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Emile Zola
1908
Zola au Panthéon
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La décision de transférer les cendres dÉmile Zola au Panthéon a été prise par la Chambre des députés le 13 juillet 1906, au lendemain de lannulation par la Cour de cassation du jugement condamnant Alfred Dreyfus. Mais la loi, votée en fin daprès-midi, sans aucune discussion, na vu son aboutissement que deux ans plus tard, le 4 juin 1908, lorsque la panthéonisation de lécrivain a enfin été réalisée. Le débat que les députés nont pas mené en juillet 1906 sest étendu, en fait, sur deux années. Le Sénat sen est emparé une première fois, le 20 novembre 1906, quand il a dû confirmer la décision prise par les députés. Il a alors renvoyé la discussion au 11 décembre 1906 : la droite nationaliste sest opposée avec vigueur au projet, et il a fallu une intervention décisive de Georges Clemenceau pour que laccord soit obtenu. Mais tout nétait pas terminé, car sest posée ensuite la question du vote des crédits nécessaires à lorganisation de la cérémonie. Et cest ainsi que la Chambre sest retrouvée, à nouveau, devant le problème de la panthéonisation lors dune séance mémorable, le 19 mars 1908, au cours de laquelle Maurice Barrès et Jean Jaurès se sont affrontés. Pourquoi, en mars 1908, les députés senflamment-ils tellement autour de la question de la panthéonisation et du symbole que représente lauteur de Jaccuse ? Laffaire Dreyfus, en principe, est derrière eux. Les grands moments dramatiques qui ont marqué son déroulement se sont déroulés dix ans auparavant : la publication de Jaccuse dans LAurore, en janvier 1898, suivie par le procès en diffamation intenté contre Zola, au mois de février ; puis lextraordinaire rebondissement qua représenté, à la fin du mois daoût, le suicide du lieutenant-colonel Henry, qui venait davouer avoir forgé lune des preuves retenues contre Dreyfus ; le long processus de révision judiciaire entamé par la Cour de cassation, débouchant sur le procès de Rennes, au cours de lété 1899 ; la condamnation accompagnée des « circonstances atténuantes » ! prononcée une seconde fois contre laccusé ; et enfin la grâce accordée par le président de la République, le 19 septembre 1899. En 1908, laffaire Dreyfus est achevée. Elle a même connu un double épilogue. La Chambre et le Sénat ont voté, en décembre 1900, une loi damnistie mettant fin à toutes les poursuites judiciaires. Et la décision prise par la Cour de cassation, en juillet 1906, lui a apporté une conclusion juridique, au terme dune seconde révision conduite dans la plus grande rigueur. Nul ne devrait contester le rôle que Zola a joué, dix ans plus tôt, lorsquil a lancé son Jaccuse. Mais cest loin dêtre le cas. Que laffaire Dreyfus ait été un combat exemplaire pour la vérité et la justice, les nationalistes le nient de toutes leurs forces. À leurs yeux, le jugement rendu par la Cour de cassation ne possède aucune légitimité. Se fondant sur une lecture qui leur est propre de larticle 445 du Code dinstruction criminelle, ils soutiennent que lannulation du jugement de Rennes aurait dû entraîner un renvoi devant une juridiction ultérieure. Certains anciens dreyfusards, révoltés par la politique anticléricale du bloc radical, partagent ce point de vue, en considérant que les idéaux de justice auxquels ils croyaient ont été trahis : cest le cas notamment du groupe des Cahiers de la quinzaine, autour de Charles Péguy et de Daniel Halévy. Ce climat dopposition sexprime dans la violence des caricatures qui imaginent, au même moment, la future panthéonisation. Les cortèges fantaisistes que dessinent les caricaturistes courent vers le Panthéon, pris dune folie hystérique, dans une fuite éperdue qui fait écho à celle de La Débâcle. Le monument de la montagne Sainte-Geneviève semble investi soudainement par des personnages grotesques, issus de lunivers des Rougon-Macquart. Telle est la vision quoffre Le Témoin en couverture de son numéro du dimanche 12 avril 1908 : une immense Nana, au visage lourdement fardé, sétale dans une pose lascive, le coude appuyé sur le dôme du monument, quelle domine de son corps dénudé. Le motif scatologique du pot de chambre se retrouve dans plusieurs caricatures. Lune delles montre Dreyfus traînant vers le Panthéon un chariot en forme de pot de chambre contenant la silhouette du romancier. Sur un autre dessin, quatre personnages rigolards, Coupeau, Jésus-Christ (le paysan de La Terre), Nana et La Mouquette, sont représentés alors quils gravissent les marches du monument, portant triomphalement le vase emblématique dans lequel est fichée une plume décrivain. Le numéro de LAssiette au beurre qui est publié le 30 mai 1908 témoigne de cette dérision de nature carnavalesque. Le cortège officiel de la panthéonisation y est mis en scène sous une forme comique. Les personnages se succèdent dune page à lautre, se déployant sur lensemble du numéro qui est composé comme une bande dessinée. On aperçoit les représentants du gouvernement, du corps diplomatique, du Sénat et de la Chambre, suivis par des groupes de magistrats, duniversitaires, de militaires Jusquà une dernière figure, isolée, placée derrière toutes les autres : « Lui », cest-à-dire Alfred Dreyfus. La légende explique : « Jai bien le droit dassister à la cérémonie, puisque jai donné cent francs pour lérection de son monument. » Ainsi, lorsquil monte à la tribune, le 19 mars 1908, Maurice Barrès intervient dans un contexte idéologique qui est loin de lui être défavorable. Il sait bien que la panthéonisation ne pourra être évitée, mais il a le sentiment de défendre les valeurs profondes dune France éternelle, bafouée dans ses traditions. Et il pense que la polémique dans laquelle il sengage offre lavantage de coaliser lensemble des forces nationalistes contre le pouvoir en place. Quelques jours plus tôt, dans un article publié par LÉcho de Paris, il sest élevé avec vigueur contre le projet du transfert des cendres. Certes, il admettait que lauteur des Rougon-Macquart avait marqué son époque. Il reconnaissait son « succès de librairie, colossal ». Mais il refusait de voir en lui « une gloire des lettres ». Limmortalité littéraire, ajoutait-il, ne pouvait être accordée à un être grossier, porté instinctivement à la « pornographie ». Et il concluait avec force : « Nous ne devons rien à luvre de M. Zola, qui, de toute éternité, nous a fait horreur, quand elle ne nous faisait pas bâiller. » Ce sont ces arguments quil reprend, le 19 mars, en les développant dans un sens outrancier, pour faire réagir ses collègues. Afin de rallier la Chambre à sa cause, il sappuie sur limage de Victor Hugo, quil oppose à lexemple négatif représenté par lauteur des Rougon-Macquart. La panthéonisation majestueuse de Hugo, le 1er juin 1885, est encore dans toutes les mémoires : chacun se souvient de la foule immense qui a accompagné avec enthousiasme le cercueil du poète, de lArc de Triomphe à la colline Sainte-Geneviève. Jaurès prend alors la décision dintervenir pour défendre, à son tour, lhéritage hugolien. Il rappelle les idéaux de progrès et de justice sociale qui sattachent au mouvement romantique. Et il place Barrès devant ses propres contradictions en lui montrant que de telles valeurs sont étrangères aux théories de lAction française dont il est proche. Le traditionalisme de Charles Maurras ne conduit-il pas ce dernier à prôner le retour à une esthétique classique, contre la leçon du romantisme ? La joute oratoire opposant les deux députés se transforme ainsi en discussion sur le sens de lHistoire. Le 19 mars 1908, la Chambre des députés avait devant elle un ordre du jour en apparence secondaire : le vote de quelques crédits nécessaires à lorganisation dune cérémonie officielle... Ses débats lauront conduite à aborder des problèmes essentiels : non seulement la question de lengagement de lintellectuel, mais aussi la signification quil convient daccorder aux doctrines politiques et sociales que fait surgir lévolution de la littérature. Les deux grands orateurs qui sexpriment ce jour-là plaident, chacun de leur côté, pour la grandeur de la nation et des valeurs que celle-ci doit préserver. Sopposant au nationalisme partisan de Barrès, Jaurès lemporte en soulignant quil ne faut pas « mutiler la tradition de la patrie » : si Émile Zola est digne dincarner cette tradition, montre-t-il, cest quil na pas séparé « lart et la vie », mais a su les réunir « dans la passion de la vérité ». Alain PAGÈS (Université de
Paris III Sorbonne nouvelle) l'éloge
funèbre d'Émile Zola par Anatole France
Laffaire Dreyfus vue par Couturier,
en 1898 (« Histoire dun crime ») :
Les acteurs de la vie politique entre 1906 et 1908, lorsque la Chambre et le Sénat discutent de la panthéonisation dÉmile Zola : Georges Clemenceau ; Jean Jaurès ; Maurice Barrès ; Édouard Drumont (le directeur de La Libre Parole). Ces caricatures sont extraites dune série de vingt-cinq eaux-fortes aquarellées quOrens a composées en 1904.
Le débat de la panthéonisation, en mars et avril 1908, tel quil apparaît à travers lénergique opposition manifestée par Barrès. La « Protestation des 52 Grands Hommes » émane de ceux qui sont enterrés au Panthéon et refusent dy voir entrer Zola ! À leur tête se trouve le maréchal Lannes, héros des guerres napoléoniennes : le 22 mars 1908, son petit-fils, le duc de Montebello, manifesta son refus de voir les cendres de son ancêtre reposer auprès dun « insulteur de larmée française ».
Caricatures hostiles à la panthéonisation : une carte postale fondée sur le thème de la « débâcle » et la couverture du Témoin, en date du 12 avril 1908. Les romans auxquels elles font référence sont parmi les plus célèbres du cycle des Rougon-Macquart : Nana (publié en 1880) et La Débâcle (publié en 1892).
Des personnages comiques, issus de lunivers des Rougon-Macquart, portent en triomphe un pot de chambre dans lequel est fichée une plume décrivain : Cambronne (qui représente les soldats de lépoque napoléonienne enterrés au Panthéon) tente de sy opposer, en prononçant le mot qui la rendu célèbre.
La cérémonie de la panthéonisation, telle quelle est évoquée par le numéro de LAssiette au beurre du 30 mai 1908 : en tête du cortège officiel, le président de la République, Armand Fallières, suivi par les représentants du corps diplomatique.
Le défilé de LAssiette au beurre : un groupe duniversitaires et détudiants issus des grandes écoles ; derrière eux, isolé, Alfred Dreyfus
Le monument en hommage à Zola inauguré à Suresnes, le 12 avril 1908, deux mois avant la panthéonisation du 4 juin 1908. |