Le Docteur Pascal
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Le Docteur Pascal - 14 Dans la salle de travail, Clotilde reboutonna son corsage, tenant encore, sur les genoux, son enfant, à qui elle venait de donner le sein. Cétait après le déjeuner, vers trois heures, par une éclatante journée de la fin du mois daoût, au ciel de braise ; et les volets, soigneusement clos, ne laissaient pénétrer, à travers les fentes, que de minces flèches de soleil, dans lombre assoupie et tiède de la vaste pièce. La grande paix oisive du dimanche semblait sépandre du dehors, avec un vol lointain de cloches, sonnant le dernier coup des vêpres. Pas un bruit ne montait de la maison vide, où la mère et le petit devaient rester seuls jusquau dîner, la servante ayant demandé la permission daller voir une cousine, dans le faubourg. Un instant, Clotilde regarda son enfant, un gros garçon de trois mois déjà. Elle était accouchée vers les derniers jours de mai. Depuis dix mois bientôt, elle portait le deuil de Pascal, une simple et longue robe noire, dans laquelle elle était divinement belle, si fine, si élancée, avec son visage dune jeunesse si triste, nimbé de ses admirables cheveux blonds. Et elle ne pouvait sourire, mais elle éprouvait une douceur à voir le bel enfant, gras et rose, avec sa bouche encore mouillée de lait, et dont le regard avait rencontré une des barres de soleil, où dansaient des poussières. Il semblait très surpris, il ne quittait pas des yeux cet éclat dor, ce miracle éblouissant de clarté. Puis, le sommeil vint, il laissa retomber, sur le bras de sa mère, sa petite tête ronde et nue, déjà semée de rares cheveux pâles. Alors, doucement, Clotilde se leva, le posa au fond du berceau, qui se trouvait près de la table. Elle demeura penchée un instant, pour être bien sûre quil dormait ; et elle rabattit le rideau de mousseline, dans lombre crépusculaire. Sans bruit, avec des gestes souples, marchant dun pas si léger, quil effleurait à peine le parquet, elle soccupa ensuite, rangea du linge qui était sur la table, traversa deux fois la pièce, à la recherche dun petit chausson égaré. Elle était très silencieuse, très douce et très active. Et, ce jour-là, dans la solitude de la maison, elle songeait, lannée vécue se déroulait. Dabord, après laffreuse secousse du convoi, cétait le départ immédiat de Martine, qui sétait obstinée, ne voulant pas même faire ses huit jours, amenant, pour la remplacer, la jeune cousine dune boulangère du voisinage, une grosse fille brune qui sétait trouvée heureusement assez propre et dévouée. Martine, elle, vivait à Sainte-Marthe, dans un trou perdu, si chichement, quelle devait encore faire des économies, sur les rentes de son petit trésor. On ne lui connaissait point dhéritier, à qui profiterait donc cette fureur davarice ? En dix mois, elle navait, pas une seule fois, remis les pieds à la Souleiade : Monsieur nétait plus là, elle ne cédait même pas au désir de voir le fils de Monsieur. Puis, dans la songerie de Clotilde, la figure de sa grand-mère Félicité sévoquait. Celle-ci venait la visiter de temps à autre, avec une condescendance de parente puissante, qui est desprit assez large pour pardonner toutes les fautes, quand elles sont cruellement expiées. Elle arrivait à limproviste, embrassait lenfant, faisait de la morale, donnait des conseils ; et la jeune mère avait pris, vis-à-vis delle, lattitude simplement déférente que Pascal avait gardée toujours. Dailleurs, Félicité était toute à son triomphe. Elle allait réaliser enfin une idée longtemps caressée, mûrement réfléchie, qui devait consacrer par un monument impérissable la pure gloire de la famille. Cette idée était demployer sa fortune, devenue considérable, à la construction et à la dotation dun Asile pour les vieillards, qui sappellerait lAsile Rougon. Déjà, elle avait acheté le terrain, une partie de lancien Jeu de Mail, en dehors de la ville, près de la gare ; et précisément, ce dimanche-là, vers cinq heures, quand la chaleur tomberait un peu, on devait poser la première pierre, une solennité véritable, honorée par la présence des autorités, et dont elle serait la reine applaudie, au milieu dun concours énorme de population. Clotilde éprouvait, en outre, quelque reconnaissance pour sa grand-mère, qui venait de montrer un désintéressement parfait, lors de louverture du testament de Pascal. Celui-ci avait institué la jeune femme sa légataire universelle ; et la mère, qui gardait son droit à la réserve dun quart, après sêtre déclarée respectueuse des volontés dernières de son fils, avait simplement renoncé à la succession. Elle voulait bien déshériter tous les siens, ne leur léguer que de la gloire, en employant sa grosse fortune à lérection de cet Asile qui porterait le nom respecté et béni des Rougon aux âges futurs ; mais, après avoir été, pendant un demi-siècle, si âpre à la conquête de largent, elle le dédaignait à cette heure, épurée dans une ambition plus haute. Et Clotilde, grâce à cette libéralité, navait plus dinquiétude pour lavenir : les quatre mille francs de rente leur suffiraient, à elle et à son enfant. Elle lélèverait, elle en ferait un homme. Même elle avait placé, sur la tête du petit, à fonds perdus, les cinq mille francs du secrétaire ; et elle possédait encore la Souleiade, que tout le monde lui conseillait de vendre. Sans doute, lentretien nen était pas coûteux, mais quelle vie de solitude et de tristesse, dans cette grande maison déserte, beaucoup trop vaste, où elle était comme perdue ! Jusque-là, pourtant, elle navait pu se décider à la quitter. Peut-être ne sy déciderait-elle jamais. Ah ! cette Souleiade, tout son amour y était, toute sa vie, tous ses souvenirs ! Il lui semblait, par moments, que Pascal y vivait encore, car elle ny avait rien dérangé de leur existence de jadis. Les meubles étaient aux mêmes places, les heures y sonnaient les mêmes habitudes. Elle ny avait fermé que sa chambre, à lui, où elle seule entrait, ainsi que dans un sanctuaire, pour pleurer, lorsquelle sentait son cur trop lourd. Dans la chambre où tous deux sétaient aimés, dans le lit où il était mort, elle se couchait chaque nuit, comme autrefois, lorsquelle était jeune fille ; et il ny avait de plus, là, contre ce lit, que le berceau, quelle y apportait le soir. Cétait toujours la même chambre douce aux antiques meubles familiers, aux tentures attendries par lâge, couleur daurore, la très vieille chambre que lenfant rajeunissait de nouveau. Puis, en bas, si elle se trouvait bien seule, bien perdue, à chaque repas, dans la salle à manger claire, elle y entendait les échos des rires, des vigoureux appétits de sa jeunesse, lorsque tous les deux mangeaient et buvaient si gaiement, à la santé de lexistence. Et le jardin aussi, toute la propriété tenait à son être, par les fibres les plus intimes, car elle ne pouvait y faire un pas, sans y évoquer leurs deux images unies lune à lautre : sur la terrasse, à lombre mince des grands cyprès séculaires, ils avaient si souvent contemplé la vallée de la Viorne, que bornaient les barres rocheuses de la Seille et les coteaux brûlés de Sainte-Marthe ! par les gradins de pierres sèches, au travers des oliviers et des amandiers maigres, ils sétaient tant de fois défiés à grimper lestement, comme des gamins en fuite de lécole ! et il y avait encore la pinède, lombre chaude et embaumée, où les aiguilles craquaient sous les pas, laire immense, tapissée dune herbe moelleuse aux épaules, doù lon découvrait le ciel entier, le soir, quand se levaient les étoiles ! et il y avait surtout les platanes géants, la paix délicieuse quils étaient venus goûter là, chaque jour dété, en écoutant la chanson rafraîchissante de la source, la pure note de cristal quelle filait depuis des siècles ! Jusquaux vieilles pierres de la maison, jusquà la terre du sol, il nétait pas un atome, à la Souleiade, où elle ne sentit le battement tiède dun peu de leur sang, dun peu de leur vie répandue et mêlée. Mais elle préférait passer ses journées dans la salle de travail, et cétait là quelle revivait ses meilleurs souvenirs. Il ne sy trouvait aussi quun meuble de plus, le berceau. La table du docteur était à sa place, devant la fenêtre de gauche : il aurait pu entrer et sasseoir, car la chaise navait pas même été bougée. Sur la longue table du milieu, parmi lancien entassement des livres et des brochures, il ny avait de nouveau que la note claire des petits linges denfant, quelle était en train de visiter. Les corps de bibliothèque montraient les mêmes rangées de volumes, la grande armoire de chêne semblait garder dans ses flancs le même trésor, solidement close. Sous le plafond enfumé, la bonne odeur de travail flottait toujours, parmi la débandade des sièges, le désordre amical de cet atelier en commun, où ils avaient si longtemps mis les caprices de la jeune fille et les recherches du savant. Et, surtout, ce qui la touchait aujourdhui, cétait de revoir ses anciens pastels, cloués aux murs, les copies quelle avait faites de fleurs vivantes, minutieusement copiées, puis les imaginations envolées en plein pays chimérique, les fleurs de rêve dont la fantaisie folle lemportait parfois. Clotilde achevait de ranger les petits anges sur la table, lorsque, précisément, son regard, en se levant, rencontra devant elle le pastel du vieux roi David, la main posée sur lépaule nue dAbisaïg, la jeune Sunamite. Et elle, qui ne riait plus, sentit une joie lui monter à la face, dans lheureux attendrissement quelle éprouvait. Comme ils saimaient, comme ils rêvaient déternité, le jour où elle sétait amusée à ce symbole, orgueilleux et tendre ! Le vieux roi, vêtu somptueusement dune robe toute droite, lourde de pierreries, portait le bandeau royal sur ses cheveux de neige ; et elle était plus somptueuse encore, rien quavec la soie liliale de sa peau, sa taille mince et allongée, sa gorge ronde et menue, ses bras souples, dune grâce divine. Maintenant, il sen était allé, il dormait sous la terre, tandis quelle, habillée de noir, toute noire, ne montrant rien de sa nudité triomphante, navait plus que lenfant pour exprimer le don tranquille, absolu quelle avait fait de sa personne, devant le peuple assemblé, à la pleine lumière du jour. Doucement, Clotilde finit par sasseoir près du berceau. Les flèches de soleil sallongeaient dun bout de la pièce à lautre, la chaleur de lardente journée salourdissait, parmi lombre assoupie des volets clos ; et le silence de la maison semblait sêtre élargi encore. Elle avait mis à part des petites brassières, elle recousait des cordons, dune aiguille lente, peu à peu prise dune songerie, au milieu de cette grande paix chaude qui lenveloppait, dans lincendie du dehors. Sa pensée, dabord, retourna à ses pastels, les exacts et les chimériques, et elle se disait maintenant que toute sa dualité se trouvait dans cette passion de vérité qui la tenait parfois des heures entières devant une fleur, pour la copier avec précision, puis dans son besoin dau-delà qui, dautres fois, la jetait hors du réel, lemportait en rêves fous, au paradis des fleurs incréées. Elle avait toujours été ainsi, elle sentait quau fond elle restait aujourdhui ce quelle était la veille, sous le flot de vie nouveau qui la transformait sans cesse. Et sa pensée, alors, sauta à la gratitude profonde quelle gardait à Pascal de lavoir faite ce quelle était. Jadis, lorsque, toute petite, lenlevant à un milieu exécrable, il lavait prise avec lui, il avait sûrement cédé à son bon cur, mais sans doute aussi était-il désireux de tenter sur elle lexpérience de savoir comment elle pousserait dans un milieu autre, tout de vérité et de tendresse. Cétait, chez lui, une préoccupation constante, une théorie ancienne, quil aurait voulu expérimenter en grand : la culture par le milieu, la guérison même, lêtre amélioré et sauvé, au physique et au moral. Elle lui devait certainement le meilleur de son être, elle devinait la fantasque et la violente quelle aurait pu devenir, tandis quil ne lui avait donné que de la passion et du courage. Dans cette floraison, au libre soleil, la vie avait même fini par les jeter aux bras lun de lautre, et nétait-ce pas comme leffort dernier de la bonté et de la joie, lenfant qui était venu et qui les aurait réjouis ensemble, si la mort ne les avait point séparés ? Dans ce retour en arrière, elle eut la sensation nette du long travail qui sétait opéré en elle. Pascal corrigeait son hérédité, et elle revivait la lente évolution, la lutte entre la réelle et la chimérique. Cela partait de ses colères denfant, dun ferment de révolte, dun déséquilibre qui la jetait aux pires rêveries. Puis venaient ses grands accès de dévotion, son besoin dillusion et de mensonge, de bonheur immédiat, à la pensée que les inégalités et les injustices de cette terre mauvaise devaient être compensées par les éternelles joies dun paradis futur. Cétait lépoque de ses combats avec Pascal, des tourments dont elle lavait torturé, en rêvant dassassiner son génie. Et elle tournait, à ce coude de la route, elle le retrouvait son maître, la conquérant par la terrible leçon de vie quil lui avait donnée, pendant la nuit dorage. Depuis, le milieu avait agi, lévolution sétait précipitée : elle finissait par être la pondérée, la raisonnable, acceptant de vivre lexistence comme il fallait la vivre, avec lespoir que la somme du travail humain libérerait un jour le monde du mal et de la douleur. Elle avait aimé, elle était mère, et elle comprenait. Brusquement, elle se rappela lautre nuit, celle quils avaient passée sur laire. Elle entendait encore sa lamentation sous les étoiles : la nature atroce, lhumanité abominable, et la faillite de la science, et la nécessité de se perdre en Dieu, dans le mystère. En dehors de lanéantissement, il ny avait pas de bonheur durable. Puis, elle lentendait, lui, reprendre son credo, le progrès de la raison par la science, lunique bienfait possible des vérités lentement acquises, à jamais, la croyance que la somme de ces vérités, augmentées toujours, doit finir par donner à lhomme un pouvoir incalculable, et la sérénité, sinon le bonheur. Tout se résumait dans la foi ardente en la vie. Comme il le disait, il fallait marcher avec la vie qui marchait toujours. Aucune halte nétait à espérer, aucune paix dans limmobilité de lignorance, aucun soulagement dans les retours en arrière. Il fallait avoir lesprit ferme, la modestie de se dire que la seule récompense de la vie est de lavoir vécue bravement, en accomplissant la tâche quelle impose. Alors, le mal nétait plus quun accident encore inexpliqué, lhumanité apparaissait, de très haut, comme un immense mécanisme en fonction, travaillant au perpétuel devenir. Pourquoi louvrier qui disparaissait, ayant terminé sa journée, aurait-il maudit luvre, parce quil ne pouvait en voir ni en juger la fin ? Même, sil ne devait pas y avoir de fin, pourquoi ne pas goûter la joie de laction, lair vif de la marche, la douceur du sommeil après une longue fatigue ? Les enfants continueront la besogne des pères, ils ne naissent et on ne les aime que pour cela, pour cette tâche de la vie quon leur transmet, quils transmettront à leur tour. Et il ny avait plus, dès ce moment, que la résignation vaillante au grand labeur commun, sans la révolte du moi qui exige un bonheur à lui, absolu. Elle sinterrogea, elle néprouva pas la détresse qui langoissait, jadis, lorsquelle songeait au lendemain de la mort. Cette préoccupation de lau-delà ne la hantait plus jusquà la torture. Autrefois, elle aurait voulu arracher violemment du ciel le secret de la destinée. Cétait, en elle, une infinie tristesse dêtre, sans savoir pourquoi elle était. Que venait-on faire sur la terre ? quel était le sens de cette existence exécrable, sans égalité, sans justice, qui lui apparaissait comme le cauchemar dune nuit de délire ? Et son frisson sétait calmé, elle pouvait songer à ces choses, courageusement. Peut-être était-ce lenfant, cette continuation delle-même, qui lui cachait désormais lhorreur de sa fin. Mais il y avait aussi là beaucoup de léquilibre où elle vivait, cette pensée quil fallait vivre pour leffort de vivre, et que la seule paix possible, en ce monde, était dans la joie de cet effort accompli. Elle se répétait une parole du docteur qui disait souvent, lorsquil voyait un paysan rentrer, lair paisible, après sa journée faite : « En voilà un que la querelle de lau-delà nempêchera pas de dormir. » Il voulait dire que cette querelle ne ségare et ne se pervertit que dans le cerveau enfiévré des oisifs. Si tous faisaient leur tâche, tous dormiraient tranquillement. Elle-même avait senti cette toute-puissance bienfaitrice du travail, au milieu de ses souffrances et de ses deuils. Depuis quil lui avait appris lemploi de chacune de ses heures, depuis surtout quelle était mère, sans cesse occupée de son enfant, elle ne sentait plus le frisson de linconnu lui passer sur la nuque, en un petit souffle glacé. Elle écartait sans lutte les rêveries inquiétantes ; et, si une crainte la troublait encore, si une des amertumes quotidiennes lui noyait le cur de nausées, elle trouvait un réconfort, une force de résistance invincible, dans cette pensée que son enfant avait un jour de plus, ce jour-là, quil en aurait un autre de plus, le lendemain, que jour à jour, page à page, son uvre vivante sachevait. Cela la reposait délicieusement de toutes les misères. Elle avait une fonction, un but, et elle le sentait bien à sa sérénité heureuse, elle faisait sûrement ce quelle était venue faire. Cependant, à cette minute même, elle comprit que la chimérique nétait pas morte tout entière en elle. Un léger bruit venait de voler dans le profond silence, et elle avait levé la tête : quel était le médiateur divin qui passait ? peut-être le cher mort quelle pleurait et quelle croyait deviner à son entour. Toujours, elle devait rester un peu lenfant croyante dautrefois, curieuse du mystère, ayant le besoin instinctif de linconnu. Elle avait fait la part de ce besoin, elle lexpliquait même scientifiquement. Si loin que la science recule les bornes des connaissances humaines, il est un point sans doute quelle ne franchira pas ; et cétait là, précisément, que Pascal plaçait lunique intérêt à vivre, dans le désir quon avait de savoir sans cesse davantage. Elle, dès lors, admettait les forces ignorées où le monde baigne, un immense domaine obscur, dix fois plus large que le domaine conquis déjà, un infini inexploré à travers lequel lhumanité future monterait sans fin. Certes, cétait là un champ assez vaste, pour que limagination pût sy perdre. Aux heures de songerie, elle y contentait la soif impérieuse que lêtre semble avoir de lau-delà, une nécessité déchapper au monde visible, de contenter lillusion de labsolue justice et du bonheur à venir. Ce qui lui restait de son tourment de jadis, ses envolées dernières sy apaisaient, puisque lhumanité souffrante ne peut vivre sans la consolation du mensonge. Mais tout se fondait heureusement en elle. A ce tournant dune époque surmenée de science, inquiète des ruines quelle avait faites, prise deffroi devant le siècle nouveau, avec lenvie affolée de ne pas aller plus loin et de se rejeter en arrière, elle était lheureux équilibre, la passion du vrai élargie par le souci de linconnu. Si les savants sectaires fermaient lhorizon pour sen tenir strictement aux phénomènes, il lui était permis, à elle, bonne créature simple, de faire la part de ce quelle ne savait pas, de ce quelle ne saurait jamais. Et, si le credo de Pascal était la conclusion logique de toute luvre, léternelle question de lau-delà quelle continuait quand même à poser au ciel rouvrait la porte de linfini, devant lhumanité en marche. Puisque toujours il faudra apprendre, en se résignant à ne jamais tout connaître, nétait-ce pas vouloir le mouvement, la vie elle-même, que de réserver le mystère, un éternel doute et un éternel espoir ? Un nouveau bruit, une aile qui passa, leffleurement dun baiser sur ses cheveux, la fit sourire cette fois. Il était sûrement là. Et tout en elle aboutissait à une tendresse immense, venue de partout, noyant son être. Comme il était bon et gai, et quel amour des autres lui donnait sa passion de la vie ! Lui-même peut-être nétait quun rêveur, car il avait fait le plus beau des rêves, cette croyance finale à un monde supérieur, quand la science aurait investi lhomme dun pouvoir incalculable : tout accepter, tout employer au bonheur, tout savoir et tout prévoir, réduire la nature à nêtre quune servante, vivre dans la tranquillité de lintelligence satisfaite ! En attendant, le travail voulu et réglé suffisait à la bonne santé de tous. Peut-être la souffrance serait-elle utilisée un jour. Et, en face du labeur énorme, devant cette somme des vivants, des méchants et des bons, admirables quand même de courage et de besogne, elle ne voyait plus quune humanité fraternelle, elle navait plus quune indulgence sans bornes, une infinie pitié et une charité ardente. Lamour, comme le soleil, baigne la terre, et la bonté est le grand fleuve où boivent tous les curs. Clotilde, depuis deux heures bientôt, tirait son aiguille, du même mouvement régulier, pendant que sa rêverie ségarait. Mais les cordons des petites brassières étaient recousus, elle avait aussi marqué des couches neuves, achetées la veille. Et elle se leva, ayant fini sa couture, voulant ranger ce linge. Au-dehors, le soleil baissait, les flèches dor nentraient plus que très minces et obliques, par les fentes. Elle voyait à peine clair, elle dut aller ouvrir un volet ; puis, elle soublia un instant, devant le vaste horizon, brusquement déroulé. La grosse chaleur tombait, un vent léger soufflait dans ladmirable ciel, dun bleu sans tache. A gauche, on distinguait jusquaux moindres touffes de pins, parmi les écroulements sanglants des rochers de la Seille ; tandis que, vers la droite, après les coteaux de Sainte-Marthe, la vallée de la Viorne sétalait à linfini, dans le poudroiement dor du couchant. Elle regarda un instant la tour de Saint-Saturnin, toute en or elle aussi, dominant la ville rose ; et elle se retirait, lorsquun spectacle la ramena, la retint, accoudée, longtemps encore. Cétait, au-delà de la ligne du chemin de fer, un grouillement de foule, qui se pressait dans lancien Jeu de Mail. Clotilde se rappela aussitôt la cérémonie, et elle comprit que sa grand-mère Félicité allait poser la première pierre de lAsile Rougon, le monument victorieux, destiné à porter la gloire de la famille aux âges futurs. Des préparatifs énormes étaient faits depuis huit jours, on parlait dune auge et dune truelle en argent, dont la vieille dame devait se servir en personne, ayant tenu à figurer, à triompher, avec ses quatre-vingt-deux ans. Ce qui la gonflait dun orgueil royal, cétait quelle achevait la conquête de Plassans pour la troisième fois, en cette circonstance ; car elle forçait la ville entière, les trois quartiers à se ranger autour delle, à lui faire escorte et à lacclamer, comme une bienfaitrice. Il devait y avoir, en effet, des dames patronnesses, choisies parmi les plus nobles du quartier Saint-Marc, une délégation des sociétés ouvrières du vieux quartier, enfin les habitants les mieux connus de la ville neuve, des avocats, des notaires, des médecins, sans compter le petit peuple, un flot de gens endimanchés, se ruant là, ainsi quà une fête. Et, au milieu de ce triomphe suprême, elle était peut-être plus orgueilleuse encore, elle, une des reines du second Empire, la veuve qui portait si dignement le deuil du régime déchu, davoir vaincu la jeune République, en lobligeant, dans la personne du sous-préfet, à la venir saluer et remercier. Il navait dabord été question que dun discours du maire ; mais il était certain, depuis la veille, que le sous-préfet, lui aussi, parlerait. De si loin, Clotilde ne distinguait quun tumulte de redingotes noires et de toilettes claires, sous léclatant soleil. Puis, il y eut un bruit perdu de musique, la musique des amateurs de la ville, dont le vent, par instants, lui apportait les sonorités de cuivre. Elle quitta la fenêtre, elle vint ouvrir la grande armoire de chêne, pour y serrer son travail, resté sur la table. Cétait dans cette armoire, si pleine autrefois des manuscrits du docteur, et vide aujourdhui, quelle avait rangé la layette de lenfant. Elle semblait sans fond, immense, béante ; et, sur les planches nues et vastes, il ny avait plus que les langes délicats, les petites brassières, les petits bonnets, les petits chaussons, les tas de couches, toute cette lingerie fine, cette plume légère doiseau encore au nid. Où tant didées avaient dormi en tas, où sétait accumulé pendant trente années lobstiné labeur dun homme, dans un débordement de paperasses, il ne restait que le lin dun petit être, à peine des vêtements, les premiers linges qui le protégeaient pour une heure, et dont il ne pourrait bientôt plus se servir. Limmensité de lantique armoire en paraissait égayée et toute rafraîchie. Lorsque Clotilde eut rangé sur une planche les couches et les brassières, elle aperçut, dans une grande enveloppe, les débris des dossiers quelle avait remis là, après les avoir sauvés du feu. Et elle se souvint dune prière que le docteur Ramond était venu lui adresser la veille encore : celle de regarder si, parmi ces débris, il ne restait aucun fragment de quelque importance, ayant un intérêt scientifique. Il était désespéré de la perte des manuscrits inestimables que lui avait légués le maître. Tout de suite après la mort, il sétait bien efforcé de rédiger lentretien suprême quil avait eu, cet ensemble de vastes théories exposées par le moribond avec une sérénité si héroïque ; mais il ne retrouvait que des résumés sommaires, il lui aurait fallu les études complètes, les observations faites au jour le jour, les résultats acquis et les lois formulées. La perte demeurait irréparable, cétait une besogne à recommencer, et il se lamentait de navoir que des indications, il disait quil y aurait là, pour la science, un retard de vingt ans au moins, avant quon reprît et quon utilisât les idées du pionnier solitaire, dont une catastrophe sauvage et imbécile avait détruit les travaux. LArbre généalogique, le seul document intact, était joint à lenveloppe, et Clotilde apporta le tout sur la table, près du berceau. Quand elle eut sorti les débris un à un, elle constata, ce dont elle était déjà à peu près certaine, que pas une page entière de manuscrit ne restait, pas une note complète ayant un sens. Il nexistait que des fragments, des bouts de papier à demi brûlés et noircis, sans lien, sans suite. Mais, pour elle, à mesure quelle les examinait, un intérêt se levait de ces phrases incomplètes, de ces mots à moitié mangés par le feu, où tout autre naurait rien compris. Elle se souvenait de la nuit dorage, les phrases se complétaient, un commencement de mot évoquait les personnages, les histoires. Ce fut ainsi que le nom de Maxime tomba sous ses yeux ; et elle revit lexistence de ce frère qui lui était resté étranger, dont la mort, deux mois plus tôt, lavait laissée presque indifférente. Ensuite, une ligne tronquée contenant le nom de son père, lui causa un malaise ; car elle croyait savoir que celui-ci avait mis dans sa poche la fortune et lhôtel de son fils, grâce à la nièce de son coiffeur, cette Rose si candide, payée dun tant pour cent généreux. Puis, elle rencontra encore dautres noms, celui de son oncle Eugène, lancien vice-empereur, ensommeillé à cette heure, celui de son cousin Serge, le curé de Saint-Eutrope, quon lui avait dit phtisique et mourant, la veille. Et chaque débris sanimait, la famille exécrable et fraternelle renaissait de ces miettes, de ces cendres noires où ne couraient plus que des syllabes incohérentes. Alors, Clotilde eut la curiosité de déplier et détaler sur la table lArbre généalogique. Une émotion lavait gagnée, elle était tout attendrie par ces reliques ; et, lorsquelle relut les notes ajoutées au crayon par Pascal, quelques minutes avant dexpirer, des larmes lui vinrent aux yeux. Avec quelle bravoure il avait inscrit la date de sa mort ! et comme on sentait son regret désespéré de la vie, dans les mots tremblés annonçant la naissance de lenfant ! LArbre montait, ramifiait ses branches, épanouissait ses feuilles, et elle soubliait longuement à le contempler, à se dire que toute luvre du maître était là, toute cette végétation classée et documentée de leur famille. Elle entendait les paroles dont il commentait chaque cas héréditaire, elle se rappelait ses leçons. Mais les enfants surtout lintéressaient. Le confrère auquel le docteur avait écrit à Nouméa, pour obtenir des renseignements sur lenfant né dun mariage dEtienne, au bagne, sétait décidé à répondre ; seulement, il ne disait que le sexe, une fille, et qui paraissait bien portante. Octave Mouret avait failli perdre la sienne, très frêle, tandis que son petit garçon continuait à être superbe. Dailleurs, le coin de belle santé vigoureuse, de fécondité extraordinaire, était toujours à Valqueyras, dans la maison de Jean, dont la femme, en trois années, avait eu deux enfants, et était grosse dun troisième. La nichée poussait gaillardement au grand soleil, en pleine terre grasse, pendant que le père labourait, et que la mère, au logis, faisait bravement la soupe et torchait les mioches. Il y avait là assez de sève nouvelle et de travail, pour refaire un monde. Clotilde, à ce moment, crut entendre le cri de Pascal : « Ah ! notre famille, que va-t-elle devenir, à quel être aboutira-t-elle enfin ? » Et elle-même retombait à une rêverie, devant lArbre prolongeant dans lavenir ses derniers rameaux. Qui savait doù naîtrait la branche saine ? Peut-être le sage, le puissant attendu germerait-il là. Un léger cri tira Clotilde de ses réflexions. La mousseline du berceau semblait sanimer dun souffle, cétait lenfant qui, réveillé, appelait et sagitait. Tout de suite, elle le reprit, léleva gaiement en lair, pour quil baignât dans la lumière dorée du couchant. Mais il nétait point sensible à cette fin dun beau jour ; ses petits yeux vagues se détournaient du vaste ciel, pendant quil ouvrait tout grand son bec rose doiseau sans cesse affamé. Et il pleurait si fort, il avait un réveil si goulu, quelle se décida à lui redonner le sein. Du reste, cétait son heure, il y avait trois heures quil navait tété. Clotilde revint sasseoir, près de la table. Elle lavait posé sur ses genoux, où il nétait guère sage, criant plus fort, simpatientant ; et elle le regardait avec un sourire, tandis quelle dégrafait sa robe. La gorge apparut, la gorge menue et ronde, que le lait avait gonflée à peine. Une légère auréole de bistre avait seulement fleuri le bout du sein, dans la blancheur délicate de cette nudité de femme, divinement élancée et jeune. Déjà, lenfant sentait, se soulevait, tâtonnait des lèvres. Quand elle lui eut posé la bouche, il eut un petit grondement de satisfaction, il se rua tout en elle, avec le bel appétit vorace dun monsieur qui voulait vivre. Il tétait à pleines gencives, avidement. Dabord, de sa petite main libre, il avait saisi le sein à poignée, comme pour le marquer de sa possession, le défendre et le garder. Puis, dans la joie du ruissellement tiède dont il avait plein la gorge, il sétait mis à lever son petit bras en lair, tout droit, ainsi quun drapeau. Et Clotilde gardait son inconscient sourire, à le voir, si vigoureux, se nourrir delle. Les premières semaines, elle avait beaucoup souffert dune crevasse ; maintenant encore, le sein restait sensible ; mais elle souriait quand même, de cet air paisible des mères, heureuses de donner leur lait, comme elles donneraient leur sang. Quand elle avait dégrafé son corsage, et que sa gorge, sa nudité de mère sétait montrée, un autre mystère delle, un de ses secrets les plus cachés et les plus délicieux, était apparu : le fin collier aux sept perles, les étoiles laiteuses, que le maître avait mises à son cou, un jour de misère, dans sa folie passionnée du don. Depuis quil était là, personne ne lavait plus revu. Il faisait comme partie de sa pudeur, il était de sa chair, si simple, si enfantin. Et, tout le temps que lenfant tétait, elle seule le revoyait, attendrie, revivant le souvenir des baisers dont il semblait avoir gardé lodeur tiède. Une bouffée de musique, au loin, étonna Clotilde. Elle tourna la tête, regarda vers la campagne, toute blonde et dorée par le soleil oblique. Ah ! oui, cette cérémonie, cette pierre que lon posait, là-bas ! Et elle ramena les yeux sur lenfant, elle sabsorba de nouveau dans le plaisir de lui voir un si bel appétit. Elle avait attiré un petit banc pour relever lun de ses genoux, elle sétait appuyée dune épaule contre la table, à côté de lArbre et des fragments noircis des dossiers. Sa pensée flottait, allait à une douceur divine, tandis quelle sentait le meilleur delle-même, ce lait pur, couler à petit bruit, faire de plus en plus sien le cher être sorti de son flanc. Lenfant était venu, le rédempteur peut-être. Les cloches avaient sonné, les Rois mages sétaient mis en route, suivis des populations, de toute la nature en fête, souriant au petit dans ses langes. Elle, la mère, pendant quil buvait sa vie, rêvait déjà davenir. Que serait-il, quand elle laurait fait grand et fort, en se donnant toute ? Un savant qui enseignerait au monde un peu de la vérité éternelle, un capitaine qui apporterait de la gloire à son pays, ou mieux encore un de ces pasteurs de peuple qui apaisent les passions et font régner la justice ? Elle le voyait très beau, très bon, très puissant. Et cétait le rêve de toutes les mères, la certitude dêtre accouchée du messie attendu ; et il y avait là, dans cet espoir, dans cette croyance obstinée de chaque mère au triomphe certain de son enfant, lespoir même qui fait la vie, la croyance qui donne à lhumanité la force sans cesse renaissante de vivre encore. Que serait-il, lenfant ? Elle le regardait, elle tâchait de lui trouver des ressemblances. De son père, certes, il avait le front et les yeux, quelque chose de haut et de solide dans la carrure de la tête. Elle-même se reconnaissait en lui, avec sa bouche fine et son menton délicat. Puis, sourdement inquiète, cétaient les autres quelle cherchait, les terribles ascendants, tous ceux qui étaient là, inscrits sur lArbre, déroulant la poussée des feuilles héréditaires. Était-ce donc à celui-ci, à celui-là, ou à cet autre encore, quil ressemblerait ? Et elle se calmait pourtant, elle ne pouvait pas ne pas espérer, tellement son cur était gonflé de léternelle espérance. La foi en la vie, que le maître avait enracinée en elle, la tenait brave, debout, inébranlable. Quimportaient les misères, les souffrances, les abominations ! la santé était dans luniversel travail, dans la puissance qui féconde et qui enfante. Luvre était bonne, quand il y avait lenfant, au bout de lamour. Dès lors, lespoir se rouvrait, malgré les plaies étalées, le noir tableau des hontes humaines. Cétait la vie perpétuée, tentée encore, la vie quon ne se lasse pas de croire bonne, puisquon la vit avec tant dacharnement, au milieu de linjustice et de la douleur. Clotilde avait eu un regard involontaire sur lArbre des ancêtres, déployé près delle. Oui ! la menace était là, tant de crimes, tant de boue, parmi tant de larmes et tant de bonté souffrante ! Un si extraordinaire mélange de lexcellent et du pire, une humanité en raccourci, avec toutes ses tares et toutes ses luttes ! Cétait à se demander si, dun coup de foudre, il naurait pas mieux valu balayer cette fourmilière gâtée et misérable. Et, après tant de Rougon terribles, après tant de Macquart abominables, il en naissait encore un. La vie ne craignait pas den créer un de plus, dans le défi brave de son éternité. Elle poursuivait son uvre, se propageait selon ses lois, indifférente aux hypothèses, en marche pour son labeur infini. Au risque de faire des monstres, il fallait bien quelle créât, puisque, malgré les malades et les fous quelle crée, elle ne se lasse pas de créer, avec lespoir sans doute que les bien portants et les sages viendront un jour. La vie, la vie qui coule en torrent, qui continue et recommence, vers lachèvement ignoré ! la vie où nous baignons, la vie aux courants infinis et contraires, toujours mouvante et immense, comme une mer sans bornes ! Un élan de ferveur maternelle monta du cur de Clotilde, heureuse de sentir la petite bouche vorace la boire sans fin. Cétait une prière, une invocation. A lenfant inconnu, comme au dieu inconnu ! A lenfant qui allait être demain, au génie qui naissait peut-être, au messie que le prochain siècle attendait, qui tirerait les peuples de leur doute et de leur souffrance ! Puisque la nation était à refaire, celui-ci ne venait-il pas pour cette besogne ? Il reprendrait lexpérience, relèverait les murs, rendrait une certitude aux hommes tâtonnants, bâtirait la cité de justice, où lunique loi du travail assurerait le bonheur. Dans les temps troublés, on doit attendre les prophètes. A moins quil ne fût lAntéchrist, le démon dévastateur, la bête annoncée qui purgerait la terre de limpureté devenue trop vaste. Et la vie continuerait malgré tout, il faudrait seulement patienter des milliers dannées encore, avant que paraisse lautre enfant inconnu, le bienfaiteur. Mais lenfant avait épuisé le sein droit ; et, comme il se fâchait, Clotilde le retourna, lui donna le sein gauche. Puis, elle se remit à sourire, sous la caresse des petites gencives gloutonnes. Quand même, elle était lespérance. Une mère qui allaite, nest-ce pas limage du monde continué et sauvé ? Elle sétait penchée, elle avait rencontré ses yeux limpides, qui souvraient ravis, désireux de la lumière. Que disait-il, le petit être, pour quelle sentit battre son cur, sous le sein quil épuisait ? Quelle bonne parole annonçait-il, avec la légère succion de sa bouche ? A quelle cause donnerait-il son sang, lorsquil serait un homme, fort de tout ce lait quil aurait bu ? Peut-être ne disait-il rien, peut-être mentait-il déjà, et elle était si heureuse pourtant, si pleine dune absolue confiance en lui ! De nouveau, les cuivres lointains éclatèrent en fanfares. Ce devait être lapothéose, la minute où la grand-mère Félicité, avec sa truelle dargent, posait la première pierre du monument élevé à la gloire des Rougon. Le grand ciel bleu, que réjouissaient les gaietés du dimanche, était en fête. Et, dans le tiède silence, dans la paix solitaire de la salle de travail, Clotilde souriait à lenfant, qui tétait toujours, son petit bras en lair, tout droit, dressé comme un drapeau dappel à la vie. FIN |