'ai cessé un instant d'être vicieuse ;
j'ai frémi d'une horreur proposée ; le malheur va m'engloutir,
cela est sûr... Cette femme que j'ai vue dans mon songe, c'est
ma sur, c'est la triste Justine avec laquelle je me suis brouillée,
parce qu'elle a voulu suivre la carrière de la vertu ; elle
s'offre à moi, et le vice s'affaiblit dans mon cur. Fatale
prédiction !... et toi qui pourrais me l'expliquer, tu disparais
au moment où j'ai besoin de tes conseils... J'étais
encore dans mon lit, affaissée de ces terribles réflexions,
lorsqu'un inconnu, sans être annoncé, me remet un billet
et se sauve. Je reconnais l'écriture de Noirceuil...
« Vous êtes perdue, me mande-t-il ; je n'aurais jamais
soupçonné de faiblesse celle que j'avais formée...
celle qui s'était toujours aussi bien conduite. En vain chercheriez-vous
à réparer votre tiédeur, le ministre ne serait
plus votre dupe : votre premier mouvement vous a trahie. Quittez Paris
dans le jour même, emportez avec vous l'argent que vous pourrez
avoir, mais ne comptez plus sur autre chose. Tous les biens que vous
vous êtes acquis par les largesses de Saint-Fond sont perdus
pour vous. Vous connaissez d'ailleurs son crédit, sa colère,
quand on lui manque : partez donc vite, et silence, surtout ; il y
va de vos jours. Je vous laisse les dix mille livres de rente que
je vous ai faites, elles seront payées partout sur vos quittances.
Fuyez, et que vos amis ignorent tout. »
Un coup de foudre m'eût frappée moins cruellement ; mais
je redoutais trop Saint-Fond pour ne pas prendre aussitôt mon
parti. Je me lève à la hâte. Ayant déposé
toutes mes richesses et toutes mes économies chez le notaire
de Saint-Fond, je n'ose les aller dégager. Cinq cents louis...
voilà tout ce qui me reste ; j'en fais aussitôt des rouleaux
que je cache avec soin sur moi, et je sors seule... à pied,
de cette maison où tant de faste m'environnait la veille...
de cette maison sur laquelle je jette en pleurant les yeux pour la
dernière fois. Je brûle de voir Clairwil ; je ne l'ose,
on me l'a sévèrement défendu ; n'est-ce pas elle
d'ailleurs qui m'a trahie ?... n'est-ce point elle qui veut usurper
ma place ?... Ah ! comme le malheur rend injuste, et quel tort j'avais
(vous le verrez bientôt), en soupçonnant ainsi ma meilleure
amie. Allons, me dis-je, du courage ! n'attendons plus de secours
que de nous-même... Je suis jeune encore... c'est une carrière
à recommencer ; les fautes de ma jeunesse m'ont instruite...
Ô funeste vertu !... j'ai pu me trouver ta dupe une fois ! Ah
! ne crains pas qu'on me revoie encore au pied de tes exécrables
autels ; je n'ai fait qu'une seule faute, et ce sont de malheureux
mouvements de probité qui me l'ont fait commettre. Absorbons-la
pour jamais dans nous : elle n'est faite que pour perdre l'homme,
et le plus grand malheur qui puisse arriver dans un monde tout à
fait corrompu, est de vouloir se garantir seule de la contagion générale.
Que de fois je l'avais pensé, grand Dieu !
Sans projets, et sans autre dessein que celui de me soustraire promptement
à la vengeance de Saint-Fond, je me jetai machinalement dans
la première voiture publique ; c'était celle d'Angers
; j'y arrivai bientôt. Étrangère dans cette ville,
et n'y connaissant absolument personne, je résolus d'y prendre
une maison et d'y donner à jouer. J'eus bientôt chez
moi toute la noblesse du pays... Une infinité d'amants se déclarèrent
; mais l'air de pudeur et de retenue que j'affectais, persuada bientôt
à mes soupirants que je ne me rendrais qu'à celui qui
ferait ma fortune. Un certain comte de Lorsange, le même dont
je porte aujourd'hui le nom, me parut plus assidu et beaucoup plus
riche que les autres. Il était âgé de quarante
ans... d'une fort belle figure, et la manière dont il s'exprimait
me convainquit qu'il avait des vues plus relevées et plus légitimes
que ses concurrents ; je l'écoutai. Le comte ne fut pas longtemps
à me déclarer ses desseins. Célibataire, jouissant
de cinquante mille livres de rente, n'ayant point de parents, si je
me rendais digne de sa main, il aimait mieux, en m'épousant,
me laisser sa fortune, que de la faire passer à des collatéraux
inconnus ; et si je voulais être franche avec lui, ne lui cacher
aucune circonstance de ma vie, dès le lendemain je devenais
sa femme, et il me reconnaissait vingt mille livres de rente. De telles
propositions étaient trop belles pour que je ne me rendisse
pas aussitôt. Il fallait au comte une confession générale
: j'osai tout dire.
- Écoutez-moi, Juliette, reprit M. de Lorsange après
m'avoir entendue, les aveux que vous venez de me faire prouvent une
franchise que j'aime. Celle qui avoue ses fautes avec une telle candeur
est bien plus près de n'en jamais commettre, que celle qui
n'a jamais connu que la vertu : la première sait à quoi
s'en tenir, la seconde voudra peut-être essayer ce qu'elle ne
connaît pas. J'exige de vous, madame, de vouloir bien m'écouter
quelques instants. Votre conversion m'est précieuse, et je
veux vous faire revenir de vos erreurs. Ce n'est point un sermon que
je prétends vous faire, ce sont des vérités que
je veux vous dire, des vérités que vous déguisa
longtemps le bandeau des passions, et que vous trouverez toujours
dans votre cur quand vous voudrez l'écouter seul.
Ô Juliette ! celui qui put vous dire que les bonnes murs
étaient inutiles dans le monde, vous a tendu le piège
le plus cruel dans lequel il fût possible de vous prendre, et
celui qui put ajouter à cela que la vertu était inutile
et la religion une fable, eût peut-être mieux fait de
vous assassiner tout d'un coup : dans ce dernier cas, il ne vous faisait
éprouver qu'un instant de douleur ; dans l'autre, il sème
la carrière de vos jours de ronces et d'infortunes. L'abus
de mots a pu vous entraîner à toutes ces erreurs : sachez
donc analyser avec justesse cette vertu qu'on voulut vous faire mépriser.
Ce qu'on appelle ainsi, Juliette, est la fidélité constante
à remplir nos obligations envers nos semblables. Or, je vous
demande quel est l'être assez insensé pour oser placer
le bonheur à ce qui brise tous les liens où nous enchaîne
la société ? Croira-t-il, cet être-là,
osera-t-il se flatter d'être le seul heureux quand il plongera
tout le monde dans l'infortune ? sera-t-il assez fort, assez puissant,
assez audacieux pour résister seul à la volonté
de tous, et pour que la somme des volontés générales
puisse céder aux irrégularités de la sienne ?
se flatte-t-il d'avoir seul des passions ? si tous les autres en ont
comme lui, comment espère-t-il assouplir aux siennes celles
de tous les autres ?
Vous m'avouerez, Juliette, qu'il n'y a qu'un fou qui puisse penser
de cette manière. Mais à supposer que l'on lui cédât,
est-il à l'abri des lois ? croit-il que leur glaive ne l'atteindra
pas comme les autres ? Voulez-vous encore le mettre au-dessus de tout
cela : eh bien, sa conscience ?... Ah ! croyez Juliette, qu'on n'échappe
jamais à cette voix terrible : vous l'avez vu, vous l'avez
éprouvé ; vous vous flattiez d'avoir étouffé
cet organe à force de lui imposer silence, mais, plus impérieux
que vos passions, il les a fait taire en les poursuivant.
En donnant à l'homme le goût de la société,
il était nécessaire que l'être quelconque qui
le lui inspirait lui donnât en même temps le goût
des devoirs qui pouvaient l'y maintenir avec agrément. Or,
dans l'accomplissement seul de ces devoirs se trouve la vertu. La
vertu est donc un des premiers besoins de l'homme, elle est le seul
moyen de sa félicité sur la terre.
Oh ! combien maintenant les vérités religieuses découlent
facilement de ces premières vérités morales,
et combien l'existence d'un Être suprême est facile à
démontrer au cur de l'homme vertueux ! Les sublimités
de la nature, Juliette, voilà les vertus de l'Être créateur,
comme la bienfaisance et l'humanité sont celles de l'être
créé, et de l'enchaînement des uns aux autres
naît la concorde de l'univers.
Dieu est le foyer de la sagesse suprême dont l'âme de
l'homme est un rayon ; dès que vous fermez votre âme
à ce feu divin, il n'y aura plus qu'erreur et infortune pour
vous sur la terre. Jetez les yeux sur ceux qui ont voulu vous donner
des principes différents, analysez de sang-froid leurs motifs
: en avaient-ils d'autres que ceux de vous séduire et d'abuser
de votre bonne foi ? en nourrissaient-ils d'autres que ceux de flatter
leurs méprisables et dangereuses passions ? Et ils se trompaient
encore, voilà ce qu'il y a de pis, voilà ce que le malhonnête
homme ne calcule jamais : pour assurer une de ses jouissances, il
en perd mille, et pour passer un jour heureux, il s'en prépare
un million d'horribles. La contagion du vice est telle, que celui
qui en est atteint veut empoisonner tout ce qui l'entoure ; la vertu
blesse ses regards, il voudrait la cacher aux autres et le malheureux
ne sent pas que tous les efforts qu'il fait pour l'anéantir
deviennent du triomphes pour elle. La jouissance de celui qui fait
le mal est de l'aggraver tous les jours : mais l'instant où
il faut qu'il s'arrête ne lui prouve-t-il pas sa faiblesse ?
En est-il de même de la vertu ? Plus il en améliore les
jouissances, plus elles deviennent délicates, et s'il veut
atteindre les bornes, il ne les trouve que dans le sein d'un Dieu
où son existence se réunit pour revivre éternellement.
Ô Juliette ! que la vertu et la religion ont de douceurs ! J'ai
vécu comme les autres hommes, vous le voyez, puisque c'est
dans une maison de plaisir où j'ai l'avantage de vous connaître
; mais au milieu de toutes mes passions, au plus grand feu des travers
de ma jeunesse, la vertu m'a toujours paru belle, et ce fut toujours
dans les devoirs qu'elle m'imposa que je trouvai mes plus douces jouissances.
Soyez de bonne foi, Juliette, comment pouvez-vous supposer qu'il puisse
y avoir plus de charmes à faire couler les pleurs de l'infortune
qu'à soulager les maux du misérable ! Je veux bien vous
accorder un moment qu'il puisse exister des âmes assez dépravées
pour admettre une jouissance dans le premier cas : croyez-vous qu'elle
vaille celle du second ? Ce qui est excessif, et ce qui n'affecte
qu'un instant, peut-il se comparer à une jouissance pure, douce
et prolongée ? La haine et les malédictions de nos semblables,
en un mot, peuvent-elles valoir leur amour et leur bienveillance ?
Êtes-vous immortel, êtes-vous impassible, homme immoral
et dépravé ? Ne flottez-vous pas, comme nous, sur cet
océan dangereux de la vie, et, comme nous, n'avez-vous donc
pas besoin de secours si vous venez à faire naufrage ? Croyez-vous
retrouver les hommes, quand vous les aurez insultés ? et vous
croyez-vous donc un Dieu, pour pouvoir vous passer des hommes ?
Si vous m'accordez ces premiers principes, avec quelle facilité
je vais vous conduire, en aimant les vertus, à l'adoption de
l'Être qui les réunit toutes... Ô Juliette ! quel
est-il donc, le funeste aveuglement de l'athée ? Ah ! je ne
vous demande que l'examen des beautés de l'univers, pour vous
convaincre de la nécessité de l'existence de son divin
auteur. C'est le prestige des passions qui empêche l'homme de
reconnaître son Dieu : celui qui s'est rendu coupable aime à
douter de l'existence de son juge ; il trouve plus court de le nier
que de le craindre, et il devient moins pénible pour lui de
dire : Il n'y a point de Dieu, que d'être obligé de redouter
celui qu'il outragea. Mais, éloignant de lui ces préjugés
qui l'ont trompé, qu'il jette un coup d'il impartial
sur la nature : il y reconnaîtra, dans tout, l'art infini de
son auteur.
Ah ! Juliette, la théologie n'est une science que pour le vicieux
; elle est la voix de la nature pour celui qu'anime la vertu : image
du Dieu qu'il adore et qu'il sert, il serait bien fâché,
celui-là, si sa consolation n'était qu'une fable. Oui,
l'univers porte le caractère d'une cause infiniment puissante
et industrieuse, et le hasard, triste et faible ressource des malhonnêtes
gens, c'est-à-dire le concours fortuit de causes nécessaires
et privées de raison, ne saurait avoir rien formé.
L'Être suprême admis, comment se refuser au culte qui
lui est dû ? Ce qu'il y a de plus sublime au monde ne mérite-t-il
pas nos hommages ? celui de qui nous tenons toutes nos jouissances
n'a-t-il donc pas des droits à nos remerciements ? Une fois-là,
combien il me deviendra facile de vous prouver que, de tous les cultes
de la terre, le plus raisonnable de tous est celui dans lequel vous
êtes née... Ah ! Juliette, si vous aimez la vertu, vous
aimerez bientôt la sagesse du divin auteur de votre religion.
Jetez les yeux sur la sublime morale qui la caractérise, et
voyez s'il fut un seul philosophe de l'antiquité qui en prêchât
une plus pure et une plus belle. L'intérêt, l'ambition,
l'égoïsme, s'annoncent dans la morale de tous les autres
: celle du Christ seule n'a d'autre vue que l'amour des hommes. Platon,
Socrate, Confucius, Mahomet, attendent une réputation et des
sectateurs : l'humble Jésus ne voit que la mort, et sa mort
même est un exemple.
J'écoutais cet homme sensé... Juste ciel ! me dis-je
en moi-même, voilà sans doute l'ange dont la Durand m'a
parlé, voilà celui qui doit m'annoncer des vertus incompréhensibles...
Et je serrais machinalement la main de ce nouvel ami ; des larmes
coulaient de ses yeux, il me pressait dans ses bras.
- Non, monsieur, lui dis-je, je ne me sens pas digne du bonheur que
vous m'offrez... j'en ai trop fait, le retour serait impossible.
- Ah ! me répondit-il, que vous connaissez mal et la vertu,
et le Dieu puissant dont elle émane ! Jamais le sein de ce
Dieu juste ne fut fermé au repentir ; implorez-le, Juliette,
implorez-le avec ardeur, et sa grâce est à vous. Ce ne
sont point de vaines formules ni des pratiques superstitieuses que
j'exige de vous ; c'est de la foi, c'est de la vertu. C'est l'assemblage
de toutes ces façons de vous conduire, qui peut assurer sur
la terre les longues années que vous avez à y vivre,
et c'est pour votre bonheur que je vous les désire. Ceux qui
n'ont aimé de vous que vos vices, parce que les leurs y trouvaient
un attrait de plus, étaient loin de vous parler ce langage
: il n'appartenait qu'à l'ami de votre âme d'oser vous
le tenir, et vous le pardonnerez, mademoiselle, au désir ardent
que j'ai de vous voir heureuse.
S'il faut vous l'avouer, mes amis, le joli petit sermon de M. de Lorsange
ne m'avait nullement persuadée : la raison avait fait sur moi
des progrès trop grands, pour qu'il me fût possible d'entendre
encore la voix du préjugé et celle de la superstition.
Quels moyens employait d'ailleurs le pauvre Lorsange ! Il n'y avait
rien de si ridicule que d'établir (et surtout à mes
yeux) le bonheur de l'homme sur la nécessité de la vertu
: d'où venaient donc tous mes malheurs, si ce n'est de ma faiblesse
de l'avoir un instant écoutée ? Je vous demande ensuite
si l'induction captieuse que Lorsange tirait de son système
pouvait éblouir, même un instant, quelqu'un d'aussi ferme
que moi. Si la vertu devenait nécessaire, disait-il, la religion
l'était également, d'où il résultait qu'entassant
des mensonges sur des préjugés, toutes les maximes de
mon instituteur s'écroulaient aussitôt qu'on en fouillait
les bases. Eh ! non, non, me dis-je, la vertu n'est point nécessaire,
elle n'est que nuisible et dangereuse : n'en ai-je pas fait la fatale
expérience ? et toutes les fables religieuses qu'on veut étayer
sur elle ne peuvent avoir, comme elle, que l'absurdité pour
principe. L'égoïsme est la seule loi de la nature ; or,
la vertu contrarie l'égoïsme, puisqu'elle consiste en
un sacrifice perpétuel de ses penchants au bonheur des autres
: si la vertu prouve Dieu, comme l'établit Lorsange, qu'est-ce
donc que le Dieu qu'on échafaude sur la plus grande ennemie
de la nature ? Ô Lorsange ! tout votre édifice s'écroule
de lui-même, et vous n'avez bâti que sur le sable. La
vertu n'est point utile à l'homme, et le Dieu que vous établissez
sur elle est la plus absurde de toutes les chimères. L'homme,
créé par la nature, ne doit écouter que les impressions
qu'il en reçoit, et quand il dépouillera cet organe
de tous les préjugés de son existence, il n'y trouvera
jamais, ni la nécessité d'un Dieu, ni celle de la vertu.
Mais il faut feindre, je le dois au malheureux état où
le sort me réduit ; la main de Lorsange m'est indispensable
pour rentrer dans la carrière de la fortune ; emparons-nous-en,
à quelque prix que ce puisse être ; que la feinte et
la fausseté soient toujours mes premières armes : la
faiblesse de mon sexe les lui rend urgentes, et mes principes particuliers
doivent en faire la base de mon caractère.
Je m'étais fait depuis longtemps une assez grande habitude
du mensonge, pour pouvoir en imposer avec facilité dans telles
circonstances que ce pût être. J'eus l'air de me rendre
aux conseils de Lorsange ; je cessai de recevoir du monde chez moi
; chaque fois qu'il y venait, il me trouvait toujours seule, et ses
prétendus progrès sur mon âme furent tels qu'on
me vit bientôt à la messe, Lorsange donna dans le piège
; vingt mille livres de rente me furent reconnues, et je l'épousai
six mois après mon arrivée dans la ville d'Angers. Comme
j'avais assez bien pris dans ce pays, et que mes anciennes erreurs
n'y étaient sues de personne, le choix de M. de Lorsange fut
généralement applaudi, et je me vis bientôt à
la tête de la meilleure maison de la ville. Mon hypocrisie me
redonnait une aisance que m'avait enlevée la crainte du crime...
Et voilà donc encore une fois le vice au pinacle : ô
mes amis ! l'on a beau dire, il y sera toujours, tant qu'il y aura
des hommes.
Je ne vous parlerai point de mes plaisirs conjugaux avec M. de Lorsange
: le cher homme n'en connaissait que de simples, comme son esprit.
Ignorant en lubricité comme en philosophie, pendant les deux
années que j'eus le malheur d'être sa femme, le pauvre
diable n'imagina seulement pas une recherche. Excédée
de cette monotonie, je désirai bientôt quelques distractions
dans cette ville : le sexe m'était assez égal, et pourvu
que je trouvasse de l'imagination, l'objet m'était indifférent.
Mes recherches furent longues ; l'éducation sévère
des provinces, la rigidité des murs, la médiocrité
de la population, celle des fortunes, tout entravait mes démarches,
tout mettait des obstacles à mes, plaisirs.
Une jeune personne de seize ans, fort jolie, fille d'une vieille amie
de mon époux, fut la première que j'attaquai. Caroline,
séduite par l'immoralité de mes systèmes, céda
bientôt à mes désirs. Mais Caroline, qui n'était
que belle, pouvait-elle fixer quelqu'un qui, comme moi, ne bandait
que d'imagination ? La pauvre enfant n'en avait pas du tout. Je la
laissai bientôt là pour une autre, et celle-ci pour une
troisième. Je trouvais d'assez jolies personnes, mais des têtes
d'un froid !... pas le plus léger écart. Oh ! Clairwil,
que je te regrettais ! combien tu manquais à mon bonheur !
On a beau dire, celui qui aime le vice, qui le chérit depuis
son enfance, ou par goût ou par habitude, celui-là, dis-je,
trouvera toujours bien plus sûrement sa félicité
dans la continuelle pratique de ses habitudes dépravées,
que n'en pourra rencontrer celui qui n'a jamais frayé que l'ennuyeuse
route de la vertu.
J'essayai des hommes : je ne fus guère plus heureuse.
J'en étais au dixième, lorsqu'un jour, me trouvant à
la messe à côté de mon vertueux époux,
je crus reconnaître dans le célébrant ce certain
abbé Chabert avec lequel j'avais eu quelques liaisons dans
la Société des Amis du Crime... garçon charmant
que vous voyez encore aujourd'hui chez moi. Jamais la messe ne m'avait
paru si longue : elle finit enfin. M. de Lorsange se retire ; j'affecte
de rester pour quelques prières. Je fais demander le prêtre
qui vient d'officier... Il vient : c'était Chabert !
Nous passâmes promptement dans une chapelle isolée, et
là, l'aimable abbé, après s'être mille
fois félicité du bonheur qu'il avait de me revoir, me
dit que de gros bénéfices qu'il possédait dans
ce diocèse, l'obligeait à dissimuler, mais que je ne
devais pas être dupe des singeries où sa politique le
contraignait ; que sa façon de penser, ma habitudes étaient
toujours les mêmes, et qu'il m'en donnerait des preuves quand
je voudrais. De mon côté, je lui racontai mon histoire.
N'étant, lui, que depuis huit jours dans cette ville, il ignorait
que j'y fusse, et il me pressait vivement de renouveler amplement
notre connaissance.
- Abbé, lui dis-je, n'allons pas plus loin pour cela : fous-moi
dans ce lieu même ; cette église est fermée, cet
autel nous servira de lit. Hâte-toi de me raccommoder avec des
plaisirs dont je pleure tous les jours la perte. Crois-tu que, depuis
que je suis dans cette maudite ville, pas un des êtres auxquels
je me suis livrée ne s'est avisé de regarder mon cul,
moi qui ne chéris que ces attaques, et qui ne vois tous les
autres plaisirs que comme les accessoires ou les épisodes de
celui-là !
- Eh bien, livrons-nous-y ! dit Chabert en appuyant mon ventre sur
l'autel, et retroussent mes jupes par derrière ...
Puis, admirant mes fesses :
- Ah ! Juliette, s'écria-t-il, ton cul est toujours le même
... c'est toujours celui de Vénus !...
L'abbé s'incline, il le baise. J'aime à sentir, dans
mon derrière, cette langue où vient de reposer un Dieu
!... Son vit la remplace bientôt... et me voilà sodomisée
jusqu'aux couilles... Oh ! mes amis, comme les rechutes sont délicieuses
! je ne puis vous peindre le plaisir que j'eus : il est aussi crue]
d'interrompre les habitudes du mal qu'il est délicieux de les
reprendre. Depuis l'abstinence forcée de ce genre de plaisir,
j'en avais éprouvé les plus violents besoins ; ils se
manifestaient par des picotements dans cette partie, assez violents
pour me contraindre à les apaiser avec des godemichés.
Chabert me rendit à la vie : s'apercevant de l'extrême
plaisir qu'il me faisait, il prolongea sa jouissance, et le fripon,
jeune et vigoureux encore, me déchargea trois fois de suite
dans le cul.
- Conviens qu'il n'y a que cela de bon, Juliette ! me dit-il en se
relevant.
- Oh ! l'abbé, à qui le dis-tu ! quelle plus fidèle
zélatrice de la sodomie pourras-tu rencontrer de tes jours
! Il faut nous voir mon cher, il le faut absolument.
- Oui, Juliette, il le faut, et je veux que vous ayez doublement à
vous louer de ma rencontre.
- Comment cela ?
- J'ai des amis.
- Et vous me destinez à être leur putain ?
- Ce parti convient mieux à un physique comme le vôtre,
que celui que vous avez pris.
- Oh ! combien m'est précieuse la justice que tu me rends !
Quel triste rôle à jouer dans le monde, que celui d'une
honnête femme : ce titre seul suppose la bêtise. Toute
femme pudique est une imbécile qui, manquant de force pour
secouer au préjugée, y reste ensevelie par stupidité
ou par défaut de tempérament, et n'est dès lors
qu'un être manqué par la nature, ou qu'une erreur de
ses caprices. Les femmes, machines de l'impudicité, sont nées
pour l'impudicité, et celles qui s'y refusent ne sont faites
que pour languir dans le mépris.
Chabert connaissait mon mari ; il me le peignit comme un bigot, et
m'engagea vivement à semer quelques roses sur les épines
de l'hymen. Il savait que M. de Lorsange devait aller le lendemain
dans une de ses terres : il me conseilla de profiter de ce moment
pour aller voir, dans une campagne où il me mènerait,
un échantillon de nos débauches parisiennes.
- Ce que vous me faites ici est affreux, dis-je en persiflant, vous
dérangez tous mes projets de vertu ! Devez-vous flatter mes
passions ? devez-vous m'aplanir la route du crime ? devez-vous enlever
une femme à son mari ? Vous en répondrez sur votre conscience
! Cessez vos entreprises, il en est temps ; ce ne sont que des projets.
Je n'ai qu'à consulter un directeur moins perverti que vous
: il m'apprendra à résister à des désirs
aussi criminels ; il. me prouvera qu'ils ne sont les fruits que d'une
âme corrompue ; qu'on se prépare, en s'y livrant, des
remords éternels, et des remords d'autant plus affreux, qu'il
est des sortes de maux qu'on ne peut jamais réparer... Il ne
me dira pas, comme vous, que je peux tout faire... que je n'ai rien
à craindre ; il. n'encouragera pas mes égarements par
l'espoir de l'impunité ; il ne m'aplanira pas la route de l'adultère
et de la sodomie ; il ne m'encouragera pas à tromper mon époux
... un époux sage... vertueux, qui se sacrifie pour sa femme
... Oh ! non, non, il m'effrayera, au contraire, par les grandes terreurs
de la religion : il me rappellera, comme le vertueux Lorsange, un
Dieu, mort pour me préparer la grâce éternelle16
; il me fera sentir combien je suis coupable en négligeant
de semblables faveurs... Mais, je l'avoue, mon cher abbé, celle
qui est aussi libertine... aussi scélérate que tu me
connus autrefois enverrait au diable celui qui lui parlerait ainsi.
Elle lui dirait : Mon ami, j'abhorre la religion ; je bafoue ton Dieu
et me moque de tes conseils ; maladroit enfroqué, la vertu
me déplaît, le vice m'amuse, et c'est pour me délecter
que la nature m'a placée dans le monde.
- Mauvaise tête, me dit Chabert en nous séparant, tu
es toujours la même... toujours aussi aimable ! Et dans la solitude
où nous vivons ici, je me félicite bien de t'avoir rencontrée.
Je fus exacte au rendez-vous. Il y avait quatre hommes et quatre femmes,
sans compter Chabert et moi. Trois des femmes se trouvaient du nombre
de celles avec qui je m'étais branlée ; les quatre hommes
m'étaient charnellement inconnus. L'abbé nous fit la
plus grande chère, et nous nous gorgeâmes de libertinage.
Les femmes étaient jolies, les hommes vigoureux ; mon cul fut
foutu par tous les hommes, mon con branlé... sucé par
toutes les femmes. Je déchargeai prodigieusement. Je ne vous
décrirai point cette partie, huit ou dix qui la suivirent pendant
mon séjour à Angers. Vous êtes las de descriptions
lubriques, et je ne vous détaillerai plus que celles que je
croirai dignes de l'être par le caractère de crimes ou
de singularités qu'elles porteront.
Revenons maintenant sur quelques détails essentiels. Onze mois
après mon mariage avec M. de Lorsange, je lui lançai,
pour fruit de son premier hymen, une petite fille charmante, à
laquelle, par politique, je m'efforçai de donner le jour. Ce
procédé était essentiel ; il fallait fixer sur
ma tête la fortune de celui qui m'avait donné son nom
: je ne le pouvais sans un enfant... Mais était-il bien de
mon vertueux époux ?... Voilà ce que vous voulez savoir,
n'est-ce pas, curieux importuns ?... Eh bien ! trouvez bon que je
vous fasse ici la réponse de la Polignac à son mari,
sur une question aussi indiscrète : « Oh ! monsieur,
quand on se frotte sur un fagot de roses, comment savoir quelle est
celle qui nous a piqué ? »
Mais que tout cela faisait-il ? Lorsange prit tout et ne refusa rien
! L'honneur et les charges de la paternité lui restèrent
: en fallait-il davantage pour mon avarice ? Cette petite fille, que
mon époux nomma Marianne, finissait sa première année,
et sa mère sa vingt-quatrième, lorsque les plus solides
réflexions m'engagèrent à quitter la France.
J'avais reçu quelques lettres anonymes qui m'avertissaient
que Saint-Fond, toujours dans le plus grand crédit et redoutant
mes indiscrétions, se repentait de ne m'avoir pas fait enfermer,
et qu'il s'informait de moi de toutes parts. Craignant que mon changement
de nom et de fortune ne me mît pas encore assez à couvert,
je résolus de placer les Alpes entre sa haine et moi. Mais
il fallait briser mes liens : pourrais-je exécuter ce projet,
tant que je serais sous la puissance d'un époux ? Peu gênée
par ce frein, je ne m'occupai plus que des moyens de l'anéantir
avec autant de mystère que de sûreté. Tout ce
que j'avais fait en ce genre aplanissait à mes regards un crime
d'aussi peu d'importance ; je me branlai en le combinant, et l'extrême
volupté dont ce complot me fit jouir me détermina bientôt
à l'exécution. Il me restait six prises de chacun des
poisons achetés chez la Durand : j'administrai à mon
cher époux le royal, et par respect pour sa personne et parce
que le temps qui devait s'écouler, depuis la prise de ce poison
jusqu'à la mort de ce tendre époux, me mettait absolument
à l'abri.
Rien de sublime comme la mort de M. de Lorsange. Il fit et dit les
plus belles choses du monde : sa chambre devint une chapelle où
tous les sacrements se célébrèrent. Il m'exhorta,
me sermonna, m'ennuya, me recommanda sa prétendue petite fille,
et rendit l'âme entre les bras de trois ou quatre confesseurs.
En vérité, si cela avait duré seulement deux
jours de plus, je crois que je l'aurais laissé mourir tout
seul.
Les soins dus, à ce qu'on assure, aux moribonds, sont encore
une de ces obligations sociales que je n'entends pas. Il faut tirer
tout le parti possible d'une créature vivante ; mais dès
que la nature, en l'affligeant par des maladies, nous avertit qu'elle
travaille à réunir cette créature à elle,
dans la crainte de contrarier ses lois, nous ne devons plus nous en
mêler : il faut la laisser aller, aider même à
ses intentions. Les malades, en un mot, doivent être abandonnés
; il faut placer près d'eux quelques objets de soulagement...
se retirer ensuite. Il est contre la nature que des gens sains aillent,
par un procédé qui contrarie les lois de cette même
nature, respirer par anticipation l'air infecté de la chambre
du malade, et s'exposer à le devenir eux-mêmes, pour
faire quelque chose de criminel : rien ne l'était, selon moi,
davantage que de vouloir contraindre la nature à rétrograder.
En mettant toujours mes principes en actions, je proteste bien qu'on
ne me verra jamais donner nuls soins à des malades, ni les
soulager en quoi que ce puisse être. Qu'on ne me dise point
que c'est la dureté de mon caractère qui me force à
penser ainsi : cette opinion ne vient que de mon esprit, et il me
trompe rarement en systèmes.
Mon très chaste époux dans la terre, je pris son deuil
avec grand plaisir. Jamais veuve ne fut, dit-on, plus charmante dans
ce costume, sous lequel je me fis foutre, dès le jour même,
dans la société de Chabert. Mais ce que je trouvai de
plus délicieux encore que ces atours lugubres, ce furent les
quatre belles terres évaluées à cinquante mille
livres de rente, dont je devins maîtresse, ainsi que les cent
mille francs d'argent comptant que je trouvai dans les coffres de
mon mari. Voici bien amplement de quoi faire mon voyage d'Italie,
dis-je, en faisant passer ces rouleaux de la cassette du défunt
dans la mienne...
Et voilà donc la main du sort... toujours ami du crime, et
le couronnant encore une fois dans l'une de ses plus fidèles
zélatrices.
Par un hasard très heureux pour moi, l'abbé Chabert,
longtemps en Italie, put garnir mon portefeuille des meilleures lettres
de recommandation. Je lui laissai ma fille, dont il me promit d'avoir
tous les soins possibles, soins nécessités bien plus
par mon intérêt que par une tendresse maternelle trop
éloignée de mes systèmes pour jamais être
éprouvée de mon cur. Je ne pris avec moi, pour
objets de luxure, qu'un grand laquais de figure charmante, nommé
Zéphyr, et dont j'étais bien souvent la Flore, et une
femme de chambre, nommée Augustine, âgée de dix-huit
ans, et belle comme le jour. Accompagnée de ces deux honnêtes
sujets, d'une autre femme sans conséquence, et le coffre-fort
bien garni, je pris la poste, sans m'arrêter, jusqu'à
Turin, et je ne fis que là mon premier séjour.
Oh ! Dieu ! me dis-je, en respirant un air et plus pur et plus libre,
me voilà donc dans cette partie de l'Europe si intéressante
et si recherchée par les curieux. Me voilà dans la patrie
des Nérons et des Messalines : je pourrai peut-être,
en foulant le même sol que ces modèles de crimes et de
débauches, imiter à la fois les forfaits du fils incestueux
d'Agrippine et les lubricités de la femme adultère de
Claude ! Cette idée ne me laissa pas dormir de la nuit et je
la passai dans les bras d'une jeune et jolie fille de l'Hôtel
d'Angleterre, où j'étais descendue... délicieuse
créature que j'avais trouvé le moyen de séduire
dès en arrivant, et dans le sein de laquelle je goûtai
des plaisirs divins.
Il n'y a point, dans toute l'Italie, de ville plus régulière
et plus ennuyeuse que Turin : le courtisan y est fastidieux, le citadin
fort triste, le peuple dévot et superstitieux. Très
peu de ressources, d'ailleurs, pour les plaisirs. J'avais, en partant,
formé le projet d'une véritable libertine, et c'est
à Turin que j'en commençai l'exécution. Mon dessein
était de voyager en courtisane célèbre, de m'afficher
partout, de joindre à ma fortune le tribut retiré de
mes charmes, et de profiter, pour le compte de mon libertinage, de
tout ce qui ne me serait présenté que par les mains
de la jeunesse et de la vigueur. Dès le lendemain de mon arrivée,
je fis dire en conséquence à la signora Diana, la plus
célèbre appareilleuse de Turin, qu'une jeune et jolie
Française était à louer, et que je l'engageais
à me venir voir, pour prendre mes arrangements. La maquerelle
ne manqua point. Je lui fis part de mes projets, et lui déclarai
que, de quinze à vingt-cinq (ans), je me donnais pour rien
quand on me garantissait la santé ; que je prenais cinquante
louis, de vingt-cinq à trente-cinq ; cent, de trente-cinq à
soixante ; et deux cents, de soixante au dernier âge de l'homme
; qu'à l'égard des fantaisies je les satisfaisais toutes,
que je me prêtais même aux fustigations.
- Et le cul, ma belle reine, me dit la signora Diana, et le cul ?...
C'est qu'il est bien recherché en Italie ! Vous gagnerez plus
d'argent avec votre cul en un mois, si vous le prêtez, qu'en
quatre ans si vous ne présentez que le con.
J'assurai Diana que, parfaitement complaisante sur cet objet, au moyen
du double, je serais parfaitement aux ordres de mes sectateurs.
Je ne fus pas longtemps sans être produite. Diana me fit dire,
dès le lendemain, de me trouver chez le duc de Chablais qui
m'attendait à souper. Après une de ces toilettes voluptueuses
où je savais si bien embellir la nature par la main savante
de l'art, j'arrivai chez Chablais, pour lors âgé de quarante
ans, et connu dans toute l'Italie par des recherches libidineuses
dans les plaisirs de Vénus. Le maître du logis était
avec un de ses courtisans, et tous deux me prévinrent que je
devais m'attendre à leur faire la chouette.
- Dépouillez-vous de ces parures, me dit le duc en me conduisant
dans un très élégant cabinet ; l'art cache si
souvent des défauts, que désormais, avec les femmes,
nous sommes déterminés, mon ami et moi, à ne
vouloir que des nudités.
J'obéis.
- On ne devrait jamais être vêtue quand on possède
un aussi beau corps, me dirent mes assaillants.
- C'est l'histoire de toutes les Françaises, dit le duc, leur
taille et leur peau sont délicieuses : nous n'avons rien de
semblable ici.
Et les libertins m'examinaient, me tournaient et me retournaient en
se fixant néanmoins de manière à me laisser bientôt
soupçonner que ce n'était pas sans raisons qu'on accusait
les Italiens de prédilection pour les charmes méconnus
de M. de Lorsange.
- Juliette, me dit le duc, il est bon de vous prévenir qu'avant
d'avoir affaire à nous, vous allez nous montrer vos talents
sur quelques jeunes garçons que nous allons faire passer tour
à tour dans ce cabinet. Mettez-vous sur ce canapé :
les hommes que je vous destine vont défiler ici l'un après
l'autre ; ils entreront par cette porte et sortiront par celle qui
est opposée. A mesure qu'ils arriveront, vous les branlerez
avec tout l'art que vous devez avoir apporté de France, car
il n'est point de pays au monde où l'on sache mieux branler
des vits. Au moment où ils seront près de décharger,
vous les approcherez tour à tour de la bouche de mon ami ou
de la mienne, ils y perdront leur foutre. Ensuite, et également
tour à tour, mon ami et moi les enculerons. Vous ne nous servirez,
vous, individuellement, que quand nous serons las de ces premières
voluptés, et vous saurez seulement alors les derniers devoirs
qui vous resteront à remplir pour terminer cette scène
de luxure.
A peine instruite, que la procession commença. Tous les jeunes
gens que j'avais à branler étaient de l'âge de
quatorze à quinze ans ; des trente que j'expédiai de
cette manière, pas un seul ne passait cet âge, et ils
étaient de la plus délicieuse figure. Tous déchargèrent,
et quelques-uns pour la première fois de leur vie. Les deux
amis avalèrent le foutre de tous, en se branlant eux-mêmes,
et les enculèrent tous trente ! Ils se tenaient mutuellement
le patient, pelotaient cinq ou six minutes dans leurs culs, et ne
déchargeaient point. En sortant de cette expédition,
la luxure les avait tellement enflammés l'un et l'autre, qu'ils
écumaient de rage.
- A votre tour, s'écria le duc, c'est vous, belle Française,
qui allez recevoir l'encens allumé par tant de jolis garçons
! votre cul, sans doute, ne sera pas si étroit que le leur,
mais nous y suppléerons.
Et ils humectèrent le trou de mon cul d'une essence dont l'effet
fut tel, qu'ils me déchirèrent et me mirent en sang
quand il fut question de m'enculer ; tous deux y passèrent
l'un après l'autre, et tous deux déchargèrent
avec d'incroyables marques de plaisir. Six petits garçons les
entouraient en cet instant ; deux faisaient baiser leur derrière,
ils en branlaient un de chaque main, et deux se relayaient pour leur
gamahucher le cul en leur chatouillant les couilles en dessous. Ils
disparurent ; je restai seule dans le cabinet. Une vieille femme vint
m'y reprendre, et me ramena dans mon hôtel, après m'avoir
compté mille sequins. Courage, me dis-je, mes promenades en
Italie ne me coûteront pas cher, et j'économiserai le
bien de Mlle de Lorsange, si je trouve une pareille aubaine dans toutes
les villes où je passerai ! Ah ! les fleurs ne naissent pas
toujours sous les pas des courtisanes publiques ; et dès que
de plein gré j'en reprenais le titre, il était juste
qu'avec les bénéfices j'acceptasse également
les charges : mais nous n'en sommes point encore aux dangers.
Tout dévot qu'est le roi de Sardaigne, il aime le libertinage.
Chablais lui avait raconté notre entrevue : il voulut de moi.
Diana me prévint qu'il ne s'agissait que de recevoir de cette
main royale quelques clystères, qu'il devait s'amuser à
me voir rendre pendant que je lui branlais le vit, et que j'aurais
deux mille sequins pour cette opération. Curieuse de voir si
les souverains déchargeaient comme les autres hommes, je ne
balançai point. Le roi des ramoneurs s'abaissa au rôle
humiliant d'être mon apothicaire ; je lui rendis six lavements
dans la bouche ; et comme je branlais fort bien, il déchargea
très voluptueusement. Il m'offrit la moitié de son chocolat,
j'acceptai ; nous politiquâmes. Les droits que ma nation et
mon sexe me donnaient, ceux que je venais d'acquérir, ma franchise
naturelle, tout me mit à mon aise, et voici à peu près
ce que j'osai dire à ce petit despote.
- Respectable portier de l'Italie, toi qui descends d'une maison dont
l'agrandissement est un vrai miracle de politique, toi dont les ancêtres,
naguère simples particuliers, ne se sont rendus puissants qu'en
permettant aux princes extra-montains de traverser tes États
pour aller s'agrandir en Italie... permission que tes habiles ancêtres
ne leur donnaient qu'aux conditions de partager, roitelet de l'Europe,
en un mot, daigne m'écouter un moment.
Placé au-delà de tes montagnes comme l'oiseau de proie
qui attend la colombe pour la dévorer, tu commences à
comprendre que dans l'état où tu te trouves, tu n'as,
pour t'agrandir, que la sottise des cours ou leurs fausses démarches.
Voilà, je le sais, ce qu'on te disait il y a trente ans ; mais
combien le système a changé depuis lors ! La sottise
des cours est maintenant autant à ton désavantage qu'au
leur, et nulle de leurs fausses démarches ne peut t'apporter
du profit. Laisse donc là ton sceptre, mon ami, abandonne la
Savoie à la France, et restreins-toi dans les limites naturelles
que t'a prescrites la nature. Voici ces montagnes superbes qui te
dominent du côté de ma patrie : la main qui les éleva
ne te prouve-t-elle pas, en les amoncelant ainsi, que tes droits ne
peuvent dépasser ces monts ? Qu'as-tu besoin de régner
en France, toi qui ne sais pas même régner en Italie
?
Eh, mon ami ! ne propage point la race des rois ; nous n'avons déjà,
sur la terre, que trop de ces individus inutiles qui, s'engraissant
de la substance des peuples, les vexent et les tyrannisent sous le
prétexte de les gouverner. Il n'y à rien de plus inutile
dans le monde qu'un roi ; renonce à ce vain titre, avant que
la mode n'en passe, et qu'on ne te contraigne peut-être à
descendre d'un trône dont l'élévation commence
à fatiguer les yeux du peuple. Des hommes philosophes et libres
voient avec peine au-dessus d'eux un homme qui, bien analysé,
n'a ni besoins, ni force, ni mérite de plus. L'oint du Seigneur
n'est plus pour nous un personnage sacré, et la sagesse rit
aujourd'hui d'un petit individu comme toi, qui, parce qu'il a gardé
dans ses archives quelques parchemins de ses pères, s'imagine
être en droit de gouverner les hommes. Ton autorité,
mon ami, ne consiste plus que dans l'opinion : qu'elle change... elle
en est bien près, et te voilà dans la classe des portefaix
de ton empire.
Ne t'imagine pas qu'il faille grand'chose pour la faire varier : à
mesure que les hommes s'éclairent, ils apprécient ce
qui les éblouissait autrefois. Or, tes pareils et toi ne gagnent
pas à l'opération : on commence à sentir qu'un
roi n'est qu'un homme comme un autre (ce ne devrait être, tout
au plus, que par sa prudence qu'il pourrait gouverner les autres),
et qu'amolli par le luxe et le despotisme, il n'existe pas un seul
souverain au monde qui ait les qualités nécessaires
à un tel grade. La première vertu de celui qui veut
commander aux hommes est de les connaître : et comment les démêlera
celui qui, perpétuellement aveuglé par leurs flatteries...
et toujours trop éloigné d'eux, n'a jamais pu les apprécier
ni les juger ? Ce n'est pas au sein du bonheur qu'on apprend à
mener ses semblables : celui qui, n'ayant jamais été
qu'heureux, ignore ce qui convient à l'infortune, pourra-t-il
commander à des êtres toujours grevés par le malheur
? Sire, redeviens cultivateur, je te le conseille, c'est là
le seul parti qu'il te reste à prendre.
L'empereur des marmottes, un peu surpris de ma franchise, ne me répondit
que par des cajoleries aussi fausses que doit l'être tout ce
qui émane d'un Italien, et nous nous séparâmes.
On me mena, le soir, dans un cercle assez brillant où je vie,
autour d'un tapis vert, la société réunie en
deux classes : celle des fripons d'un côté, celles des
dupes de l'autre. J'appris là que l'usage, à Turin,
était de voler au jeu, et qu'un homme ne pouvait pas faire
sa cour à une femme sans se laisser escroquer par elle.
- Voilà une assez plaisante coutume, dis-je à une des
joueuses qui me mettait au fait.
- Elle est toute simple, me répondit mon institutrice. Le jeu
est un commerce : donc, toutes les ruses y doivent être permises.
Cherche-t-on chicane à un négociant, parce qu'il met
à sa fenêtre des planches qui vous induisent en erreur,
en déguisant le jour ? tous les moyens de s'enrichir sont prouvés
bons, madame : autant celui-là qu'un autre.
Ici, je me rappelai les maximes de Dorval sur le vol, et je conçus
qu'elles n'avaient rien qui ne pût s'appliquer à ce genre.
Je demandai à la femme qui m'instruisit, comment l'on pouvait
se perfectionner dans cette manière de dérober le bien
d'autrui, en l'assurant que je connaissais parfaitement les autres.
- Il y a des maîtres, me répondit-elle, et si vous voulez,
dès demain, je vous en enverrai un.
J'acceptai. L'instituteur parut, et, en huit jours, il me forma si
bien dans l'art d'être maîtresse des cartes, que je ramassai
deux mille louis pendant les trois mois que je fus à Turin.
Lorsqu'il fallut payer mon maître, il n'exigea que mes faveurs,
et comme c'était à l'italienne qu'il les exigeait, et
que cela me convenait infiniment, après m'être bien assurée
de sa santé, précaution indispensable dans ce pays-là,
je le laissai jouir d'une manière convenable à un homme
dont la trahison était le métier.
Sbrigani, c'était le nom de ce maître, joignait à
une figure séduisante, à un très beau vit, l'âge
de la force et de la santé ; trente ans au plus, beaucoup de
libertinage dans l'esprit... de la philosophie, et le plus grand art
de s'approprier le bien des autres, de quelque manière que
cela pût être. Je crus qu'un tel homme pourrait m'être
utile dans mes voyages ; je lui proposai, il accepta.
Sous quelque titre qu'un homme accompagne une courtisane en Italie,
il n'y a jamais rien là de repoussant pour ceux qui la recherchent.
Il est d'usage que le frère, le mari, le père, se retirent,
quand paraît le chaland. Les feux de ceux-ci sont-ils amortis,
le parent se remontre, se met en cercle avec vous, et repasse dans
la garde-robe, s'il prend au monsieur quelques nouvelles tentations
: on sait qu'il soutient le ménage, dont à son tour
il est soutenu, et le complaisant Italien se prête au mieux
à ces arrangements. Comme je savais assez le langage de ce
beau pays pour m'en faire supposer originaire, j'assignai sur-le-champ
à Sbrigani le rôle de mon époux, et nous partîmes
pour Florence.
Nous marchions à petites journées ; rien ne nous pressait,
et j'étais bien aise de contempler à l'aise un pays
qui donnerait l'idée du ciel, si l'on pouvait le traverser
sans voir les hommes. Le premier jour nous fûmes coucher à
Asti. Cette ville, prodigieusement déchue de son ancienne grandeur,
n'est presque plus rien aujourd'hui. Le lendemain, nous ne dépassâmes
point Alexandrie : Sbrigani m'ayant assuré qu'il y avait beaucoup
de noblesse dans cette ville, nous prîmes le parti d'y passer
quelques jours, afin d'y trouver des dupes.
Aussitôt que nous arrivions quelque part, mon soigneux époux
faisait faire une sorte de proclamation secrète, mais suffisante,
néanmoins, d'après les soins qu'il prenait, pour que
tous ceux qui se trouvaient en état de payer mes charmes, pussent
en savoir à peu près le détail et le prix.
Le premier qui se présenta fut un vieux prince piémontais,
retiré de la cour depuis dix ans ; il ne voulait, disait-il,
que voir mon derrière. Sbrigani lui fit d'abord payer cinquante
sequins le premier plaisir ; mais le duc échauffé de
la perspective, exigea bientôt davantage. Toujours soumise à
mon mari, j'annonce que je ne puis rien faire sans sa participation.
Le duc, hors d'état d'entreprendre une attaque sérieuse,
témoigne l'envie de fouetter : cette manie console les amants
du cul, on aime à outrager le dieu dont on ne peut entr'ouvrir
le temple. Au prix d'un sequin par coup, Sbrigani l'assure qu'il peut
essayer, et, au bout d'un quart d'heure, j'ai trois cents sequins
dans ma bourse. Mon époux voyant, à la manière
coulante dont agit le grand seigneur, qu'il deviendra possible de
l'attirer dans quelque piège, s'instruit de tout ce qui peut
le concerner, et le prie de faire à sa femme l'honneur de souper
chez elle. Tout bouffi de cette faveur, le vieux courtisan accepte.
- Respectable favori du plus grand prince d'Italie, dit mon époux,
en lui présentant Augustine, à qui nous avions donné
le mot, il est temps que le sang parle, il est temps que la nature
agisse dans votre âme. Rappelez-vous l'intrigue que vous eûtes
autrefois dans Venise avec la signora Delphine, épouse d'un
noble de la seconde classe : eh bien ! Excellence, voilà le
fruit de cette intrigue, Augustine est votre fille ; embrassez-la,
seigneur, elle est digne de vous. C'est moi qui formai son enfance,
et vous voyez si j'ai réussi ; j'ose me flatter d'en avoir
fait une des plus belles et des plus savantes créatures qu'il
y ait en Europe. Je vous désirais, Excellence, je vous cherchais
depuis longtemps ; ayant entendu dire que vous habitiez Alexandrie,
j'ai voulu me convaincre par mes yeux : je vois que je ne me trompe
pas, Monseigneur ; j'espère que vous récompenserez mes
soins, et que vous aurez quelques bontés pour un pauvre Italien,
qui n'a d'autres richesses que la beauté de sa femme.
La taille leste et fringante d'Augustine, qui parlait aussi bien italien
que moi, ses jolis yeux noirs et l'extrême blancheur de sa peau
ne tardèrent pas à enflammer le duc piémontais.
Et les attraits de l'inceste augmentant de beaucoup, à ses
yeux, la dose de luxure qu'il attendait de cette jolie fille, après
quelques explications, quelques éclaircissements parfaitement
donnés par Sbrigani, le pauvre duc assura que le sang s'exprimait
en lui, qu'il reconnaissait Augustine, et qu'il allait l'emmener sur
l'heure pour lui assigner le rang qu'elle devait tenir dans sa famille.
- Doucement, Monseigneur, dit mon illustre époux, votre Excellence
va vite en besogne ! cette fille est à moi, tant que vous ne
me remettrez pas les frais immenses qu'elle me coûte : dix mille
sequins les payeront à peine. Cependant l'honneur singulier
que vous avez bien voulu faire à ma femme est cause que je
me contenterai de cette légère somme : si vous voulez
qu'Augustine vous suive, ayez la complaisance de la compter, Monseigneur,
autrement je ne saurais la laisser aller.
Le duc, aussi riche que paillard, crut ne pouvoir trop payer un aussi
joli morceau ; dès le même soir l'argent est donné,
et ma femme de chambre suit son prétendu père. Parfaitement
instruite par nous, la chère fille, pour le moins aussi adroite
que moi dès qu'il s'agissait d'écorner la propriété
d'autrui, ne tarda pas à faire un excellent coup. Nous étions
allés l'attendre à Parme : quinze jours après
elle revint, et nous raconta que le duc, éperdument amoureux
d'elle, avait exigé ses couches dès le même soir.
Plus elle lui avait représenté les liens qui s'opposaient
à une telle intrigue, plus le paillard s'était échauffé,
plus il avait désiré la jouissance, en assurant qu'on
n'y regardait pas de si près en Italie. Mieux à son
aise dans sa maison, plus à même d'employer des tiers
ou des restaurants dont il n'avait apparemment osé faire usage
chez moi, le libertin en était venu à son honneur, et
le charmant cul d'Augustine, après avoir été
vigoureusement fouetté, avait fini par être foutu. L'extrême
complaisance de cette belle enfant avait tellement enflammé
le pauvre duc, qu'il l'avait comblée de présents, et
qu'il lui avait absolument donné toute sa confiance. Maîtresse
de toutes les clefs, la coquine avait décampé avec la
cassette, dans laquelle nous trouvâmes plus de cinq cent mille
francs.
Après une telle capture, vous comprenez facilement, mes amis,
que nous ne restâmes pas longtemps dans le voisinage, quoique
le danger fut bien médiocre. Il ne s'agit, en Italie, que de
changer de province pour être à l'abri de la justice
: celle d'un État ne peut plus vous poursuivre dans l'autre
; et comme l'on change d'administration tous les jours, et souvent
deux fois par jour, le crime commis à la dînée
ne peut être poursuivi le soir. Rien n'était aussi commode
pour des voyageurs comme nous, qui avions envie d'en commettre beaucoup
en chemin.
Cependant nous quittâmes les États de Parme, et ne séjournâmes
qu'à Bologne. La beauté des femmes de cette ville ne
me permit pas de passer outre, sans m'en être rassasiée
: Sbrigani, qui me servait à merveille, et que je couvrais
d'or, me procura les moyens de satisfaire ma lubricité chez
une veuve de ses amies, passionnée comme moi pour son sexe.
Cette charmante créature, âgée de trente-six ans,
et belle comme Vénus, connaissait toutes les tribades de Bologne
: en huit jours, je me branlai avec plus de cent cinquante femmes,
toutes plus jolies les unes que les autres.
Nous finîmes par aller passer une semaine entière dans
une célèbre abbaye, près de la ville, où
mon introductrice allait de temps en temps faire des incursions. Oh
! mes amis, le pinceau de l'Arétin ne peindrait qu'imparfaitement
les inconcevables luxures où nous nous livrâmes dans
cet asile sacré. Toutes les novices, plusieurs religieuses,
cinquante pensionnaires, cent vingt femmes en tout, nous passèrent
par les mains ; et je puis dire que de ma vie je n'avais été
branlée comme je le fus là. Les religieuses bolonaises
possèdent, plus qu'aucune autre femme de l'Europe, l'art de
gamahucher des cons : elles font passer leurs langues avec une telle
rapidité, du clitoris au con, et du con au cul, que, quoiqu'elles
quittent un moment l'un pour aller à l'autre, il ne me semble
pas qu'elles varient ; leurs doigts sont d'une flexibilité
et d'une agilité surprenantes, et elles ne les laissent pas
oisifs avec leurs Saphos... Délicieuses créatures !
je n'oublierai jamais vos charmes, ni l'inconcevable adresse avec
laquelle vous savez éveiller et soutenir les titillations voluptueuses
; jamais vos savantes recherches ne sortiront de ma mémoire
; et les instants les plus lubriques pour moi, seront ceux où
je me rappellerai ces plaisirs.
Toutes étaient si jolies, si fraîches, qu'il me fut impossible
de faire un choix ; si quelquefois je voulais me fixer, la multitude
des beautés qui venaient troubler mon attention, ne me laissait
plus offrir mon hommage qu'à l'ensemble. Ce fut là,
mes amis, où j'exécutai ce que les Italiennes appellent
le chapelet. Toutes, munies de godemichés et placées
dans une salle immense, nous nous enfilâmes au nombre de cent
; les grandes en con, les petites en cul, pour ménager les
pucelages. Une des plus âgées se mettait à chaque
neuvaine, on l'appelait le pater ; celles-là seules avaient
le droit de parler : elles commandaient les décharges, elles
prescrivaient les déplacements, et présidaient généralement
à tout l'ordre de ces singulières orgies.
Elles inventèrent bientôt une autre façon de me
donner du plaisir : ici, l'on ne s'occupait que de moi seule. Étendue
sur un groupe de six qui m'élevaient et me rabaissaient par
leurs mouvements voluptueux, toutes les autres venaient par demi-douzaine
consulter mes sensations et les assouvir de lubricités : une
me faisait sucer son con, j'en chatouillais une de chaque main ; une
autre, à cheval sur ma poitrine, se servait du bout de mes
tétons pour se branler ; celle-ci se frottait sur mon clitoris,
et la sixième se polluait sur mes yeux : toutes déchargeaient,
toutes m'inondaient de sperme, et jugez si le mien s'y refusait.
Enfin, je les priai de m'enculer. On plaçait un con sous ma
bouche, dont j'avalais le foutre : ce con se relayait à chaque
fois qu'un nouveau godemiché m'entrait dans le cul. Mon amie
s'en fit faire autant dans le con, et c'était un cul qu'elle
baisait.
Sbrigani, pendant ce temps-là, raccommodait, par sa profonde
adresse, les folles dépenses que je faisais, et par le moyen
de cinq ou six étrangers qu'il dévalisa, mes dilapidations
furent réparées. Heureux talent, que celui qui apprend
à n'asseoir jamais ses dépenses que sur la fortune d'autrui,
et qui rajuste toutes les brèches de la sienne, au moyen de
celle des autres !
Nous quittâmes Bologne à peu près aussi riches
que nous l'étions en arrivant, quoique j'y eusse dépensé
deux ou trois mille sequins en extravagances.
J'étais anéantie ; mais comme les excès du libertinage,
en fatiguant le corps, n'allument que davantage l'imagination, je
projetais mille nouvelles débauches : je me repentais de n'en
avoir pas fait assez, je m'en prenais à la stérilité
de ma tête, et ce fut alors que j'éprouvai bien que le
remords qu'on a de n'avoir pas tout fait dans le crime, est supérieur
à celui qu'éprouvent les âmes faibles pour s'être
écartées de la vertu.
Tel était l'état de mon physique et de mon moral, lorsque
nous traversâmes l'Apennin. Cette chaîne immense de montagnes,
qui partage l'Italie, est du plus grand intérêt pour
le voyageur curieux : il est impossible de se représenter le
pittoresque des sites qui s'offrent à tout instant dans de
certains endroits ; on découvre en entier, d'un côté,
la vaste plaine de Lombardie, de l'autre, la mer Adriatique ; munis
d'un télescope, notre vue se portait à plus de cinquante
lieues.
Nous dînâmes à Pietra-Mala, avec l'intention d'en
aller observer le volcan. Zélées sectatrices de toutes
les irrégularités de la nature, adorant tout ce qui
caractérise ses désordres, ses caprices, et les affreux
forfaits dont sa main, chaque jour, nous donne l'exemple, après
un assez mauvais repas, malgré les précautions que nous
prenions d'avoir toujours un cuisinier en avant, nous nous avançâmes
à pied dans la petite plaine sèche et brûlée
où s'aperçoit ce phénomène. Le terrain
qui l'environne est sablonneux, inculte et rempli de pierres ; à
mesure que l'on avance, on éprouve une chaleur excessive, et
l'on respire l'odeur de cuivre et de charbon de terre que le volcan
exhale. Nous aperçûmes enfin la flamme, qu'une légère
pluie fortuitement survenue rendit plus ardente : ce foyer peut avoir
trente ou quarante pieds de tour. Si l'on creuse la terre dans les
environs, le feu s'allume aussitôt, sous l'instrument qui la
déchire...
- C'est, dis-je à Sbrigani observant avec moi cette merveille,
c'est mon imagination, s'allumant sous les coups de verges que mon
cul reçoit...
La terre prise dans le milieu du foyer est cuite, consumée
et noire ; celle du voisinage est comme de la glaise, et de la même
odeur que le volcan. La flamme qui sort du foyer est extrêmement
ardente, elle brûle et consume à l'instant toutes les
matières qu'on y jette, sa couleur est violette comme celle
qui s'exhale de l'esprit de vin.
Sur la droite de Pietra-Mala, se voit un autre volcan, qui ne s'enflamme
que quand on y met le feu. Rien ne me parut plaisant comme l'expérience
que nous en fîmes : au moyen d'une bougie, nous allumâmes
toute la plaine. Avec une tête comme celle dont j'étais
douée, on ne devrait jamais voir de telles choses, il faut
que j'en convienne avec vous, mes amis ; mais la bougie que je présentais
au sol l'allumait moins vite que la flamme évaporée
de ce terrain n'embrasait mon esprit.
- Oh ! mon cher, dis-je à Sbrigani, comme je forme ici le vu
de Néron ! ne t'ai-je pas dit qu'en respirant l'air natal de
ce monstre, j'adopterais bientôt ses penchants ?
Lorsqu'il a plu, et que le foyer de ce second volcan est rempli d'eau,
cet élément s'élève en bouillonnant, et
sans rien perdre de sa fraîcheur. Ô nature ! que tu es
capricieuse !... et tu ne voudrais pas que les hommes t'imitassent
?
Il est à craindre que tous les volcans dont Florence est environnée
ne lui causent quelque dommage un jour : le bouleversement que l'on
aperçoit dans toute cette partie légitime amplement
ces craintes.
Ici, quelques idées comparatives se présentèrent
à mon esprit. N'est-il pas très probable, me dis-je,
que l'embrasement des villes de Sodome, Gomorrhe, etc., dont on nous
compose un miracle, afin de nous effrayer sur le vice national des
habitants de ces villes, n'est-il pas, dis-je, très possible
que cet embrasement n'ait été produit que parce que
ces cités se trouvaient assises sur un sol semblable à
celui-ci ? Les environs du lac Asphaltite, où elles étaient
situées, n'étaient que des volcans mal éteints
; c'était un sol égal à celui-ci : pourquoi s'obstiner
à voir du surnaturel, quand ce qui nous entoure peut être
produit par des moyens si simples ? D'autres idées, nées
de l'influence du climat, se présentèrent de même
à moi ; et quand je vis qu'à Sodome comme à Florence,
qu'à Gomorrhe comme à Naples et qu'aux environs de l'Etna
comme à ceux du Vésuve, les peuples ne chérissent
et n'adorent que la bougrerie, je me persuadai facilement que l'irrégularité
des caprices de l'homme ressemble à ceux de la nature, et que,
partout où elle se déprave, elle corrompt aussi ses
enfants17.
Alors je me crus transportée dans ces heureuses villes de l'Arabie.
C'est ici où était Sodome, me disais-je, rendons hommage
aux murs de ses habitants, et, m'inclinant sur le bord du foyer,
je présentai les fesses à Sbrigani, pendant que, sous
mes yeux, Augustine nous imitait avec Zéphyr. Nous changeâmes
; Sbrigani s'enfonça dans le beau cul de ma soubrette, et je
devins la proie de mon valet. Augustine et moi, en face l'une de l'autre,
nous nous chatouillions pendant ce temps-là.
- Voilà, certes, une charmante occupation ! nous crie tout
à coup une voix terrible qui nous parut sortir de derrière
un buisson... Ne vous dérangez pas, je veux plutôt partager
vos plaisirs que les troubler, poursuivit une espèce de centaure
en s'approchant de nous, et nous faisant voir une figure gigantesque,
et telle que de nos jours nous n'en avions encore vu.
Le personnage qui nous parlait, haut de sept pieds trois pouces, ayant
des moustaches énormes retroussées sur un visage aussi
brun qu'effrayant, nous fit croire un moment que nous parlions au
Prince des ténèbres... Surpris de la manière
dont nous le considérions :
- Comment ! s'écrie-t-il, ne connaissez-vous donc pas l'ermite
de l'Apennin ?
- Assurément non, dit Sbrigani, nous n'avons jamais entendu
parler d'un animal aussi effrayant que toi !
- Eh bien ! nous dit l'ermite, suivez-moi tous les quatre, je vous
montrerai des choses plus étonnantes encore : les occupations
dans lesquelles je vous surprends me convainquent que vous êtes
dignes d'observer ce que j'ai à vous faire voir, et de tout
partager avec moi.
- Géant, dit Sbrigani, nous aimons les choses extraordinaires,
et, pour les observer, il n'est rien que nous ne fassions, sans doute
; mais la suprême force dont il paraît que tu jouis, ne
nuira-t-elle pas à notre liberté ?
- Non, parce que je vous crois dignes de ma société,
dit ce singulier personnage ; sans cela, elle y nuirait très
certainement ; tranquillisez-vous donc et suivez-moi.
Déterminés à tout pour connaître les suites
de cette aventure, nous fîmes prévenir nos gens de retourner
nous attendre à l'auberge, jusqu'à ce que nous vinssions
les reprendre. Cette précaution prise, nous nous mîmes
en marche sous la direction de notre géant.
- Ne vous impatientez ni ne vous fatiguez, nous dit notre guide ;
nous avons du chemin à faire, mais il y a encore sept heures
du jour, et nous arriverons avant que les voiles de la nuit se soient
étendus sur l'univers.
On fit ensuite le plus grand silence, et j'eus le temps d'observer
la route et les abords de l'habitation où elle nous conduisait.
En quittant la plaine volcanique de Pietra-Mala, nous remontâmes,
pendant une heure, une haute montagne située sur la droite.
Du sommet de cette montagne, nous aperçûmes des abîmes
de plus de deux mille toises de profondeur, où nous dirigeait
notre marche. Toute cette partie était enveloppée de
bois si touffus, si prodigieusement épais, qu'à peine
y voyait-on pour se conduire. Après avoir descendu à
pic pendant près de trois heures, nous arrivâmes au bord
d'un vaste étang. Sur une île située au milieu
de cette eau, se voyait le donjon du palais qui servait de retraite
à notre guide ; la hauteur des murailles qui l'entouraient
était cause qu'on n'en pouvait distinguer le toit. Il y avait
six heures que nous marchions sans avoir rencontré la moindre
maison... pas un individu ne s'était offert à nos regards.
Une barque noire comme les gondoles de Venise nous attendait au bord
de l'étang. Ce fut de là que nous pûmes considérer
l'affreux bassin dans lequel nous étions : il était
environné de toutes parts de montagnes à perte de vue,
dont les sommets et les flancs arides étaient couverts de pins,
de mélèzes et de chênes verts. Il était
impossible de rien voir de plus agreste et de plus sombre ; on se
croyait au bout de l'univers. Nous montâmes dans la barque ;
le géant la conduisit seul. Du port au château, il y
avait encore trois cents toises ; nous arrivâmes au pied d'une
porte de fer, pratiquée dans le mur épais qui environne
le château ; là, des fossés de dix pieds de large
se présentèrent à nous, nous les traversâmes
sur un pont qui s'enleva dès que nous l'eûmes passé
; un second mur s'offrit, nous passâmes encore une porte de
fer, et nous nous trouvâmes dans un massif de bois si serré
que nous crûmes impossible d'aller plus loin. Nous ne le pouvions
effectivement plus, ce massif, formé d'une haie vive, ne présentant
que des pointes et n'offrant aucun passage. Dans son sein était
la dernière enceinte du château ; elle avait dix pieds
d'épaisseur. Le géant lève une pierre de taille
énorme et que lui seul pouvait manier ; un escalier tortueux
se présente ; la pierre se referme, et c'est par les entrailles
de la terre que nous arrivons (toujours dans les ténèbres)
au centre des caves de cette maison, desquelles nous remontons au
moyen d'une ouverture, défendue par une pierre semblable à
celle dont nous venons de parler. Nous voilà enfin dans une
salle basse toute tapissée de squelettes ; les sièges
de ce local n'étaient formés que d'os de morts, et c'était
sur des crânes que l'on s'asseyait malgré soi ; des cris
affreux nous parurent sortir de dessous terre, et nous apprîmes
bientôt que c'était dans les voûtes de cette salle
qu'étaient situés les cachots où gémissaient
les victimes de ce monstre.
- Je vous tiens, nous dit-il, dès que nous fûmes assis,
vous êtes en ma puissance ; je veux faire de vous ce qu'il me
plaira. Ne vous effrayez pourtant point : les actions que je vous
ai vus commettre sont trop analogues à ma façon de penser
pour que je ne vous croie pas dignes de connaître et de partager
les plaisirs de ma retraite. Écoutez-moi, j'ai le temps de
vous instruire avant le souper ; on le prépare pendant que
je vais vous parler.
Je suis Moscovite, né dans une petite ville qui se trouve sur
les bords du Volga. On m'appelle Minski. Mon père, en mourant,
me laissa des richesses immenses, et la nature proportionna mes facultés
physiques et mes goûts aux faveurs dont me gratifiait la fortune.
Ne me sentant point fait pour végéter dans le fond d'une
province obscure comme celle où j'avais reçu le jour,
je voyageai ; l'univers entier ne me paraissait pas encore assez vaste
pour l'étendue de mes désirs ; il me présentait
des bornes : je n'en voulais pas. Né libertin, impie, débauché,
sanguinaire et féroce, je ne parcourus le monde que pour en
connaître les vices et ne les pris que pour les raffiner. Je
commençai par la Chine, le Mogol et la Tartarie ; je visitai
toute l'Asie ; remontant vers le Kamtchatka, j'entrai en Amérique
par le fameux canal de Béring. Je parcourus cette vaste partie
du monde, tour à tour chez les peuples policés et chez
les sauvages, ne copiant jamais que les crimes des uns, les vices
et les atrocités des autres. Je rapportai dans votre Europe
des penchants si dangereux, que je fus condamné à être
brûlé en Espagne, rompu en France, pendu en Angleterre,
et massolé en Italie : mes richesses me garantirent de tout.
Je passai en Afrique ; ce fut là où je reconnus bien
que ce que vous avez la folie de nommer dépravation, n'est
jamais que l'état naturel de l'homme, et plus souvent encore
le résultat du sol où la nature l'a jeté. Ces
braves enfants du soleil se moquèrent de moi quand je voulus
leur reprocher la barbarie dont ils usaient avec leurs femmes. Et
qu'est-ce donc qu'une femme, me répondaient-ils, sinon l'animal
domestique que la nature nous donne pour satisfaire à la fois,
et nos besoins et nos plaisirs ? quels sont ses droits pour mériter
de nous, plus que le bétail de nos basses-cours ? La seule
différence que nous y voyons, me disaient ces peuples sensés,
c'est que nos animaux de ménage peuvent mériter quelque
indulgence par leur douceur et leur soumission, au lieu que les femmes
ne méritent que de la rigueur et de la barbarie, vu leur état
perpétuel de fraude, de méchanceté, de trahison
et de perfidie. Nous les foutons : d'ailleurs, et que peut-on faire
de mieux d'une femme qu'on a foutue, sinon de s'en servir comme d'un
buf, d'un âne, ou de la tuer pour s'en nourrir ?
En un mot, ce fut là où j'observai l'homme vicieux par
tempérament, cruel par instinct, féroce par raffinement
; ce caractère me plut, je le trouvai plus rapproché
de la nature, et je le préférai à la simple grossièreté
de l'Américain, à la fourberie européenne et
à la cynique mollesse de l'Asiatique. Ayant tué des
hommes à la chasse avec les premiers, ayant bu et menti avec
les seconds, ayant beaucoup foutu avec les troisièmes, je mangeai
des hommes avec ceux-ci. J'ai conservé ces goûts : tous
les débris de cadavres que vous voyez ici, ne sont que les
restes des créatures que je dévore ; je ne me nourris
que de chair humaine ; j'espère que vous serez contents du
régal que je compte vous en faire faire, et l'on a tué
pour notre souper un jeune garçon de quinze ans que je foutis
hier, et qui doit être délicieux.
Après dix ans de voyage, je revins faire un tour dans ma patrie
; ma mère et ma sur vivaient. J'étais héritier
naturel de toutes deux ; ne voulant plus remettre les pieds en Moscovie,
je crus essentiel à mes intérêts de réunir
ces deux successions : je les violai et les massacrai dans le même
jour. Ma mère était encore fort belle, aussi grande
que moi, et quoique ma sur n'eût que six pieds, c'était
bien la plus superbe créature qu'il fût possible de voir
dans les deux Russies.
Je recueillis ce qui pouvait me revenir de ces héritages, et
me trouvant près de deux millions à manger tous les
ans, je repassai en Italie avec le dessein de m'y fixer. Mais je voulais
une position singulière, agreste, mystérieuse, et dans
laquelle je pusse me livrer à tous les perfides égarements
de mon imagination ; et ces égarements ne sont pas légers,
mes amis : pour peu que nous passions quelques jours ensemble, vous
vous en apercevrez, je l'espère. Il n'est pas une seule passion
libertine qui ne soit chérie de mon cur, par un forfait
qui ne m'ait amusé. Si je n'ai pas commis plus de crimes, c'est
faute d'occasions ; je n'ai pas à me reprocher d'en avoir négligé
une seule, et j'ai fait naître toutes celles qui ne se décidaient
pas avec assez d'énergie. Si j'eusse été assez
heureux pour doubler la somme de mes forfaits, il me resterait de
plus agréables souvenirs ; car ceux du crime sont des jouissances
qu'on ne saurait trop multiplier.
Ce début va me faire passer à vos yeux pour un scélérat
; ce que vous allez voir dans cette maison, me confirmera, je l'espère,
cette réputation. Vous ne vous doutez pas de l'étendue
de ce logis : il est immense, et renferme deux cents petits garçons
dans l'âge de cinq à seize ans, qui passent communément
de mon lit dans ma boucherie, et à peu près le même
nombre de jeunes gens destinés à me foutre. J'aime infiniment
cette sensation : il n'en est pas de plus douce au monde que celle
d'avoir le cul vigoureusement limé, pendant qu'on s'amuse soi-même
de telle manière que ce puisse être. Les plaisirs que
je vous ai vus goûter tantôt sur le bord du volcan, me
prouvent que vous partagez cette façon de perdre du foutre,
et voilà pourquoi je vous parle avec tant de franchise : je
ferais, sans cela, tout simplement de vous des victimes.
J'ai deux harems. Le premier contient deux cents petites filles, de
cinq à vingt ans : je les mange, quand, à force de luxure,
elles se trouvent suffisamment mortifiées ; deux cents femmes
de vingt à trente sont dans le second : vous verrez comme je
les traite. Cinquante valets des deux sexes sont employés au
service de ce nombre considérable d'objets de lubricité,
et j'ai, pour le recrutement, cent agents dispersés dans toutes
les grandes villes du monde. Croiriez-vous qu'avec le mouvement prodigieux
qu'exige tout ceci, il n'y ait cependant, pour entrer dans mon île,
que la seule route que vous venez de faire ? On ne se douterait assurément
pas de la quantité de créatures qui passent par ce mystérieux
sentier.
Jamais les voiles que j'étends sur tout ceci ne seront déchirés.
Ce n'est pas que j'aie la moindre chose à craindre ; ceci tient
aux États du grand duc de Toscane : on y connaît toute
l'irrégularité de ma conduite, et l'argent que je sème
me met à l'abri de tout.
Il vous faut maintenant, pour achever de me faire connaître
à vous, un petit développement sur ma personne. J'ai
quarante-cinq ans ; mes facultés lubriques sont telles, que
je ne me couche jamais sans avoir déchargé dix fois.
Il est vrai que l'extrême quantité de chair humaine dont
je me nourris, contribue beaucoup à l'augmentation et à
l'épaisseur de la matière séminale. Quiconque
essayera de ce régime, triplera bien sûrement ses facultés
libidineuses, indépendamment de la force, de la santé,
de la fraîcheur, qu'entretiendra cette nourriture en lui. Je
ne vous parle pas de mon agrément : qu'il vous suffise de savoir
qu'une fois qu'on en a goûté, il n'est plus possible
de manger autre chose, et qu'il n'est pas une seule chair, d'animaux
ou de poissons, qui puisse se comparer à celle-là. Il
ne s'agit que de vaincre les premières répugnances,
et, les digues franchies, on ne peut plus s'en rassasier. Comme j'espère
que nous déchargerons ensemble, il est nécessaire que
je vous prévienne des effrayants symptômes de cette crise
en moi. D'épouvantables hurlements la précèdent,
l'accompagnent, et les jets de sperme élancés pour lors
s'élèvent au plancher, souvent dans le nombre de quinze
ou vingt. Jamais la multiplicité des plaisirs ne m'épuise
: mes éjaculations sont aussi tumultueuses, aussi abondantes
à la dixième fois qu'à la première, et
je ne me suis jamais senti le lendemain des fatigues de la veille.
A l'égard du membre dont tout cela part, le voici, dit Minski
en mettant au jour un anchois de dix-huit pouces de long sur seize
de circonférence, surmonté d'un champignon vermeil et
large comme le cul d'un chapeau. Oui, le voici, il est toujours dans
l'état où vous le voyez, même en dormant, même
en marchant...
- Oh ! juste ciel ! m'écriai-je, en voyant cet outil... Mais
mon cher hôte, vous tuez donc autant de femmes et de garçons
que vous en voyez ? ...
- A peu près, me répondit le Moscovite, et comme je
mange ce que je fous, cela m'évite la peine d'avoir un boucher.
Il faut beaucoup de philosophie pour me comprendre... je le sais :
je suis un monstre, vomi par la nature pour coopérer avec elle
aux destructions qu'elle exige... je suis un être unique dans
mon espèce... un... Oh ! oui, je connais toutes les invectives
dont on me gratifie, mais assez puissant pour n'avoir besoin de personne,
assez sage pour me plaire dans ma solitude, pour détester tous
les hommes, pour braver leur censure, et me moquer de leurs sentiments
pour moi, assez instruit pour pulvériser tous les cultes, pour
bafouer toutes les religions et me foutre de tous les Dieux, assez
fier pour abhorrer tous les gouvernements, pour me mettre au-dessus
de tous les liens, de tous les freins, de tous les principes moraux
je suis heureux dans mon petit domaine. J'y exerce tous les droits
de souverain, j'y goûte tous les plaisirs du despotisme, je
ne crains aucun homme, et je vis content. J'ai peu de visites, point
même, à moins que, dans mes promenades, je ne rencontre
des êtres, qui, comme vous, me paraissent assez philosophes
pour venir s'amuser quelque temps chez moi : voilà les seuls
que j'invite et j'en rencontre peu. Les forces dont m'a gratifié
la nature me font étendre très loin ces promenades :
il n'y a pas de jours où je ne fasse douze ou quinze lieues...
- Et par conséquent quelques captures, interrompis-je.
- Des captures, des vols, des incendies, des meurtres : tout ce qui
se présente de criminel à moi, je l'exécute,
parce que la nature m'a donné le goût et la faculté
de tous les crimes et qu'il n'en est aucun que je ne chérisse,
et dont je ne fasse mes plus doux plaisirs.
- Et la justice ?
- Elle est nulle dans ce pays-ci ; voilà pourquoi je m'y suis
placé : avec de l'argent on fait tout ce qu'on veut... et j'en
répands beaucoup18.
Deux esclaves masculins de Minski, basanés et de figures hideuses,
vinrent avertir que le souper était servi ; ils se mirent à
genoux devant leur maître, lui baisèrent respectueusement
les couilles et le trou du cul, et nous passâmes dans une autre
salle.
- Il n'y a point de préparatifs pour vous, dit le géant
: tous les rois de la terre viendraient me voir, que je ne m'écarterais
pas de mes coutumes.
Mais le local et les accessoires de la pièce où nous
entrâmes méritent quelques descriptions.
- Les meubles que vous voyez ici, nous dit notre hôte, sont
vivants : tous vont marcher au moindre signe.
Minski fait ce signe, et la table s'avance : elle était dans
un coin de la salle, elle vient se placer au milieu ; cinq fauteuils
se rangent également autour ; deux lustres descendent du plafond
et planent au milieu de la table.
- Cette mécanique est simple, dit le géant, en nous
faisant observer de près la composition de ces meubles. Vous
voyez que cette table, ces lustres, ces fauteuils, ne sont composés
que de groupes de filles artistement arrangés ; mes plats vont
se placer tout chauds sur les reins de ces créatures ; mes
bougies sont enfoncées dans leurs cons, et mon derrière,
ainsi que les vôtres, en se nichant dans ces fauteuils, vont
être appuyés sur les doux visages ou les blancs tétons
de ces demoiselles : c'est pour cela que je vous prie de vous trousser,
mesdames, et vous, messieurs, de vous déculotter, afin que,
d'après les paroles de l'Écriture, la chair puisse reposer
sur la chair.
- Minski, observai-je à notre Moscovite, le rôle de ces
filles est fatigant, surtout si vous êtes longtemps à
table.
- Le pis-aller, dit Minski, est qu'il en crève quelques-unes,
et ces pertes sont trop faciles à réparer pour que je
puisse m'en occuper un instant.
Au moment où nous nous troussions et où les hommes se
déculottaient, Minski exiges que nos fesses lui fussent présentées
; il les mania, il les mordit, et nous remarquâmes que de nos
quatre culs, celui de Sbrigani, par un raffinement de caprices facile
à supposer dans un tel homme, fut celui qu'il fêta le
plus ; il le gamahucha pendant près d'un quart d'heure. Cette
cérémonie faite, nous nous assîmes à cru
sur les tétons et les visages des sultanes, ou plutôt
des esclaves de Minski.
Douze filles nues, de vingt à vingt-cinq ans, servirent les
plats sur les tables vivantes, et comme ils étaient d'argent
et fort chauds, en brûlant les fesses ou les tétons des
créatures qui formaient ces tables, il en résulta un
mouvement convulsif très plaisant, et qui ressemblait aux agitations
des flots de la mer. Plus de vingt entrées ou plats de rôti
garnissaient la table, et sur des servantes composées de quatre
filles groupées, et qui s'approchèrent de même
au plus léger signal, furent placés des vins de toute
espèce.
- Mes amis, nous dit notre hôte, je vous ai prévenus
qu'on ne se nourrissait ici que de chair humaine ; il n'est aucun
des plats que vous voyez qui n'en soit.
- Nous en tâterons, dit Sbrigani ; les répugnances sont
des absurdités : elles ne naissent que du défaut d'habitude
; toutes les viandes sont faites pour sustenter l'homme, toutes nous
sont offertes à cet effet par la nature, et il n'est pas plus
extraordinaire de manger un homme qu'un poulet.
En disant cela, mon époux enfonça une fourchette dans
un quartier de garçon qui lui parut fort bien apprêté,
et, en ayant mis au moins deux livres sur son assiette, il les dévora.
Je l'imitai. Minski nous encourageait ; et comme son appétit
égalait toutes ses passions, il eut bientôt vidé
une douzaine de plats.
Minski buvait comme il mangeait : il était déjà
à sa trentième bouteille de Bourgogne, quand on servit,
l'entremets qu'il arrosa de Champagne ; l'Aleatico, le Falerne, et
autres vins précieux d'Italie, furent avalés au dessert.
Plus de trente nouvelles bouteilles de vin étaient encore entrées
dans les entrailles de notre anthropophage, lorsque ses sens suffisamment
enivrés de toutes ces débauches physiques et morales,
le vilain nous déclara qu'il avait envie de décharger.
- Je ne veux foutre aucun de vous quatre, nous dit-il, parce que je
vous tuerais ; mais, au moins, vous servirez mes plaisirs... vous
les examinerez : je vous crois dignes d'en être échauffés...
Allons, qui voulez-vous que je foute ?
- Je veux, dis-je à Minski, qui se penchait lubriquement sur
mon sein et qui paraissait avoir fort envie de moi, je veux que tu
enconnes et que tu encules à mes yeux une petite fille de sept
ans.
Minski fait un signe, et l'enfant paraît. Une machine fort ingénieuse
servait aux viols de ce libertin. C'était une espèce
d'escabeau de fer sur lequel la victime n'appuyait que les reins ou
le ventre, en raison de la partie qui devait être offerte ;
sur quatre branches qui retombaient en croix, à terre, se liaient
les membres de cette victime... qui, par la position, offrait au sacrificateur,
dans le plus grand écart possible, ou le con, si on la liait
sur les reins, ou le cul, si elle était attachée sur
le ventre. Rien n'était joli comme la petite créature
qu'allait immoler ce barbare, et rien ne m'amusait autant comme l'incroyable
disproportion qui se trouvait entre l'assaillant et la victime. Minski
sort de table comme un furieux :
- Mettez-vous nus, nous dit-il à tous quatre ; vous, poursuivit-il
en désignant Zéphyr et Sbrigani, vous m'enculerez pendant
que j'agirai, et vous, ajoute-t-il en touchant Augustine et moi, vous
me ferez baiser vos culs réunis.
Tout se dispose ; on attache la petite fille d'abord sur le dos. Je
n'exagère pas en assurant que le membre dont elle allait être
perforée était plus gros que sa taille. Minski jure,
il hennit ainsi que les animaux, il flaire l'orifice qu'il va perforer.
Je me plaisais à diriger ce membre. Nul art n'était
employé, il fallait que la nature seule fît ici les frais
de l'entreprise : la putain nous servit comme elle le fait toutes
les fois qu'il s'agit d'un forfait qui l'amuse, la sert ou la délecte.
En trois tours de reins, l'outil est dedans, les chairs se fendent,
le sang coule, et la pucelle perd connaissance.
- Ah ! bon ! dit Minski qui commençait à rugir comme
un lion, bon, c'est ce que je voulais.
Oh ! mes amis, le crime s'achève, on enculait Minski, il baisait,
il mordait, il gamahuchait alternativement les fesses d'Augustine
et les miennes ; un cri terrible annonce son extase, il profère
d'affreux blasphèmes... Le scélérat ! en déchargeant,
il avait étranglé sa victime ; la malheureuse ne respirait
plus.
- C'est égal, nous dit-il, elle ne se défendra plus
maintenant, on n'aura plus besoin de l'attacher.
Et la retournant toute morte qu'elle est, le libertin la sodomise
en étranglant de même une des filles qui venaient de
servir au souper, et qu'il avait fait à dessein approcher de
lui...
- Eh ! quoi ! dis-je, aussitôt qu'il eut déchargé
une seconde fois, vous ne goûtez donc jamais ce plaisir qu'il
n'en coûte la vie à un individu ?
- Au moins, me répondit l'ogre. Il faut qu'une créature
humaine meure pendant que je foute : je ne déchargerais pas,
sans l'alliance des soupirs de la mort à ceux de ma lubricité,
et je ne dois jamais l'éjaculation de mon foutre qu'à
l'idée de cette mort que j'occasionne.
Passons dans une autre pièce, continue cet anthropophage, les
glaces, le café et les liqueurs nous y attendent ; puis, se
tournant vers mes deux hommes : Amis, leur dit-il, vous m'avez parfaitement
foutu ; vous avez trouvé mon cul large, n'est-ce pas ? N'importe,
je suis persuadé qu'il vous a donné du plaisir : le
foutre que vous y avez répandu l'un et l'autre m'en répond.
Quant à vous, charmantes femmes, vos fesses m'ont puissamment
délecté, et pour vous en témoigner ma reconnaissance,
je vous abandonnerai pendant deux jours toutes les beautés
de mon sérail, afin que vous puissiez vous gorger de voluptés
tout à l'aise.
- Aimable homme, dis-je au géant, c'est tout ce que nous demandons
; la volupté doit couronner la luxure, et les récompenses
du libertinage doivent être offertes par les mains seules de
la lubricité.
Nous entrâmes. A l'odeur qui régnait en ce lieu, nous
devinâmes bientôt quelle était l'espèce
de glaces qui nous étaient offertes. Dans cinq jattes de porcelaine
blanche, étaient disposés douze ou quinze étrons
de la plus belle forme et de la plus grande fraîcheur.
- Voilà, nous dit l'ogre, les glaces dont j'use après
dîner ; rien ne facilite autant la digestion, et rien en même
temps ne me fait autant plaisir. Ces étrons viennent des plus
beaux culs de mon sérail, et vous pouvez les manger en sûreté.
- Minski, répondis-je, il faut beaucoup d'habitude pour ce
mets-là ; peut-être pourrions-nous l'adopter dans un
moment d'égarement, mais de sang-froid, c'est impossible.
- A la bonne heure, dit l'ogre en s'emparant d'une jatte, et en dévorant
le contenu, faites comme vous voudrez je ne vous contrains point.
Tenez, voilà des liqueurs : pour moi, je n'en prendrai qu'après.
Rien d'aussi lugubre que l'illumination de cette salle ; elle était
bien digne du reste. Vingt-quatre têtes de morts renfermaient
entre elles une lampe dont les rayons sortaient par les yeux et par
les mâchoires : je n'ai jamais rien vu d'effrayant à
ce point. Ici, l'ogre en bandant voulut s'approcher de moi : je mis
tant d'art à l'éviter que je détournai ses désirs.
De jeunes garçons servaient dans cette pièce, je lui
en fis enculer un de douze ans, qui tomba mort au sortir de ses bras.
Minski s'aperçut enfin qu'épuisés par la fatigue,
nous n'étions plus en état, de lui tenir tête.
Il nous fit conduire par ses esclaves dans une galerie superbe, où
quatre niches de glaces, en face les unes des autres, contenaient
les lits nécessaires à nous reposer. Un même nombre
de filles avaient ordre de veiller autour de nous pour éloigner
les insectes et brûler des parfums pendant notre sommeil.
Il était tard quand nous nous réveillâmes. Nos
gardiennes nous firent voir des salles de bains, où, servis
par elles, nous fûmes merveilleusement rafraîchis, et
nous introduisant de là dans les cabinets d'aisances, elles
nous firent chier d'une manière aussi commode que voluptueuse,
et que nous ne connaissions pas encore. Elles trempaient leur doigts
dans de l'essence de rose, puis les introduisaient dans l'anus ; elles
détachaient doucement et moelleusement toutes les matières
qui s'y rencontraient... mais avec un tel art et une si prodigieuse
adresse, qu'on avait tout le plaisir de l'opération, sans aucune
de ses douleurs. Dès que cela était fait, elles nettoyaient
toutes les parties avec leur langue, et cela avec une légèreté,
une dextérité sans égale.
Sur les onze heures, Minski nous fit dire que nous serions admis à
l'honneur de le venir visiter au lit. Nous entrâmes ; sa chambre
à coucher était fort grande, on y voyait de superbes
fresques représentant dix groupes de libertinage, dont la composition
peut bien passer pour le nec plus ultra de la luxure.
Au fond de cette pièce était une vaste alcôve
entourée de glaces et ornée de seize colonnes de marbre
noir, à chacune desquelles était liée une jeune
fille vue par derrière. Au moyen de deux cordons, placés
comme des cordons de sonnette au chevet du lit de notre héros,
il pouvait faire arriver, sur chacun des culs qui lui étaient
présentés, un supplice toujours différent, lequel
durait tout le temps qu'il ne retirait pas le cordon. Indépendamment
de ces seize filles, il y en avait six autres et douze jeunes garçons,
tant agents que patients, qui se tenaient dans deux cabinets voisins,
pour le service libertin de leur maître, pendant la nuit. Deux
duègnes veillaient sur tout cela, pendant son sommeil.
La première chose qu'il fit, quand nous l'approchâmes,
fut de nous faire voir qu'il bandait ; il ricana d'une manière
horrible, en nous montrant son engin monstrueux. Il nous demanda le
cul ; nous obéîmes ; en palpant celui d'Augustine, il
assura qu'il l'enculerait avant la fin du jour : la malheureuse en
frémit ; il branla beaucoup Sbrigani, et parut s'amuser de
ses fesses ; ils se gamahuchèrent l'anus, et y prirent le plus
grand plaisir. Il nous demanda si nous voulions voir la manière
dont il pourrait blesser à la fois les seize filles liées
aux colonnes. Je le pressai de nous faire voir cette singulière
machine. Il tire ses funestes cordons, et les seize malheureuses,
criant toutes à la fois, reçoivent toutes individuellement
une blessure différente. Les unes se trouvaient piquées,
brûlées, flagellées ; les autres, tenaillées,
coupées, pincées, égratignées, et tout
cela d'une telle force que le sang coula de toutes parts.
- Si je redoublais, nous dit Minski, et cela m'arrive quelquefois,
c'est selon l'état de mes couilles, mais enfin si je redoublais,
du même coup ces seize putains périraient sous mes yeux
; j'aime à m'endormir dans l'idée de pouvoir commettre
seize meurtres à la fois, au plus léger de mes désirs.
- Minski, dis-je à mon hôte, vous possédez assez
de femmes pour faire ce petit sacrifice : mes amis et moi nous vous
conjurons de nous rendre témoins de cette charmante scène.
- J'y consens, dit Minski, mais je veux décharger en opérant
: faites-moi sodomiser votre fille de compagnie, son cul me plaît,
et en lui lançant mon foutre dans l'anus, vous verrez périr
mes seize femmes.
- Cela en fera bien dix-sept ! s'écria Augustine en nous suppliant
de ne point la livrer à ce monstre ; comment voulez-vous que
je soutienne une pareille opération ?
- Le mieux du monde, dit Minski.
Et la faisant déshabiller par ses femmes, il la plaça
aussitôt dans l'attitude propice à ses désirs.
- N'ayez pas peur, continua-t-il, jamais une femme ne m'a résisté,
et j'en fous tous les jours de plus jeunes que vous.
Devinant dans les yeux du Moscovite que les refus ne serviraient qu'à
l'irriter, nous n'osâmes seulement pas lui témoigner
la peine que nous faisait un tel désir.
- Laissez-moi faire, me dit Minski tout bas, je vous l'ai dit, cette
fille m'irrite, elle a un cul qui me met en colère ; si je
la tue, ou si je l'estropie, je vous la remplacerai par deux autres
infiniment plus belles.
Et en disant cela, deux de ses jeunes filles qui étaient de
service dans la chambre, préparent les voies, humectant l'instrument
et le présentant au trou. Minski avait une telle habitude de
toutes ces horreurs, que ce fut pour lui l'affaire d'un instant :
deux tours de reins enfoncent le poignard au fond du cul de la victime
avec une telle vitesse, qu'à peine nos yeux le virent-ils disparaître
; le vilain riait pendant ce temps-là. Augustine s'évanouit,
et ses cuisses s'inondèrent de sang. Minski, aux nues, ne s'en
embrase que davantage ; quatre filles et autant de garçons
l'entourent : ils sont tous si bien accoutumés aux soins qu'il
faut lui rendre en ce moment, qu'en une seconde tout est à
sa place. Augustine est couverte, nous ne la voyons plus. L'ogre blasphème,
il est près d'atteindre le but, il décharge : les cordons
partent, seize différentes façons de trancher la vie
dérobent le jour aux seize créatures attachées.
Elles ne font qu'un cri, et toutes expirent au même instant,
l'une poignardée, l'autre étouffée, celle-ci
tuée d'une balle ; en un mot, pas une n'était frappée
de la même manière, et toutes étaient expirées
à la fois.
- Votre Augustine avait, je crois, raison nous dit froidement Minski
en déculant, oui, certes, elle avait grandement raison, quand
elle disait qu'elle ferait la dix-septième...
Et nous aperçûmes aussitôt la malheureuse, à
la fois étranglée et percée de dix coups de poignard
: le scélérat avait opéré je ne sais comment,
nous ne nous en étions pas doutés.
- Il n'y a rien que j'aime comme de les étrangler pendant que
je les fous, dit flegmatiquement ce terrible libertin.. Point de regrets
: je vous ai promis de vous en donner deux plus belles, je vous tiendrai
parole ... Mais il fallait qu'elle y passât, son foutu cul me
tournait la tête, et mes désirs, avec les objets de mes
débauches, sont toujours des arrêts de mort.
Les duègnes jetèrent le cadavre de ma malheureuse amie
au milieu de la chambre ; on y joignit ceux des seize filles liées
aux colonnes ; et Minski, après avoir un instant examiné
ce monceau, après les avoir toutes maniées les unes
après les autres, avoir mordu quelques fesses et quelques tétons,
en désigna trois pour sa cuisine, parmi lesquelles se trouvait
la malheureuse que nous venions de perdre.
- Qu'on les prépare pour notre dîner, dit-il, pendant
que je vais passer dans une de mes salles en tête à tête
avec Juliette.
Ici, Sbrigani me dit à l'oreille qu'il croyait prudent de nous
méfier d'un tel monstre, et que nous ferions bien de demander
à sortir de ses États le plus tôt possible. Comme
je trouvais autant de danger à rester qu'à demander
notre sortie, en entrant avec Minski dans la salle où il nous
menait je me contentai de lui prouver, par mon air froid, combien
l'indignité de son procédé me donnait des soupçons
sur ce qu'il se permettrait peut-être bientôt de faire
sur ma personne.
- Écoutez, me dit l'ogre en m'attirant sur une chaise auprès
de lui, je vous croyais assez philosophe pour ne pas regretter autant
cette fille, et pour être persuadée que les droits de
l'hospitalité ne pouvaient pas avoir d'accès sur une
âme comme la mienne.
- Vous ne réparerez jamais cette perte.
- Pourquoi donc ?
- Je l'aimais.
- Ah ! si vous êtes encore assez niaise en lubricité
pour aimer l'objet qui vous sert, il est certain que je n'ai plus
rien à dire ; je chercherais en vain des raisonnements pour
vous convaincre : il n'en est point contre la stupidité.
- Eh bien ! c'est pour moi-même : j'ai peur, puisque vous ne
respectez rien. Qui me garantit du traitement que vous venez de faire
éprouver à mon amie ?
- Rien, rien absolument, dit Minski, et si je bandais pour vous assassiner,
vous n'existeriez pas un quart d'heure. Mais je vous ai crue aussi
scélérate que moi, et puisque vous me ressemblez, de
ce moment, j'aime mieux vous prendre pour ma complice que pour ma
victime. Les deux hommes qui vous accompagnent me paraissent de même,
je les crois comme vous, moins propres à servir mes luxures
qu'à les partager : votre sûreté se trouve dans
cette hypothèse. Il s'en fallait bien qu'Augustine en fût
là ; je suis bon physionomiste : plus complaisante que criminelle,
elle se prêtait à ce que vous désiriez, mais il
s'en fallait bien qu'elle fît ce qu'elle voulait. Ô Juliette
! rien n'est sacré pour moi : vous épargner tous quatre
eût été croire aux droits de l'hospitalité...
L'apparence... la seule idée d'une vertu me fait horreur ;
il fallait que je violasse ces droits... au moins en quelque sorte
: me voilà satisfait maintenant, soyez tranquilles.
- Minski, vous me parlez avec une franchise qui doit mériter
la mienne. Il y a dans tout ceci plus de crainte pour moi, que de
regrets pour Augustine. Connaissez assez mon cur pour le croire
incapable de pleurer un sujet de libertinage ; j'en ai sacrifié
beaucoup dans ma vie, et je vous jure que je n'en ai jamais regretté
aucun. Et comme il allait se lever : Non, lui dis-je en le priant
de se rasseoir, vous venez de faire le procès à la vertu
de l'hospitalité, Minski ; j'aime les principes : suggérez-moi
les vôtres sur cet objet. Quoique aucune vertu ne fût
respectable pour moi, je ne m'étais pas défaite de mes
maximes sur l'hospitalité, peut-être même encore
osé-je les croire inviolables : détruisez, combattez,
déracinez, Minski, je vous écoute.
- La plus grande de toutes les extravagances, sans doute, dit le géant
en ayant l'air de me savoir gré des moyens que je lui donnais
de développer son esprit, est celle qui nous fait regarder
comme sacré l'individu que sa curiosité, ses besoins
ou le hasard amènent dans nos foyers. Il n'y eut jamais qu'un
motif personnel qui pût nous jeter dans cette erreur : plus
un peuple est rapproché de la nature, moins il connaît
les droits de l'hospitalité ; une infinité de sauvages
tendent au contraire des embûches aux voyageurs pour les attirer
chez eux, et ils les immolent dès qu'ils les tiennent. Quelques
nations faibles et grossières, agissant différemment,
s'empressent, au contraire, de fêter ceux qui les visitent,
et elles portent, sur ce point, l'honnêteté jusqu'à
leur présenter leurs femmes et leurs enfants de l'un et l'autre
sexe. Ne soyons pas la dupe de ce procédé : il est encore
le fruit de l'égoïsme. Les peuples qui se conduisent ainsi
cherchent des appuis, des protections parmi les étrangers qui
les visitent ; les trouvant plus forts, plus beaux qu'eux, ils désireraient
que ces étrangers se fixassent dans leur pays, ou pour les
défendre, ou pour leur former, en voyant leurs femmes, des
enfants qui régénérassent leur nation. Voilà
le but de cette hospitalité qui séduit, et que les sots
s'avisent de louer : soyez bien persuadée qu'aucun autre sentiment
ne l'a fait naître.
D'autres peuples attendent des jouissances des hôtes qu'ils
reçoivent, et les caressent pour s'en servir : ils les foutent.
Mais aucune nation, soyez-en bien certaine, n'exerça gratuitement
l'hospitalité. Lisez l'histoire de toutes, et vous découvrirez
dans toutes les motifs qui les portèrent à recevoir
généreusement des hôtes.
Et qu'y aurait-il en effet de plus ridicule que d'accueillir dans
sa maison un individu dont on n'attendrait rien ? En vertu de quoi
un homme est-il engagé à faire du bien à un autre
homme ? La ressemblance morale ou matérielle d'un corps à
un autre entraîne-t-elle, pour un de ces corps, la nécessité
de faire du bien à l'autre ? J'estime les hommes autant qu'ils
me servent ; je les méprise et les déteste même,
dès qu'ils ne peuvent m'être bons ; car n'ayant plus
alors que des vices à m'opposer et n'étant plus que
redoutables à mes regards, je dois les fuir comme des bêtes
féroces qui, dès ce moment, ne peuvent plus que me nuire.
L'hospitalité fut la vertu prêchée par le faible
: sans asile, sans énergie, n'attendant son bien-être
que des autres, il dut assurément préconiser une vertu
qui lui préparait des abris. Mais quel besoin le fort a-t-il
de cette action ?... Toujours mise en usage par lui, sans jamais en
tirer rien, ne serait-ce pas une dupe de s'y soumettre ! Or, je vous
demande si une action quelconque peut réellement être
réputée pour vertu, quand elle ne sert qu'une des classes
de la société ?
Dans quels dangers ceux qui l'exercent ne précipitent-ils pas
les infortunés qu'ils hébergent ! En les accoutumant
à la fainéantise, ils pervertissent les qualités
morales de ces hôtes paresseux, qui finiront bientôt par
aller loger de force dans vos maisons, quand votre générosité
ne leur en ouvrira plus les portes, comme les mendiants finissent
par vous voler, quand vous leur refusez l'aumône. Or, en analysant
une action quelconque, que devient-elle, je vous prie, quand d'un
côté, vous l'observez comme inutile, et de l'autre, comme
dangereuse ? Répondez avec franchise, Juliette, sera-ce d'une
telle action que vous oserez faire une vertu ? et si vous voulez être
juste, ne reléguerez-vous pas bien plutôt cette action
dans le rang des vices ? N'en doutons point, l'hospitalité
est aussi dangereuse que l'aumône. Tous les procédés
qui émanent de la bienfaisance, sentiment né de la faiblesse
et de l'orgueil, tous généralement sont pernicieux sous
une infinité de rapports ; et l'homme sage, cuirassant son
cur à tous ces mouvements pusillanimes, doit se garantir,
avec le plus grand soin, des funestes suites où ils nous entraînent.
Les habitants d'une des îles Cyclades sont si ennemis de l'hospitalité,
qu'ils se rendent absolument inaccessibles aux étrangers. Ils
les redoutent et les détestent, au point qu'ils ne prennent
jamais avec leurs mains ce que ceux-ci leur offrent : ils le reçoivent
entre deux feuilles vertes, et l'attachent ensuite au bout d'un bâton.
Si par hasard un étranger touche leur peau, ils se la purifient
sur-le-champ, en frottant la place avec des herbes.
On ne traite avec une certaine tribu des Brésiliens, que dans
l'éloignement de cent pas, et toujours les armes à la
main19.
Les Africains du Zanguébar sont si ennemis de l'hospitalité,
qu'ils massacrent impitoyablement tous ceux qui s'avancent dans leur
pays20.
Les Thraces et les habitants de la Tauride pillèrent et tuèrent
pendant des siècles tous ceux qui venaient les visiter21.
Les Arabes dépouillent encore aujourd'hui, et réduisent
à l'esclavage, tous les êtres que les vents jettent sur
leurs côtes.
L'Égypte fut longtemps inaccessible aux étrangers :
le gouvernement ordonna de réduire en servitude, ou de tuer,
ceux qu'on surprenait le long de la côte.
A Athènes, à Sparte, l'hospitalité était
défendue : on punissait de mort ceux qui l'imploraient22.
Plusieurs gouvernements s'arrogèrent des droits sur les étrangers
: ils les punissaient de mort, et confisquaient leurs biens.
Le roi d'Achem s'empare de tous les navires qui font naufrage sur
ses côtes.
L'insociabilité endurcit le cur de l'homme, et le rend,
par ce moyen, bien plus propre aux grandes actions. De ce moment,
le vol et le meurtre s'érigent en vertu, et chez les seules
nations où cela arriva, l'on vit de grands traits et de grands
hommes.
Au Kamtchatka, le meurtre des étrangers est une bonne action.
Les nègres de Louango portent plus loin l'horreur qu'ils ont
pour les vertus hospitalières : ils ne souffrent même
pas qu'on enterre un étranger dans leur pays.
L'univers entier, en un mot, nous offre des exemples de la haine des
peuples qui l'habitent, pour les vertus hospitalières. Et nous
devons conclure de ces exemples et de nos réflexions, qu'il
n'est rien, sans doute, de plus pernicieux, de plus contraire à
sa propre énergie et à celle des autres, qu'une vertu
dont l'objet est d'engager le riche à accorder au pauvre un
asile dont celui-ci ne profitera jamais qu'à son détriment
et à celui de l'individu qui le lui offre. Deux seuls motifs
attirent les étrangers dans un pays, la curiosité ou
le plaisir de faire des dupes : dans le premier cas, il faut qu'ils
paient ; dans le second, il faut qu'ils soient punis.
- Oh ! Minski, répondis-je, vous me persuadez. Depuis longtemps
j'embrassais, sur la charité, sur la bienfaisance, des maximes
trop ressemblantes à celle que vous avez sur l'hospitalité,
pour ne pas me trouver du même avis que vous dans ce cas-ci.
Mais il est encore une chose sur laquelle je vous prie de m'éclairer.
Augustine, qui m'était attachée depuis quelque temps,
a des parents dans l'infortune, qu'elle me recommanda lorsque nous
partîmes, en me priant d'en avoir soin, dans le cas où
elle viendrait à leur manquer pendant le voyage : dois-je leur
faire tenir quelque récompense ?
- Assurément non, répondit Minski. Et de quel droit
devriez-vous donc quelque chose aux parents de votre amie ? quelles
prétentions peuvent-ils avoir à vos bienfaits ? Vous
avez payé, entretenu cette fille, tant qu'elle vous a servie
; il n'y a aucun rapport entre ses parents et elle ; vous ne devez
absolument rien à ses parents. Si vos idées sont bien
éclaircies sur le néant du lien fraternel entre les
hommes, comme votre philosophie me l'annonce, si votre tête
a bien mûri ces idées, vous devez comprendre d'abord,
qu'entre Augustine et les services qu'elle vous a rendus, il n'existe
aucune espèce de lien, car ces services n'ont plus qu'une action
passée, et celle qui les a rendus n'a plus aucune sorte d'action.
Il n'y a donc qu'illusion, que chimère, entre l'une et l'autre
de ces choses. Le seul sentiment qui pourrait nous rester serait celui
de la reconnaissance, et vous savez que la reconnaissance ne saurait
exister dans une âme fière. Celui qui refuse un service
d'un autre, ou qui, l'ayant reçu, s'imagine ne rien devoir,
parce que l'action n'a servi qu'à l'orgueil du bienfaiteur,
celui-là, dis-je, est bien plus grand que celui qui s'enchaînant
à ce bienfaiteur, lui prépare le plaisir de le traîner
à son char comme une victime triomphale. Je vais plus loin,
et peut-être vous l'a-t-on déjà dit, mais on doit
désirer la mort du bienfaiteur avec lequel on ne s'est pas
acquitté ; fût-on même jusqu'à la lui donner,
je ne m'en étonnerais pas. Ô Juliette ! comme l'étude
et la réflexion servent à connaître le cur
de l'homme, et comme on désire braver ces principes dès
que l'on connaît bien celui qui les créa ! car tout est
à l'homme, tout vient de l'homme ! et de quel droit voulez-vous
me faire respecter ce qui n'est l'ouvrage que de mon semblable ? Oui,
je le répète, cette étude bien approfondie, beaucoup
de crimes qui paraîtraient atroces aux sots, ne nous semblent
plus que tout simples. Qu'on aille dire aux âmes vulgaires que
Pierre, ayant reçu cent louis de Paul dans un besoin urgent,
lui a plongé un poignard dans le sein pour toute reconnaissance...
les imbéciles se déchaîneront, on criera à
l'atrocité, et l'âme de ce meurtrier sera pourtant bien
plus grande que celle de son adversaire, puisque l'un, en obligeant,
n'a sacrifié qu'à son orgueil, et que l'autre n'a pu
tenir à voir le sien humilié : et voilà donc
l'ingratitude d'une belle action.
Faibles mortels ! comme vous vous composez aveuglément des
vices et des vertus ; et comme le plus léger examen met à
l'instant les uns à la place des autres ! Tu n'imagines pas,
Juliette, l'invincible penchant que j'éprouvai toujours pour
l'ingratitude : elle est la vertu de mon cur, et je me suis
senti révolté toutes les fois qu'on a voulu m'obliger.
Je disais un jour à quelqu'un qui m'offrait ses services :
Ah ! prenez garde que je ne vous prenne au mot, si vous ne voulez
pas que je vous déteste.
Cette espèce de charité, d'ailleurs, que vous voulez
faire aux parents infortunés d'Augustine, ne retomberait-elle
pas dans tous les inconvénients de l'aumône et de la
pitié dont vous m'avez paru si persuadée ? Juliette,
la charité ne fait que des dupes, la bienfaisance, que des
ingrats ; soyez persuadée de ces systèmes, et consolez-vous,
puisque je ne vous en rendrai pas la victime.
- Ces principes font également ma félicité, dis-je
au géant. Toujours la vertu me fit horreur ; jamais aucun plaisir
ne naquit dans mon sein.
Et pour convaincre le Moscovite, je lui racontai par quelle terrible
catastrophe toute ma fortune avait été bouleversée
pour avoir été vertueuse un jour.
- Je n'ai point de semblables reproches à me faire, dit Minski,
et depuis ma plus tendre enfance, pas un instant mon cur ne
fut combattu par ces sentiments pusillanimes dont les effets sont
si dangereux. Je hais la vertu comme la religion, je les crois toutes
deux aussi funestes l'une que l'autre, et jamais l'on ne me verra
plier sous leur joug. Je ne connais pas d'autre remords que celui
de n'avoir pas fait assez de crimes. Le crime, en un mot, est mon
élément, lui seul me fait vivre et m'inspire, je ne
vis que pour lui, et je ne pourrais plus que végéter
sur la terre, si je cessais d'en commettre au moins un par heure.
- Avec cette façon de penser, répondis-je au géant,
vous devez avoir été le bourreau de votre famille ?
- Hélas ! j'ai manqué mon père, c'est ce qui
me désole : j'étais trop jeune quand il mourut. Mais
tout le reste a passé par mes mains. Je vous ai déjà
dit la mort de ma mère et de ma sur : j'aurais voulu
les voir renaître pour avoir le plaisir de les massacrer encore
; je suis assez malheureux maintenant pour ne pouvoir plus sacrifier
que des victimes ordinaires ; mon cur se blase, je ne jouis
plus.
- Ô Minski ! que vous êtes heureux ! m'écriai-je,
j'ai, comme vous, tâté de ces plaisirs, mais non pas
avec tant d'étendue... Mon ami, vous échauffez ma tête
à point prodigieux. J'ai une grâce à vous demander
: c'est de me laisser moissonner à l'aise dans vos innombrables
possessions. Ouvrez-moi ce vaste champ de crimes et de lubricité,
que je le fertilise par du foutre et des cadavre !
- Je le veux, dit Minski, mais j'y mets une condition : je ne vous
propose pas de vous sodomiser : je vous crèverais ; mais j'exige
de vous l'abandon total de ce jeune homme, dit-il en parlant de Zéphyr.
Je balance... Un poignard à l'instant s'élève
sur mon sein.
- Choisissez, dit cet homme féroce, entre la mort ou les plaisirs
que peut vous donner ma maison.
Hélas ! malgré mon attachement pour Zéphyr, je
cédai... que pouvais-je faire autre chose !
1 Il n'y aura jamais que le faible qui prêchera ce système
absurde de l'égalité ; il ne peut convenir qu'à
celui qui, ne pouvant s'élever à la classe du fort,
est au moins dédommagé en rabaissant à lui cette
classe ; mais il n'est pas de système plus absurde, plus contre
la nature que celui-là ; et l'on ne le verra jamais s'ériger
que chez la canaille, qui elle-même y renoncera, sitôt
qu'elle aura eu le temps de dorer ses haillons.
2 Femmes voluptueuses et philosophes qui daignez nous lire, c'est
encore à vous que ceci s'adresse ; profitez-en, et ne rendez
pas inutiles les soins que nous prenons pour vous éclairer.
Jamais vous ne connaîtrez de vrais plaisirs sans la plus aveugle
soumission à ces excellente conseils ; croyez que nous n'avons,
en vous les donnant, que votre seul bonheur en vue.
3 Presque toutes les femmes chastes meurent jeunes, ou deviennent
folles, estropiées, malingres, à l'époque de
leur perte. Elles ont toutes, d'ailleurs, un caractère âcre,
impérieux, qui les rend insoutenables en société.
4 On fait toujours bien ce qu'on aime ; et le lecteur ne doit pas
oublier que Juliette nous a dit que sa plus grande passion consistait
à branler des vits. En est-il au monde une plus voluptueuse
? Quels délices n'éprouve-t-on. pas, en effet, à
voir un beau membre se dresser sous les lubriques agitations qu'on
lui imprime ! Qu'il est flatteur, et pour l'amour-propre et pour la
luxure, de sentir avancer ainsi son ouvrage ! Dans quel état
ne doit-on pas se trouver, surtout au moment du complément
de sa besogne, et comment ne pas décharger soi-même,
en voyant s'élancer au loin ces flots divins de la semence
! Ah ! faut-il être femme, pour goûter ce plaisir ? Quel
homme un peu voluptueux ne le comprend pas ? Et quel est celui qui,
du moins une fois dans sa vie, n'a pas branlé d'autres vits
que le sien ?
5 Ce fut le célèbre Caylus qui grava les estampes.
6 Pas même législateur, assurément : une des meilleures
preuves du délire et de la déraison qui caractérisèrent,
en France, l'année 1789, est l'enthousiasme ridicule qu'inspira
ce vil espion de la monarchie. Quelle idée reste-t-il aujourd'hui
de cet homme immoral et de fort peu d'esprit ? Celle d'un fourbe,
d'un traître et d'un ignorant.
7 Voyez le physique de ces effets, expliqué plus haut.
8 De manière que ces deux honnêtes créatures,
sans compter la bouche qui ne produit pas une sensation assez marquée
pour être comptée, avaient été foutues
jusque-là, Clairwil cent quatre-vingt-cinq coups, et Juliette
cent quatre-vingt-douze, cela, tant en con qu'on cul. Nous avons cru
devoir établir cette addition pour en éviter la peine
aux femmes qui, sans cela, n'auraient pas manqué de s'interrompre
ici pour la faire. Remerciez-nous, mesdames, et imitez nos héroïnes,
c'est tout ce que nous vous demandons ; car votre instruction, vos
sensations et votre bonheur sont en vérité le seul but
de nos fatigants travaux ; et si vous nous avez maudits dans Justine,
nous espérons que vous nous bénirez dans Juliette.
9 Nous garantissons, par expérience, aux femmes assez bien
constituées pour essayer cette manière, que cette volupté
est si chatouilleuse, si remplie de sel, qu'il est très difficile
de la supporter sans perdre connaissance ; si elles peuvent obtenir
suffisamment d'adresse d'un troisième homme pour être
enculées pendant ce temps-là, elles seront sûres
alors d'avoir goûté le plus violent plaisir que puisse
se procurer notre sexe. (Note communiquée par une femme de
trente ans, qui l'a essayé plus de cent fois dans sa vie).
10 Que l'on compare les flots de sang qu'ont fait couler ces scélérats
depuis dix-huit siècles, avec ceux que ferait verser le moyen
qu'indique Belmor, et l'on verra qu'il s'en faut bien que le moyen
qu'il donne soit violent comme il le dit : il n'est que juste, et
ce ne sera jamais qu'après son exécution que la paix
règnera chez les hommes.
11 Comme il serait aisé de prouver que la révolution
actuelle n'est l'ouvrage que des jésuites, et que les orléanais-jacobins
qui la fomentèrent n'étaient et ne sont encore que des
descendants de Loyola ! (Note ajoutée).
12 C'est ce peuple qui servait autrefois la maison d'Autriche, sous
le nom de Pandours. Il habite la partie méridionale de la Croatie
autrichienne. Pandour veut dire voleur de grand chemin.
13 Sauf votre respect.
14 Ne doutons pas qu'il n'y ait une différence aussi certaine,
aussi importante entre un homme et une femme qu'entre l'homme et le
singe des bois. Nous serions aussi fondés à refuser
aux femmes de faire partie de notre espèce que nous le sommes
de refuser à cette espèce de singe d'être notre
frère. Qu'on examine attentivement une femme nue à côté
d'un homme de son âge et nu comme elle, on se convaincra facilement
de la différence qui existe (sexe à part) dans la composition
de ces deux êtres, on verra bien clairement que la femme n'est
qu'une dégradation de l'homme ; les différences existent
également dans l'intérieur, et l'anatomie de l'une et
de l'autre espèce, faite en même temps et avec la plus
scrupuleuse attention, découvre ces vérités.
15 Voyez ce qu'en dit la célèbre Ninon de Lenclos, quoique
zélatrice et femme.
16 Un Dieu mort ! Rien n'est plus plaisant comme cette incohérence
de mots du dictionnaire des catholiques : Dieu veut dire éternel
; mort veut dire non éternel. Imbéciles chrétiens,
que voulez-vous donc faire avec votre Dieu mort ?
17 Une question importante s'offre ici : sa décision ne serait
pas, ce me semble, au-dessous de l'attestation des gens de lettres,
et nous la leur proposons avec l'envie de la voir résolue par
eux. La corruption des murs vient-elle, chez un peuple, de la
mollesse de son gouvernement, de son assiette, ou de son excessive
population dans les grandes villes ? Malgré ce qu'établit
ici Juliette, ce n'est pas de l'assiette d'où la corruption
morale dépend, puisqu'il y a autant de désordres moraux
dans les villes septentrionales de Londres et de Paris, que dans les
villes méridionales de Messine et de Naples ; ce n'est pas
de la faiblesse du gouvernement, puisqu'il est, sur ces objets, beaucoup
plus sévère au Nord qu'au Midi, et que le désordre
est pourtant le même. La corruption des murs, quel que
soit le sol ou le gouvernement, ne vient donc que du trop grand entassement
des individus dans un même lieu : tout ce qui fait masse se
corrompt, et tout gouvernement qui ne voudra pas de corruption dans
son sein, devra s'opposer à la trop grande population, et diviser,
surtout, les associations pour en maintenir la pureté.
18 Il y aurait le plus petit inconvénient, dans un État,
à permettre aux gens riches de faire tout ce qu'ils voudraient
pour de l'argent, et d'obtenir, par leurs trésors, l'absolution
de tous les crimes. Cela vaudrait assurément bien mieux que
de les faire périr sur un échafaud : ce dernier moyen
ne rapporte rien au gouvernement ; l'autre pourrait devenir une branche
très considérable de richesses avec lesquelles on ferait
face à une infinité de frais inattendus, que l'on ne
couvre qu'en multipliant les impôts onéreux, pesant également
sur le coupable et sur l'innocent, tandis que ce que je propose ne
gênerait que le coupable