CHAPITRE IX
SUITE DE DÉTAILS - LOIS, MURS,
USAGES DE LA MAISON OÙ JUSTINE SE TROUVE
- L'instruction que j'ai à
te donner, dit Omphale, doit être renfermée sous quatre
principaux articles : nous traiterons dans le premier de tout ce qui
concerne la maison ; nous placerons dans le second ce qui regarde
la tenue des filles, leurs devoirs, leurs punitions, leur nourriture
; le troisième article t'instruira de l'arrangement des plaisirs
de ces moines, de la manière dont les filles ou les garçons
servent leurs voluptés ; le quatrième te développera
l'histoire des réformes et des changements.
Je te parlerai peu, Justine, des abords de cette affreuse maison ;
on me les a fait voir éclairés, afin que je puisse en
donner l'idée à celles que l'on me charge d'instruire,
et les convaincre mieux de toute l'impossibilité de l'évasion.
Hier, Sévérino t'en expliqua une partie ; il ne te trompa
point. L'église et le pavillon qui y tient forment ce qu'on
appelle le couvent ; mais tu ignores comment est situé le corps
de logis que nous habitons, comment on y parvient, le voici :
Au fond de la sacristie est une porte masquée par la boiserie,
qu'un ressort ouvre. Cette porte sert d'entrée à un
boyau aussi obscur que long, des sinuosités duquel la frayeur
en entrant t'empêcha sans doute de t'apercevoir. D'abord, ce
boyau descend, parce qu'il faut qu'il passe sous un fossé de
trente pieds de profondeur ; c'est là que se présente
un pont sur lequel tu peux te souvenir d'avoir passé. Le couloir
remonte ensuite, et ne règne plus qu'à six pieds sous
le sol ; c'est ainsi qu'il arrive au souterrain de notre pavillon
dans un espace d'environ deux cents toises ; et c'est, ainsi que tu
l'as vu, par une trappe qu'on arrive au dehors dans la salle à
manger. Six enceintes de houx et d'épine, de trois pieds d'épaisseur,
s'opposent à ce qu'il soit possible d'apercevoir ce logement-ci,
fût-on même monté sur le clocher de l'église.
La raison de cela est simple : le pavillon du sérail n'a pas
cinquante pieds de haut ; et les six haies qui l'environnent en ont
partout plus de soixante. De quelque part qu'on observe cette partie,
elle ne peut donc être prise que pour un taillis de la forêt,
et jamais pour une habitation. Ce pavillon-ci, ma chère, vulgairement
appelé le sérail, n'a eu en tout que des souterrains,
un plain-pied, un entresol, et un premier étage : la voûte
qui couvre le dessus de cet édifice est garnie dans toute sa
superficie d'une cuvette de plomb très épaisse, dans
laquelle sont plantés différents arbustes toujours verts,
qui se mariant avec les haies qui nous entourent, en donnent au total
un air de massif encore plus réel. Les souterrains forment
un grand salon au milieu, et douze cabinets autour : six de ces cabinets
servent de caves : les six autres, de cachots pour les sujets de l'un
ou l'autre sexe qui ont mérité cette punition ; et ces
cas sont si fréquents qu'il n'y a jamais de place vide. Cette
peine est horrible ; tous les accessoires de la plus extrême
rigueur l'accompagnent ; l'humidité du local y est d'abord
insupportable ; on y est toujours enfermé nu, et l'on n'y a
que du pain et de l'eau.
- Oh ! Dieu, s'écria Justine ; ces scélérats
ont la cruauté, l'impudeur d'enfermer nu dans un endroit aussi
malsain ?
- Absolument ; on ne nous y accorde seulement pas une couverture,
pas un vase pour les besoins ; s'ils voient que l'on cherche un coin
pour les y déposer, on est battu ; ils vous forcent de les
remettre un peu par-ci un peu par-là dans le milieu de la chambre,
et ce n'est que là qu'il vous est permis d'y vaquer.
- Quelle recherche de saletés et de barbarie !
- Oh ! toutes celles du despotisme et de la luxure sont inouïes
dans ces cachots ; on y place avec vous des rats, des lézards,
des crapauds, des serpents. Plusieurs d'entre nous sont mortes, rien
que pour avoir habité ces cloaques huit jours : au reste, on
n'y est jamais moins de cinq, et très souvent des mois entiers.
Nous y reviendrons.
Au-dessus de ces souterrains se trouve la salle des soupers, où
se célèbrent toujours les orgies dont tu fus témoin
hier. Douze cabinets entourent de même cette salle : six servent
de boudoir aux moines ; c'est là qu'ils s'enferment lorsqu'ils
veulent isoler leurs plaisirs... les soustraire aux yeux de la société...
Ces pièces, ornées par les mains du luxe et de la volupté,
renferment tout ce qui peut servir aux supplices. Des six autres cabinets,
il en est deux où jamais aucun sujet du sérail n'entre
; nous en ignorons absolument l'usage ; deux autres servent à
serrer tous les comestibles ; l'avant-dernier est un office, le dernier
une cuisine. On trouve douze chambres à l'entresol, dont six
ont de jolis cabinets ; ce sont celles des moines ; dans les six autres,
sont deux frères servants, dont l'un est geôlier des
femmes, l'autre geôlier des hommes ; une cuisinière,
une femme de charge, une fille de cuisine ; et le chirurgien, ayant
autour de lui tout ce qui peut servir à des premiers besoins.
Une particularité fort extraordinaire, c'est que tous ces personnages,
excepté le cuisinier et le chirurgien, sont muets : quels secours
attendre, quelles consolations recevoir de pareils gens ! ils ne s'arrêtent
d'ailleurs jamais avec nous, et il nous est défendu, sous les
peines les plus sévères, de leur parler ou de leur faire
le moindre signe.
Le dessus de ces entresols forme les deux sérails ; ils se
ressemblent parfaitement l'un et l'autre. Tu as suffisamment pu juger
les clôtures, pour concevoir qu'à supposer même
que l'on rompît les barreaux de nos croisées, et que
l'on descendît par les fenêtres, on serait encore loin
de pouvoir s'évader, puisqu'il resterait à franchir
les haies vives, l'épaisse muraille qui forme une septième
enceinte autour d'elles, et le large fossé qui environne le
tout. Ces obstacles fussent-ils vaincus, où retomberait-on
? dans la cour du couvent, qui, soigneusement fermée elle-même,
n'offrirait pas encore une sortie bien sûre.
Un moyen d'évasion, moins périlleux peut-être,
serait, je l'avoue, de trouver dans la salle à manger la bouche
du couloir qui y rend ; mais, indépendamment de ce qu'elle
est impossible à découvrir, c'est qu'il ne nous est
jamais permis d'être seules dans cette pièce-là.
Pénétrât-on même dans le boyau, on ne s'en
tirerait pas encore : il est coupé en plus de vingt endroits
par des grilles de fer, dont eux seuls ont la clef, et garni de pièges,
où se prendraient infailliblement ceux qui, comme eux, ne connaîtraient
pas le local.
Il faut donc renoncer a l'évasion, ma chère ; elle est
impossible : ah ! crois que, si elle pouvait s'entreprendre, il y
a longtemps que j'aurais fui la première cet épouvantable
séjour. Mais cela ne se peut ; la mort seule rompt ici nos
liens : et de là naît cette impudence, cette cruauté,
cette tyrannie, dont les monstres usent avec nous. Rien ne les embrase,
rien ne leur monte l'imagination, comme l'impunité que leur
promet cette inabordable retraite. Bien sûrs de n'avoir jamais
pour témoins de leurs excès que les victimes qui les
assouvissent ; bien certains que jamais leurs écarts ne seront
révélés, ils les portent aux plus odieuses extrémités.
Délivrés du frein des lois, ayant brisé ceux
de la religion, méconnaissant ceux des remords, n'admettant
ni Dieu ni diable, il n'est aucune atrocité qu'ils ne se permettent,
et, dans cette cruelle apathie, leurs abominables passions se trouvent
d'autant plus voluptueusement chatouillées que rien, disent-ils,
ne les enflamme comme la solitude et le silence, comme la faiblesse
d'une part, et le despotisme de l'autre.
Les moines couchent régulièrement toutes les nuits dans
ce pavillon ; ils s'y rendent à cinq heures du soir, et retournent
au couvent le lendemain sur les neuf heures, excepté un qui
passe tour à tour ici la journée ; on l'appelle le régent
de fonction. Nous verrons bientôt son emploi.
A l'égard des servants, ils ne bougent jamais, la directrice
a dans sa chambre une sonnette qui communique dans la leur ; et, dès
qu'elle les avertit, soit pour ses besoins, ou les nôtres, ils
accourent. Les moines apportent eux-mêmes, en venant au sérail,
les provisions de chaque jour ; ils les remettent aux personnes chargées
de préparer les aliments, et on les emploie d'après
leurs ordres : il y a une excellente fontaine dans les souterrains,
et de délicieux vins dans les caves.
Passons au second article :
Ce qui tient à la tenue des filles, à leur nourriture,
leur punition, etc.
Notre nombre est toujours fixé à trente ; sitôt
qu'il se décomplète, on travaille bien vite à
le remplacer. Tu vois que nous sommes divisées par classe,
et toujours sous le costume annexé à la division dont
nous sommes membres. La journée ne se passera pas sans que
tu ne reçoives l'habit de celle où tu entres.
Nous sommes obligées de nous coiffer nous-mêmes, ou mutuellement.
Les modèles nous sont donnés ; ils varient tous les
deux mois ; chaque classe a son modèle à part.
L'autorité de la directrice sur nous est sans bornes ; lui
désobéir est un crime dont la punition s'inflige aussitôt
: elle est chargée du soin de nous inspecter, avant que nous
ne nous rendions aux orgies ; et si les choses ne sont pas dans l'état
prescrit par les moines dans la liste des filles invitées,
Victorine nous impose une punition sur le champ.
- Éclaircis-moi cette clause, dit Justine, je ne l'entends
pas bien.
- Chaque matin, répondit Omphale, on porte à Victorine
la liste des filles conviées au souper ; à côté
du nom de cette fille est l'état où on la désire,
à peu près de cette manière :
Julie ne se lavera point.
Rose aura envie de chier.
Adelaïde pétera.
Alphonsine aura le cul merdeux.
Le bidet le plus parfumé sera fait à Aurore, etc., etc.,
etc.
Si ces ordres ne sont pas remplis, et qu'à l'examen Victorine
ne vous suppose pas dans l'état désiré, on vous
inflige une punition ; voilà ce que j'ai voulu dire.
- Mais, objecta Justine en rougissant, comment peut-on savoir si une
femme a, ou non, l'envie de satisfaire à ses gros besoins ?
- Très facilement, reprit Omphale : Victorine vous enfonce
un doigt dans le cul ; et si elle ne touche pas l'étron, la
punition est ordonnée sur-le-champ.
- Quelles horreurs ! dit Justine. Continue, je te prie ; elles sont
si nouvelles, que leur détail est vraiment curieux.
- Les fautes que nous pouvons commettre, poursuivit Omphale, sont
de plusieurs sortes, chacune a sa punition particulière, dont
le tarif est affiché dans les deux chambres. Le régent
de fonction, celui qui vient, comme je te l'expliquerai tout à
l'heure, nous signifier les ordres, nommer les filles du souper visiter
les habitations et recevoir les plaintes de Victorine, est celui qui
distribue à la fois, ou la punition infligée par la
directrice, ou celle qu'il établit lui-même.
Voici le tableau de ces punitions, à la suite du crime qui
les attire.
ART. I. Ne pas être levé le matin aux heures prescrites,
lesquelles sont sept heures en été, et neuf en hiver.
- Cinquante coups de fouet.
II. Si, malgré l'examen de Victorine, l'on ne remplit pas aux
soupers les obligations imposées, la mise, la tenue ordonnée
ainsi qu'il vient d'être dit tout à l'heure. - Deux cents
coups de fouet.
III. Présenter, ou par malentendu, ou par quelque cause que
ce puisse être, une partie du corps, dans l'acte du plaisir,
contraire à celle qui est désirée. Obligée
d'être trois jours toute nue dans la maison, quelque temps qu'il
fasse.
IV. Être mal vêtue, mal coiffée ; défaut
de tenue, en un mot, dans l'intérieur du sérail. - Vingt
piqûres d'épingle sur telle partie du corps qu'il plaît
au régent.
V. Ne point avertir quand on a ses règles. - Les règles
supprimées sur le champ avec de l'eau glacée.
VI. Le jour où le chirurgien a constaté votre grossesse.
- Cent coups de nerfs de buf, indifféremment appliqués
sur tout le corps, si l'on n'a pas envie de garder l'enfant. Aucune
peine, s'il plaît à la société de conserver
cette mère enceinte, pour de plus grands supplices.
VII. Négligences, refus, impossibilité de satisfaire
aux propositions luxurieuses. Et combien de fois leur infernale méchanceté
vous prend-elle en défaut sur cela, sans que vous ayez le plus
petit tort ! combien de fois l'un d'eux demande-t-il subitement ce
qu'il sait bien que l'on vient d'accorder à l'autre, et ce
qui ne peut se refaire tout de suite ! cependant ces fautes sont punies
par - Quatre cents coups de verges sur les fesses seulement.
VIII. Défaut de conduite dans la chambre, ou désobéissance
à la directrice. - Six heures toute nue dans une cage de fer
garnie de pointes en dedans, et dans laquelle vous courez le risque
de vous déchirer au moindre mouvement.
IX. L'air du mécontentement, l'apparence même des pleurs,
du chagrin, du retour à la religion. Cinquante coups de fouet
sur le sein ; et, s'il s'est agi de religion, on vous force à
profaner la chose qui semblait avoir attiré vos respects.
X. Si un membre de la société vous choisit pour goûter
avec vous les dernières crises du plaisir, sans en pouvoir
venir à bout ; qu'il y ait de votre faute ou de la sienne.
Et l'on sent que l'arbitraire doit exister dans ce paragraphe de leur
code barbare. - Liée comme une boule, et suspendue en manière
de lustre au plafond, toute nue, pendant six heures. Que l'on s'évanouisse
ou non dans cette affreuse attitude, vous n'êtes jamais relâchée
un moment plus tôt.
XI. La récidive de cette faute, que l'on regarde comme une
des plus graves. Et combien y en a-t-il qui se refusent exprès
à l'éjaculation, pour se procurer le plaisir barbare
de vous imposer cette peine ; car alors c'est la partie lésée
qui devient elle-même juge et bourreau ! - On vous enfonce deux
énormes godemichés, l'un dans le con, l'autre dans le
cul ; ensuite on comprime fortement en vous ces corps étrangers,
avec des bandes ; puis on vous lie en boule, comme dans la punition
précédente, mais dans le milieu d'un fagot d'épines,
dont les pointes, lorsque vous êtes suspendue au plafond, font
distiller le sang dans la chambre. Communément, l'ordonnateur
se met dessous, et y reste, avec d'autres objets, jusqu'au dénouement
de son plaisir.
XII. Le plus petit air de répugnance aux propositions de la
société, de quelque nature qu'elles puissent être.
Et l'on n'imagine pas à quel point il en est de cruelles et
de dégoûtantes. - Pendue une demi-heure par les pieds.
Une rébellion, une révolte. - Peine de mort pour celle
qui l'a commencée. Six mois de cachot, toute nue, où
l'on est fouettée au sang deux fois par jour, à chacune
de celles qui ont suivi les errements de la cabaleuse.
XIII. Si l'insurrection n'a eu pour base que des conseils ou des propos,
et qu'elle n'ait entraîné aucune suite. - Celle qui a
occasionné ce mouvement, soit par ses propos, soit par ses
conseils, sera brûlée, avec un fer chaud, en dix-huit
endroits de son corps, au choix du régent du jour ; les autres
en un seul endroit.
XIV. Projet de suicide, refus de se nourrir comme il convient, ou
abandon de soi-même, au point d'en tomber malade. - On s'informe
du sujet de cet extrême mécontentement ; l'on redouble
ce sujet avec le plus de barbarie possible ; et provisoirement un
mois de cachot, enfermé avec l'espèce d'animal dont
vous avez le plus de frayeur ; ensuite, pendant un autre mois, vous
êtes condamnée à vous tenir à genoux tout
le temps du souper des moines.
XV. Manque de respect aux moines dans d'autres occasions que celles
du plaisir. - La fraise de chaque téton piquée au sang
avec une aiguille d'acier brûlante.
XVI. Même faute dans la crise lubrique. - Enchaînée
six mois au cachot nue, et simplement nourrie de pain noir et d'eau
salée ; le fouet quatre fois par jour, deux fois par derrière,
les deux autres fois par devant. La mort, en cas de récidive.
XVII. Projet d'évasion. Si elle n'a pas eu lieu. Un an au cachot,
traitée comme ci-dessus.
XVIII. Si vous êtes prise en essayant de vous sauver. - Peine
de mort.
XIX. Si vous en avez entraîné d'autres avec vous. - Les
séduites périssent du genre de mort le plus doux, et
la séductrice par le plus cruel.
XX. Rébellion envers Victorine. - Elle ordonne elle-même
la punition, et le régent du jour la fait subir devant elle.
XXI. Refus de se prêter aux fantaisies libidineuses de cette
femme. - Même peine que si la faute était commise avec
un moine. Voyez l'article XII.
XXII. Se faire avorter soi-même. - Cinq cents coups de fouet
sur le ventre, autant avec un martinet à pointes aiguës
d'acier, que l'on dirige dans l'intérieur de la matrice, et
ceux qui aiment à faire des enfants ne vous quittent pas que
vous ne soyez redevenue grosse.
Les moines emploient ordinairement six genres de mort avec les coupables,
et ce sont toujours leurs mains qui les exécutent. Le plus
doux, selon eux, est celui d'être rôtie toute vive, ou
à la broche, ou sur un gril. Le second est d'être bouillie
: ils vous enferment dans une grande marmite grillée en dessus,
et vous cuisez à petit feu. Le troisième supplice est
d'être rompue et exposée vive sur une roue. Le quatrième
est d'être écartelée. Le cinquième, coupée
en petits morceaux, et très lentement, par une machine faite
exprès. Et le sixième, de périr sous les verges.
Ils mettent bien d'autres supplices en usage ; mais ces six-là
sont ceux annexés au châtiment des crimes commis.
- Tu viens d'entendre quels sont ces crimes, ma chère compagne,
poursuivit Omphale, et tu viens d'en voir la punition. Nous pouvons
d'ailleurs, faire tout ce qu'il nous plaît : coucher ensemble,
nous quereller, nous battre, nous porter aux derniers excès
de l'ivrognerie et de la gourmandise, jurer, blasphémer, mentir,
calomnier, nous livrer au vol ; et au meurtre même, si nous
le voulons ; tout cela ne sont que des misères pour lesquelles
nous n'éprouvons aucun reproche, et quelquefois même
des éloges. Il y a six mois que la femme de quarante ans, dont
l'extrême beauté t'a frappée, tua à coups
de couteau une très jolie fille de seize ans, dont elle était
à la fois amoureuse et jalouse. Les moines s'amusèrent
du délit ; et, pendant plus d'un mois, cette impudente et belle
créature ne parut aux soupers que couronnée de roses
; on la destine à remplacer Victorine un jour. C'est par le
crime qu'on réussit ici ; lui seul plaît à ces
bêtes farouches, lui seul nous fait respecter.
Victorine est la maîtresse de nous épargner une infinité
de désagréments, soit en faisant de nous de bons rapports,
soit en déguisant les mauvais : mais malheureusement cette
protection ne s'achète que par des complaisances, souvent plus
fâcheuses que les peines garanties par elle. Ce n'est qu'en
satisfaisant tous ses goûts qu'on parvient à l'intéresser
: si on la refuse, elle multiplie, sans raison, la somme de vos torts
; et les moines, qu'elle sert par cette conduite, ne l'en estiment
que davantage.
Elle est exempte de toutes peines, et l'impunité la plus entière
lui est assurée : on est certain qu'elle n'agira jamais contre
l'intérêt des moines, dont elle partage trop sincèrement
et les goûts, et les murs pour leur déplaire en
quoi que ce puisse être. Ce n'est pas, au reste, que ces libertins
aient besoin de toutes ces formalités pour sévir contre
nous ; mais ils sont bien aises d'avoir des prétextes. Cet
air de nature ajoute à leur volupté ; elle s'en accroît.
La justice a donc quelques charmes, puisque ceux qui la révèrent
le moins sont ceux qui, dans leurs désordres, cherchent à
s'en rapprocher le plus1.
Nous avons chacune une petite provision de linge : en entrant ici,
on nous donne tout par demi-douzaines, et l'on renouvelle chaque année
; mais il faut rendre ce que nous apportons : il ne nous est pas permis
d'en garder la moindre chose.
Notre nourriture est fort bonne, et toujours en très grande
abondance. S'ils ne recueillaient de là des branches certaines
de volupté, peut-être cet article n'irait-il pas aussi
bien ; mais comme leur libertinage y gagne, ils ne négligent
rien pour nous gorger de nourriture. Ceux qui aiment à nous
fouetter, nous ont plus dodues, plus grasses ; et ceux qui ne jouissent
qu'en nous voyant satisfaire aux plus sales besoins de la nature,
sont assurés d'une plus ample récolte. En conséquence,
nous sommes servies quatre fois le jour. L'heure du déjeuner
est à neuf heures précises ; on y sert des volailles
au riz, des pâtisseries, des jambons, des fruits, des crèmes,
etc. A une heure on dîne ; et la table, contenant trente couverts,
est magnifiquement servie. A cinq heures et demie le goûter
; des fruits l'été, des confitures l'hiver. Le souper,
étant le repas des moines, est servi encore avec plus de profusion
et de délicatesse ; celles de nous qui y assistent sont sûres
d'y faire la plus grande chair du monde, sans pour cela que le service
des salles y perde la moindre chose. Nous avons, hommes et femmes,
quel que soit l'âge, chacun deux bouteilles de vin par jour,
dont une de blanc, pour les déjeuners et les goûters,
une demi-bouteille de liqueur et du café. Celles qui ne consomment
pas ces objets peuvent en faire part à leurs camarades : il
y en a parmi nous de très intempérantes ; il y en a
qui mangent et s'enivrent toute la journée ; jamais de tels
excès ne sont réprimandés ; il en est également
à qui ces quatre repas ne suffisent pas ; elles peuvent faire
demander ce qu'elles veulent, on le leur apporte à l'instant.
On est obligé de manger à table ; si l'on persistait
à ne le vouloir pas, cette faute rentrerait dans l'article
des rebellions, envers la directrice, et serait punie conformément
à l'article vingtième. Victorine préside aux
repas, ; mais elle est servie chez elle, séparément
: sa table est de huit couverts, matin et soir ; elle y admet qui
elle veut de l'un ou de l'autre sérail ; souvent des moines
lui, tiennent compagnie, et règlent en ce cas le choix des
conviés ; des orgies se célèbrent alors dans
ce local, et l'on regarde comme une faveur d'y être admis.
Jamais les sujets invités aux soupers des moines ne sont pris
d'une seule classe : on les mêle toujours ; et leur nombre varie
perpétuellement ; mais il est bien rarement au-dessous de douze,
et beaucoup plus souvent au-dessus. Sur cela, il y a toujours six
servantes, dont l'emploi, comme tu l'as vu, est de servir toutes nues
les moines à table. Le nombre des gitons invités est
toujours en raison de celui des filles, un pour deux femmes, et cela,
par la raison qu'ayant plus de peine à se les procurer comme
il les leur faut, ils les ménagent un peu plus. D'ailleurs,
ils les aiment mieux, et c'est par raffinement qu'ils en usent moins.
Le régime de leur sérail est pourtant tout aussi sévère
que celui du nôtre ; ils leur font subir les mêmes genres
de punition ; le tableau de leurs fautes est égal ; et, quand
ils veulent une victime, ils la prennent là comme chez nous.
Il est inutile de te dire que jamais personne ne nous visite ; aucun
étranger, sous quelque prétexte que ce puisse être,
n'est introduit dans ce pavillon. Si nous tombons malades, le seul
frère chirurgien nous soigne ; et si nous mourons, c'est sans
aucun secours religieux ; on nous jette dans des trous pratiqués
entre les intervalles des haies ; et, par une insigne cruauté,
si la maladie devient trop grave, ou qu'on en craigne la contagion,
au lieu de nous transporter dans une infirmerie, on nous arrache de
nos lits, et l'on nous enterre toutes vivantes, parce que, disent
ces monstres, il vaut mieux en faire mourir une, que d'en exposer
trente, et de courir nous-mêmes les dangers de l'épidémie
; depuis treize ans que je suis ici, j'ai vu plus de vingt exemples
de cette férocité : ils en usent de même pour
les garçons ; mais ils sont pourtant un peu mieux soignés.
En général, tout cela dépend du plus ou du moins
d'intérêt que le malade inspire au régent de fonction,
chargé de ces sortes de visites : pour peu que le sujet lui
déplaise, il fait un signe au chirurgien, qui délivre
aussitôt un certificat d'épidémie ; et le malheureux
individu a deux pieds de terre sur le nez une heure après.
Passons à l'arrangement des plaisirs de ces libertins, et à
tous les détails de cette partie.
Nous nous levons, comme je te l'ai dit, à sept heures en été,
à neuf en hiver : mais nous nous couchons plus ou moins tard,
en raison du besoin que les moines ont de nous, et des soupers où
nous assistons. Aussitôt que nous sommes levées, le régent
de fonction vient faire sa visite. Il s'assoit dans un grand fauteuil
; et là, chacune de nous est obligée d'aller, l'une
après l'autre, se placer devant lui, les jupes troussées
du côté qu'il aime : il touche, il baise, il examine.
Et quand toutes ont rempli ce devoir, la directrice approche ; elle
fait son rapport ; les punitions s'imposent ; celles qui doivent se
subir sur-le-champ, s'exécutent aussitôt dans l'appartement
de la directrice et par les mains du régent. On procède
aux autres dans les assemblées du soir, ou l'on fait descendre
dans les prisons, si cas le requiert. Est-il question de la peine
de mort ? La coupable est à l'instant garrottée, jetée
dans un cachot ; et c'est à l'heure des orgies que se fait
son exécution : mais dans ce cas il arrive quelque chose d'assez
singulier. Dès que le sujet est condamné, le régent
qui lui-même vient de prononcer la sentence, d'après
la loi qu'il met sous les yeux de l'individu coupable, passe sur-le-champ
chez la directrice avec l'accusé, et en jouit toujours une
bonne heure avant que de le faire descendre en prison. « Il
n'y a pas, disent ces scélérats, de jouissance pareille
à celle d'un être condamné à mort »
; et c'est surtout pour son juge ou son bourreau, que cette jouissance
est sans prix. Combien d'après cela, de condamnations arbitraires,
puisque des plaisirs aussi vifs doivent en être les résultats
! Nous assistons quelquefois, mais en petit nombre, à ces funèbres
jouissances. La victime, revêtue d'un crêpe noir, y est
toujours en larmes ou évanouie ; et c'est dans l'horrible situation
de cet individu, que ces scélérats trouvent le complément
barbare de leur affreux délire. Leurs propos sont horribles
alors, leurs voluptés semblables à celles des tigres
; ils insultent aux malheurs de l'objet qu'ils persécutent
; ils nous les donnent pour exemples, nous menacent d'un traitement
pareil, et n'atteignent communément les dernières crises
de la lubricité, qu'au sein de l'exécration et de l'infamie.
Quelques jours avant ton arrivée, je fus témoin d'une
de ces scènes : il s'agissait d'une fille de dix-sept ans,
belle comme Vénus. Jérôme était régent
de fonction. Au rapport de la directrice, cette malheureuse fille
fut accusée d'avoir voulu se sauver ; elle nia le fait : Victorine
conduisit Jérôme dans la cellule ; on trouva deux barreaux
de cassés. Clémentine, c'était le nom de cette
délicieuse créature, continua de nier ; on ne l'écouta
point ; la loi était contre elle ; on lui lut le dix-huitième
article, qui la condamnait à mort : elle protesta de son innocence
; et, certes, elle n'en imposait pas. C'était un tour affreux
que lui jouait Jérôme, d'accord avec la directrice :
elle était détestée de tous deux ; tous deux
avaient juré sa perte ; ils avaient eux-mêmes scié
les barreaux ; et l'infortunée mourut victime de leur insigne
méchanceté. Je fus admise avec un jeune homme à
la cérémonie de cette dernière jouissance, dont
je viens de parler : on n'imagine pas les horreurs que Jérôme
se permit avec cette pauvre fille, tout ce qu'il lui fit faire, tout
ce qu'il exigea d'elle ; assez forte pour conserver son sang-froid,
elle n'en eut que plus à souffrir. Jérôme, en
la sodomisant, lui disait : « Je sais bien que tu es innocente
; mais je bandais aux délices de te sacrifier, et je vais décharger
à l'exécution. » Ensuite, il lui demandait de
quel genre de mort elle voulait finir : « Ton crime exige le
plus affreux, mais je puis le changer pour un moindre ; choisis, putain,
choisis - Le plus prompt ! s'écriait Clémentine. - Eh
bien ! ce sera donc le plus lent, répondait le moine en écumant
; oui, le plus lent... et le plus horrible ; et ce sera moi qui te
le donnerai. » Ensuite, il encula le jeune homme. J'étais
obligée de lécher à genoux le trou du cul de
ce libertin, qui, pendant ce temps-là, enfonçait sa
langue dans la bouche de la victime, en respirant, disait-il, avec
délices, les soupirs du dégoût, de la frayeur
et du désespoir. Il termina son opération dans la bouche
de Clémentine, pendant que le jeune homme l'enculait, et qu'il
s'amusait à me souffleter de toutes ses forces, et à
jurer comme un démoniaque.
Les punitions accomplies, le régent donne la liste des conviés
à la directrice : elle y voit le nom des femmes désirées,
et l'état dans lequel on les veut ; ses mesures se prennent
en conséquence.
Malgré les luxures épisodiques où le régent
vient de se livrer, il est rare qu'il sorte de la salle sans une scène
lubrique à laquelle il emploie toujours douze ou quinze filles,
et quelquefois jusqu'à vingt. La directrice conduit ces actes
libidineux, et la plus entière soumission, de notre part, y
règne. Il passe de là dans le sérail des garçons,
où s'exécutent les mêmes choses.
Il arrive souvent qu'un moine désire une fille dans son lit,
avant l'heure du déjeuner. Le frère geôlier apporte
une carte où est écrit le nom de celle qu'on veut :
le régent l'occupât-il même alors, il faut qu'elle
parte. Elle revient, quand on la renvoie ; et le geôlier qui
la raccompagne, remet, dans le cas du mécontentement, un billet
cacheté pour la directrice, afin que la punition de la délinquante
soit sur-le-champ inscrite au registre, qui doit être présenté
le lendemain au régent de fonction.
Les visites faites, les déjeuners se servent. De ce moment,
jusqu'au soir, nous ne sommes plus interrompues que par les demandes
particulières qui peuvent être faites mais elles sont
rares, parce que les moines qui dînent au couvent y passent
ordinairement la journée. A sept heures du soir, en été,
à six en hiver, le frère geôlier vient chercher
celles qui sont du souper ; il les conduit et les ramène lui-même,
en observant de laisser pour la nuit celles que les moines ont fait
inscrire à cet effet ; alors, celles-là se retirent
dans les chambres de ceux qui les ont voulues, seulement accompagnées
des filles de garde.
- Des filles de garde ! interrompit Justine ; quel est donc ce nouvel
emploi ?
- Le voici, répondit Omphale. Tous les premiers des mois, chaque
moine adopte deux filles, qui doivent, pendant cet intervalle, lui
tenir lieu, et de servante, et de plastron à ses sales désirs
; il ne peut ni les changer dans le cours du mois, ni leur faire faire
deux mois de suite. Rien n'est aussi dur, aussi sale. aussi cruel,
que les corvées de ce service ; et je ne sais comment tu t'y
accoutumeras.
- Hélas ! répondit Justine, je suis faite à la
peine, il n'y a qu'aux horreurs que je ne puis m'habituer.
- Aussitôt que cinq heures sonnent, poursuivit Omphale, les
filles de garde, conduites par le geôlier, descendent nues près
du moine qu'elles servent, et ne le quittent plus jusqu'au lendemain,
à l'heure où il repasse au couvent ; elles le reprennent,
dès qu'il revient au sérail. Elles emploient le peu
d'heures que leur service leur laisse, à manger et à
se reposer ; car il faut qu'elles veillent toute la nuit auprès
de leur maître ; elles sont là pour servir aveuglément
tous les caprices de ce libertin : que dis-je ! tous ses besoins ;
il n'a point d'autre vase pour les satisfaire que la bouche ou les
tétons de ces malheureuses qui perpétuellement collées
près de leur despote, doivent endurer, soit de nuit, soit de
jour, tout ce qu'il lui plaît d'infliger de plus barbare, de
plus obscène, de plus ignominieux ; soufflets, fustigations,
vexations, mauvais propos, jouissances, de quelque nature qu'elles
puissent être, il faut qu'elles s'offrent à tout, qu'elles
se réjouissent et se glorifient de tout. La plus légère
répugnance est aussitôt punie de la peine portée
à l'article douzième, à laquelle on ajoute deux
cents coups de fouet, afin de leur faire voir que, dans cet emploi
de fille de garde, elles sont obligées à plus de soumission
et de condescendance encore que dans le reste des devoirs journaliers
de leur état. Dans toutes les scènes de luxure, ce sont
ces filles qui aident aux plaisirs, qui les soignent et qui approprient
tout ce qui a pu être souillé. Un moine l'est-il en venant
de jouir d'une fille ou d'un garçon ; c'est à la bouche
de ses filles de garde à réparer le désordre
: veut-il être préalablement excité ; c'est le
soin de ces malheureuses : elles l'accompagnent en tous lieux, l'habillent,
le déshabillent ; le servent, en un mot, dans tous les instants
; ont toujours tort, et sont toujours battues. Aux soupers, leur place
est, ou derrière la chaise de leur maître, ou, comme
un chien, à ses pieds, sous la table, ou à genoux entre
ses cuisses, l'excitant de la bouche : quelquefois, elles lui servent
de siège ; ils s'asseyent dessus leur visage ; ou bien, étendues
sur la table à manger, on leur enfonce des bougies dans le
derrière, et elles tiennent lieu de flambeaux. D'autres fois,
pendant la souper, les moines les placent toutes les douze dans les
attitudes les plus bizarres et les plus luxurieuses, mais en même
temps les plus gênantes : si elles perdent l'équilibre,
elles risquent, ou de tomber, comme tu l'as vu, sur des épines
étalées près de là, ou dans des cuves
d'eau bouillante, qu'on a soin d'y placer ; souvent le cruel résultat
de ces chutes est de s'estropier, de se tuer, de se brûler,
de se rompre les membres ; et pendant tout cela les monstres se réjouissent,
font débauche, s'enivrent à loisir de mets délicieux,
de vins délicats, et des plus piquantes luxures.
- Oh ! ciel, dit Justine en frémissant d'horreur, peut-on porter
plus loin le délire et la dépravation ? Peut-on se livrer
à de tels excès ?
- Il n'y a rien que n'entreprennent des hommes sans frein, dit Omphale,
une fois qu'on ne respecte plus la religion, qu'on s'est accoutumé
à braver les lois de la nature, et à vaincre les remords
de sa conscience, il n'est plus d'horreurs qui ne s'entreprennent
; ce sont, ma chère, de cruelles vérités, dont
la fréquentation de ces hommes perfides ne cesse de me convaincre
chaque jour.
- Quel enfer !
- Écoute, mon enfant, tu es encore loin de savoir tout.
L'état de grossesse, révéré dans le monde,
est presque une certitude de réprobation parmi ces infâmes
: j'ai déjà touché cette corde dans le sixième
article des punitions. Cet état ne dispense, ni des peines
encourues par les délits dont je t'ai tracé le tableau,
ni des gardes. Il est, au contraire, un véhicule aux peines,
aux humiliations, aux chagrins. C'est, comme tu sais, à force
de coups, qu'ils font avorter celle dont ils ne se soucient pas de
garder le fruit ; et, s'ils le recueillent, c'est pour en jouir :
ce que je te dis ici doit te suffire pour t'engager à te préserver
de cet état le plus qu'il te sera possible.
- Mais le peut-on ?
- Sans doute, il est de certaines éponges... mais si Antonin
s'en aperçoit, on n'échappe point à son courroux
; le plus sûr est d'étouffer le mouvement de la nature,
en démontant l'imagination ; avec de pareils monstres, le procédé
n'est pas difficile.
Aucun moine que le régent de fonction et le supérieur
n'a le droit d'entrer dans les sérails ; mais, comme ce poste
de régent est hebdomadaire, chacun jouit à son tour
de ce droit vraiment despotique : rentre-t-il dans la classe des autres,
il reprend le privilège tout aussi agréable de faire
demander dans sa chambre tel nombre de filles ou de garçons
que bon lui semble pour s'en amuser dans son appartement : c'est à
la directrice que cette demande s'établit ; et, comme nous
l'avons déjà dit, si les sujets sont au sérail,
elle ne peut les refuser sous aucun prétexte que ce puisse
être ; la maladie n'est même pas une raison ; et l'on
voit souvent ces barbares faire demander une malheureuse avec la fièvre,
en venant d'être médicamentée, saignée,
clystérisée, etc. ; elle a beau dire, il faut qu'elle
marche, aucune objection n'est entendue, aucune ne peut la préserver
d'obéir. Bien souvent ce n'est que par méchanceté,
que par taquinerie qu'ils font demander un sujet ; ils savent bien,
ou qu'ils ne désirent vraiment pas la jouissance de ce sujet,
ou qu'il est hors d'état de leur servir, mais ils sont bien
aises d'exercer leur autorité... de maintenir la subordination.
D'autres fois c'est que réellement ils veulent s'en servir
; alors, ils lui font ce qu'ils veulent, et le gardent tout le temps
qu'ils leur plaît. Le sujet demandé descend nu ou habillé
; ils n'ont sur tout cela d'autres règles que leurs fantaisies.
Tous sont égaux ici : le supérieur n'a au-dessus des
autres que le droit d'entrer au sérail pour les affaires qui
concernent l'habillement, la tenue, la police, etc. On le reçoit,
quand il paraît, avec les mêmes honneurs que le régent
de fonction.
Au reste, il y a dans cette maison des attenantes et des parentés
dont on ne se doute pas, et qu'il est bon de t'expliquer ; mais ces
éclaircissements ; rentrant dans le quatrième article,
c'est-à-dire, dans celui de nos recrues, de nos réformes
et de nos changements, je vais l'entamer pour y renfermer ce détail.
Tu n'ignores pas, Justine, que les six moines réfugiés
dans cet asile sont à la tête de leur ordre, et distingués
tous six autant par leur fortune que par leur naissance. Indépendamment
des fonds considérables faits par l'ordre des bénédictins
pour l'entretien de cette voluptueuse retraite, ou tous ont espoir
de passer à leur tour, ceux qui y sont ajoutent encore à
ces fonds une partie considérable de leurs biens. Ces objets
réunis s'élèvent à plus de 500 mille francs
par an, absolument consacrés aux dépenses libidineuses
de cette maison. Ils ont quatre hommes et quatre femmes de confiance,
uniquement chargés de toujours tenir les deux sérails
au complet, et qui, dans cette intention, ne cessent de parcourir
toute la France. Jamais le sujet présenté ne doit être
ni au-dessous de six ans, ni au-dessus de seize ; il doit être
exempt de défauts, et doué, autant qu'il est possible,
de tous les charmes et de toutes les grâces que peuvent lui
prêter la nature et l'éducation ; mais il faut principalement
qu'il soit d'une naissance distinguée ; ces libertins tiennent
beaucoup à cette clause : ces rapts, exécutés
au loin, et toujours bien payés, n'entraînent aucun inconvénient
; et n'en résulte jamais aucune suite fâcheuse. Ils ne
tiennent pas absolument aux prémices ; une fille déjà
séduite, un garçon flétri, ou femme mariée,
tout cela leur plaît également ; mais il faut que le
rapt soit constaté : cette circonstance les irrite ; ils veulent
être certains que leurs crimes coûtent des pleurs ; ils
ne voudraient pas d'un sujet qui se rendrait à eux volontairement.
Si tu ne t'étais pas prodigieusement défendue, Justine,
s'ils n'eussent pas reconnu un fond réel de vertu dans toi
et, par conséquent, la certitude d'un crime, ils ne t'eussent
pas gardée vingt-quatre heures. Tout ce que tu vois ici est
de la meilleure naissance : moi, ma bonne amie, je suis née
du comte de Villebrune, devant, comme fille unique, posséder
un jour 80 mille livres de rente. Je fus enlevée à douze
ans, dans le sein de ma bonne, qui me ramenait d'une campagne de mon
père, dans le couvent où j'étais élevée.
On attaqua la voiture, on m'arracha, et ma gouvernante fut assassinée.
Amenée en poste ici, je fus flétrie dès le même
soir. Toutes mes compagnes sont dans le même cas : des comtes,
des ducs, des marquis, d'opulents banquiers, de riches commerçants,
des magistrats célèbres, sont les pères de tout
ce que tu vois. Il n'en est pas une qui ne puisse prouver les plus
belles alliances, et pas une qui, malgré cela, ne soit traitée
avec la dernière ignominie. Mais ces malhonnêtes gens
ne s'en tiennent pas là ; ils ont voulu déshonorer le
sein même de leur propre famille : la jeune personne de vingt-six
ans, l'une de nos plus belles sans doute, est la fille de Clément
; celle de neuf ans est nièce de Jérôme ; la plus
jolie des filles de seize est nièce d'Antonin. Sévérino
a eu de même plusieurs enfants dans cette maison ; mais le scélérat
les a tous sacrifiés, aucun n'existe aujourd'hui. Ambroise
a un garçon dans le sérail que lui-même a dépucelé,
mais qui, fluet et délicat, n'annonce rien de bien sublime.
Dès qu'un sujet de l'un ou l'autre sexe est arrivé dans
ce cloaque impur, si le nombre fixé est complet, on réforme
aussitôt un individu du sexe dont est le sujet amené.
Mais si c'est un remplacement, et que le nombre soit incomplet, on
ne réforme rien. Et cette malheureuse réforme, chère
fille, lorsqu'elle a lieu, devient le complément de nos douleurs.
L'infortunée dont on a prononcé l'arrêt descend
la veille de sa mort...
- De sa mort ! interrompit Justine effrayée.
- Oui, de sa mort, ma chère amie ; cette réforme est
un arrêt de mort, et celles qui ont subi ce jugement ne revoient
le jour de leur vie. Elle descend donc dans un des cachots dont je
t'ai parlé, et reste là vingt-quatre heures, nue, mais
parfaitement nourrie. Le souper où elle doit être immolée
se fait dans la salle de ces souterrains, que l'on décore pour
ce jour-là de la plus lugubre manière. Six femmes, choisies
sur les plus belles, six hommes à la grosseur du membre, et
toujours la directrice, sont les seuls admis à ces sanguinaires
orgies. Une heure après le souper, la victime paraît,
couronnée de cyprès. Son genre de supplice se met aux
voix : le secrétaire lit la liste d'une certaine quantité
de tourments ; ceux qui paraissent flatter davantage se discutent.
Le choix fait, la victime est placée sur un piédestal,
en face de la table où l'on soupe, et, sitôt après
le repas, le supplice commence ; il dure quelquefois jusqu'au jour.
Les filles de garde n'assistent point à ces orgies ; trois
des six femmes choisies les remplacent ; et les infamies se portent
à leur comble. Mais qu'ai-je besoin d'appuyer sur ces détails
? Tes yeux, ô ma douce amie ! ne t'en convaincront que trop
tôt.
- Juste ciel ! s'écria Justine, le meurtre, le plus exécrable
des crimes, serait-il donc pour eux comme pour ce célèbre
maréchal de Retz2, une sorte de jouissance, dont la cruauté,
irritant à la fois leurs nerfs et leur perfide imagination,
plongeât leurs sens dans une ivresse plus vive ! Accoutumés
à ne jouir que par la douleur, à ne se délecter
que par des tourments et par des supplices, serait-il donc possible
qu'ils s'égarassent au point de croire qu'en redoublant, qu'en
améliorant la première cause du délire, on dût
inévitablement le rendre plus parfait, et qu'alors, sans principes
comme sans foi, sans murs comme sans vertu, les coquins, abusant
du malheur où nous plongent leurs premiers forfaits, se satisfissent
par des seconds qui nous coûtassent la vie ?
- N'en doute pas, répondit Omphale : ils nous égorgent,
ils nous supplicient, parce que le crime les irrite. Écoute-les
raisonner là-dessus, et tu verras avec quel art ils érigent
toutes leurs turpitudes en systèmes.
- Et ces réformes se font-elles souvent ?
- Il périt un sujet ici, soit de l'une ou de l'autre classe,
régulièrement tous les quinze jours. Rien, au surplus,
ne légitime cette réforme : l'âge, le changement
des traits, rien n'y fait ; le caprice est leur seule règle.
Ils réformeront aujourd'hui celle qu'ils ont hier le plus caressée
; et garderont vingt ans celle dont ils paraissent le plus rassasiés.
J'en suis la preuve, ma chère : il y a treize ans que je suis
ici, il n'est presque pas une orgie dont je ne sois ; je suis sans
cesse le plastron de toutes leurs débauches ; ils doivent être
excédés de moi : par quels attraits les fixerais-je,
fanée comme je le suis par leurs infâmes luxures ? Et,
cependant, ils me conservent, tandis que je leur ai vu réformer
des créatures délicieuses au bout de huit jours. Celle
qui fut immolée dernièrement n'avait pas seize ans,
belle comme l'Amour, à peine ici depuis six mois ; mais elle
devint grosse, et c'est un tort qu'ils ne pardonnent pas. L'avant-dernière
fut sacrifiée au moment même où elle ressentait
les premières douleurs de l'enfantement.
- Mais celles, dit Justine, qui périssent accidentellement
dans les parties, comme hier au soir à souper, font-elles nombre
dans les réformées ?
- Point du tout, répondit Omphale, ce sont des événements
imprévus qui ne comptent point, et qui n'empêchent pas
le sacrifice quindécimaire.
- Et ces accidents-là sont-ils fréquents ? poursuivit
Justine.
- Non, dit Omphale, ils se contentent de ce qu'ils se sont eux-mêmes
prescrit, et, excepté des cas extraordinaires ou de fortes
raisons, ils s'en tiennent à la loi qu'ils ont faite. N'imagine
pas que la plus régulière conduite, et que la plus extrême
soumission puisse nous faire échapper au sort qui nous attend
; j'en ai vu qui volaient au devant de tous leurs désirs, qui
les prévenaient avec le plus grand soin, et qui partaient au
bout de six mois, d'autres, maussades et fantasques, végétaient
ici des années : il est donc inutile de prescrire à
nos arrivantes un genre quelconque de conduite ; la fantaisie, l'unique
volonté de ces monstres, brisent tous les freins et devient
éternellement la loi de leurs détestables actions.
Lorsqu'une femme doit être réformée, et je sais
que c'est la même chose chez les hommes, elle en est prévenue
le matin, jamais plus tôt. Le régent de fonction paraît
à l'heure ordinaire, et dit, je le suppose : « Omphale,
vos maîtres vous réforment ; je viendrai vous chercher
ce soir. » Puis, il continue sa besogne : mais, à l'examen,
la réformée ne s'offre plus à lui. Est-il parti,
elle embrasse ses compagnes ; et, d'après son humeur ou son
caractère, ou elle s'étourdit avec elles, ou elle va
déplorer son sort au fond de sa cellule : mais point de cris,
point de marques de désespoir ; elle serait hachée en
morceaux dans l'instant, si on lui entendait faire le moindre train.
L'heure sonne, le moine paraît, et la victime est aussitôt
engloutie dans la ténébreuse prison qui lui sert d'asile
jusqu'au lendemain. Dans les vingt-quatre heures qu'elle y passe,
elle y est souvent visitée. Par un raffinement inconcevable
de barbarie, les scélérats se plaisent d'aller en jouir
là, et d'aggraver l'horreur de sa position, en la lui offrant
sous le plus effrayant aspect. Il est alors permis à tous les
moines d'aller faire préalablement souffrir à la victime
tout ce que dicte leur imagination ; d'où il résulte
qu'elle ne paraît souvent au lieu de son supplice que déjà
violemment outragée et, quelquefois, à demi-morte. Sous
aucun prétexte que ce soit, ils ne peuvent ni retarder, ni
avancer sa dernière heure, ni parler de sa grâce ; leurs
lois, toujours en action pour le mal, sont sans énergie pour
le bien. Enfin, l'instant arrive, et l'exécution se fait. Je
n'appuie point sur des détails qui ne seront que trop offerts
à tes yeux. Le souper, d'ailleurs. est à peu près
le même ; toujours excellent : mais il ne s'y boit que des vins
étrangers, des liqueurs, et en bien plus grande abondance.
Ils ne sortent jamais de ces repas sans être dans l'ivresse
; et l'on s'en retire beaucoup plus tard.
L'histoire des réceptions emporte d'autres formalités
dont tu seras également témoin, et qu'il est inutile
de te détailler. Y en eût-il plusieurs arrivées
à la fois, on en reçoit jamais qu'une ; et c'est dans
les soupers ordinaires que se font les cérémonies à
peu près semblables à celle dont tu fus toi-même
la victime en entrant ici.
- Et les moines, dit Justine, varient-ils aussi ?
- Non, répondit Omphale, il y a dix ans que le plus nouveau
est ici ; c'est Ambroise. Les autres y sont depuis quinze, vingt et
vingt-cinq : il y en a vingt-six que Sévérino y est.
Ce supérieur, né en Italie, est proche parent du pape,
avec lequel il est fort bien3. Ce n'est que depuis lui que les prétendus
miracles de la vierge assurent la réputation du couvent, et
empêchent les médisants d'observer de trop près
ce qui se passe ici. Mais la maison était montée comme
tu la vois quand il y arriva ; il y a plus de cent ans qu'elle existe
sur le même pied ; et tous les supérieurs qui y sont
venus ont conservé des privilèges et des arrangements
aussi nécessaires à leurs plaisirs. Sévérino,
l'homme le plus libertin de son siècle, ne s'y est fait placer
que pour y mener une vie analogue à ses goûts ; et son
intention est d'y maintenir l'ordre que tu y vois aussi longtemps
que cela sera possible. Nous sommes du diocèse d'Auxerre ;
mais que l'évêque soit instruit ou non, jamais nous ne
le voyons paraître. Personne, en général, n'approche
de cet asile que vers le temps de la fête, qui est celle de
la Notre-Dame d'août : il ne paraît pas, excepté
cela, six personnes par an dans cette maison. Si quelque étranger
se présente, le supérieur a soin de le bien recevoir
; il en impose par des apparences de religion et d'austérité.
On s'en retourne content ; on fait l'éloge du monastère
; et l'impunité de ces scélérats s'établit
ainsi sur la sottise du peuple et sur la crédulité des
dévots, inébranlable base de la superstition.
- Indépendamment des meurtres horribles dont tu viens de me
dévoiler les circonstances, arrive-t-il quelquefois, dit Justine,
que ces scélérats demandent un sujet pour l'exécuter
dans leurs chambres ?
- Non, dit Omphale, ils ne peuvent guère exercer qu'ensemble
le droit de vie et de mort qu'ils se sont arrogé sur nous.
S'ils veulent le mettre individuellement en action, c'est alors sur
leurs filles de garde qu'ils l'exercent : celles-là, sans doute,
peuvent être sacrifiées à tout moment du jour
et de la nuit ; leur malheureux destin ne dépend absolument
que du caprice de ces monstres, et pour la faute la plus légère,
il arrive souvent qu'elles sont immolées par ces barbares.
Cependant, cet affreux goût du meurtre vient les embraser aussi
quelquefois dans les secrètes orgies qui se célèbrent
chez la directrice. Ils consignent alors vingt-cinq louis pour le
sujet proscrit, et ils l'exécutent. Cette masse est destinée
aux remplacements ; et, dès qu'ils y contribuent de cette façon,
ils acquièrent le droit de tout faire.
- Perpétuellement sous le glaive, dit Justine, il n'est donc
aucun instant où nos jours ne soient menacés ?
- Oh ! pas un seul ; il n'est aucune de nous qui, en le levant le
matin, puisse répondre de coucher dans son lit le soir.
- Quel sort !
- Il est affreux, sans doute, mais on devient courageuse avec la perpétuelle
obligation de s'armer ; et, malgré la faux de la mort, journellement
suspendue sur nos têtes, tu n'en verras pas moins la gaieté,
l'intempérance universellement régner parmi nous.
- Voilà ce qui s'appelle des grâces d'état, dit
Justine ; pour moi, je te déclare que je ne cesserai jamais
et de pleurer et de frémir. Mais achève mon instruction,
je t'en prie ; et dis-moi si les moines peuvent quelquefois sortir
des sujets du couvent.
- Cela ne leur arrive jamais, dit Omphale ; on ne respire plus l'air
de la liberté une fois engloutie dans cette maison. De ce moment,
aucun espoir ne nous est permis ; il ne s'agit que d'attendre un peu
plus... un peu moins de temps, mais notre sort est toujours le même.
- Depuis que tu es ici, poursuivit Justine, tu as dû voir de
furieux changements ?
- Je n'en ai que douze au-dessus de moi ; excepté cela j'ai
vu renouveler plusieurs fois toute la maison.
- Et tu y as perdu beaucoup d'amies ?
- De bien chères !
- Oh ! que de douleurs ! Moi qui voudrais t'aimer, l'oserai-je, s'il
faut nous séparer si tôt.
Et ces deux tendres amies, s'élançant dans les bras
l'une de l'autre, arrosèrent un instant leurs seins des larmes
de la douleur, de l'inquiétude et du désespoir.
Cette scène attendrissante finissait à peine, que le
régent de fonction parut avec la directrice : c'était
Antonin. Toutes les femmes, suivant l'usage, se rangèrent sur
deux haies. Il jeta un coup d'il indifférent sur l'ensemble,
compta les sujets, puis s'assit. Alors toutes furent l'une après
l'autre relever leurs jupes devant lui, d'un côté jusqu'au-dessus
du nombril, de l'autre jusqu'au-dessus des reins. Antonin reçut
cet hommage avec l'apathie de la satiété ; puis, regardant
Justine, il lui demanda brutalement comment elle se trouvait ; ne
la voyant répondre que par ses larmes :
- Elle s'y fera, dit-il en riant ; il n'y a pas de maison en France,
où l'on forme mieux une fille que dans celle-ci.
Il prit la liste des coupables que lui présentait la directrice
; puis, s'adressant encore à Justine, il la fit frémir
; tout ce qui paraissait devoir la soumettre à ces libertins
était pour elle un arrêt de mort. Il la fit asseoir sur
le bord d'un canapé ; et, dès qu'elle y fut, il lui
fit découvrir la gorge par Victorine. et ordonna à une
autre fille de relever les jupes jusqu'au nombril. Il s'approche,
écarte les cuisses qu'on lui présente ; et s'assoit
bien en face de ce con entrouvert. Une autre créature d'environ
vingt ans vient se placer sur Justine, dans la même attitude
; en sorte que c'est un nouveau con qui s'offre au paillard, au lieu
du visage de Justine, et que s'il jouit de celle-ci, il aura les attraits
de l'autre à hauteur de sa bouche. Une troisième fille,
prise dans la classe des duègnes, vient de sa main exciter
le régent ; et une quatrième, entièrement nue,
sortie de la classe des vestales, lui montre avec le doigt, sur le
corps de Justine, l'endroit où doit s'engloutir le membre qu'on
pollue. Cette dernière fille excite également Justine
; elle la branle ; et ce qu'elle lui fait, Antonin l'imite avec deux
jolies filles de quinze ans, placées sous chacune de ses mains,
que deux autres filles de treize baisent sur la bouche, pour les animer.
On n'imagine pas les mauvais propos, les jurements, les discours obscènes
par lesquels ce débauché s'enflamme ; il est enfin dans
l'état qu'il désire ; le paillard bande : une nouvelle
fille le saisit par l'engin ; c'est une des vieilles ; elle mène
à Justine, dans le con de laquelle il s'introduit avec autant
de précipitation que de brutalité.
- Ah ! sacredieu, dit-il, m'y voilà... me voilà dans
ce con que je brûlais de foutre ; je vais l'arroser de mon sperme
; je veux qu'elle soit grosse de ce coup-ci.
Tout le suit, tout cherche à doubler son extase, tout travaille
à l'électriser : découvrant ses fesses bien à
nu, Omphale, qui s'en empare, n'omet rien pour le mieux irriter ;
frottements, baisers, pollutions, tout s'emploie : tant de moyens,
infructueux longtemps, réussissent pourtant à la fin.
On n'a pas d'idée de la vitesse avec laquelle les cons varient,
et sous les doigts, et sous les baisers de ce libertin. La crise approche
; le paillard, dont l'usage est de pousser alors des cris effroyables,
en jette qui font retentir la voûte ; tout l'environne, tout
le sert ; la directrice remplace Omphale dans le soin d'irriter l'anus,
elle le socratise de ses cinq doigts ; et c'est le clitoris d'une
des plus jolies que le moine suce en ce moment. Il parvient enfin
au délire, dans le sein des épisodes les plus bizarres
et les plus dépravés.
- Allons, dit-il à l'une de ses filles de garde, à genoux...
suce-moi le vit.
On n'y laisse aucune souillure ; et le vilain s'en va tout grondant.
Ces sortes de groupes s'exécutaient souvent. Il était
de règle que quand un moine jouissait de telle façon
que ce pût être, plusieurs filles l'entourassent alors,
afin d'embraser ses sens de toutes parts, et que la volupté
pût s'introduire en lui plus sûrement par chacun de ses
pores.
On apporte à déjeuner : Justine ne voulait pas se mettre
à table ; la directrice, d'un ton brusque, lui ordonna de s'y
placer ; elle se mit au rang des filles de sa classe, et ne mangea
que pour avoir l'air d'obéir. On avait à peine fini,
que le supérieur entra : on le reçut avec les mêmes
cérémonies que venait de l'être Antonin, à
la différence que les sultanes se gardèrent bien de
se trousser par devant ; elles n'exposèrent que leurs culs
aux regards exercés de l'ultramontain. L'examen fait, il se
leva.
- Il faut bien penser à la vêtir, dit-il en fixant Justine.
Puis, ouvrant une armoire placée dans la grande salle, il en
tira quelques vêtements, de la forme et de la couleur annexée
à la classe où Justine entrait.
- Essayez cela, lui dit-il en les lui jetant, et rendez sur-le-champ
ce qui vous appartient.
Notre triste orpheline exécute, après avoir eu la précaution
d'ôter son argent et de le placer dans ses cheveux. A chaque
vêtement qu'elle enlève, les yeux de Sévérino
se portent à l'instant sur l'attrait découvert : à
peine est-elle nue que le supérieur la saisit, et la couche
à plat ventre sur le bord d'un sofa. Justine veut demander
grâce ; on ne l'écoute point, six femmes nues environnent
les deux combattants, et présentent au moine l'autel qui l'enflamme.
On ne voit que des culs en l'air ; sa main les presse, sa bouche s'y
colle, ses regards les dévorent. Justine est sodomisée
: plus de vingt culs s'élancent avec rapidité, tour
à tour, et sous les baisers, et sous les attouchements du paillard
; sa langue et ses doigts pénètrent indifféremment
dans tous ; il décharge, et poursuit son opération avec
le calme heureux que donne le crime. Justine, vêtue en novice,
reparaît plus belle aux yeux de son bourreau : il lui ordonne
de le suivre dans les diverses opérations qui lui restent à
faire au sérail. Vers la fin de sa tournée, une des
filles de la classe des sodomistes le tente.
- Faites-la trousser, dit-il à Victorine.
La directrice s'en empare. C'est une grande fille de dix-neuf ans,
belle comme le jour. Le plus beau cul du monde, le plus blanc, le
mieux coupé, est bientôt offert aux désirs de
ce libertin, qui veut être branlé par Justine : la malheureuse
obéit avec gaucherie ; ses compagnes l'instruisent ; ses mains
parviennent enfin à faire guinder le membre que venait d'émousser
son cul : on lui dit qu'il faut que ce soit elle qui le présente
au trou qu'on va perforer : elle obéit ; l'engin pénètre,
le moine fout ; mais ce n'est que le cul de Justine qu'il veut baiser
pendant l'opération ; les autres sultanes ne l'entourent que
pour la perspective : ses yeux s'enflamment : on croit qu'il va terminer
l'aventure ; il la finit effectivement, mais c'est sans atteindre
le but.
- En voilà assez, dit-il en se retirant ; j'ai de la besogne
ce soir. Justine, continue-t-il, je suis fort content de votre cul,
je le foutrai souvent ; soyez docile, prévenante, soumise ;
c'est le seul moyen de vous conserver longtemps dans ces lieux.
Et le libertin sortit, emmenant avec lui deux filles de trente ans,
qu'il menait déjeuner chez la directrice, et qui, par des ordres
envoyés le matin, ne s'étaient point mises à
table avec nous.
- Que va-t-il faire de ces créatures ? dit Justine à
Omphale.
- Il va s'enivrer avec elles. Ce sont des libertines de profession,
aussi dépravées que lui, et qui, depuis vingt ans dans
la maison, ont enfin adopté les murs et les coutumes
de ces scélérats ; tu les verras revenir saoules et
couvertes des coups que ce monstre leur aura appliqués dans
son ivresse.
- Et jouira-t-il encore ? poursuivit Justine.
- Vraisemblablement, au sortir du déjeuner, il passera dans
le sérail des hommes ; et, là, quelques victimes lui
seront encore présentées ; et, bien sûrement,
lui-même, s'offrant comme une femme, recevra l'hommage de cinq
ou six garçons.
- Oh ! quel homme !
- Tu ne vois encore rien ; il faut vivre avec eux depuis aussi longtemps
que moi, pour être en état de les apprécier.
La journée se passa sans événements. Justine
n'était pas du souper.
- Allons, lui dit Omphale, il faut passer chez Victorine ; tu te rappelles
les engagements que tu as pris ; n'y manquons pas, puisque tu es libre.
- Ah ! c'est vous, dit la directrice en voyant entrer Justine.
- Oui, madame, répondit Omphale ; elle se souvient que vous
l'avez désirée pour ce soir ; elle accourt à
vos ordres.
- C'est bon, dit Victorine ; tu resteras aussi, Omphale. Je bande
pour toi, ma bonne, continua la tribade, en langottant cette jolie
fille ; je vais faire venir deux garçons ; nous souperons tous
cinq, et nous nous en donnerons.
Au simple son d'une cloche, deux charmants fouteurs, de vingt à
vingt-deux ans, parurent ; et Victorine, après les avoir baisés
un quart d'heure chacun, les avoir branlés, sucés, langottés,
leur dit :
- Augustin, et vous, Narcisse, voilà deux jolies filles que
je vous livre ; arrangez avec elles des tableaux assez lascifs pour
me sortir de la léthargie dans laquelle je suis depuis quelques
jours.
Les deux ardents fouteurs ne se le font pas dire deux fois : le plus
jeune s'empare de Justine, l'autre d'Omphale ; et, par leur art, en
moins d'une demi-heure, cinq à six différentes attitudes
sont offertes aux yeux de la tribade, qui, s'abandonnant par degrés,
à mesure que le spectacle l'échauffe davantage, finit
par se mêler aux combattants : les courses deviennent plus sérieuses
; tout se dirige sur Victorine, tout travaille à doubler son
extase. La putain, nue, également , foutue par devant et par
derrière, joint à cette douce manière de jouir
l'épisode délicieux de gamahucher à la fois le
trou du cul d'Omphale et le con de Justine.
- Attendez, dit-elle, un moment ; et, s'affublant d'un godemiché
: Je suis lasse d'être patiente, je veux agir.
La garce enconne Justine ; elle oblige le plus âgé des
garçons à l'enculer pendant ce temps-là ; et,
voulant imiter ce désordre, elle place elle-même dans
son cul le vit qui reste, pendant qu'Omphale est contrainte à
venir se branler le con sur sa bouche.
- La belle fille ! s'écrie la directrice, en parlant de Justine
; comme je la fous avec plaisir ! Oh ! sacredieu, que ne suis-je un
homme ! Baise-moi, mon petit ange, baise-moi, putain, je vais décharger...
Et l'indifférente Justine se prête avec docilité,
sans qu'il lui soit possible pourtant d'étouffer ses remords,
ou de dissimuler ses chagrins. Cependant Victorine, usée, ne
tient point parole ; la nature, défaillante en elle, lui refuse
ses dons... au moins pour ce moment-là ; et ce n'est qu'en
imaginant de nouvelles paillardises, qu'elle la contraint à
se rendre. L'infâme retourne Justine ; elle l'encule, pendant
qu'on la sodomise elle-même. Rien ne venant encore, elle encule
un garçon et gamahuche Justine, qu'Omphale branle sur le clitoris,
pour hâter l'émission d'un sperme qui va combler Victorine
de plaisir, et peut-être décider le sien : tel est l'écart
qui réussit. Justine décharge malgré elle ; Victorine
la suce, en s'agitant comme une bacchante sur les reins du jeune homme
dont elle jouit, pendant que l'autre garçon lui place alternativement
son vit et dans le con, et dans le cul ; et la putain, entourée
de plaisirs, perd son foutre, avec des cris, des blasphèmes
et des convulsions bien dignes d'une libertine comme elle.
On se mit à table. Tout du long du souper, Victorine ne voulut
manger que des morceaux broyés par les dents d'ivoire de notre
héroïne : Omphale la branlait pendant qu'elle dévorait.
J'aime à mêler ces deux plaisirs, disait-elle ; je n'en
connais pas qui s'accordent mieux ; et, versant à Justine de
grandes rasades de vin de Champagne, elle cherchait à arracher
de l'égarement de cette fille ce qu'elle sentait bien ne pouvoir
obtenir de sa raison. Mais Justine ne se troubla jamais, et Victorine,
voyant qu'elle ne répondait pas mieux après le souper
qu'avant, à toutes les attaques qui lui étaient portées,
la renvoya coucher avec humeur, en lui annonçant que de tels
procédés ne contribueraient pas à lui rendre
sa captivité bien douce.
- Eh bien ; madame, dit-elle en se retirant, je souffrirai : je suis
née pour la douleur ; je remplirai ma carrière aussi
longtemps qu'il plaira au ciel de me laisser languir dans le monde
; mais au moins je ne l'offenserai pas : cette consolante idée
rendra mes peines moins amères.
La directrice garda, pour sa nuit, Omphale et les deux jeunes gens.
Justine apprit le lendemain à quelles horreurs elle eût
été contrainte, si elle n'eut pas été
renvoyée.
- Il a fallu que je les souffrisse à ta place, dit Omphale
; mais heureusement que l'habitude m'assouplit maintenant sans peine
à mes devoirs, et il m'est resté le plaisir de t'avoir
évité des ignominies.
Le jour suivant était la veille de celui où l'on devait
prescrire une réforme. Antonin paraît ; les mêmes
cérémonies s'exécutent ; Justine tremblait :
la manière décente et sévère dont elle
s'était conduite chez la directrice ne pouvait-elle pas faire
tomber sur elle le choix terrible de cette réforme ? Elle avait
irrité cette femme ; elle en connaissait le crédit ;
que n'avait-elle pas à redouter ? L'indifférence d'Antonin
la rassura cependant ; à peine jeta-t-il les yeux sur elle.
Les cérémonies terminées, Antonin nomme Iris
: c'était une superbe femme de quarante ans, depuis trente-deux
dans la maison.
- Place-toi, lui dit Antonin, il faut que je te sonde le con. Que
l'on me branle et m'y fasse entrer, poursuit l'infâme satyre.
Tout s'empresse ; le vilain s'engloutit.
- Allons, garce, dit-il en foutant, ce sont des adieux que je te fais.
Et comme il vit que tout le monde frémissait, et que sa malheureuse
victime était prête à s'évanouir :
- Est-ce que tu ne m'entends pas, putain, lui dit-il, en lui appliquant
deux vigoureux soufflets, et continuant toujours de la foutre ; dis,
n'entends-tu donc pas que la société te réforme...
que je te viens chercher, et qu'après-demain tu n'existeras
plus ? Si je t'enconne avant, double putain, c'est pour que tu emportes
mon foutre en enfer, et que les Furies, t'en voyant inondée,
s'en barbouillent le con tout un jour : je les foutrais elles-mêmes,
si je les tenais. Allons, décharge donc, garce ; il me semble
que je prépare assez bien tes sens à l'ivresse où
je les désire...
Mais Iris n'entendait plus rien ; absolument évanouie, elle
n'avait plus ni chaleur, ni mouvement. Tel est l'état où
le paillard se livre avec elle au dernier plaisir. Il lui mord les
tétons en déchargeant, dans l'espoir de la rendre à
la vie : c'est en vain ; on a beau faire, rien ne réussit ;
et c'est dans cet état de stupeur et d'abattement, c'est en
venant de jouir d'elle, que le barbare a la cruauté de la faire
jeter dans les cachots, où elle va filer les dernières
heures de sa vie.
Justine passa la plus cruelle journée : cette affreuse scène
ne lui sortait pas de l'esprit. Elle frémissait d'être
du souper qui devait accompagner ces sanglantes orgies. Heureusement
qu'on la crut trop novice encore pour l'admettre dans une partie ou
la pudeur et l'humanité n'eussent pas été de
saison ; elle fut simplement commandée pour aller ce même
soir passer la nuit chez Clément.
- Oh ! Dieu, s'écria-t-elle, il faudra que je satisfasse les
passions de ce monstre qui ne m'abordera que couvert du sang de ma
malheureuse compagne ; qui, rassasié d'horreurs et d'infamies,
ne m'approchera que le crime dans le cur et le blasphème
à la bouche !... Est-il un sort plus affreux que le mien ?
Cependant, il faut partir : le geôlier vient la prendre et l'enferme
dans la cellule de Clément, où, pendant qu'elle attend
ce scélérat, de nouvelles pensées plus affreuses
encore viennent de nouveau troubler son imagination.
Sur les trois heures du matin, Clément arrive, suivi de ses
deux filles de garde, venues le prendre au sortir du souper, où
l'on sait qu'elles n'assistaient pas quand il s'agissait d'une orgie
de réforme. L'une de ces filles se nommait Armande ; elle était
blonde, d'une charmante physionomie, atteignant à peine sa
vingt-sixième année, et nièce de Clément
; l'autre s'appelait Lucinde ; de l'embonpoint, de belles chairs,
de la blancheur, et vingt-huit ans.
Instruite de ses devoirs, Justine se jette à genoux, dès
qu'elle entend le moine. Il vient à elle, la considère
dans cette humiliante posture puis lui ordonne de se relever, et de
le baiser sur la bouche. Clément savoure ce baiser, et lui
donne toute l'expression, toute l'étendue qu'il est possible
de concevoir. Pendant ce temps, les deux acolytes, par son ordre,
déshabillent Justine en détail. Quand la partie des
reins aux talons est à découvert, elles se pressent
de l'exposer à Clément, et de lui offrir le côté
chéri de ses goûts. Le moine examine, touche ; puis,
s'asseyant dans un fauteuil, il ordonne à Justine de lui présenter
à baiser ce cul divin dont il s'enthousiasme : sa nièce
est à genoux, elle lui suce le vit... un vit molasse, excédé
des plaisirs de la soirée, et qui, sans beaucoup d'art, ne
reviendra pas de sitôt, à la vie. Lucinde, un peu de
côté, coule une de ses mains sous les fesses du moine,
et le socratise amplement. Le libertin place sa langue au sanctuaire
du temple qu'on lui offre, et l'introduit le plus avant qu'il peut.
Ses mains crochues molestent les mêmes attraits chez Armande
et Lucinde ; il leur presse et pince le cul à l'une et à
l'autre, avec toute la paillardise imaginable. Mais, toujours occupé
de Justine, dont le derrière est sans cesse à portée
de sa bouche, il lui ordonne d'y péter ; Justine obéit,
et s'aperçoit bientôt du merveilleux effet de cette intempérance.
Le moine, mieux excité, devient plus ardent ; il mord subitement
en six endroits les fesses de Justine, qui pousse un cri et se jette
en avant. Clément, dérangé, s'avance à
elle, la colère dans les yeux :
- Sais-tu bien, s'écrie-t-il, ce que tu risques par une telle
insubordination ?
La malheureuse s'excuse ; mais le féroce animal, la saisissant
par son corset, le lui arrache avec sa chemise, empoigne la gorge
avec brutalité, et l'invective en la comprimant. Les filles
de garde déshabillent Justine, et les voilà tous les
quatre nus. Armande occupe un instant son oncle : ce que c'est que
la force du sang ! il lui applique, avec les mains, des claques furieuses
sur les fesses, il la baise à la bouche, lui mord la langue
et les lèvres : elle crie ; la douleur arrache de cette fille
des larmes involontaires ; il la fait monter sur une chaise, lui baise
le cul, la fait péter. C'est le tour de Lucinde ; elle est
traitée de même. Justine le branle pendant qu'il opère
; il mord cruellement le cul qu'on lui présente, et ses dents
s'impriment en plusieurs endroits dans les chairs de cette belle fille
; se retournant avec brusquerie vers Justine, qui, selon lui, le branle
fort mal :
- Oh ! putain, lui dit-il, comme tu vas souffrir.
Il n'a pas besoin de l'annoncer ; ses yeux ne le disent que trop.
- Vous allez être fustigée partout, lui dit-il ; oui,
même sur ce sein d'albâtre, même sur ces deux boutons
de rose, que je froisse avec tant de plaisir.
Et notre malheureuse patiente n'osait rien dire, de peur d'irriter
encore plus son bourreau, mais la sueur couvrait son front, et ses
yeux, malgré elle, se remplissaient de pleurs. Il la retourne,
la fait agenouiller sur le dos d'une chaise, dont ses mains doivent
tenir le dossier sans le quitter ; sous les peines les plus sévères.
La voyant là, bien à sa portée, il ordonne à
ses filles de garde de lui apporter des verges ; on lui en présente
plusieurs poignées ; il s'empare des plus minces... des plus
flexibles, et débute par une vingtaine de coups sur les épaules
et sur le haut des reins ; puis, quittant Justine une minute, il place
Armande et Lucinde à environ six pieds d'elle, de droite et
de gauche, et positivement dans la même attitude ; il leur déclare
qu'il va les fouetter toutes trois, et que la première qui
lâchera le dossier de la chaise... qui poussera un cri, ou versera
une larme, sera sur-le-champ soumise à tel supplice que bon
semblera à la rage de ce scélérat.
Armande et Lucinde reçoivent sur le dos le même nombre
de coups qu'il vient de donner à Justine ; il baise cette dernière,
et sur la bouche, et sur toutes les parties qu'il a molestées
; puis, levant ses verges :
- Tiens-toi bien, coquine, lui dit-il ; tu vas être traitée
comme la dernière des misérables.
Justine reçoit à ces mots cent coups de suite, appliqués
du bras le plus nerveux, et qui meurtrissent toute la partie du dos,
jusqu'à la chute des reins inclusivement ; il vole aux deux
autres, et les traite de même. Les malheureuses ne prononçaient
pas une parole ; leurs physionomies seules peignaient le cruel état
de leur âme, et l'on n'entendait d'elles que quelques gémissements
sourds et contenus. A quelque point que fussent enflammées
les passions du moine, on n'en apercevait pourtant aucun signe encore
; il se branlait par intervalle, mais rien ne dressait.
- Oh ! foutre, disait-il, j'ai trop déchargé au supplice
de cette garce que nous avons martyrisée cette nuit ; je lui
ai fait des choses uniques, mais qui m'ont épuisé ;
je ne banderai jamais, c'est fini ; et, se rapprochant de Justine,
qui occupait le milieu du tableau, il considère ses deux fesses
sublimes, dont la blancheur eût fait honte au lis, et qui, encore
intactes, allaient bientôt endurer leur part du mauvais traitement
; il les manie, il ne peut s'empêcher de les entrouvrir, de
les chatouiller, de les baiser mille fois encore.
- Allons, dit-il, du courage.
Une grêle épouvantable de coups tombe à l'instant
sur ces deux fesses, et les meurtrit jusqu'aux cuisses. Excessivement
animé des bonds, des haut-le-corps, des grincements, des contorsions
que la douleur arrache à cette infortunée, les examinant,
les saisissant avec délices, Clément vient en exprimer,
sur la bouche de la patiente, les sensations dont il est agité.
- Cette putain me plaît, s'écrie-t-il, je n'en ai jamais
fustigé qui m'ait donné plus de plaisir ; et il passe
à Lucinde, dont les charmantes fesses sont traitées
de la même manière ; de Lucinde, il vient à Armande,
qu'il fouette avec une égale barbarie ; il reste la partie
inférieure, depuis le haut des cuisses jusqu'aux mollets, et
le paillard, sur toutes les trois, frappe bientôt ces parties
avec la même ardeur.
- Allons, dit-il en retournant Justine, changeons de main, et visitons
ceci.
Il lui donne une cinquantaine de coups, depuis le milieu du ventre
jusqu'au bas des cuisses, puis, les lui faisant écarter, il
frappe rudement dans l'intérieur de l'antre, qu'elle lui ouvre
par son attitude.
- Oh ! sacredieu, s'écrie-t-il, en voyant le con bien à
sa portée, voilà l'oiseau que je vais plumer.
Quelques cinglons ayant, par les précautions qu'il emploie,
pénétré fort avant, Justine jette des cris.
- Ah ! ah ! dit l'anthropophage, j'ai donc trouvé l'endroit
sensible, nous le visiterons bientôt un peu mieux.
Cependant, Armande et Lucinde sont mises dans la même posture
; et ses verges atteignent également les parties les plus délicates
de leurs corps ; mais, soit habitude, soit courage, soit la crainte
d'encourir de plus rudes traitements, l'on n'aperçoit d'elles
que des frémissements et quelques contorsions involontaires.
Il ne les quitte qu'en sang.
Il y avait pourtant un peu de changement dans l'état physique
de ce libertin ; et, quoique les choses eussent encore bien peu de
consistance, à force de secousses, le maudit instrument commençait
à guinder.
- Mettez-vous à genoux, dit le moine à Justine, je vais
vous fouetter sur la gorge.
- Sur la gorge, mon père ?
- Oui, sur ces deux masses horribles, qui me répugnent... que
je déteste, et qui ne m'inspirèrent jamais que la cruauté
; et il les serrait, il les comprimait violemment en disant cela.
- Oh ! mon père, dit Justine en pleurant, cette partie est
si délicate ! vous me ferez mourir !
- Que m'importe ! pourvu que je me satisfasse, et il débute
par cinq ou six coups, que Justine pare avec les mains.
Furieux de cette défense, Clément saisit les bras de
Justine, et les lui attache derrière le dos, en lui ordonnant
de se taire... de ne pas prononcer une seule parole. La malheureuse
n'a plus que ses larmes... que les mouvements de sa physionomie, pour
implorer sa grâce ; mais un pareil scélérat, et
surtout quand il bande, est-il sensible à la pitié ?
Il appuie fortement une douzaine de coups sur les deux seins de cette
pauvre fille, que rien ne garantit plus. D'affreux cinglons s'impriment
aussitôt en traits de sang ; l'excès de la douleur arrache
à Justine des pleurs, qui, retombant en perles sur ce sein
déchiré, rendent cette délicieuse fille mille
fois plus intéressante encore. Le fripon baise ses larmes,
les lèche, les mêle, avec sa langue, aux gouttes de sang
que verse sa férocité, revient à sa bouche...
aux yeux mouillés, qu'il suce avec paillardise. Armande succède
; ses mains se lient ; elle offre un sein d'albâtre et de la
plus belle rondeur. Clément fait semblant de le baiser, mais
c'est pour le mordre ; il frappe enfin, et ces belles chairs, si blanches,
si potelées, ne présentent bientôt plus aux yeux
de leur bourreau que des meurtrissures et des traces de sang.
Lucinde, traitée de la même manière, ne soutient
pas avec le même courage ; les coups de verges lui ayant déchiré
le mamelon, elle s'évanouit...
- Ah ! foutre ; dit le moine irrité, voilà ce que je
voulais.
Cependant, le besoin qu'il a de la victime l'emporte sur le plaisir
qu'il aurait de la contempler longtemps dans cette crise. Au moyen
de quelques sels, elle retrouve bientôt l'usage de ses sens.
- Allons, dit-il, je vais vous fouetter toutes à la fois, et
chacune sur des parties différentes.
Il laisse Justine à genoux, place Armande sur elle, les jambes
écartées, en telle sorte que sa bouche se trouve à
la hauteur du con d'Armande, et sa gorge entre les cuisses de celle-ci,
précisément au bas de son derrière, il fait asseoir
Lucinde sur les reins d'Armande, également les jambes écartées,
et lui présentant le con, bien en plein, précisément
à fleur des deux fesses de celle sur laquelle elle est huchée.
Par ce moyen, le paillard peut, comme il le dit, fustiger à
la fois la motte, les fesses et les tétons des trois plus belles
femmes qu'il soit possible de voir. Clément ne tient point
au coup d'il enchanteur de cette délicieuse attitude
: le coquin frappe à tour de bras tous les attraits qui lui
sont présentés : culs, cons, tétons, tout est
impitoyablement flagellé, tout est mis en sang. Le moine bande
enfin, et n'en devient que plus furieux. Il ouvre une armoire où
se trouvent plusieurs martinets ; il en sort un à pointes d'acier,
si tranchantes, qu'on ne le touche pas sans risquer de se déchirer
:
- Tiens, Justine, dit-il, en montrant cet outil ; vois comme il est
délicieux de fouetter avec cela... tu le sentiras, tu l'éprouveras,
coquine ; mais, pour l'instant, je veux bien n'employer que celui-ci.
Il était de cordes de boyau, nouées ; il avait douze
branches, au bas de chacune était un nud plus fort que
les autres, et de la grosseur d'une noisette.
- Allons, ma nièce, la cavalcade... la cavalcade, dit-il à
Armande.
Aussitôt, la posture se rompt. Les deux filles de garde, qui
savent de quoi il s'agit, se mettent à quatre pattes au milieu
de la chambre, les reins élevés le plus possible ; elles
disent à Justine de les imiter ; la malheureuse le fait : le
moine monte sur Armande ; et, les voyant alors tous trois, bien à
sa portée, il leur lance des coups furieux sur les appâts
qu'elles présentent. Comme, par cette posture, elles offrent,
dans le plus grand écart possible, cette délicate partie
qui les distingue des hommes, le barbare y dirige ses coups ; les
branches longues et flexibles du fouet dont il se sert, pénétrant
dans l'intérieur avec plus de facilité que les verges,
y laissent des traces profondes de sa rage : tantôt il frappe
sur l'une, tantôt ses coups se lancent sur l'autre. Aussi bon
cavalier que fustigateur intrépide, il change plusieurs fois
de monture, en observant de frapper aussi bien, aussi fortement celles
qui sont sous sa main, que celle sur les reins de laquelle il est.
Les malheureuses sont excédées ; les titillations de
leurs douleurs sont si vives, qu'il leur devient presque impossible
de les supporter.
- Levez-vous, leur dit-il alors en reprenant ses verges ; oui, levez-vous,
et craignez-moi.
Ses yeux étincellent, il écume. Également menacées
sur tout le corps, ces pauvres filles l'évitent ; elles courent,
comme des égarées, dans toutes les parties de la chambre
: il les suit ; frappant indifféremment sur toutes trois, le
scélérat les met en sang ; il les rencogne à
la fin dans la ruelle du lit. Là, plus aucun mesure ; les coups
redoublent, et s'appliquent avec si peu d'égards et tant de
furie, que leur visage même en est offensé ; un cinglon
porte dans l'il d'Armande, elle jette un cri le sang coule.
Cette dernière atrocité détermine l'extase ;
et, pendant que les fesses et les tétons des deux autres sont
cruellement déchirés, l'infâme arrose de foutre
la tête et les cheveux de sa malheureuse nièce, que les
douleurs obligent à se rouler à terre, en poussant d'effroyables
cris.
- Couchons-nous, dit froidement le moine, en voilà beaucoup
trop pour vous, n'est-ce pas, mesdemoiselles ? et certainement pas
assez pour moi. On ne se lasse point de cette manie, quoiqu'elle ne
soit qu'une imparfaite image de ce qu'on voudrait réellement
faire. Ah ! chères filles, vous ne savez pas jusqu'où
nous entraîne cette dépravation, l'ivresse où
elle nous jette, la commotion violente qui résulte dans le
fluide électrique, de l'irritation produite par la douleur
sur l'objet qui sert nos passions, comme on est chatouillé
de ses maux ! Le désir de les accroître, voilà
l'écueil, je le sais ; mais, cet écueil est-il à
craindre pour qui se moque de tout, pour qui n'a plus ni foi, ni loi,
ni religion, pour qui foule aux pieds tous les principes ?
Quoique l'esprit de Clément fût encore dans l'enthousiasme,
voyant néanmoins ses sens plus calmes, Justine osa répondre
à ce qu'il venait de dire, et lui reprocher la dépravation
de ses goûts. La manière dont ce libertin les justifia
nous a paru digne de tenir place dans ces mémoires.
1 Ce n'est pas la justice qui a des charmes dans ce cas-ci, c'est
le vol que le libertin lui fait de ses droits.
2 Voyez dans l'Histoire de Bretagne, par Dom Lobineau, les cruelles
voluptés où cet homme étonnant se livrait avec
des enfants de l'un et de l'autre sexe, dans son château de
Machecou. Le duc de Bretagne, plus envieux de ses biens qu'il confisqua,
que jaloux de venger l'immoralité de ce seigneur rempli d'esprit
et de talents, lui fit faire son procès à Rennes où
il périt sur un échafaud, pour avoir eu le malheur d'être
riche, et singulièrement organisé de la nature.
3 Nous verrons, dans la suite de cette histoire, les raisons pour
lesquelles il ne doit point paraître étonnant que Pie
VI fût bien avec un libertin tel que Sévérino.