Poésies nouvelles
et inédites
Jai tout donné
pour rien »
1833
Or çà, la belle fille,
Ouvrez cette mantille !
Cest trop de cruauté ;
Faites-nous cette joie
Que pleinement on voie
Toute votre beauté.
Apprenez-le, mignonne,
Quand le bon Dieu vous donne
Un corps aussi parfait,
Cest afin quon le sache,
Et cest péché quon cache
Le présent quil a fait.
Aime-moi, je suis riche
Comme un joueur qui triche,
Comme un juif usurier :
On peut maimer sans honte,
La couronne de comte
Rayonne à mon cimier.
Je suis, comme doit faire
Tout fils de noble père,
Les usages anciens :
On mencense à ma place ;
Mon prêtre, avant la chasse,
Dit la messe à mes chiens.
Jai de beaux équipages,
Des valets et des pages
À nen savoir le nom :
Jai des vassaux sans nombre
Qui vont baisant mon ombre
Et portent mon pennon.
Soupèse un peu, la belle,
Cette lourde escarcelle,
Hé bien, elle est à toi !
Je veux que ma maîtresse
Fasse envie, en richesse,
À la femme dun roi.
Tu rejettes mes offres ?
Allons, vide tes coffres,
Argentier de Satan !
Fais vite, ou je dépêche,
Juif, ta carcasse sèche
Au diable qui lattend.
Des robes quon déploie,
De velours ou de soie,
Quelle est celle à ton goût ?
Ces riches pendeloques,
Quentre les doigts tu choques,
Prends, je te donne tout :
Colliers dont chaque maille
De cent couleurs sémaille,
Magnifiques habits,
Beaux satins, fines toiles,
Brocarts semés détoiles,
Diamants et rubis !
Oui, pour tavoir, la belle,
Si tu fais la rebelle,
Jengagerais mon bien...
Merci, mon gentilhomme,
Reprenez votre somme,
Jai tout donné pour rien.
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