Histoire
de Juliette
ou les Prospérités
du vice
QUATRIÈME PARTIE
Nous entrâmes dans un autre appartement. Un magnifique déjeuner,
des fruits, des pâtisseries, du lait et du boissons chaudes
nous furent offerts par de jolis garçons à demi nus,
et qui faisaient, en nous présentant les plats, mille caracoles,
mille polissonneries plus libertines les unes que les autres. Mes
deux hommes et moi déjeunâmes amplement. Pour Minski,
des choses plus solides lui furent servies : huit ou dix bouts de
boudin fait avec du sang de pucelles et deux pâtés aux
couilles parvinrent à le rassasier, dix-huit bouteilles de
vin grec délayèrent ces vivres dans son prodigieux estomac.
Il fouetta jusqu'au sang une douzaine de ces petits échansons,
auxquels il chercha querelle sans aucun fondement. Un d'eux ayant
résisté, il lui cassa les deux bras avec le même
flegme, que s'il eût fait la chose du monde la plus simple ;
il en poignarda deux autres, et nous commençâmes notre
inspection.
La première salle dans laquelle nous entrâmes contenait
deux cents femmes âgées de vingt à trente-cinq
ans. Dès que nous parûmes, et cet usage était
consacré, deux bourreaux s'emparèrent d'une victime,
et la pendirent nue sur-le-champ à nos yeux. Minski s'approche
de la créature accrochée, il lui manie les fesses, il
les lui mord, et, dans l'instant, toutes les femmes se rangent sur
six rangs. Nous traversâmes et longeâmes ces rangs, afin
de mieux voir celles qui les formaient. La manière dont ces
femmes étaient vêtues ne déguisait aucun de leurs
charmes ; une simple draperie les ceignait, sans voiler ni leur gorge,
ni leurs fesses, mais leurs cons ne se voyaient pas : ce raffinement,
désiré par Minski, dérobait à ses yeux
libertins un temple où son encens ne fumait guère.
A l'une des extrémités de cette salle, en était
une moins grande qui contenait vingt-cinq lits. Là se mettaient
les femmes blessées par les intempérances de l'ogre,
ou celles qui tombaient malades.
- Si l'incommodité devient grave, me dit Minski en ouvrant
une des fenêtres de cette salle, voici où je les place.
Mais quel fut notre étonnement, de voir la cour où donnait
cette fenêtre, remplie d'ours, de lions, de léopards
et de tigres !
- Certes, dis-je, en voyant cet horrible lieu, voilà des médecins
qui doivent promptement les tirer d'affaire.
- Assurément. Il ne faut qu'une minute pour les guérir
en ce lieu : j'évite par là le mauvais air. De quelle
utilité, d'ailleurs, peut être à la luxure une
femme flétrie, corrompue par la maladie ? J'épargne
des frais, au moyen de ce procédé ; car vous conviendrez,
Juliette, qu'une femme malade ne vaut pas ce qu'elle coûte.
La même loi s'exécutait pour les autres sérails.
Minski visite les malades ; six, trouvées seulement un peu
plus mal que les autres, sont impitoyablement arrachées de
leur lit, et précipitées, sous nos yeux, dans la ménagerie,
où elles sont dévorées en moins de trois minutes.
- Tel est, me dit tout bas Minski, l'un des supplices qui irrite le
plus mon imagination.
- Je t'en livre autant, mon cher, dis-je au géant, en dévorant
ce spectacle des yeux ; mets ta main là, continuai-je, en la
lui posant sur mon con, et tu verras si je partage ton délire...
Je déchargeais. Minski, devinant alors que je serais bien aise
de lui voir faire une seconde réforme, revisita les lits, et
en fit cette fois emporter de malheureuses filles qui n'étaient
là que pour quelques blessures presque guéries. Elles
frémirent en voyant leur sort. Pour nous en amuser plus longtemps
et plus cruellement, nous leur fîmes observer les furieux animaux
dont elles allaient devenir la pâture. Minski leur égratignait
les fesses, et je leur pinçais les tétons. On les jette.
Le géant et moi, nous nous branlons durant leur supplice :
je n'ai de ma vie perdu de foutre plus lubriquement.
Nous parcourûmes les autres salles où s'exécutèrent
différentes scènes, toutes plus féroces les unes
que les autres, et dans lesquelles périt Zéphire, victime
de la rage de ce monstre.
- Eh bien ! dis-je au géant, quand ma passion fut satisfaite,
convenez que ce que vous vous permettez ici, et ce que j'ai eu la
faiblesse d'imiter, est d'une abominable injustice.
- Asseyons-nous, me dit ce libertin en me prenant à part, et
écoutez-moi. Avant de me condamner sur l'action que je commets,
parce que vous voyez à cette action un vernis d'injustice,
il faudrait, ce me semble, mieux asseoir ses combinaisons sur ce qu'on
entend par juste et par injuste. Or, si vous réfléchissez
bien sur les idées que donnent ces mots, vous reconnaîtrez
qu'elles ne sont absolument que relatives, et qu'elles n'ont intrinsèquement
rien de réel. Semblables aux idées de vice et de vertu,
elles sont purement locales et géographiques, en sorte que,
tout comme ce qui est vicieux à Paris se trouve une vertu à
Pékin, de même ce qui est juste à Ispahan devient
injuste à Copenhague. Les lois d'un pays, les intérêts
d'un particulier, voilà les seules bases de la justice. Mais
ces lois sont relatives aux murs du gouvernement où elles
existent, et ces intérêts le sont aussi au physique du
particulier qui les a. En sorte que l'égoïsme, comme vous
le voyez, est ici la seule règle du juste ou de l'injuste,
et qu'il sera très juste, suivant telle loi, de faire mourir
un particulier en ce pays-ci pour une action qui lui aurait valu des
couronnes ailleurs, tout comme tel intérêt particulier
trouvera juste une action qui, néanmoins, sera trouvée
très inique par celui qu'elle lésera. Citons quelques
exemples. A Paris, la loi punit les voleurs ; elle les récompense
à Sparte : voilà donc une action juste en Grèce
et fort illégale en France, et par conséquent la justice
aussi chimérique que la vertu. Un homme casse les deux bras
à son ennemi ; selon lui, il a fait une action très
juste : demandez à la victime si elle la voit comme telle.
Thémis est donc une déesse fabuleuse, dont la balance
est toujours à celui qui la fait pencher, et sur les yeux de
laquelle on a eu raison de mettre un bandeau.
- Minski, répondis-je, j'ai toujours ouï dire, cependant,
qu'il y avait une sorte de justice naturelle dont l'homme ne s'écartait
jamais, ou dont il ne s'écartait pas sans remords.
- Cela est faux, dit le Moscovite, cette prétendue justice
naturelle n'est que le fruit de sa faiblesse, de son ignorance ou
de ses préjugés, tant qu'il n'aura aucun intérêt
à la chose. S'il est le plus faible, il se rangera machinalement
de ce côté, et trouvera injuste toutes les lésions
du fort sur les individus de sa classe ; devient-il le plus puissant,
ses opinions, ses idées sur la justice, changeront sur-le-champ
: il n'y aura plus de juste que ce qui le flattera, plus d'équitable
que ce qui servira ses passions, et cette prétendue justice
naturelle, bien analysée, ne sera jamais que celle de ses intérêts.
Réglons toujours nos lois sur la nature, c'est le moyen de
ne nous jamais tromper : or, combien d'injustices ne lui voyons-nous
pas commettre journellement ? Y a-t-il rien de si injuste que les
grêles dont sa main ravage l'espérance du pauvre, tandis
que, par un caprice bizarre, la moisson du riche sera respectée,
et les guerres dont elle désole le monde entier pour les seuls
intérêts du tyran, et les fortunes dont elle permet que
le scélérat jouisse, pendant que l'honnête homme
est dans la misère ? Ces maladies dont elle dépeuple
des provinces entières, ces triomphes multipliés qu'elle
donne au vice, pendant qu'elle humilie chaque jour la vertu, cette
protection qu'elle accorde journellement au fort sur le faible : tout
cela est-il juste, je le demande, et pouvons-nous nous supposer coupables
en l'imitant ?
Il n'y a donc aucune espèce de mal à violer tous les
principes imaginaires de la justice des hommes, pour s'en composer
une à sa guise, qui sera toujours la meilleure quand elle servira
nos passions et nos intérêts, parce qu'il n'est que cela
seul de sacré dans le monde, et que nous n'avons vraiment tort
que toutes les fois que nous préférons des chimères
à des sentiments donnée par la nature, véritablement
outragée des sacrifices que nous aurions la faiblesse de leur
faire. Il est faux, comme le dit votre demi-philosophe Montesquieu,
que la justice soit éternelle, immuable, de tous les temps
et de tous les lieux : elle ne dépend que des conventions humaines,
des caractères... des tempéraments... des lois morales
d'un pays. Si cela était, continue le même auteur1, si
la justice n'était qu'une suite des conventions humaines, des
caractères, des tempéraments, etc., ce serait une vérité
terrible qu'il faudrait se déguiser à soi-même...
Et pourquoi donc se déguiser des vérités aussi
essentielles ? en est-il une seule que l'homme doive éviter
?... Elle serait dangereuse, poursuit Montesquieu, parce qu'elle mettrait
toujours l'homme en crainte avec l'homme, et que nous ne serions jamais
assurés de notre bien, de notre honneur et de notre vie. Mais
quelle nécessité, pour adopter ce misérable préjugé,
de s'aveugler sur des vérités aussi grandes... aussi
essentielles ? Nous rendrait-il service, celui qui, nous voyant entrer
dans une forêt où il aurait été attaqué
par des voleurs, ne nous préviendrait pas des dangers qui peuvent
nous environner ? Oui, oui, osons dire aux hommes que la justice est
une chimère, et que chaque individu n'a jamais que la sienne
; osons le leur dire sans crainte. En le leur annonçant, et
leur faisant sentir par là tous les dangers de la vie humaine,
nous les mettons à même de s'en garantir, et de s'armer
à leur tour d'injustice, puisque ce n'est qu'en devenant aussi
injustes, aussi vicieux que les autres, qu'ils pourront se mettre
à l'abri de leurs pièges...
La justice, poursuit Montesquieu, est un rapport de convenances qui
se trouve réellement entre deux choses, quel que soit l'être
qui les considère. Est-il au monde un sophisme plus grand que
celui-là ? Jamais la justice ne fut un rapport de convenances
existant réellement entre deux choses. La justice n'a aucune
existence réelle, elle est la divinité de toutes les
passions ; celui-ci la trouve à une chose, celui-là
à une autre, et quoique ces choses se contrarient, tous les
deux la trouveront juste. Cessons donc de croire à l'existence
de cette chimère, et elle n'en a pas plus que le Dieu dont
les sots la croient l'image : il n'y a ni Dieu, ni vertu, ni justice
dans le monde ; il n'y a de bon, d'utile, de nécessaire que
nos passions ; il n'y a de respectable que leurs effets.
Je vais plus loin, et regarde les choses injustes comme indispensables
au maintien de l'univers, nécessairement troublé par
un ordre équitable de choses. Cette vérité établie,
d'où vient donc que je me refuserais à toutes les iniquités
conçues par mon esprit, dès qu'il est démontré
qu'elles sont utiles au plan général ? Est-ce ma faute,
si c'est de ma main qu'il plaît à la nature de se servir
pour maintenir l'ordre dans ce monde ? Non, certes, et si ce n'est
qu'avec des atrocités, des horreurs, des exécrations
qu'on peut arriver à ce but, livrons-nous y donc sans aucune
frayeur : nous avons, en nous délectant, rempli le but de la
nature.
Nous continuâmes notre visite des appartements, et nous mîmes
en pratique les principes que venait de me développer le géant.
Les exécrations que nous y fîmes m'épuisèrent
tellement, que je témoignai à Minski le désir
de consacrer au repos le reste de la journée.
- Volontiers, me dit-il, je remettrai donc jusqu'à demain à
vous faire voir deux pièces de ma maison que vous ne connaissez
pas encore, et dont les dispositions et l'examen vous étonneront
sans doute.
Je me retirai avec Sbrigani, et me trouvant seule avec l'unique compagnon
de voyage qui me restait :
- Mon ami, lui dis-je, ce n'est pas tout que d'être entrés
dans le palais du vice et de l'horreur, il faut en sortir. Ma confiance
en l'ogre n'est pas assez entière pour prolonger plus longtemps
notre séjour chez lui. J'ai des moyens sûrs pour me défaire
de ce personnage, après la mort duquel il nous serait bien
facile de nous emparer de ses richesses, et de fuir. Mais cet homme
est trop nuisible à l'humanité, il est trop dans mes
principes pour que j'en prive l'univers. Ce serait jouer ici le rôle
des lois, ce serait servir la société, que d'en bannir
ce scélérat, et je n'aime pas assez la vertu pour la
servir à ce point-là. Je laisserai vivre cet homme si
nécessaire au crime : ce ne sera point l'ami du crime qui détruira
son sectateur. Il faut le voler, cela est essentiel : il a plus d'argent
que nous, et l'égalité fut toujours la base de nos principes.
Il faut fuir : par jouissance, et peut-être pour le plaisir
de nous dépouiller nous-mêmes, il nous tuerait infailliblement.
Arrivons donc à nos deux buts, en le laissant subsister. J'ai
du stramonium dans ma poche : endormons-le, volons-le, enlevons ses
deux plus belles filles, et fuyons.
Sbrigani combattit quelque temps mon projet : le stramonium, sur un
aussi gros corps, pourrait ne pas réussir ; une dose de poison
bien violent lui paraissait plus sûre. Telles spécieuses
que fussent mes considérations, elles s'évanouissaient
devant notre sûreté, et selon Sbrigani, tant que l'ogre
vivait, elle n'était pas entière. Mais, ferme dans ma
résolution de ne jamais, autant que je le pourrais, faire tomber
sous mes coups ceux qui étaient aussi méchants que moi,
je persistai. Nous convînmes qu'après avoir endormi l'ogre
le lendemain, en déjeunant avec lui, nous le ferions passer
pour mort, afin de ne trouver du côté de ses gens aucun
obstacle à nous emparer de ses richesses, et que nos opérations
faites, nous décamperions aussitôt.
Le plus étonnant succès couronna nos desseins. Peu de
minutes après que Minski eut avalé le chocolat dans
lequel nous avions glissé le somnifère, il tomba dans
une telle léthargie, que nous n'eûmes pas de peine à
persuader de sa mort. Son intendant fut le premier à nous supplier
de régner à sa place ; nous eûmes l'air d'accepter,
et nous étant fait ouvrir le trésor, nous fîmes
charger dix hommes de tout ce qu'il contenait de plus précieux.
Passant de là au harem des femmes, Élise et Raimonde,
deux Françaises charmantes de dix-sept à dix-huit ans,
en furent aussitôt enlevées par nous, et nous regagnâmes
nos voitures, en assurant à l'intendant de Minski que nous
ne tarderions pas à le venir prendre avec le reste ; qu'assurément
nous consentions à succéder dans tout à son maître,
mais qu'il fallait transporter en plaine d'aussi brillantes possessions,
et renoncer à vivre, comme les ours, dans un réduit
aussi effrayant. Cet homme, enchanté, facilite tout, accepte
tout, et en fut sans doute bien récompensé par le géant,
lorsqu'il apprit à son réveil et ses pertes et notre
évasion.
Ayant fait mettre dans nos voitures les trésors que nous dérobions,
et y étant montés avec nos femmes, nous congédiâmes
nos porteurs après les avoir bien récompensés,
et leur avoir conseillé de fuir comme nous, et de ne plus rentrer
dans une caverne où leurs jours étaient à tout
instant menacés. Ils nous le promirent, et l'on se sépara.
Nous fûmes, dès le même jour, coucher à
Florence où, dès en arrivant, notre premier soin fut
d'examiner à l'aise, et nos deux femmes et nos trésors
: rien de joli comme ces deux créatures.
Élise, âgée de dix-sept ans, réunissait
à toutes les grâces de Vénus, les attraits séduisants
de la déesse des fleurs ; Raimonde, un peu plus âgée,
avait une figure si piquante, qu'il était impossible de la
fixer sans émotion ; toutes deux, nouvellement chez Minski,
n'avaient pas encore été touchées, et vous imaginez
bien que cette circonstance était l'une de celles qui m'avaient
le plus décidée à les choisir. Elles nous aidèrent
à compter nos trésors : il y avait six millions en espèces,
et quatre en pierreries, en argenterie ou en papiers sur l'Italie.
Ah ! comme mes yeux se repaissaient de ces richesses, et qu'il est
doux de compter l'or, quand il nous appartient par un crime ! Ces
soins remplis, nous nous reposâmes, et je passai dans les bras
de mes deux nouvelles conquêtes la plus délicieuse nuit
que j'eusse eue depuis longtemps.
Permettez maintenant, mes amis, que je vous entretienne un moment
de la superbe ville où nous arrivions bientôt. Ces détails
reposeront votre imagination, salie depuis trop longtemps par mes
récits obscènes : une telle diversion, ce me semble,
ne peut que rendre encore plus piquant ce que la vérité,
que vous avez exigée de moi, nécessitera peut-être
bientôt.
Florence, ouvrage des soldats de Sylla, embellie par les triumvirs,
détruite par Totila, rebâtie par Charlemagne, agrandie
aux dépens de l'ancienne ville de Fiésole, dont on ne
voit plus aujourd'hui que les ruines, longtemps en butte à
des révolutions intestines, subjuguée par les Médicis
qui, l'ayant gouvernée deux cents ans, la laissèrent
à la fin passer à la maison de Lorraine, est maintenant
régie, ainsi que la Toscane dont elle est capitale, par Léopold,
archiduc, et frère de la reine de France2, prince despote,
orgueilleux et ingrat, crapuleux et libertin comme toute sa famille,
ainsi que mes récits vont bientôt l'apprendre.
La première observation politique que je fis en arrivant dans
cette capitale, fut de me convaincre que les Florentins regrettaient
encore les princes de leur nation, et que ce n'était pas sans
peine qu'ils s'étaient soumis à des étrangers.
L'extérieur simple de Léopold n'en impose à personne
; toute la morgue allemande éclate, malgré son costume
populaire, et ceux qui connaissent l'esprit de la maison d'Autriche
savent bien qu'il lui sera toujours plus aisé de feindre des
vertus que d'en acquérir.
Florence, située au pied de l'Apennin, est partagée
par l'Arno ; cette partie centrale de la capitale de la Toscane ressemble
un peu à celle que coupe la Seine, à Paris ; mais il
s'en faut que cette ville soit, et aussi peuplée et aussi grande
que celle à laquelle nous la comparons un moment. La couleur
brune des pierres, qui servent à la construction de ses palais,
lui donne un air de tristesse qui la rend désagréable
à l'il. Si j'eusse aimé les églises, j'aurais
eu sans doute de belles descriptions à vous faire ; mais mon
horreur pour tout ce qui tient à la religion est si forte,
que je ne me permets même pas d'entrer dans aucun de ses temples.
Il n'en fut pas ainsi de la superbe galerie du grand duc : je fus
la voir dès le lendemain de mon arrivée. Je ne vous
rendrai jamais l'enthousiasme que je sentis au milieu de tous ces
chefs-d'uvre. J'aime les arts, ils échauffent ma tête
; la nature est si belle, qu'on doit chérir tout ce qui l'imite...
Ah ! saurait-on trop encourager ceux qui l'aiment et qui la copient
! La seule façon de lui arracher quelques-uns de ses mystères,
est de l'étudier sans cesse ; ce n'est qu'en la scrutant jusque
dans ses replis les plus secrets, qu'on arrive à l'anéantissement
de tous les préjugés. J'adore une femme de talent :
la figure séduit, mais les talents fixent, et je crois que
pour l'amour-propre, l'un est bien plus flatteur que l'autre.
Mon guide, ainsi que vous l'imaginez facilement, ne manqua pas de
m'arrêter à celle des pièces qui fait partie de
cette galerie célèbre, où Cosme Ier de Médicis
fut surpris dans une opération assez singulière... Le
fameux Vasari peignait la voûte de cet appartement, lorsque
Cosme y entra avec sa fille, dont il était fort amoureux :
ne se doutant point que l'artiste travaillait dans les combles, ce
prince incestueux caressa l'objet de son ardeur d'une manière
assez peu équivoque. Un canapé se présente, Cosme
en profite, et l'acte se consomme aux regards du peintre, qui, dès
le même instant, décampa de Florence, persuadé
que l'on emploierait des moyens violents pour étouffer un tel
secret, et que celui qui en aurait connaissance serait bientôt
mis hors d'état d'en parler. Le Vasari avait raison ; il vivait
dans un siècle et dans une ville où le machiavélisme
faisait des progrès : il était sage à lui de
ne pas s'exposer aux cruels effets de cette doctrine.
On me fit observer, non loin de là, un autel d'or massif, orné
de belles pierres précieuses, que je ne vis pas sans les convoiter.
Cette immensité de richesses était, m'expliqua-t-on,
un ex-voto que le grand-duc Ferdinand second, qui mourut en 1630,
offrit à saint Charles Borromée, pour le rétablissement
de sa santé. Le présent était en route, lorsque
le prince mourut : les héritiers décidèrent assez
philosophiquement que, puisque le saint n'avait pas exaucé
le vu, ils étaient exempts de le récompenser,
et ils firent revenir le trésor. Que d'extravagances deviennent
les fruits de la superstition, et comme on peut assurer avec vérité
que, de toutes les folies humaines, celle-là, sans doute, est
celle qui dégrade le plus l'esprit et la raison !
Je passai de là à la fameuse Vénus du Titien,
et j'avoue que mes sens se trouvèrent plus émus à
la contemplation de ce tableau sublime, qu'ils ne l'avaient été
des ex-voto de Ferdinand ; les beautés de la nature intéressent
l'âme, les extravagances religieuses la font frissonner.
La Vénus du Titien est une belle blonde, les plus beaux yeux
qu'on puisse voir, les traits un peu trop prononcés pour une
blonde, dont il semble que la main de la nature doive adoucir les
charmes comme le caractère. On la voit sur un matelas blanc,
éparpillant des fleurs d'une main, cachant sa jolie petite
motte de l'autre. Son attitude est voluptueuse, et l'on ne se lasse
pas d'examiner les beautés de détail de ce tableau sublime.
Sbrigani trouva que cette Vénus ressemblait prodigieusement
à Raimonde, l'une de mes nouvelles amies : il avait raison.
Cette belle créature rougit innocemment quand nous le lui dîmes
; un baiser de feu, que je collai sur sa bouche de rose, la convainquit
à quel point j'approuvais la comparaison de mon époux.
Nous vîmes dans la pièce suivante, nommée la chambre
des idoles, une infinité de chefs-d'uvre du Titien, de
Paul Véronèse et du Guide. Une idée bizarre est
exécutée dans cette salle. On y voit un sépulcre
rempli de cadavres, sur lesquels peuvent s'observer tous les différents
degrés de la dissolution, depuis l'instant de la mort, jusqu'à
la destruction totale de l'individu. Cette sombre exécution
est de cire, colorée si naturellement, que la nature ne saurait
être ni plus expressive, ni plus vraie. L'impression est si
forte, en considérant ce chef-d'uvre, que les sens paraissent
s'avertir mutuellement : on porte, sans le vouloir, la main au nez.
Ma cruelle imagination s'amusa de ce spectacle. A combien d'êtres
ma méchanceté a-t-elle fait éprouver ces affreuses
gradations !... Poursuivons : la nature me porta sans doute à
ces crimes, puisqu'elle me délecte encore, seulement à
leur souvenir.
Non loin de là, est un autre sépulcre de pestiférés,
où les mêmes gradations s'observent ; on y remarque surtout
un malheureux, tout nu, apportant un cadavre qu'il jette avec les
autres, et qui, suffoqué lui-même par l'odeur et le spectacle,
tombe à la renverse et meurt ; ce groupe est d'une effrayante
vérité.
Nous passâmes ensuite à des objets plus gais. La chambre
dite la Tribune nous offrit la fameuse Vénus de Médicis,
placée au fond de cette pièce. Il est impossible, en
voyant ce superbe morceau, de se défendre de la plus douce
émotion. Un Grec, dit-on, s'enflamma pour une statue... Je
l'avoue, je l'eusse imité près de celle-là. En
examinant les beautés de détail de ce célèbre
ouvrage, on croit aisément que l'auteur dut, comme la tradition
le rapporte, se servir de cinq cents modèles pour le terminer
: les proportions de cette sublime statue, les grâces de la
figure, les contours divins de chaque membre, les arrondissements
gracieux de la gorge et des fesses, sont des traits de génie
qui pourraient le disputer à la nature, et je doute que le
triple de modèles, choisi sur toutes les beautés de
la terre, pût aujourd'hui fournir une créature qui n'eût
à perdre à la comparaison ; l'opinion générale
est que cette statue nous représente la Vénus maritime
des Grecs. Je ne m'appesantirai pas davantage sur un morceau dont
les copies se sont autant multipliées ; tout le monde peut
la posséder, sans doute, mais personne ne l'appréciera
comme moi... L'exécrable dévotion fit autrefois briser
ce beau morceau... Les imbéciles ! ils adoraient l'auteur de
la nature, et croyaient la servir en détruisant son plus bel
ouvrage. On ne s'accorde point sur le nom du sculpteur : l'opinion
commune prête ce chef-d'uvre à Praxitèle,
d'autres à Cléomène : qu'importe, elle est belle,
on l'admire, c'est tout ce qu'il faut à l'imagination, et quel
que puisse être l'auteur, le plaisir que l'on prend à
admirer l'ouvrage n'en est pas moins un des plus doux que l'on puisse
goûter.
Mes yeux se portèrent de là sur l'Hermaphrodite. Vous
savez que les Romains, tous passionnés pour ce genre de monstre,
les admettaient de préférence dans leurs libertines
orgies : celui-là, sans doute, est un de ceux dont la réputation
lubrique fut la mieux établie. Il est fâcheux que l'artiste,
en lui croisant les jambes, n'ait pas voulu laisser voir ce qui caractérisait
le double sexe ; on le voit couché sur un lit, exposant le
plus beau cul du monde... cul voluptueux que Sbrigani convoita, en
m'assurant qu'il avait foutu celui d'une semblable créature,
et qu'il n'était pas de plus délicieuse jouissance au
monde.
Tout près, est un groupe de Caligula caressant sa sur
: ces maîtres orgueilleux de l'univers, loin de cacher leurs
vices, les faisaient éterniser par les arts. On voit aussi,
dans cette même pièce, la fameuse effigie du Priape,
sur lequel les jeunes filles étaient obligées, par dévotion,
d'aller frotter les lèvres de leur vagin. Il est d'une telle
grosseur, qu'assurément l'introduction en eût été
impossible, si par hasard elle eût fait partie des mystères.
On nous montra des ceintures de virginité. Et sur la menace
que je fis à mes deux amies de les revêtir de meubles
semblables pour être sûre d'elles, la tendre Élise
m'assure, délicatement qu'elle n'avait besoin que de l'amour
que je lui inspirais, pour être contenue dans les bornes de
la plus exacte tempérance.
Nous vîmes ensuite la plus belle et la plus singulière
collection de poignards ; quelques-uns étaient empoisonnés.
Aucun peuple n'a raffiné le meurtre comme les Italiens : il
est donc tout simple de voir chez eux tout ce qui peut servir à
cette action, de la manière la plus cruelle et la plus traîtresse.
L'air est très mauvais à Florence ; l'automne y est
même mortel : un morceau de pain que l'on laisserait s'imprégner
des miasmes de l'Apennin pendant cette saison, empoisonnerait celui
qui le mangerait ; les morts subites, les coups de sang, y sont très
fréquents alors. Mais comme nous étions au commencement
du printemps, je crus pouvoir y passer l'été sans aucun
risque. Nous ne couchâmes à l'auberge que deux nuits
; dès le troisième jour, je louai une superbe maison
sur le quai de l'Arno, dont Sbrigani faisait les honneurs : je passais
toujours pour sa femme, et mes deux suivantes pour ses surs.
Établie là sur le même pied qu'à Turin
et que dans les autres villes d'Italie où j'avais passé,
les propositions arrivèrent, aussitôt que nous fûmes
connus. Mais un ami de Sbrigani l'ayant prévenu qu'avec de
la modération et point trop de promptitude, nous serions peut-être
admises aux plaisirs secrets du grand-duc, pendant quinze jours nous
refusâmes ce qui se présentait.
Les émissaires du prince arrivèrent enfin. Léopold
voulait nous réunir toutes trois aux objets journaliers de
ses débauches secrètes, et il y avait mille sequins
pour chacune, si notre complaisance était entière.
- Les goûts de Léopold sont despotes et cruels comme
ceux de tous les souverains, nous dit l'émissaire, mais vous
ne serez point le plastron de ses luxures, vous les servirez seulement.
- Nous serons aux ordres du grand-duc, répondis-je, mais pour
mille sequins... non : mes belles-surs et moi, nous ne marcherons
que pour le triple... Vous reviendrez si cela vous convient.
Le libertin Léopold, qui nous avait déjà lorgnées,
n'était pas un homme à renoncer à de telles jouissances
pour deux mille sequins de plus. Avare avec sa femme, avec les pauvres,
avec ses sujets, le fils de l'Autrichienne ne l'était pas pour
ses voluptés. On vient donc nous prendre le lendemain matin
pour nous conduire à Pratolino, dans l'Apennin, sur la route
par laquelle nous étions arrivée à Florence.
Cette maison, fraîche, solitaire et voluptueuse, avait tout
ce qui caractérise un lieu de débauche. Le grand-duc
sortait de dîner, quand nous parûmes ; il n'avait avec
lui que son aumônier, agent et confident de ses lubricités.
- Mes belles amies, nous dit le souverain, je vais, si vous le trouvez
bon, vous réunir aux jeunes objets qui doivent aujourd'hui
servir à ma luxure.
- Léopold, répondis-je avec cette noble fierté
qui me caractérisa dans tous les temps, mes surs et moi,
nous nous soumettons à tes caprices, nous satisferons tes désirs
; mais si tu étais sujet, comme tous les gens de ton espèce,
à des fantaisies dangereuses, préviens-nous : notre
intention n'étant pas d'entrer, que nous ne soyons sûres
de n'avoir rien à craindre.
- Les victimes sont là, nous dit le grand-duc, vous n'êtes
que les prêtresses... l'abbé et moi, les sacrificateurs...
- Entrons, dis-je à mes compagnes ; à quelque point
que les souverains soient fourbes, on ne risque pourtant rien de les
croire quelquefois, surtout lorsque l'on porte avec soi des moyens
certains de vengeance...
Et je laissais voir en même temps le bout du manche d'un poignard
qui ne me quittait pas depuis que j'étais entrée en
Italie.
- Quoi ! me dit Léopold en s'appuyant sur mon épaule,
vous attenteriez aux jours d'un souverain ?
- Mon cher, dis-je effrontément, je ne t'attaquerais pas la
première, mais si tu t'oubliais avec moi, ceci, poursuivis-je
en montrant le poignard, te ferait souvenir que c'est à une
Française que tu parles... A l'égard de ton caractère
sacré, mon ami, permets-moi d'en rire un instant. Ne t'imagine
pas, je t'en prie, que le ciel, en te formant, t'ait donné
une existence différente de celle du dernier individu de tes
États, et tu n'es pas, pour moi, plus respectable. Zélée
sectatrice de l'égalité, je n'ai jamais cru qu'il y
eût sur la terre une créature qui valût mieux qu'une
autre, et comme je n'ai pas de foi aux vertus, je n'imagine pas même
que les vertus puissent les différencier.
- Mais je suis roi.
- Pauvre homme ! comment oses-tu m'objecter ce titre ? Qu'il est méprisable
à mes yeux ! N'est-ce pas le hasard qui t'a mis où tu
es ? qu'as-tu fait pour obtenir ton rang ? Le premier qui le mérita,
par son courage ou par ses talents, put prétendre à
quelque estime, peut-être ; mais celui qui ne l'obtient que
par héritage, n'a droit qu'à la compassion des hommes.
- Le régicide est un crime.
- Imaginaire... mon ami : il y a autant de mal à tuer un savetier
qu'un roi, et pas plus à massacrer l'un ou l'autre, qu'une
mouche ou qu'un papillon, également l'ouvrage de la nature.
Crois bien affirmativement, Léopold, que la façon de
ton individu n'a pas plus coûté que celle d'un singe,
à notre mère commune, et qu'elle n'a pas plus de prédilection
pour l'un que pour l'autre.
- J'aime la franchise de cette femme, dit le duc à son aumônier.
- Et moi aussi, Monseigneur, répondit l'homme de Dieu ; mais
je crains qu'avec cet orgueil, elle n'apporte pas à vos plaisirs
toute la subordination qu'ils exigent.
- Erreur que tout cela, M. l'abbé, répondis-je ; fière
et franche dans le monde, douce et soumise dans les plaisirs : voilà
le rôle d'une jolie courtisane française ; ce sera le
mien. Mais si vous me trouvez esclave dans le boudoir, songez que
je ne veux l'être que de vos passions, et nullement de votre
qualité de souverain. Je respecte les passions, Léopold,
j'en ai comme toi, mais je me refuse opiniâtrement aux honneurs
des rangs : tu obtiendras de moi tout comme homme, rien comme prince,
je t'en avertis ; commençons.
Nous entrâmes. Je ne m'attendais pas à l'espèce
de créatures qui nous attendaient dans le voluptueux salon
où nous fit passer Léopold, et dans lequel nous nous
enfermâmes : c'étaient quatre filles de quinze à
seize ans, toutes quatre grosses à pleine ceinture...
- Que diable veux-tu faire de ce gibier ? demandai-je au duc.
- Tu vas l'apprendre, me répondit-il. Je suis père des
enfants que ces créatures portent dans leur sein, et je ne
les ai faits que pour me donner le délicieux plaisir de les
détruire. Je ne connais pas de satisfaction plus grande que
celle de faire avorter une femme grosse de moi, et comme ma semence
est très prolifique, j'en engrosse une tous les jours, pour
me procurer ensuite l'insigne volupté de détruire mon
ouvrage.
- Ah ! ah ! dis-je à l'Autrichien, ta passion est assez bizarre
: je la servirai de tout mon cur... Et comment t'y prends-tu
pour opérer ?
- C'est ce que tu vas voir, dit Léopold, qui jusque-là
ne m'avait parlé qu'à l'oreille. Commençons par
leur annoncer le sort qui les attend.
Et, s'approchant des quatre filles, il leur déclare ses intentions.
Je vous laisse à juger, mes amis, la douleur où ce perfide
arrêt les plongea toutes quatre ; deux s'évanouirent,
les deux autres beuglèrent comme des veaux qu'on mène
au boucher. Mais Léopold, peu sensible, les fit aussitôt
mettre nues par son agent.
- Belles dames, nous dit alors le grand-duc, voudriez-vous bien imiter
ces demoiselles, et vous déshabiller de même ? Je ne
jouis jamais d'une femme que quand elle est nue, et je soupçonne,
d'ailleurs, vos corps assez beaux pour mériter d'être
observés sans voiles.
Nous obéîmes, et, dans l'instant, Léopold eut
sept femmes nues sous les yeux. Les premiers hommages de ce libertin
s'adressèrent à nous : il nous examine, il nous compare,
nous éloigne, nous rapproche, et finit enfin cette première
scène par nous gamahucher toutes les trois, pendant qu'il se
faisait branler alternativement par chacune des femmes grosses. Léopold
aimait le foutre ; il ne nous lâcha pas, qu'il ne nous eût
fait décharger dans sa bouche au moins trois ou quatre fois
chacune. Pendant qu'il nous branlait ainsi, l'abbé nous socratisait,
de manière qu'excitées de toutes parts, nous ne lui
épargnâmes pas les libations. Au bout d'une heure, l'inconstant
changea de temple, et nous faisait successivement langoter par son
croque-dieu ; le vilain nous lécha le cul, toujours branlées
par les femmes grosses.
- Je bande beaucoup, nous dit Léopold, il est temps d'en venir
à quelque chose de plus sérieux. Voici quatre fers rouges,
tous marqués, continua-t-il : sur chacun est gravée
la condamnation d'une de ces femmes grosses ; je vais leur bander
les yeux, et elles viendront elles-mêmes choisir un de ces fers.
On exécute, mais à mesure que le colin-maillard avait
choisi son fer, Léopold le lui appliquait tout bouillant sur
le ventre. Telles étaient les quatre différentes inscriptions
résultatives de ces terribles fers : la plus jeune, celle de
quatorze ans, reçut de la main du hasard l'inscription qui
portait : Elle avortera sous les coups de fouet ; celle d'ensuite,
et qui paraissait du même âge, eut pour inscription :
Elle avortera par une boisson ; la troisième, âgés
de quinze ans, eut pour arrêt : Elle avortera foulée
aux pieds ; la sentence de la quatrième, ayant environ seize
ans, fut : On lui arrachera son enfant du ventre.
La cérémonie faite, on enleva les bandeaux, et les malheureuses,
en se considérant, purent lire leur mutuelle condamnation.
Alors Léopold les fit placer toutes quatre debout sur un canapé,
bien en face de lui ; il m'étendit sur ce canapé et
m'enconna, en réjouissant ses yeux de la perspective de ces
quatre ventres bouffis, portant chacun la sentence qui devait les
faire fondre. Élise fustigeait pendant ce temps-là Monseigneur,
et l'abbé se branlait sur les tétons de Raimonde.
- Léopold, dis-je en foutant, ne m'engrosse pas, je t'en conjure,
car il est vraisemblable que si j'avais le malheur d'être fécondée
par toi, je pourrais bien accoucher comme ces demoiselles.
- Rien ne serait plus certain, dit le grand-duc en me lançant
des yeux et des coups de reine qui n'avaient certainement pas la galanterie
pour motif, mais ce qui doit te rassurer, c'est que je décharge
difficilement.
Et en même temps, il me quitta pour dépuceler Élise,
qui l'étrillait depuis un quart d'heure, et qui fut bientôt
remplacée par Raimonde, dont je pris les soins auprès
de l'abbé, lequel après moi, prit Élise. On ne
vit jamais rien de si roide et de si en colère que les membres
de ces deux libertins.
- N'enculons-nous donc pas ? nous dit l'abbé, qui, depuis longtemps,
caressait et maniait mon derrière en homme qui avait envie
de le foutre.
- Pas encore, dit Léopold, il faut expédier une victime.
La petite fille condamnée à l'avortement par le supplice
du fouet fut aussitôt saisie par le souverain qui, armé
d'abord d'une simple poignée de verges, ensuite d'un martinet
à pointes d'acier, lui travailla près d'une demi-heure
le derrière, d'une telle violence qu'il la mit en sang tout
d'un coup. Alors la victime fut attachée debout, les mains
en l'air et les pieds au parquet, et le duc la frappa d'un nerf de
buf sur le ventre, avec une force si prodigieuse, que l'embryon
se détacha bientôt. La mère crie ; la tête
de l'enfant apparaît, et Léopold l'arrachant lui-même,
le jette dans le brasier et renvoie la mère.
- Foutez en cul. Monseigneur, dit le respectable aumônier :
les veines gonflées de votre vit, l'écume dont votre
bouche royale est couverte, le feu qui sort de vos yeux, tout annonce
le besoin que vous avez d'un cul ; ne craignez pas de perdre votre
foutre, vous rebanderez par nos soins, et nous expédierons
les autres.
- Non, non, nous dit le grand-duc qui me baisait et me maniait beaucoup
pendant toutes ces lubricités, j'ai beaucoup déchargé
hier, je ne répondrais pas d'aller à deux fois aujourd'hui
: je veux tout expédier avant que de perdre mes forces.
Et la seconde fut prise. Sa sentence portait : elle avortera par une
boisson. Le fatal breuvage était là ; la jeune enfant
fait beaucoup de difficultés ; le féroce ecclésiastique
contient d'une main cette fille par les cheveux, et lui entrouvre
de l'autre la bouche avec une lime ; je suis chargée de faire
avaler la potion, et le duc, branlé par Élise, manie
pendant ce temps-là mes fesses et celles de la victime... Quel
effet ! grand Dieu ! je n'en aurais jamais soupçonné
de semblable. A peine ce venin dangereux a-t-il atteint les entrailles
de la petite personne, qu'elle jette des cris terribles ; elle se
débat, elle se roule à terre, et l'enfant paraît.
Cette fois-ci, c'est l'abbé qui le retire. Léopold,
trop agité, nous maniait si lubriquement, Élise et moi,
pendant que Raimonde le suçait, qu'il lui fut impossible d'opérer
; je crus qu'il allait partir : il se retire à temps.
La troisième fille est liée sur le dos par terre : c'était
en la foulant aux pieds que son fruit devait périr. Soutenu
par Élise et moi, pendant que Raimonde, à genoux, le
corps de la victime entre ses jambes, lui branle le vit sur ses tétons,
le libertin trépigne d'une manière si forte l'estomac
de la malheureuse, qu'elle pond son fruit. Il est précipité
comme les autres dans le brasier, sans prendre seulement la peine
d'examiner le sexe, et la mère plus morte que vive, est promptement
expulsée.
Si la dernière était la plus belle, elle était
aussi la plus malheureuse. On devait lui arracher l'enfant du ventre
: je vous laisse à penser quel supplice !
- Elle n'en reviendra pas, celle-ci, nous dit Léopold, ce sont
à ses affreuses douleurs que ma décharge sera due. Cela
devait être, puisque c'est celle des quatre qui, quand je les
foutis, me donna le plus de plaisir : la petite putain devint grosse
le jour même où je lui fis perdre son pucelage.
On l'étend sur une croix diagonale qui, relevée en bosse
sur son milieu, lui tenait le ventre dans une extrême hauteur.
Les quatre membres furent fortement comprimés, rabaissés,
et recouverts ensuite de manière à ce que l'on n'apercevait
exactement plus que la masse ronde et boursouflée qui contenait
l'enfant. L'abbé opère... Léopold, bien en face,
m'encule... de chacune de ses mains, il branle, à droite le
con d'Élise, à gauche le con de Raimonde. Et pendant
que le perfide aumônier fend en quatre le ventre de la victime,
et la précipite au tombeau en lui arrachant son fruit, le grand
successeur des Médicis, le célèbre frère
de la première putain de France, me décharge un torrent
de foutre dans le trou du cul, en blasphémant comme un crocheteur.
- Mesdames, nous dit le duc pendant qu'il essuyait son vit, en vous
accordant à chacune les trois mille sequins que vous avez exigés,
j'ai compté payer le secret.
- Il sera sévèrement gardé, répondis-je,
mais j'y mets une condition.
- Est-ce à toi de parler ainsi ?
- Assurément... et tes crimes me donnent des droits, dès
que je peux te perdre en les divulguant.
- Voilà ce que c'est, Monseigneur, dit l'abbé, que de
se mettre ainsi à la disposition de ces coquines : ou il ne
faut jamais leur rien laisser voir, ou il faut les tuer dès
qu'elles ont vu. Toutes ces commisérations-là vous perdront
ou vous ruineront, je vous l'ai dit cent fois ; est-ce à vous
à composer avec de pareilles gueuses ?
- Doucement, l'abbé, répondis-je, le ton que tu prends
serait, au plus, convenable avec des coquines comme celles que ton
patron et toi vous voyez, sans doute, ordinairement : il ne l'est
pas avec des femmes de notre rang qui, peut-être aussi riches
que toi, dis-je en m'adressant au duc, se prostituent par goût
et non par avarice. Terminons cette discussion ! le duc a besoin de
nous, nous avons besoin de lui : que des services mutuels rétablissent
ici la balance. Léopold, nous te jurons le plus profond secret,
si tu nous assures de ta part l'impunité la plus entière,
tout le temps que nous habiterons Florence. Jure-nous que, quelque
chose que nous fassions dans tes États, nous n'y serons jamais
recherchée sur rien.
- Je pourrais me soustraire à cette inquisition, dit Léopold,
et, sans me souiller du sang de ces créatures, je pourrais
les convaincre qu'il y a ici, comme à Paris, des châteaux
où l'on sait contraindre les indiscrets au silence. Mais je
n'aime pas ces moyens avec des femmes qui me paraissent aussi libertines
que moi : je vous accorde l'impunité que vous me demandez,
pour vous, votre mari et vos surs, seulement l'espace de six
mois : sortez après de mes États, je vous l'ordonne.
Obtenant tout ce que je voulais, je ne crus pas devoir répliquer,
et après avoir remercié Léopold, reçu
l'argent et ses promesses bien en règle, nous prîmes
congé de lui et nous retirâmes.
- Il faut jouir de ce jubilé, me dit Sbrigani dès qu'il
eut au notre arrangement, et tâcher de ne pas quitter Florence
sans ajouter au moins trois millions à ceux que nous avons
déjà. Ce qui me déplaît, c'est que cette
nation-ci est vilaine et pauvre ; enfin, nous prendrons tout ce que
l'on ne nous offrira pas, et puisque nous avons six mois à
nous, c'est assez pour une bonne récolte.
Les murs sont très libres à Florence. Les femmes
se costument comme des hommes, ceux-ci comme des filles. Il y a peu
de villes dans toute l'Italie où l'on aperçoive un penchant
plus décidé pour trahir son sexe, et cette manie leur
vient assurément de l'extrême besoin qu'ils ont de les
déshonorer tous deux. Les Florentins, passionnés pour
la sodomie, obtinrent autrefois une indulgence plénière
des papes pour ce vice, sous quelque rapport qu'on pût le considérer.
L'inceste et l'adultère s'y montrent également sans
aucun voile : les maris cèdent leurs femmes, les frères
couchent avec leurs surs, les pères avec leurs filles.
Le climat, dit ce bon peuple, est l'excuse de notre dépravation,
et le Dieu qui nous y fit naître ne s'étonnera pas des
excès où lui-même nous porte. Il y avait autrefois,
à Florence, une loi fort singulière à ce sujet.
Il était impossible, le jeudi gras, qu'une femme refusât
la sodomie à son époux : si elle s'en avisait, et que
celui-ci s'en plaignît, elle risquerait de devenir la fable
de la ville. Heureuse, mille fois heureuse la nation assez sage pour
ériger ses passions en lois ! Il n'y a d'extravagante que celle
qui, par des principes aussi stupides que barbares, au lieu d'allier
prudemment l'un et l'autre, contrarie, par des lois absurdes, tous
les penchants de la nature.
A quelque point cependant que soit porté le dérèglement
des murs à Florence, on n'y souffre aucune raccrocheuse
dans les rues. Les putains ont un quartier séparé dont
elles ne peuvent sortir, et dans lequel règnent le plus grand
ordre et la plus extrême tranquillité. Mais ces filles,
rarement jolies, sont d'ailleurs assez mal logées ; et l'observation
de ces lieux de débauche n'offre d'autres circonstances singulières
à l'examinateur philosophe, que l'extrême complaisance
de ces victimes publiques qui, trop heureuses de vous attirer par
leur résignation, vous présentent indifféremment
toutes les parties de leur corps, et souffrent même avec assez
de patience, sur chacune d'elles, tout ce qui plaît à
la cruauté libertine de leur imposer. Sbrigani et moi, nous
en avons battu, fouetté, souffleté, estropié,
brûlé, sans que jamais, comme en France, une seule plainte
se soit fait entendre. Mais si le putanisme est secret et peu abondant
à Florence, le libertinage n'y est pas moins excessif, et les
murs épais, reculés, des gens riches, recèlent
bien des infamies : une infinité de malheureuses, conduites
furtivement dans ces criminelles enceintes, y laissent bien souvent
l'honneur et la vie.
Peu de temps avant mon arrivée, un riche particulier de cette
ville, ayant violé deux petites surs de sept ou huit
ans, fut accusé par la famille de ces enfants de les avoir
fait mourir après en avoir joui : quelques sequins étouffèrent
les plaintes, et l'on n'en parla plus.
A peu près vers ce temps, une célèbre maquerelle
fut soupçonnée de mener tous les jours chez de grands
seigneurs de jeunes bourgeoises arrachées du sein de leur famille.
Interrogée sur le nom de ceux auxquels elle avait fourni, elle
compromit une telle quantité de gens en place, à commencer
par le souverain, que la procédure fut brûlée,
et qu'on lui défendit d'en dire davantage.
Presque toutes les femmes de qualité, à Florence, sont
dans l'habitude de se prostituer dans des bordels ; leur misère
et leur tempérament les y portent. Il n'y a point de ville
en Europe où la constitution de l'État mette les femmes
plus mal à leur aise, et il y en a peu où leur libertinage
soit plus étendu. Le sigisbéat n'est qu'un voile ; rarement
le sigisbée a des droits sur la femme qu'il sert ; placé
là comme l'ami de l'époux, il accompagne cette femme
quand elle le veut et la quitte quand elle l'ordonne. Ceux qui croient
que le sigisbée est un amant sont dans une grande erreur :
il est l'ami commode de la femme, quelquefois l'espion du mari, mais
il ne couche point, et c'est sans doute, de tous les rôles,
le plus plat à jouer en Italie. Si un étranger riche
paraît dans le monde, et le mari et le sigisbée, tout
se retire, tout cède la place à celui sur la bourse
duquel on se fonde, et j'ai souvent vu le complaisant époux
sortir de la maison pour quelques sequins, quand l'étranger
témoigne le plus petit désir d'entretenir madame seule.
Je vous ai donné cette légère esquisse des murs
florentines, afin de vous faire voir, pour les escroqueries, pour
les débauches que nous méditions, ce que nous donnaient,
ou ce que nous refusaient, les usages du peuple dont nous voulions,
et dont nous pouvions, nous amuser six mois avec impunité.
Sbrigani crut que, pour mieux réussir dans nos projeta, il
fallait ériger notre manoir plutôt en un lieu célèbre
de débauches qu'en une maison de jeu. Perfide insatiabilité
de l'avarice ! n'avions-nous pas suffisamment de quoi vivre, sans
frayer de nouveau la route du crime ? Mais, la quitte-t-on quand on
y est !
Nous fîmes donc courir des billets, pour prévenir le
public que les hommes trouveraient à toute heure, chez nous,
non seulement de jolies petites bourgeoises, mais même des femmes
de première qualité, et les dames furent également
averties qu'elles trouveraient toujours chez nous des hommes et des
jeunes filles pour leurs voluptés secrètes. Comme nous
réunîmes à cela le local le plus agréable
et le plus délicieusement meublé, et la table la plus
splendide, nous eûmes promptement toute la ville. Nous formions,
mes compagnes et moi, le fond de la maison ; mais au moindre ordre,
au plus léger désir, nous avions, dans les deux sexes,
ce qu'il était possible de se procurer de plus délicieux.
Tout se payait exorbitamment cher, mais on était merveilleusement
servi. Par les soins de mes deux compagnes, dressées à
l'escroquerie, il s'égarait infiniment de bourses et de bijoux
; mais on avait beau se plaindre, la protection qui nous était
accordée repoussait tout, et nous triomphions de toutes les
vaines dénonciations qu'on osait faire sur notre conduite.
Le premier qui parut fut le duc de Pienza. Sa passion est assez singulière
pour vous être détaillée. Il fallait seize jolies
filles au duc ; on les arrangeait par couples, une coiffure égale
caractérisait chaque couple. J'étais dans un sofa près
de lui, et nue comme les couples ; seize musiciens, tous jeunes, jolis,
et également nus, étaient placés à droite
sur des gradins. Chaque couple devait paraître à son
tour. Avant qu'il n'entrât, le duc me confiait l'attitude ou
la volupté qu'il exigeait de ce couple, on prévenait
les musiciens du secret, et c'était par le son plus ou moins
fort des instruments que le couple parvenait à deviner ce qu'il
avait à faire. Devinait-il ? la musique cessait, et le duc
enculait les deux filles. Ne devinait-il pas (et le temps était
réglé pour cela, chaque couple n'avait que dix minutes),
les deux filles étaient alors fustigées jusqu'au sang
par notre libertin, qui, comme vous l'imaginez facilement, goûtait
d'abord le plus grand plaisir aux détails.
Le premier secret qu'on offrit à la divination du premier couple
fut de venir sucer tour à tour le vit du paillard ; parfaitement
guidées par la musique, elles devinèrent : elles furent
sodomisées. Le secret du second couple fut de venir me lécher
le con ; il ne le trouva pas : le fouet s'ensuivit. La troisième
passion à deviner fut de venir fouetter le duc : elles devinèrent
; la quatrième d'aller branler le vit des musiciens : elles
ne le trouvèrent pas ; la cinquième de chier au milieu
de la chambre : le fouet devint bientôt la punition de n'avoir
pas deviné cette saleté. Le sixième couple pénétra
qu'il s'agissait de se branler ensemble. Le septième ne trouva
jamais qu'il fallait se fouetter mutuellement, et il le fut vigoureusement
par le duc. La musique fit, enfin, parfaitement deviner au huitième
qu'il fallait enculer le héros avec des godemichés,
et ce fut le moment qu'il choisit lui-même pour me décharger
dans le cul. Tout fut dit.
Il y avait environ trois mois que nous menions une vie aussi délicieuse
que lucrative, lorsqu'une affreuse trahison de ma part vint augmenter
mes fonds de cent mille écus.
De toutes les femmes qui fréquentaient ma maison avec le plus
d'assiduité, la jeune ambassadrice d'Espagne était celle
qui s'y distinguait le plus par ses excessives débauches. Femmes,
filles, garçons, castrats, tout était bon pour elle,
et la putain, quoique jeune et jolie comme un ange, était si
débordée, si impure, qu'elle exigeait que je lui fisse
voir des portefaix, des crocheteurs, des valets, des gadouards, tout
ce que la crapule, enfin, peut avoir de plus vif et de plus rabaissé.
Voyait-elle des femmes ? c'étaient des coureuses de corps de
garde ; et s'il y avait eu quelque chose de plus horrible et de plus
affreux, je l'eusse bien mieux satisfaite en le lui procurant. Une
fois enfermée chez moi avec cette canaille, la coquine s'en
donnait sept ou huit heures de suite, et faisait succéder les
plaisirs de la table à ceux de Vénus ; elle finissait
sa journée par perdre la raison au sein des plus sales débauches.
L'ambassadrice avait un mari fort dévot, très jaloux,
auquel elle faisait croire que tout le temps de ses absences se passait
chez une amie qui, comme elle, fréquentait ma maison avec la
plus grande assiduité.
Voyant un grand parti à tirer de tout cela, je vais trouver
un jour l'ambassadeur.
- Excellence, lui dis-je, un homme comme vous ne mérite pas
d'être trompé : la femme qui porte votre nom est indigne
de vous posséder. Je vous conjure de vous éclaircir
; vous le devez à votre honneur, à votre tranquillité.
- Moi, trompé ? répondit l'ambassadeur, cela est impossible
: je connais trop ma femme.
- Vous ne la connaissez pas, Monseigneur ; vous êtes loin de
soupçonner les affreux excès où elle se livre,
et je veux en convaincre vos yeux mêmes.
Florella, confondu hésite un moment ; il ne sait s'il osera
ajouter aux malheureux soupçons que je jette en son âme
la conviction que je lui offre. Revenant de là, néanmoins,
avec plus de fermeté que je ne lui en aurais soupçonné
:
- Êtes-vous en état de me prouver ce que vous me dites,
madame ? me demanda-t-il.
- Ce soir même, Monseigneur, si vous l'exigez. Voilà
mon adresse, trouvez-vous chez moi sur les cinq heures, vous verrez
quels sont les gens que choisit votre épouse pour vous perdre
et vous déshonorer.
L'ambassadeur accepte. Voilà qui va à merveille.
- Monseigneur, dis-je alors, mais prenez garde à la perte énorme
que je fais en vous dénonçant votre épouse. C'est
moi qui lui fournis des hommes, et elle me les paie fort cher ; une
fois punie par vous, je ne la reçois plus : ou rien de fait,
ou je veux être indemnisée.
- Cela est juste, dit Florella, combien exigez-vous ?
- Cinquante mille écus.
- Les voilà dans ce portefeuille ; je les porterai avec moi,
ils seront à vous si vous m'éclairez.
- Tout est dit, Monseigneur, je vous attends.
Mais je ne bornais pas à cette seule ruse l'horreur que je
méditais sur ce malheureux ménage. En faisant tomber
la femme dans un piège, j'y voulais envelopper le mari, et
vous allez voir les moyens que j'employai pour y réussir. Je
vais trouver l'ambassadrice.
- Madame, lui dis-je, vous vous gênez pour votre mari, vous
le croyez sage, et vous prenez des précautions pour éviter
ses reproches : venez ce soir de bonne heure chez moi ; je vous ferai
voir qu'il enfreint les liens conjugaux, pour le moins avec autant
d'impunité que vous, et sa conduite alors vous mettant à
l'aise, vous devez, de ce moment, renoncer à toutes les précautions
qui troublent journellement vos plaisirs.
- Je m'étais doutée de ce que tu m'apprends, me répondit
l'ambassadrice, et je ne te cache pas que j'en recevrai la conviction
avec bien du plaisir : quand veux-tu me la donner ?
- Ce soir même ; une partie délicieuse vous attend chez
moi, vous le savez : six crocheteurs de vingt ans, beaux comme l'Amour.
Eh bien ! trois jeunes garçons, également demandés
par votre époux, doivent ce soir assouvir sa luxure.
- Le monstre !
- Il est bougre.
- Ah ! je ne m'étonne plus de ses persécutions pour
m'enculer... de ses fantaisies... de ses beaux laquais... Oh ! Juliette,
fais-moi voir cela, je t'en supplie... Il faut absolument que je sache
tout.
- J'y consens, mais je le perds en vous le dévoilant, et sa
pratique est encore meilleure que la vôtre.
- Eh bien, qu'exiges-tu ? demande, Juliette, il n'est pas de sacrifice
que je ne sois prête à faire pour acquérir ma
tranquillité.
- Serait-ce trop de cinquante mille écus ?
- Les voilà dans ce portefeuille, pars et compte sur moi.
Les deux rendez-vous assurés, je vole préparer tout.
Le piège de la femme était sûr : son libertinage
naturel l'y enveloppait. Celui que je préparais à l'époux
ne l'était pas autant. Il fallait de l'art, de la séduction
: j'avais affaire à un Espagnol... à un dévot.
Rien ne m'effraya. Les lieux des scènes assez bien distribués,
pour qu'au moyen d'une fente pratiquée d'un appartement à
l'autre, le mari pût se voir outrager par sa femme, et la femme
par son mari, j'attends patiemment mes deux dupes. L'époux
arrive le premier.
- Monseigneur, lui dis-je, après la manière dont votre
femme se conduit, vous ne devez plus, ce me semble, gêner vos
goûts et vos plaisirs.
- Non ; je n'aime point ces sortes de choses.
- Avec des femmes, j'en conviens, il y a tant de dangers ! Mais, tenez,
Monseigneur, ces jolis enfants, poursuivis-je en levant un rideau
derrière lequel j'avais fait cacher, tout nus et simplement
ornée de guirlandes de roses, trois petits garçons plus
beaux que l'Amour même... ces Ganymèdes délicieux,
vous conviendrez que leur jouissance ne vous prépare aucun
regret ; il n'y a nulle conséquence à cela, en vérité
: on se conduit si mal avec vous !...
Et tout en discourant, les jolis poupons, par mes ordres, entouraient
l'Espagnol, le baisaient, le cajolaient, et mettaient à l'air,
malgré lui, sa virilité chancelante. L'homme est faible,
et les dévots surtout, quand on leur offre des garçons.
On ne se doute pas de l'extrême analogie qui se trouve entre
les croyants en Dieu et les bougres.
- Monseigneur, dis-je, dès que les choses furent en train,
je vais vous laisser ; quand votre épouse sera à l'ouvrage,
je viendrai vous en donner avis, et, convaincu par vos yeux de ses
affreuses infidélités, vous vous gênerez moins
dans les vôtres.
Je vole à l'ambassadrice ; elle venait d'entrer.
- Regardez, madame, lui dis-je en la plaçant au trou, voyez
à quoi monsieur votre mari passe son temps...
Et vraiment le cher homme, bien loin de soupçonner le piège
qu'on lui tendait, séduit par mes propos, par les beautés
qui l'environnaient, presque nu au milieu de ces trois enfants, jouissait
déjà des plus doux préludes de la lubricité
sodomite.
- Oh ! l'exécrable homme ! dit l'ambassadrice... en voilà
assez. Qu'il vienne maintenant critiquer ma conduite... Ah ! comme
il sera reçu ! Oh ! Juliette, tout cela est affreux... Mes
hommes ! mes hommes ! que je me venge, Juliette ! que je me venge
avec usure.
Et, ayant mis en train les lubricités de la femme, je ne suis
pas longtemps à les aller faire observer au mari.
- Mille pardons, si je vous dérange, Monseigneur, dis-je en
entrant, mais voici l'instant, je ne veux pas qu'il vous échappe.
Tenez, lui dis-je en le conduisant à un trou différent
de celui par lequel lui-même avait été vu par
sa femme, examinez comme on vous trahit.
- Ô ciel ! dit Florella... Avec six hommes, et de quelle espèce
encore !... Oh ! la scélérate !... Juliette, voilà
votre argent ; ce spectacle est un coup de foudre pour moi... je ne
puis achever... reprenez ces enfants... ne me parlez jamais de plaisir.
Ce monstre empoisonne ma vie... je suis au désespoir.
Peu m'importait que ses lubricités se terminassent ou non,
sa femme les avait vues commencer, c'était tout ce qu'il me
fallait. Ce qu'il y eut de délicieux pour ma maudite tête,
c'est que les choses n'en restèrent point là, et ma
petite méchanceté fut bien réjouie, quand j'appris
que, deux jours après, l'ambassadrice avait été
poignardée. Cette aventure fit le plus grand bruit. Cent émissaires
publièrent à l'instant l'histoire, et chargèrent
le duc, qui, ne pouvant résister à ses remords, ne pouvant
soutenir le poids de l'infamie, prêt à tomber sur sa
tête, se brûla la cervelle. Mais je n'avais pas coopéré
à cette mort, à peine en étais-je la seconde
cause : cette idée me désespérait. Voici ce que
j'entrepris, quelques jours après, pour m'en consoler et m'en
dédommager en même temps.
Tout le monde sait que les Italiens font un grand usage de poisons
: l'atrocité de leur caractère se trouve en action par
cette manière de servir leur vengeance ou leur lubricité.
J'avais récompensé avec Sbrigani, tous ceux dont la
Durand m'avait donné les recettes : j'en vendais de tous les
genres ; une infinité de gens venaient s'en fournir chez moi,
et cette branche de commerce me valait un argent immense.
Un jeune homme assez joli, dont j'avais été parfaitement
foutue, et qui faisait journellement des orgies chez moi, vint me
conjurer de lui en donner un pour sa mère, qui gênait
vivement ses plaisirs, et dont il attendait une énorme succession.
Tant d'excellents motifs le déterminaient à se débarrasser
fort vite de cet Argus, et comme l'individu était ferme dans
ses principes, il ne balançait nullement à commettre
une action qui lui paraissait aussi simple. Il m'avait demandé
un poison violent, et surtout très prompt. Je lui en vendis
au contraire un lent, mais sûr, et, dès le lendemain
de la conclusion du marché, je vais trouver la mère.
L'opération devait être faite : mon jeune homme était
trop pressé pour attendre. Mais comme le venin ne devait agir
qu'au bout de quelques jours, on ne pouvait encore s'apercevoir de
rien. Je révèle à la mère tous les desseins
du fils :
- Madame, lui dis-je, vous êtes perdue sans mes soins ; mais
votre fils n'est pas seul dans cet affreux complot formé contre
vos jours : ses deux surs y trempent également, et c'est
l'une d'elles qui est venue me demander le poison nécessaire
à trancher le fils de vos jours.
- Oh, ciel ! vous me faites frémir !
- Il est d'affreuses vérités dans le monde : bien pénible
est le soin de ceux que l'amour de l'humanité contraint à
les dévoiler. Il faut vous venger, madame, il le faut au plus
vite. Je vous apporte ce que ces monstres voulaient vous donner ;
usez-en sur eux dans l'instant : la plus juste des lois est celle
du talion. N'ébruitez rien, vous vous déshonoreriez,
vengez-vous en silence. Il n'y a pas le moindre mal à préparer
aux autres le supplice qu'ils cherchaient à nous infliger :
vous serez louée de tous les honnêtes gens.
Je parlais à la femme la plus vindicative de Florence ; je
le savais. Elle prend mes poudres, me les paye. Dès le lendemain,
elle les mêle aux aliments de ses enfants, et comme ce venin-ci
était fort actif, le frère et les deux surs expirèrent
à la fois ; huit jours après, la mère les suivit.
Tous ces enterrements passèrent devant ma porte.
- Sbrigani, dis-je en les entendant, fous-moi, mon ami, pendant que,
courbée sur cette fenêtre, mes yeux vont se fixer sur
mon ouvrage. Fais rapidement et chaudement jaillir un foutre que,
depuis huit jours, les horreurs où je me livre font extraordinairement
bouillonner ; il faut que je décharge en voyant mes forfaits.
Vous allez peut-être me demander pourquoi j'avais enveloppé
les deux filles dans cette terrible proscription ? le voici. Elles
étaient belles comme des anges ; j'avais depuis deux mois fait
l'impossible pour les séduire, elles avaient toujours résisté
: en fallait-il davantage pour allumer mon courroux contre elles ?
Et la vertu n'est-elle pas toujours un tort aux yeux du crime et de
l'infamie ?
Vous imaginez facilement, mes amis, qu'au milieu de toutes ces perfides
scélératesses, ma lubricité personnelle ne s'oubliait
pas. Maîtresse de choisir parmi les hommes superbes et les sublimes
femmes que je procurais aux autres, vous croyez bien que je commençais
par prendre ce qui me convenait le mieux : mais les Italiens bandent
mal, et leur santé, d'ailleurs, toujours suspecte, me jeta
totalement dans le saphotisme. La comtesse de Donis était pour
lors la femme la plus belle, la plus riche, la plus élégante
et la plus tribade de Florence ; elle passait publiquement pour m'entretenir,
et ce n'était pas sans quelque fondement.
Mme de Donis était veuve, trente-cinq ans, faite à peindre,
d'une figure charmante, beaucoup d'esprit, remplie de grâces.
Attachée à elle et par les nuds du libertinage,
et par les liens de l'intérêt, nous nous livrions ensemble
aux dérèglements de l'impudicité les plus bizarres
et les plus monstrueux. J'avais appris à la comtesse l'art
d'aiguillonner ses plaisirs par tous les raffinements de la cruauté,
et la putain, dirigée par moi, était déjà
presque aussi scélérate ; nous faisions des horreurs
ensemble.
- Ô mon amie ! me disait-elle un jour, combien d'espèces
de désirs échauffe l'idée d'un crime ! Je la
compare à une étincelle qui met rapidement le feu à
tout ce qu'elle trouve de combustible... dont le ravage s'accroît
en raison des aliments qu'elle rencontre, et qui se termine par produire
en nous un incendie qu'on n'éteint plus qu'avec des flots de
foutre. Mais, Juliette, il doit y avoir une théorie sur cela
comme sur tout, il doit y avoir des principes, des règles...
Je brûle de les connaître. Instruis-moi mon ange ; tu
vois mes dispositions, mes penchants ; apprends-moi, mon amour, à
régler tout cela.
- Femme adorable, répondis-je, croyez que j'aime trop mon écolière
pour ne pas la former tout à fait. Prêtez-moi tant soit
peu d'attention, et je vais vous dévoiler les principes qui
m'ont conduite où vous me voyez. Voici, ma chère comtesse.
Lorsque vous avez envie de commettre un crime, quelles sont les précautions
générales que vous devez employer, abstraction faite
des particulières que la nature seule des événements
doit prescrire ? Combinez d'abord votre projet plusieurs jours à
l'avance, réfléchissez sur toutes ses suites, examinez
avec attention ce qui pourra vous servir... ce qui serait susceptible
de vous trahir, et pesez ces choses avec le même sang-froid
que s'il était sûr que vous dussiez être découverte.
S'il s'agit d'un meurtre, souvenez-vous qu'il n'y a pas un seul être
au monde assez parfaitement isolé pour que ses attenances ne
puissent nuire ; quelles qu'elles soient, elles le réclameront
tôt ou tard. Considérez donc, avant que de vous livrer,
et la manière de leur répondre, et celle de leur imposer
silence. Une fois déterminée, agissez seule autant qu'il
vous sera possible ; si vous êtes obligée d'employer
un complice, intéressez-le tellement à votre crime,
liez-le si fortement à l'action, qu'il lui devienne impossible
de vous perdre. L'intérêt est le premier mobile des hommes
; ne doutez donc point, d'après cela, que si vous avez négligé
ces précautions, et que le complice ait du profit à
vous trahir... un profit plus grand que celui qu'il trouve à
garder votre secret, ne doutez pas, dis-je, qu'il ne vous trahisse,
surtout s'il est faible, et qu'il croie trouver à l'aveu un
moyen d'apaiser sa conscience.
Si vous devez retirer quelque bénéfice de votre crime,
cachez soigneusement cet intérêt ; n'en paraissez jamais
occupée dans le public, car c'est là ce qui vous trahira
; il vous échapperait des propos involontaires produits par
votre préoccupation, et, quand l'action sera commise, on se
rappellera ces propos ; ils deviendront dès lors des probabilités,
et bien souvent des semi-preuves. Si le crime commis a doublé
votre fortune, ne changez rien de longtemps ni à votre train,
ni à votre aisance : on partirait encore de là pour
vous rechercher.
Tâchez d'être seule après l'action faite ; cela
est d'autant plus nécessaire à ceux qui débutent,
que la figure est le miroir de l'âme : les muscles de notre
physionomie s'arrangent malgré nous à l'effet qui vient
d'être reçu dans notre intérieur. Évitez,
par le même motif, de rien mettre sur le tapis qui soit analogue
à cette action ; car si c'est la première fois que vous
l'avez commise, vous vous embarrasserez vous-même en en parlant,
et si c'est, au contraire, un crime d'habitude, un crime qui soit
en possession de vous donner du plaisir, on pourra lire sur votre
physionomie les impressions flatteuses que viendront y peindre ce
qui aura du rapport à cette action. Accoutumez-vous en général
à être tellement maîtresse du jeu de votre figure,
qu'elle puisse perdre insensiblement cette habitude de mettre à
découvert les passions dont vous êtes émue ; faites-y
régner le calme et l'indifférence, et tâchez d'acquérir
le plus de sang-froid possible dans cette situation. Or, tout cela
ne s'obtient que par la plus grande habitude dans le vice, et le plus
entier endurcissement de l'âme ; l'une et l'autre de ces choses
vous étant nécessaires, je dois donc vous les conseiller
vivement.
Si vous n'étiez pas sûre de n'avoir point de remords,
et vous ne le serez jamais que par l'habitude du crime, si, dis-je,
vous n'en étiez pas bien certaine, inutilement travailleriez-vous
à vous rendre maîtresse du jeu de votre physionomie :
il viendrait la décomposer sans cesse et vous trahir à
tous les instants. Ne restez donc point en chemin : vous seriez la
plus malheureuse des femmes, si vous ne commettez qu'un seul délit.
Ou ne commencez pas, ou plongez-vous entièrement dans l'abîme,
dès que vous avez mis le pied sur le bord. La multitude seule
de vos forfaits étouffera le remords... fera naître la
douce habitude qui les émousse si bien, et assurera à
votre physionomie le masque nécessaire à tromper les
autres. Ne combinez rien d'ailleurs sur l'atrocité du crime,
elle ne doit être d'aucun poids dans la balance ; ce n'est point
l'atrocité qui fait punir, c'est l'éclat et plus le
crime est violent, plus il suppose des précautions. Il est
donc presque impossible de faire un crime atroce sans précautions,
au lieu que l'on les néglige dans les petits, et voilà
d'où vient qu'ils éclatent. L'atrocité n'est
que pour vous : et qu'importe, dès que votre conscience est
à l'épreuve ? tandis que l'éclat est contre vous
: il faut donc le redouter avec soin.
Mettez l'hypocrisie en pratique ; elle est nécessaire dans
le monde, où l'usage n'est guère que de vous peser à
votre balance : on suppose rarement des crimes à celui chez
lequel on voit de l'indifférence pour tout. Chacun n'est pas
si malheureux, ni si maladroit que Tartuffe. Ce n'est pas d'ailleurs,
comme Tartuffe, jusqu'à l'enthousiasme des vertus qu'il faut
porter l'hypocrisie, c'est seulement jusqu'à l'indifférence
du crime. Vous n'êtes pas idolâtre de la vertu, mais vous
n'aimez pas le crime, et cette sorte d'hypocrisie ne se fait jamais
découvrir, parce qu'elle laisse en paix l'orgueil des autres,
que le genre d'hypocrisie du héros de Molière afflige
nécessairement.
Évitez les témoins avec le même soin que vous
emploieriez à choisir vos complices, et, s'il vous est possible,
n'ayez ni l'un, ni l'autre. Ce n'est jamais que l'un ou l'autre, et
souvent tous les deux, qui mènent le criminel au supplice3.
Quand vos moyens sont bien pris, vous n'avez plus affaire de ces gens-là.
Ne dites jamais : Mon fils, mon valet, ma femme ne me trahira point,
parce que si ces sortes de gens-là le veulent, ils ont une
manière de vous dénoncer que la loi adopte, et qui ne
vous perdra pas moins.
N'ayez surtout jamais aucun recours à la religion ; vous êtes
perdue si vous lui rendez son empire ; elle vous bourrellera, elle
remplira votre âme de crainte et de chimères, et vous
finirez par vous rendre vous-même votre premier délateur.
Toutes ces choses pesées et combinées de sang-froid
(car je veux bien que vous conceviez le crime dans le délire
des passions, je vous y exhorte même, mais je veux que, conçu
dans l'ivresse, il soit combiné dans le calme), alors, jetez
un coup d'il sur vous-même, voyez ce que vous êtes,
ce que vous pouvez ; examinez votre fortune, vos moyens, votre crédit,
vos emplois ; voyez jusqu'à quel point la loi peut vous atteindre,
de quelle trempe est l'égide que vous trouvez des motifs d'assurance
dans tout cela ; allez en avant ; mais une fois que vous êtes
décidée, ne vous arrêtez plus. Quand vous n'aurez
aucun reproche à vous faire du côté de la prudence,
ne vous étonnez pas si vous êtes découvert. Dans
le fait, quel est le pis-aller ? Une mort très douce et très
prompte. Autant là que dans son lit ; en vérité,
l'on y souffre moins, et c'est bien plus tôt fait ; qu'importe
le déshonneur ! vous ne le ressentirez pas, puisque vous n'existerez
plus : et ce n'est pas un individu philosophe qui s'alarme de ce qui
peut refluer sur une famille, dont il s'inquiète fort peu.
Craindrez-vous celui qui pourrait vous accabler, à supposer
que l'on se contente de vous noter d'infamie, sans vous ravir le jour
? Quelle chimère !... et qu'est-ce que l'honneur ? Un mot vide
de sens, qui n'est rien en lui-même... qui dépend de
l'opinion des autres, et qui, par cette seule définition, ne
doit ni nous flatter quand nous en jouissons, ni nous alarmer quand
nous le perdons. Osons croire, avec Épicure, que la réputation
et l'honneur étant des choses qui ne dépendent point
de nous, il faut savoir s'en passer quand on ne peut les acquérir.
Souvenez-vous enfin qu'il n'y a pas de crime au monde, quelque médiocre
qu'il soit, qui n'apporte un plus grand plaisir à celui qui
le fait, que le déshonneur ne peut lui apporter de peine. En
vit-on moins, pour être flétri ? Et que m'importe, si
mon aisance et mes facultés me restent ! C'est dans elles que
je trouve mon bonheur, et non dans une vaine opinion qui ne saurait
dépendre de moi, puisqu'on voit tous les jours dans le monde
des gens perdus d'honneur et de réputation, trouver pourtant
une existence, une considération à laquelle ne pourraient
jamais prétendre des êtres faibles qui auraient encensé
la vertu toute leur vie.
Voilà, ma chère comtesse, les avis que je donnerais
au vulgaire. Voyez maintenant combien votre état, votre personnel,
votre richesse, votre crédit, vous assurent de repos et d'impunité
; vous êtes au-dessus des lois par votre naissance, de la religion
par votre esprit, de vos remords par votre sagesse... Eh ! non, non
! il n'est point d'égarement que vous ne deviez caresser, aucun
dans lequel vous ne deviez vous plonger aveuglément.
Néanmoins, je vous dirai sans cesse : évitez l'éclat,
toujours il nuit, sans apporter une nuance de plus au plaisir ; je
vous dirai : choisissez bien vos complices, parce que vous ne pouvez
vous en passer dans votre état ; mais votre fortune vous les
assure : enchaînez-les par des bienfaits, et ils ne vous trahiront
point ; s'ils l'osaient avec vous, d'ailleurs, que de risques n'auraient-ils
pas à courir ? ne les feriez-vous pas punir la première
? Vous voyez donc que ce qui forme une barrière impénétrable
aux autres est à peine un lien de fleurs à vos yeux.
Après vous avoir un peu sermonnée, je vais maintenant,
ma belle amie, vous indiquer le plus joli secret pour découvrir
quelle est l'espèce de crime qui doit le mieux amuser votre
tempérament ; car, pour la chose, il vous la faudra toujours.
Vous êtes de tournure à ce que le crime doive vous échauffer
sans cesse ; avant que de vous divulguer mon secret, je vais vous
expliquer pourquoi je conçois ainsi votre tempérament.
L'excès de votre sensibilité est extrême ; mais
vous en avez dirigé les effets de manière qu'elle ne
peut plus vous porter maintenant qu'au vice. Tous les objets extérieurs
qui ont quelque genre de singularité mettent dans une irritation
prodigieuse les particules électriques de votre fluide nerveux,
et l'ébranlement, reçu sur la masse des nerfs, se communique
à l'instant sur ceux qui avoisinent le siège de la volupté.
Vous y sentez aussitôt des chatouillements ; cette sensation
vous plaît, vous la flattez, vous la renouvelez ; la force de
votre imagination vous y fait concevoir des augmentations, des détails...
l'irritation devient plus vive, et vous multiplieriez ainsi, si vous
vouliez, vos jouissances à l'infini. L'objet essentiel est
donc, pour vous, d'étendre, d'aggraver... Je vais vous dire
quelque chose de bien plus fort : mais ayant franchi toutes barrières
comme vous l'avez fait, n'étant plus retenue par quoi que ce
soit, il faut que vous alliez loin. Ce ne sera donc plus qu'à
l'excès le plus fort, le plus exécrable, le plus contraire
aux lois divines et humaines, que s'enflammera désormais votre
imagination. Ainsi, ménagez-vous, car malheureusement les crimes
ne s'offrent pas à nous en raison du besoin que nous avons
de les commettre, et la nature, en nous créant des âmes
de feu, devait au moins nous fournir un peu plus d'aliment. N'est-il
pas vrai, ma belle amie, que vous avez déjà trouvé
vos désirs bien supérieurs à vos moyens ?
- Oh ! oui, oui, répondit en soupirant la belle comtesse.
- Je connais cet état affreux, il fait le malheur de mes jours
; quoi qu'il en soit, voici mon secret4. Soyez quinze jours entiers
sans vous occuper de luxures, distrayez-vous, amusez-vous d'autres
choses ; mais jusqu'au quinzième ne laissez pas même
d'accès aux idées libertines. Cette époque venue,
couchez-vous seule, dans le calme, dans le silence et dans l'obscurité
la plus profonde ; rappelez-vous là tout ce que vous avez banni
depuis cet intervalle, et livrez-vous mollement et avec nonchalance
à cette pollution légère par laquelle personne
ne sait s'irriter ou irriter les autres comme vous. Donnez ensuite
à votre imagination la liberté de vous présenter,
par gradation, différentes sortes d'égarements ; parcourez-les
toutes en détail ; passez-les successivement en revue ; persuadez-vous
bien que toute la terre est à vous... que vous avez le droit
de changer, mutiler, détruire, bouleverser tous les êtres
que bon vous semblera. Vous n'avez rien à craindre là
: choisissez ce qui vous fait plaisir, mais plus d'exception, ne supprimez
rien ; nul égard pour qui que ce soit ; qu'aucun lien ne vous
captive ; qu'aucun frein ne vous retienne ; laissez à votre
imagination tous les frais de l'épreuve, et surtout ne précipitez
pas vos mouvements ; que votre main soit aux ordres de votre tête
et non de votre tempérament. Sans vous en apercevoir, des tableaux
variés que vous aurez fait passer devant vous, un viendra vous
fixer plus énergiquement que les autres, et avec une telle
force, que vous ne pourrez plus l'écarter ni le remplacer.
L'idée, acquise par le moyen que je vous indique, vous dominera,
vous captivera ; le délire s'emparera de vos sens, et vous
croyant déjà à l'uvre, vous déchargerez
comme une Messaline. Dès que cela sera fait, rallumez vos bougies,
et transcrivez sur vos tablettes l'espèce d'égarement
qui vient de vous enflammer, sans oublier aucune des circonstances
qui peuvent en avoir aggravé les détails ; endormez-vous
sur cela, relisez vos notes le lendemain, et en recommençant
votre opération, ajoutez tout ce que votre imagination, un
peu blasée sur une idée qui vous a déjà
coûté du foutre, pourra vous suggérer de capable
d'en augmenter l'irritation. Formez maintenant un corps de cette idée,
et, en la mettant au net, ajoutez-y de nouveau tous les épisodes
que vous conseillera votre tête. Commettez ensuite, et vous
éprouverez que tel est l'écart qui vous convient le
mieux, et que vous exécuterez avec le plus de délices.
Mon secret, je le sens, est un peu scélérat, mais il
est sûr, et je ne vous le conseillerais pas si je n'en avais
éprouvé le succès.
Belle et divine amie, poursuivis-je en voyant mon écolière
s'enflammer à mes leçons, permettez-moi de joindre encore
quelques conseils à ceux que je viens de vous offrir : votre
bonheur seul m'intéresse, et c'est pour lui que je veux travailler.
Il y a deux observations essentielles à faire lorsque l'on
est décidé à commettre un crime d'amusement :
la première est de lui donner toute l'extension dont il est
susceptible ; la seconde est qu'il soit d'une telle force qu'on ne
puisse jamais le réparer. Cette dernière circonstance
est d'autant plus nécessaire, qu'elle étouffe le remords
; car ce qui console du remords, quand on l'a ressenti, c'est presque
toujours l'idée de pouvoir l'apaiser ou l'anéantir par
la réparation du mal que l'on a fait. Cette idée l'endort,
et ne l'éteint pas ; à la plus petite maladie, au plus
petit calme des passions, il reparaît et vous désespère.
Si, au lieu de cela, l'action commise est d'un tel genre qu'elle ne
vous laisse plus le moindre espoir de la réparer, la raison,
dans ce cas, anéantit le remords : à quoi servirait-il
de se repentir d'un mal que rien ne réparera jamais ? Cette
réflexion, souvent présentée, l'extirpe entièrement,
et dans quelque situation que vous puissiez vous trouver, vous ne
le sentez plus. En ajoutant à cela la multiplicité,
vous achèverez de vous calmer tout à fait. D'un côté,
l'impossibilité de la réparation, de l'autre, celle
de pouvoir deviner duquel il faut se repentir davantage, et la conscience
s'étourdit et se tait alors à tel point, que vous devenez
capable de prolonger le crime au delà même des bornes
de la vie ; ce qui vous fait voir que cette situation de la conscience
a cela de particulier sur les autres affections de l'âme, de
s'anéantir en raison de ce qu'on l'accroît.
Les premiers principes bien inculqués, rien ne doit plus vous
arrêter. Je conviens que vous ne pourrez vous procurer cette
situation tranquille qu'aux dépens d'autrui ; mais vous vous
la procurerez. Et qu'importe le prochain, quand il est question de
soi ! Si trois millions de victimes ne devaient pas, en les immolant,
vous procurer une volupté plus vive que celle de faire un bon
dîner, tel mince que fût ce plaisir, eu égard à
son prix, vous ne devez pas pourtant balancer un instant à
vous le donner ; car il résulterait nécessairement une
privation pour vous du sacrifice de ce bon dîner, et il n'en
résulterait aucune de la perte des trois millions de créatures
indifférentes qu'il faudrait sacrifier pour l'obtenir, parce
qu'il existe une correspondance, telle légère qu'elle
soit, entre ce bon dîner et vous, et qu'il n'en existe aucune
entre vous et les trois millions de victimes. Or, si le plaisir que
vous attendez de leur perte devient une des plus voluptueuses sensations
que vous puissiez faire éprouver à votre âme,
je vous demande si vous devez même balancer un instant5 ?
Tout dépend de l'anéantissement total de cette absurde
fraternité dont on nous inculque l'existence avec l'éducation.
Brisez totalement ce lien chimérique, ne lui laissez plus nul
empire, convainquez-vous qu'il n'existe absolument rien entre un autre
homme et votre individu, et vous verrez que vos plaisirs s'étendront
d'un côté, pendant que vos remords s'éteindront
de l'autre. Il n'importe nullement que le prochain éprouve
une sensation douloureuse, s'il n'en résulte rien pour vous.
Ainsi, voilà un cas où la perte des trois millions de
victimes doit vous être indifférente ; vous ne devez
donc pas vous opposer à cette perte, quand même vous
le pourriez, puisqu'elle est utile aux lois de la nature ; mais il
importe extrêmement que cette perte ait lieu, si elle vous délecte,
parce qu'entre elle et votre plaisir il n'y a aucune proportion :
tout doit être à l'avantage de la sensation que vous
goûtez. Vous devez donc travailler à cette perte sans
remords, si vous pouvez le faire avec prudence ; non que la prudence
soit une vertu par elle-même, mais elle est bonne par les avantages
que l'on en retire. Ce n'est pas non plus qu'elle soit toujours nécessaire,
car elle glacerait souvent les plaisirs ; il faut néanmoins
l'employer dans certains cas, parce qu'elle assure l'impunité,
et que l'impunité est un des plus grands et des plus divins
attraits du crime ; mais comme elle tient, pour ainsi dire, à
vos richesses, à votre considération, à votre
crédit, vous avez moins besoin de prudence qu'une autre. Ainsi
vous pouvez la négliger à votre aise, et surtout quand
vous la croirez susceptible d'émousser vos plaisirs.
La comtesse, enthousiasmée des conseils que je lui donnais,
m'embrassa mille fois pour me remercier.
- Je veux essayer ton secret, me dit-elle : ne nous voyons pas de
quinze jours. Fidèle observatrice de tes recommandations, je
te jure de ne voir absolument personne ; nous passerons une nuit ensemble,
après cet intervalle, je te rendrai compte de mes idées,
et nous travaillerons à les réaliser.
A l'époque prescrite, la comtesse ne manqua pas de me faire
avertir ; un souper délicieux nous attendait. Après
nous être échauffées par la bonne chère
et par les vins les plus délicats, on ferma les portes, et
nous nous enfonçâmes dans une niche moelleuse que l'art
et l'opulence paraissaient avoir préparée pour les plus
savantes recherches de la luxure.
- Ô Juliette ! me dit alors la comtesse en se précipitant
sur mon sein, j'ai besoin des ombres qui nous environnent pour oser
t'avouer le résultat de tes perfides secrets. Jamais peut-être
un crime plus atroce ne se conçut, il est affreux... mais je
bande en le complotant... je décharge en croyant m'y livrer...
Ô mon amour, comment te confier cette horreur ? Où nous
emporte une imagination déréglée ! où
la satiété, l'abandon des principes, l'endurcissement
de la conscience, le goût des vices, et l'usage immodéré
de la luxure, n'entraînent-ils pas une faible et malheureuse
créature !... Tu connais, Juliette, ma mère et ma fille
?
- Assurément.
- L'une, ma mère, à peine âgée de cinquante
ans, possède encore tous les attraits de la beauté.
Tu sais qu'elle m'adore. Aglaé, ma fille, âgée
de seize ans... Aglaé que j'idolâtre, avec laquelle je
me suis branlée deux ans de suite, comme ma mère l'avait
fait avec moi... eh bien, Juliette, ces deux créatures...
- Achève donc.
- Ces deux femmes qui devraient m'être si chères, je
veux m'abreuver de leur sang... Je veux que toi et moi, couchées
l'une sur l'autre dans une baignoire, pendant que nous nous branlerons
toutes les deux... je veux, dis-je, que le sang de ces putains nous
inonde, je veux que nous en soyons couvertes... je veux que nous y
nagions... je veux que ces deux femmes, que j'abhorre aujourd'hui,
expirent à nos yeux de cette manière... Je veux que
nous nous embrasions de leurs derniers soupirs, et que, plongées
ensuite toutes deux au fond de cette même baignoire, ce soit
sur leurs cadavres et dans leur sang que nous couronnions nos derniers
plaisirs.
Mme de Donis, qui n'avait pas cessé de se branler pendant l'aveu
qu'elle me faisait, s'évanouit en déchargeant. Singulièrement
échauffée moi-même de ce que je venais d'entendre,
j'eus toutes les peines du monde à la faire revenir ; elle
m'embrassa dès qu'elle eut ouvert les yeux.
- Juliette, me dit-elle, je t'ai dit des horreurs ; mais tu vois,
à l'état où elles m'ont mise, l'effet prodigieux
qu'elles font sur mes sens... Je suis loin de me repentir de ce que
j'ai dit ; j'exécuterai ce que j'ai conçu, et cela sans
délai : il faut que cette infamie remplisse demain notre journée...
- Belle et délicieuse amie, dis-je à cette femme charmante,
vous n'avez pas craint, je me flatte, de trouver un censeur en moi
! Je suis loin de blâmer vos idées, mais je leur demande
quelques recherches et quelques épisodes. Il me paraît
que des choses délicieuses pourraient se joindre à tout
cela. De quelle manière prétendez-vous que vos victimes
répandent sur nous tout leur sang ? N'est-il donc pas essentiel,
au complément de votre jouissance, qu'il ne coule que par les
plus violente supplices ?
- Ah ! me répondit vivement la comtesse, crois-tu que ma perversité
ne les ait pas déjà conçus... arrangée
? Je veux que ces supplices soient aussi longs qu'affreux, je veux
dix heures de suite m'enivrer de leurs exécrations, je veux
que nous déchargions vingt fois l'une sur l'autre, en nous
repaissant des cris des victimes, en nous repaissent de leurs larmes.
Ah ! Juliette ! poursuivit cette femme emportée, en me polluant
avec autant d'ardeur qu'elle en employait sur elle-même, tout
ce que mon âme épanche dans la tienne n'est que le fruit
de tes conseils... de tes instructions. Que de titrez cette cruelle
vérité me donne à ton indulgence !... Écoute,
Juliette, puisque j'ai autant fait que de m'ouvrir à toi sur
des désirs aussi dangereux, il faut que j'achève de
te faire une confidence, et que je te demande, en même temps,
ton secours dans une affaire bien importante pour moi. Aglaé
est fille de mon mari, voilà pourquoi je la déteste
; son père avait le même rang dans mon cur, et
si la nature n'eût pas accompli mes vux, j'employais l'art
pour la contraindre à me satisfaire... tu m'entends ? Je possède
une autre fille dans le monde : un homme que j'idolâtrais en
est le père. Fontange, c'est le nom de ce gage chéri
de ma passion, est maintenant âgée de treize ans ; on
l'élève à Chaillot, près Paris. Je veux
lui faire un sort considérable. Tiens, Juliette, continua Mme
de Donis en me remettant un fort gros portefeuille, voilà cinq
cent mille francs que je soustrais à mes héritiers légitimes
; quand tu retourneras à Paris, tu placeras cette somme sur
la tête de ma fille ; tu la garderas près de toi, tu
la marieras, tu feras son bonheur. Mais il faudra que tout ait l'air
d'émaner de ta bienveillance ; une conduite différente
trahirait bientôt mon secret : mes héritiers chicaneraient
ce don, il serait perdu pour ma fille. Je me fie à toi, ma
chère Juliette : jure-moi de protéger à la fois
mes horreurs et mes bonnes actions. Il y a dans ce portefeuille cinquante
mille francs de plus qu'il ne faut, que je te supplie d'accepter...
Eh bien ! jures-tu de servir en même temps de bourreau aux deux
êtres que je viens de condamner, et de protectrice à
la charmante créature que je t'abandonne ? Oh ! mon amie, tu
vois ma confiance ; tu m'as dit cent fois que les rouées ne
se nuisaient pas entre elles : démentiras-tu cette maxime ?
Je ne le crains pas... mon amour, j'attends ta réponse.
Infiniment plus sûre de tenir parole à la comtesse, en
lui promettant de la servir dans un crime que dans l'accomplissement
d'une bonne uvre, et sachant déjà à quoi
m'en tenir sur l'une et l'autre des propositions qu'elle me faisait,
je promis néanmoins toutes les deux.
- Chère amie, dis-je à la comtesse en l'embrassant,
votre volonté sera remplie ; soyez sûre qu'avant un an,
votre chère Fontange jouira du sort que vous lui destinez.
Mais dans ce moment-ci, mon amour, ne nous occupons, je vous supplie,
que de l'exécution projetée : vous n'imaginez pas comme
la vertu me refroidit quand mon âme est entière au crime.
- Ah ! Juliette, me dit Mme de Donis, tu blâmes peut-être
cette bonne action ?
- Non, me hâtai-je de répondre, et j'avais mes raisons
pour me presser, non, certes, je ne blâme rien, mais je ne voudrais
pas que nous liassions deux objets si distants l'un de l'autre.
- Eh bien ! me répondit la comtesse, ne nous occupons que de
celui qui vient de me faire un effet si prodigieux. Tu m'as promis
des détails, Juliette, j'en ai quelques-uns dans la tête,
communiquons-nous nos idées : je veux voir si nos imaginations
se répondent.
- Eh bien, dis-je, il faut d'abord que la scène soit transportée
à la campagne ; les luxures cruelles ne sont bonnes que là
; le silence et la tranquillité dont on y jouit ne se rencontrent
point ailleurs ; il faut ensuite mêler à tout cela quelques
détails luxurieux... Aglaé est-elle vierge ?
- Assurément.
- Il faut que ses prémices s'immolent sur les autels du meurtre
; il faut que ses deux mères la présentent au sacrificateur,
il faut...
- Ah ! que les supplices soient effrayants ! interrompit brusquement
la comtesse.
- Sans doute, mais ne les arrangeons pas ; que les circonstances nous
en fournissent l'idée : ils seront mille fois plus voluptueux.
Le reste de la nuit se passa dans tout ce que le saphotisme peut avoir
de plus recherché. Nous nous baisâmes, nous nous suçâmes,
nous nous dévorâmes ; toutes deux, armées de godemichés,
nous nous portâmes mutuellement les coups les plus redoutables.
Et, ayant tout disposé pour aller passer quelques jours à
Prato, où la comtesse avait une superbe maison, nous remîmes
l'exécution de notre délicieux projet à huitaine.
Mme de Donis avait su conduire très adroitement sa mère
et sa fille dans cette campagne, sous le prétexte d'un voyage
de six mois, pendant lequel elle prétexterait quelque maladie
qui lui ravirait les victimes que sa rage seule devait sacrifier.
De mon côté, je devais mener Sbrigani et deux valets
sûrs, dont je pouvais répondre comme de moi-même.
Nous nous trouvâmes donc à Prato, le jour indiqué,
huit personnes en tout : mon amie et moi, Sbrigani, les deux valets,
la mère, la fille et une vieille duègne à Mme
de Donis, qui depuis longtemps la servait dans tous ses désordres.
A peine connaissais-je Aglaé ; seulement alors, je l'examinai
avec beaucoup plus d'attention. Il n'y avait rien au monde de si joli
que cette jeune personne : il régnait autant d'agréments
que de délicatesse dans ses formes, sa peau était d'une
blancheur et d'une finesse incroyables, de grands yeux bleus qui ne
demandaient qu'à s'animer, les plus belles dents, les plus
beaux cheveux blonds. Mais tout cela flottait sans art : Aglaé
n'était pas pétrie par les grâces, elle n'en était
que caressée. Vous n'imaginez pas l'impression que me fit cette
jeune personne ; aucune femme, depuis bien longtemps, ne m'avait émue
avec autant de force.
Une idée me vint aussitôt : changeons de victime, me
dis-je, le fidéicommis dont me charge la comtesse, n'est-il
pas son arrêt de mort ? Si j'ai bien sincèrement, comme
je l'éprouve, le désir de voler cet argent, ne dois-je
pas attenter tout de suite aux jours de celle qui me le confie ? Je
viens ici pour commettre des crimes ; celui qui termine les jours
de la fille ne satisfait que mon libertinage, celui qui tranchera
les jours de la mère échauffera de même mes passions,
et contentera, de plus, bien amplement mon avarice : j'aurai les cinq
cent mille francs, sans être obligée d'en rendre aucun
compte, deux jolies filles à ma disposition, et, de plus, le
meurtre raffiné d'une femme avec laquelle je me suis assez
longtemps branlée pour n'en vouloir plus. Quant à la
vieille mère, oh ! qu'elle y passe, rien de plus simple ; faisons
grâce, au moins jusqu'à nouvel ordre, à cette
douce et charmante créature dont je ne suis pas encore rassasiée.
Ces idées, fort applaudies de mon époux à qui
j'en fis part, nous firent prendre le parti d'envoyer sur-le-champ
l'ordre à mes femmes de disparaître aussitôt avec
nos richesses, et d'aller nous attendre à Rome, où nous
devions aller en quittant Florence. Nos intentions furent exécutées
avec toute l'exactitude et la ponctualité que je devais attendre
de deux femmes qui m'étaient aussi sincèrement attachées
qu'Élise et Raimonde. Dès le même jour, je persuadai
à Mme de Donis que, pour la sûreté et la perfection
de l'uvre qu'elle méditait, il devenait indispensable
de renvoyer toute sa maison, et de faire venir au contraire, à
sa campagne, tout ce qu'elle possédait d'or et de bijoux, afin
d'avoir au moins cette ressource, s'il nous arrivait quelque malheur
dans l'exécution de notre projet. Entrant au mieux dans la
perfide sagesse de ces précautions, Mme de Donis, qui ne soupçonnait
pas celles que je prenais de mon côté, voulut encore
faire dire à tous ses amis qu'elle allait en Sicile, et qu'elle
prenait congé d'eux pour six mois. Et ne conservant absolument
que la vieille duègne dont je viens de parler, l'imprévoyante
créature se livra tout entière à nous... Il devenait
impossible de mieux tomber dans le piège que nous lui tendions
pour la perdre. Dès le second jour, tout fut en ordre, et la
comtesse, à nous, avait avec elle six cent mille francs d'effets,
un portefeuille de deux millions et trois mille sequins de numéraire
; pour toute défense, une vieille femme ; tandis que j'avais,
moi, indépendamment de Sbrigani, deux vigoureux valets pour
nous aider.
Ces dispositions faites, comme je m'amusais infiniment de l'idée
de faire commettre à la fille le crime dont la mère
voulait la rendre victime, j'engageai la comtesse à nous tranquilliser
trois ou quatre jours, avant de rien entreprendre, et de remettre
au vendredi suivant notre expédition.
- Usons, lui dis-je, de ruse et de contrainte jusque-là. Puisque
nous sommes à la veille de perdre cette charmante Aglaé,
avec laquelle vous ne me faites faire connaissance que pour m'en séparer
aussitôt, laissez-moi du moins passer avec elle les deux ou
trois nuits qui doivent précéder nos opérations.
La comtesse était tellement aveuglée sur mon compte,
que rien au monde ne pouvait lui ouvrir les yeux. Voilà les
fautes où tombent presque toujours ceux qui méditent
des forfaits : éblouis par leurs passions, ils ne voient absolument
qu'elles, et, persuadés que leurs complices ont autant d'intérêt
ou de plaisir à partager les actions dont il s'agit, ils ferment
absolument les yeux sur tout ce qui peut éloigner, ou refroidir
les autres, du projet dont ils sont enivrés. Mme de Donis consentit
à tout ; Aglaé eut ordre de me recevoir dans son lit,
j'en profitai dès le même soir. Ô mes amis, que
de charmes ! Ne me soupçonnez ici ni d'enthousiasme, ni de
métaphore, mais je n'exagère en vérité
pas, lorsque je vous assure qu'Aglaé aurait pu servir seule
de modèle à celui qui ne trouva même pas, dans
les cent plus belles femmes de la Grèce, assez de beautés
pour en composer la sublime Vénus que j'avais admirée
chez le grand-duc. Jamais, non, jamais je n'avais vu de formes si
délicieusement arrondies, un aussi voluptueux ensemble et des
détails si intéressante ; rien d'étroit comme
son joli petit con, rien de potelé comme son charmant petit
cul, rien de frais, rien de moulé comme sa gorge, et je vous
proteste à présent, de sang-froid, qu'Aglaé était
bien la plus divine créature que j'eusse encore fêtée
de ma vie. A peine eus-je découvert tous ses charmes, que je
les dévorai de caresses et, passant rapidement de l'un de ses
attraits à l'autre, il me semblait toujours que je n'avais
pas encore assez caressé celui que je quittais. La jolie petite
friponne, douée du tempérament le plus lascif, se pâma
bientôt dans mes bras. Élève de sa mère,
la coquine me branla comme Sapho ; mais les savantes langueurs de
mes voluptés, mes angoisses, mes crispations, mes tiraillements
de nerfs, mes spasmes, mes soupirs, mes blasphèmes, tous ces
attributs de la corruption réfléchie, tous ces symptômes
de la nature défaillante et vigoureusement irritée,
mes propos, mes baisers, mes attouchements, mes descriptions lascives,
tout l'étonna, tout alarma sa gentille innocence, et elle finit
par m'avouer que sa mère était bien loin de mes luxurieuses
recherches. Enfin après les heures les plus voluptueuses, après
avoir déchargé, de toutes les manières possibles,
cinq ou six fois chacune, après nous être baisées,
sucées à toutes les parties de notre corps, nous être
mordues, pincées, langotées, fouettées, après
avoir fait, en un mot, tout ce qu'il est possible d'inventer de plus
crapuleux, de plus sale, de plus débordé, de plus inconcevable,
je tins à cette charmante personne à peu près
le discours suivant :
- Chère fille, lui dis-je, j'ignore où vous en êtes
pour les principes, et si la comtesse, en vous donnant les premières
leçons du plaisir, s'est occupée de cultiver votre âme
; mais quoi qu'il en puisse être, ce que j'ai à vous
révéler est trop important pour que je puisse vous le
cacher une minute. Votre mère, la plus fausse, la plus indigne,
la plus criminelle des femmes, a conspiré contre vos jours
: demain, vous devez être sa victime, si vous ne parez pas le
coup, en le dirigeant la première.
- Oh, ciel ! que m'apprenez-vous ? dit Aglaé en frémissant.
- La vérité, ma chère, elle est affreuse, mais
je vous la devais.
- Voilà donc la cause du refroidissement qu'elle me témoigne
depuis quelque temps, des traitements...
- Quels traitements avez-vous donc essuyée d'elle ?
Aglaé m'avoua que sa mère, devenue cruelle dans le plaisir,
la tourmentait, la souffletait, la fustigeait, et lui disait les choses
les plus dures. Curieuse de savoir jusqu'à quel point la Donis
avait porté le désordre et l'égarement dans les
voluptés qu'elle s'était permises avec sa fille, je
découvris qu'elle exigeait de cette enfant un de ces écarts
libidineux dont la violence hâte le dégoût. Sensible
à tous les genres de libertinage possibles, cette mère
impudique n'avait plus avec sa fille de jouissance que celle de la
faire chier dans sa bouche, et elle avalait.
- Cher amour, dis-je à cette jeune personne, vous auriez dû
mettre plus de retenue dans les faveurs que vous avez accordées
à votre mère ; trop de complaisance a fait naître
la satiété : il n'est plus temps, l'heure est venue,
il ne s'agit que de la prévenir.
- Mais comment échapper ?
- Il n'est pas question d'échapper. Je ne vous propose point
de parer ce coup, Aglaé, je ne vous conseille que de le porter
vous-même.
Et, ici, je jouis véritablement de la petite méchanceté
que je faisais ; car, dans le premier cas, je ne servais que la passion
d'une scélérate ; dans celui-ci, je séduisais
une jeune fille naturellement douce, vertueuse ; je la déterminais
au parricide, et quelque mérité qu'il fût, n'était-ce
pas toujours un crime ? la trahison que je faisais à mon amie,
m'amusant, d'ailleurs, étonnamment.
Aglaé, faible, délicate et sensible, ne put soutenir
la secousse, et la pauvre petite malheureuse ne sut, à cette
terrible proposition, que pleurer et se précipiter sur mon
sein.
- Mon enfant, lui dis-je avec chaleur, ce ne sont pas des larmes qu'il
faut ici, mais des résolutions. Mme de Donis n'est plus pour
vous qu'une femme ordinaire qu'il vous faut sacrifier sans remords
: arracher la vie à ceux qui complotent contre la nôtre
est la première vertu de l'humanité. Vous croiriez-vous
donc engagée par la reconnaissance envers une femme abominable
qui ne vous a donné le jour que pour vous le ravir ? Détrompez-vous,
détrompez-vous, Aglaé, ce n'est plus que de l'horreur
et de la vengeance que vous devez à un tel monstre ; vous seriez
à jamais méprisable, si vous dévoriez une telle
injure. Quelle sûreté d'ailleurs y aurait-il pour vous
? Demain vous êtes la victime de votre mère, si elle
n'est pas la vôtre aujourd'hui. Fille trop aveugle, rougis-tu
donc de verser un sang aussi criminel ? peux-tu soupçonner
encore l'existence de quelques liens entre cette scélérate
et toi ?
- Vous étiez son amie ?
- Puis-je l'être, aussitôt qu'elle proscrit les jours
de tout ce que j'aime au monde ?
- Vous avez des goûts, des passions comme elle.
- Oui, mais je n'ai pas, comme elle, le crime en vénération
; je ne suis pas, comme elle, une louve affamée de sang, j'abhorre
la cruauté ; j'aime mes semblables, et le meurtre est une infamie
qui me fait horreur. Cesse, Aglaé, cesse des comparaisons qui
ne servent à rien, qui me déshonorent, et qui nous font
perdre des instants précieux. Ce ne sont pas des paroles qu'il
nous faut, ce sont des actions.
- Qui ? moi, plonger le poignard dans le sein d'une mère !
- Tu ne dois plus la considérer comme telle, dès qu'elle
a comploté contre toi. Cette femme n'est plus, de ce moment-ci,
qu'une bête venimeuse dont il faut débarrasser la terre.
Et, ressaisissant Aglaé dans mes bras, j'essayai d'étouffer
le remords par le feu du libertinage : le moyen me réussit
; Aglaé , séduite, promit tout6. La friponne, guidée
par la scélératesse de mes séductions, fut au
point de soupçonner quelques aiguillons lubriques au plaisir
de la vengeance ; je la fis, en un mot, décharger sur l'idée
d'assassiner sa mère. Nous nous levâmes.
- Mon ami, dis-je à Sbrigani, il ne nous reste plus qu'à
nous rendre maîtres des victimes ; amène tes gens, et
qu'elles soient aussitôt enchaînées.
La mère est saisie d'abord, on la plonge dans les caves du
château ; la fille la suit de près. N'ayant rien entendu
de la scène, elle paraît glacée de surprise. Aglaé
était là.
- Monstre ! dis-je à la comtesse, il faut que tu sois la première
victime de tes méchancetés.
- Perfide !... ce complot n'était-il pas ton ouvrage comme
le mien ?
- Je te trompais, je jouais le vice pour t'arracher ton secret ; maîtresse
de toi maintenant, je n'ai plus besoin de feindre...
Et la malheureuse est bientôt réunie à sa mère.
Dès qu'il est nuit, je fais monter ces deux victimes dans le
salon préparé par Mme de Donis, pour les horreurs qu'elle
méditait. Aglaé, raffermie, sermonnée par moi,
s'amuse du spectacle ; l'état où elle voit sa grand-mère
ne l'attendrit pas plus que celui où sa mère paraît
à ses yeux : j'avais eu l'adresse de lui faire comprendre que
la comtesse n'avait agi, dans tout cela, que d'après les instigations
de cette vieille... Et le supplice commença.
Je suivis l'idée de la comtesse ; mais au lieu d'être
l'agente, la malheureuse fut la patiente. Couchées, sa fille
et moi, dans le fond d'une baignoire, et nous branlant toutes deux,
Sbrigani nous arrosa du sang des deux mères ; il le faisait
couler par mille plaies différentes. Ici, je puis dire à
l'honneur d'Aglaé, que son courage et sa fermeté ne
se ralentirent pas un instant ; passant avec rapidité du plaisir
à l'extase, la fin de l'opération fut la seule borne
de son délire, et la scène fut longue. On n'a pas d'idée
des raffinements qu'inventa Sbrigani pour prolonger les supplices
; le monstre les couronna en sodomisant ses victimes : elles expirèrent
sous lui.
- Nous voilà donc les maîtres de la maison, dis-je à
mon barbare époux dès qu'il eut fini ; éloignons-nous
promptement, il n'y a pas un moment à perdre. Aglaé,
poursuivis-je, vous comprenez à présent l'objet de mon
crime ; amie de votre mère, je ne faisais que partager ses
richesses : elles sont à moi maintenant. Les feux que vous
avez allumés dans mon cur ne sont point éteints
: vous connaissez Élise et Raimonde, vous serez réunie
à elles. Mais il faudra, comme elles, vous prostituer aux plus
légers besoins, aux plus faibles caprices de la société,
il faudra tromper, voler, séduire, commettre tous les crimes,
en un mot, comme nous, dès que nos intérêts l'exigeront
: ou cela, ou l'abandon et la misère ; choisissez.
- Oh ! ma chère amie, je ne t'abandonnerai jamais, s'écria
cette jeune fille, les larmes aux yeux ; ce n'est pas ma situation
qui m'y force, c'est mon cur, et je suis toute à toi.
Mon époux, encore tout échauffé, ne voyait pas
sans émotion cette scène d'attendrissement ; ses yeux
et son vit me firent soupçonner qu'il voulait foutre, et ses
discours me le confirmèrent bientôt.
- Sacredieu ! me dit-il, j'éprouve des remords du crime que
je viens de commettre, et il n'y a que le viol de la fille qui puisse
me consoler du meurtre de ses mères : abandonne-moi, Juliette.
Et sans trop attendre ma réponse, le libertin, qui bandait
ferme, saisit la poulette et la dépucelle. A peine les cuisses
sont-elles teintes du sang qui sort de ce jeune con, que l'Italien
retourne la médaille, et, dans trois tours de reins, le voilà
dans le cul.
- Juliette, me dit-il en limant, que ferons-nous maintenant de cela
? Les seuls prémices de cette petite fille auraient pu nous
valoir de l'argent ; les voilà cueillis : de quelle utilité
la putain peut-elle nous être à présent ? Cela
n'a ni intrigue, ni caractère (et toujours foutant), Juliette,
crois-moi, réunissons ce que la nature avait assemblé,
qu'il ne soit plus question de cette famille. Que de piquants détails
peut nous offrir le meurtre de cette enfant ! Oh ! foutre, tu m'en
vois prêt à décharger.
Et ici, je l'avoue, mes amis, ma férocité naturelle
l'emporta sur toutes autres considérations ; le conseil de
Sbrigani m'avait émue ; le fripon le savait, et l'arrêt
d'Aglaé est à l'instant signé de foutre.
- Vous allez suivre vos parents, lui dis-je ; nous bandons à
l'idée de vous faire mourir, et des scélérats
comme nous n'eurent jamais d'autres lois que leurs passions.
Nous la livrons à nos valets, malgré ses prières
et ses larmes ; et pendant que les fripons l'assouplissent à
toutes leurs fantaisies, Sbrigani me fait éprouver tout ce
que la luxure a de plus piquant. Des plaisirs, nos valets en viennent
bientôt aux brutalités ; insultant sans délicatesse
l'objet qu'ils viennent d'encenser, ils passent promptement des injures
aux menaces, des menaces aux coups... Et je ne vengeais point Aglaé
: ses jolies petites mains, élevées vers moi, m'imploraient,
je ne l'écoutais plus. L'infortunée semblait me rappeler
tacitement nos plaisirs secrets, et me conjurer d'écouter encore
le sentiment qui me guidait alors : j'étais sourde. Incroyablement
embrasée par Sbrigani, qui m'enculait pendant ce temps-là,
loin de m'apitoyer sur les destins de cette malheureuse, je devenais,
à la fois, son accusatrice et son bourreau.
- Fouettez-la ! dis-je à mes valets, mettez en sang ce joli
petit cul qui m'a donné tant de plaisir.
Elle était étendue sur une étroite banquette,
des courroies contenaient l'attitude, et sa tête, fortement
élevée par un collier de fer, s'offrait aux baisers
dont je couvrais sa bouche, en présentant le cul à Sbrigani,
qui me sodomisait pendant que la vieille le fustigeait. De chacune
de mes mains, je branlais le vit des valets, qui, chacun armé
d'un fouet, déchiraient à plaisir toutes les parties
de derrière de notre intéressante victime. Je déchargeai
deux fois à cette scène, et quand je vis enfin les roses
de ces charmantes petites fesses tellement flétries, qu'on
ne distinguait plus, sur le satin de cette peau si fraîche,
que des blessures et des cinglons, je la fis suspendre, par ses beaux
cheveux, à la place d'un lustre, puis, écartant ses
deux jambes par des cordes, je les fis lier aux deux extrémités
de ce salon, et la fustigeai moi-même, dans cette posture, sur
les parties les plus délicates de son corps, et principalement
dans l'intérieur du con. Je n'ai jamais rien vu de plaisant
comme les bonds convulsifs de cette pauvre fille, pendant que je l'étrillais
ainsi ; tantôt elle se rejetait en arrière pour éviter
mes coups par-devant, et tantôt en avant pour éviter
ceux de derrière ; il n'était pas une de ces secousses
qui ne lui coûtât une poignée de cheveux. Et je
déchargeais comme une gueuse aux convulsions de cette infortunée,
lorsqu'une idée vraiment délicieuse vint perfectionner
mon délire : elle était trop du goût de Sbrigani
pour ne pas être aussitôt exécutée. Nous
déterrons les cadavres des deux mères, nous les replaçons
à mi-corps dans les trous ; vis-à-vis d'elles, nous
plaçons Aglaé, seulement enfouie jusqu'à la poitrine,
et c'est en face de cet affreux spectacle que nous la laissons expirer
lentement. Un coup de pistolet nous débarrasse de la duègne
; et, chargés de richesses immenses, Sbrigani, nos deux valets
et moi, nous gagnons promptement la capitale des États chrétiens,
où nous retrouvons nos deux filles, exactement rendues avec
le reste de nos biens, à l'adresse dont nous étions
convenus à Florence.
- Ô Sbrigani ! m'écriai-je en entrant dans Rome, nous
voilà donc enfin dans cette superbe capitale du monde ! Que
j'aime à établir, dans mon esprit, le parallèle
curieux qui se trouve entre Rome l'ancienne et Rome la moderne ! Avec
quel étonnement et quel mépris je vais voir les statues
de Pierre et de Marie, sur les autels de Bellone et de Vénus
! Aucune idée n'exalte mon imagination comme celle-là.
Peuple abruti par la superstition, poursuivis-je en cherchant sur
le visage des nouveaux Romains quelques traits de ces anciens maîtres
du globe entier, à quel point la plus infime... la plus dégoûtante
des religions est parvenue à vous dégrader ! Et que
diraient les Catons, les Brutus, s'ils voyaient les Jules, les Borgia,
fouler insolemment aux pieds les cendres augustes que ces héros
du monde laissaient avec confiance à la respectueuse admiration
de l'univers ?
Malgré le serment que j'avais fait de n'entrer dans aucune
église, je ne pus tenir, en arrivant à Rome, au désir
de visiter celle de Saint-Pierre. Ce monument, il en faut convenir,
est non seulement au-dessus de toutes les descriptions, mais bien
supérieur même à tout ce que la plus fertile imagination
peut concevoir. Mais cette partie de l'esprit de l'homme s'afflige
en voyant que de si grands talents se sont épuisés,
que des dépenses si prodigieuses se sont faites, en l'honneur
d'une religion aussi stupide, aussi ridicule que celle dans laquelle
nous avons eu le malheur de naître. Rien n'est superbe comme
l'autel isolé qui s'élève entre quatre colonnes
torses, aux trois quarts et demi de l'église, sur le tombeau
même de saint Pierre, qui, pourtant, ne parut ni ne mourut jamais
à Rome.
- Oh ! quel sofa pour se faire enculer ! dis-je à Sbrigani...
Va, laisse-moi faire, dans moins d'un mois, Juliette recevra, sur
cet autel magnifique, le modeste vit du vicaire de Jésus.
Et vous allez voir, mes amis, si mes prédictions furent justes.
En arrivant à Rome, je crus devoir jouer un tout autre rôle
qu'à Florence. Munie de quelques lettres de recommandation
que j'avais obtenues du grand-duc, je profitai du titre de comtesse
que je l'avais prié de me donner dans ces lettres, et comme
j'avais de quoi le soutenir, je pris une maison faite pour l'étayer.
Mon premier soin fut de placer mes fonds. Le vol énorme fait
chez Minski, celui de Mme de Donis, les cinq cent mille francs du
fidéicommis, tout me forma, avec ce que j'avais, huit cent
mille livres de rente : fortune, comme on voit, assez considérable,
pour que ma maison pût rivaliser avec celles des plus brillants
princes de l'Italie. Élise et Raimonde furent mes dames de
compagnie, et Sbrigani crut plus avantageux à mes intérêts
de passer, de ce moment-là, plutôt pour mon gentilhomme
que pour mon époux.
Je fus faire mes visites dans une voiture superbe. J'avais des lettres
pour le cardinal de Bernis, notre ambassadeur dans cette cour, qui
me reçut avec toute la galanterie du charmant émule
de Pétrarque.
Je fus, de là, chez la belle princesse de Borghèse,
femme très libertine, que vous allez bientôt voir jouer
le plus grand rôle dans mes aventures.
Deux jours après, je parus chez le cardinal Albani, le plus
grand débauché du sacré Collège, et qui,
dès le premier jour, voulut absolument que son peintre me peignît
toute nue, pour orner sa superbe galerie.
Ensuite, chez la duchesse de Grillo, femme charmante, ridiculement
sacrifiée au plus maussade époux, et dont je devins
folle dès que je la vis.
Mes connaissances particulières se bornèrent là,
et c'est dans ce cercle délicieux où vous allez me voir
renouveler tous les égarements de ma jeunesse... de ma jeunesse,
oui, mes amis, je puis me servir de cette expression, puisque j'entrais
alors dans ma vingt-cinquième année. Je n'avais pourtant
point encore à me plaindre de la nature ; loin de dégrader
aucun de mes traits, elle leur avait donné cet air de maturité,
d'énergie, communément refusé à l'âge
tendre, et je puis dire sans orgueil que si j'avais passé pour
jolie jusqu'alors, je pouvais maintenant prétendre, avec juste
raison, à la plus extrême beauté. La délicatesse
de ma taille s'était parfaitement conservée, ma gorge,
toujours fraîche et ronde, s'était merveilleusement soutenue.
Mes fesses, relevées, et d'une agréable blancheur, ne
se ressentaient nullement des excès de luxure où je
les avais livrées ; leur trou était un peu large à
la vérité, mais d'un beau rouge brun, sans poil, et
ne s'offrant jamais sans appeler des langues ; mon con n'était
pas non plus très étroit, mais avec de la coquetterie,
des essences et de l'art, tout cela reprenait, à mes ordres,
l'éclat des roses de la virginité. A l'égard
de mon tempérament, acquérant des forces avec l'âge,
il était vraiment excessif, et toujours aux ordres de ma tête
: une fois en train, il devenait impossible de le lasser. Mais, pour
l'allumer plus sûrement, je commençais à désirer
l'usage du vin et des liqueurs, et lorsqu'une fois ma tête était
prise, il n'était plus d'excès où je ne me portasse
; j'employais aussi l'opium et les autres stimulants d'amour, dont
j'avais reçu les indications chez la Durand, et qui, dans l'Italie,
se vendent ouvertement et avec profusion. On ne doit jamais craindre
d'irriter ses appétits lascifs par de tels moyens ; l'art sert
toujours mieux que la nature, et le seul inconvénient qui résulte
d'en avoir essayé une fois, est l'obligation de continuer toute
sa vie.
Deux femmes s'offraient à moi, dès mon arrivée
à Rome. L'une, la princesse Borghèse. Celle-là
ne fut pas deux jours à me laisser lire dans ses yeux tout
le désir qu'elle avait que nous nous connussions plus étroitement.
Trente ans, de la vivacité, des traits piquants, de l'esprit,
du libertinage, des yeux pleins d'âme, la plus jolie taille,
les plus beaux cheveux, de l'imagination, des prévenances :
voilà ce que me présentait la première.
La duchesse Grillo, plus modeste, plus jeune, plus belle et plus sage,
m'offrait un port de reine, de la pudeur, de la retenue, moins de
vivacité, peu d'imagination, mais infiniment plus de tendresse,
de vertu et de sensibilité. Également éprise
de ces deux femmes, il était donc tout simple, d'après
le tableau que j'en fais, que si l'une échauffait vivement
ma tête, l'autre triomphât seule de toutes les affections
de mon cur.
Au bout de huit jours de connaissance, la princesse m'invita à
souper dans sa petite maison près de Rome.
- Nous serons seules, me dit-elle ; tu me parais une femme délicieuse,
ma chère comtesse, et je veux absolument me lier avec toi.
Vous jugez facilement qu'avec de telles avances, tout cérémonial
fut bientôt banni. Il faisait excessivement chaud. Après
un souper aussi abondant que voluptueux, qui nous avait été
servi par cinq filles charmantes, dans un cabinet de roses et de jasmins,
environné de cascades dont l'agréable murmure et la
douce fraîcheur réunissaient tous les charmes de la nature
à tous les attraits de l'art, la princesse, éclairée
par ses nymphes, m'entraîna dans un petit pavillon solitaire
situé sous des peupliers qui l'ombrageaient. Nous entrâmes
dans une salle ronde, autour de laquelle régnait un canapé
circulaire qui n'avait pas plus de huit pouces d'élévation,
et totalement garni de coussins ; des glaces, multipliées à
l'infini, achevaient de rendre ce petit local l'un des plus jolis
temples que Vénus eût en Italie. Dès que les jeunes
filles eurent allumé plusieurs quinquets garnis d'huile odoriférante,
et dont les foyers déguisés par des gazes vertes ne
pouvaient offenser la vue, elles se retirèrent.
- Mon amour, me dit la princesse, ne nous appelons plus que de nos
noms de filles : j'abhorre tout ce qui me rappelle aux nuds
de l'hymen. Olympe est le nom de mon enfance, ne m'en donne point
d'autres ; de mon côté, je ne t'appellerai plus que Juliette,
tu y consens, n'est-ce pas mon ange ?
Et le baiser le plus ardent vient aussitôt s'imprimer sur mes
lèvres.
- Chère Olympe, dis-je, en saisissant cette créature
enchanteresse dans mes bras, à quoi ne consentirais-je pas
avec toi ? La nature, en te parant d'autant de charmes, ne t'a-t-elle
pas donné des droits sur tous les curs, et ne dois-tu
pas nécessairement séduire tous les êtres que
brûleront tes yeux ?
- Tu es divine, ma chère Juliette, baise-moi mille et mille
fois ! me dit Olympe en se laissant tomber sur l'ottomane... Ô
ma plus tendre amie, je sens que nous allons faire beaucoup de choses
ensemble... Mais je crains de m'ouvrir à toi, je suis si libertine
; ne t'y trompe pas, chère âme, je t'adore ; mais ce
n'est pas l'amour qui m'enflamme pour toi maintenant : je ne connais
pas l'amour en luxure, je n'adopte que la lubricité.
- Ô ciel ! m'écriai-je, est-il possible qu'à cinq
cents lieues l'une de l'autre, la nature ait formé des âmes
si semblables !
- Quoi ! Juliette, me répondit vivement Olympe, tu es libertine
aussi ? Nous nous branlerions sans nous aimer, nous déchargerions
comme des coquines, sans pudeur, sans délicatesse, nous mêlerions
des tiers dans nos plaisirs !... Ah ! que je te dévore, mon
ange, que je te baise mille et mille fois ! C'est la satiété
qui conduit là... c'est l'habitude, c'est l'extrême opulence
dans laquelle nous vivons l'une et l'autre ; accoutumées à
ne nous rien refuser, nous sommes rassasiées de tout, et les
sots n'entendent pas où mène cette apathie de l'âme.
Olympe, tout en jasant, me déshabillait, se déshabillait
elle-même, et nues toutes les deux, nous nous trouvâmes
bientôt dans les bras l'une de l'autre. Les premiers mouvements
de Borghèse furent de se précipiter à mes genoux,
de m'ouvrir les cuisses, de passer ses deux mains sur mes fesses,
et de darder sa langue le plus avant qu'elle put dans mon con. J'étais
dans une telle ivresse, que la tribade triompha bientôt ; elle
avale mon foutre ; je la renverse, et nous précipitant sur
les coussins qui jonchent ce boudoir, je me couche à contresens
sur elle, et pendant que, ma tête entre ses jambes, je la gamahuche
de toutes mes forces, la coquine me rend le même service ; nous
déchargeons cinq ou six fois ainsi.
- Nous ne nous suffisons pas, me dit Olympe. Il est impossible que
deux femmes seules se satisfassent : faisons entrer les filles qui
nous ont servies ; elles sont belles, la plus âgée n'a
pas dix-sept ans, la plus jeune quatorze. Il n'y a pas de jours où
elles ne me branlent ; les veux-tu ?
- Eh ! sans doute, j'aime tout cela comme toi ; ce qui ajoute au libertinage
est précieux à mes sens.
- C'est qu'on ne saurait trop en multiplier les effets, me répondit
Olympe égarée ; c'est que rien n'est si plat que ces
femmes timides, retenues ou délicates, et qui, ne recevant
jamais le plaisir hors de l'amour, s'imaginent imbécilement
qu'il faut s'adorer pour se foutre.
Et comme la princesse avait sonné, les cinq jeunes filles,
au fait de ce petit manège luxurieux, arrivèrent à
nous toutes nues. Rien n'était joli comme leur figure, rien
d'aussi frais, d'aussi bien tourné que leur corps, et quand
elles entourèrent Olympe, je crus voir un instant les Grâces
folâtrant autour de Vénus.
- Juliette, me dit la princesse, je vais m'asseoir en face de toi
; ces cinq filles t'environneront, et, par les titillations les plus
amoureuses, par les postures les plus lascives, elles feront éjaculer
ton foutre ; je te verrai décharger, c'est tout ce que je veux.
Tu n'imaginerais pas le plaisir que j'éprouve à voir
une jolie femme dans l'ivresse : je me branlerai pendant ce temps-là,
je laisserai voyager ma tête, et je te réponds qu'elle
ira loin.
La proposition flattait trop ma lubricité pour que je m'y refusasse.
Olympe arrangea les groupes ; une de ces jolies filles, accroupie
sur moi, me faisait sucer un joli petit con ; soutenue moi-même
sur une espèce de bandage composé de sangles rembourrées
et recouvertes de satin noir, mes fesses posaient sur le visage d'une
seconde, qui me léchait le trou du cul ; la troisième,
étendue sur moi, me gamahuchait, et j'en branlais une de chaque
main ; en face de ce spectacle, Olympe, qui le dévorait, avait
à la main un cordon de soie qui tenait aux sangles sur lesquelles
j'étais suspendue, et agitant ce cordon avec douceur, elle
m'imprimait un mouvement actif et rétroactif qui prolongeait,
qui multipliait les coups de langue que je donnais et que je recevais,
et qui leur imprimait, par ce délicieux mouvement, une incroyable
augmentation de volupté. Je crois que de ma vie je n'avais
goûté tant de plaisir. Alors, et j'avais ignoré
jusque-là l'augmentation de volupté que me préparait
Olympe, alors, dis-je, une musique délicieuse se fit entendre,
sans qu'il fût possible de discerner d'où elle partait.
Réalisant les chimères de l'Alcoran, je me crus transportée
dans son paradis, et là, entourée des houris qu'il promet
aux fidèles, je crus qu'elles ne me caressaient que pour me
plonger dans les derniers excès de la plus délicieuse
lubricité. Les mouvements que m'imprimait Olympe ne se firent
plus maintenant qu'en cadence ; j'étais aux nues, je n'existais
plus que par le sentiment profond de ma luxure. Au bout d'une heure
d'ivresse, Olympe se mit dans la balançoire, environnée
comme moi des cinq filles. Délicieusement émue par la
musique, qui variait à chaque instant les morceaux tendres
dont elle nous enivrait, je la polluai cinq quarts d'heure de suite
dans cette voluptueuse machine ; puis, un instant de repos ayant succédé,
nous variâmes nos plaisirs.
Couchées toutes deux à terre, sur les piles de carreaux
qui couvraient le sol de ce charmant boudoir, nous plaçâmes
la plus jolie fille entre nous deux. Elle nous branlait de chaque
main ; deux autres filles, placées entre nos cuisses, nous
gamahuchaient, et les deux dernières, à cheval sur nos
poitrines, nous donnaient leurs cons à sucer : nous nous plongeâmes
ainsi, près d'une heure, dans la plus voluptueuse extase. Les
filles varièrent ensuite : nous gamahuchâmes celles qui
venaient de nous sucer, et celles qui venaient d'être gamahuchées
par nous, nous gamahuchèrent à leur tour. La musique
continuait ; Olympe me demanda si je voulais qu'on fît entrer
les musiciens.
- J'y consens, répondis-je, je voudrais être vue de l'univers
entier, dans l'état d'ivresse où je suis.
- Ô ma bonne, ma chère bonne ! me dit Olympe en baisant
ma bouche avec ardeur, tu es bien putain, je t'adore ; voilà
comme il faudrait que fussent toutes les femmes. Qu'elles sont imbéciles
celles qui ne sacrifient pas tout à leurs plaisirs : ah ! qu'elles
sont stupides celles qui peuvent avoir d'autres Dieux que Vénus...
d'autres murs que celles de se prostituer sans cesse à
tous les sexes, à tous les âges, à toutes les
créatures vivantes. Ô Juliette ! la plus sainte des lois
de mon cur est le putanisme ; je ne respire que pour répandre
du foutre ; je ne connais ni d'autres besoins ni d'autres plaisirs
: je voudrais être prostituée, mais l'être pour
fort peu d'argent. Cette idée m'échauffe la tête
à un point que je ne puis dire. Je veux qu'on me fasse voir
à des libertins bien difficiles ; je veux être obligée
d'employer mille ressources pour les ranimer ; je veux être
leur victime ; qu'ils fassent de moi tout ce qu'ils voudront... je
souffrirai tout... même des tourments...
Juliette, prostituons-nous... vendons-nous... livrons-nous... soyons
putains dans toutes les parties de notre corps... Ah ! foutre, mon
ange, je perds la tête ; semblable au coursier fougueux, je
m'enfonce moi-même sous le dard qui me perce ; je vole à
ma perte, je le sens, elle est infaillible... et je la brave. Je suis
presque fâchée du crédit et des titres qui favorisent
mes égarements ; je voudrais qu'ils fussent sus de toute la
terre ; je voudrais qu'ils pussent m'entraîner, comme la dernière
des créatures, au sort où les conduit leur abandon...
T'imagines-tu donc que je craindrais ce sort ?... Non, non, quel qu'il
puisse être, j'y volerais sans peur... L'échafaud même
serait pour moi le trône des voluptés, j'y braverais
la mort, et déchargerais en jouissant du plaisir d'expirer
victime de mes forfaits et d'en effrayer un jour l'univers. Voilà
où j'en suis, Juliette, voilà où le libertinage
m'a conduite, voilà où je veux vivre et mourir, j'en
fais le serment dans tes mains, je t'aime assez pour te l'avouer.
Faut-il t'en dire plus ? Je sens que je suis à la veille de
me jeter dans une débauche épouvantable ; tous les préjugés
se dissipent à mes yeux, tous les freins se brisent devant
moi ; je me détermine aux plus grande écarts, le bandeau
tombe : je vois l'abîme, et m'y précipite avec délices.
Je foule aux pieds cet honneur chimérique, où les femmes
immolent imbécilement leur félicité, sans qu'il
les dédommage en rien des sacrifices offerts. L'honneur est
dans l'opinion ; mais l'opinion qui rend heureux, c'est la sienne,
et non pas celle des autres. Que l'on soit assez sage pour mépriser
cette opinion publique, qui ne dépend en rien de nous, assez
éclairé pour anéantir le sentiment imbécile
qui ne nous conduit au bonheur que par des privations, et l'on éprouvera
bientôt qu'il est possible de vivre aussi heureux, devenu l'objet
du mépris universel, que sous les tristes couronnes de l'honneur
! Ô mes compagnes de libertinage et de crime, moquez-vous de
ce vain honneur comme du plus vil de tous les préjugés
: un égarement d'esprit, une jouissance, vaut mille fois mieux
que tous les faux plaisirs que donne l'honneur. Ah ! vous sentirez
un jour, à mon exemple, combien les voluptés s'améliorent
en enchaînant cette chimère, et, comme moi, vous jouirez
d'autant mieux que vous l'aurez plus complètement méprisée.
- Adorable créature, répondis-je à Olympe (belle
comme le jour dans ce moment d'effervescence), avec l'esprit... avec
les dispositions que tu me montres, tu dois aller bien loin un jour,
et je crains cependant que tu n'en sois pas encore où je voudrais.
Peut-être admets-tu tous les égarements de la lubricité,
mais je ne crois pas que tu connaisses... que tu conçoives
même encore tous ceux qui peuvent dériver d'elle. Quoique
j'aie quelques années de moins que toi, jetée dans une
carrière infiniment plus débordée, il serait
possible que j'eusse plus d'expérience. Eh ! non, non, chère
Olympe, non, tu ne sais pas encore où conduisent les crimes
de luxure ; tu es bien éloignée d'admettre les horreurs
où ces forfaits peuvent entraîner...
- Des horreurs ?... interrompit vivement Borghèse, ah ! je
crois que je ne suis pas en reste sur un article qui semble te paraître
aussi essentiel. J'ai empoisonné mon premier mari, le même
sort attend le second.
- Délicieuse femme, m'écriai-je en prenant Olympe dans
mes bras, voilà où je te voulais ; mais ce crime commis,
ce crime projeté, ce sont des crimes nécessaires, et
ceux que j'exigerais de toi seraient des crimes gratuits. Eh ! le
crime n'est-il pas assez délicieux par lui-même, pour
qu'on le commette sans objet ? est-il donc besoin de prétexte
pour le commettre ? et le sel piquant dont il est empreint, ne suffit-il
pas seul à aiguillonner nos passions ? Je ne veux pas, mon
ange, qu'il soit une seule sensation au monde que tu n'aies éprouvée
; avec la tête que tu as, tu serais désolée de
savoir qu'il existe une sorte de plaisir que tu ne te sois pas procurée.
Persuade-toi qu'il n'est rien sur la terre qui n'ait été
fait, rien qui ne se fasse tous les jours, et rien surtout qui puisse
contrarier les lois d'une nature qui ne nous inspire jamais le mal
que quand elle a besoin que nous le fassions...
- Explique-toi, Juliette, me dit Olympe tout émue...
- De quel sentiment, répondis-je, ton âme brûlait-elle,
lorsque tu fis mourir ton mari ?
- Vengeance... dégoût... ennui, ardent désir de
briser mes freins.
- Et la lubricité ne te parlait pas ?
- Je ne l'interrogeai point, elle ne se fit point entendre.
- Eh bien ! si tu commets encore quelques crimes semblables, ose l'interroger
en agissant. Que le flambeau du crime s'allume à celui de la
lubricité ; réunis l'une et l'autre de ces passions,
et tu verras ce qu'on retire de toutes deux.
- Oh ! Juliette, l'étincelle que tu viens de jeter dans mon
âme l'électrise : tu viens à la fois, d'un seul
mot, d'éveiller mille idées... Ah ! je n'étais
qu'une enfant, je n'avais rien conçu, tu me le prouves.
Alors j'expliquai à Mme de Borghèse tout ce qu'un être
libertin pouvait retirer de l'union de la cruauté et de la
luxure, et je lui développai, sur cette matière, tous
les systèmes que vous connaissez déjà, mes amis,
et que vous mettez si bien en pratique. Elle me comprit à merveille,
sa tête s'égara, et la coquine me jura que nous ne nous
quitterions point sans avoir exécuté toutes deux quelques-unes
de ces voluptueuses horreurs.
- Ô mon amour ! me dit-elle tout en feu, je le sens, il doit
être divin de priver un être semblable à nous du
trésor de l'existence, le plus précieux de tous pour
les hommes. Anéantir... briser les liens qui attachent cet
être à la vie, et cela dans la seule vue de se procurer
un prurit agréable... dans l'unique motif de décharger
plus délicieusement... oh ! oui, oui, ce choc sur la masse
des nerfs, produit par l'effet de la douleur chez les autres, est
parfaitement conçu de moi, et la volupté qui naît
de cette union de mouvement doit devenir, je le conçois, l'extase
même des dieux.
Et comme elle était dans une prodigieuse agitation, les musiciens
parurent. Dix jeunes garçons de seize à vingt ans composaient
ce cortège ; il était impossible de rien voir de plus
joli ; une gaze légère les enveloppait à la manière
grecque. Ils furent nus au plus léger signe d'Olympe.
- Voilà les acteurs de mon concert, me dit cette lubrique créature
en me les présentant, sois d'abord témoin des plaisirs
que je vais goûter avec eux ; tu m'imiteras, si tu veux, après.
Alors les deux plus jeunes de ces aimables garçons se placèrent,
l'un vers la tête d'Olympe, toujours étendue sur les
carreaux qui jonchaient le parquet, l'autre près de sa motte.
Les huit autres se partagèrent, quatre vinrent se mettre de
même près de la tête, et quatre près du
ventre ; les deux placés près de l'une et l'autre partie
branlaient les vits de leurs quatre compagnons ; celui de la tête
faisait sucer un moment, à Olympe, les engins qu'il secouait,
et puis en exhalait le foutre sur son visage ; celui du ventre enfonçait
un instant, tour à tour, les quatre vits dont il était
chargé, et les faisait ensuite éjaculer sur le clitoris
: en très peu d'instants, par ces procédés, Olympe
fut couverte de foutre. Plongée dans la plus délicieuse
extase, elle ne disait mot, on n'entendait d'elle que quelques soupirs,
on ne distinguait sur son corps que des frémissements. Quand
tous les vits furent branlés, les deux masturbateurs sautent
sur elle, un la prend dans ses bras, l'enconne, expose les belles
fesses d'Olympe à son camarade qui s'en empare et les sodomise
; tous les vits, pendant qu'Olympe fout, lui repassent tour à
tour dans la bouche ; elle les ressuce, les repompe encore tous, les
uns après les autres, et décharge comme une bacchante.
- Eh bien ! me dit-elle en se relevant, es-tu contente de moi ?
- Oui, lui dis-je, encore tout égarée moi-même
du plaisir que je venais de goûter avec les cinq femmes, en
l'examinant. Oui, sans doute, je suis assez contente ; mais l'on peut
faire mieux, et je vais t'en convaincre.
Les jeunes filles sont aussitôt chargées par moi du soin
de faire rebander les jeunes gens. Dès qu'ils furent en l'air,
je me livre à eux. Ils étaient souples... agiles...
J'en mets deux dans mon con, un dans mon cul, j'en suce un, deux se
placent sous mes aisselles, un dans mes cheveux, j'en branle un de
chaque main, le dixième se branle sur mes yeux : mais je défends
la décharge ; ils devaient tous varier dix fois ; tous, à
leur tour, devaient sacrifier sur chacun des temples offerts à
leur luxure : le dénouement ne fut permis qu'alors. Singulièrement
irrités des préludes, ces beaux garçons m'inondèrent
de foutre, et la Borghèse qui, branlée par ses jeunes
filles, m'avait examinée voluptueusement, convint que mon exécution
était plus savante que la sienne.
- Allons, dis-je, songeons maintenant aux plaisirs de ces cinq jeunes
filles, devenons leurs maquerelles.
Et les couchant dans des attitudes aussi variées que voluptueuses,
nous leur appliquâmes, à chacune, deux jeunes gens sur
le corps. Par un renversement de tous principes, bien digne de l'état
où nous étions, les plus gros vits furent introduits
dans le cul et les plus petits dans le con. Nous parcourions les groupes,
nous les encouragions ; le grand plaisir d'Olympe était de
retirer les vits des routes qu'ils parcouraient, de les sucer et de
les rétablir. Quelquefois aussi, lorsque les routes étaient
vacantes, soit que ce fût celle du cul, soit que ce fût
celle du con, elle y enfonçait sa langue, et gamahuchait un
quart d'heure : celui dont elle avait pris la place la foutait alors
pendant ce temps-là. Toujours plus empressée qu'elle,
c'était par de vigoureuses claques sur les fesses que j'excitais
le zèle des combattants, ou bien je leur pelotais les couilles,
je suçais leur bouche, je langotais celle des filles, je polluais
leur clitoris. Il n'était rien, en un mot, que je n'inventasse
pour précipiter l'émission du foutre, et je le déterminai
chez presque tous. Mais c'était dans mon cul qu'elle se faisait
: je ne laissais pas ces filles jouir de mon ouvrage, et ce n'était
que par intérêt personnel que j'avais l'air d'enflammer
leurs amants.
Cette scène achevée, je proposai la suivante. Il s'agissait
de s'accroupir à plat ventre sur la bouche d'une des jeunes
filles qui nous gamahucherait, d'en gamahucher une autre en avant
de nous, et de présenter les fesses aux dix jeunes gens qui,
servis par la cinquième fille que nous n'employions pas, nous
enculeraient tour à tour. Olympe, que je n'aurais pas crue
si libertine, ne changea qu'une chose pour elle à ce tableau
: elle voulait baiser un cul au lieu de sucer un con, et la putain,
d'elle-même et sans conseil, toute pleine de mes idées,
mordit si vivement ce cul qu'il en saigna. Je ne me contraignis plus,
et, saisissait les tétons de celle dont je gamahuchais le con,
je les lui comprimai de manière à lui faire jeter les
hauts cris. En ce moment, Olympe déchargea.
- Ah ! je te tient ;, friponne, lui-je, tu commences à soupçonner
du plaisir à la commotion de la douleur imprimée sur
les autres ; je me flatte de te mener bientôt plus loin.
Après avoir été enculées dix fois de suite,
nous présentâmes le devant. Une fille, accroupie sur
nos fronts, nous faisait à la fois baiser et son con et ses
fesses ; une seconde nous chatouillait à deux mains le clitoris
et le trou du cul ; on nous enconnait pendant ce temps-là :
nous déchargions... nous nagions dans un océan de délice.
La bouche eut son tour ; nous suçâmes tous ces jeunes
gens, nous les fîmes tous décharger dans nos bouches
; deux filles, pendant ce temps-là, nous suçaient à
la fois l'anus et le clitoris. Olympe, épuisée, parla
de se mettre à table. Nous passâmes dans un cabinet aussi
voluptueusement meublé que magnifiquement éclairé.
Une superbe collation était servie sans ordre dans une grande
corbeille de fleurs qui paraissait jetée au milieu d'un vaste
oranger couvert de fruits ; je voulus manger un de ces fruits, ils
étaient de glace. Tout le reste surprenait également,
tout était marqué au coin du goût le plus délicat
et de la plus élégante somptuosité. Les filles
seules nous servaient ; les jeunes gens, retirée derrière
une décoration, ne nous charmaient plus alors que du ton de
leurs mélodieux instruments.
Olympe et moi, toutes deux ivres de luxure, le fûmes bientôt
de vins et de liqueurs.
- Allons, dis-je tout étourdie à ma compagne, allons
terminer par une infamie.
- Ordonne, je suis prête à tout.
- Immolons une de ces filles.
- Celle-ci, me dit Olympe en me présentant la plus jolie des
cinq.
- Quoi ! tu consens ?
- Et pourquoi ne t'imiterais-je pas ? crois-tu que le meurtre m'effraye
?... ah ! tu verras si je suis digne d'être ton écolière.
Et nous rentrâmes avec cette victime dans la salle que nous
venions d'occuper pour nos orgies. Tout se retire, tout se ferme,
nous restons seules.
- Comment tourmenterons-nous cette coquine ! dis-je à Olympe,
nous n'avons aucun instrument ici.
Et, en parlant, j'examinais le corps de cette fille véritablement
superbe ; je l'examinais à la lueur de deux bougies que je
lui éteignis cinq ou six fois de suite sur les fesses, sur
les cuisses, et sur les tétons. Olympe m'imita ; nous nous
amusons à brûler ainsi cette créature, une heure
entre nous deux. Ensuite nous la pinçâmes, nous la piquâmes,
nous l'égratignâmes. Absolument grises toutes les deux,
nous ne savions plus ni ce que nous faisions, ni ce que nous disions
; nous vomissions, nous battions la campagne, nous tourmentions la
victime. La malheureuse jetait les hauts cris, mais les précautions
étaient si bien prises qu'il était impossible de rien
entendre. Je proposai à la Borghèse de pendre cette
fille par les tétons et de la faire ainsi mourir entre nous
deux à coups d'épingle. Olympe, dont les progrès
étaient aussi rapides que les leçons, consentit à
tout. Le supplice de cette infortunée dura plus de deux heures,
pendant lesquelles nous nous achevâmes avec du punch. Ensuite,
ma compagne et moi, toutes deux épuisées de luxure,
de cruautés... d'excès de table, nous laissant aller
sur les coussins qui nous environnaient, nous nous endormîmes
cinq heures, la victime pendue au milieu de nous. Il faisait grand
jour quand nous nous réveillâmes ; j'aidai ma complice
à cacher le cadavre sous le sol d'un des bosquets, et nous
nous séparâmes en nous protestant toutes deux de ne pas
rester en si beau chemin.
Sbrigani et mes femmes, que je n'avais pas prévenus, étaient
inquiets de moi : ma présence les calma ; je me couchai. Sbrigani,
qui ne pensait qu'à l'argent, me demanda le lendemain quel
parti j'imaginais qu'on pût tirer de cette intrigue.
- Jusqu'à présent, que des plaisirs, répondis-je.
- J'y vois mieux que cela, me répondit mon gentilhomme d'honneur.
J'ai déjà pris des informations... La Borghèse
est l'amie du pape ; il faut qu'elle vous fasse connaître le
Saint-Père ; il faut attaquer les trésors de l'Église,
il faut que nous emportions sept ou huit millions de Rome. Je suis
presque fâché des titres fastueux que nous avons pris
ici, j'ai peur qu'ils ne s'opposent à nos vues.
- Reviens de cette erreur, dis-je à Sbrigani ; ces titres sont
au contraire un moyen d'aiguillonner la luxure : ils seront flattés
d'avoir affaire à une femme de qualité, et je me ferai
payer bien plus cher.
- Ah ! dit Sbrigani, ce n'est ici l'histoire que de quelque cent mille
francs de plus ou de moins, et mes vues sont bien plus élevées.
Pie VI a des trésors immenses : il faut bien lui en dérober
une partie.
- Il faut bien, pour cela, pénétrer dans ses appartements,
et le puis-je sans un motif de libertinage ?
- Soit, mais il faut se presser de le faire naître, il faut
s'introduire au Vatican le plus tôt possible, il faut se hâter
de dépouiller ce coquin-là...
Sbrigani finissait à peine, qu'un écuyer du cardinal
de Bernis m'apporta une lettre de son maître. C'était
une charmante invitation à souper à la Villa Albani,
près de Rome, et c'était le cardinal de ce nom qui m'attendait
avec Bernis dans cette charmante campagne.
- Juliette, me dit Sbrigani, sachez profiter de cela, et n'oubliez
jamais que le vol et l'escroquerie sont les uniques buts de notre
voyage ; nous enrichir, voilà l'objet, et nous devenons très
coupables si nous le manquons ; ce n'est que sur la route de la fortune
qu'on peut se permettre la moisson des plaisirs : il faut les oublier
jusque-là.
Aussi ambitieuse que Sbrigani, adorant l'or autant que lui, je ne
pensais pourtant pas absolument de même sur les motifs. Le goût
du crime s'annonçait avant tout chez moi, et je songeais bien
plus à dérober de l'or pour me procurer le plaisir du
vol, qu'à le prodiguer en jouissances.
J'arrive au rendez-vous, parée de tout ce que l'art pouvait
ajouter aux charmes que m'avait prêtés la nature ; il
était, j'ose le dire, impossible d'être plus belle et
plus élégante.
Si je ne craignais d'interrompre mes récits, je vous devrais
sans doute une description de cette campagne enchanteresse que l'on
vient voir des extrémités de l'Europe, et qui peut-être
est le lieu de Rome qui renferme le plus d'antiques précieux.
Il faudrait que je vous peignisse ces jardins en terrasses, les plus
frais, les mieux ornés, les plus agréablement dessinés
de toute l'Italie. Mais, moins empressée de vous tracer des
détails que de vous transmettre des faits, je passerai de suite
aux événements, sûre de ne point vous déplaire
en ne vous faisant grâce des uns que pour appuyer sur les autres.
Mon étonnement, je l'avoue, fut extrême, d'apercevoir
en entrant la princesse Borghèse chez le cardinal Albani. Elle
causait avec Bernis, dans une embrasure ; tout deux s'interrompirent
pour venir au-devant de moi, dès qu'ils m'aperçurent.
- Comme elle est belle ! dit Olympe... Cardinal, continua-t-elle en
s'adressant au vieil Albani, qui ne cessait de me considérer,
convenez que nous n'avons pas une plus jolie femme dans Rome ?
- Rien n'est plus certain, dirent à la fois les deux cardinaux.
Et nous nous retirâmes.
L'usage des Italiens, afin de mieux profiter de la fraîcheur,
est de placer au plus haut de leurs maisons les logements qu'ils occupent
le plus : cet air, disent-ils, avec raison, est nécessairement
plus pur et beaucoup moins épais. Rien n'est élégant
au monde comme les appartements supérieurs de la Villa Albani
; des gazes, agréablement rabaissées y laissaient circuler
l'air, en s'opposant aux insectes qui auraient pu troubler les projets
voluptueux dont tout ce que je voyais ne m'annonçait que trop
les intentions.
Dès que nous fûmes installés, Olympe s'approcha
de moi.
- Juliette, me dit-elle, recommandée aux deux cardinaux que
tu vois ici, par des lettres du duc de Toscane semblables à
celles que tu m'as apportées de ce prince, je ne te déguiserai
pas qu'ils ont voulu savoir qui tu étais... quels étaient
tes murs... ton esprit... Infiniment liée avec ces gens-ci,
et les connaissant comme nous nous connaissons déjà
toutes les deux, je n'ai pas cru devoir leur faire mystère
de rien ; j'ai tout dit, et tu n'imagines pas le point auquel j'ai
embrasé leur tête. Ils te désirent ; livre-toi,
je t'en conjure : le crédit de ces personnages-ci près
du pape est énorme. Tous deux forment le canal des grâces,
des faveurs ; ce n'est que par eux qu'on obtient quelque chose à
Rome. Quelque aisée que tu sois, sept ou huit mille sequins
ne peuvent te nuire ; on est souvent assez riche pour vivre, jamais
assez pour les fantaisies, et surtout quand on nous ressemble. Imite-moi,
j'ai souvent reçu d'eux, j'en reçois encore. Eh ! les
femmes sont faites pour être foutues, elles le sont aussi pour
être appuyées, et nous ne devons jamais refuser l'occasion
d'un présent. Bernis et son confrère ont d'ailleurs
une manie fort singulière, c'est qu'ils ne goûteraient
aucun plaisir s'ils ne le payaient point ; je suis sûre que
tu conçois cela. Je t'exhorte, d'ailleurs, à la plus
extrême complaisance ; il en faut avec de pareils libertins
; ce n'est qu'à force d'art qu'on peut ranimer leurs désirs
; point de restriction, livre tout, je te donnerai l'exemple : il
faut absolument qu'ils perdent du foutre, nous ne devons rien négliger
pour y réussir. Attends-toi donc à faire tout ce qui
généralement pourra nous conduire à ce but.
Ce discours m'étonna, je l'avoue. Il n'eût pas produit
chez moi cet effet, si j'eusse mieux connu les murs romaines.
Quoi qu'il en fût, s'il me surprit, il ne me répugna
point, et j'avais passé par assez d'autres épreuves
pour n'être point épouvantée de celles-là.
Dès que Bernis s'aperçut que j'étais au fait,
il s'approcha de mon oreille.
- Nous savons que vous êtes charmante, me dit-il, pleine d'esprit
et sans préjugés : Léopold nous a tout écrit,
Olympe n'a pas été plus mystérieuse. Nous nous
flattons donc, Albani et moi, que vous ne ferez pas la prude avec
nous, et nous en demandons, pour première preuve, de vous montrer
à nous aussi coquine que vous l'êtes en effet, parce
qu'une femme n'est véritablement aimable qu'autant qu'elle
est putain. Vous m'avouerez qu'elle serait bien dupe alors, si, lorsque
la nature lui donne le goût des plaisirs, elle ne cherchait
pas, pour ses charmes, autant d'admirateurs qu'elle peut rencontrer
d'hommes sur la terre.
- Aimable chantre de Vaucluse, répondis-je, en lui faisant
voir que je connaissais ses charmantes poésies, vous qui sûtes
vous déchaîner contre le libertinage avec un tel art
que vous le fîtes adorer dès qu'on vous eut lu7, il faudrait
beaucoup plus de vertus que je ne m'en crois pour résister
à ceux qui vous ressemblent. Et, en lui serrant la main avec
affectation : Ah ! croyez, lui dis-je, que je suis à vous pour
la vie, et que vous trouverez toujours une écolière
en moi, digne du grand maître qui veut bien l'entreprendre.
La conversation devient générale, et bientôt la
philosophie l'anima. Albani nous fit voir une lettre de Bologne, dans
laquelle on lui apprenait la mort de l'un de ses amis qui, quoiqu'il
occupât l'une des premières places de l'Église,
ayant toujours vécu dans le libertinage, n'avait jamais voulu
se convertir, même à ses derniers moments.
- Vous l'avez connu, dit-il à Bernis, il n'y a jamais eu moyen
de le prêcher : gardant sa tête et son joli esprit jusqu'au
dernier moment, il a rendu la vie dans les bras d'une nièce
qu'il adorait, en l'assurant que ce qui le fâchait dans la nécessité
de ne pouvoir admettre l'existence du ciel, était le désespoir
où cela le laissait de ne pas la retrouver un jour.
- Il me semble, dit le cardinal de Bernis, que ces morts-là
commencent à devenir fréquentes : l'auteur d'Alzire
et d'Alembert les ont mises à la mode.
- Assurément, dit d'Albani, il y a une grande faiblesse à
changer d'esprit en mourant. N'avons-nous pas le temps de nous déterminer
dans le cours d'une aussi longue vie ? Il faut employer les années
de la force et de la vigueur à choisir un système quelconque
; achever d'y vivre, et y mourir, quand une fois il est adopté.
Se trouver encore dans l'incertitude à cette époque,
est se préparer une mort affreuse. Vous me direz peut-être
que la crise, en dérangeant les organes, affaiblit aussi les
systèmes. Oui, si des systèmes sont, ou nouvellement
ou légèrement embrassés, jamais quand ils sont
empreints de bonne heure, quand ils ont été les fruits
du travail, de l'étude et de la réflexion, parce qu'alors
ils forment habitude, et que les habitudes ne nous quittent qu'avec
la vie.
- Assurément, répondis-je flattée de pouvoir
faire connaître ma façon de penser aux libertins célèbres
devant lesquels j'étais, et si le stoïcisme heureux, auquel
je tiens comme vous, nous prive de quelques plaisirs, il nous épargne
bien des peines, et il nous apprend à mourir. Je ne sais, continuai-je,
si ce n'est parce que je n'ai que vingt-cinq ans, et que l'époque
qui doit me rendre aux éléments dont je suis formée
est peut-être encore loin de moi, ou si ce sont réellement
mes principes qui me soutiennent et qui m'encouragent, mais c'est
sans aucune terreur que j'aperçois la désunion des molécules
de mon existence. Bien fermement persuadée de n'être
pas plus malheureuse après ma vie que je ne l'étais
avant que de naître, il me semble que je rendrai mon corps à
la terre avec le même calme, le même sang-froid que je
l'ai reçu.
- Et qui produit en vous cette tranquillité ? dit Bernis :
c'est le mépris profond que vous avez toujours eu pour les
balivernes religieuses, un seul retour sur elles vous eût perdue.
On ne saurait donc les fouler aux pieds de trop bonne heure.
- Cela est-il aussi facile que l'on le pense ? dit Olympe.
- Cela est aisé, dit Albani, mais c'est par la racine qu'il
faut couper l'arbre : si vous ne travaillez qu'à l'extirpation
des branches, il renaîtra toujours des bourgeons. C'est dans
la jeunesse qu'il faut s'occuper de détruire avec énergie
les préjugés inculqués dès l'enfance.
Et c'est le plus enraciné de tous qu'il faut impitoyablement
combattre ; c'est ce Dieu vain et chimérique dont il faut absorber
l'existence.
- Je me garderais bien, dit Bernis, de mettre cette opération
au rang de celles qui doivent donner le plus de peine à une
jeune personne, parce que cette opinion déifique ne peut se
soutenir un quart d'heure dans un bon esprit. Et, en effet, qui ne
voit pas qu'un Dieu, rempli de contradictions, de bizarreries, de
qualités incompatibles, en échauffant l'imagination,
ne rapporte néanmoins à l'esprit qu'une chimère
? On croit fermer la bouche à ceux qui nient l'existence de
ce Dieu, en leur disant que les hommes, dans tous les siècles,
dans tous les pays, ont reconnu l'empire d'une divinité quelconque
; qu'il n'est pas de peuple sur la terre qui n'ait eu la croyance
d'un être invisible et puissant, dont il a fait l'objet de son
culte et de sa vénération ; enfin, qu'il n'est pas,
de nation si sauvage qu'on puisse la supposer, qui ne soit persuadée
de l'existence de quelque être supérieur à la
nature humaine. Premièrement, je nie ce fait : mais cela fût-il,
même, la croyance de tous les hommes peut-elle changer une erreur
en vérité ? Il fut un temps où tous les hommes
ont cru que le soleil tournait autour de la terre, tandis que celle-ci
demeurait immobile : cette unanimité de foi changea-t-elle
cette erreur en réalité ? Il fut un temps où
personne ne voulait croire à l'existence des antipodes ; on
persécutait ceux qui avaient la témérité
de la soutenir. Que de peuples crurent aux sorciers, aux revenants,
aux apparitions, aux esprits. Cette étendue d'opinions fait-elle
des réalités de toutes ces choses ? Non, sans doute
; mais les gens les plus sensés se font une obligation de croire
à un esprit universel, sans voir, sans réfléchir
que tout dément les belles qualités qu'on prête
à ce Dieu. Dans la famille nombreuse de ce père si tendre,
je n'aperçois pourtant que des malheureux... Sous l'empire
de ce souverain si juste, je ne vois que le crime au pinacle et la
vertu dans les fers. Parmi ces bienfaits que vous me vantez dans l'adoption
de ce système, je vois une foule de maux de toute espèce
sur lesquels vous vous obstinez de fermer les yeux. Forcés
de reconnaître que votre Dieu si bon, en perpétuelle
contradiction avec lui-même, distribue de la même main
et le bien et le mal, vous vous trouvez contraints, pour le justifier,
de me renvoyer aux chimériques régions de l'autre vie.
Inventez donc, en ce cas, un autre Dieu que le Dieu de la théologie,
car le sien est aussi contradictoire qu'absurde. Un Dieu bon, qui
fait le mal, ou qui permet qu'il se fasse, un Dieu rempli d'équité,
et dans l'empire duquel l'innocence est toujours opprimée ;
un Dieu parfait, qui ne produit que des ouvrages imparfaits : ah !
convenez que l'existence d'un tel Dieu est plus pernicieuse aux hommes
qu'elle ne peut leur être utile, et ce que l'on pourrait faire
de mieux serait de l'anéantir à jamais.
- Charlatan, m'écriai-je, tu parles contre les drogues que
tu distribues ! Que deviendraient ta puissance et celle de ton sacré
Collège si tous les hommes étaient aussi philosophes
que toi ?
- Je sais parfaitement, dit Bernis, que l'erreur nous est nécessaire
; il faut en imposer aux hommes, nous ne le pouvons qu'en les trompant
; mais il ne s'ensuit pas de là que nous devions nous tromper
nous-mêmes. A quels yeux démasquerons-nous l'idole, si
ce n'est devant ceux de nos amis ou des philosophes qui pensent comme
nous ?
- Dans ce cas, dit Olympe, éclaircissez mes idées, je
vous conjure, sur un point de morale essentiel à ma tranquillité.
Mes oreilles ont été mille fois rebattues de ce système,
et je n'ai jamais été satisfaite de sa définition.
Il s'agit de la liberté de l'homme : que pensez-vous, Bernis,
de cette doctrine ? C'est vous que j'interpelle, et ce sont vos lumières
que je désire.
- J'y consens, dit le célèbre amant de Pompadour : écoutez-moi
donc avec d'autant plus d'attention que la matière est un peu
abstraite pour les femmes.
La faculté de comparer les différentes manières
d'agir et de se déterminer pour celle qui nous paraît
la meilleure, est ce qu'on appelle liberté. Or, l'homme a-t-il,
oui ou non, cette faculté de se déterminer ? J'ose affirmer
qu'il ne l'a pas, et qu'il est impossible qu'il puisse l'avoir. Toutes
nos idées doivent leur origine à des causes physiques
et matérielles qui nous entraînent malgré nous,
parce que ces causes tiennent à notre organisation et aux objets
extérieurs qui nous remuent ; les motifs sont le résultat
de ces causes, et, par conséquent, notre volonté n'est
pas libre. Combattus par différents motifs, nous balançons,
mais l'instant où nous nous déterminons ne nous appartient
pas ; il est contraint, il est nécessité par les différentes
dispositions de nos organes ; nous sommes toujours entraînés
par eux, et jamais il n'a dépendu de nous d'avoir pris plutôt
un parti que l'autre ; toujours mus par la nécessité,
toujours esclaves de la nécessité, l'instant même
où nous croyons avoir le mieux prouvé notre liberté
est celui où nous sommes le plus invinciblement entraînés.
Le flottement, l'incertitude nous font croire à notre liberté,
mais cette prétendue liberté n'est que l'instant de
l'égalité des poids dans la balance. Dès que
le parti est pris, c'est que l'un des deux côtés s'est
trouvé plus chargé que l'autre, et ce n'est pas nous
qui sommes cause de l'inégalité, ce sont les objets
physiques qui agissent sur nous et qui nous rendent le jouet de toutes
les conventions humaines, le jouet de la force motrice de la nature,
ainsi que le sont les animaux et les plantes. Tout réside dans
l'action du fluide nerveux, et la différence d'un scélérat
à un honnête homme ne consiste que dans le plus ou le
moins d'activité des esprits animaux qui composent ce fluide.
Je sens, dit Fénelon, que je suis libre, que je suis absolument
dans la main de mon conseil. Cette assertion gratuite est impossible
à prouver. Qui assure à l'archevêque de Cambrai
que lorsqu'il se détermine à embrasser la doctrine douce
de Mme de Guyon, il soit libre de choisir le parti contraire ? Il
pourra me prouver tout au plus qu'il a balancé, mais je le
défie de me convaincre qu'il a été libre de prendre
le parti opposé, du moment qu'il a pris celui-là : Je
me modifie moi-même avec Dieu, continue cet auteur, je suis
cause réelle de mon propre vouloir. Mais Fénelon n'a
pas pris garde, en disant cela, que Dieu étant le plus fort,
il le rendait cause réelle de tous les crimes ; il n'a pas
pris garde non plus que rien ne détruisait plus sûrement
la puissance de Dieu que la liberté de l'homme, car cette puissance
de Dieu que vous supposez, et que je vous accorde un instant, n'est
vraiment telle, que parce que Dieu a réglé toutes choses
dès le commencement, et c'est en conséquence de cette
règle invariable que l'homme ne doit plus devenir qu'un être
passif qui ne peut rien changer au mouvement reçu et qui, par
conséquent, n'est pas libre. S'il était libre, il pourrait
à tout moment détruire ce premier ordre établi,
et il deviendrait alors aussi puissant que Dieu. Voilà ce qu'un
partisan de la divinité comme Fénelon aurait dû
considérer plus mûrement.
Newton coulait légèrement sur cette grande difficulté,
il n'osait ni l'approfondir, ni s'y engager ; Fénelon, plus
tranchant, quoique bien moins instruit, ajoute : Quand je veux une
chose, je suis maître de ne la vouloir pas ; quand je ne la
veux pas, je suis maître de la vouloir. Non. Puisque vous ne
l'avez pas faite quand vous l'avez voulu, c'est que vous n'étiez
pas le maître de la faire, et que toutes les causes physiques
qui doivent diriger la balance l'avaient emporté, cette fois,
du côté de la chose que vous avez faite, et vous n'avez
pas été le maître de choisir, dès qu'une
fois vous avez été déterminé. Donc vous
n'avez pas été libre ; vous avez balancé, mais
vous n'avez pas été libre, et vous ne l'êtes jamais.
Lorsque vous vous laissez aller à celui des deux partis que
vous prenez, c'est qu'il était impossible que vous prissiez
l'autre. C'est votre incertitude qui vous a aveuglé : vous
vous êtes cru maître du choix, parce que vous vous êtes
senti maître de balancer ; mais cette incertitude, effet physique
de deux objets extérieurs qui se présentent à
la fois, et la liberté de choisir entre ces deux objets, sont
deux choses très différentes.
- Me voilà convaincue, dit Olympe ; l'idée d'avoir pu
ne pas commettre les crimes où je me suis livrée tourmentait
quelquefois ma conscience : mes chaînes démontrées,
je suis calme, et je poursuivrai sans remords.
- Je vous y exhorte, dit Albani, rien n'est inutile comme le remords
: parvenant toujours trop tard dans notre âme, il n'empêche
pas que le mal ne soit fait, et comme les passions parlent plus haut
que lui, quand on veut refaire le mal, il devient trop faible pour
l'empêcher.
- Eh bien ! livrons-nous donc à ce mal délicieux, pour
en conserver l'habitude, et pour nous étourdir sur celui que
nous avons fait ! dit Olympe avec enthousiasme.
- Oui, répondit le cardinal de Bernis, mais ce mal projeté,
pour qu'il nous délecte davantage, faisons-le avec autant d'étendue
que de réflexion. Belle Juliette, poursuit l'ambassadeur de
France, nous savons que vous avez deux jolies filles dans votre maison,
qui sûrement doivent être aussi complaisantes que vous
; leur beauté fait le plus grand bruit dans Rome ; il n'est
question que de vous trois : nous vous prions de les envoyer prendre
et de permettre qu'elles jouent un rôle dans la scène
libidineuse que mon collègue et moi nous proposons d'exécuter
ce soir avec vous.
Ne croyant pas, aux termes où j'en étais avec Olympe,
devoir refuser une proposition qu'elle me pressait tout bas d'accepter,
j'envoyai promptement chercher Élise et Raimonde, et la conversation,
dès lors, prit un tour différent.
- Juliette, me dit Bernis, à l'empressement que mon confrère
et moi venons de vous témoigner de connaître les deux
jolies femmes que vous possédez, n'allez pas nous soupçonner
d'un goût bien particulier pour un sexe à qui nous ne
pardonnons le tort d'être femmes qu'à la condition d'être
hommes avec nous. Il est même essentiel que nous vous déclarions
à ce sujet que tout dessein d'amusement serait nul, si vous
ne nous assurez pas, pour vous et pour vos compagnes, d'une absolue
résignation aux fantaisies que cet énoncé vous
expose.
- En vérité, dit Olympe, ces éclaircissements
sont superflus avec Juliette ; elle m'a donné des exemples
en ce genre qui doivent complètement vous rassurer, et je suis
bien persuadée que les femmes qu'elle adopte doivent, par cela
seul qu'elle les protège, avoir au moins autant de philosophie
qu'elle.
- Mes amis, dis-je en tâchant de mettre tout le monde à
l'aise, heureusement ma réputation en luxure est assez bien
établie pour qu'il ne puisse vous rester le moindre doute sur
ma manière de me comporter dans de telles parties. Ma lubricité,
toujours modelée sur le caprice des hommes, ne s'allume jamais
qu'au feu de leurs passions ; je ne suis vraiment échauffée
que de leurs désirs, et je ne connais de volupté qu'à
satisfaire tous leurs écarte. Si ce qu'ils exigent de moi se
trouve tout simple, mes voluptés sont médiocres ; ont-ils
besoin de recherches, j'éprouve aussitôt, par sympathie,
le plus violent désir de les contenter, et je n'ai jamais connu
ni conçu de restriction dans les actes du libertinage, attendu
que plus ils outragent les murs, plus ils dépassent les
bornes de la pudeur et de l'honnêteté, et plus ils flattent
mes jouissances.
- On ne peut pas être plus aimable, dit Bernis ; il est certain
qu'une femme qui refuse ces choses-là est une bégueule
qui ne mérite ni la considération de ses amis, ni l'estime
des honnêtes gens.
- De tels refus sont absurdes, dit Albani, l'un des plus zélés
sectateurs de tous les goûts bizarres de la lubricité
; ils ne prouvent dans la femme qui les fait que de la bêtise
ou de la froideur, et je vous avoue qu'une femme glacée ou
stupide, aux yeux de ceux qui ne pardonnent le sexe dont elles sont
qu'en faveur de leur complaisance, est un individu bien méprisable
à mes yeux.
- Eh ! quelle serait donc la femme assez bête, dis-je, pour
imaginer qu'un homme fît plus de mal à lui mettre le
vit au derrière qu'à le lui introduire dans le con ?
Une femme n'est-elle pas femme partout, et n'est-ce pas une extravagance
que de vouloir consacrer à la pudeur une des parties de son
corps, lorsqu'elle consent à livrer les autres ? Il est ridicule
de dire que cette manie puisse jamais outrager la nature : nous inspirerait-elle
ce goût, s'il l'offensait ? Osons assurer, au contraire, qu'elle
le chérit, qu'il lui est favorable ; que les lois de l'homme,
toujours dictées par l'égoïsme, n'ont pas le sens
commun sur cet objet, et que celles de la nature, bien plus simples,
bien plus expressives, doivent nécessairement nous inspirer
tous les goûts destructeurs d'une population, qui, la privant
du droit de recréer les premières espèces, la
maintient dans une inaction qui ne peut que déplaire à
son énergie.
- Voilà sans doute une très belle idée, dit Bernis,
je voudrais maintenant qu'à cette érudition théorique,
nous joignissions un peu de pratique. Je vous invite donc, belle Juliette,
à venir exposer à nos yeux ce trône de volupté
qui, d'après notre consentement, fera, lorsque nous l'exigerons,
l'unique objet de nos caresses et de nos plaisirs. Celui d'Olympe
nous est assez connu pour que nous n'exigions dans ce moment-ci que
le vôtre.
Les deux cardinaux s'étant rapprochés, je fus à
l'instant leur présenter l'objet de leur culte. Troussée
jusqu'au-dessus des hanches, rien ne put troubler leur examen, et
je puis assurer qu'il fut fait avec les détails les plus lubriques
et les plus circonstanciés. Albani poussait la sévérité
des murs sodomites au point de déguiser scrupuleusement
avec sa main tout ce que l'attitude penchée que l'on me faisait
prendre lui faisait involontairement découvrir dans le voisinage
: il n'est pas de vrai sodomiste qui ne débande à la
vue d'un con. Après les attouchements, vinrent les baisers,
les gamahuchades. Et comme, chez des libertins de ce genre, la barbarie
devient presque toujours la suite des impulsions de la lubricité,
on passa des suçons aux claques, aux pinçons, aux morsures,
aux introductions vigoureuses et à sec de plusieurs doigts
dans l'anus, et, définitivement, aux propositions du fouet
qui se seraient exécutées sur-le-champ, sans doute,
si l'on n'eût annoncé mes compagnes. Comme c'est de ce
moment que la scène commence à devenir véritablement
sérieuse, c'est aussi de cette époque que je vais vous
la peindre avec la cynique franchise qui caractérisera toujours
mes crayons.
Les cardinaux, enchantés des deux délicieuses créatures
que j'offrais à leur lubricité, exigèrent bientôt
l'examen le plus scrupuleux des beautés postérieures
que leur promettaient deux aussi jolies femmes. Olympe elle-même
s'empressait autour d'elles avec la même ardeur que les hommes.
Ce fut alors, qu'en tirant Albani à part, je lui tins à
peu près le discours suivant :
- Saint homme, lui dis-je, tu ne t'es pas imaginé sans doute
que ces deux jolies femmes et moi venions satisfaire ici toutes tes
fantaisies brutales uniquement par amour pour toi. Il ne faut pas
que la figure que je fais dans Rome t'en impose ; elle n'est le fruit
que de mes prostitutions, elles seules me font vivre et me soutiennent
; je ne me donne que pour de l'argent, et il m'en faut beaucoup.
- Bernis et moi avons toujours pensé de même, me dit
le cardinal.
- A la bonne heure, répondis-je ; en ce cas, dites-moi ce que
vous destinez à mes amies et à moi : autrement rien
de fait, je crois devoir vous en prévenir.
Albani se rapproche de son confrère, il lui parle bas un moment,
et tous deux, venant à moi, m'assurent que j'aurai lieu d'être
satisfaite de leur manière d'agir.
- Ces promesses-là sont trop vagues pour me contenter, répondis-je.
Vous savez que chacun vit de son métier ; celui de croquer
de petites idoles de pâte vous vaut cinq ou six cent mille livres
de rentes ; trouvez bon que le mien, infiniment plus agréable
à la société, me rapporte de même en raison
de son mérite. Vous allez me montrer beaucoup de turpitudes
; je deviendrai maîtresse de votre secret, je puis vous compromettre
en en abusant. Vous vengerez-vous par des coups d'éclat ? Au
moyen de mon or, je serai, comme vous, entendue, et mes défenseurs
vous perdront en vous dévoilant. Pour six mille sequins, et
la promesse de me faire faire une partie avec le pape, tout s'arrangera,
et je n'aurai plus que des plaisirs à vous donner. Peu de femmes
au monde sont aussi lubriques, aussi complaisantes, aussi scélérates
que moi, et ce que mon imagination déréglée ajoutera
à vos plaisirs, les rendra peut-être les plus vifs et
les plus délicieux de la terre.
- Aimable enfant, me dit Bernis, vous ne vous donnez pas à
bon marché ; mais trop aimable pour qu'on puisse rien vous
refuser, nous vous introduirons chez le pape. Le désir que
vous témoignez a déjà été conçu
par lui-même, et puisqu'il faut tout vous dire, cette partie
préliminaire n'est arrangée que par ses ordres : il
veut, avant que de vous connaître, que nous lui rendions compte
de vous.
- Allons, dis-je, il ne faut que l'argent, et je suis à vos
ordres.
- Quoi ! tout de suite ?
- Assurément.
- Mais si, après...
- Ah ! vous connaissez mal les Françaises ! Franches comme
le pays dont elles portent le nom, elles veulent être sûres
de leur fait avant que de conclure un marché ; mais elles sont
incapables de l'enfreindre quand elles en ont reçu l'argent.
Alors Albani, sur un signe de son confrère, me fit passer dans
un cabinet, et ayant ouvert un secrétaire, il en sortit en
billets payables à vue la somme exigée par moi. Je n'eus
pas plus tôt jeté les yeux sur ce secrétaire que
les richesses dont il me parut rempli me séduisirent. Bon !
me dis-je aussitôt que j'eus conçu la ruse qui allait
me l'approprier, je puis d'autant mieux entreprendre le coup, que
ces scélérats, par la multitude d'horreurs qu'ils se
permettront avec moi, vont s'enchaîner au point qu'ils n'oseront
jamais me poursuivre. En profitant avec promptitude du moment où
le meuble était encore ouvert, je feins un évanouissement
avec une telle vérité, qu'Albani s'effraye et sort promptement
pour appeler au secours. Je me relève légèrement,
je mets la main sur les billets, sur les portefeuilles, et d'un coup
de filet je m'empare de près d'un million. Je referme le secrétaire.
Dans le trouble où il est, pensais-je, il ne se ressouviendra
pas de l'état où il a laissé son trésor,
et je serai moins soupçonnée quand il le trouvera de
cette manière. Tout ce que je vous dis, exécuté
en moins de temps que je n'en mets à vous le rendre, je me
replace à terre dans la situation où m'avait mise mon
évanouissement supposé. Albani rentre, suivi d'Olympe
et de Bernis. Aussitôt que je les vois, je reprends connaissance,
dans la crainte qu'en tournant trop autour de moi, l'on ne découvre
ce qu'à peine j'ai pu cacher sous mes jupes.
- Ce ne sera rien, dis-je promptement, mon extrême sensibilité
me rend parfois sujette à ces crampes de nerfs, et je suis
mieux maintenant, et parfaitement à vos ordres...
J'avais au mieux prévu les idées d'Albani : voyant son
secrétaire fermé, il crut l'avoir laissé de cette
manière-là, et sans la moindre apparence de soupçon,
nous repassâmes dans une salle délicieuse où devaient
s'exécuter les orgies projetées.
Là nous trouvâmes huit personnages nouveaux dont les
rôles n'étaient pas de peu d'importance dans les mystères
que nous allions célébrer. Ces huit personnages étaient
d'abord quatre petits garçons de quinze ans, beaux comme l'Amour,
ensuite quatre fouteurs de dix-huit à vingt ans, dont les membres
étaient monstrueux. Nous étions donc là douze
en tout pour les plaisirs de ces deux scélérats, car
Olympe, mixte dans cette scène, fut toujours infiniment plus
du côté des victimes que de celui des sacrificateurs
; le libertinage, l'intérêt, l'ambition, la livraient
à ces libertins et elle y remplissait absolument le même
emploi que nous.
- Allons ! dit Bernis, commençons. Juliette, vous Élise,
et vous Raimonde, en vous faisant aussi chèrement payer, vous
nous donnez le droit de vous parler comme à des putains : servez-nous
donc avec la même obéissance.
- Cela est juste, répondis-je, voulez-vous nous voir nues ?
- Oui.
- Eh bien, donnez-nous donc une garde-robe où mes compagnes
et moi puissions nous déshabiller...
On en ouvre une. Je partage aussitôt mon énorme paquet
avec mes deux compagnes, nous insérons le tout avec soin dans
nos poches, nous nous déshabillons, et, une fois nues, nous
paraissons dans le cercle où les cardinaux nous attendaient.
- Un peu d'ordre à tout ceci, dit Bernis. Je remplirai les
fonctions de maître des cérémonies, mon confrère
y consent : que tout le monde m'obéisse donc. L'examen que
nous devons faire de vos culs, mesdames, n'étant qu'esquissé,
ayez pour agréable de venir les offrir tour à tour à
notre critique ; les petits garçons passeront aussi, et à
mesure qu'un sujet sera vu, il entourera sur-le-champ l'un des fouteurs
et le disposera au plaisir, de manière que, l'examen fait,
nous puissions retrouver en attitude, sous nos yeux, chacun de ces
fouteurs entouré d'une femme et d'un garçon.
Le premier tableau s'exécute : nous passions alternativement
de l'un à l'autre de ces libertins. Nos fesses étaient
baisées, palpées, mordues, pincées, et nous nous
rangions sur-le-champ autour d'un des fouteurs, en observant qu'il
n'y eût jamais qu'un homme et qu'une femme auprès de
chacun.
- Maintenant, dit le maître des cérémonies, il
faut qu'un petit garçon, agenouillé entre nos cuisses,
nous suce le vit ; un des grands nous fera sucer le sien ; en avant
de lui, pour l'exciter, il gamahuchera le cul d'une femme ; nous aurons
sous nos mains, à droite le vit d'un fouteur que nous branlerons,
à gauche les fesses d'un petit garçon, et les deux autres
femmes, placées à côté de nous et un peu
au-dessous, nous chatouilleront les couilles et le trou du cul.
Pour la troisième scène, dit Bernis, nous resterons
couchés comme nous voilà ; ce seront des femmes qui
nous pomperont ; deux petits garçons, agenouillés sur
nos poitrines, nous feront sucer le trou de leur cul ; ils baiseront,
au-dessus d'eux, les fesses des deux femmes, qui, elles-mêmes,
branleront les vits des deux petits garçons ; et les quatre
fouteurs seront branlés par nous, chacun d'une main.
Tels vont être nos rangs dans la quatrième scène,
poursuit le charmant cardinal : deux femmes, différentes de
celles qui viennent de nous sucer, agenouillées contre ces
sofas, vont recevoir nos vits dans leur bouche ; les deux autres femmes
nous serviront de maquerelles ; elles disposeront les quatre fouteurs
à nous enculer tour à tour, elles les socratiseront,
elles les gamahucheront, elles les langoteront : en un mot, elles
n'épargneront rien pour les faire bander, et, quand elles les
verront prêts à nous perforer, elles humecteront de leur
bouche et de leur langue le trou de notre derrière, et conduiront
avec soin leurs membres dans notre cul ; les quatre petits garçons
se relayeront sous notre bouche, et, couchés en face de nous,
à plat ventre, ils nous feront alternativement baiser leurs
quatre culs.
Les quatre fouteurs étaient vigoureux ; nous les excitons à
merveille. Les deux vieilles culasses pourprées furent sodomisées
chacune huit fois de suite ; mais, plus durs que le diable, les coquins
éprouvèrent cette dernière scène avec
le même flegme que celles qui l'avaient précédée,
et nous n'en obtînmes même pas une demi-érection.
- Ah ! dit Bernis, je vois bien qu'il faut des stimulants plus actifs
: rien n'agit, dans l'état de dépérissement où
nous sommes. La dévorante satiété veut tout engloutir,
rien ne la satisfait, c'est une maladie semblable à ces soifs
brûlantes que l'eau la plus fraîche ne fait qu'accroître.
Albani me ressemble : regardez si toutes ces épreuves ont seulement
fait guinder son vit d'un cran. Essayons autre chose, puisque la nature
nous en a fait une loi. Vous êtes douze, partagez-vous ; que
chaque escouade soit composée de deux fouteurs, de deux petits
garçons et de deux femmes : la première opérera
sur mon vieil ami, la seconde sur moi. Rangés près de
nous, tour à tour, vous vous ferez branler par nous, vous nous
sucerez et vous nous chierez dans la bouche...
A cette dégoûtante opération, les membres de nos
agonisants se dérident, et, dès ce moment, nos paillards
se croient en état d'essayer de plus sérieuses attaques.
- La sixième scène se passera de cette manière,
dit l'ordonnateur : Albani, qui me paraît aussi en état
que moi, sodomisera Élise ; je vais enculer Juliette ; les
quatre fouteurs, préparés par Olympe et par Raimonde,
soigneront nos culs ; deux petits garçons, couchés au-dessus
de nous, nous présenteront à baiser, les uns leurs vits,
les autres leurs fesses.
Les groupes s'arrangent ; mais nos deux champions, trompés
par leurs désirs, baissent le nez devant le tabernacle, et
ne réussissent seulement pas à en effleurer les portes.
- Je m'en doutais, dit Albani, avec ta fureur de nous faire enculer
des femmes !... Sur un garçon, je n'eusse pas essuyé
cette avanie.
- Eh bien ! changeons, dit l'ambassadeur, n'en avons-nous pas le moyen
?
Mais l'épreuve n'est pas plus heureuse ; nos cardinaux sont
foutus, mais ne foutent point ; on a beau les branler, les sucer,
leurs vieux outils se replient au lieu de se déployer, et Bernis
annonce que l'épreuve ne réussissant pas plus avec son
confrère qu'avec lui, on va s'occuper d'autre chose.
- Mesdames, nous dit le grand maître, puisque les bons procédés
que nous avons pour vous ne servent à rien, il en faut essayer
de plus durs. Vous connaissez les effets de la fustigation ? Nous
allons les essayer avec vous.
A ces mots, il s'empare de moi, et m'applique sur une machine assez
étrange pour mériter une description particulière.
J'étais liée contre un mur, les mains en l'air et les
pieds au plancher. Une fois là, Bernis releva contre moi une
espèce de tablette d'acier semblable au banc d'une stalle,
et dont la partie qui touchait mon ventre était aussi tranchante
qu'une lame de rasoir. Pressée par cette tablette, vous imaginez
bien que je rejetai mes reins en arrière ; voilà précisément
ce que voulait Bernis : je n'avais jamais fait si beau cul. Armé
d'une poignée de verges, le paillard commence à me flageller,
mais sans aucune préparation, et les coups qu'il me porte deviennent
si violents que le sang coule déjà sur mes cuisses.
Vigoureusement pressée par l'infernale machine dont mon ventre
était menacé, il me devenait absolument impossible d'esquiver
aucun des coups qui m'étaient portés ; l'essayais-je,
je n'y parvenais qu'en me déchirant : heureusement que, faite
à cette cérémonie dont je faisais souvent mes
délices, je pus sans inconvénient endurer toute l'opération.
Il n'en fut pas de même de celles qui me succédèrent
: Élise, placée après moi sous ces cruels liens,
s'y coupa le ventre, et jeta les hauts cris ; Raimonde y souffrit
également beaucoup. Olympe brava tout, elle aimait le fouet
; cette vexation ne fit que l'irriter. Toutes les quatre, replacées
pour Albani, subirent encore la même opération, et nos
scélérats bandèrent à la fin. Ne s'étant
pas assez bien trouvés des femmes pour les resoumettre à
leur jouissance, ils enfilèrent des petits garçons ;
on les fouettait pendant qu'ils sodomisaient, et leur attitude était
telle qu'ils pouvaient baiser alors des clitoris, des trous de culs
et des vits, artistement offerts à leur libertinage. Pour le
coup, la nature irritée les servit : tous deux déchargèrent
presque en même temps. Ce sont mes fesses qu'Albani baise pendant
sa crise, et elle est si violente, le coquin s'abandonne avec tant
de furie, qu'il m'y laisse l'empreinte des deux seuls chicots que
cinq ou six véroles et autant de cristallines ont laissés
dans sa bouche impure. Le derrière de Raimonde, baisé
par Bernis, n'avait pas été plus heureux ; mais c'était
à coups d'ongles, à coups d'épingle, que ce libertin
l'avait molesté : il était en sang quand la crise eut
lieu. Un moment de repos succéda et les orgies recommencèrent.
A la première scène de cette reprise, ces débauchés
nous firent placer tour à tour entre les bras de quatre fouteurs,
qui nous enconnaient pendant qu'eux jouissaient de la vue de nos fesses,
et que, pour nous exciter à mieux foutre, les barbares nous
picotaient, nous pinçaient et nous flagellaient de mille différentes
manières. Cela fait, les couples se retournèrent, les
quatre culs d'hommes furent montrés ; les quatre petits garçons
les sodomisèrent, et les cardinaux foutirent les petits garçons,
mais sans décharger. Les femmes reprirent les petits garçons
dans leurs bras, les fouteurs enculèrent ces Ganymèdes
; ils enculèrent ensuite les femmes, dont les petits garçons
léchaient le clitoris. Ensuite, on mit les petits garçons
au mur, les planches d'acier se relevèrent sur eux comme sur
nous, et l'on les étrilla jusqu'au sang. C'est alors que l'envie
de perdre encore du foutre s'empara à la fois de nos deux faunes.
Semblables à des tigres qui cherchent une pâture, ils
errent au milieu de nous, en nous lançant des regards furieux.
Ils ordonnent aux hommes de nous prendre et de nous fouetter devant
eux ; ils sodomisent pendant ce temps un petit garçon, et baisent
les fesses d'un autre. Leur foutre part une seconde fois, et l'on
se met à table.
Rien de délicieux comme le repas qui nous fut servi ; le pittoresque
dont il fut mérite un peu de détail.
Au milieu d'un cercle assez étroit, était une table
ronde à six couverts seulement : deux étaient occupés
par les cardinaux ; Olympe, Élise, Raimonde et moi occupions
les quatre autres. Des gradins circulaires, à quatre étages,
environnaient la table. Là, cinquante des plus belles courtisanes
de Rome, cachées sous des masses de fleurs, ne laissaient voir
que leurs derrières, de façon que ces culs groupés,
parmi des lilas, des illets et des roses, s'apercevaient çà
et là sans symétrie, et donnaient sous un même
aspect l'image de tout ce que la nature et la volupté pouvaient
offrir de plus délicieux. Vingt petits Amours, représentés
par de jolis bardaches, formaient une coupole, et la salle n'était
éclairée que par les flambeaux tenus par ces petits
dieux. Un ressort faisait varier les services : au moment qu'il partait,
le bourrelet des couverts restait devant les convives, le rond du
milieu s'enfonçait, et revenait seulement chargé de
six petites gondoles d'or contenant les mets les plus exquis et les
plus délicats. Six jeunes garçons nus, vêtus comme
Ganymède, faisaient le service de l'intérieur, et versaient
aux convives les vins les plus exquis. Nos libertins, qui nous avaient
fait rhabiller pour l'instant du repas, exigèrent que la nouvelle
nudité où ils voulaient nous mettre ne vînt, comme
chez les courtisanes de Babylone, que par gradation. Au premier service
on enleva un fichu, on dégarnit le buste au second, ainsi de
suite jusqu'aux fruits, où nos vêtements tombèrent
en entier ; alors le libertinage et l'abrutissement augmentèrent.
Le dessert fut servi dans quinze petites barques de porcelaine verte
et or. Douze petites filles de six à sept ans, à moitié
nues et seulement ornées de guirlandes de myrtes et de roses,
parurent pour faire couler à longs flots dans nos verres les
vins étrangers et les liqueurs. Les têtes s'embrasent,
Bacchus vient rendre aux esprits de nos deux libertins toute l'énergie
nécessaire à la tension décidée du nerf
érecteur, et le désordre est complet.
- Poète charmant, dit le maître de la maison au cardinal
de Bernis, il court deux morceaux dans Rome, que les gens d'esprit
t'attribuent : nos convives sont dignes de les entendre, dis-les-nous,
je t'en prie.
- Ce ne sont que des paraphrases, répondit Bernis, et je suis
étonné de leur publicité, car je ne les ai montrés
qu'au pape.
- En voilà beaucoup plus qu'il ne faut pour qu'ils ne soient
ignorés de personne... En un mot, dis-les-nous, cardinal, nous
voulons absolument les entendre.
- Volontiers, dit Bernis, je n'ai rien de caché pour des philosophes
comme vous... L'un est la paraphrase du fameux sonnet de Des Barreaux,
l'autre, celle de l'Ode à Priape. Je vais commencer par la
première8.
Sot Dieu ! tes jugements sont
pleins d'atrocité,
Ton unique plaisir consiste à l'injustice :
Mais j'ai tant fait de mal, que ta divinité
Doit, par orgueil au moins, m'arrêter dans la lice.
Foutu Dieu ! la grandeur de
mon impiété
Ne laisse en ton pouvoir que le choix du supplice,
Et je nargue les fruits de ta férocité.
Si ta vaine colère attend que je périsse,
Contente, en m'écrasant,
ton désir monstrueux ;
Sans craindre que des pleurs s'écoulent de mes yeux,
Tonne donc ! je m'en fous ; rends-moi guerre pour guerre :
Je nargue, en périssant,
ta personne et ta loi.
En tel lieu de mon cur que frappe ton tonnerre,
Il ne le trouvera que plein d'horreur pour toi.
Ce morceau ayant été fort applaudi, Bernis nous récita
l'autre à l'instant.
Foutre des Saints et de la Vierge,
Foutre des Anges et de Dieu !
Sur eux tous je branle ma verge,
Lorsque je veux la mettre en feu...
C'est toi que j'invoque à mon aide,
Toi qui dans les culs, d'un trait raide,
Lanças le foutre à gros bouillons !
Du Chaufour, soutiens mon haleine,
Et pour un instant, à ma veine
Prête l'ardeur de tes couillons9.
Que tout bande, que tout s'embrase
;
Accourez, putains et gitons :
Pour exciter ma vive extase,
Montrez-moi vos culs frais et ronds,
Offrez vos fesses arrondies,
Vos cuisses fermes et bondies,
Vos engins roides et charnus,
Vos anus tout remplis de crottes ;
Mais, surtout, déguisez les mottes :
Je n'aime à foutre que des culs.
Fixez-vous, charmantes images,
Reproduisez-vous sous mes yeux ;
Soyez l'objet de mes hommages,
Mes législateurs et mes Dieux !
Qu'à Giton l'on élève un temple
Où jour et nuit l'on vous contemple,
En adoptant vos douces murs.
La merde y servira d'offrandes,
Les gringuenaudes de guirlandes,
Les vits de sacrificateurs.
Homme, baleine, dromadaire,
Tout, jusqu'à l'infâme Jésus,
Dans les cieux, sous l'eau, sur la terre,
Tout nous dit que l'on fout des culs ;
Raisonnable ou non, tout s'en mêle,
En tous lieux le cul nous appelle,
Le cul met tous les vits en rut,
Le cul, du bonheur est la voie,
Dans le cul gît toute la joie,
Mais hors du cul, point de salut.
Dévots, que l'enfer
vous retienne :
Pour vous seuls sont faites ses lois ;
Mais leur faible et frivole chaîne
N'a sur nos esprits aucun poids.
Aux rives du Jourdain paisible,
Du fils de Dieu la voix horrible
Tâche en vain de parler au cur :
Un cul paraît10, passe-t-il outre ?
Non, je vois bander mon jean-foutre.
Et Dieu n'est plus qu'un enculeur.
Au giron de la sainte Église,
Sur l'autel même où Dieu se fait,
Tous les matins je sodomise
D'un garçon le cul rondelet.
Mes chers amis, que l'on se trompe
Si de la catholique pompe
On peut me soupçonner jaloux.
Abbés, prélats, vivez au large :
Quand j'encule et que je décharge,
J ai bien plus de plaisirs que vous.
D'enculeurs l'histoire fourmille,
On en rencontre à tout moment.
Borgia, de sa propre fille,
Lime à plaisir le cul charmant ;
Dieu le Père encule Marie ;
Le Saint-Esprit fout Zacharie :
Ils ne foutent tous qu'à l'envers.
Et c'est sur un trône de fesses
Qu'avec ses superbes promesses,
Dieu se moque de l'univers.
Saint Xavier aussi, ce grand
sage
Dont on vante l'esprit divin,
Saint Xavier vomit peste et rage
Contre le sexe féminin.
Mais le grave et charmant apôtre
S'en dédommagea comme un autre.
Interprétons mieux ses leçons :
Si, de colère, un con l'irrite,
C'est que le cul d'un jésuite
Vaut à ses yeux cent mille cons.
Près de là,
voyez saint Antoine
Dans le cul de son cher pourceau,
En dictant les règles du moine11,
Introduire un vit assez beau.
A nul danger il ne succombe ;
L'éclair brille, la foudre tombe,
Son vit est toujours droit et long.
Et le coquin, dans Dieu le
Père
Mettrait, je crois, sa verge altière
Venant de foutre son cochon.
Cependant Jésus dans
l'Olympe,
Sodomisant son cher papa,
Veut que saint Eustache le grimpe,
En baisant le cul d'Agrippa12.
Et le jean-foutre, à Madeleine,
Pendant ce temps, donne la peine
De lui chatouiller les couillons.
Amis, jouons les mêmes farces :
N'ayant pas de saintes pour garces,
Enculons au moins des gitons.
Ô Lucifer ! toi que
j'adore,
Toi qui fais briller mon esprit,
Si chez toi l'on foutait encore,
Dans ton cul je mettrais mon vit.
Mais puisque, par un sort barbare,
L'on ne bande plus au Ténare,
Je veux y voler dans un cul.
Là, mon plus grand tourment, sans doute,
Sera de voir qu'un démon foute,
Et que mon cul n'est point foutu.
Accable-moi donc d'infortunes,
Foutu Dieu qui me fais horreur ;
Ce n'est qu'à des âmes communes
A qui tu peux foutre malheur :
Pour moi je nargue ton audace.
Que dans un cul je foutimasse,
Je me ris de ton vain effort ;
J'en fais autant des lois de l'homme :
Le vrai sectateur de Sodome
Se fout et des Dieux et du sort.
Les applaudissements redoublèrent.
Cette ode fut trouvée bien plus forte que celle de Piron, unanimement
accusé de poltronnerie pour avoir niché là les
Dieux de la fable, quand il n'aurait dû ridiculiser que ceux
du christianisme.
Les têtes plus électrisées que jamais, l'on sortit
de table dans un tel état d'ivresse qu'à peine pouvait-on
marcher. Un nouveau salon magnifique nous reçut, et là
se retrouvèrent les cinquante courtisanes dont nous avions
observé les fesses pendant le repas, les six petits frères
servants et les douze pucelles du dessert. La délicatesse de
l'âge de ces petites nymphes, leurs intéressantes figures,
échauffèrent prodigieusement nos paillards. Ils se jetèrent
comme des lions sur les deux plus jeunes, et ne pouvant les foutre,
leur fureur s'en accrut. Ils les attachent sur les perfides machines,
et les déchirent à coups de martinets armés d'aiguilles
; nous les branlons, nous les suçons pendant ce temps-là
; ils bandent. Deux nouvelles pucelles sont saisies ; à force
d'art, les libertins parviennent à les sodomiser ; mais voulant
ménager leurs forces, ils se précipitent sur d'autres
victimes ; tantôt de jeunes filles, tantôt de petits garçons
deviennent la proie de leur lubricité ; tout leur passe par
les mains, et ce n'est qu'après avoir dépucelé
chacun sept ou huit enfants de l'un et l'autre sexe, que s'éteint
le flambeau de leur luxure, l'un dans le cul d'un petit garçon
de dix ans, l'autre dans celui d'une petite fille de six. Tous deux
ivres morts tombent sur des canapés et s'endorment... Nous
nous rhabillons.
Quelque étourdie que je fusse moi-même, le goût
du vol ne m'abandonnant jamais, je me rappelai que le trésor
d'Albani n'était point épuisé par ma première
incursion. J'ordonne à Raimonde d'amuser Olympe, et vole au
secrétaire avec Élise... J'y retrouve la clef, nous
pillons tout. Cette seconde prise jointe à la première
me vaut quinze cent mille francs que, dès le lendemain, je
plaçai comme mes autres fonds. Olympe ne s'étant aperçue
de rien, nous partons. Je vous laisse à penser, mes amis, si
mon gentilhomme Sbrigani fut aise de me voir revenir couverte de tant
de richesses.
Cette aventure fit pourtant du bruit quelques jours après.
Olympe accourut chez moi :
- Le cardinal est volé de plus d'un million, me dit-elle ;
c'était la dot de sa nièce. Il est loin de te soupçonner,
Juliette, mais il craint que le coup, positivement exécuté
le jour où tu soupas chez lui, n'ait été l'ouvrage
de tes deux compagnes.
En sais-tu quelque chose, mon ange ? Avoue-le-moi, je t'en conjure.
Et ici, suivant mon usage, j'imaginai une horreur infernale pour couvrir
celle dont je m'étais souillée. J'avais appris indirectement
que, la veille du jour où j'avais soupé chez Albani,
une autre de ses nièces, qu'il avait voulu séduire,
s'était sauvée du palais de ce cardinal pour échapper
à la flétrissure. Je jette aussitôt des soupçons
sur cette jeune personne : ils sont avidement saisis par Olympe, promptement
rapportés par elle au cardinal qui, par faiblesse ou par méchanceté...
peut-être par unique envie de se venger du refus de sa nièce,
met aussitôt après ses trousses tous les sbires de l'État
ecclésiastique. La pauvre fille est attrapée sur les
confins du royaume de Naples, au moment où elle allait se jeter
dans un couvent de Bernardines dépendant encore de l'État
romain. Ramenée dans Rome, elle y est aussitôt mise au
cachot. Sbrigani trouve des témoins qui déposent contre
elle ; il ne s'agit que de savoir ce qu'elle a fait de l'argent et
des bijoux : d'autres témoins, également gagnés
par nous, déposent qu'elle a tout remis à un Napolitain
qu'elle aime, et qui a quitté Rome quelques jours avant elle...
Toutes ces dépositions s'enchaînent si bien, nous savons
donner à toutes un si grand air de vérité, que
la pauvre créature est condamnée, le septième
jour, à mort. On lui coupa le cou dans la place Saint-Ange,
et j'eus le plaisir d'assister à son supplice, à côté
de Sbrigani qui me branlait pendant ce temps-là. Être
suprême ! m'écriai-je dès que l'opération
fut faite, voilà donc comme tu venges l'innocence ; voilà
comme tu fais triompher ceux de tes enfants qui te servent le mieux,
en pratiquant sur la terre cette vertu dont tes attributs sont l'image
! Je vole le cardinal, sa nièce le fuit pour éviter
de servir au crime où il la destine : je jouis de mon forfait,
elle périt sur un échafaud... Être saint et sublime
! voilà comme tu conduis les hommes... N'est-il pas bien juste
qu'ils t'adorent !
Au travers de tous mes désordres, la charmante duchesse de
Grillo ne me sortait pas de la tête. A peine âgée
de vingt ans, Honorine de Grillo, mariée depuis dix-huit mois
à un homme de soixante ans qu'elle détestait, se trouvait
encore aussi vierge avec ce vieux faune qu'à l'époque
où sa mère la sortit du couvent des Ursulines, à
Bologne, pour la lui livrer. Ce n'était pas que le vieux duc
ne fît ses efforts pour triompher des résistances de
sa femme ; mais, abhorré par elle, il n'avait encore pu les
vaincre. Je n'avais été que deux fois chez la duchesse,
la première en visite de cérémonie pour lui présenter
mes lettres de recommandation ; la seconde pour jouir un peu plus
longtemps de l'inconcevable plaisir que sa société me
faisait éprouver. J'y fus cette troisième fois, bien
déterminée à lui déclarer ma passion,
et bien résolue à la satisfaire, quels que fussent les
obstacles que sa vertu pût m'opposer.
Ce fut au sortir d'une de ces toilettes lubriques, si propres à
séduire et à entraîner tous les curs, que
je me présentai chez elle. Le hasard favorisant mes projets,
je la trouvai seule. Les premiers compliments faits, je laissai parler
mes yeux... Par pudeur, on les évita. Je mis aussitôt
les louanges et la séduction à la place de l'amour,
et saisissant une des mains de la duchesse :
- Femme délicieuse, lui dis-je, s'il existe un Dieu dans le
ciel, et qu'il soit juste, vous devez être la femme la plus
heureuse de la terre, comme vous en êtes la plus belle.
- Votre indulgence vous fait parler ainsi, mais je me rends justice.
- Ah ! si vous vous la rendiez, madame, ce serait sur l'autel des
Dieux qu'il faudrait vous placer : celle qui mérite aussi bien
les hommages de l'univers entier ne devrait habiter qu'un temple...
Et je lui serrais les mains, je les lui baisais en disant cela...
- Pourquoi me flattez-vous ? me dit Honorine en rougissant.
- Ah ! c'est que je vous adore.
- Est-ce que des femmes peuvent s'aimer ainsi ?
- Et pourquoi pas ? Plus est grande leur sensibilité, plus
il leur est permis d'idolâtrer ce qui est beau, sous tel sexe
qu'il puisse se présenter. Les femmes sages fuient le commerce
des hommes : il est si dangereux... l'union qu'elles forment entre
elles est si douce... Ah ! ma chère Honorine, d'où vient
que je ne pourrais pas être à la fois... votre amie...
votre amant... votre époux ?...
- Folle créature ! dit la duchesse, pourriez-vous donc jamais
être tout cela ?
- Eh ! oui, oui, poursuivis-je avec chaleur, en la pressant dans mes
bras, oui, le dernier surtout, je le serai si tu veux, mon ange !...
Et ma langue enflammée se glisse dans sa bouche. Honorine reçoit
le baiser d'amour, elle le reçoit sans se fâcher, et
quand j'essaie le second, c'est l'amour lui-même qui le rend
: la plus fraîche, la plus jolie petite langue vient frétiller
sur mes lèvres brûlantes. Je devins plus hardie ; écartant
les gazes qui dérobent à mes yeux les plus beaux seins
du monde, j'accable ces tétons d'albâtre des plus délicieuses
caresses, ma langue en chatouille amoureusement le bouton de rose,
pendant que mes mains avides en éparpillent les lis. Honorine,
émue, se laisse faire, ses grands yeux bleus, remplis du plus
vif intérêt, s'allument insensiblement, les larmes de
la volupté les mouillent, et moi... semblable à une
bacchante... furieuse... ivre de lubricité... franchissant
toutes les bornes, je cherche à lui communiquer l'ardeur dont
je suis dévorée...
- Que fais-tu ! me dit Honorine, oublies-tu donc et mon sexe et le
tien ?
- Ah ! cher amour, m'écriai-je, outrageons quelquefois la nature
pour mieux savoir lui rendre hommage ! Que nous serions malheureuses,
hélas ! si nous. ne savions pas nous venger de ses torts.
Et devenant toujours plus entreprenante, j'ose lâcher les rubans
d'une jupe de linon, qui mettait en mon pouvoir presque tous les charmes
dont je recherche la possession avec tant de chaleur. Honorine égarée...
électrisée de mes brûlants soupirs, ne m'oppose
plus de résistance. Je la renverse sur le canapé où
nous sommes, j'écarte avidement ses cuisses et palpe toute
à l'aise la petite motte la plus rebondie qu'il soit possible
de voir. La duchesse était penchée dans mes bras, la
main qui l'entourait, placée sur son sein rose, en chatouillait
un pendant que ma bouche effleurait l'autre ; mes doigts s'exerçaient
déjà sur son clitoris ; j'essayais sa sensibilité...
Grand Dieu qu'elle était vive ! Honorine pensa s'évanouir
aux savantes pollutions par lesquelles je savais si bien la livrer
au plaisir. Malgré tous les combats de sa vertu mourante, quelques
soupirs m'annoncent sa défaite c'est alors que mes caresses
redoublent.
Aucun être ne sert les crises de la volupté comme moi...
Je sens le besoin que mon amante a d'être secourue : il faut
pomper sa semence pour en faciliter les jets. Peu de femmes sont pénétrées,
comme elles le devraient, du besoin qu'elles ont d'être gamahuchées
quand leur foutre va s'élancer : il n'est pourtant point alors
de service plus divin à leur rendre. Avec quelle ardeur je
remplis ce soin avec mon amie ! A genoux entre ses cuisses, je soulève
ses hanches de mes mains, j'enfonce ma langue dans son con, je le
suce, je le pompe, et, pendant ce temps, mon nez, collé sur
son clitoris, continue de la décider au plaisir. Quelles fesses
mes mains manient ! c'étaient celles de Vénus même
! Je sentais la nécessité d'allumer un embrasement général
; on ne saurait trop bien servir ces crises-là... aucune espèce
de restriction, et si la femme que l'on branle avait reçu de
la nature vingt issues qui pussent allonger ou perfectionner son extase,
il faudrait les attaquer toutes, afin de centupler son désordre13.
Je cherche donc son joli petit anus, pour joindre, en y enfonçant
un doigt, les titillations dont il est susceptible à toutes
celles que ma bouche éveille par-devant. Il est si petit, si
étroit, ce trou mignon, que j'ai peine à le rencontrer
: je le saisis enfin ; un de mes doigts y pénètre...
Délicieux épisode ! ah ! vous ne manquerez jamais votre
effet avec les femmes sensibles. A peine cette charmante fossette
est-elle effleurée qu'Honorine soupire... elle se pâme,
cette femme céleste !... elle décharge, elle est dans
la plus divine extase, et c'est à moi que son délire
est dû !
- Ah ! je t'adore, mon ange ! me dit cette douce colombe en rouvrant
les yeux à la lumière... tu m'as fait mourir de volupté
! Mais comment ferai-je pour te le rendre !...
- Ah ! tiens, le voilà, le voilà, m'écrai-je
en me déshabillant comme elle, et plaçant une de ses
mains sur mon con : Branle-moi, mon amour, je me livre à tes
coups... Juste ciel ! que n'en pouvons-nous faire davantage ?...
Mais Honorine, maladroite comme toutes les honnêtes femmes,
allumait en moi des désirs et ne savait en éteindre
aucun ; j'étais obligée de lui donner des leçons.
Imaginant enfin qu'elle en ferait plus avec sa langue qu'avec ses
doigts, je la fais placer entre mes cuisses, et elle me gamahuche
pendant que je me branle moi-même. Prodigieusement excitée
par cette femme délicieuse, je décharge trois fois de
suite dans sa bouche... Dévorée enfin du désir
de la voir entièrement nue, je la relève, je la débarrasse
de ses vêtements... Oh ! Dieu, c'est alors que je crois voir
l'astre du jour, lorsqu'il se dégage, au printemps, des brouillards
de l'hiver. Ah ! je puis dire avec vérité que jamais
plus beau cul ne s'était offert à ma vue. Quelle blancheur
!... quelle délicatesse de peau !... quelle coupe de gorge
!... quelles hanches !... quelles fesses délicieuses !... Sublime
autel de l'amour et du plaisir ! il n'est peut-être pas de jour
où mon imagination, élancée vers vous, ne vous
offre encore quelque hommage !
Je ne pus tenir à ce cul divin. Homme dans mes goûts,
comme dans mes principes, quel encens plus réel j'eusse voulu
brûler pour lui ! Je le baisais, je l'entr'ouvrais, je le sondais
avec ma langue, et pendant qu'elle frétillait à ce trou
divin, je rebranlais le clitoris de cette belle femme : elle déchargea
encore une fois de cette manière. Mais plus j'allumais son
tempérament, plus je me désolais de ne pouvoir l'enflammer
davantage.
- Oh ! ma chère bonne, lui dis-je, en éprouvant ce regret,
sois sûre que la première fois que nous nous reverrons,
je serai munie d'un instrument capable de te porter des coups plus
sensibles : je veux être ton amant, ton époux, je veux
jouir de toi comme un homme.
- Ah ! fais de moi tout ce que tu voudras, me répondit la duchesse
avec sensibilité, multiplie les preuves de ton amour, et je
doublerai toujours avec toi les gages les plus sacrés du mien.
Honorine veut aussi me voir nue, elle me regarde partout ; mais elle
est si neuve au plaisir, qu'elle ignore l'art de m'en donner... Ah
! qu'importe à mon âme de feu : elle me voyait, elle
m'examinait ; j'étais foutue des rayons de ses yeux, et mon
bonheur était parfait. Ô femmes lubriques ! si jamais
vous êtes dans ma position, vous me plaindrez, vous sentirez
le désespoir où mettent des désirs trompés,
et vous maudirez comme moi la nature de vous avoir inspiré
des sentiments que la bougresse ne saurait éteindre... De nouveaux
plaisirs recommencèrent. Ne pouvant nous donner tout le soulagement
dont nous avions besoin, nous nous procurâmes au moins tout
celui que nous pûmes, et nous ne nous séparâmes
qu'avec la promesse formelle de nous revoir bientôt.
Deux jours après cette scène, Olympe vint chez moi ;
elle savait que j'avais vu la duchesse, elle en était jalouse.
- Honorine est belle, je le sais, me dit-elle, mais tu m'accorderas
qu'elle est bête ; je la défie de pouvoir jamais te donner
autant de plaisir que moi. Les inquiétudes de son époux,
d'ailleurs, sont telles, que tu courrais les plus grands risques,
si jamais il venait à concevoir des soupçons.
- Chère amie, dis-je à la Borghèse, je te demande
encore quinze jours avant de m'expliquer plus clairement avec toi
sur le compte d'Honorine. Le seul aveu par lequel je puisse te rassurer
à présent, c'est que je m'amuse quelquefois de la vertu,
mais que le crime seul a des droits sur mon cur.
- N'en parlons donc plus, dit la princesse en m'embrassant, tu m'éclaires
à la fois et tu me tranquillises ; je t'attends à la
fin de l'illusion ; elle ne sera pas longue avec Grillo, c'est tout
ce que je puis te dire.
Et Olympe poursuivant :
- N'as-tu pas été bien étonnée, me dit-elle,
de me voir, l'autre jour, faire autant que toi la putain ?
- Non, en vérité, répondis-je, je connais ta
tête, et je me suis bien doutée qu'il n'entrait dans
cela que du libertinage.
- Tu te trompes, il y a de l'intérêt, de l'ambition.
Ces deux cardinaux disposent de tout au Vatican, et j'ai des raisons
pour les ménager ; j'en reçois beaucoup, d'ailleurs,
et j'aime autant l'argent que toi... Tiens, Juliette, sois franche,
avoue que tu as volé le cardinal ! Ne redoute en moi ni la
critique, ni la trahison ; j'aime aussi tous ces légers délits,
j'ai peut-être volé ces coquins-là plus que toi
; le vol est délicieux, mon ange, il fait bander ; je décharge,
moi, quand je fais de ces choses-là ; il est bas de voler pour
vivre, il est délicieux de le faire pour contenter sa passion.
J'en avais trop fait avec Olympe, pour appréhender quelque
chose de ses indiscrétions. On peut, je crois, sans risques,
convenir d'un petit vol avec l'individu qui, dans un bien plus grand,
nous servit de complice.
- J'aime que tu me connaisses, dis-je à Olympe, je suis flattée
de la justice que tu me rends ; oui, j'ai fait ce vol ; j'ai, de plus,
contribué à faire périr l'innocente sur laquelle
j'ai fait retomber le soupçon, et cette réunion de petite
crimes m'a fait bien voluptueusement décharger...
- Ah ! foutre, baise-moi, dit Olympe... Va, je suis digne de toi ;
il n'y a pas un an que j'ai fait à peu près la même
chose, et je connais toutes les voluptés qui résultent
de ces petites lésions à la vertu... Écoute,
nous devons bientôt souper chez le pape ; Braschi doit se livrer
avec nous à d'horribles excès ; tu verras à quel
point ce chef suprême de l'Église est débauché,
impie, meurtrier... tu verras comme il aime le sang. Près du
lieu où se célébreront ces orgies, est le cabinet
des trésors de l'État, je me charge de t'y faire entrer
; il y a des millions à prendre ; ne crains rien, nous les
emporterions sous ses yeux qu'il n'oserait rien dire... Nous aurons
son secret, il frémirait de nous le voir trahir. Ai-je ta parole
?
- Peux-tu douter de moi quand il s'agit d'un crime ?
- Mais surtout que Grillo n'en sache jamais rien.
- Augure mieux de ma sagesse, Olympe, et ne t'imagine pas qu'une fantaisie
me fasse compromettre ou négliger une passion ; je m'amuse
d'un goût, mais ne me fixe jamais qu'à l'infamie : elle
seule a des droits sur mon cur, elle seule aura toujours celui
de m'enflammer...
- C'est que le crime est si délicieux ! me dit Olympe, je ne
connais rien qui m'échauffe comme le crime : l'amour est si
bête auprès de lui. Ah ! chère amie, poursuivit
cette femme emportée, j'en suis au point de n'en plus trouver
d'assez forts pour moi ; ceux que la vengeance m'a fait commettre
ne me paraissent pas aussi bons que ceux de la lubricité dont
je te dois la connaissance ; je chéris ceux-là plus
que tout.
- Tu as raison, répondis-je, les crimes les plus délicieux
à commettre sont ceux qui n'ont aucun motif : il faut que la
victime soit parfaitement innocente ; ses fautes, en légitimant
ce que nous faisons, ne laissent plus à notre iniquité
le délicieux plaisir de s'exercer gratuitement. Il faut absolument
faire mal, il faut avoir des torts : cela se peut-il, lorsque la victime
s'en trouve elle-même couverte ? J'aime l'ingratitude, dans
ce cas, poursuivis-je : elle éveille dans l'âme de celui
qu'on outrage de petits remords que j'aime à produire ; nous
le forçons à se désoler de nous avoir fait plaisir,
et rien n'est délicieux comme cela.
- Je le conçois, répondit Olympe et, dans ce cas, j'aurais
quelque chose de bien bon à exécuter. Mon père
vit, il m'accable de biens et de caresses, il m'adore, j'ai déchargé
vingt fois à la seule idée de rompre de tels nuds
: je n'aime point la reconnaissance, son poids pèse trop fortement
sur mon cur, je ne respire que pour m'en dégager. On
assure d'ailleurs que le parricide est un bien grand crime, je brûle
de m'en souiller... Mais écoute, Juliette, vois jusqu'où
va ma perfide imagination : il faut que tu changes de rôle avec
moi ; si quelque autre te faisait un pareil aveu, tu lui aplanirais,
pour l'encourager, la carrière du crime, tu lui prouverais
qu'il n'y a pas de mal à tuer son père, et, comme tu
as beaucoup d'esprit, tes raisonnements convaincraient bientôt.
Je te conjure d'agir tout différemment ici : enfermons-nous
; tu me branleras ; pendant ce temps-là, tu me feras sentir
toute l'horreur du crime dont il s'agit ; tu m'offriras les supplices
qui attendent les parricides... tu m'effrayeras surtout. Plus tu chercheras
à me convertir, plus je m'affermirai dans l'idée du
crime que je projette, et, de ce combat, dont je sortirai victorieuse,
naîtront pour moi des mouvements de volupté si violents,
que mon délire n'aura plus de bornes.
- Pour rendre délicieuse la scène que tu médites,
répondis-je, il faut nécessairement y introduire des
tiers, et non pas que je te branle, mais que je te corrige pendant
ce temps-là... Il faudra que je te fouette...
- Oh ! tu as raison, mille fois raison, dit Olympe ; tes conceptions
sont plus délicates que les miennes ; mais quels tiers me donneras-tu
?
- Mes deux femmes ; elles te suceront, elles te branleront délicieusement
pendant mon discours, et moi, je te fustigerai.
- Nous exécuterons, ensuite ?
- En as-tu les moyens ?
- Oui.
- Quels sont-ils ?
- Trois ou quatre sortes de poisons : ces denrées-là
sont d'un usage commun dans Rome, on n'en refuse à qui que
ce soit.
- Sont-ils violents ?
- Non, d'un effet assez long, même.
- Ce n'est pas ce qui te convient ; il faut que, pour se délecter,
la victime souffre dans ces cas-là, que ses tourments soient
horribles ; on se branle pendant qu'elle pâlit : et comment
déchargerait-on, si les douleurs n'étaient exécrables
! Tiens, poursuivis-je en donnant à Olympe un des plus violents
poisons de la Durand, fais avaler ceci à l'auteur de tes jours
: ses angoisses dureront quarante heures, elles seront insoutenables,
et son corps, sous tes yeux, tombera par morceaux.
- Oh, foutre ! pressons-nous, Juliette, hâtons-nous, je décharge
; il me serait impossible de t'entendre plus longtemps sans tomber
dans le délire.
Élise et Raimonde entrèrent ; Olympe se courbe sur elles
en me tendant ses superbes fesses ; je la fouette avec art, doucement
d'abord, ensuite à tour de bras et, pendant cette cérémonie,
je lui tiens à peu près le discours suivant :
- S'il est un crime effrayant au monde, lui dis-je, c'est assurément
celui de vouloir trancher les jours de l'être qui nous fait
jouir des nôtres. Unique objet de sa tendresse et de ses sollicitudes,
que de reconnaissance ne lui devons-nous pas ? Peut-il être
un devoir plus sacré pour nous, que celui de prolonger sa vie
? Toute idée contraire à cela ne peut être qu'un
crime, dont l'être qui le conçoit doit être à
l'instant puni du dernier supplice, et il n'en saurait exister d'assez
grand pour une pareille horreur. Nos aïeux furent des siècles,
avant même que de la pouvoir comprendre, et ce ne fut que dans
des temps modernes qu'ils promulguèrent des lois pour réprimer
le scélérat qui assassine son père. Le monstre
qui peut oublier à ce point tous les sentiments de la nature
mérite qu'on invente des tourments pour lui, et tout ce qu'il
est possible d'imaginer de plus cruel me semble encore trop doux pour
cette atrocité. Saurait-on trop effrayer celui qui porte la
barbarie, l'ingratitude, l'abandon de tout devoir et de tout principe,
au point d'attenter aux jours de l'être qui nous donna la vie
? Furies du Tartare, sortez à l'instant de votre repaire, venez
vous-mêmes apprêter des tortures dignes d'une aussi révoltante
exécration, et quelque affreuses que soient celles que vous
inventerez, elles seront toujours au-dessous de l'offense.
Et je fouettais pendant ce temps-là, et j'étrillais
ma putain qui, ivre de luxure, de crime et de voluptés, déchargeait
et redéchargeait cent fois sous les mains savantes qui la polluaient.
- Tu ne me parles pas de religion, me dit-elle ; je voudrais que tu
m'offrisses mon crime du côté de l'outrage qu'il fait,
dit-on, à la divinité... Je voudrais que tu me parlasses
de Dieu, que tu me disses à quel point je l'offense... que
tu développasses à mes yeux les bûchers que les
témoins me prépareront, quand les hommes auront massacré
mon corps...
- Eh ! m'écriai-je alors, doutez-vous de l'énormité
de l'insulte que vous allez faire à l'Être suprême,
en consommant cette abomination ! Ce Dieu puissant, image de toutes
les vertus, ce Dieu qui lui-même est notre père en ce
monde, ne doit-il pas être révolté d'une offense
qui le compromet aussi grièvement lui-même ? Ah ! soyez
bien certaine que les plus grands supplices de l'enfer sont réservée
au crime affreux que vous projetez, et qu'indépendamment des
remords qui vous dévoreront en ce monde, vous éprouverez
encore, dans ce lieu d'horreur, tous les maux matériels dont
la juste colère de Dieu vous déchirera...
- Ce n'est pas tout, me dit cette libertine ; entretiens-moi maintenant,
et des douleurs physiques du tourment qui m'attend, et de la honte
qui doit à jamais en rejaillir et sur ma famille et sur moi.
- Malheureuse ! m'écriai-je alors, n'est-ce donc rien à
tes yeux que la honte éternelle dont ce crime exécrable
va couvrir à jamais ta race ? Vois ta postérité
malheureuse n'oser lever un front souillé par tant de forfaits.
Du fond des tombeaux, où vont te précipiter tes crimes,
les entends-tu te reprocher la tache affreuse dont tu les couvres
? vois-tu ce nom si beau, flétri par tes horreurs ? Et l'affreux
tourment qui t'est réservé, ton imagination le conçoit-elle,
dis ? Sens-tu le fer vengeur s'appesantir sur toi ? détacher
par des douleurs aiguës cette belle tête, du corps impur
dont les voluptés odieuses peuvent l'allumer, au point de lui
faire commettre un tel crime ? Elles seront horribles, ces douleurs
; elles se ressentent encore longtemps, même après que
la tête est détachée du tronc. Mais cela ne fût-il
pas, songe que la nature, si grièvement outragée par
toi, doit un miracle qui prolonge tes maux, même au delà
de l'éternité.
Ici, la Borghèse tomba dans une crise de plaisir si violente,
qu'elle s'évanouit... Elle me rappela la Donis de Florence,
complotant contre les jours de sa fille et de sa mère.
- Oh ! quelles têtes que les Italiennes, m'écriai-je,
il fallait que je vinsse en ce pays pour voir des monstres qui m'égalassent
!
- Oh ! sacredieu ! que j'ai eu du plaisir, dit Olympe en revenant
à elle, et frottant avec de l'esprit-de-vin les blessures que
mes verges avaient imprimées sur ses fesses. Maintenant que
me voilà calme, dissertons un moment sur les faits. Crois-tu
qu'il y ait réellement un crime à tuer son père
?
- Assurément, je suis loin de le penser, répondis-je.
Et citant à ce sujet tout ce que Noirceuil m'avait dit autrefois,
lorsque Saint-Fond voulait se défaire du sien, je rassurai
si complètement cette femme charmante sur toutes les craintes
qui auraient pu lui rester, que tout fut résolu pour le lendemain.
J'arrangeai moi-même avec elle les doses que devait avaler son
père, et avec cent fois plus de courage que n'en montra jamais
la Brinvilliers, Olympe Borghèse trancha les jours de l'auteur
de sa vie, et l'observa délicieusement dans les supplices épouvantables
que lui causait la fatale drogue dont je l'avais engagée de
se servir.
Le coup fait, elle vint.
- T'es-tu branlée, lui dis-je ?...
- En doutes-tu, me dit la scélérate : je me suis épuisée
près de son lit... Jamais les Parques ne furent arrosées
de tant de foutre et j'en répands encore en me rappelant et
ses discours et ses contorsions. Oh ! Juliette, prolonge mon plaisir
! je viens en chercher de nouveaux dans tes bras. Fais-moi décharger,
Juliette : c'est avec du foutre qu'il faut éteindre les remords
du crime...
- Des remords ! il serait possible que tu en conçusses ?
- Jamais, jamais... N'importe, branle-moi ; il faut que je m'étourdisse
; il faut que je décharge...
Je ne l'avais point encore vue si vive. Ah ! mes amis, comme le crime
embellit une femme ! Olympe n'était que jolie ; elle n'eut
pas plus tôt commis cette action, que je la trouvai belle comme
un ange. Ce fut alors que j'éprouvai combien est vif le plaisir
qu'on reçoit d'un être au-dessus de tous les préjugés
et souillé de tous les crimes. Quand Grillo me branlait, je
n'éprouvais qu'une sensation ordinaire ; étais-je dans
les mains d'Olympe, la tête me tournait, je n'étais plus
à moi.
Ce même jour-là, celui où la coquine venait d'irriter
ses sens par le plus grand des crimes, elle me proposa de la suivre
dans une maison près du Cours, où son intention, m'apprit-elle,
était de me faire faire une partie fort extraordinaire. Nous
arrivons ; une femme âgée nous reçoit.
- Aurez-vous bien du monde, ce soir ? lui dit Olympe.
- Beaucoup, princesse, répond la maman ; vous savez que je
n'en manque jamais le dimanche.
- Établissons-nous donc, dit Olympe.
On nous met dans une assez jolie chambre, garnie de canapés
fort bas, et placés de manière que nous avions la vue
sur une pièce voisine, dans laquelle étaient trois ou
quatre putains.
- Qu'est-ce ceci ? dis-je à la Borghèse, et quel singulier
plaisir me prépares-tu ?
- Examine avec attention, me dit Olympe, ce qui va se faire près
de nous. Dans l'espace de sept ou huit heures que nous allons demeurer
ici, des cohortes de moines, de prêtres, d'abbés, de
jeunes gens vont passer par les mains de ces filles. Le nombre des
pratiques sera d'autant plus grand, que c'est moi qui paie les frais,
et que tous ceux qui seront reçus là s'y amusent pour
rien. Aussitôt que ces putains tiendront un vit, elles nous
le feront voir ; s'il ne nous convient point, notre silence les en
convaincra ; s'il nous plaît, cette sonnette le leur apprendra
: le possesseur du membre désiré passera tout de suite
ici, et nous régalera de son mieux.
- Voilà qui est délicieux, répondis-je, cette
invention est des plus nouvelles pour moi, et je te réponds
que je vais en jouir. Indépendamment du plaisir que tu me promets
avec les gens qui me plairont, il nous restera encore la volupté
très piquante de voir comment ceux que nous ne choisirons pas
s'amuseront avec ces coquines.
- Assurément, répondit Borghèse, et c'est en
déchargeant nous-mêmes que nous les verrons foutre.
Olympe finissait à peine de parler, qu'un grand séminariste
parut. C'était un beau jeune homme de vingt ans, de la plus
belle figure ; il dépose dans la main des filles un membre
gros de sept pouces sur douze de long. Un si magnifique bijou ne tarda
pas à nous être offert, et, comme vous l'imaginez aisément,
nous nous gardons bien de le refuser.
- Va dans la chambre, dit la putain dès qu'elle a entendu la
sonnette, tu trouveras mieux là ton affaire qu'ici.
Le grand benêt arrive tout bandant. Olympe l'empoigne et me
le braque dans le con.
- Fouts, fous, me dit-elle, je ne resterai pas longtemps vacante.
Je me livre. A peine mon drôle a-t-il déchargé,
qu'un de ses confrères, sonné par Olympe, vient la remplir
comme je viens de l'être.
Aux séminaristes succèdent deux sbires14, aux sbires
deux augustins, à ceux-ci deux récollets, que deux capucins
remplacèrent ; des cochers, des portefaix, des laquais vinrent
en foule. Il en parut tant enfin, et de si monstrueux, que je fus
obligée de demander grâce. J'en étais, je crois,
au cent quatre-vingt-dixième, quand je priai ma compagne de
faire cesser ce déluge de foutre, dont elle me faisait inonder
presque autant d'un côté que de l'autre : car, vous me
rendez, j'espère, assez de justice, pour croire qu'en fêtant
aussi bien mon con, je n'avais pas négligé mon cul.
- Oh ! sacredieu, dis-je à Borghèse, en me soulevant
à peine, joues-tu souvent à ce jeu-là ?
- Sept ou huit fois par mois, me répondit Olympe ; j'y suis
faite, cela ne me lasse point.
- Je te félicite, pour moi, je suis brisée ; je décharge
trop et trop vite, cela me tue.
- Allons nous baigner et souper ensemble, dit Olympe, demain il n'y
paraîtra plus.
La princesse me mena chez elle, et, après deux heures de bain,
nous nous mîmes à table, hors d'état d'entreprendre
autre chose qu'une douce et lubrique conversation.
- Te l'es-tu fait mettre dans le cul ? me dit Olympe.
- Assurément, répondis-je, comment diable aurais-tu
voulu que je soutinsse une si grande quantité d'assauts dirigée
dans le même lieu ?
- Pour moi, me répondit Borghèse, je n'ai foutu qu'en
con. Je ne croyais pas que tu cessasses si tôt ; quand je vais
dans cette maison, c'est toujours pour vingt-quatre heures, et je
n'offre mon derrière aux fouteurs que quand ils ont déchiré
mon devant. Oui, déchiré... je veux qu'on me mette en
sang.
- Tu es délicieuse, mon ange, je n'ai jamais vu de femme plus
libertine que toi. Personne ne connaît comme nous cette chaîne
d'égarements secrets qui conduit si bien à tout le reste
! Je suis esclave de ces épisodes voluptueux ; je trouve qu'il
en résulte chaque jour des habitudes charmantes qui deviennent
comme autant de petits cultes, de petits hommages qu'on offre à
son physique, et qui échauffent considérablement l'esprit.
Ces divins écarts, à la tête desquels il ne faut
pas manquer de placer toutes les débauches de table, d'autant
plus nécessaires qu'elles enflamment le fluide nerveux, et
déterminent par conséquent la volupté, ces légers
écarts, dis-je, abrutissent insensiblement et rendent les excès
indispensables ; or, c'est dans les excès qu'existent les plaisirs.
Que pouvons-nous donc faire de mieux que de nous maintenir toujours
dans l'état qui les exige ? Mais il y a, continuai-je, tout
plein de ces petites habitudes, aussi vilaines que secrètes,
aussi horribles que sales, aussi crapuleuses que brutales, que tu
ignores peut-être, ma chère, et que je veux t'apprendre
à l'oreille : elles te prouveront que le célèbre
La Mettrie avait raison15, quand il disait qu'il fallait se vautrer
dans l'ordure comme les porcs, et qu'on devait trouver, comme eux,
du plaisir dans les derniers degrés de la corruption. J'ai
fait, sur tout cela, des épreuves très singulières
et que je te communiquerai. Crois-tu, par exemple, qu'en abrutissant
deux ou trois sens par des excès, combien ce qu'on retire des
autres est inouï ? Je te démontrerai, quand tu le voudras,
cette inconcevable vérité. Sois sûre, en attendant,
qu'en général c'est dans l'insensibilité, dans
la dépravation, que la nature commence à nous donner
la clef de ses secrets, et que nous ne la devinons qu'en l'outrageant.
- Il y a bien longtemps que je suis persuadée de ces maximes,
me répondit Olympe, mais je suis assez malheureuse pour ne
plus savoir quels outrages faire à cette coquine-là.
Je dirige cette cour à ma volonté. Pie VI m'a aimée,
il me voit très souvent encore ; j'ai acquis par sa protection,
et par le crédit qu'elle me procure, l'impunité la plus
entière, et j'en ai trop joui, je suis blasée sur tout,
ma chère. Je comptais étonnamment sur le parricide que
je viens de commettre ; le projet avait embrasé mes sens mille
fois plus que l'exécution ne les a satisfaits : tout est au-dessous
de mes désirs. Mais j'ai trop raisonné mes fantaisies
; il eût cent fois mieux valu pour moi que je ne les analysasse
jamais ; en leur laissant l'enveloppe du crime, elles m'eussent au
moins chatouillée, mais la simplicité que ma philosophie
leur donne fait qu'elles ne m'atteignent même plus.
- C'est sur l'infortune, dis-je, qu'il faut, le plus qu'il est possible,
faire tomber le poids de ses méchancetés ; les larmes
qu'on arrache à l'indigence ont une âcreté qui
réveille bien puissamment le fluide nerveux, et...
- Écoute, me dit Borghèse avec vivacité, j'ai
sur cela un projet unique ; je veux brûler à la fois
dans Rome, le même jour, à la même heure, tous
les hôpitaux, tous les hospices, toutes les maisons de charité,
toutes les écoles gratuites... Et ce qu'il y a d'excellent
dans ce projet, c'est qu'en flattant ainsi ma lubrique méchanceté,
je sers aussi mon avarice. Un homme dont je suis sûre m'offre
à l'instant cent mille écus si j'accomplis ce projet,
parce qu'il présente aussitôt le sien, dont l'exécution
le couvre d'or et de gloire.
- Et tu balances ? dis-je à Olympe.
- Un reste de préjugé... Sais-tu que cette horreur coûtera
la vie à trois cent mille êtres ?
- Eh ! qu'importe ! tu déchargeras... tu sortiras tes sens
de la langueur où ils croupissent ; les instants délicieux
que tu vas goûter sont à toi, le reste ne t'appartient
nullement : t'est-il philosophiquement permis de balancer ? Que tu
es malheureuse, si tu en es encore là ! Quand te convaincras-tu
donc que tout ce qui végète ici-bas n'est que pour nos
plaisirs, qu'il n'est pas un seul individu qui ne nous soit offert
par la nature, et que ce n'est enfin que par la multitude de nos vols
que nous parvenons à la mieux servir ? Ne faiblis plus, mon
amour, et puisque tu es en train de t'ouvrir à moi, dis, je
t'en conjure, s'il ne t'est pas arrivé de commettre quelque
autre crime que ceux dont tu m'as déjà fait l'aveu :
pour te mieux conseiller, j'ai besoin de te connaître à
fond ; avoue-moi tout sans aucune crainte...
- Eh bien ! me dit Borghèse, je suis coupable d'un infanticide
affreux ; il faut que je te le raconte. J'accouchai à douze
ans d'une fille plus belle que tout ce qu'il est possible d'imaginer.
A peine eut-elle sa dixième année, que j'en devins folle.
Mon autorité sur elle, sa candeur, son innocence, tout me fournit
bientôt les moyens de me satisfaire. Nous nous branlâmes
; deux ans suffirent pour m'en dégoûter. Mes penchants
et la satiété dictèrent bientôt son arrêt
: je ne bandai plus qu'au charme de l'immoler bientôt. Mon mari
venait d'être ma victime ; plus de parents ; personne au monde
qui pût me demander compte de ma fille. Je fais courir dans
Rome le bruit de sa mort, et l'enferme avec soin dans la tour d'un
château que je possède sur les bords de la mer, et qui
ressemble plutôt à une forteresse qu'à l'habitation
des gens honnêtes : je l'abandonnai six mois dans cette réclusion,
sans la voir. Le rapt de la liberté m'amusa, j'aime à
tenir dans la captivité ; je sais qu'alors mes victimes souffrent
: cette perfide idée m'enflamma, je serais très heureuse
de pouvoir tenir beaucoup d'individus dans ce cruel état16.
J'arrive à la prison de ma fille... je te laisse à penser
avec quels projets ! Je m'étais fait accompagner de deux de
mes femmes, et d'une jeune fille, amie de la mienne. Après
un souper délicieux, les plus savantes pollutions achevèrent
d'embraser mes sens, et furent les préliminaires de mon crime.
Je pénètre enfin seule dans la tour, et passe d'abord
deux heures dans ce déraisonnement, dans cette espèce
de délire, dans ce décousu, divin langage de l'ivresse
où nous plonge la lubricité, et qu'on hasarde si délicieusement
avec un objet qui ne doit plus revoir la lumière. Je te rendrais
mal, mon amour, ce que je dis, ce que je fis... J'étais hors
de moi : c'était la première victime que je sacrifiais
ainsi ouvertement. Je n'avais jusqu'alors employé que la ruse,
j'avais peu joui des effets : ici, c'était un assassinat de
guet-apens... un meurtre prémédité, une horreur,
un infanticide exécrable, une jouissance bien dans notre goût,
à laquelle je n'alliais pourtant pas encore la luxure, ainsi
que tu m'as conseillé de le faire. Il y avait ici plus de dégoût
que de recherches, plus de rage que de volupté. Incroyablement
embrasée, j'allais peut-être me jeter comme un tigre
sur cette victime de ma frénésie, lorsqu'une affreuse
idée m'arrêta... Cette compagne de ma fille... cette
créature qu'elle adorait et dont je m'étais servie comme
d'elle, je conçus le projet de la faire périr avant
elle. Je jouirai d'abord par ce moyen, me disais-je, des effets produits
par le spectacle de son amie sacrifiée... Je vole arranger
tout.
- Suivez, dis-je en revenant chercher ma fille, je vais vous faire
voir votre amie.
- Oh ! maman, où me menez-vous ? Je ne connais point ces détours...
Que peut faire Marcelle en ces lieux ?
- Vous l'allez voir, Agnès...
Une porte s'ouvre. Tout est tendu de noir dans le nouveau cachot où
je mène ma fille... La tête de Marcelle, séparée
du tronc, pendait au plancher ; son corps nu et debout, négligemment
placé sur une banquette, était arrangé sous la
tête, de manière à ce qu'il n'y avait pas six
pouces de séparation ; un de ses bras coupé lui servait
de ceinture, et elle avait trois poignards dans le cur. Le trouble
d'Agnès fut extrême, mais elle ne faiblit point ; un
désordre incroyable altérait sa figure et je ne la voyais
point changer de couleur. Elle considère un instant cet affreux
spectacle, puis, tournant ses beaux yeux vers moi :
- Oh ! madame, me dit-elle, est-ce vous qui avez fait cela ?
- Moi-même.
- Quels étaient donc les torts de cette malheureuse ?
- Je ne lui en connais point. Faut-il donc des prétextes pour
commettre un crime ? m'en faudra-t-il pour vous immoler vous-même
tout à l'heure.
Agnès s'évanouit à ces mots, et je restai entre
mes deux victimes, l'une déjà sous la faux de la mort,
l'autre prête à en ressentir les coups.
Ô mon amie, poursuivit la princesse, fortement échauffée
de son récit, comme ces voluptés sont fortes ! A peine
l'organisation peut-elle suffire à leurs violentes secousses.
A quel point leurs détails sont entraînants ! Leur ivresse
est au-dessus de tous les pinceaux, il faut l'avoir éprouvée
pour la comprendre. Faire là, toute seule avec deux victimes,
tout ce qui peut vous passer par la tête ; agir, déraisonner
à l'aise, sans que personne vous trouble ou vous entende ;
être sûre que deux pieds de terre vont couvrir à
l'instant tous les désordres de votre imagination ; se dire
: voilà un objet que la nature me livre pour en faire absolument
tout ce que je voudrai ; je puis le briser, le brûler, le tourmenter,
le rompre à ma guise, il est à moi, rien ne peut le
soustraire à son sort... ah ! quelles délices ! quels
voluptueux égarements !... et que n'entreprend-on point dans
ce cas !
Ces réflexions faites, je me précipite sur Agnès.
Elle était nue... évanouie... sans aucune défense...
J'étais troublée au point que mon existence entière
n'avait plus d'action que dans le sentiment de ma fureur. Ô
Juliette ! je me satisfis, et après trois heures des supplices
les plus variés, les plus monstrueux, je rendis aux éléments
cette masse qui n'avait reçu de moi la vie que pour être
le funeste jouet de ma rage et de ma méchanceté.
- Voilà, dis-je, une délicieuse action, et qui a dû
te coûter bien du foutre ?
- Non, me répondit Olympe. Je te l'ai dit, je n'avais point
encore, à ton exemple, lié la volupté au crime
; un voile épais existait encore sur mes yeux ; ta main seule
a pu le briser... J'agissais machinalement : oh ! combien je mettrais
à présent plus d'esprit à pareille scène
!... Mais je ne puis le recommencer, ce crime délicieux...
je n'ai plus de fille...
La scélératesse de ce regret, les débauches dont
nous sortions, les propos que nous venions de tenir, les excès
de table où nous nous étions livrées, tout nous
jeta machinalement dans les bras l'une de l'autre. Mais trop émues...
trop libertines pour nous suffire, Olympe fit venir ses femmes. De
nouvelles heures se passèrent encore dans le sein des plaisirs.
Une jeune victime de quinze ans, belle comme le jour, s'immola sur
les autels de ce dieu. Je priai Borghèse de la traiter sous
mes regards, comme elle avait fait de sa fille ; il en résulta
des horreurs et nous ne nous séparâmes que pour en projeter
de nouvelles.
Mais, quoi qu'il en pût être, le libertinage effréné
de Mme de Borghèse ne me faisait point oublier les plaisirs
purs que je me promettais encore avec Honorine. Je retournai la voir
quelques jours après ma première aventure avec elle.
La duchesse me reçut, ce jour-là, plus chaudement que
jamais. Nous nous embrassâmes délicieusement, et la conversation
tomba bientôt sur les derniers plaisirs que nous avions goûtés.
Il est rare que deux femmes tiennent ensemble de pareils discours,
sans mettre aussitôt en action ce qui les fait naître.
Il faisait une chaleur horrible ; nous étions seules, nonchalamment
couchées dans un boudoir divin : n'eussions-nous pas été
coupables de retarder plus longtemps le sacrifice au dieu qui nous
préparait ses autels ? J'eus bientôt triomphé
du petit moment de pudeur qui semblait retenir encore Honorine, et
la volupté l'enchaînant, m'offrit bientôt tous
ses charmes. Qu'elle était belle !... Mille fois plus fraîche
qu'Olympe, plus jeune, embellie des grâces de la pudeur, pourquoi
se faisait-il, néanmoins, qu'elle ne me plaisait pas autant
?... Charmes indicibles de la lubricité, attraits divins de
la débauche, avez-vous donc reçu de la nature le don
particulier de plaire abstractivement ?... Incroyable ascendant du
crime, combien cette réflexion prouve votre empire... à
quel point elle établit vos droits !
J'avais apporté, cette fois-ci, de quoi singer le sexe, des
qualités duquel nous étions privées l'une et
l'autre. Nous nous affublâmes de nos godemichés, et devenant
tour à tour amante et maîtresse, devenant épouse,
mari, tribade et bardache, il n'y eut sorte de plaisirs que nous n'essayâmes.
Mais Honorine toujours novice, n'inventant rien, ne faisait que se
prêter, que mettre la pudeur et la timidité à
la place de la débauche et de la luxure ; elle ne me donnait
pas le quart des plaisirs que j'éprouvais avec la Borghèse.
Si elle eût été tout à fait neuve, l'idée
de la corrompre eût remplacé, sur mon imagination, tous
les plaisirs piquants que je recevais du libertinage ; mais Honorine,
quoique prude et presque novice encore, avait pourtant eu des aventures,
et ce fut dans un de ces moments d'ivresse mutuelle où les
confiances qu'on se fait ajoutent si bien aux plaisirs qu'on se donne,
que la charmante duchesse me raconta l'anecdote suivante.
- La première année de mon mariage, me dit-elle (j'avais
alors seize ans), j'étais extrêmement liée avec
la marquise Salviati, ayant le double de mon âge, et qui avait
eu toute sa vie l'art de déguiser les désordres les
plus affreux sous les apparences de la plus profonde vertu. Libertine,
impie, bizarre dans ses goûts, et jolie comme un ange, Salviati
aimait tout ce qu'on peut aimer ; mais une de ses manies favorites
était de s'emparer des jeunes mariées, pour les entraîner
avec elle dans les écarts où elle se plongeait mystérieusement.
La coquine ne me manqua pas. Son air prude, son hypocrisie, ses liaisons,
quelques appartenances à ma mère, tout lui fournit bientôt
les moyens de se rapprocher de moi, et notre liaison devint si étroite
que nous nous branlâmes dès le huitième jour.
La scène se passait en villégiature17, chez le cardinal
Orsini, où nous nous trouvions l'une et l'autre dans les environs
de Tivoli. Nos époux y étaient. Le mien ne m'embarrassait
guère : vieux et froid, à ce que je croyais alors, Grillo
semblant ne m'avoir épousée que pour mon bien, ne gênait
nullement mes plaisirs. Celui de la marquise, quoique très
libertin, ne lui laissait pas une oisiveté si complète
; il en exigeait des choses aussi fatigantes que singulières
: obligée de coucher toutes les nuits dans sa chambre, nos
petites voluptés secrètes se trouvaient extrêmement
gênées. Pour nous en dédommager, nous nous égarions
le jour dans les bosquets solitaires de la belle campagne d'Orsini,
et, pendant ces promenades délicieuses, la marquise travaillait
à la fois mon esprit et mon âme, en entremêlant
ses leçons des plus doux plaisirs de la débauche féminine.
- Ce n'est pas un amant qu'il faut pour passer agréablement
la vie, me disait-elle : il devient dans nos bras indiscret ou perfide.
L'habitude d'être aimées nous en fait bientôt prendre
un autre, et pour une douzaine de mauvaises nuits, nous nous trouvons
décriées pour toute la vie. Ce n'est pas, continuait
la marquise, que la réputation soit quelque chose de bien précieux,
mais quand on peut la conserver en ayant le double de plaisir, tu
m'avoueras que les moyens qui conduisent à ce résultat
doivent être les meilleurs de tous.
- Assurément.
- Eh bien ! mon ange, voilà ceux que je te ferai prendre ;
dans trois jours, nous retournerons à la ville, je t'expliquerai
là les moyens d'être libertine sous le voile.
- Voici le fait, me dit Salviati, le second jour de notre retour dans
Rome. Nous sommes quatre : si tu veux, tu feras la cinquième.
Nous avons à nos ordres une vieille femme singulièrement
entendue, qui nous reçoit dans une maison aussi solitaire que
commode. On la prévient, et, sur notre billet, elle fait trouver
chez elle tout ce que peut désirer notre luxure, soit en femmes,
soit en hommes, et nous en jouissons au gré de nos désirs
sous les ombres épaisses du plus profond mystère. Que
penses-tu de cet arrangement ?...
- Faut-il te l'avouer, Juliette ? poursuivit Mme de Grillo, jeune
et négligée de mon mari, les offres de cette séductrice
m'entraînèrent. Je l'assurai de la suivre, la première
fois qu'elle irait dans cette maison, mais sous la promesse formelle
qu'elle ne m'obligerait pas à voir des hommes... Mon mari ne
me voit presque point, tu le sais, lui dis-je, et c'est une raison
de plus pour qu'il dût s'apercevoir plus vite des brèches
que je ferais à son honneur. La marquise promet tout ce que
je veux ; nous partons. En me voyant conduire au delà du Tibre,
et dans les quartiers de Rome les plus reculés, un instant
j'eus quelques frayeurs ; je les cachai ; nous arrivâmes. La
maison me parut vaste et de bonne apparence, mais sombre, isolée,
silencieuse, et telle que semblaient l'exiger les mystères
que nous allions célébrer.
Jusqu'alors, quoique nous eussions traversé plusieurs pièces,
nul objet ne s'était offert à nos yeux, lorsqu'enfin
une vieille femme se présente à nous dans une assez
grande antichambre. Ce fut alors que le changement de ton de la marquise
me surprit : cette décence, cette hypocrisie, cet air de douceur
et de vertu, se changèrent bientôt en des propos dont
eût rougi la dernière des prostituées.
- Nos garces sont-elles ici ? demanda-t-elle.
- Oui, madame, répondit la vieille ; j'ai quatre créatures
charmantes dans cette salle, qui attendent la jeune personne que vous
amenez, d'après ce que vous m'avez fait dire de ne lui préparer
que des femmes.
- Et qu'as-tu ménagé pour moi ?
- Deux jeunes suisses de la garde, beaux comme l'Hercule Farnèse,
et qui vous en donneront d'ici à demain, si vous le voulez.
- Cette putain, dit la marquise en parlant de moi, ferait bien mieux
de venir partager ces plaisirs, que d'aller, comme elle veut le faire,
se nourrir de viande creuse ; au surplus elle est la maîtresse,
chacun fait ce qu'il veut ici... Et nos surs sont-elles arrivées
? poursuivit Salviati.
- Vous n'avez encore qu'une de vos amies, madame, répondit
la vieille... Elmire.
Je vis alors que ces dames se donnaient ainsi des noms pour épaissir
les voiles du mystère, et, d'après cette coutume dont
on me fit part, j'adoptai sur-le-champ celui de Rose.
- Et que fait Elmire ? dit Salviati.
- Elle est avec les quatre filles que je destine à madame,
dit la vieille.
Alors je regardai la marquise en rougissant.
- Folle, me dit-elle, nous ne nous gênons pas ici, et nous agissons
toujours l'une devant l'autre, dans les passions égales : celles
qui s'amusent avec les femmes se mettent ensemble, celles qui jouissent
avec des hommes se réunissent de même.
- Mais je ne connais point cette femme ! dis-je toute honteuse.
- Eh bien, vous ferez connaissance en vous branlant, c'est la meilleure
de toutes les façons. Allons, décide-toi avant que d'entrer
là, continua cette libertine en montrant un salon à
gauche, tu vois que ce sont des hommes ; ici (montrant à droite),
il y a des femmes ; choisis promptement, je vais te présenter.
J'étais dans un état violent ; je brûlais de voir
des hommes. Mais comment oser courir tous les risques qui pouvaient
résulter de cette incartade ? D'un autre côté,
je redoutais cette nouvelle connaissance... Quelle pouvait être
cette femme ?... serait-elle discrète ?... sa présence
ne me gênerait-elle pas étonnamment ?... Mon embarras
se trouva tel que je restai trois ou quatre minutes pétrifiée.
- Décide-toi donc, petite bougresse, me dit Salviati en me
poussant ; sais-tu que les moments sont chers ici, et que je n'aime
pas à les perdre ?
- Eh bien, dis-je, je vais entrer avec les femmes.
Aussitôt la vieille gratte à la porte.
- Un moment, lui dit-on.
Quelques minutes après, une jeune fille me vint ouvrir ; nous
pénétrâmes. La compagne de la marquise était
une femme de quarante-cinq ans qui paraissait encore belle, et que
je ne me rappelle point avoir vue dans le monde. Mais quelle désordre,
grand Dieu !... Ah ! si l'on avait voulu peindre la débauche
et l'impureté, il n'eût pas fallu d'autres traits que
ceux dont était souillé le front de cette créature
effrénée. Elle était nue sur une ottomane, les
cuisses écartées ; deux jeunes filles à ses pieds,
couchées sur des carreaux, étaient dans la même
indécence. Son teint était allumé, ses yeux égarés,
ses cheveux flottaient sur son sein dégradé, sa bouche
écumait. Deux ou trois mots qu'elle balbutia, en nous voyant
entrer, me firent voir qu'elle était ivre ; les débris
que j'aperçus près d'elle achevèrent de m'en
convaincre.
- Foutre ! dit-elle à la marquise, je déchargeais quand
vous avez frappé, voilà pourquoi je vous ai fait attendre
; quelle est cette petite putain ?
- Une de nos surs, répondit Salviati ; elle est tribade
à ton exemple, et vient se faire branler comme toi.
- Libre à elle, répond la vieille Sapho sans bouger
; voilà des doigts, des godemichés et des cons : qu'elle
s'en donne... Mais que je la baise avant, elle est, pardieu, jolie.
Et me voilà dans l'instant baisée, léchée,
troussée, avant même que de m'en apercevoir.
- Je te laisse, dit la marquise à son amie ; on m'attend là-haut
; je te recommande la novice, forme-la, je t'en prie.
Et aussitôt les portes se ferment, les quatre filles me sautent
sur le corps, et dans un clin d'il me mettent aussi nue qu'elles.
Je ne te rendrai point ce qui se passa, ma pudeur souffrirait trop
de ces détails ; tu sauras seulement que le libertinage et
la débauche furent portés à leur comble. La vieille
dame s'amusa de moi, elle s'amusa devant moi ; je fis, à mon
tour, et d'elle et des quatre filles, tout ce qui me passa par la
tête ; la duègne se plaisait à m'étonner,
à me surprendre, à me scandaliser par les épisodes
les plus inconcevables et les plus lubriques. On eût dit que
ses plus grands charmes eussent consisté à m'offrir
la luxure dans ses tableaux les plus sales et les plus bizarres, afin
de mieux gâter mon esprit et de mieux corrompre mon cur.
Enfin le jour parut, la marquise vint me reprendre, et nous regagnâmes
promptement nos palais toutes les deux, dans la plus grande appréhension
que nos maris, qui nous croyaient au bal, ne vinssent à s'apercevoir
de la tromperie : ils ne s'en doutèrent pas. Encouragée
par ces premiers succès, je me laisse conduire encore dans
cette affreuse maison ; séduite par la pernicieuse marquise,
je ne tardai pas de me livrer aux hommes, et mon désordre fut
au comble. Des remords s'emparèrent enfin de mon âme
; la vertu me rappela dans son sein ; je fis le serment d'être
sage, et je le serais encore sans toi, dont les grâces et les
attraits touchante feront toujours rompre, aux pieds du autels de
l'Amour, les indiscrets serments qu'aurait arrachés la sagesse...
- Charmante femme, dis-je à la duchesse, les serments de vertu,
prononcée par toi, sont des extravagances dont la nature te
punit ; ce n'est pas pour être sages qu'elle nous a créées,
c'est pour foutre ; nous l'outrageons en résistant à
ses vues sur nous. Si cette délicieuse maison existe encore,
je t'exhorte à y retourner ; je ne suis jamais jalouse des
plaisirs que mes amis prennent : je ne leur demande que la permission
de les partager, ou de les voir.
- Cette maison n'existe plus, me dit Honorine, mais il serait d'autres
moyens de se donner du plaisir.
- Et pourquoi donc n'en pas profiter ?
- Je suis plus gênée que jamais : mon mari se rapproche
de moi, il devient jaloux ; je crains même qu'il ne soupçonne
notre liaison.
- Il faut se débarrasser d'un tel homme.
- Oh, ciel ! tu me fais frémir.
- Il n'est pourtant rien de plus simple. La première des lois
de la nature est de nous défaire de ce qui nous déplaît
; l'uxoricide est un crime imaginaire dont je me suis rendue coupable
sans le plus petit remords. Nous ne devons jamais considérer
que nous dans le monde. Absolument isolées de toutes les créatures,
comme nous ne devons approcher que ce qui nous plaît, nous devons,
avec le même soin, éloigner tout ce qui nous gêne.
Et qu'y a-t-il donc de commun entre l'existence de celui qui me gêne
et moi ? Comment ! je serais assez ennemie de mon bien-être,
pour prolonger les jours de celui qui fait mon supplice ? je repousserais
assez violemment la voix de la nature, pour ne pas trancher la vie
de celui qui, décidément, trouble toute la félicité
de la mienne ? Les meurtres moraux et politiques se permettront, et
l'on sévira injustement contre les meurtres personnels ! Quelle
extravagance ! Il faut se mettre, Honorine, au-dessus de ces préjugés
barbares. Celui qui veut être heureux dans le monde doit repousser,
sans aucun scrupule, absolument tout ce qui l'offusque... doit embrasser
tout ce qui sert ou flatte ses passions... Manques-tu de moyens ?
je t'en offre.
- Oh, Dieu ! tu me fais horreur, reprit la duchesse. Je n'aime point
M. de Grillo, mais je le respecte ; il protège ma jeunesse
; sa jalousie me retient, elle m'empêche de tomber dans des
pièges où le libertinage m'entraînerait infailliblement
- Que de faiblesses, et que de sophismes ! dis-je vivement à
cette prude. C'est-à-dire que, parce qu'un être s'oppose
aux fleurs que t'offre la nature dans la carrière de la vie,
il faut, loin de le repousser, augmenter l'épaisseur des chaînes
dont il te surcharge ? Ah ! brise-les sans crainte, ces liens affreux
! Ouvrages de la mode et de l'ambition, que peuvent-ils avoir de sacré
pour toi ? Méprise-les, foule-les aux pieds, comme ils méritent
de l'être. Une jolie femme, en ce monde, ne doit avoir d'autre
Dieu que le plaisir ; d'autres liens, que les roses dont sa main nous
enchaîne ; d'autre vertu, que celle de foutre ; d'autre morale,
que l'impérieuse loi de ses désirs. Il faut d'abord
te faire faire un enfant, n'importe par qui, et cela pour t'assurer
les biens de ton époux. Cette opération terminée,
nous ferons prendre un bouillon à cet original, et nous nous
précipiterons toutes deux ensuite dans le bourbier fangeux
des voluptés les plus atroces, les plus abominables, parce
que ce sont les plus délicieuses... que tu es faite pour en
jouir, et que tout ce que tu leur enlèves est un crime dont
tu réponde au tribunal de la Raison et de la Nature.
Mes leçons pénétrèrent mal dans l'âme
étroite de cette prude ; ce fut peut-être la seule femme
au monde que je ne pus réussir à corrompre. Et, de ce
moment, je me déterminai à la perdre.
Afin de dresser plus sûrement mes batteries, je fis part du
projet à Borghèse.
- Je te croyais amoureuse de la duchesse, me dit Olympe.
- Moi, de l'amour ? grand Dieu ! ce sentiment puéril fut toujours
ignoré de mon cur : je me suis amusée de cette
femme, j'ai voulu la conduire au crime... elle me refuse, c'est une
imbécile que je ne pense plus qu'à perdre aujourd'hui.
- Rien de plus simple et de plus aisé.
- Oui, mais je veux que le mari périsse avec elle ; j'avais
résolu sa mort ; je voulais armer le bras de sa femme du poignard
qui devait trancher le fil de ses jours : si la bêtise de cette
femme s'y oppose, dois-je pour cela perdre cette victime ?
- Scélérate !
- Il faut qu'ils périssent tous deux.
- Cette idée me plaît, dit Borghèse, je m'en amuse
comme toi ; amène-les à ma campagne, et tu verras ce
que nous ferons.
La partie s'arrange, tous les plans se concertent entre Borghèse
et moi. Je passe sur-le-champ aux résultats, pour ne pas vous
ennuyer des détails.
Nous avions conduit avec nous un jeune homme de la connaissance de
Borghèse. Aussi séduisant que joli, aussi adroit que
spirituel, Dolni, âgé de vingt ans, nous foutait souvent
l'une et l'autre, et les dispositions que nous lui avions reconnues
nous l'avaient fait choisir pour la scélératesse que
nous méditions. Dès les premiers jours, Dolni sut éveiller
avec art, et les passions d'Honorine, et la jalousie de son époux.
C'est à moi que Grillo s'adresse, c'est dans mon sein qu'il
dépose des craintes, que vous imaginez bien que j'augmente
au lieu de les diminuer.
- Mon cher duc, dis-je à cet imbécile, je suis étonnée
que ce ne soit que d'aujourd'hui que vous vous aperceviez des désordres
de votre femme. Je vous aurais éclairé plus tôt
si je l'eusse osé, mais votre sécurité me paraissait
si grande... il est si cruel de détruire de telles illusions...
Dolni n'est ici que pour la duchesse, et, dès mon arrivée
dans Rome, j'étais instruite de ce malheureux penchant. Il
me semble, au reste, qu'il serait fort aisé de vous convaincre.
C'est ordinairement le matin, ou pendant que vous vous promenez, que
Dolni déshonore votre couche : surprenez-les demain, et ne
tardez pas à tirer vengeance d'un affront aussi éclatant.
- Vous me servirez, madame ?
- Je vous le jure. Il n'est que de Borghèse dont il faille
se cacher : intimement liée avec votre femme, je crois qu'elle
favorise mutuellement leur passions.
- Eh bien ! nous ne lui dirons mot, et demain matin, enfermé
dans le cabinet, je pourrai m'assurer de tout.
Pour n'avoir pas l'air de nous entendre, nous nous séparons
à l'instant, et j'engage le duc à m'éviter tout
le jour. Je vole chez la duchesse, et l'encourageant à jouir
sans scrupule des voluptés dont notre jeune homme l'enivre,
je lui confie que le duc projetant une chasse le lendemain, elle doit
profiter de cet instant pour passer avec Dolni la plus délicieuse
matinée.
- Mettez-vous de bonne heure en train tous les deux, dis-je, j'arriverai,
vous ne vous gênerez pas pour moi, et vous m'adopterez en tiers.
La duchesse rit de mon idée, elle me permet de la remplir.
L'instant arrivé, dès que je crois nos deux amants aux
prises, j'amène le duc dans le cabinet...
- Eh bien ! lui dis-je en lui faisant voir sa femme dans les bras
du jeune homme, êtes-vous convaincu maintenant. ?...
Grillo furieux se jette, un poignard à la main, sur son couple
adultère. Aidant son bras, j'ai soin qu'il se dirige sur son
infidèle épouse : elle est atteinte d'un coup dans le
flanc, et la rage du duc se portant aussitôt sur l'amant qui
s'échappe, il le poursuit avec vigueur. Je ne m'oppose plus
à ses coups ; Dolni se sauve, Grillo le poursuit. Au bout du
long corridor, une trappe les enfonce tous deux, l'un dans un caveau
dont les issues peuvent aussitôt le rejoindre à nous,
l'autre dans le milieu d'une machine épouvantable dont mille
lames tranchantes sont prêtes à déchirer celui
qu'elle enferme.
- Grand Dieu ! qu'ai-je fait ? s'écrie le duc en tombant...
Piège affreux !... scélérats ! qui n'aviez d'autres
projets que de m'y prendre... Oh ! chère épouse, on
m'a trompé... Tu étais séduite... innocente...
A peine le duc a-t-il prononcé ces dernières paroles,
que son épouse, nue et blessée, s'enfonce auprès
de lui par les soins de Borghèse.
- La voilà, dis-je alors d'une croisée, où Borghèse,
Dolni et moi plongions sur cette affreuse machine, la voilà
!... Sans doute elle était innocente, et c'est toi seul que
nous voulions perdre... Secours-la, si tu l'oses, mais songe que tu
ne le peux qu'en périssant toi-même.
Grillo s'élance vers sa femme ; le mouvement qu'il fait agitant
aussitôt les ressorts, toutes les lames sont en action, toutes
se dirigent à la fois sur ces deux victimes qui, dans moins
de dix minutes, sont tellement hachées l'une et l'autre, qu'on
ne voit plus que du sang et des os... Je ne vous peindrai point l'extase
où cette scène nous mit, Borghèse et moi ; toutes
deux branlées par Dolni, nous déchargeâmes au
moins dix fois de suite, et cette atrocité, je l'avoue, est
une de celles dont les pointes aiguës ont le plus longtemps échauffé
ma tête... ont le plus constamment embrasé mes sens.
- Viens passer demain la journée chez moi, me dit Olympe, dès
que nous fûmes de retour à Rome, je te ferai connaître
celui qui me donne cent mille écus pour brûler tous les
hôpitaux et toutes les maisons de charité. Celui qui
se charge de l'exécution s'y trouvera de même.
- Quoi ! répondis-je, tu penses toujours à cette horreur
?
- Assurément, Juliette ; tes crimes se bornent à troubler
des ménages, et moi, je les étends à la moitié
d'une ville au moins, et comme Néron quand il brûla Rome,
je veux être, une harpe à la main, sur un balcon d'où
je découvrirai les flammes qui dévasteront ma patrie.
- Olympe, tu es un monstre.
- Moins que toi ; l'affreuse scène qui vient de perdre les
Grillo est absolument de ta tête, je ne l'aurais jamais inventée.
Je ne manquai pas le rendez-vous.
- Les deux hommes que tu vois là, me dit Olympe en me présentant
ses convives, sont, l'un (et c'était du plus âgé
qu'elle parlait), Monseigneur Chigi, parent de plusieurs princes qui
longtemps occupèrent le Saint-Siège ; il se trouve à
la tête aujourd'hui de la police intérieure de Rome ;
c'est lui qui gagne au projet d'incendie dont je t'ai parlé,
et qui me compte cent mille écus pour l'exécuter. Celui-ci
est le comte Bracciani, lequel, en sa qualité de premier physicien
de l'Europe, se charge de l'exécution (puis se rapprochant
de mon oreille) : Tous deux sont mes amis, Juliette ; ne leur refuse
rien, je t'en conjure, s'ils exigent quelque chose de toi.
- Ne suis-je pas à toi ? répondis-je.
Et la princesse ayant donné les ordres les plus sévères
pour que nous fussions seuls, la conversation s'engagea.
- Je vous fais dîner, dit Olympe, avec une des plus fameuses
scélérates de France ; elle nous donne ici, chaque jour,
des modèles de crime ; ne craignons donc point, mes amis, d'avouer
devant elle celui que nous méditons.
- En vérité, madame, dit le maître de police,
vous qualifiez ici de crime l'action la plus simple sans doute. Je
regarde les hôpitaux comme la chose du monde la plus dangereuse
dans une grande ville ; ils absorbent l'énergie du peuples,
ils entretiennent la fainéantise, ils amollissent son courage
; ils sont pernicieux, en un mot, sous tous les rapports. Le nécessiteux
est à l'État ce qu'est la branche parasite à
l'arbre fruitier : il le dessèche, il se nourrit de sa sève,
et ne rapporte rien. Que fait l'agriculteur en apercevant cette branche
? Il la coupe aussitôt sans remords. Que l'homme d'État
agisse donc ici comme l'agriculteur : une des premières lois
de la nature est qu'il n'y ait rien d'inutile dans le monde. Soyez
sûre que le mendiant, toujours nuisible, non seulement profite
de la part d'un homme utile, ce qui est déjà un vice
dans l'État, mais deviendra lui-même bientôt dangereux,
si vos aumônes viennent à lui manquer. Je veux que loin
d'en donner à de tels malheureux, on ne s'occupe, au contraire,
qu'à les extirper totalement ; je veux qu'on les détruise
; faut-il trancher le mot ? je veux qu'on les tue comme on ferait
d'une race d'animaux venimeux. Telle est donc la première raison
qui m'a fait proposer à la princesse Borghèse cent mille
écus romains pour anéantir ces maisons. La seconde est
que j'élève, à la place de ces hôpitaux,
un vaste bâtiment qui aura l'air d'en tenir lieu, et qui ne
sera néanmoins qu'un hospice pour les voyageurs, ce qui n'a
nul inconvénient. Je demande, pour cette maison, les revenus
des hôpitaux ; je les obtiens, et j'y gagne cent mille écus
de rente : ce n'est donc que la première année d'un
revenu sûr que je sacrifie à Mme de Borghèse qui
a, dit-elle, dans le comte de Bracciani, l'homme qui convient pour
mettre Rome dans le cas de n'avoir plus de ces maisons, et de désirer,
à leur place, celle dont je donne le plan aussitôt et
pour laquelle j'obtiendrai bien aisément des revenus qui, par
l'extinction des hôpitaux, demeureront sans destination18. Il
y a vingt-huit de ces maisons-là dans la ville, poursuivit
Chigi, et neuf conservatoires contenant dix-huit cents jeunes filles
pauvres, que vous imaginez ; bien que je comprends dans mes proscriptions.
Il faut que tout cela brûle à la même heure ; ce
seront trente ou quarante mille fainéants de sacrifiés...
d'abord au bien de l'État... secondement aux plaisirs d'Olympe,
qui va mettre, sur cette affaire, cent mille écus comptant
dans sa cassette ; troisièmement, à ma fortune, car
avec ce que j'ai déjà, je deviens l'un des plus riches
ecclésiastiques de Rome, si mon projet réussit.
- Il me paraît, dit Bracciani, que je suis, moi qui dois exécuter,
le plus malheureux de tous ; car il ne vous est pas encore venu dans
l'esprit de m'offrir seulement un sequin sur le grand profit que vous
allez faire.
- Chigi a cru, dit Olympe, que nous devions partager, mais il se trompe,
je n'ai pas trop de ce qu'il me donne, et je veux que le comte ait
la même part ; où Chigi pourrait-il aller chercher des
complices, d'ailleurs ?
- Doucement, dit le monsignore, ne nous brouillons pas au commencement
d'une entreprise aussi importante, ce serait le moyen de la faire
manquer et de nous nuire tous réciproquement. J'accorde au
comte la même somme qu'à Mme de Borghèse ; j'accorde,
de plus, cent mille francs de pot-de-vin à cette charmante
femme, continue Chigi en me montrant : l'amie d'Olympe doit lui ressembler,
et mériter, à ce titre, d'être traitée
comme une complice.
- Elle en a toutes les vertus, dit la princesse, et je vous garantis
que vous serez content d'elle. Que tout soit donc fini, poursuit Borghèse
; j'accepte l'offre faite à mes deux amis ; ne nous occupons
plus que de réussir.
- C'est de quoi je me charge, dit Bracciani, et de manière
à ce qu'il n'échappe pas une des victimes que la profonde
politique, ou plutôt la voluptueuse méchanceté
de Chigi, condamne à mort.
- Sur quoi les médecins feront-ils maintenant leurs épreuves
? demandai-je à la société.
- Il est très certain, dit Olympe, que presque tous n'avaient
pas d'autres façons d'essayer un remède, et que c'est
vraiment un vide pour eux. Il faut, poursuivit-elle, que je vous raconte,
à ce sujet, ce que me disait un jour le jeune Iberti, mon médecin,
qui vint me voir en sortant d'une de ces expériences...
- Qu'importe à l'État, l'existence des êtres vils
qui remplissent ordinairement ces maisons ? me répondait-il,
sur ce que j'avais l'air de le blâmer d'abord, afin de voir
ce qu'il avait à me dire pour sa justification ; ce serait
furieusement gêner la société, que de ne pas permettre
aux gens de l'art de s'instruire sur cette lie qui la déshonore.
La nature nous indique quel est, par la faiblesse qu'elle lui a départie,
l'usage que nous en devons faire, et ce serait tromper ses vues que
de nous y refuser.
- Mais, dis-je, en sortant un peu de la question, lorsque, dans un
cas différent, quelque vil intérêt engage un homme
distingué par ses richesses ou par ses emplois, à profiter
de l'état d'un malade pour voiler le crime qu'il a dessein
de commettre en sa personne, et que cet homme propose à un
médecin de hâter les derniers instants de ce malade,
le médecin fait-il un grand mal en acceptant .
- Non, sans doute, me dit mon jeune Esculape, non certainement, s'il
est bien payé... et la discrétion certaine du mort doit
l'engager à en avoir une égale vis-à-vis de ceux
qui le font agir. A quoi lui servirait de trahir son complice, puisqu'il
est sûr de ne jamais l'être ? Se refuser à cette
action serait une duperie de la part du médecin, car il n'oserait
jamais se vanter d'une proposition qui ne le suppose pas honnête
homme : ainsi, il ne retirerait de son désintéressement
qu'une jouissance isolée et intellectuelle, très inférieure
à celle que lui procurerait la somme offerte. Se vantât-il
même de rejeter la proposition, il n'en recevrait aucun éloge
: on dirait qu'il a fait son devoir. Et comme il n'y a jamais de récompense
pour ceux qui le font, il est parfaitement inutile de se gêner
pour y prétendre. En comparant à part lui ce qu'il doit
retirer de l'acceptation ou du refus, il verra que le refus, ou mettra
sa bonne action dans un oubli éternel et, par conséquent,
lui en enlèvera toute la jouissance, ou la fera éclater,
mais alors en perdant son complice (or que gagne-t-il à perdre
plutôt le complice que le malade ?) et en ne lui méritant
d'autre jouissance que celle de s'entendre dire : il a fait son devoir.
Or, je demande si ce faible éloge, et la futile jouissance
qu'il en retirera, vaudra seulement le quart de la somme qui a pu
lui être offerte pour le délit ? Il serait donc un fou
de balancer : il doit agir et se taire, et se faire bien payer.
- Voilà ce que me disait Iberti, le plus joli, le plus spirituel,
le plus aimable docteur de Rome19, et vous comprenez aisément
qu'il n'eut pas beaucoup de peine à me convaincre... Mais reprenons
notre projet, poursuivit Olympe. Êtes-vous sûr de votre
opération, Bracciani ? et ne craignez-vous pas que de perfides
secours n'arrêtent les effets que nous projetons ? Je redoute
l'humanité autant que je l'abhorre : que d'heureux crimes ses
pernicieux effets ont troublés !
- Je ne crains rien, dit le comte, j'opère du haut d'une montagne
située dans le milieu de Rome. Les trente-sept bombes invisibles,
que je dirige sur les trente-sept hôpitaux, seront renouvelées,
sans qu'au moyen de mes procédés personne ne puisse
les apercevoir. Je mettrai dans les jets les intervalles nécessaires
aux secours, de manière que l'incendie sera propagé
en raison des moyens qu'on emploiera pour l'éteindre, et que
le feu se rallumera toujours en proportion des soins mis en usage
pour l'absorber.
- Comte, lui dit Olympe, vous enflammeriez donc une ville entière
par ce procédé terrible ?
- Assurément, répondit le physicien, et rien que par
ce que nous entreprenons, il serait très possible que la moitié
de la ville y pérît.
- Il y a, dit Chigi, des hôpitaux situés dans des quartiers
fort pauvres de Rome, et ces parties périront infailliblement.
- De telles considérations vous arrêtent-elles ? dit
Olympe.
- Nullement, madame, répondirent simultanément les deux
agents de cette atrocité.
- Ces messieurs me paraissent fermes, dis-je à Mme de Borghèse
; je crois que toutes leurs réflexions sont faites, et que
le crime qu'ils vont commettre est pour eux d'une considération
bien légère.
- Il n'y a pas de crime à ce que nous projetons, dit Chigi.
Toutes nos erreurs en morale viennent de l'absurdité de nos
idées sur le bien et le mal. Si nous étions convaincus
de l'indifférence de toutes nos actions, si nous étions
bien persuadés que celles que nous appelons justes ne sont
rien moins que telles aux yeux de la nature, et que celles que nous
nommons iniques sont peut-être, auprès d'elle, la plus
parfaite mesure de la raison et de l'équité, assurément
nous ferions bien moins de faux calculs. Mais les préjugés
de l'enfance nous trompent, et ne cesseront jamais de nous induire
en erreur tant que nous aurons la faiblesse de les écouter.
Il semble que le flambeau de la raison ne nous éclaire que
quand nous ne sommes plus à même de profiter de ses rayons,
et ce n'est jamais qu'après sottises sur sottises, que nous
parvenons à découvrir la source de toutes celles que
l'ignorance nous a fait commettre. Presque toujours encore, les lois
du gouvernement nous servent de boussole pour distinguer le juste
de l'injuste ; nous disons : la loi défend telle action, donc
elle est injuste. Il est impossible de voir rien de plus trompeur
que cette manière de juger, car la loi est dirigée sur
l'intérêt général : or, rien n'est plus
en contradiction avec l'intérêt général
que l'intérêt particulier, et rien n'est, en même
temps, plus juste que l'intérêt particulier. Donc, rien
de moins juste que la loi qui sacrifie tous les intérêts
particuliers à l'intérêt général.
Mais l'homme, dit-on, veut vivre en société ; il faut
donc pour cela qu'il sacrifie une portion de sa félicité
particulière à la félicité publique. Soit
; mais comment voulez-vous qu'il ait fait un tel pacte, sans être
sûr de retirer au moins autant qu'il donne ? Or, il ne retire
rien du pacte qu'il fait, en consentant aux lois ; car vous le grevez
infiniment plus que vous ne le satisfaites, et pour une occasion où
la loi le garantit, il en est mille où elle le gêne :
donc il ne devait pas consentir aux lois, ou les faire infiniment
plus douces. Les lois n'ont servi qu'à reculer l'anéantissement
des préjugés, qu'à nous enchaîner plus
longtemps sous le joug honteux de l'erreur ; la loi est un frein que
l'homme a donné à l'homme, quand il a vu la facilité
avec laquelle il franchissait tous les autres : et comment, d'après
cela, a-t-il pu croire que ce frein suppléant pourrait jamais
servir à quelque chose ? Il est des punitions pour le coupable
: soit, je vois à cela des cruautés, mais aucuns moyens
de rendre l'homme meilleur, et ce n'est, ce me semble, qu'à
cela qu'il fallait travailler. On échappe tant qu'on veut,
d'ailleurs, à ces punitions, et cette certitude encourage l'âme
de celui qui a tout franchi. Eh ! convainquons-nous-en donc une bonne
fois, les lois ne sont qu'inutiles et dangereuses ; leur seul objet
est de multiplier les crimes ou de les faire commettre en sûreté,
par le secret où elles contraignent. Sans les lois et les religions,
on n'imagine pas le degré de gloire et de grandeur où
seraient aujourd'hui les connaissances humaines ; il est inouï
comme ces indignes freins ont retardé les progrès :
telle est la seule obligation que l'on leur ait. On ose déclamer
contre les passions, on ose les enchaîner par des lois ; mais
que l'on compare les unes et les autres ; que l'on voie qui, des passions
ou des lois, a fait le plus de bien aux hommes. Qui doute, comme le
dit Helvétius, que les passions ne soient dans le moral ce
qu'est le mouvement dans le physique ? Ce n'est qu'aux passions fortes
que sont dues l'invention et les merveilles des arts ; elles doivent
être regardées, poursuivit le même auteur, comme
le germe productif de l'esprit et le ressort puissant des grandes
actions. Les individus qui ne sont pas animés de passions fortes
ne sont que des êtres médiocres. Il n'y aura jamais que
les grandes passions qui pourront enfanter de grands hommes ; on devient
stupide dès qu'on n'est plus passionné, ou dès
qu'on cesse de l'être. Ces bases établies, je me demande
de quel danger ne sont donc point des lois qui gênent les passions
? Que l'on compare les siècles d'anarchie avec ceux où
les lois ont été le plus en vigueur, dans tel gouvernement
que l'on voudra : on se convaincra facilement que ce n'est que dans
cet instant du silence des lois, qu'ont éclaté les plus
grandes actions. Reprennent-elles leur despotisme, une dangereuse
léthargie assoupit l'âme de tous les hommes ; et si l'on
ne voit plus de vices, à peine découvre-t-on une vertu
: les ressorts se rouillent, et les révolutions se préparent.
- Mais, interrompit Olympe, vous ne voudriez donc plus de lois dans
un empire ?
- Non. Rendus à l'état de nature, les hommes, je le
soutiens, seraient plus heureux qu'ils ne peuvent l'être sous
le joug absurde des lois. Je ne veux pas que l'homme renonce à
aucune portion de sa force et de sa puissance. Il n'a nullement besoin
des lois pour se faire justice ; la nature a placé dans lui
l'instinct et l'énergie nécessaire pour se la procurer
lui-même ; et celle qu'il se fera sera toujours plus prompte
et plus active que celle qu'il peut espérer de la main langoureuse
de l'homme, parce que, dans l'acte de cette justice, il ne considérera
que son propre intérêt et la lésion qu'il aura
reçue, au lieu que les lois d'un peuple ne sont jamais que
la masse et le résultat des intérêts de tous les
législateurs qui ont coopéré à l'érection
de ces lois.
- Mais vous serez opprimé, sans les lois.
- Que m'importe d'être opprimé, si j'ai le droit de le
rendre ? J'aime mieux être opprimé par mon voisin, que
je puis opprimer à mon tour, que de l'être par la loi,
contre laquelle je n'ai nulle puissance. Les passions de mon voisin
sont infiniment moins à craindre que l'injustice de la loi,
car les passions de ce voisin sont contenues par les miennes, au lieu
que rien n'arrête, rien ne contraint les injustices de la loi.
Tous les défauts de l'homme appartiennent à la nature
; il ne peut y avoir, d'après cela, de meilleures lois que
celles de la nature ; car il n'appartient à aucun homme de
réprimer ce qui vient de la nature. Or, la nature n'a point
fait de lois ; elle n'en imprime qu'une seule au cur de tous
les hommes : c'est de nous satisfaire, de ne rien refuser à
nos passions, quelque chose qu'il puisse en coûter aux autres.
Ne vous avisez donc point de gêner les impulsions de cette loi
universelle, quels que puissent en être les effets ; vous n'avez
pas le droit de les arrêter ; laissez ce soin à celui
qu'elles outrageront ; si elles le blessent, il saura bien les réprimer.
Les hommes qui crurent que, de la nécessité de se rapprocher
dérivait celle de se faire des lois, tombèrent dans
la plus lourde erreur ; ils n'avaient pas plus besoin de lois, réunis
qu'isolés. Un glaive universel de justice est inutile : ce
glaive est naturellement dans les mains de tout le monde.
- Mais chacun ne s'en servira pas à propos, et l'iniquité
deviendra générale...
- Cela est impossible, jamais Pierre ne sera injuste envers Paul,
quand il saura que Paul peut à l'instant se venger de son injustice
; mais il le deviendra, s'il sait qu'il n'a plus à craindre
que des lois qu'il peut éluder, ou auxquelles il peut se soustraire.
Je vais plus loin, je vous accorde que sans lois, la somme des crimes
s'étendît, que sans lois, l'univers ne fût plus
qu'un volcan dont d'exécrables forfaits jailliraient à
chaque minute : il y aurait encore moins d'inconvénients dans
cet état de lésions perpétuelles ; il y en aurait
beaucoup moins, sans doute, que sous l'empire des lois, car souvent
la loi frappe l'innocent, et à la masse des victimes produites
par le criminel, il doit se joindre encore celle produite par l'iniquité
de la loi : vous aurez ces victimes-là de moins dans l'anarchie.
Sans doute, vous aurez celle que le crime sacrifie ; mais vous n'aurez
pas celle qu'immole l'iniquité de la loi ; car l'opprimé
ayant le droit de se venger lui-même, ne punira bien certainement
que son oppresseur.
- Mais l'anarchie, ouvrant la porte à l'arbitraire, est nécessairement
la cruelle image du despotisme...
- Autre erreur : c'est l'abus de la loi qui mène au despotisme
; le despote est celui qui crée la loi... qui la fait parler,
ou qui s'en sert pour ses intérêts. Ôtez ce moyen
d'abus au despote, il n'y aura plus de tyran. Il n'est pas un seul
tyran qui ne se soit étayé des lois pour exercer ses
cruautés ; partout où les droits de l'homme seront assez
également répartis pour que chacun puisse se venger
lui-même des injures qu'il aura reçues, il ne s'élèvera
sûrement point de despote, car il serait terrassé à
la première victime qu'il s'aviserait d'immoler. Ce n'est jamais
dans l'anarchie que les tyrans naissent : vous ne les voyez s'élever
qu'à l'ombre des lois ou s'autoriser d'elles. Le règne
des lois est donc vicieux ; il est donc inférieur à
celui de l'anarchie : la plus grande preuve de ce que j'avance est
l'obligation où est le gouvernement de se plonger lui-même
dans l'anarchie quand il veut refaire sa constitution. Pour abroger
ses anciennes lois, il est obligé d'établir un régime
révolutionnaire où il n'y a point de lois : de ce régime
naissent à la fin de nouvelles lois. Mais ce second État
est nécessairement moins pur que le premier, puisqu'il en dérive,
puisqu'il a fallu opérer ce premier bien, l'anarchie, pour
arriver au second bien, la constitution de l'État. Les hommes
ne sont purs que dans l'état naturel ; dès qu'ils s'en
éloignent, ils se dégradent. Renoncez, vous dis-je,
renoncez à l'idée de rendre l'homme meilleur par des
lois : vous le rendrez, par elles, plus fourbe et plus méchant...
jamais plus vertueux.
- Mais le crime est un fléau sur la terre ; plus il y aura
de lois, moins il y aura de crimes.
- Autre balourdise : c'est la multitude des lois qui fait celle des
crimes. Cessez de croire que telle ou telle action est criminelle
; ne faites point de lois pour la réprimer ; il est certain
qu'alors la multitude de vos crimes disparaîtra. Mais je reprends
la première partie de votre proposition : le crime, dites-vous,
est un fléau sur la terre. Quel sophisme ! ce qu'à juste
titre l'on pourrait appeler un fléau sur la terre, serait la
machine destructive de tous les individus qui l'habitent : examinons
si c'est là l'effet du crime. Lorsqu'une telle action se commet,
l'image qu'elle offre est celle de deux individus dont l'un fait l'action
prétendue criminelle et dont l'autre devient la victime de
cette action. Voilà donc à la fois un être heureux
et un être malheureux ; donc le crime n'est pas le fléau
de la terre, puisque rendant malheureuse la moitié des individus
qui l'habitent, il rend très heureuse l'autre moitié.
Le crime n'est autre chose que le moyen dont la nature se sert pour
arriver à ses desseins sur nous, et pour maintenir l'équilibre
si nécessaire au maintien de ses opérations. Ce seul
exposé suffit à faire voir qu'il n'appartient pas à
l'homme de le punir, parce qu'il appartient à la nature, qui
a tous droits sur nous, et sur laquelle nous n'en avons aucun. Si,
sous un autre rapport, le crime est la suite des passions, et que
les passions, ainsi que je viens de le dire, doivent être regardées
comme le seul ressort des grandes actions, vous devez toujours préférer
le crime, qui donnera de l'énergie à votre gouvernement,
aux vertus qui en rouilleront les ressorts. De ce moment, vous ne
devez plus sévir contre les crimes ; vous devez, au contraire,
les encourager, et laisser les vertus dans l'ombre, où le mépris
que vous leur devez doit les ensevelir à jamais. Gardons-nous,
sans doute, de confondre ici les grandes actions avec les vertus :
très souvent une vertu n'est rien moins qu'une grande action,
et plus souvent encore une grande action n'est qu'un crime. Or, les
grandes actions sont très souvent nécessaires, et les
vertus ne le sont jamais. Brutus, honnête homme au milieu de
sa famille, n'eût jamais été qu'un triste et plat
individu ; Brutus, meurtrier de César, fait à la fois
un crime et une grande action : le premier n'eût jamais été
connu dans l'histoire, le second en est un héros.
- Ainsi donc, selon vous, on peut être parfaitement tranquille
au milieu des crimes les plus noirs ?
- C'est au sein de la vertu que le calme se trouve impossible, puisqu'il
est clair que l'on existe alors dans un état contraire à
la nature... à la nature qui ne peut exister, se renouveler,
conserver son énergie que par l'immensité des crimes
de l'homme. Ainsi ce que nous pouvons faire de mieux est de tâcher
de nous faire des vertus de tous les vices des hommes, et des vices
de toutes leurs vertus.
- Assurément, dit Bracciani, c'est à quoi je travaille
depuis l'âge de quinze ans, et je puis dire avec vérité
que j'y ai toujours trouvé le bonheur.
- Mon ami, dit Olympe à Chigi, avec la morale que vous venez
de nous étaler, vous devez avoir les passions bien vives ?
Vous avez quarante ans, c'est l'âge où elles parlent
le plus impérieusement. Oh, oui ! je le répète,
vous devez avoir fait des horreurs.
- Avec la place qu'il occupe, dit Bracciani, avec l'inspection générale
de la police de Rome, les occasions de mal faire ne doivent pas lui
manquer.
- Il est certain, dit Chigi, que je suis fort à même
de faire le mal, et ce qu'il y a de plus sûr encore, c'est que
je ne laisse guère échapper de moyens de m'y livrer.
- Vous faites des injustices... des prévarications, dit Mme
de Borghèse, vous vous servez du glaive de Thémis pour
immoler bien des innocents.
- Et quand tout ce que vous dites là serait, j'agirais d'après
mes principes : de ce moment, je croirais bien faire. Si je suppose
la vertu dangereuse dans ce monde, ai-je tort d'immoler ceux qui la
pratiquent ? Si, réciproquement, je crois le vice utile à
la terre, ai-je tort de laisser échapper aux lois ceux qui
le professent ? Que m'importe d'être traité d'homme injuste
: pourvu que ma conduite cadre avec mes principes, je suis tranquille.
Avant que d'agir d'après eux, j'ai commencé par les
analyser ; ensuite j'ai basé ma conduite sur eux : que l'univers
entier me blâme après, peu m'importe, je ne dois compte
de mes actions qu'à moi.
- Voilà la vraie philosophie, dit Bracciani, j'ai moins développé
mes principes que Chigi, mais je vous assure qu'ils sont absolument
les mêmes, et que je les ai mis en pratique tout aussi souvent.
- Monseigneur, dit Olympe au magistrat de la police de Rome, vous
êtes accusé d'employer beaucoup trop l'affreux supplice
de la corde ; vous y faites, dit-on, appliquer beaucoup d'innocents,
et vous le faites prolonger principalement sur eux, à tel point,
prétend-on, qu'ils y périssent toujours.
- Je vais vous expliquer l'énigme, dit Bracciani. Ce supplice
compose les plaisirs de ce scélérat ; il bande en le
voyant exercer, il décharge si le patient en crève.
- Comte, dit Chigi, je ne vois pas ce qui vous engage à faire
ici les honneurs de mes goûts : je ne vous ai pas chargé,
ce me semble, de dévoiler mes faiblesses.
- Cet aveu du comte nous fait le plus grand plaisir, dis-je avec vivacité
; c'est une jouissance que vous préparez à Olympe, et
j'avouerai franchement que c'en est une que vous me donnez aussi.
- Elle serait complète, dit Olympe, si Chigi voulait s'y livrer
devant nous.
- Pourquoi pas ? reprit ce libertin... Avez-vous un objet ?
- J'en trouverai facilement.
- Oui, mais cela n'aurait peut-être pas les qualités
requises.
- Qu'entendez-vous par ces qualités
- Celles de l'infortune, dit Chigi, de l'innocence, de la soumission
due à un juge suprême.
- Il vous est donc possible, dit Olympe, de réunir tout cela
?
- Assurément, reprit le magistrat, mes prisons regorgent de
pareils sujets, et je vais, en moins d'une heure, faire conduire ici
ce qui convient aux plaisirs que vous avez l'intention de vous procurer.
- Quel sera ce sujet ? dit Olympe.
- Une jeune femme de dix-huit ans, belle comme Vénus et grosse
de huit mois.
- Grosse ! objectai-je, et c'est dans cet état que vous lui
ferez subir un supplice aussi dangereux ?
- Qu'importe ? elle en mourra, c'est le pis-aller : en vérité,
cela ne m'inquiète guère. J'aime étonnamment
à les prendre ainsi ; il y a deux plaisirs pour un : c'est
ce qu'on appelle la vache et le veau.
- Et cette pauvre créature, dis-je, je gagerais qu'elle est
innocente ?
- Il y a deux mois que je la tiens en prison, avec le ferme projet
de m'en amuser. Sa mère la soupçonne d'un vol que j'ai
fait faire moi-même, afin de m'emparer de la fille ; le piège,
tendu fort adroitement, réussit au mieux : la pauvre Cornélie
est dans mes filets, et je suis maître de ses jours ; un mot
de vous, et je vais vous la faire danser sur la corde, mieux qu'aucun
baladin ne le fit de ses jours. Je persuaderai que par humanité
je l'ai soustraite à la punition, et tout en me couvrant de
ce que les sots appellent un crime, j'aurai le mérite d'une
superbe action.
- Voilà qui va le mieux du monde, dis-je ; mais cette mère,
que vous laissez vivre, ne peut-elle pas tout découvrir, et
où en serions-nous alors ? Il n'y aurait, ce me semble, rien
de plus aisé que de lui persuader qu'elle est la complice de
sa fille et qu'elle-même a coopéré au vol dont
elle veut faire retomber l'iniquité sur sa seule fille.
- Il y a peut-être encore quelques parents dans cette maison,
dit le comte.
- Il est certain, dit Olympe, qu'y en eût-il vingt, il me semble
que pour la sûreté personnelle de Chigi, il faudrait
les immoler tous.
- Vous êtes des gens insatiables, répondit le magistrat
; je voudrais simplement que vous ne missiez pas sur le compte de
vos attentions pour moi ce qui ne tient qu'à votre perfide
luxure. Eh bien ! il faut vous contenter. Cornélie a un frère
et une mère ; je vous réponds que tous trois vont périr
sous nos yeux, par le supplice dont le comte prétend que je
fais mes plaisirs.
- Voilà ce que nous voulions, dit Olympe ; quand on fait tant
que de se permettre une pareille saillie, il me semble qu'il faut
lui laisser toute l'extension qu'elle peut avoir ; je ne connais rien
de pis que de s'arrêter en chemin. Oh ! foutre, dit alors la
putain en se frottant le con par-dessus sa robe, oh ! sacredieu, que
de plaisir ! j'en décharge d'avance...
Chigi sort à l'instant pour aller donner les ordres nécessaires.
Un petit jardin isolé, environné de cyprès, et
tenant au boudoir d'Olympe, est choisi pour le lieu de l'exécution,
et nous nous pelotons, en attendant la partie. Chigi et Olympe se
connaissaient, mais Bracciani n'avait jamais touché mon amie,
et je n'étais connue d'aucun d'eux. La princesse se chargea
donc des avances, et les frais, avec de tels libertins, ne devaient
pas être fort longs. La coquine, s'approchant de moi, me déshabille
et me livre bientôt nue aux mains de ses deux amis. Ils me dévorent,
mais à l'italienne : mon cul devient l'unique objet de leurs
caresses ; tous deux le baisent, le langotent, le mordent ; ils ne
peuvent s'en rassasier ; à peine se doutent-ils que je suis
une femme. Un peu d'ordre succède à ces premières
caresses... Bracciani s'approche d'Olympe, qui vient de se mettre
aussi nue que moi, et je deviens la proie de Chigi.
- Ne vous impatientez pas, charmante créature, me dit cet infâme
libertin, le visage collé sur mes fesses ; blasé sur
les plaisirs par une longue habitude de leurs sensations, il me faut
des recherches pour retrouver en moi l'aiguillon de leur pointe émoussée.
Je serai long, je vous impatienterai, peut-être même n'en
viendrai-je pas à mon honneur ; mais vous m'aurez donné
du plaisir : c'est la seule chose, ce me semble, à laquelle
doive prétendre une femme...
Et le paillard se secouait tant qu'il pouvait, en continuant de savourer
mes fesses.
- Madame, dit-il à Olympe, que Bracciani fourrageait, je n'aime
pas trop à faire ainsi la besogne moi-même ; il me paraît
que le comte est dans le même cas ; faites-nous venir quelques
jeunes filles ou quelques petits garçons, je vous prie, qui,
chargés de branler nos vits, de nous gamahucher, de nous socratiser,
ne nous laisseront plus que des roses à cueillir aux autels
de Vénus Callipyge...
Olympe sonne, deux jeunes filles de quinze ans paraissent aussitôt
; la libertine en avait toujours à ses ordres.
- Ah, bon ! dit le magistrat, dites-leur de venir promptement vaquer
à des fonctions qu'il est désagréable de faire
soi-même...
Obéi dès qu'il est entendu, Chigi met entre les mains
des pucelles les tristes dépouilles de son humanité
fléchissante, et mes fesses continuent d'être l'objet
de ses baisers ; bientôt sa langue pénètre, sans
que jamais la moindre distraction vienne refroidir son hommage. Bracciani,
plus heureux, est déjà dans l'anus d'Olympe, pendant
que la jeune satellite, à genoux devant lui, gamahuche le trou
de son cul. Ce tableau, duquel Chigi s'approche un moment, le décide
; il écarte mes fesses, s'y place à demi bandant, et
se fait flageller pour soutenir l'attaque... Le traître ! il
déshonore mes charmes ; n'ayant pas assez de consistance pour
se maintenir dans son poste, il en est rejeté. Accoutumé
à l'injustice, c'est à la petite fille qu'il s'en prend...
Elle le fustigeait.
- Si vous frappiez plus fort, s'écrie-t-il, cela ne m'arriverait
pas...
Et en même temps, il lui applique un soufflet si vigoureux,
qu'il la jette en arrière à deux pieds de là.
- Vous êtes trop bon, monseigneur, lui crie Olympe, mettez en
sang cette petite gueuse : voilà comme je les traite quand
elles me manquent.
- Vous avez raison, dit Chigi en s'en emparant...
Et malgré les grâces, la douceur, la gentillesse, la
beauté du cul de cette charmante enfant, le barbare la fustige
avec une telle violence, que le sang ruisselle au cinquantième
coup. M'apercevant alors qu'il toise mes fesses avec ses verges :
- Frappe, libertin ! lui dis-je, ne te gêne pas ; je soupçonne
tes projets, je les aime ; je brave tes coups, tu peux les appuyer.
Chigi ne me répond pas, mais il fouette ; il me flagelle si
rudement, que son outil mollasse, à la fin rendu à la
vie, devient en état de me perforer. Je me hâte de me
mettre en posture, il m'encule, on lui rend ce qu'il vient de faire,
et nous voilà plongés dans le sein des plaisirs.
- Déchargerons-nous ? dit Bracciani toujours sodomisant ma
compagne.
- Non, non, répond Chigi, songe qu'une grande opération
nous attend ; il ne faut, ici, que nous mettre en train : aux seuls
supplices de la famille de Cornélie, à cette unique
atrocité doit être accordé notre foutre.
Cette résolution s'adopte ; nos deux libertins, sans s'embarrasser
s'ils nous laissent en chemin ou non, quittent à l'instant
leurs montures, et les plaisirs de la table viennent faire diversion
à ceux de la lubricité. Au milieu du repas, Chigi, presque
ivre, veut qu'on couche à plat ventre sur la table celle des
petites filles qu'il n'avait pas fouettée, et qu'on lui mange
une douzaine de crêpes20 toutes bouillantes sur les fesses.
On exécute ; la pauvre enfant, brûlée jusqu'au
vif, jette des cris affreux qui n'empêchent pas les convives
de piquer vigoureusement de leurs fourchettes les morceaux qu'ils
prennent sur le derrière sanglant de cette infortunée.
- Il serait plaisant de lui en faire autant sur la gorge, dit Bracciani.
- Je le veux, dit Chigi, mais c'est à condition que je la clystériserai
pendant ce temps-là avec de l'eau bouillante.
- Et moi dans le con, avec de l'eau-forte, dit Olympe, toujours emportée
dès qu'il s'agissait d'infamie.
- Puisqu'il faut que je prononce à mon tour, observai-je à
la compagnie, sauf meilleur avis, je voudrais qu'on mangeât
des crêpes sur le joli visage de cette petite fille, qu'en piquant
les morceaux on lui crevât les yeux avec les fourchettes, qu'elle
fût ensuite empalée au milieu de la table.
Toutes ces idées s'exécutent ; on achève de se
griser, de se gorger, ayant sous les yeux le divin spectacle de cette
charmante petite fille expirante et se livrant aux contorsions horribles
que lui arrache la douleur.
- Comment avez-vous trouvé mon dîner ? nous demanda Borghèse
au dessert.
- Excellent, répondîmes-nous.
Et, vraiment, il avait été aussi somptueux que délicat.
- Eh bien, dit-elle, avalons ceci.
C'était une liqueur qui nous fit aussitôt rejeter par
en haut tout ce dont nous venions de nous remplir, et, dans trois
minutes, nous nous trouvâmes autant d'appétit qu'avant
de nous mettre à table. Un second dîner se sert, nous
le dévorons.
- Avalons de cette autre liqueur, dit Olympe, et tout va couler par
en bas.
A peine cette cérémonie est-elle achevée, que
l'appétit se fait encore sentir. Un troisième dîner,
plus succulent que les deux autres, se ressert ; nous le dévorons.
- Point de vin d'ordinaire à celui-ci, reprit Olympe, débutons
par l'Aleatico, nous finirons par le Falerne et les liqueurs dès
l'entremets.
- Et la victime ?
- Oh, foutre ! elle respire encore, dit Chigi.
- Changeons-la, dit Olympe, et qu'on enterre celle-là morte
ou vive.
Tout s'arrange, et la seconde des jeunes filles, empalée par
le trou du cul, nous sert de surtout au troisième dîner.
Nouvelle à ces excès de table, je crus que je n'y résisterais
pas ; je me trompais : en aiguisant l'estomac, la liqueur que nous
prenions le réconfortait ; et quoique nous eussions tous mangé
des cent quatre-vingts plats offerts à notre voracité,
pas un de nous ne s'en ressentit. A ce troisième dessert, comme
notre seconde victime respirait encore, nos libertins impatientés
l'accablèrent d'outrages. Écumante de foutre et d'ivresse,
il n'y eut rien qu'ils n'exécutassent sur son malheureux corps,
et j'avoue que je les aidai beaucoup. Bracciani essaya sur elle deux
ou trois expériences de physique, dont la dernière consistait
à produire une foudre simulée qui devait l'écraser
à l'instant : telle fut sa cruelle fin. Elle expirait, quand
la famille Cornélie vint éveiller dans nous l'affreux
désir de nouvelles horreurs.
Si rien n'égalait la beauté de Cornélie, rien
ne surpassait non plus la majesté des traits, la supériorité
de la taille de sa malheureuse mère, âgée de trente-cinq
ans. Léonard, frère de Cornélie, atteignait à
peine sa quinzième année, et ne le cédait en
rien à ses parents.
- Voilà, bien, dit, Bracciani, en le saisissant tout à
coup, le plus joli petit bardache que j'aie encore baisé depuis
longtemps.
Mais un air d'abattement et de tristesse absorbait tellement cette
famille infortunée, qu'on ne put s'occuper un moment que de
les considérer en cet état ; et c'est une jouissance
pour le crime, que de se repaître des chagrins dont sa scélératesse
accable la vertu.
- Tes yeux s'animent , me dit Olympe.
- Cela peut être, répondis-je ; il faudrait être
bien froide, pour n'être pas émue d'un tel spectacle.
- Je n'en connais pas de plus délicieux, me répondit
Borghèse ; il n'en est pas un seul au monde qui me fasse aussi
prodigieusement bander.
- Prisonniers, dit alors le magistrat en affectant le ton le plus
sévère, vous êtes, je crois, bien pénétrés
de vos crimes ?
- Nous n'en commîmes jamais, dit Cornélie ; je crus un
moment ma fille coupable, mais, éclairée par ta conduite,
je sais maintenant à quoi m'en tenir.
- Vous allez le mieux savoir tout à l'heure...
Et nous les fîmes à l'instant passer avec nous dans le
petit jardin préparé pour l'exécution. Chigi
leur fit là un interrogatoire dans toutes les formes ; je le
branlais pendant ce temps-là... Vous n'imaginez pas l'art avec
lequel il les fit tomber dans tous les pièges qu'il leur tendait...
les subterfuges qu'il employa pour les faire couper ; et quelque candeur,
quelque naïveté que missent dans leurs défenses
ces trois infortunés, Chigi les trouva coupables, et leur sentence
fut à l'instant prononcée. Olympe s'empare aussitôt
de la mère ; je saisis la fille ; le comte et le magistrat
sautent sur le petit garçon.
Quelques supplices s'imposèrent, en attendant celui qui devait
terminer ces orgies. Olympe voulut fouetter Cornélie sur le
ventre, Bracciani et le magistrat déchirèrent à
coups de gaule les jolies fesses de Léonard, et je vexai fortement
le beau sein de la mère. On les attache à la fin tous
les trois aux cordes qui vont leur donner la mort. Quinze cabrioles
consécutives leur brisent bientôt la poitrine, les seins,
les vaisseaux ; au dixième, l'enfant de Cornélie se
détache et tombe sur les cuisses de Chigi, que je branlais
sur les fesses d'Olympe, pendant que Bracciani faisait aller la corde.
Tout décharge à ce spectacle, et ce que je remarque
d'affreux, c'est qu'on le poursuivit. Quoique les têtes fussent
calmes, aucun de nous n'imagina de demander grâce ; et les coups
de corde se continuèrent jusqu'à ce que les malheureux
qu'on y appliquait eussent rendu l'âme. Et voilà comme
le crime s'amuse de l'innocence, quand, ayant pour lui le crédit
et la richesse, il ne lui reste plus à lutter que contre l'infortune
et la misère.
Le projet horrible du lendemain s'exécuta. Olympe et moi, placées
sur une terrasse, nous nous branlions en voyant la rapidité
de l'incendie. Les trente-sept hôpitaux furent consumés,
et plus de vingt mille âmes y périrent.
- Oh ! sacredieu ! dis-je à Olympe, en déchargeant au
spectacle enchanteur de ses crimes et de ceux de ses complices, qu'il
est divin de se livrer à de tels écarts ! Inexplicable
et mystérieuse Nature, s'il est vrai que ces délits
t'outragent, pourquoi donc m'en délectes-tu ? Ah ! garce, tu
me trompes peut-être, comme je l'étais autrefois par
l'infâme chimère déifique à laquelle on
te disait soumise ; nous ne dépendons pas plus de toi que de
lui. Les causes sont peut-être inutiles aux effets, et nous
tous, par une force aveugle, aussi stupide que nécessitée,
nous ne sommes que les machines ineptes de la végétation,
dont les mystères, expliquant tout le mouvement qui se fait
ici-bas, démontrent également l'origine de toutes les
actions des hommes et des animaux.
L'incendie dura huit jours, pendant lesquels nous ne vîmes pas
nos amis ; ils reparurent le neuvième.
- Tout est fini, dit le magistrat ; le pape est parfaitement consolé
du malheur qui vient d'arriver ; j'ai obtenu le privilège que
je demandais : voilà mon profit sûr, et votre récompense
décidée. Chère Olympe, poursuivit Chigi, ce qui
aurait le plus attendri votre âme bienfaisante, c'eût
été sans doute l'incendie des conservatoires : si vous
eussiez vu toutes ces jeunes filles nues... échevelées,
se précipiter les unes sur les autres, pour échapper
aux flammes qui les poursuivaient, et la horde des coquins, que j'avais
placés là, les y repousser cruellement, sous le prétexte
de les secourir, dérober néanmoins les plus jolies,
pour les offrir un jour à mes voluptés tyranniques,
se hâter de plonger les autres au milieu des flammes... Olympe...
Olympe, si vous eussiez vu tout cela, vous en seriez morte de plaisir.
- Scélérat ! dit Mme de Borghèse, combien en
as-tu conservées ?
- Près de deux cents, répondit le monsignor ; on les
garde dans un de mes palais, d'où elles partiront en détail
pour se distribuer dans mes campagnes. Les vingt plus jolies vous
seront offertes, je vous le promets, et ne vous demande pour reconnaissance
que de me faire voir quelquefois d'aussi belles créatures que
cette charmante personne, continua-t-il en me montrant.
- Je suis étonnée que vous y pensiez encore, après
ce que je sais de votre philosophie sur cet objet, dit Olympe.
- J'avoue, répondit le magistrat, que mes sentiments sont très
loin de se donner avec mon vit, et qu'il suffirait qu'une femme parût
aimer ma jouissance, pour n'être plus payée de moi que
par de la haine et du mépris. Il m'est arrivé très
souvent même de concevoir l'un et l'autre sentiment pour l'objet
qui devait me servir, et mes plaisirs, pris de cette manière,
se trouvaient y gagner beaucoup. Tout cela tient à ma manière
de penser sur la reconnaissance : je ne veux pas qu'une femme s'imagine
que je lui doive quelque chose, parce que je me souille sur elle ;
je ne lui demande alors que de la soumission, et la même insensibilité
que le fauteuil qui sert à pousser ma selle. Je n'ai jamais
cru que, de la jonction de deux corps, puisse jamais résulter
celle de deux curs : je vois à cette jonction physique
de grands motifs de mépris... de dégoût, mais
pas un seul d'amour ; je ne connais rien de gigantesque comme ce sentiment-là,
rien de plus fait pour attiédir une jouissance, rien, en un
mot, de plus loin de mon cur. Cependant, madame, j'ose vous
assurer sans fadeur, poursuivit le magistrat en me serrant les mains,
que l'esprit dont vous êtes douée vous met à l'abri
de cette manière de penser, et que vous méritez toujours
le titre et la considération de tous les philosophes libertins.
Je vous rends assez de justice pour croire que vous ne devez être
jalouse que de plaire à ceux-là.
De ces flagorneries, dont je faisais assez peu de cas, nous passâmes
à des choses plus sérieuses. Chigi voulut voir encore
une fois mon derrière ; il ne pouvait, disait-il, s'en rassasier.
Bracciani, Olympe, lui et moi, nous passâmes donc dans le cabinet
secret des plaisirs de la princesse, où de nouvelles infamies
se célébrèrent, et je rougis, d'honneur, de vous
les avouer. Cette maudite Borghèse avait tous les goûts,
toutes les fantaisies. Un eunuque, un hermaphrodite, un nain, une
femme de quatre-vingts ans, un dindon, un singe, un très gros
dogue, une chèvre et un petit garçon de quatre ans,
arrière-petit-fils de la vieille femme, furent les objets de
luxure que nous présentèrent les duègnes de la
princesse.
- Oh ! grand Dieu ! m'écriai-je en voyant tout cela, quelle
dépravation !
- Elle est on ne saurait plus naturelle, dit Bracciani : l'épuisement
des jouissances nécessite des recherches. Blasés sur
les choses communes, on en désire des singulières, et
voilà pourquoi le crime devient le dernier degré de
la luxure. Je ne sais, Juliette, quel usage vous ferez de ces bizarres
objets, mais je vous réponds que la princesse, mon ami et moi,
nous allons sûrement trouver de grands plaisirs avec eux.
- Il faudra bien que je m'en arrange aussi, répondis-je, et
je puis vous assurer d'avance que vous ne me verrez jamais en arrière
quand il s'agira de débauche et d'incongruités.
Je n'avais pas fini, que le gros dogue, accoutumé sans doute
à ce manège, vint farfouiller sous mes jupes.
- Ah ! voilà Lucifer en train ! dit Olympe en riant. Juliette,
déshabille-toi ; livre tes charmes aux libidineuses caresses
de ce superbe animal, et tu verras combien tu en seras contente.
J'accepte... Et comment une horreur m'eût-elle révoltée,
moi qui, journellement, les recherchais toutes avec tant de soins
? On me place à quatre pattes au milieu de la chambre ; le
dogue tourne, me flaire, lèche, monte sur mes reins, et finit
par m'enconner à merveille, et me décharger dans la
matrice. Mais il arriva quelque chose d'assez singulier : son membre
grossit tellement dans l'opération, qu'il n'essayait de le
retirer qu'en me causant des douleurs énormes. Le drôle
alors voulut recommencer ; on décida que c'était le
plus court : une seconde décharge l'ayant effectivement affaibli,
il se retire après m'avoir deux fois arrosée de son
sperme.
- Tenez, dit Chigi, vous allez voir M. Lucifer me traiter bientôt
comme Juliette. Extrêmement libertin dans ses goûts, ce
charmant animal honore la beauté partout où il la trouve
: il va foutre mon cul avec le même plaisir qu'il vient de baiser
le con de madame, je le parie. Mais je n'imiterai point l'oisiveté
de notre chère amie, et je vais foutre cette chèvre
tout en servant de putain à Lucifer.
Je n'ai jamais rien vu de si bizarre que cette jouissance. Chigi,
avare de son foutre, ne déchargea point ; mais il eut l'air
de prendre de bien grands plaisirs à cette voluptueuse extravagance.
- Regardez-moi, dit Bracciani, je vais vous donner un autre spectacle...
Il se fait enculer par l'eunuque et encule le dindon. Olympe, les
fesses tournées vers lui, tenait entre les cuisses la tête
de l'animal ; elle la coupe au moment où le physicien perd
sa semence.
- Voilà, dit le libertin, le plus délicieux des plaisirs
! On n'imagine pas ce que fait éprouver le resserrement de
l'anus du dindon, quand on lui coupe le cou, positivement à
l'instant de la crise.
- Je ne l'ai jamais essayé, dit Chigi ; mais j'ai si fort entendu
vanter cette manière de foutre, qu'il faut que j'essaie dans
un autre genre... Juliette, me dit-il, tenez cet enfant entre vos
cuisses pendant que je l'enculerai ; puis, au moment où mes
blasphèmes vous annonceront mon délire, vous lui couperez
le cou.
- Bien, dit Olympe, mais en le servant, mon cher, il faut que mon
amie ait du plaisir. Je vais placer l'hermaphrodite sous sa bouche,
et caressant à la fois dans lui les deux sexes, elle lui gamahuchera
tout à tour, et les preuves de sa virilité et celles
de sa féminine existence.
- Attendez, dit Bracciani, la posture peut s'arranger en telle sorte
que je puisse enculer l'hermaphrodite et me faire foutre par l'eunuque,
ayant sous mon nez le cul de la vieille, qui me chiera sur le visage.
- Quelle dépravation ! dit Olympe.
- Madame, dit Bracciani, tout cela s'explique ; il n'est pas un seul
goût, pas un seul penchant, dont on ne puisse dévoiler
la cause.
- Allons, dit Chigi, puisque vous vous enchaînez tous, il faut
que le singe m'encule, pendant que le nain, à cheval sur les
reins du petit garçon, me présentera ses fesses à
baiser.
- Voilà qui va le mieux du monde, dit Olympe ; il n'y a donc
de vacant ici que Lucifer, la chèvre et moi.
- Rien de plus aisé, dit Chigi, que de nous mettre tous en
scène. Que la chèvre et vous se placent près
de moi ; je varierai d'un cul à l'autre, et Lucifer vous sodomisera
quand je n'occuperai pas votre cul ; mais je déchargerai toujours
dans celui du petit garçon, dont Juliette coupera le cou dès
qu'elle me verra pâmer.
Le tableau s'arrange : jamais rien d'aussi monstrueux ne s'était
fait en lubricité ; nous n'en déchargeâmes pas
moins tous ; l'enfant fut décapité très à
point, et nous ne dérangeâmes le tableau que pour faire
l'éloge des divins plaisirs que cette bizarrerie venait de
nous procurer à tous21.
Le reste de la journée se passa en luxures à peu près
semblables. Je fus foutue par le singe ; encore une fois par le dogue,
mais en cul par l'hermaphrodite, par l'eunuque, par les deux Italiens,
par le godemiché d'Olympe. Tout le reste me branla, me lécha,
et je sortis de ces nouvelles et singulières orgies, après
dix heures des plus piquantes jouissances. Un souper délicieux
couronna la fête ; un sacrifice grec y fut célébré
: on y immola toutes les bêtes dont nous avions joui, et la
vieille, liée et garrottée sur le haut de leur bûcher,
y fut brûlée vive avec eux ; l'eunuque et l'hermaphrodite
furent les seuls individus conservés, et nous volâmes
à d'autres plaisirs.
Il y avait cinq mois que j'étais à Rome, sans qu'il
fût encore question de la visite au pape, que les cardinaux
Bernis et Albani m'avaient fait espérer avec la Borghèse,
lorsque je reçus enfin, quelques jours après cette aventure-ci,
un petit billet bien galant de Bernis, qui me prévenait de
me trouver chez lui le lendemain de bonne heure, pour être présentée
à Sa Sainteté qui, quoiqu'elle désirât
depuis longtemps me voir, n'avait pourtant pas pu se satisfaire plus
tôt. On me recommandait la toilette la plus simple, mais, en
même temps, la plus élégante, et point de parfums.
« Braschi, comme Henri IV, m'écrivait le cardinal, veut
que chaque chose sente ce qu'elle doit sentir ; il a l'art en horreur,
et tient à la nature. Il est donc essentiel de vous abstenir
même du bidet. » Obéissante dans tous les points,
je fus, avant dix heures du matin, toute prête, au palais Bernis.
C'était au Vatican que Pie nous attendait.
- Saint-Père, lui dit Bernis en me présentant, voici
la jeune Française que vous avez désirée. Singulièrement
honorée de la faveur que vous lui faites, elle vous promet
de se prêter aveuglément à tout ce qu'il plaira
à Votre Sainteté de lui ordonner.
- Elle ne se repentira point de ses complaisances, dit Braschi. Avant
que de nous livrer aux impuretés dont il s'agit, je suis bien
aise de la voir un peu seule... Sortez, cardinal, et dites aux caméristes
que les portes seront aujourd'hui fermées pour tout le monde.
Bernis se retire et Sa Sainteté, me conduisant par la main,
m'introduit dans d'immenses appartements, jusqu'en un cabinet solitaire,
où le luxe et la mollesse, sous les brunes couleurs de la religion
et de la modestie, offraient néanmoins à la luxure tout
ce qui pouvait le mieux flatter ses penchante. Là, tout se
mêlait indistinctement. Près d'une Thérèse
en extase, on voyait Messaline enculée, et, sous l'image du
Christ, était une Léda...
- Reposez-vous, me dit Braschi. Dans ce lieu, j'oublie les distances,
et, souriant au vice quand il est aussi aimable que vous, je lui permets
de s'asseoir auprès de la vertu.
- Fantôme orgueilleux, répondis-je à ce vieux
despote, l'habitude où tu es de tromper les hommes fait que
tu cherches à te tromper toi-même. Où diable vas-tu
chercher la vertu, quand tu ne me fais venir ici que pour te souiller
de vices ?
- Un homme comme moi ne se souille jamais, ma chère fille,
me répondit le pape. Successeur des disciples de Dieu, les
vertus de l'Éternel m'entourent, et je ne suis pas même
un homme, quand j'adopte un instant leurs défauts.
Après un éclat de rire dont je ne fus pas maîtresse
:
- Évêque de Rome ! m'écriai-je, suspends donc
cette morgue insolente avec une femme assez philosophe pour t'apprécier.
Écoute : et trouve bon que j'analyse un moment avec toi ta
puissance et tes prétentions.
Il se forme dans la Galilée une religion dont les bases sont
la pauvreté, l'égalité et la haine des riches.
Les principes de cette sainte doctrine sont qu'il est aussi impossible
à un riche d'entrer dans le royaume des cieux qu'à un
chameau de passer par le trou d'une aiguille... que le riche est damné,
uniquement parce qu'il est riche. Il est défendu aux disciples
de ce culte, de ne jamais faire aucune provision. Jésus, leur
chef, dit positivement : « Je ne suis pas venu pour être
servi, mais pour servir ; il n'y aura jamais parmi vous ni premier
ni dernier... Celui de vous qui voudra s'agrandir sera abaissé
; celui de vous qui voudra être le premier sera le dernier »22.
Les premiers apôtres de cette religion gagnent leur vie à
la sueur de leur front. Tout cela est-il vrai, Braschi ?
- Oui, certes.
- Eh bien, je te demande maintenant quel rapport il y a entre ces
premières institutions et les immenses richesses que tu te
fais donner dans l'Italie. Est-ce de l'Évangile ou de la fourberie
de tes prédécesseurs que tu possèdes tant de
biens ? Pauvre homme ! et tu crois nous en imposer encore ?
- Athée, respecte au moins le descendant de saint Pierre.
- Tu n'en descendis jamais : jamais saint Pierre ne mit les pieds
dans Rome. Il n'y eut aucun évêque dans les premiers
siècles d'une église qui ne commence à être
connue, à prendre quelque consistance, que vers la fin du second
siècle de notre ère. Comment oserais-tu soutenir que
ce Pierre était à Rome, quand lui-même écrivait
à Babylone23 ?
T'imagines-tu échapper encore à la critique, en disant
que Rome et Babylone étaient la même chose ?... Malheureux
fou ! on ne te croit plus, on te méprise. Mais Pierre fût-il
même ton type ?... Ton prédécesseur ne nous est-il
pas dépeint comme un pauvre qui catéchisait des pauvres
? Conviens, Braschi, qu'il ressemble bien, en ce cas, à ces
fondateurs d'ordres qui vivaient dans l'indigence, et dont les successeurs
nagent dans l'or. Je sais que ceux qui suivirent Pierre ont tantôt
gagné et tantôt perdu ; il n'en est pas moins vrai que
la superstition et la crédulité sont assez grandes pour
qu'il te reste encore trente ou quarante millions de serviteurs sur
la terre. Mais crois-tu que le flambeau de la philosophie ne luira
pas bientôt à leurs yeux ? crois-tu qu'ils consentiront
encore bien longtemps à se donner un maître à
trois ou quatre cents lieues d'eux ? qu'ils voudront encore bien longtemps
ne penser, ne juger, n'agir que d'après toi ? ne tenir leurs
biens qu'à la condition de t'en payer tribut ? n'épouser
qui bon leur semble, que par ton agrément ? Eh ! non, non !
n'imagine pas que leur erreur soit encore longue. Je sais que ces
droits ridicules allaient bien plus loin jadis ; vous étiez
au-dessus des Dieux, car ces Dieux passaient seulement pour pouvoir
disposer des empires, et vous en disposez en effet. Mais je te le
répète, Braschi, tout cela s'éclipse, tout cela
disparaît ; et en effet, mon cher pape, combien ne doit-on pas
être surpris quand on voit à quel point la superstition
peut dénaturer les choses les plus simples ! Conviens qu'on
ne sait alors qui l'on doit le plus admirer, ou de l'aveuglement des
peuples ou de la hardiesse effroyable de ceux qui les trompent. Comment
se peut-il que, d'après les dérèglements dont
vous vous êtes souillés à la face de l'univers,
on puisse encore vous révérer comme vous l'êtes
? et comment peut-il vous rester encore quelques prosélytes
? Ce ne fut que la stupidité des princes et des peuples qui
consolida la grandeur des papes, et qui leur donna l'audace inconcevable
de s'arroger des prétentions aussi contraires à l'esprit
de leur religion que révoltantes à la raison et nuisibles
à la politique. Ceux qui connaissent l'empire de la superstition
doivent être bien étonnés, cependant, de ses succès
; il n'y a point d'écarts, point d'imbécillités
dont la dévotion ne soit susceptible. Quelques motifs politiques
vinrent, d'ailleurs, à l'appui des effets de la superstition.
Pendant la décadence de l'Empire, les chefs, occupés
de guerres dispendieuses et très éloignées, furent
contraints à vous ménager, parce qu'ils vous savaient
en possession de l'esprit du peuple ; en fermant les yeux sur vos
entreprises, ils les dirigèrent, sans s'en douter, vers la
destruction de leur empire. Les hordes barbares adoptèrent
par ignorance le système politique des empereurs, et voilà
comme vous devîntes petit à petit les maîtres d'une
partie des peuples de l'Europe.
Le dépôt des sciences restait dans les mains des moines,
vos dignes défenseurs ; personne ne put éclairer l'univers
; on se soumit à ce qu'on n'entendait pas, et ces guerriers,
qui parcouraient le monde, trouvèrent plus simple de vous rendre
un culte que de vous analyser. L'esprit changea au quinzième
siècle : l'aurore de la philosophie annonça la chute
de la superstition ; les nuages se dissipèrent, on osa vous
regarder en face. Alors on ne vit bientôt plus, en vous et les
vôtres, que des imposteurs et des fourbes : quelques nations,
encore subjuguées par leurs prêtres, vous restent fidèles
; mais le flambeau de la raison luit à la fin pour elles. Ô
mon cher, ton rôle est fini ! Pour hâter l'importante
révolution qui doit renverser à jamais les colonnes
de ton superstitieux empire, qu'on jette les yeux sur l'histoire de
tes prédécesseurs. Je vais l'esquisser aux tiens, Braschi
; mon érudition te fera voir que, puisque les femmes de ma
nation sont instruites à ce point, cette nation dont je suis
fière ne sera pas longtemps à secouer ton joug ridicule.
Que vois-je dans les commencements de ton ère chrétienne
? Des combats, des tumultes, des séditions, des massacres,
uniques fruits de l'avidité et de l'ambition des scélérats
qui prétendaient à ton trône ; déjà
des chars traînaient dans Rome les orgueilleux pontifes de ta
dégoûtante Église ; déjà le luxe
et la lubricité les souillaient ; déjà la pourpre
les enveloppait ; et ce n'est point à tes ennemis que je te
renvoie pour te convaincre des reproches que l'on vous adressait,
c'est aux partisans, aux Pères mêmes de votre Église
; écoute Jérôme et Basile : Quand j'étais
à Rome, dit le premier, je voulus faire entendre le langage
de la pitié et de la vertu ; les Pharisiens entourant le pape
me tourmentèrent ; je quittai les palais de Rome pour retourner
dans la grotte de Jésus. Ainsi vos satellites, entraînés
par la force de la vérité, vous désignaient déjà.
Avec quelle énergie le même Jérôme vous
reproche ailleurs les scandales qu'occasionnaient vos débauches,
vos fourberies, vos intrigues pour tirer de l'argent des riches, pour
vous faire mettre sur le testament des grands, et surtout des dames
de Rome, que vous trompiez après en avoir joui. Te renverrai-je
aux édits des empereurs ? Vois-y avec quelle force ceux de
Valentinien, de Valens et de Gratien cherchaient à réprimer
votre avarice, votre libertinage et votre ambition. Mais suivons notre
esquisse, et peignons à grands traits. Crois-tu, Braschi, crois-tu
qu'on puisse douter de ta sainteté... de ton infaillibilité,
quand on voit :
Un Liberius entraînant, par crainte et par faiblesse, toute
l'Église dans l'arianisme.
Un Grégoire proscrivant les sciences et les arts, parce qu'il
dit que la seule ignorance peut favoriser les absurdités de
sa dégoûtante religion... qui ose porter l'impudence
jusqu'à flatter la reine Brunehaut, ce monstre dont la France
rougit encore aujourd'hui.
Un Étienne VII regardant Formose, son prédécesseur,
comme tellement souillé de crimes, qu'il se soit barbarement
et ridiculement obligé d'imposer un supplice à son cadavre.
Un Sergius, souillé de toutes sortes de débauches, et
toujours conduit par des putains.
Un Jean XI, fils de l'une de ces coquines, et qui vécut lui-même
en inceste réglé avec Marosia, sa mère.
Un Jean XII, magicien idolâtre et faisant servir le temple de
Dieu même à ses plus honteuses débauches.
Un Boniface VII, si empressé de la tiare, qu'il assassine Benoît
VI, pour lui succéder24.
Un Grégoire VII qui, plus despote que tous les rois, les faisait
venir demander grâce à sa porte... qui répandit
des flots de sang en Allemagne, uniquement pour son orgueil et pour
son ambition... qui soutint, en un mot, que tout pape était
infaillible et saint, et qu'il suffisait d'être assis sur la
chaire de Saint Pierre pour être aussi puissant que Dieu même.
Un Pascal II qui, d'après ces abominables principes, ose armer
un empereur contre son propre père.
Un Alexandre III, qui fait ignominieusement fouetter Henri II, roi
d'Angleterre, pour un meurtre que ce prince n'avait jamais commis...
qui promulgue une croisade si sanglante contre les Albigeois.
Un Célestin III, qui, plein d'ambition et de tyrannie, ose
placer avec son pied la couronne sur la tête d'Henri VI, prosterné
devant lui ; renverser ensuite d'un coup de pied cette même
couronne, pour apprendre à l'empereur ce à quoi il devait
s'attendre, s'il manquait au respect qu'il devait au pape.
Un Innocent IV, empoisonneur de l'empereur Frédéric
pendant les guerres interminables des Guelfes et des Gibelins, que
votre orgueil et vos passions occasionnèrent et qui démoralisèrent
si longtemps l'Italie.
Un Clément IV, qui fait trancher la tête à un
jeune prince, pour le seul tort de venir réclamer la succession
de ses pères.
Un Boniface VIII, fameux par ses démêlés avec
les rois de France ; impie, ambitieux, auteur de cette farce sainte
connue sous le nom de jubilé, et dont le seul but est de remplir
les coffres pontificaux25.
Un Clément V, assez scélérat pour avoir fait
empoisonner l'empereur Henri VI dans une hostie.
Un Benoît XII, qui achète à prix d'argent la sur
du célèbre Pétrarque, pour en faire sa maîtresse.
Un Jean XXIII, fameux par ses extravagances... qui condamna comme
hérétiques tous ceux qui soutenaient que Jésus-Christ
avait vécu dans la pauvreté, qui disposa des couronnes,
qui changea le juste en injuste et qui porta la démence au
point d'excommunier les anges.
Un Sixte IV, qui tirait un revenu considérable des bordels
qu'il avait installés dans Rome, qui envoya un drapeau rouge
aux Suisses, en les invitant de s'égorger entre eux, pour la
prospérité de l'Église romaine.
Un Alexandre VI, qu'il suffit de nommer pour exciter contre lui l'indignation
et l'horreur de ceux qui ont quelque idée de son histoire ;
un scélérat enfin, qui n'avait ni probité, ni
honneur, ni bonne foi, ni pitié, ni religion et dont les débauches
libidineuses, les cruautés, les empoisonnements, surpassent
tout ce que Suétone nous rapporte de Tibère, de Néron,
de Caligula ; un libertin, en un mot, qui coucha avec Lucrèce,
sa fille26, qui se plaisait à faire courir à quatre
pattes cinquante putains toutes nues, pour s'échauffer l'imagination
par les différentes postures qu'elles étaient obligées
de prendre ainsi.
Un Léon X, qui, pour réparer les dépravations
de ses prédécesseurs, imagina de vendre des indulgences,
et, néanmoins incrédule, au point qu'il répondit
au cardinal Bembo, son ami, qui lui citait un passage de l'Écriture
: Eh ! que diable venez-vous me dire ici, avec vos fables de Jésus-Christ
?
Un Jules III, vrai sardanapale, qui porta l'impudence au point d'élever
son bardache au cardinalat ; qui, nu un jour dans sa chambre, obligea
les cardinaux qui y entraient de se mettre de même, en leur
disant : « Mes amis, si nous courions ainsi les rues de Rome,
on ne nous révérerait pas tant. Or, si nos habits seuls
inspirent du respect, ce n'est donc qu'à eux que nous avons
l'obligation d'être quelque chose. »
Un Pie V, révéré comme un saint, fanatique, cruel,
qui fut la cause de toutes les persécutions exercées
en France contre les protestants ; instigateur des férocités
du duc d'Albe ; assassin de Paléario, dont le seul crime était
d'avoir dit que l'Inquisition avait un poignard destiné à
frapper les gens de lettres ; et qui prétendait enfin n'avoir
jamais autant désespéré de son salut que lorsqu'il
était pape.
Un Grégoire XIII, affreux panégyriste de la Saint-Barthélemy,
et qui, par des lettres particulières, félicita Charles
IX de ce qu'il avait tiré lui-même sur les protestants.
Un Sixte Quint, qui déclara qu'on pouvait s'enculer tant qu'on
voudrait, à Rome, pendant la canicule, et qui n'établit
l'ordre et la police, dans cette grande ville, qu'en l'inondant de
sang.
Un Clément VII, auteur de la fameuse conspiration des poudres.
Un Paul V, qui fit la guerre à Venise, parce qu'un magistrat
civil avait voulu punir un moine d'avoir violé et assassiné
une fille de douze ans.
Un Grégoire XV, écrivant à Louis XIII : «
Égorgez, assassinez tous ceux qui me méconnaissent.
»
Un Urbain VIII, coopérateur des massacres d'Irlande, où
périrent cent cinquante mille protestants, etc., etc.
Les voilà, mon ami, les voilà ceux qui t'ont précédé
! Et tu ne veux pas que nous concevions une juste horreur pour les
chefs insolents ou corrompus d'une pareille secte ? Ah ! puissent
tous les peuples se détromper bientôt sur le compte de
ces idoles papales qui, jusqu'ici, ne leur ont procuré que
des troubles, de l'indigence et des malheurs ! Que tous les peuples
de la terre, frémissant des effets terribles causés
depuis tant de siècles par de pareils scélérats,
s'empressent de détrôner celui qui leur succède,
et de culbuter en même temps la religion stupide et barbare,
idolâtre, sanguinaire, impie, qui put les admettre ou les ériger
un instant !
Pie VI, qui m'avait écoutée très attentivement,
me regarda dès que j'eus fini, avec la plus extrême surprise.
- Braschi, lui dis-je, tu t'étonnes de me trouver si savante
; sache que c'est ainsi, maintenant, qu'on élève tous
les enfants de ma patrie : ils sont évanouis, les siècles
d'erreur. Prends donc ton parti, vieux despote, brise ta croix, brûle
tes hosties, foule tes images et tes reliques aux pieds : après
avoir dégagé les peuples du serment de fidélité
envers leurs souverains, dégage les tiens, maintenant, des
erreurs où tu les tenais plongés. Crois-moi, descends
de ton trône, si tu ne veux pas être enseveli sous ses
ruines : il vaut mieux céder la place au plus fort, que de
le voir s'en emparer malgré toi. L'opinion règle tout
dans le monde ; elle change sur ton compte et sur celui de toutes
tes mômeries : varie comme elle. Quand la faux est levée,
il est plus prudent de détourner la tête, que d'attendre
le coup. Tu as de quoi vivre, redeviens bourgeois de Rome. Change
le costume funèbre de toute cette canaille enfroquée
qui t'entoure, licencie tes moines, ouvre tes cloîtres, rends
à tes religieuses la liberté de se marier, n'enterre
pas le germe de cent générations. L'Europe étonnée
t'admirera, ton nom se tracera sur les colonnes des temples de mémoire,
dont tu n'approcheras jamais si tu ne changes bientôt le triste
honneur d'être pape, contre celui, bien autrement précieux,
d'être philosophe.
- Juliette, me dit Braschi, on m'avait bien dit que tu avais de l'esprit,
mais je ne t'en croyais pas autant ; un tel degré d'élévation
dans les idées est extrêmement rare chez une femme. Je
vois bien que ce n'est pas avec toi qu'il faut feindre ; j'ôte
le masque : vois l'homme, vois celui qui veut jouir de toi à
tel prix que ce puisse être.
- Écoute-moi, vieux singe, répondis-je, je ne suis pas
venue ici pour jouer la vestale, et, puisque j'ai tant fait que de
me laisser conduire dans les appartements les plus mystérieux
de ton palais, tu dois être bien sûr que je n'ai pas envie
de te résister ; mais au lieu d'avoir en moi une femme aimable,
une femme ardente, prévenant tes goûts, les aimant, tu
n'auras qu'une froide idole, si tu ne consens pas aux quatre choses
que je vais exiger de toi.
J'exige d'abord, pour première marque de confiance, que tu
me donnes les clefs de tes chambres les plus secrètes ; je
veux visiter tout, je ne veux pas qu'il y ait un seul cabinet qui
m'échappe.
La seconde chose que je désire est une dissertation philosophique
sur le meurtre : je me suis souvent souillée de cette action,
je veux savoir à quoi m'en tenir sur elle. Ce que tu vas me
dire fixera pour toujours ma façon de penser ; non que je croie
à ton infaillibilité, mais j'ai confiance aux études
que tu as dû faire, et me connaissant philosophe, je suis sûre
que tu n'oseras me tromper.
Ma troisième condition est que, pour me convaincre du profond
mépris dans lequel doivent être à tes yeux toutes
les mômeries sacrées du culte chrétien, tu ne
jouiras de moi que sur l'autel de saint Pierre, après avoir
fait célébrer, par tes chapelains, la messe sur le cul
d'un bardache, et m'avoir enfoncé dans l'anus, avec ton vit
sacré, le petit Dieu de pain résultant de cet abominable
sacrifice. J'ai fait cent fois toutes ces folies-là, mais je
bande à te les voir faire, et tu ne me toucheras jamais sans
cela.
La quatrième clause est que tu me donneras, dans quelques jours,
un grand souper avec Albani, Bernis et mon amie Borghèse, que
tu feras éclater dans ce souper plus de luxure et de libertinage
que n'en affichèrent jamais tes prédécesseurs
: je veux que ce repas l'emporte mille fois en infamies, sur celui
qu'Alexandre VI fit servir à Lucrèce, sa fille.
- Assurément, dit Braschi, voilà d'étranges conditions
!
- Ou de tes jours tu ne me posséderas, ou tu les accepteras
toutes.
- Songes-tu que tu es à ma disposition ici, et que d'un mot...
- Je sais que tu es un tyran, que tu es un scélérat
: tu n'occuperais pas la place où tu es, sans ces qualités
; mais comme je suis aussi coquine que toi, tu me respectes, tu m'aimes
; tu es bien aise de voir jusqu'à quel point la scélératesse,
en tout genre, peut maîtriser, peut remplir l'esprit d'une femme
; à ce titre puissant, Braschi, tu m'aimeras... tu me satisferas.
- Ô Juliette ! me dit Pie VI en m'embrassant, tu es une fort
singulière créature ; ton ascendant l'emporte, je serai
ton esclave ; avec la tête que tu me montres, j'attends de toi
les plus piquants plaisirs... Tiens, voilà mes clefs... visite...
je te livre tout ; après les faveurs que j'attends de toi,
je te promets la dissertation dont tu es curieuse. Tu peux compter
sur le souper que tu me demandes, et, cette nuit même, la profanation
que tu exiges aura lieu. Je n'ajoute pas plus de foi que toi à
toutes ces mômeries spirituelles, mon ange : mais tu connais
l'obligation où nous sommes d'en imposer aux faibles. Je suis
comme le charlatan qui distribue ses drogues : il faut bien que j'aie
l'air d'y croire, si je veux les vendre.
- Voilà bien qui prouve que tu es un coquin, dis-je, en interrompant
Braschi ; si tu étais honnête, tu aimerais mieux éclairer
les hommes que de les tromper ; tu déchirerais le bandeau qui
couvre leurs yeux, au lieu de l'épaissir.
- Mais je mourrais de faim !
- Et quelle nécessité y a-t-il que tu vives ? est-il
donc urgent, pour que tu digères, que cinquante millions d'hommes
soient dans l'erreur ?
- Oui, parce que mon existence est tout pour moi, et que ces cinquante
millions d'hommes ne me sont rien... parce que la première
des lois de la nature est de se conserver... n'importe aux dépens
de qui.
- Tu es démasqué, pontife, c'était tout ce que
je voulais. Donnons-nous donc la main, puisque nous voilà tous
deux aussi fripons l'un que l'autre, et que, désormais, entre
nous, il n'y ait plus rien de caché.
- J'y consens, dit le pape, ne nous occupons que de plaisirs.
- Eh bien, répondis-je, commence d'abord par acquitter l'une
de tes promesses ; charge un guide de toutes les clefs de ce palais,
je veux tout voir.
- Je serai ce guide moi-même, dit Braschi... Cette superbe maison,
me dit-il, à mesure que nous avancions, est bâtie sur
l'emplacement de celle où Néron s'amusait à illuminer
ses jardins avec les corps des premiers chrétiens ; il les
plaçait de distance en distance, pour lui servir de pots à
feu27.
- Oh ! mon ami, interrompis-je, j'étais digne de ce spectacle
; j'aurais bien voulu l'observer ; ma haine pour ta secte infâme
me l'eût rendu bien doux à considérer.
- N'oublie donc pas, friponne, me dit le Saint-Père, que tu
parles au chef de cette religion...
- Il ne l'aime pas plus que moi, répondis-je, il l'apprécie
à sa juste valeur ; l'estime qu'il a pour elle n'est assise
que sur les revenus qu'il en recueille. Eh ! mon ami, si tu étais
le maître, tu traiterais de même les ennemis de cette
religion qui t'engraisse.
- Assurément, Juliette : l'intolérance est la première
loi de l'Église ; sans le rigorisme le plus outré, ses
temples seraient bientôt détruits ; il faut que le glaive
frappe, quand la loi n'agit plus.
- Ô Braschi ! que tu es despote !
- Comment veux-tu que les princes règnent sans le despotisme
? Leur pouvoir n'est que dans l'opinion : qu'elle change, et ils sont
perdus. Leur unique moyen, pour la fixer, consiste donc à effrayer
les âmes, à placer sur les yeux le bandeau de l'erreur,
afin que les pygmées paraissent des géants.
- Braschi, les peuples s'éclairent ; tous les tyrans périront
bientôt, et les sceptres qu'ils tiennent, et les fers qu'ils
imposent, tout se brisera devant les autels de la liberté,
comme le cèdre ploie sous l'aquilon qui le ballotte. Il y a
trop longtemps que le despotisme avilit leurs droits ; il faut qu'ils
les reprennent, il faut qu'une révolution générale
embrase l'Europe entière, et que les hochets de la religion
et du trône, ensevelis pour ne plus reparaître, laissent
incessamment à leur place, et l'énergie des deux Brutus,
et les vertus des deux Catons.
Nous marchions toujours.
- Ce n'est pas une petite besogne que de parcourir le palais, me dit
Braschi ; il contient quatre mille quatre cent vingt-deux chambres,
vingt-deux cours, et d'immenses jardins. Commençons par voir
ceci, me dit le pape en me menant dans une galerie qui est au-dessus
du vestibule de l'église de saint Pierre. D'ici, dit le pontife,
je répands mes bénédictions sur l'univers...
d'ici j'excommunie les rois... je dégage les peuples du serment
de fidélité qu'ils doivent à leur prince.
- Méprisable farceur, répondis-je avec force, ton théâtre
est bien chancelant, fondé sur l'absurdité des nations
de la terre ! La philosophie va l'anéantir.
Nous passâmes de là dans la célèbre galerie.
Aucune pièce, en Europe, n'est aussi longue que celle-là,
pas même la galerie du Louvre ; aucune, sans doute, ne renferme
d'aussi beaux morceaux de peinture. En admirant le Saint Pierre aux
trois clés qui termine cette superbe pièce :
- Pontife, dis-je à Braschi, voilà donc encore un monument
de ton orgueil ?
- C'est un emblème de la puissance sans bornes, me répondit
le pape, que s'attribuèrent Grégoire VII et Boniface
VIII.
- Saint-Père, dis-je au vieil évêque, change ces
emblèmes, mets un fouet dans la main de ton portier, place
ton vieux cul pour en recevoir les coups : tu auras le mérite
d'une prédiction.
Nous passâmes, de là, dans une bibliothèque construite
dans la forme d'un T. On voit beaucoup d'armoires dans cette bibliothèque,
mais peu de livres.
- Tout est faux chez toi, dis-je à Braschi ; vous fermez la
moitié de ces rayons, pour qu'on ne se doute pas qu'ils sont
vides. Le désir d'en imposer et de tromper les hommes est votre
devise partout.
Je vis avec plaisir, dans cet asile des Muses, un manuscrit de Térence,
où les masques servant aux acteurs comiques sont dessinés
à la tête de chaque pièce. J'y distinguai de même,
avec satisfaction, les lettres originales d'Henri VIII à Anne
de Boleyn, sa fille, dont il était amoureux, et qu'il épousa
malgré le pape ; mémorable époque de la réforme
d'Angleterre.
Nous traversâmes de là les jardins, où je vis
les plus belles plantations d'orangers, les plus agréables
bosquets de myrte, les eaux les plus fraîches et les plus jaillissantes.
- L'autre partie de ce palais où nous allons aboutir, me dit
le Saint-Père, sert de logement à quelques objets de
luxure de l'un et de l'autre sexe, que j'y tiens enfermés ;
ils paraîtront au souper que je t'ai promis ; poursuivons.
- Ah ! Braschi, dis-je avec enthousiasme, tu tiens donc des objets
en cage !... et je me flatte au moins que tu leur rends un peu la
vie dure... Fouettes-tu ?
- Il faut bien en venir là, quand on est vieux, me dit l'honnête
Braschi ; c'est la plus douce jouissance des gens de mon âge,
et c'est, en vérité, la meilleure.
- Si tu fouettes, tu es cruel : la fustigation, chez un libertin,
n'est que l'élan de sa férocité ; c'est pour
lui donner quelque issue qu'il en vient là ; il ferait autre
chose s'il osait.
- Eh bien ! j'ose, me dit plaisamment le Saint-Père, oui, j'ose
quelquefois, tu le verras, Juliette, tu le verras.
- Mon ami, dis-je au pape, il me reste tee trésors à
examiner. Tu dois avoir de l'or, je sais que tu es avare ; je le suis
aussi ; il n'est rien dans le monde que j'aime autant que l'or : je
veux nager une minute avec toi sur des monceaux de ce métal.
- Nous ne sommes pas loin du lieu qui le recèle, me dit le
pape, en me conduisant à travers un corridor obscur, près
d'une petite porte de fer qu'il ouvrit. Voilà vraiment tout
ce que possède le Saint-Siège, continua mon guide en
me faisant entrer dans une petite salle voûtée, au milieu
de laquelle il pouvait y avoir tant en écus qu'en sequins,
cinquante à soixante millions tout au plus. J'ai plus dépensé
que je n'y ai mis. Sixte Quint fut le premier qui forma ce trésor,
fondé sur la stupidité des chrétiens.
- Dès que votre couronne n'est point héréditaire,
dis-je, vous êtes bien dupes d'amasser ainsi ; il y aurait longtemps
qu'à votre place, j'aurais dilapidé toutes les finances.
Enrichissez vos amis, multipliez vos plaisirs, ne vous refusez aucune
jouissance : cela vaudra bien mieux que de laisser accumuler ces sommes
pour les conquérants, car vous serez subjugués. Pontife,
je vous le prédis, quelques nations libres et dégagées
du frein monarchique s'empareront de vous, et vous êtes, j'ose
vous l'assurer, le dernier pape de l'Église romaine. Quoi qu'il
en soit, combien peut-on prendre ici ?
- Mille sequins.
- Vieux jean-foutre, répondis-je, voilà une balance
; pèse-moi quand mes poches en seront pleines, et songe que
je veux en emporter trois fois ma pesanteur : il t'appartient bien
de régler à si bas prix le mérite d'une femme
comme moi.
Et, en disant cela, je remplissais mes poches.
- Renonce à ce calcul, dit Braschi, il serait inexécutable
; tiens, voilà un bon de dix mille sequins, payable à
vue sur mon trésorier.
- Un tel acte de générosité me touche peu ; c'est
de l'argent que tu places sur Vénus, je ne t'en sais pas le
moindre gré...
Et au sortir de cette chambre, je n'en pris pas moins, ainsi que je
l'avais projeté, l'empreinte de la serrure avec de la cire
; Braschi ne se douta de rien, et nous repassâmes dans l'appartement
où il m'avait reçue.
- Juliette, me dit-il alors, quoiqu'il n'y ait encore qu'une seule
condition de remplie, tu dois, ce me semble, être contente de
moi ; voyons maintenant si je le serai de tes complaisances.
Et le paillard, en même temps, dénoue les cordons de
mes jupes28.
- Mais, dis-je, et le reste ?
- Puisque j'ai tenu parole sur le premier article, crois, Juliette,
que j'exécuterai de même tous les autres...
Et le vieux paillard me tenait déjà à sa disposition
; j'étais courbée sur un sofa, tandis qu'un genou en
terre, le drôle, tout à l'aise, examinait à loisir
cette partie qui paraissait l'intéresser autant.
- Il est superbe ! s'écria-t-il ; Albani m'en avait dit du
bien, mais je ne croyais pas à ce degré de supériorité...
Insensiblement, les baisers du pontife devinrent plus ardents : sa
langue pénétra dans l'intérieur, et je vis qu'une
de ses mains se portait vers la région de sa débile
humanité. Je brûlais de voir le vit du pape : je me retourne,
mais je n'aperçois rien.
- Si, dis-je, vous vouliez vous déranger un instant, nous prendrions
une attitude plus commode, je pourrais faciliter vos projets, sans
détourner en rien votre hommage.
Puis, l'aidant à se coucher lui-même sur l'ottomane,
j'approchai mes fesses de son visage, et lui branlai le vit en me
courbant, pendant que la main qui ne s'employait pas à cette
besogne, s'égarant sur ses fesses, travaillait à lui
chatouiller l'anus. Ces diverses occupations me mirent à même
d'analyser le Saint-Père et je vais le peindre de mon mieux.
Braschi a de l'embonpoint, ses fesses sont grasses, fermes et potelées,
mais tellement dures et calleuses, par l'habitude où il est
de recevoir le fouet, que les pointes d'une aiguille n'y pénétreraient
pas plus que sur une peau de chien de mer ; le trou de son cul est
prodigieusement large (et comment cela ne serait-il pas, avec l'habitude
où il est de se faire foutre vingt-cinq ou trente coups par
jour ?) ; son vit, une fois en l'air, n'est pas sans beauté,
il est sec, nerveux, bien décalotté, et peut avoir huit
pouces de long, sur six de circonférence. Il ne fut pas plus
tôt dressé, que les passions papales s'exprimèrent
avec énergie : comme il avait le visage collé sur mes
fesses, ses dents se firent sentir et ses ongles leur succédèrent.
Tant que ce ne fut qu'un jeu, je ne dis mot, mais le Saint-Père
s'oubliant, je me retournai :
- Braschi, lui dis-je, je consens au rôle de complice avec toi,
mais je n'aime pas celui de victime.
- Quand je bande et que je paie, me répondit le pape, j'observe
peu toutes ces différences... Eh bien ! chie... chie... Juliette,
cela me calmera ; j'idolâtre la merde, et ma décharge
est sûre si tu veux m'en donner...
Je me replace ; ayant la possibilité d'obéir, je le
fais ; le vit pontifical se durcit à tel point que je crois
qu'il va décharger.
- Viens, prête-toi, continue le pourceau, il faut que je t'encule...
- Non, non, dis-je, tu perdrais ta vigueur, nos orgies nocturnes s'en
ressentiraient.
- Tu te trompes, dit le pape tenant mon cul toujours en arrêt,
je fous souvent trente ou quarante culs sans perdre mon sperme...
Présente-toi, te dis-je, il faut que je t'encule.
Comme je n'avais point d'obstacles à opposer, que ne pût
franchir l'état où je le voyais, j'offris mon cul ;
Braschi l'enfila sans préparation. Ce froissement mêlé
de douleur et de plaisir, l'irritation morale résultant de
l'idée de tenir dans mon cul le vit du pape, tout me détermine
bientôt au plaisir ; je décharge. Mon bougre, qui s'en
aperçoit, me serre avec ardeur, il me baise, il me branle.
Mais, entièrement maître de ses passions, le paillard
ne fait que les irriter sans leur permettre aucune issue ; il se retire
au bout d'un quart d'heure.
- Tu es délicieuse, me dit-il, je n'ai jamais foutu de cul
plus voluptueux. Soupons ; je vais donner des ordres pour l'exécution
de la scène que tu désires sur l'autel même de
saint Pierre ; une galerie de ce palais conduit à l'église,
nous y passerons en sortant de table.
Braschi soupa en tête à tête avec moi, et pendant
ce repas nous fîmes cent extravagances. Peu d'individus dans
le monde sont aussi luxurieux que Braschi ; il n'en est point qui
entende mieux toutes les recherches de la débauche. Il fallait
souvent que je triturasses les aliments qu'il voulait manger ; je
les humectais de ma salive, et les lui passais dans la bouche ; la
mienne se rinçait des vins qu'il voulait boire ; il m'en seringuait
quelquefois dans le cul, et il l'avalait ; si par hasard il s'y mêlait
quelques étrons, il était aux nues.
- Ô Braschi ! m'écriai-je dans un moment de vérité,
que diraient les hommes auxquels tu en imposes, s'ils te voyaient
au milieu de ces turpitudes !
- Ils me rendraient le mépris que j'ai pour eux, me dit Braschi,
et malgré leur orgueil, ils conviendraient de leur absurdité.
Qu'importe, continuons de les aveugler : le règne de l'erreur
ne sera pas long, il faut en jouir.
- Eh ! oui, oui, m'écriai-je, trompons les hommes, c'est un
des plus grands services à leur rendre... Braschi, immolerons-nous
quelques victimes au temple où nous devons aller ?
- Assurément, me dit le Saint-Père, il faut que le sang
coule pour que les orgies soient bonnes. Assis sur le trône
de Tibère, je l'imite dans mes voluptés ; et je ne connais
pas, à son exemple, de décharge plus délicieuse
que celle dont les soupirs se mêlent aux accents plaintifs de
la mort.
- Te livres-tu souvent à ces excès ?
- Il n'est guère de jours où je ne m'y plonge, ô
Juliette ! il n'en est point où je ne me souille de sang...
- Mais, d'où vient donc ce goût monstrueux ?
- De la nature, mon enfant. Le meurtre est une de ses lois ; chaque
fois qu'elle en éprouve le besoin, elle nous en inspire le
goût, et nous obéissons involontairement. J'emploierai
bientôt des arguments plus vigoureux pour te prouver la nullité
de ce prétendu crime ; si tu le désires, je le ferai.
Les philosophes ordinaires ont soumis l'homme à la nature pour
s'accommoder aux idées reçues : prenant un vol plus
rapide, je te prouverai, quand tu voudras, qu'il n'en dépend
nullement.
- Mon ami, répondis-je, je te somme de ta promesse : cette
dissertation, tu le sais, est une des clauses de notre pacte, remplis-la,
nous en avons le temps.
- J'y consens, dit le philosophe mitré, écoute-moi :
cela demande la plus grande attention.
De toutes les extravagances où l'orgueil de l'homme dût
le conduire, la plus absurde, sans doute, fut le cas précieux
qu'il osa faire de son individu. Entouré de créatures
qui valaient autant et plus que lui, il se crut permis d'attenter
impunément aux jours de ces êtres qu'il s'imaginait lui
être subordonnés, et n'imagina qu'aucune peine, qu'aucun
supplice pût laver le crime de celui qui attenterait aux siens.
A la première folie où ce même orgueil l'avait
entraîné, à cette stupidité révoltante
de se croire sorti d'une divinité, de se supposer une âme
immortelle, ouvrage céleste de cette main savante, à
cet aveuglement atroce, il devait, sans doute, ajouter celui de se
croire sans prix sur la terre. Eh ! comment, en effet, l'uvre
chérie d'une divinité bienfaisante, comment le favori
du ciel aurait-il pu ne pas penser ainsi : les peines les plus rigoureuses
devaient être incontestablement décernées contre
le destructeur d'une aussi belle machine. Cette machine était
sacrée ; une âme, image brillante d'une divinité
plus brillante encore, animait cette machine, dont la désorganisation
devait être le crime le plus affreux qui pût se commettre.
Et, tout en raisonnant ainsi, il mettait à sa broche pour assouvir
sa gourmandise, il faisait bouillir dans un pot pour apaiser sa faim,
ce mouton paisible et tranquille, créature formée par
la même main que lui, et sur laquelle il ne l'emportait que
par une construction différente. Avec un peu d'étude
pourtant, il se fût beaucoup moins estimé ; un coup d'il
plus philosophique sur cette nature qu'il méconnaissait lui
aurait fait voir que, faible et infirme production des mains de cette
mère aveugle, il ressemblait à toutes les autres créatures,
qu'il était invinciblement lié à toutes les autres,
nécessité comme toutes les autres et, d'après
cela, nullement fait pour s'estimer davantage.
Aucun être, ici-bas, n'est exprès formé par la
nature, aucun n'est fait à dessein par elle ; tous sont les
résultats de ses lois et de ses opérations, en telle
sorte que, dans un monde construit comme le nôtre, il devait
nécessairement y avoir des créatures comme celles que
nous y voyons ; de même qu'il en est sans doute de très
différents dans un autre globe, dans cette fourmilière
de globes dont l'espace est rempli. Mais ces créatures ne sont
ni bonnes, ni belles, ni précieuses, ni créées
: elles sont l'écume, elles sont le résultat des lois
aveugles de la nature, elles sont comme les vapeurs qui s'élèvent
de la liqueur raréfiée dans un vase par le feu, dont
l'action chasse de l'eau les parties d'air que cette eau contient.
Elle n'est pas créée, cette vapeur, elle est résultative,
elle est hétérogène, elle tire son existence
d'un élément étranger, et n'a par elle-même
aucun prix ; elle peut être ou ne pas être, sans que l'élément
dont elle émane en souffre ; elle ne doit rien à cet
élément, et cet élément ne lui doit rien.
Qu'une autre vibration, différente de celle de la chaleur,
vienne modifier cet élément, il existera toujours sous
sa nouvelle modification, et cette vapeur, qui devenait son résultat
sous la première, ne le sera plus sous la seconde. Que la nature
se trouve soumise à d'autres lois, ces créatures qui
résultent des lois actuelles n'existeront plus sous les lois
nouvelles, et la nature existera pourtant toujours, quoique par des
lois différentes. Les rapports de l'homme à la nature,
ou de la nature à l'homme, sont donc nuls ; la nature ne peut
enchaîner l'homme par aucune loi ; l'homme ne dépend
en rien de la nature ; ils ne doivent rien l'un à l'autre et
ne peuvent ni s'offenser, ni se servir ; l'un a produit malgré
soi : de ce moment, aucun rapport réel ; l'autre est produit
malgré lui, et, conséquemment, nul rapport. Une fois
lancé, l'homme ne tient plus à la nature ; une fois
que la nature a lancé, elle ne peut plus rien sur l'homme ;
toutes ses lois sont particulières. Par le premier élancement,
l'homme reçoit des lois directes dont il ne peut plus s'écarter
; ces lois sont celles de sa conservation personnelle... de sa multiplication,
lois qui tiennent à lui... qui dépendent de lui, mais
qui ne sont nullement nécessaires à la nature ; car
il ne tient plus à la nature, il en est séparé.
Il en est entièrement distinct, tellement, qu'il n'est point
utile à sa marche... point nécessaire à ses combinaisons,
qu'il pourrait ou quadrupler son espèce, ou l'anéantir
totalement, sans que l'univers en éprouvât la plus légère
altération. S'il se détruit, il a tort, toujours d'après
lui. Mais aux yeux de la nature, tout cela change. S'il se multiplie,
il a tort, car il enlève à la nature l'honneur d'un
phénomène nouveau, le résultat de ses lois étant
nécessairement des créatures. Si celles qui sont lancées
ne se propageaient point, elle lancerait de nouveaux êtres,
et jouirait d'une faculté qu'elle n'a plus. Non qu'elle ne
puisse l'avoir encore si elle le voulait, mais elle ne fait jamais
rien d'inutile, et tant que les premiers êtres lancés
se propagent par les facultés qu'ils ont en eux-mêmes,
elle ne propage plus : notre multiplication, qui ne se trouve plus
qu'une des lois inhérentes à nous seuls, nuit donc décidément
aux phénomènes dont la nature est capable. Ainsi, ce
que nous regardons comme des vertus devient donc des crimes à
ses yeux. Au contraire, si les créatures se détruisent,
elles ont raison, eu égard à la nature, car alors elles
cessent d'user d'une faculté reçue, mais non pas d'une
loi imposée, et remettent la nature dans la nécessité
de développer une de ses plus belles facultés, qu'elle
tient enchaînée par l'inutilité dont elle devient.
Vous objecterez peut-être à cela que si cette possibilité
de se propager, qu'elle a laissée à ses créatures,
lui nuisait, elle ne la lui aurait pas donnée... Mais observez
donc qu'elle n'est pas maîtresse, qu'elle est la première
esclave de ses lois... qu'elle est enchaînée par ses
lois, qu'elle n'y peut rien changer, qu'une de ses lois est l'élan
des créatures une
fois fait, et la possibilité à ces créatures
lancées de se propager. Mais que si ces créatures ne
se propageaient plus, ou se détruisaient, la nature rentrerait
alors dans de premiers droits qui ne seraient plus combattus par rien,
au lieu qu'en propageant ou en ne détruisant pas, nous la lions
à ses lois secondaires, et la privons de sa plus active puissance.
Ainsi, toutes les lois que nous avons faites, soit pour encourager
la population, soit pour punir la destruction, contrarient nécessairement
toutes les siennes : et toutes les fois que nous nous prêtons
à ces lois, nous choquons directement ses désirs ; mais,
au contraire, chaque fois, ou que nous nous refusons opiniâtrement
à cette propagation qu'elle abhorre, ou que nous coopérons
à ces meurtres qui la délectent et qui la servent, nous
devenons sûrs de lui plaire... certains d'agir d'après
ses vues. Eh ! ne nous prouve-t-elle pas à quel point notre
multiplication la gêne... comme elle aurait envie de s'échapper
encore une fois, en la détruisant ?... Ne nous le prouve-t-elle
point par les fléaux dont elle nous écrase sans cesse,
par les divisions, par les zizanies qu'elle sème entre nous...
par ce penchant au meurtre qu'elle nous inspire à tout instant.
Ces guerres, ces famines, dont elle nous accable ; ces pestes, qu'elle
envoie de temps en temps sur le globe, afin de nous détruire
; ces scélérats qu'elle multiplie, ces Alexandre, ces
Tamerlan, ces Gengis, tous ces héros qui dévastent la
terre ; tout cela, dis-je, ne nous prouve-t-il pas d'une manière
invincible que toutes nos lois sont contraires aux siennes, et qu'elle
ne tend qu'à les détruire ? Aussi ces meurtres que nos
lois punissent avec tant de rigueur, ces meurtres que nous supposons
être le plus grand outrage que l'on puisse lui faire, non seulement,
comme vous le voyez, ne lui font aucun tort et ne peuvent lui en faire
aucun, mais deviennent même, en quelque façon, utiles
à ses vues, puisque nous la voyons les imiter si souvent, et
qu'il est bien sûr qu'elle ne le fait que parce qu'elle désirait
l'anéantissement total des créatures lancées,
afin de jouir de la faculté qu'elle a d'en relancer de nouvelles.
Le plus grand scélérat de la terre, le meurtrier le
plus abominable, le plus féroce, le plus barbare, n'est donc
que l'organe de ses lois... que le mobile de ses volontés,
et le plus sûr agent de ses caprices.
Allons plus loin. Ce meurtrier croit qu'il détruit, il croit
qu'il absorbe, et, de là naissent quelquefois ses remords :
tranquillisons-le donc totalement sur cela, et si le système
que je viens de développer n'est pas encore à sa portée,
prouvons-lui, par des faits se passant sous ses yeux, qu'il n'a pas
même l'honneur de détruire ; que l'anéantissement
dont il se flatte quand il est sain, ou dont il frémit quand
il est malade, est entièrement nul, et qu'il lui est malheureuse.
ment impossible d'y réussir.
La chaîne invisible qui lie tous les êtres physiques,
cette dépendance absolue des trois règnes entre eux,
prouve que tous trois sont dans le même cas, eu égard
à la nature, que tous trois sont résultatifs de ses
premières lois, mais ni créés, ni nécessaires.
Les lois de ces règnes sont égales entre elles. Ils
se reproduisent et se détruisent machinalement tous les trois,
parce que tous trois sont composés des mômes éléments,
qui tantôt se combinent d'une façon, tantôt d'une
autre ; mais ces lois sont indépendantes de celles de la nature
; elle n'a agi qu'une fois sur eux, elles les a lancés ; depuis
qu'ils le sont, ils ont agi par eux-mêmes ; ils ont agi par
les lois qui leur étaient propres, dont la première
était une métempsycose perpétuelle, une variation,
une mutation perpétuelle entre eux.
Le principe de la vie, dans tous les êtres, n'est autre que
celui de la mort ; nous les recevons et les nourrissons dans nous,
tous deux à la fois. A cet instant que nous appelons mort,
tout paraît se dissoudre ; nous le croyons, par l'excessive
différence qui se trouve alors entre cette portion de matière,
qui ne paraît plus animée ; mais cette mort n'est qu'imaginaire,
elle n'existe que figurativement et sans aucune réalité.
La matière, privée de cette autre portion subtile de
matière qui lui communiquait le mouvement, ne se détruit
pas pour cela ; elle ne fait que changer de forme, elle se corrompt,
et voilà déjà une preuve de mouvement qu'elle
conserve ; elle fournit des sucs à la terre, la fertilise,
et sert à la régénération des autres règnes,
comme à la sienne. Il n'y a enfin nulle différence essentielle
entre cette première vie que nous recevons, et cette seconde
qui est celle que nous appelons mort. Car la première se fait
par la formation de la matière qui s'organise dans la matrice
de la femelle, et la seconde est, de même, de la matière
qui se renouvelle et se réorganise dans les entrailles de la
terre. Ainsi, cette matière éteinte redevient elle-même,
dans sa nouvelle matrice, le germe des particules de matière
éthérée, qui seraient restées dans leur
apparente inertie, sans elle. Et voilà toute la science des
lois de ces trois règnes, lois indépendantes de la nature,
lois qu'ils ont reçues, dès leur premier échappement,
lois qui contraignent la volonté qu'aurait cette nature de
produire de nouveaux jets : voilà les seuls moyens par lesquels
s'opèrent les lois inhérentes à ces règnes.
La première génération, que nous appelons vie,
nous est une espèce d'exemple. Ces lois ne parviennent à
cette première génération que par l'épuisement
; elles ne parviennent à l'autre que par la destruction. Il
faut, à la première, une espèce de matière
corrompue, à la seconde, de la matière putréfiée.
Et voilà la seule cause de cette immensité de créations
successives : elles ne sont, dans les unes et dans les autres, que
ces premiers principes d'épuisement ou d'anéantissement,
ce qui vous fait voir que la mort est aussi nécessaire que
la vie, qu'il n'y a point de mort, et que tous les fléaux dont
nous venons de parler, la cruauté des tyrans, les crimes du
scélérat, sont aussi nécessaires aux lois de
ces trois règnes que l'acte qui les revivifiait ; que, lorsque
la nature les envoie sur la terre, à dessein d'anéantir
ces règnes qui la privent de la faculté de nouveaux
élancements, elle ne commet qu'un acte d'impuissance, parce
que les premières lois reçues par ces règnes,
lors du premier jet, leur ont imprimé cette faculté
productive qui durera toujours, et que la nature n'anéantira
qu'en se détruisant totalement, ce dont elle n'est pas maîtresse,
parce qu'elle est soumise elle-même à des lois, de l'empire
desquelles il lui est impossible de s'échapper, et qui dureront
éternellement. Ainsi, le scélérat, par ses meurtres,
non seulement aide la nature à des vues qu'elle ne parviendra
jamais pourtant à remplir, mais aide même aussi aux lois
que les règnes reçurent lors du premier élan.
Je dis premier élan, pour faciliter l'intelligence de mon système,
car, n'y ayant jamais eu de création, et la nature étant
éternelle, les élans sont perpétuels tant qu'il
y a des êtres ; ils cesseraient de l'être s'il n'y en
avait plus, et favoriseraient alors de seconds élans, qui sont
ceux que désire la nature, et où elle ne peut arriver
que par une destruction totale, but où tendent les crimes.
D'où il résulte que le criminel qui pourrait bouleverser
les trois règnes à la fois, en anéantissant et
eux et leurs facultés productives, serait celui qui aurait
le mieux servi la nature. Toisez maintenant vos lois sur cette étonnante
vérité, et vous reconnaîtrez leur justice.
Point de destruction, point de nourriture à la terre, et, par
conséquent, plus de possibilité à l'homme de
pouvoir se reproduire. Fatale vérité, sans doute, puisqu'elle
prouve d'une manière invincible que les vices et les vertus
de notre système social ne sont rien, et que les vices mêmes
sont plus nécessaires que les vertus, puisqu'ils sont créateurs
et que les vertus ne sont que créées, ou, si vous l'aimez
mieux, qu'ils sont causes et que les vertus ne sont qu'effets... qu'une
trop parfaite harmonie aurait encore plus d'inconvénient que
le désordre ; et que si la guerre, la discorde et les crimes
venaient à être bannis de dessus la terre, l'empire des
trois règnes, devenu trop violent alors, détruirait
à son tour toutes les autres lois de la nature. Les corps célestes
s'arrêteraient tous, les influences seraient suspendues par
le trop grand empire de l'une d'elles ; il n'y aurait plus ni gravitation
ni mouvement. Ce sont donc les crimes de l'homme qui, portant du trouble
dans l'influence des trois règnes, empêchent cette influence
de parvenir à un point de supériorité qui troublerait
toutes les autres, en maintenant dans l'univers ce parfait équilibre
qu'Horace appelait rerum concordia discors. Le crime est donc nécessaire
dans le monde. Mais les plus utiles, sans doute, sont ceux qui troublent
le plus, tels que le refus de la propagation ou la destruction ; tous
les autres sont nuls, ou plutôt il n'est que ces deux-là
qui puissent mériter le nom de crimes : et voilà donc
ces crimes essentiels aux lois des règnes, et essentiels aux
lois de la nature. Un philosophe ancien appelait la guerre la mère
de toutes choses. L'existence des meurtriers est aussi nécessaire
que ce fléau ; sans eux, tout serait troublé dans l'univers.
Il est donc absurde de les blâmer ou de les punir, plus ridicule
encore de se gêner sur les inclinations très naturelles
qui nous entraînent à cette action malgré nous,
car il ne se commettra jamais assez de meurtres sur la terre, eu égard
à la soif ardente que la nature en éprouve. Eh ! malheureux
mortel, ne te flatte donc pas du pouvoir de détruire, cette
action est au-dessus de tes forces ; tu peux varier des formes, mais
tu n'en saurais anéantir ; tu ne saurais absorber les éléments
de la matière : et comment les détruirais-tu, puisqu'ils
sont éternels ? Tu les changes de formes, tu les varies ; mais
cette dissolution sert à la nature, puisque ce sont de ces
parties détruites qu'elle recompose. Donc, tout changement
opéré par l'homme, sur cette matière organisée,
sert la nature bien plus qu'il ne la contrarie. Que dis-je, hélas
! pour la servir, il faudrait des destructions bien plus entières...
bien plus complètes que celles que nous pouvons opérer
; c'est l'atrocité, c'est l'étendue qu'elle veut dans
les crimes ; plus nos destructions seront de cette espèce,
plus elles lui seront agréables. Il faudrait, pour la mieux
servir encore, pouvoir s'opposer à la régénération
résultant du cadavre que nous enterrons. Le meurtre n'ôte
que la première vie à l'individu que nous frappons ;
il faudrait pouvoir lui arracher la seconde, pour être encore
plus utile à la nature ; car c'est l'anéantissement
qu'elle veut : il est hors de nous de mettre à nos meurtres
toute l'extension qu'elle y désire.
Ô Juliette ! ne perdez jamais de vue qu'il n'y a point de destruction
réelle ; que la mort elle-même n'en est point une, qu'elle
n'est, physiquement et philosophiquement vue, qu'une différente
modification de la matière dans laquelle le principe actif,
ou si l'on veut, le principe du mouvement, ne cesse jamais d'agir,
quoique d'une manière moins apparente. La naissance de l'homme
n'est donc pas plus le commencement de son existence que la mort n'en
est la cessation ; et la mère qui l'enfante ne lui donne pas
plus la vie, que le meurtrier qui le tue ne lui donne la mort : l'une
produit une espèce de matière organisée dans
tels sens, l'autre donne occasion à la renaissance d'une matière
différente, et tous deux créent.
Rien ne naît, rien ne périt essentiellement, tout n'est
qu'action et réaction de la matière ; ce sont les flots
de la mer qui s'élèvent et s'abaissent à tout
instant, sans qu'il y ait ni perte, ni augmentation dans la masse
de ses eaux ; c'est un mouvement perpétuel qui a été,
et qui sera toujours, et dont nous devenons les principaux agents
sans nous en douter, en raison de nos vices et de nos vertus. C'est
une variation infinie ; mille et mille portions de différentes
matières qui paraissent sous toutes sortes de formes, s'anéantissent
et se remontrent sous d'autres, pour se reperdre et se remontrer encore.
Le principe de la vie n'est que le résultat des quatre éléments
; à la mort, chacun rentre dans sa sphère sans se détruire,
et prêt à se rejoindre de nouveau, dès que l'exige
la loi des règnes ; il n'y a que l'ensemble qui change de formes,
les parties restent dans leur entier, et, de ces parties rejointes
au grand tout, il se recompose à tout instant de nouveaux êtres.
Mais le principe de la vie, l'unique fruit de la combinaison des éléments,
n'a rien d'existant par lui-même, il ne serait rien dans cette
réunion, et il devient tout autre quand elle cesse, c'est-à-dire
plus ou moins parfaite, en raison du nouvel ouvrage créé
avec les débris de l'ancien. Or, comme ces êtres sont,
et parfaitement indifférents entre eux, et parfaitement indifférents
non seulement à la nature, mais même aux lois des règnes,
qu'importe le changement que je fais aux modifications de la matière
? qu'importe, comme dit Montesquieu, que d'une boule ronde j'en fasse
une carrée ? qu'importe, que je fasse d'un homme un chou, une
rave, un papillon ou un ver ? Je ne fais en cela qu'user du droit
qui m'a été donné, et je puis troubler ou détruire
ainsi tous les êtres, sans que je puisse dire que je m'oppose
aux lois des règnes, par conséquent à celles
de la nature. Je les sers, au contraire, et les unes et les autres
; les premières, en donnant à la terre un suc nourricier
qui facilite ses autres productions, qui leur est indispensable, et
sans lequel ses productions s'anéantiraient ; les secondes,
en agissant d'après les vues perpétuelles de destruction
que la nature annonce, et dont le motif est d'être à
même de développer de nouveaux jets, dont la faculté
devient nulle en elle, par la gêne où le tiennent les
premiers.
Pourriez-vous croire que cet épi, ce vermisseau, cette herbe
enfin, en laquelle vient de se métamorphoser le cadavre que
j'ai privé du jour, pussent être d'un prix différent
aux lois des règnes qui, les embrassant tous trois, ne peuvent
avoir de prédilection pour aucun ? Sera-ce aux yeux de la nature,
qui lance indifféremment tous ces jets, que l'une ou l'autre
production de ces jets pourra devenir plus chère ? Il vaudrait
autant dire que des millions de feuilles qui composent ce chêne
antique, il en est une plus favorisée du tronc que les autres,
parce qu'elle a peut-être un plus peu de largeur. « C'est
notre orgueil, continue Montesquieu, qui nous empêche de sentir
notre petitesse, et qui fait, malgré qu'on en ait, que nous
voulons être compté dans l'univers, y figurer, y être
un objet important. Nous nous imaginons que la perte d'un être
aussi parfait que nous dégraderait toute la nature, et nous
ne concevons pas qu'un homme de plus ou de moins dans le monde, que
tous les hommes ensemble, que cent millions de terres comme la nôtre,
ne sont que des atomes subtils et déliés, indifférents
à la nature. » Tourmentez donc, anéantissez, détruisez,
massacrez, brûlez, pulvérisez, fondez, variez enfin sous
cent mille formes toutes les productions des trois règnes,
vous n'aurez jamais fait que les servir , vous n'aurez fait que leur
être utile. Vous aurez rempli leurs lois, vous aurez accompli
celles de la nature, parce que notre individu est trop borné,
trop faible, pour que vous puissiez coopérer à autre
chose qu'à l'ordre général, et que ce que vous
appelez désordre, n'est autre chose qu'une des lois de l'ordre
que vous méconnaissez, et que vous avez faussement nommé
désordre, parce que ses effets, quoique bons à la nature,
vous gênent ou vous contrarient. Ah ! si ces crimes n'étaient
pas nécessaires aux lois générales, nous seraient-ils
inspirés comme ils le sont ? sentirions-nous, au fond de nos
curs, et la nécessité de les commettre, et le
charme de les avoir commis ? Comment osons-nous penser que la nature
puisse imprimer dans nous des mouvements qui la contrarient ? Ah !
croyons qu'elle a bien su mettre à l'abri de nos coups ce qui
réellement pourrait la troubler et lui nuire. Essayons d'absorber
les rayons de l'astre qui nous éclaire, essayons de changer
la marche périodique des astres... des globes qui flottent
dans l'espace : voilà les crimes qui l'offenseraient véritablement
; et vous voyez comme elle sait les éloigner de nous. Ne nous
inquiétons nullement du reste ; il est entièrement à
notre disposition ; tout ce qui se trouve à notre portée
nous appartient ; troublons-le, détruisons-le, changeons-le,
sans crainte de lui nuire. Persuadons-nous, au contraire, que nous
lui sommes utiles, et que plus nos mains multiplient ces espèces
d'actions que nous nommons faussement criminelles, plus nous servons
ses volontés.
Mais n'y aurait-il pas de différence dans les espèces,
et ne peut-il pas y avoir des meurtres d'une telle noirceur, qu'elle
en puisse être révoltée ? Quelle bêtise
à le supposer un moment ! Cet être qui vous paraît
sacré, d'après nos futiles conventions humaines, peut-il
donc se trouver d'un prix supérieur à ses yeux ? En
quoi le corps de votre père, de votre fils, de votre mère,
de votre sur, peut-il être plus précieux à
ses regards, que celui de votre esclave ? Ces distinctions ne sauraient
exister pour elle ; elle ne les voit même pas ; il est impossible
qu'elle les aperçoive ; et ce corps si précieux, d'après
vos lois, se reproduira, se métamorphosera comme celui de cet
ilote que vous méprisez autant. Persuadez-vous, au contraire,
que cette atrocité que vous redoutez lui plaît ; elle
voudrait que vous en missiez davantage dans ce que vous appelez vos
destructions, elle voudrait que vous vous opposassiez à toute
reproduction, que vous puissiez anéantir les trois règnes,
pour lui faciliter de nouveaux jets. Vous ne le pouvez pas : eh bien
! dès que cette atrocité qu'elle désire ne peut
refluer sur ce qu'elle voudrait, tournez-la sur ce que vous pouvez,
et vous l'aurez au moins satisfait dans ce qui aura dépendu
de vous. Vous ne pouvez lui plaire par l'atrocité d'une entière
destruction, plaisez-lui donc du moins par une atrocité locale,
et mettez dans vos meurtres toute la noirceur imaginable, afin de
satisfaire avec la plus parfaite docilité aux lois qu'elle
vous impose ; ne pouvant faire ce qu'elle veut, faites au moins tout
ce que vous pouvez.
L'infanticide paraît être dans ce sens l'action qui s'accorderait
le mieux à ses vues, parce qu'elle rompt la chaîne de
la progéniture, elle ensevelit un plus grand nombre de germes.
Le fils, en tuant son père, ne rompt rien, il coupe la chaîne
au-dessus ; le père, en tuant son fils, rompt davantage, il
coupe la chaîne au-dessous, il empêche la filiation :
c'est une branche anéantie ; elle ne l'est pas par la destruction
du père produite par ce fils, puisqu'il reste, et que c'est
lui qui est la souche. Ou cela, ou les jeunes mères, surtout
lorsqu'elles sont grosses, voilà les deux meurtres qui remplissent
le mieux le but des règnes, et surtout celui de la nature ;
voilà ceux où doit tendre tout homme qui veut plaire
à cette marâtre du genre humain29.
Eh ! ne voyons-nous pas, ne sentons-nous pas que l'atrocité
dans le crime plaît à la nature, puisque c'est en raison
d'elle seule qu'elle règle la dose des voluptés qu'elle
nous procure, lorsque nous commettons un crime ? Plus il est affreux,
plus nous jouissons ; plus il est noir, plus nous sommes chatouillés.
Cette inexplicable nature veut donc de la noirceur... de l'atrocité
dans l'action qu'elle nous indique ; elle veut que nous y mettions
la même que celle qu'elle emploie dans les fléaux dont
elle nous écrase. Livrons-nous donc sans aucune crainte ; cessons
de voir rien de sacré sur cet objet ; méprisons les
vaines lois humaines... les sottes institutions qui nous captivent
: n'écoutons que l'organe sacré de la nature... certains
qu'il contrariera toujours les absurdes principes de la morale humaine
et de l'infâme civilisation. Croyez-vous donc que la civilisation,
ou la morale, aient rendu l'homme meilleur ? Ne l'imaginez pas...
gardez-vous de le supposer ; l'un et l'autre n'ont servi qu'à
l'amollir, qu'à lui faire oublier les lois de la nature qui
l'avaient rendu libre et cruel. De ce moment l'espèce entière
s'est trouvée dégradée, la férocité
s'est changée en fourberie, et le mal que l'homme a fait n'est
devenu que plus dangereux à ses semblables. Puisqu'il faut
qu'il commette ce mal, puisqu'il est nécessaire, puisqu'il
est agréable à la nature, laissons-le donc commettre
aux hommes de la manière dont ils en sont le mieux délectés,
et préférons dans lui la férocité à
la trahison : l'une est moins dangereuse que l'autre.
Répétons-le sans cesse : jamais aucune nation sage ne
s'avisera d'ériger le meurtre en crime. Pour que le meurtre
fût un crime, il faudrait admettre la possibilité de
la destruction, et nous venons de la voir inadmissible. Encore une
fois, le meurtre n'est qu'une variation de forme à laquelle,
ni la loi des règnes, ni celle de la nature, ne perdent rien30,
à laquelle l'une et l'autre de ces lois gagnent prodigieusement,
au contraire. Et pourquoi donc punir un homme de ce qu'il a rendu
un peu plus tôt aux éléments, une portion de matière
qui doit toujours leur revenir, et que ces mêmes éléments
emploient, dès l'instant qu'elle leur rentre, à des
compositions différentes ? Une mouche est-elle donc d'un plus
grand prix qu'un pacha, ou qu'un capucin ? Il n'y a donc aucun mal
à rendre aux éléments les moyens de récompenser
mille insectes, aux dépens de quelques onces de sang détournées
de leurs canaux ordinaires, dans une espèce d'animal un peu
plus grand, et qu'on est convenu de nommer homme. On n'a pas d'idée
du point auquel l'absurdité établit son empire sur les
chaînes de la civilisation.
Les meurtriers, en un mot, sont, dans la nature, comme la guerre,
la peste et la famine ; ils sont un des moyens de la nature, comme
tous les fléaux dont elle nous accable. Ainsi, lorsque l'on
ose dire qu'un assassin offense la nature, on dit une absurdité
aussi grande que si l'on disait que la peste, la guerre ou la famine
irritent la nature ou commettent des crimes ; c'est absolument la
même chose. Mais nous ne pouvons ni rouer, ni brûler la
peste ou la famine, et nous pouvons faire l'un ou l'autre à
l'homme : voilà pourquoi il a tort. Vous verrez presque toujours
les torts mesurés, non sur la grandeur de l'offense, mais sur
la faiblesse de l'agresseur ; et voilà d'où vient que
les richesses et le crédit ont toujours raison sur l'indigence.
A l'égard de la cruauté qui conduit au meurtre, osons
dire avec assurance, que c'est un des sentiments les plus naturels
à l'homme ; c'est un des plus doux penchants, un des plus vifs
qu'il ait reçus de la nature ; c'est, en un mot, dans lui,
le désir d'exercer ses forces. Il le porte dans toutes ses
actions, dans tous ses propos, dans toutes ses démarches ;
l'éducation le déguise quelquefois, mais il ne tarde
pas à reparaître. Il s'annonce alors sous toutes sortes
de formes. Le chatouillement excessif qu'il fait éprouver,
soit à l'idée, soit à l'exécution du crime
qu'il conseille, nous prouve d'une manière invincible que nous
sommes nés pour servir d'instruments aveugles aux lois des
règnes, ainsi qu'à celles de la nature, et qu'aussitôt
que nous nous y prêtons, la volupté nous caresse à
l'instant.
Eh ! récompensez-le ce meurtrier, employez-le au lieu de le
punir ! Songez qu'il n'est point de crime, d'aussi peu d'importance
par lui-même, qui ne demande néanmoins autant de vigueur
et de force, autant de courage et de philosophie. Dans mille cas,
un gouvernement éclairé ne devrait se servir que d'assassins...
Juliette, celui qui sait étouffer les cris de sa conscience,
au point de se faire un jeu de la vie des autres, est, de ce moment
seul, capable des plus grandes choses. Il y a tout plein de gens dans
le monde qui deviennent criminels pour leur compte, parce que le gouvernement
ne sent pas ce qu'ils valent, et qu'il néglige de les employer
; il en résulte que les malheureux se font rouer, au même
métier où d'autres se seraient couverts de gloire et
d'honneur. Les Alexandre, les Saxe, les Turenne seraient peut-être
devenus des voleurs de grands chemins, si leur naissance et le hasard
ne leur eussent pas préparé des lauriers dans la carrière
de la gloire ; et les Cartouches, les Mandrins, les Desrues, assurément
de grands hommes, si le gouvernement eût su les employer.
Oh ! comble affreux de l'injustice ! Il existera des animaux féroces
qui ne vivent que de meurtres, tels que le loup, le lion, le tigre
; ces animaux ne s'écartent d'aucune loi en vivant ainsi :
et l'on osera soutenir que s'il se rencontre d'autres animaux sur
la terre qui, pour satisfaire une passion différente de la
faim, se livrent à des excès égaux, ces animaux
commettront des crimes ? Quelle absurdité !
Nous nous plaignons souvent de l'existence de tel ou tel animal dont
la forme ou l'aspect nous paraît horrible, ou duquel nous éprouvons
quelque incommodité, et pour nous en consoler, nous objectons,
avec autant de raison que de sagesse : Cet animal est affreux, il
nous nuit, mais il est utile : la nature n'a rien créé
en vain ; sans doute, il pompe l'air qui nous serait nuisible, ou
bien il dévore d'autres insectes qui seraient encore plus dangereux...
Ayons donc cette même philosophie dans tous les points, et ne
voyons dans le meurtrier qu'une main conduite par des lois irrésistibles,
qu'une main qui sert la nature, et qui, par les crimes qu'elle accomplit,
de quelque espèce qu'on veuille les supposer, remplit certaines
vues que nous ne connaissons pas, ou prévient quelque accident,
plus fâcheux peut-être mille fois que celui qu'il occasionne.
Sophismes ! sophismes ! s'écrient ici les sots ; il est vrai
que le meurtre offense la nature, que celui qui vient de le commettre
en frémit toujours malgré lui... Imbéciles !
ce n'est point parce que l'action est mauvaise en elle-même,
que le meurtrier frémit, car certainement, dans le pays où
le meurtre est récompensé, il ne frémit pas...
Le guerrier frémit-il de l'ennemi qu'il vient d'immoler ? La
seule cause du trouble que nous éprouvons alors gît dans
la défense de l'action ; il n'y a pas d'homme qui n'ait senti
qu'une action toute simple, que la circonstance oblige de défendre,
imprime la même terreur à celui qui s'en est rendu coupable.
Qu'on affiche au-dessus d'une porte qu'il est défendu de la
franchir : qui que ce soit ne l'essaiera, sans une sorte de frémissement,
et dans le fait, cette action ne sera pourtant pas mauvaise. C'est
donc de la seule défense que naît la terreur éprouvée,
et nullement de l'action elle-même qui, comme on voit, peut
inspirer cette même crainte, quoiqu'elle n'ait rien de criminelle.
Cette pusillanimité qui accompagne le meurtrier, ce petit moment
de frayeur tient donc infiniment plus au préjugé qu'à
l'espèce d'action. Que pendant un mois la chance tourne, que
le glaive de Thémis frappe ce que vous appelez la vertu, et
que les lois récompensent le crime : vous verrez, à
l'instant, le vertueux frémir et le scélérat
tranquille, en se livrant l'un et l'autre à leurs actions favorites.
La nature n'a donc point de voix ; celle qui tonne en nous n'est donc
plus que celle du préjugé, qu'avec un peu de force nous
pouvons absorber pour toujours. Il est pourtant un organe sacré
qui retentit en nous, avant la voix de l'erreur ou de l'éducation
; mais cette voix, qui nous soumet au joug des éléments,
ne nous contraint qu'à ce qui flatte l'accord de ces éléments,
et leurs combinaisons modifiées sur les formes dont ces mêmes
éléments se servent pour nous composer. Mais cette voix
est bien faible, elle ne nous inspire ni la connaissance d'un Dieu,
ni celle des devoirs du sang ou de la société, parce
que toutes ces choses sont chimériques. Cette voix ne nous
dicte pas non plus de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions
pas qui nous fût fait : si nous voulons bien l'écouter,
nous y trouverons positivement tout le contraire.
Souviens-toi, nous dit la nature au lieu de cela, oui, souviens-toi
que tout ce que tu ne voudrais pas qui te fût fait, se trouvant
des lésions fortes au prochain, dont tu dois retirer du profit,
est précisément ce qu'il faut que tu fasses pour être
heureux ; car il est dans mes lois que vous vous détruisiez
tous mutuellement ; et la vraie façon pour y réunir
est de léser ton prochain. Voilà d'où vient que
j'ai placé dans toi le penchant le plus vif au crime ; voilà
pourquoi mon intention est que tu te rendes heureux, n'importe aux
dépens de qui. Que ton père, ta mère, ton fils,
ta fille, ta nièce, ta femme, ta sur, ton ami, ne te
soient ni plus chers, ni plus précieux que le dernier des vermisseaux
qui rampe sur la surface du globe ; car je ne les ai pas formés,
ces liens, ils ne sont l'ouvrage que de ta faiblesse, de ton éducation
et de tes préjugés ; ils ne m'intéressent en
rien ; tu peux les rompre, les briser, les abhorrer, les réformer
; tout cela m'est égal. Je t'ai lancé comme j'ai lancé
le buf, l'âne, le chou, la puce et l'artichaut ; j'ai
donné à tout cela des facultés plus ou moins
étendues ; uses-en ; une fois hors de mon sein, tout ce que
tu peux faire ne me touche plus. Si tu te conserves et que tu te multiplies,
tu feras bien, par rapport à toi ; si tu te détruis
ou que tu détruises les autres, si tu peux même, en usant
des facultés relatives à la sorte d'êtres, anéantir...
absorber l'empire absolu des trois règnes, tu feras une chose
qui me plaira infiniment ; car j'userai à mon tour du plus
doux effet de ma puissance, celui de créer, de renouveler les
êtres... auxquels tu nuis par ta maudite progéniture.
Cesse d'engendrer, détruis absolument tout ce qui existe, tu
ne dérangeras pas la moindre chose dans ma marche. Que tu détruises
ou que tu crées, tout est à peu près égal
à mes yeux, je me sers de l'un et de l'autre de tes procédés,
rien ne se perd dans mon sein : la feuille qui tombe de l'arbuste
me sert autant que les cèdres qui couvrent le Liban, et le
ver qui naît de la pourriture n'est pas d'un prix moindre, ni
plus considérable à mes yeux, que le plus puissant monarque
de la terre. Forme, donc, ou détruis, à ton aise : le
soleil se lèvera de même ;, tous les globes que je suspends,
que je dirige dans l'espace, n'en auront pas moins le même cours
; et si tu détruis tout, comme ces trois règnes, anéantis
par ta méchanceté, sont des résultats nécessaires
de mes combinaisons, que je ne forme plus rien, parce que ces règnes
sont créés avec la faculté de se reproduire mutuellement,
bouleversés par ta main traîtresse, je les reformerai,
je les relancerai sur la surface du globe. Ainsi le plus étendu,
le plus multiplié de tes crimes, le plus atroce, ne m'aura
donné qu'un plaisir.
Les voilà, Juliette, les voilà les lois de la nature
; telles sont les seules qu'elle ait jamais dictées, les seules
qui lui soient précieuses et chères, les seules que
nous ne devions jamais enfreindre. Si l'homme en a fait d'autres,
déplorons sa bêtise, maïs ne nous y enchaînons
point ; craignons d'être la victime de ses lois absurdes, mais
ne les enfrayons pas moins ; et, libres de tous les préjugés,
dès que nous le pourrons impunément, vengeons-nous de
la contrainte odieuse de ses lois, par les outrages les plus signalés.
Plaignons-nous de ne pouvoir assez faire, plaignons-nous de la faiblesse
des facultés que nous avons reçues pour partage, et
dont les bornes ridicules contraignent à tel point nos penchants.
Et, loin de remercier cette nature inconséquente du peu de
liberté qu'elle nous donne pour accomplir les penchants inspirés
par sa voix, blasphémons-la, du fond de notre cur, de
nous avoir autant rétréci la carrière qui remplit
ses vues ; outrageons-la, détruisons-la, pour nous avoir laissé
si peu de crimes à faire, en donnant de si violents désirs
d'en commettre à tous les instants.
Ô toi ! devons-nous lui dire, toi, force aveugle et imbécile
dont je me trouve le résultat involontaire, toi qui m'as jeté
sur ce globe avec le désir que je t'offensasse, et qui ne peux
pourtant, m'en fournir les moyens, inspire donc à mon âme
embrasée, quelques crimes qui te servent mieux que ceux que
tu lasses à ma disposition. Je veux bien accomplir tes lois,
puisqu'elles exigent des forfaits, et que j'ai des forfaits la plus
ardente soif : mais fournis-les-moi donc différents de ceux
que ta débilité me présente. Quand j'aurai exterminé
sur la terre toutes les créatures qui la couvrent, je serai
bien loin de mon but, puisque je t'aurai servie... marâtre !...
et que je n'aspire qu'à me venger de ta bêtise, ou de
la méchanceté que tu fais éprouver aux hommes,
en ne leur fournissant jamais les moyens de se livrer aux affreux
penchants que tu leur inspires !
Je vais maintenant, Juliette, poursuivit le pontife, vous présenter
quelques exemples faits pour vous prouver qu'on tout temps l'homme
fit ses délices de détruire, et la nature les siens
de le lui permettre.
A Cabo-di-monte, si une femme accouche de deux enfants à la
fois, son mari en écrase un sur-le-champ.
On sait le cas que les Arabes et les Chinois font de leurs enfants
: à peine en conservent-ils la moitié ; ils tuent, brûlent
ou noient le reste, et principalement les filles. A Formose, la progéniture
y est dans le même degré d'horreur.
Les Mexicains ne partaient jamais pour une expédition militaire,
sans sacrifier des enfants de l'un ou de l'autre sexe.
Il est permis aux Japonaises de se faire avorter tant qu'elles veulent
; personne ne leur demande compte d'un fruit qu'elles n'ont pas voulu
porter31.
Le roi de Calicut a un fauteuil à ressort dans son palais,
et sous lequel il allume un grand feu ; là, à certains
jours de fête, se fixe un enfant jusqu'à ce qu'il soit
consumé.
Jamais le meurtre n'était puni de mort chez les Romains ; et
les empereurs suivirent longtemps, à cet égard, la loi
de Sylla, qui ne le condamnait qu'à des amendes.
A Mindanao, ce même crime est honoré ; celui qui le commet
est sûr, après son expédition, d'être élevé
au rang des braves, avec le droit de porter un ruban rouge.
Chez les Caragnos, on n'obtient le même honneur que par la quantité
des meurtres ; il faut avoir tué sept hommes pour être
honoré du turban rouge.
Sur les bords du fleuve Orénoque, les mères font périr
leurs filles dès qu'elles voient le jour.
Dans le royaume de Zopit et dans la Trapobane, les pères égorgent
eux-mêmes leurs enfants, de quelque sexe qu'ils soient, sitôt
que la figure de ces enfants ne leur plaît pas, ou qu'ils s'en
croient trop.
A Madagascar, tous les enfants nés les mardis, jeudis et vendredis
sont abandonnée aux bêtes féroces par les propres
auteurs de leurs jours.
Jusques à la translation de l'empire romain, les pères
faisaient mourir ceux de leurs enfants qui leur déplaisaient,
quelque âge qu'ils eussent.
Par plusieurs articles du Pentateuque, on voit que les pères
avaient droit de vie ou de mort sur leurs enfants.
Par une loi des Parthes et des Arméniens, un père tuait
son fils ou sa fille, même à l'âge nubile.
César trouva ce même usage établi dans les Gaules.
Le csar Pierre adresse à ses peuples une déclaration
publique dont le précis était que, par toutes les lois
divines ou humaines, un père avait droit de vie ou de mort
sur ses enfants, sans appel, et sans prendre l'avis de qui que ce
fût. Il donne aussitôt l'exemple du droit qu'il autorisait.
Le chef des Galles doit, sitôt qu'il est élu, se signaler
par une incursion dans l'Abyssinie ; c'est la multiplicité
de ses crimes qui le rend digne de sa place. Il faut qu'il pille,
viole, tue, massacre, incendie ; et plus il a commis d'exécrations,
plus il est honoré.
Les Égyptiens sacrifiaient une jeune fille tous les ans au
Nil. Quand l'humanité s'empara de leurs curs, et qu'ils
voulurent interrompre cet usage, les fertiles inondations de ce fleuve
cessèrent, et l'Égypte pensa périr par la famine.
Tant que les sacrifices humains forment spectacle, ils ne devraient
jamais s'interdire chez une nation guerrière. Rome triompha
de l'univers aussi longtemps qu'elle eut des spectacles cruels : elle
tomba dans l'avilissement et dans l'esclavage, dès que la stupidité
de la morale chrétienne vint lui persuader qu'il y avait plus
de mal à voir tuer des hommes que des bêtes. Mais ce
n'était point par humanité que raisonnaient ainsi les
sectateurs du Christ, c'était par excessive crainte dans laquelle
ils étaient que, si l'idolâtrie reprenait son empire,
on ne les sacrifiât eux-mêmes aux amusements de leurs
adversaires. Voilà pourquoi les coquins prêchaient la
charité, voilà pourquoi ils établissaient ce
ridicule fil de la fraternité, dont je sais, Juliette, que
l'on vous a déjà fait voir le néant. Cette réflexion
explique toute cette belle morale que les ennemis mêmes de cette
stupide religion ont été assez timides ou assez fous
pour respecter. Poursuivons.
Presque tous les sauvages de l'Amérique tuent leurs vieillards,
dès qu'ils les voient malades ; c'est une uvre de charité
de la part du fils ; le père le maudit, s'il ne le tue pas
lorsqu'il est impotent.
Il existe, dans la mer du Sud, une île où l'on tue les
femmes dès qu'elles ont passé l'âge d'engendrer,
comme des créatures qui, de ce moment-là, deviennent
inutiles au monde ; et dans le fait, à quoi peuvent-elles servir
alors ?
Les peuples des États Barbaresques n'ont aucune loi contre
le meurtre de leurs femmes ou de leurs esclaves ; ils en sont pleinement
et authentiquement les maîtres.
Dans aucun sérail de l'Asie, il n'est défendu de tuer
des femmes ; celui qui a tué les siennes en est quitte pour
en acheter d'autres.
C'est un point de croyance, à l'île de Bornéo,
que tous ceux qu'un homme tue lui serviront d'esclaves dans l'autre
monde, moyennant quoi mieux un homme veut être servi après
sa mort, plus il tue pendant sa vie.
Quand les Tartares de Karascan voient un étranger qui a de
l'esprit, de la valeur et de la beauté, ils le tuent, afin
de s'approprier ses qualités et de les répandre sur
leur nation.
Au royaume du Tangut, un jeune homme vigoureux sort, un poignard à
la main, à certains jours de l'année, et tue impunément
tout ce qu'il rencontre ; ceux qui meurent de sa main sont sûrs,
à ce qu'on prétend, du plus grand bonheur dans l'autre
vie.
Il y a, à Kachao, des meurtriers à gage dont on se sert
quand on en a besoin : celui qui a quelqu'un à faire tuer loue
un de ces mercenaires, et quand l'action est commise, on le paye.
Ceci rappelle l'histoire du Vieux de la Montagne. Ce prince, maître
de la vie de tous les autres souverains, n'avait qu'à détacher
un de ses sujets chez tel souverain que bon lui semblait, et ce prince
était immolé dans l'instant.
On trouve en Italie de ces assassins de commande dont on peut, de
même, se servir au besoin ; ils devraient être tolérés
dans un gouvernement sage. Et pourquoi faut-il qu'au seul gouvernement
appartienne le droit de disposer de la vie des ; hommes ?
A Ledur, en Zélande, on immolait autrefois quatre-vingt-dix-neuf
hommes par an, aux dieux du pays.
Quand les Carthaginois virent l'ennemi à leurs portes, ils
immolèrent deux cents enfants de la première noblesse
; une de leurs lois ordonnait de n'offrir à Saturne que des
enfants de cette caste. On imposait une amende aux mères qui
laissaient échapper la moindre marque de tristesse ; l'on immolait
ces enfants sous leurs yeux. Et voilà donc la sensibilité
un crime !
Un roi du Nord, dont le nom m'échappe, immola neuf de ses enfants
dans la seule vue, disait-il, de prolonger ses jours aux dépens
de ceux dont il les privait. Les préjugés sont pardonnables
quand ils produisent des plaisirs.
Shuum-Chi, père d'un des derniers empereurs de la Chine, fit
poignarder trente hommes sur la fosse de sa maîtresse, pour
apaiser ses mânes.
Cook, lors de ses derniers voyages à Otahiti, découvrit
des sacrifices humains dont ceux qui l'avaient précédé
dans cette île ne s'étaient pas aperçus.
Hérode, roi des Juifs, à l'instant de rendre les derniers
soupirs, fit assembler toute la noblesse de Judée dans l'hippodrome
de Jéricho, puis ordonna à sa sur Salomé
de les faire tous périr au moment où il fermerait les
yeux, afin que son deuil fût universel, et que les Juifs, en
pleurant leurs amis et leurs parents, se trouvassent forcés,
malgré eux, d'arroser ses cendres de larmes. Quelle force doit
avoir une passion dont les effets se prolongent au delà du
tombeau ! Cet ordre ne fut pourtant pas exécuté.
Mahomet II trancha de sa main la tête de sa maîtresse
Irène, pour faire voir à ses soldats que l'amour n'était
pas capable d'amollir son cur ; il venait pourtant de passer
la nuit avec elle, et d'assouvir ses désirs32. Le même,
soupçonnant un des jeunes garçons destinés à
ses plaisirs d'avoir mangé frauduleusement un concombre dans
ses jardins, fit fendre le ventre à tous ceux qui se trouvaient
dans son sérail, jusqu'à ce que le fruit fût découvert
dans les entrailles de l'un d'eux... Trouvant quelques défauts
dans une décollation de saint Jean-Baptiste, il fit couper
devant lui le cou d'un esclave, et fit voir à l'artiste Bellini,
Vénitien, et auteur du tableau qu'il blâmait, que la
nature n'avait pas été bien saisie. « Tiens !
lui dit-il, voilà comme doit être une tête coupée.
» C'est encore ce même grand homme qui, philosophiquement
persuadé que la vie des sujets n'est faite que pour servir
la passion des souverains, fit jeter cent mille esclaves nus dans
les fossés de Constantinople, pour servir de fascines lorsqu'il
faisait le siège de cette capitale.
Abdalkar, général du roi de Visapour, avait un sérail
de douze cents femmes ; il reçoit des ordres pour se mettre
à la tête de ses troupes, il craint que son absence ne
devienne un prétexte à l'infidélité de
ses maîtresses : il les fait toutes égorger devant lui
la veille de son départ.
Les proscriptions de Marius et de Sylla sont des chefs-d'uvre
de cruauté ; Sylla, bourreau de la moitié de Rome, meurt
tranquille au sein de ses foyers. Que l'on soutienne, après
de tels exemples, qu'un Dieu veille sur nous et doit punir les crimes
!
Néron fit égorger dix ou douze mille âmes au cirque,
parce qu'on s'était moqué de l'un de ses cochers. Ce
fut sous son règne que s'écroula l'amphithéâtre
de Préneste, dont la chute fit périr vingt mille âmes
: qui doute qu'il ne fut la cause de cet accident, et qu'il l'eût
arrangé pour se divertir ?
Commode fit jeter aux bêtes les Romains qui avaient lu la vie
de Caligula... Dans ses courses nocturnes, il se plaisait à
mutiler les passants ; il réunissait quinze ou vingt malheureux,
les faisait lier devant lui, et alarmant d'une massue, il les exterminait
pour s'amuser.
Les quatre-vingt mille Romains que Mithridate fit égorger au
milieu de ses États, les Vêpres siciliennes, la Saint-Barthélemy,
les Dragonnades, les dix-huit mille Flamands décapités
par le duc d'Albe, pour établir dans les Pays-Bas une religion
qui abhorre le sang : voilà des modèles de meurtres
qui prouvent que jamais les passions ne doivent calculer la vie des
hommes.
Constantin, cet empereur si sévère, si chéri
des chrétiens, avait assassiné son beau-frère,
ses neveux, sa femme et son fils.
Les Floridiens déchiraient leurs prisonniers ; mais quelquefois
ils y mettaient une recherche singulière : ils leur enfonçaient
dans l'anus une flèche jusqu'au haut des épaules.
Rien n'égale la cruauté des Indiens envers les leurs
; il faut que tous aient le plaisir de les frapper et de les meurtrir
; ils les obligent à chanter pendant ce temps-là. Incroyable
raffinement de cruauté, qui ne veut même pas permettre
les larmes aux victimes.
Les sauvages agissent de même envers les leurs. On leur arrache
les ongles, le sein, les doigts ; on leur enlève des lambeaux
de chair ; on les pique avec des alènes dans les parties de
la génération, et ce sont communément les femmes
qui se chargent de ces supplices. Elles les fouettent, elles les déchirent
; il n'est rien, en un mot, que leur férocité n'invente,
pour rendre la mort de ces malheureux plus affreuse, et l'on se réjouit
quand ils rendent les derniers soupirs.
L'enfant lui-même ne nous offre-t-il pas l'exemple de cette
férocité qui nous étonne ? Il nous prouve qu'elle
est dans la nature : nous le voyons cruellement étrangler son
oiseau, et s'amuser des convulsions de ce pauvre animal !
Les Zélandais, et beaucoup d'autres peuples, mangent leurs
ennemis ; quelques-uns les jettent aux chiens ; ceux-là se
vengent sur les femmes grosses : ils leur ouvrent le ventre, en arrachent
l'enfant, et l'écrasent sur la tête de la mère.
Les Hérules, les Germaine sacrifiaient tous leurs prisonniers
; les Scythes se contentaient d'en immoler la dixième partie.
Pendant combien de temps les Français n'ont-ils pas égorgé
les leurs ? A la bataille d'Azincourt, journée si fatale à
la France, [Henry V] les immola tous.
Quand Gengiskan s'empara de la Chine, il fit égorger deux millions
d'enfants devant lui.
Jetez les yeux sur la vie des douze Césars, dans Suétone
: elle vous offrira mille atrocités de ce genre.
Les Poulias, au Malabar, forment une caste si méprisée,
qu'il est permis à chacun de les tuer. Quand on veut essayer
ses armes, on tire sur le premier que l'on rencontre, sans distinction
d'âge ni de sexe.
Les nobles, en Russie, au Danemark et en Pologne, peuvent tuer un
serf, en mettant un écu sur le cadavre ; jamais la vie d'un
homme, tel qu'il soit, ne peut être estimée qu'à
prix d'argent, parce que l'argent peut réparer, et le sang
ne répare rien. Si la loi du talion est odieuse, c'est assurément
dans ce cas-ci ; car le meurtrier a un motif, quelquefois, pour commettre
son assassinat, et vous, imbéciles enfants de Thémis,
vous n'en avez aucun pour le vôtre. Mais que l'on me réponde,
si cela est possible, à l'objection suivante.
Quoi, selon vous, constitue le crime dans le meurtre ? N'est-ce pas
l'action d'ôter la vie à son semblable ? En faisant cette
action, voilà le crime constaté sans aucun égard
à ce que peut être l'homme privé de la vie ; mais
s'il est couvert de crimes, cet homme-là, je ne fais pourtant
pas, en le tuant, plus de mal que les lois, et si j'en fais, les lois
en font aussi : lequel vaut-il mieux croire, ou l'innocence de celui
qui tue le criminel, ou l'infamie de la loi qui tue le criminel ?
Dans combien de pays, et pendant combien de siècles, n'immola-t-on
pas des esclaves sur le tombeau des maîtres ? A votre avis,
ces peuples croient-ils au crime du meurtre ?
Qui pourrait nombrer ce que les Espagnols immolèrent d'Indiens,
dans leur conquête du Nouveau-Monde ? Rien qu'en transportant
leurs bagages, deux cent mille périrent en une seule année.
Octave fit égorger trois cents personnes dans Pérouse,
uniquement pour célébrer l'anniversaire de la mort de
César.
Un pirate de Calicut, croisant sur la côte, rencontre un brigantin
portugais ; il le prend, trouve l'équipage endormi, et fait
égorger tous ceux qui le composaient, parce qu'ils osaient
dormir pendant qu'il était en course.
Phalaris faisait enfermer ses victimes dans un taureau d'airain, organisé
de manière qu'il répercutait d'une manière horrible
les cris des malheureux qu'on y enfermait. Quelle incroyable recherche
de cruauté ! et que d'imagination elle suppose dans le tyran
qui l'invente !
Les Francs avaient droit de vie ou de mort sur leurs femmes, et ils
en usaient fréquemment.
Le roi d'Ava découvre une petite émeute parmi quelques-uns
de ses sujets qui refusaient de payer l'impôt ; il en fait saisir
quatre mille, et les fait tous périr dans le même feu.
Il n'y a jamais de révolutions dans les États d'un tel
prince.
Eulins de Romans apprend que la ville de Padoue s'est révoltée
contre lui ; il charge de fers onze mille habitants de cette cité,
et les fait tous périr devant lui, dans les supplices les plus
variés et les plus cruels.
Une des femmes du roi d'Achem pousse en rêvant un cri qui réveille
toutes les autres ; le monarque demande la raison de ce bruit ; on
ne sait que lui dire : il fait appliquer ses trois mille femmes à
la torture, il leur fait souffrir des supplices effrayants, sous ses
yeux ; rien ne se découvre ; il leur fait couper à toutes
les pieds et les mains, et les fait jeter à l'eau33. Il est
aisé de voir le motif de cette cruauté : elle dut allumer,
sans doute, des étincelles bien vives de lubricité,
dans l'âme de celui qui s'y livrait34.
Le meurtre est, en un mot, une passion, comme le jeu, le vin, les
garçons et les femmes ; on ne s'en corrige jamais, dès
que l'on s'y est une fois accoutumé. Aucune action n'irrite
comme celle-là, aucune ne prépare autant de volupté
; il est impossible de s'en rassasier ; les obstacles en irritent
le goût, et ce goût dans nos curs va jusqu'au fanatisme.
Vous avez éprouvé, Juliette, de quel délice il
est dans les débauches, et combien il les rend piquantes et
délicieuses. Son empire agit à la fois, et sur le moral
et sur le physique ; il enflamme tous les sens, il les enivre, il
les étourdit. Sa commotion sur la masse des nerfs est d'une
violence bien plus forte que celle de toutes les autres voluptés
; on ne l'aime jamais qu'avec fureur, on ne s'y livre qu'avec transport.
Le complot chatouille, l'exécution électrise, le souvenir
embrase, on voudrait le multiplier sans cesse, le renouveler à
tous les instants. Plus une créature nous approche ou nous
intéresse, plus elle nous touche directement, plus ses liens
avec nous sont sacrés, plus l'immolation de la victime nous
délecte. Les raffinements s'en mêlent, comme dans tous
le autres plaisirs ; de ce moment, les écarts n'ont plus de
bornes, l'atrocité se porte au dernier point, parce que le
sentiment qui la produit s'exhale en raison de l'augmentation ou de
la noirceur du supplice ; tout ce qu'on invente alors est toujours
au-dessous de ce qu'on désire. Ce n'est plus que par la longueur
ou l'infamie du supplice que l'âme se réveille, et l'on
voudrait que la même vie pût se produire mille et mille
fois, pour avoir le plaisir de les arracher toutes.
Chaque meurtre raffine bientôt sur le meurtre ; ce n'est pas
assez de tuer, il faut tuer d'une manière horrible ; et, presque
toujours, sans qu'on s'en doute, le sentiment de lubricité
dirige ces matières. Jetons un coup d'il rapide sur ces
inventions à la fois voluptueuses et barbares. Je sais que
l'esquisse ne vous en déplaira point : tout ce qui est violent
dans la nature a toujours quelque chose d'intéressant et de
sublime.
Les Irlandais écrasaient leurs victimes... Les Norvégiens
leur enfonçaient le crâne... Les Gaulois leur brisaient
les reins... Les Celtes leur enfonçaient un sabre dans le sternum...
Les Cimbres leur fendaient le ventre ou les jetaient dans des fourneaux
ardents.
Les empereurs romains faisaient fouetter devant eux les jeunes vierges
chrétiennes ; ils leur faisaient tenailler les tétons
et les fesses avec des fers rouges ; on versait ensuite de l'huile
et de la poix-résine bouillante sur leurs plaies, et on leur
en seringuait dans tous les conduits de la nature. Eux-mêmes
servaient souvent de bourreaux, et les supplices alors devenaient
bien plus cruels ; rarement Néron cédait à un
autre le plaisir d'immoler lui-même une de ces malheureuses.
Les Syriens précipitaient leur victime du haut d'une montagne.
Les Marseillais l'assommaient, et choisissaient toujours un pauvre
de préférence : autre penchant qu'inspire toujours la
nature.
Les nègres de la rivière de Kalabar prennent des petits
enfants et les livrent vivants à des oiseaux de proie qui leur
dévorent la chair. Ce spectacle amuse prodigieusement ces sauvages.
Au Mexique, on tenait le patient à quatre ; le grand prêtre
le fendait par le milieu, il en arrachait le cur dont il barbouillait
l'idole ; quelquefois on traînait le patient sur une pierre
tranchante, jusqu'à ce qu'il fût déchiré
et qu'on vît sortir ses entrailles.
Parmi cette foule immense de peuples qui couvrent notre globe, à
peine en trouve-t-on un seul qui ait attaché la plus légère
importance à la vie des hommes parce que, dans le fait, il
n'existe rien de moins important.
Les Américains enfoncent dans le canal de l'urètre un
petit bâton hérissé d'épines, et le tournent
longtemps à diverses reprises, ce qui cause des douleurs épouvantables.
Les Iroquois attachent l'extrémité des nerfs de leurs
victimes à des bâtons, et tournant ensuite ces bâtons,
ils roulent dessus les nerfs comme un cordage ; les corps se disloquent
et se plient d'une manière bizarre, et dont l'examen doit être
très piquant...
- N'en doutez pas, dit ici Juliette, en citant au Saint-Père
la circonstance de sa vie où elle avait eu occasion d'assister
à ce supplice, il n'est rien de piquant comme le spectacle
de cette torture ; et tu te baignerais, mon ami, dans le foutre qu'elle
m'a fait couler.
- Aux Philippines, poursuivit le pape, une femme coupable s'attache
nue à un poteau, la face tournée au soleil ; on la laisse
expirer ainsi.
A Juida, on éventre, on arrache les entrailles, on remplit
le corps de sel, et on l'attache sur un pieu, au milieu de la place
publique.
Les Quoïas percent le dos à coups de javeline ; on coupe
ensuite le corps en quartiers, et l'on oblige la femme du mort à
le manger.
Quand les Tunquinois vont tous les ans cueillir l'aréqua, ils
en empoisonnent une noix qu'ils font manger à un enfant, afin
de se rendre la récolte heureuse par l'immolation de cette
victime : et voilà donc encore ici le meurtre un acte de religion.
Les Hurons suspendent un cadavre au-dessus du patient, de manière
à ce qu'il puisse recevoir sur son visage toutes les immondices
qui découlent de ce corps mort, et l'on tourmente là
le malheureux jusqu'à ce qu'il expire.
Les Cosaques d'Ouskiens attachent le patient à la queue d'un
cheval que l'on fait galoper dans les chemins raboteux ; ce fut aussi,
comme vous le savez, le supplice de la reine Brunehaut.
Les anciens Russes empalaient par les flancs et accrochaient par les
côtes. Les Turcs font la même cérémonie
par le fondement.
Le voyageur Gmelin vit en Sibérie une femme enterrée
vive jusqu'au cou, à laquelle on portait à manger ;
elle vécut treize jours ainsi.
Les vestales étaient murées dans de petites niches étroites,
où était une table, sur laquelle on plaçait une
lampe, un pain et une bouteille d'huile. On vient de retrouver nouvellement,
à Rome, un souterrain qui communiquait du palais des empereurs
au champ sous lequel ces caveaux des vestales étaient construits35.
Ce qui prouve que, vraisemblablement, ou les empereurs venaient jouir
de ces supplices, ou ils faisaient passer dans leur palais les vestales
condamnées, pour s'en divertir et les faire mourir devant eux,
ensuite, d'une manière analogue à leurs goûts
et à leurs passions.
Au Maroc et en Suisse, on scie le coupable entre deux planches. Hippomène,
roi d'Afrique, fit dévorer son fils et sa fille à des
chevaux que l'on avait privés longtemps de nourriture ; cela,
sans réfléchir à la sublimité des liens
; c'est de là, sans doute, qu'il reçut le nom d'Hippomène.
Les Gaulois emprisonnaient cinq ans leurs victimes, ils les empalaient
ensuite, et ils les brûlaient, tout cela en l'honneur de la
Divinité, car il faut toujours que cette belle machine se charge
de toutes les iniquités de l'homme.
Les Germains étouffaient dans un bourbier. Les Égyptiens
inséraient dans toutes les parties du corps des roseaux affilés
de la longueur d'un doigt, auxquels ils mettaient ensuite le feu.
Les Perses, les plus ingénieux des peuples pour l'invention
des supplices, renfermaient le patient entre deux petits bateaux,
de manière que ses pieds, ses mains et sa tête passaient
par des ouvertures ; on le forçait à manger et à
boire dans cette attitude, en lui piquant les yeux avec des pointes
de fer ; quelquefois ils lui frottaient le visage de miel, afin que
les guêpes s'y attachassent ; les vers le dévoraient
ainsi tout en vie. Qui le croirait ? ils vivaient souvent dix-huit
jours dans cette affreuse situation. Quelle sublimité de recherches
! Voilà l'art : il consiste à faire mourir, le plus
longtemps possible, un peu tous les jours. Souvent ils écrasaient
entre deux pierres, ou écorchaient vifs, et frottaient d'épines
vertes le corps ainsi dépouillé, ce qui faisait souffrir
des douleurs inouïes. Le supplice à la mode, qu'ils infligent
aujourd'hui dans les sérails, quand les femmes ont fait quelque
faute, est d'inciser en plusieurs sens toutes les chairs, et de distiller
ensuite du plomb fondu dans les blessures, d'empaler par la matrice,
ou de larder la patiente avec des mèches soufrées qu'on
allume, et qui prennent ensuite leur substance dans la graisse même
de la victime.
Et Juliette assura le Saint-Père qu'elle connaissait aussi
cette torture.
- Daniel, poursuivit le pape, nous apprend que les Babyloniens jetaient
dans une fournaise ardente.
Les Macédoniens crucifiaient, la tête en bas.
Les Athéniens faisaient avaler du poison, étouffaient
dans un bain, après avoir ouvert les veines.
Les Romains attachaient quelquefois à un arbre, par les parties
viriles ; le supplice de la roue nous vient de chez eux. Souvent,
ils écartelaient entre quatre jeunes arbres courbés,
et qu'on relâchait à la fois. Métius Suffétius
fut écarté à quatre chars. Sous les empereurs,
on fouettait jusqu'à la mort ; on enveloppait dans un sac de
cuir, avec des serpents, et l'on jetait le sac dans le Tibre ; on
plaçait d'autres fois la victime sur une roue, on la tournait
longtemps avec violence dans un même sens, puis, tout à
coup, de l'autre, ce qui déchirait les entrailles, et les faisait
souvent vomir avec d'affreux efforts.
L'inquisiteur Torquemada faisait tenailler les patients devant lui,
sur les parties les plus charnues de leur corps ; il les faisait aussi
placer sur un pieu préparé, où l'on n'appuie
que sur le croupion : affreuse attitude, d'où il résulte
de si singulières convulsions, que l'on meurt d'un rire spasmodique
très extraordinaire à examiner36.
Apulée parle du tourment d'une femme, dont les détails
sont assez plaisants. On la fit coudre dans le ventre d'un âne,
dont on avait arraché les entrailles, mais sa tête passait
; on l'exposa ainsi aux bêtes féroces.
Le tyran Maxence faisait pourrir un homme vivant, sur le cadavre d'un
mort.
Il est des pays où l'on attache le patient près d'un
grand feu ; on lui ouvre le ventre avec des alènes, afin que
la flamme s'insinue dans ses entrailles, et les consume ainsi par
degrés.
Dans le temps des Dragonnades, on prenait les filles qui ne voulaient
pas se convertir, et, pour leur faire aimer la messe, on les remplissait
de poudre, avec un entonnoir enfoncé par l'anus et la matrice.
On les faisait ensuite sauter comme une bombe. Il est inouï combien
cela leur donnait de goût pour l'hostie et pour la confession
auriculaire ! Comment ne pas aimer un Dieu, au nom duquel on fait
de si belles choses ?
Revenant aux supplices antiques, nous voyons sainte Catherine attachée
sur un cylindre garni de pointes, rouler ainsi, du haut d'une montagne.
Vous conviendrez, Juliette, que c'est une façon bien douce
d'arriver au ciel.
Nous voyons d'autres martyrs de cette même religion, dont je
suis l'apôtre bien plus par intérêt que par goût,
avoir des aiguilles enfoncées sous les ongles, être roulés
nus sur des pointes de verre, rôtis sur des grils, suspendus
la tête dans une fosse où l'on mettait un serpent et
un chien, auxquels on ne donnait aucune autre nourriture, mutilés
en détail, et subissant enfin mille autres horreurs dont vous
soupçonnez les détails37.
Passant ensuite aux coutumes étrangères, nous voyons
en Chine le bourreau répondre, sur sa vie, de celle du patient,
si ce patient la perd avant le temps fixé, lequel est ordinairement
fort long, quelquefois même de neuf jours, et, pendant ce tempe-là,
les supplices sont variés avec le plus grand art.
Les Anglais coupaient en morceaux, et faisaient bouillir au fond d'une
marmite. Dans les colonies, ils faisaient écraser les nègres
lentement dans les tambours de moulins à sucre, ce qui est
un supplice aussi long qu'effroyable.
A Ceylan, ils condamnent à manger sa propre chair ou celle
de ses enfants.
Les habitants de Malabar hachent à coups de sabre ou font dévorer
aux tigres.
A Siam, ils font écraser par des taureaux. Le roi de ce pays
fit mourir un rebelle, en le nourrissant de sa propre chair dont on
lui coupait de temps en temps quelques tranches. Les mêmes serrent
quelquefois le corps de la victime, le piquent avec des instruments
très aigus, pour l'obliger à retenir son haleine : on
coupe ensuite ce corps brusquement en deux, en met la partie supérieure
sur une plaque ardente de cuivre, ce qui arrête l'hémorragie,
et prolonge ainsi la vie du patient dans la seule moitié de
son corps.
En Cochinchine, on attache nu à un poteau et l'on fait mourir
en détail, arrachant chaque jour un morceau de chair.
Les Coréens gonflent le corps du patient avec du vinaigre,
et quand il est ainsi enflé, ils le font mourir à coups
de bâton. Le roi de ce pays fit enfermer sa sur dans une
cage de cuivre, au-dessous de laquelle on faisait un feu perpétuel,
et il s'amusait à la voir danser là.
En d'autres endroits, on lie la victime sur un petit banc, large de
quatre doigts ; on lui met un autre banc sur les jarrets, et on la
bâtonne en cet état, sur l'os des jambes, quelquefois
sur les fesses ; cette dernière façon est principalement
en usage en Turquie et dans les États Barbaresques.
Ce qu'on appelle le paülo, à la Chine, est une colonne
de cuivre, longue de vingt coudées, sur huit de diamètre
; cette colonne est creuse ; on la fait rougir dedans ; le patient
embrasse cette colonne, on l'y fixe, il se grille en détail
ainsi. Ce fut la femme d'un empereur qui inventa, dit-on, ce supplice,
et qui n'y voyait jamais un malheureux sans décharger délicieusement38.
Les Japonais fendent le ventre ; le patient quelquefois est tenu par
quatre hommes ; le cinquième court de loin sur le malheureux,
et lui écrase la tête avec une massue de fer, en cabriolant
devant lui.
Les frères Moraves faisaient mourir en chatouillant. On a essayé
un supplice à peu près pareil sur des femmes : on les
polluait jusqu'à la mort.
Mais ce qui vous étonnera davantage, est de voir le métier
de bourreau rempli par des gens d'un rang et d'un état supérieurs.
Qu'imaginer alors, sinon que la plus cruelle lubricité les
guide ?
Mulei Ismaël était lui-même le grand exécuteur
des criminels de son empire ; nul, au Maroc, n'était mis à
mort que par sa main royale ; et nul n'enlevait une tête avec
autant d'adresse que lui. Il trouvait, disait-il, à cela, d'inexprimables
délices. Dix mille malheureux avaient éprouvé
la vigueur de son bras : c'était une opinion reçue dans
ses États, que celui qui meurt de la main du monarque avait
droit à la vie éternelle.
C'est le roi de Mélinde qui donne lui-même la bastonnade
dans ses États.
Bonner, évêque de Londres, épilait lui-même
ceux qui ne voulaient pas se convertir, ou il les fouettait. Il tint
la main d'un homme sur un brasier, jusqu'à ce que les nerfs
fussent brûlés.
Uriothesli, chancelier d'Angleterre, fit mettre à la torture,
devant lui, une très jolie femme, qui ne croyait pas en la
divinité de Jésus-Christ, et, de sa propre main, il
lui déchira le corps et la jeta dans les flammes. Et vous croyez
que le paillard ne bandait pas à l'exécution ?
En 1700, lors de la guerre des Camisards, l'abbé du Cheyla
fouettait lui-même dans les Cévennes toutes les petites
filles qui ne voulaient pas renoncer au protestantisme ; il en supplicia
plusieurs si violemment, qu'elles en moururent, et les coups de fusil
commencèrent de là.
Dans plusieurs pays, pour doubler l'appareil des supplices, quand
on exécutait deux criminels à la fois, le bourreau frottait
sa main dans le sang du premier et venait en barbouiller le visage
de l'autre.
Le meurtre, enfin, a été révéré
et mis en usage par toute la terre ; d'un bout du pôle à
l'autre, l'on immole des victimes humaines. Les Égyptiens,
les Arabes, les Crétois, les Cypriens, les Rhodiens, les Phocéens,
les Grecs, les Pélages, les Scythes, les Romains, les Phéniciens,
les Perses, les Indiens, les Chinois, les Massagètes, les Gètes,
les Sarmates, les Irlandais, les Norvégiens, les Suèves,
les Scandinaves, tous les peuples du Nord, les Gaulois, les Celtes,
les Cimbres, les Germains, les Bretons, les Espagnols, les Nègres
; tous ces individus... généralement tous, ont égorgé
des hommes sur les autels de leurs Dieux. De tout temps, l'homme a
trouvé du plaisir à verser le sang de ses semblables,
et, pour se contenter, tantôt il a déguisé cette
passion sous le voile de la justice, tantôt sous celui de la
religion. Mais le fond, mais le but était, il n'en faut pas
douter, l'étonnant plaisir qu'il y rencontrait.
Après de tels exemples, Juliette, après d'aussi frappantes
démonstrations, serez-vous convaincue qu'il n'est point d'action
plus simple au monde que le meurtre, qu'il n'en existe aucune qui
soit plus légitime, et que ce serait une extravagance à
vous de concevoir le plus léger remords de tous ceux où
vous avez pu vous livrer, ou de former la lâche résolution
de n'en plus commettre ?
- Philosophe adorable ! m'écriai-je en sautant au cou de Braschi,
jamais personne ne s'était expliqué comme vous sur cette
importante matière ; jamais tant de précision, de netteté,
de vraisemblance ; jamais d'aussi curieuses anecdotes ; jamais d'aussi
frappants exemples. Ah ! tous mes doutes sont maintenant dissipés,
je suis rendue ; je suis au point de n'avoir plus rien de sacré
sur cet objet, au point de désirer, comme Tibère, que
le genre humain n'ait qu'une tête, pour avoir le plaisir de
la lui trancher d'un seul coup.
- Partons, il est tard : n'avez-vous pas dit qu'il ne fallait point
que l'aurore nous retrouvât dans nos impuretés ?...
Nous passâmes dans l'église.
1 Page 192 de ses Lettres persanes.
2 Il faut observer que ces détails étaient exacts lorsque
Mme de Lorsange voyageait en Italie. On connaît les changements
opérés depuis, tant dans cette ville que dans les autres
endroits de cette belle contrée. (Note ajoutée.)
3 Il faut, dit Machiavel, que l'affection du complice soit bien grande,
si le danger où il s'expose ne lui paraît pas encore
plus grand ; ce qui prouve que, ou il faut choisir le complice bien
intimement lié à soi, ou s'en défaire dès
qu'on s'en est servi. (Disc., Lib. III, cap. VI.)
4 Toutes les personnes qui ont quelque penchant au crime voient leur
portrait dans ce paragraphe ; qu'elles profitent donc soigneusement
de tout ce qui précède, et de tout ce qui suit, sur
la manière de vivre délicieusement dans la genre de
vie pour lequel les a créées la nature, et qu'elles
se persuadent que la main qui donne ces avis a l'expérience
pour elle.
5 On peut éclaircir cette idée, en disant que le bon
dîner peut causer une volupté physique, et que de sauver
les trois millions de victimes, sur une âme honnête, ne
causerait qu'une volupté morale ; ce qui établit une
grande différence entre ces deux plaisirs, car les voluptés
de l'esprit ne sont que des jouissances intellectuelles, uniquement
dépendantes de l'opinion, tellement, qu'une âme vicieuse
ne sent point celles de la vertu, au lieu que les voluptés
du corps sont des sensations physiques, absolument dégagées
de l'opinion, également senties de tous les êtres, et
même des animaux ; moyennant quoi, la vie sauvée à
ou trois millions d'hommes ne serait qu'un plaisir d'opinion, et qu'une
seule espèce d'êtres ressentirait ; au lieu que le bon
dîner serait un plaisir senti de tout le monde, et par conséquent
très supérieur : d'où il résulte qu'il
n'y aurait pas à balancer, même entre une dragée
et l'univers entier. Ce raisonnement sert à démontrer
les avantages immenses du vice sur la vertu.
6 On n'imagine pas ce qu'on obtient des femmes, en les faisant décharger.
Il n'est question que de décider l'éjaculation d'un
peu de foutre en elles, pour les déterminer aux atrocités
les plus révoltantes, et si celles qui les aiment naturellement
voulaient ne rendre compte de leurs émotions, elles conviendraient
de la liaison singulière qui se trouve entre les émotions
physiques et les égarements moraux. Plus éclairées,
de ce moment, à quel point ne multiplieraient-elles pas la
somme de leurs voluptés, puisqu'elles en trouveraient le germe
dans des désordres qu'elles pourraient dès lors porter
aussi loin que l'exigerait leur lubricité ? Je m'explique.
Arsinoé n'avait qu'un plaisir, celui de foutre ; un amant libertin
profite de son égarement pour lui suggérer des projets
de crime ; Arsinoé sent croître sa volupté ; elle
exécute ce qu'on lui propose, et le feu de sa lubricité
n'enflamme à celui du forfait qu'elle vient de commettre :
Arsinoé a donc augmenté ses moyens d'un plaisir de plus.
Que toutes les femmes l'imitent, et toutes, comme elle, joindront
aux attraits d'une première jouissance, le sel piquant d'une
seconde. Toutes les immoralités s'enchaînent, et plus
on en réunira à l'immoralité de foutre, plus
on se rendra nécessairement heureux.
7 Voyez ses poésies, tome 1, page 28, dernière édition.
8 Jacques Vallée, seigneur Des Barreaux, intimement lié
avec Théophile de Viau, naquit à, Paris en 1602. L'impunité
et le libertinage de ces deux amis furent portés à leur
comble. Le fameux sonnet qu'on cite de lui (qui, par parenthèse,
est une des plus mauvaises pièces de vers qu'il soit possible
de lire), fut, dit-on, fait pendant une maladie ; il le désavoua,
et, certes, il n'était pas fait pour être avoué.
- Paraphrasé de cette manière, nos lecteurs le trouveront
peut-être un peu plus supportable.
9 Tout le monde a connu ce héros de la bougrerie, publiquement
brûlé en place de Grève par le jugement des putains
qui menaient tout alors dans Paris.
10 Celui de Jean-Baptiste, bardache aimé du fils de Marie.
11 Il est généralement regardé comme le patriarche
des moines et l'instituteur de leurs règles.
12 Dernier roi des Juifs.
13 Ceux qui se mêlent de branler des femmes ne sont pas assez
convaincus de l'extrême besoin qu'elles ont alors de faire pénétrer
le plaisir absolument par tous leurs pores. Celui qui veut leur procurer
une voluptueuse émission doit donc nécessairement s'arranger
pour avoir la langue dans leur bouche, pour branler les tétons,
avoir un doigt dans le vagin, un au clitoris, et l'autre au trou du
cul. Qu'il ne se flatte pas d'atteindre le but s'il néglige
une seule de ces circonstances. Voilà d'où vient qu'il
faut être au moins trois pour plonger véritablement une
femme dans l'ivresse.
14 On appelle ainsi ceux qui font le guet et qui arrêtent les
voleurs dans Rome.
15 Voyez son ouvrage sur la volupté.
16 Ce n'est que de cette volupté très constante que
naît l'usage d'enfermer les femmes en Asie ; la jalousie peut-elle
exister dans l'âme d'un homme qui a deux ou trois cents femmes
?
17 C'est ainsi que les Romains nommaient leurs voyages à la
campagne
18 Ce projet fut réellement conçu pendant que j'étais
à Rome ; il n'y eut de changé que le nom des acteurs.
19 Laisse-moi te rendre cet hommage, ami charmant que je n'oublierai
jamais. Tu es le seul dont je n'aie pas voulu déguiser le nom
dans ces Mémoires. Le rôle de philosophe que je t'y fais
jouer te convient trop bien, pour que tu ne me pardonnes pas de te
désigner à l'univers entier.
20 Espèce d'omelette très mince et qui se mange au sucre.
21 Il n'y avait pas à douter que plus elle était singulière,
plus elle devait donner de plaisir : c'est l'histoire de toutes les
lubricités. Il n'est aucune passion dans le monde qui demande
plus d'aliments que celle-là, aucune qu'il faille servir avec
plus de soin : plus elle exige, plus il faut lui donner ; et ce que
nous recevons d'elle n'est jamais, qu'en raison des sacrifices offerts
à ses autels.
22 Il est inouï que les Jacobins de la Révolution française
aient voulu culbuter les autels d'un Dieu qui parlait absolument leur
langage. Ce qu'il y a de plus extraordinaire encore, c'est que ceux
qui détestent et veulent détruire les Jacobins, le fassent
au nom d'un Dieu qui parle comme les Jacobins. Si ce n'est point là
le nec plus ultra des extravagances humaines, je demande instamment
qu'on me dise où il est. (Note ajoutée.)
23 Le Pierre des chrétiens n'est autre chose que le Annac,
l'Hermès et le Janus des Anciens ; tous individus auxquels
on attribuait le don d'ouvrir les portes de quelque béatitude.
Le mot pierre, en phénicien ou en hébreu, veut dire
ouvrir : et Jésus, qui jouait sur le mot, a pu dire à
Pierre : « Puisque tu es Pierre, c'est-à-dire l'homme
qui ouvre, tu ouvriras les portes du Paradis », tout comme en
ne prenant la signification du mot pierre que du mot cepha, des Orientaux,
qui signifie pierre à bâtir, il avait dit : « Tu
es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église.
» Le verbe latin aperire a bien aussi le même son que
le mot pierre. On appelle mine ce qui sort de la mine : n'a-t-on pas
pu de même, appeler ouverture ce qui sortait de la carrière
à laquelle primitivement on donnait le nom d'ouverture ? De
là le mot ouvrir et le mot pierre peuvent avoir eu la même
signification, et de là le jeu de mots de l'imbécile
Jésus qui, comme on sait, ne parlait jamais que par logogriphes.
Tout cela, ce sont de fades allégories, où les lieux
sont ajoutés aux noms, les noms aux lieux, et les faits toujours
sacrifiés à l'illusion. De toute façon, ce mot
apostolique est des plus anciens. Il précède de beaucoup
le Pierre des chrétiens. Tous les mythologistes ont reconnu
ce mot pour le nom d'une personne chargée du soin de l'ouverture.
24 Il y avait alors à Rome un certain Gérard Brazet,
regardé comme l'empoisonneur en titre du Saint-Siège
; il avait empoisonné huit papes, par ordre de ceux qui voulaient
succéder. Les souverains pontifes étaient alors, dit
Baronius, de si grands scélérats, qu'aucun âge
n'avait produit de tels monstres, ni un si grand nombre de scènes
d'horreurs.
25 C'est de lui dont on disait : Il est monté sur le trône
comme un renard, il a régné comme un lion, et il est
mort comme un chien.
26 C'est d'elle que le poète Sannazar, le Pétrarque
de Naples, nous dit :
Hoc jacet in tumula Lucretia
nomine sedra,
Thaïs Alexandri filia, sponsa nurus.
27 Écoutons parler Tacite
lui-même : « Il fit mourir cruellement les chrétiens
comme incendiaires de la ville de Rome. Ces chrétiens, poursuit
Tacite, étaient des gens haïs pour leur infamie, et, à
cause d'un fripon nommé Christ, leur fondateur, lequel mourut
dans les derniers supplices, sous le règne de Tibère.
Mais cette pernicieuse secte, après avoir été
réprimée quelque temps, polluait tout de nouveau, non
seulement dans le lieu de naissance, mais dans Rome même, qui
est le rendez-vous, et comme l'égout de toutes les ordures
du monde. On se saisit donc d'abord de ceux qui s'avouaient de cette
secte infâme, et, par leurs aveux, on découvrit une infinité
d'autres coquins pareils qui furent convaincus, et de crimes atroces
et d'être couverts de la haine du genre humain. La preuve du
point auquel on les haïssait, est qu'on insultait à leur
mort, en les couvrant de peaux de bêtes sauvages, et en les
faisant dévorer par les chiens, ou en les attachant à
des croix, quelquefois aussi en les brûlant comme des fagots,
afin d'éclairer les rues et les grands chemins (c'est pour
le coup qu'on pouvait dire lux in luce). Néron donnait volontiers
ses jardins pour ces spectacles. On l'y voyait parmi le peuple, en
habit de cocher, ou assis lui-même sur un char. Ces supplices
des chrétiens l'amusaient infiniment, et il y coopérait
souvent lui-même. »
Écoutons maintenant Lucien, sur cette même secte : «
C'est, dit-il, une assemblée de vagabonds, déguenillés,
au regard farouche, à la démarche d'énergumènes,
poussant des soupirs, faisant des contorsions, jurant par le Fils
qui est sorti du Père, prédisant mille malheurs à
l'empire, blasphémant tout ce qui ne pensait pas comme eux.
» Voilà quelle était la religion chrétienne
dès sa naissance : une horde de fripons et de scélérats,
suivie par des putains. Les infortunes de cette secte finirent par
intéresser les gens faibles, comme cela est d'usage : si on
ne l'eût point persécutée, on n'eût jamais
entendu parler d'elle. Il est inouï qu'un pareil fatras d'impostures
et d'atrocités ait aveuglé si longtemps nos pères.
Quand serons-nous donc assez sages pour les absorber, pour les pulvériser
sans retour ?
28 Ceux qui me connaissent savent que j'ai parcouru l'Italie avec
une très jolie femme ; que, par unique principe de philosophie
lubrique, j'ai fait connaître cette femme au grand-duc de Toscane,
au pape, à la Borghèse, au roi et à la reine
de Naples ; ils doivent donc être persuadés que tout
ce qui tient à la partie voluptueuse est exact, que ce sont
les murs bien constantes des personnages indiquée que
j'ai peintes, et que s'ils avaient été témoins
des scènes, ils ne les auraient pas vues dessinées plus
sincèrement. Je saisis cette occasion d'assurer le lecteur
qu'il en est de même de la partie des descriptions et des voyages
: elle est de la plus extrême exactitude.
29 Presque tous les peuples de la terre ont eu le droit de vie et
de mort sur leurs enfants. Ce droit est parfaitement dans la nature
; et de quoi peut-on mieux disposer, que de ce qu'on a donné
? S'il pouvait y avoir des gradations dans le prétendu crime
du meurtre, c'est-à-dire qu'on pût assigner du rang de
plus ou de moins de mal dans une chose qui n'en renferme aucun, assurément
l'infanticide serait au rang le plus inférieur : la prompte
facilité que tout homme possède de réparer ce
léger délit en absorbe entièrement tout le mal.
En étudiant bien la nature, on y verra que les premiers sentiments
de l'instinct nous portent à détruire notre progéniture,
et elle le serait infailliblement, si l'orgueil ne venait réclamer
pour elle.
30 Il faut appeler régénération, ou plutôt
transformation, ce changement que nous voyons dans la matière
; elle n'est ni perdue, ni gâtée, ni corrompue, par les
différentes formes qu'elle prend ; et peut-être une des
principales causes de sa force ou de sa vigueur consiste-t-elle dans
les apparentes destructions qui les subtilisent, lui donnent plus
de liberté pour former de nouveaux miracles. La matière,
en un mot, ne se détruit point pour changer de formes et prendre
une nouvelle modification, de même, dit Voltaire (dont cette
note est extraite), qu'un carré de cire qu'on réduit
en rond ne périclite point en changeant de figure. Rien de
plus simple que ces résurrections perpétuelles, et il
n'est pas plus surprenant de naître deux fois qu'une. Tout est
résurrection dans le monde : les chenilles ressuscitent en
papillons ; un noyau que l'on plante ressuscite en arbre ; tous les
animaux ensevelis dans la terre ressuscitent en herbe, en plantes,
en vers, et nourrissent d'autres animaux dont ils font bientôt
une partie de la substance, etc., etc., etc.
31 La peine promulguée contre l'infanticide des femmes est
une atrocité sans exemple. Qui donc est mieux le maître
de ce fruit que celle qui le porte dans son sein ? S'il est au monde
une propriété contre laquelle il ne puisse y avoir aucune
réclamation à faire, c'est assurément celle-là.
Troubler cette femme dans l'usage qu'elle fait de cette propriété
est le comble le plus inconcevable de l'imbécillité.
Certes, il faut attacher un prix bien grand à l'espèce
humaine, pour punir une malheureuse créature, seulement parce
qu'elle ne s'est pas souciée de doubler son existence, et de
confirmer le présent fait par elle involontairement. Et quel
bizarre calcul n'est-ce donc pas, d'ailleurs, que de sacrifier la
mère à l'enfant ? Le crime commis, il y avait une créature
de moins sur la terre ; le crime puni, en voilà deux. Qu'il
faut d'esprit pour un pareil calcul ! et que nos législateurs
sont profonds ! Et nous laissons subsister de telles lois ! et nous
avons la bonhomie de ne pas les pulvériser, elles et la mémoire
de ceux qui les firent !
32 De ce moment, la chose s'entend infiniment mieux.
33 Relation de Beaulieu.
34 Allons au fait et peignons en grand. Ô Braschi ! tu ne nous
donnes que des détails ! Je veux, d'un mot, offrir des masses
: les proscriptions des Juifs, des Chrétiens, de Mithridate,
de Marius, de Sylla, des Triumvirs, les boucheries de Théodose
et de Théodora, les fureurs des Croisés et de l'Inquisition,
les supplices des Templiers, l'histoire des massacres de Sicile, de
Mérindol, de la Saint-Barthélemy, ceux d'Islande, du
Piémont, des Cévennes, du Nouveau Monde ont coûté
vingt-trois millions cent quatre-vingt mille hommes, froidement égorgés
pour des opinions ! L'homme qui aime le meurtre fomente des opinions,
afin que l'on s'assassine pour elles.
35 J'atteste ceci pour l'avoir vu.
36 C'était en même temps le peuple le plus efféminé
; il y a donc très près du luxe et de la mollesse à
la cruauté.
37 On leur coupait les doigts, les poings, les pieds, les dents, les
yeux, les grosses chairs, le haut du nez, la langue, les parties viriles,
et le clitoris dans les femmes.
38 Une fois que les femmes se sont accoutumées à ne
s'exciter au plaisir qu'en éveillant la cruauté dans
elles, l'extrême délicatesse de leurs fibres, la prodigieuse
sensibilité de leurs organes, les font aller sur tout cela
beaucoup plus loin que les hommes.