49 - Le Retour
Je men
vais promener tantôt parmy la plaine,
Tantôt en un village et tantôt en un bois,
Et tantôt par les lieux solitaires et cois.
PIERRE RONSARD.
Jai quitté pour un an la campagne : le chaume
Était jaune ; les champs navaient plus cet arome
Que leur donnent en juin les fleurs et le foin vert,
Et lon sentait déjà comme un frisson dhiver.
La campagne, cest bon lété.
Lon se promène,
On marche à travers champs comme le pied vous mène,
Se fiant au hasard des sentiers onduleux.
À la terre le ciel fait des sourires bleus ;
La nature est en joie, et la fleur virginale
Vous donne le bonjour de sa tête amicale ;
Lherbe courbe sa pointe où tremble un diamant.
Devant vos pieds verdis et mouillés, par moment,
Du milieu dun buisson, dun arbre ou dune haie,
Part un oiseau caché que votre pas effraie.
Un papillon peureux, dans son fantasque vol,
Comme un écrin ailé rase, en fuyant, le sol.
Une abeille surprise, humide de rosée,
Déserte en bourdonnant la fleur demi-brisée.
Plus loin, cest une source entre les coudriers
Qui roule babillarde, et sur les blonds graviers
Éparpille au hasard, comme une chevelure,
Les résilles dargent de son eau fraîche et pure.
Des joncs croissent auprès que plie un léger vent ;
Le blême nénuphar, tel quun rideau mouvant,
Ondule sur ses flots, où plonge la grenouille
Parmi les fruits noyés et les feuilles de rouille,
Et dans un tourbillon dor, de gaze et dazur,
De lumière inondée aux feux dun soleil pur,
Danse la demoiselle avec sa longue queue,
De ses ailes de crêpe égratignant leau bleue.
À chaque pas quon fait la scène change, ainsi
Que dans un mélodrame à grand spectacle : ici,
Au fond dun parc, au bout dune longue avenue,
Un château découpant son profil sur la nue ;
Là, de rouges sainfoins et de jaunes moissons,
Et létang qui sécaille au saut de ses poissons.
À gauche, une colline à la robe zébrée,
De tons riches et chauds par le couchant marbrée ;
À droite, au fond des bois, entre de noirs rochers,
Des hameaux inconnus trahis par leurs clochers ;
Plus loin, transition de la terre au nuage,
Un anneau de lapis fermant le paysage.
Un vrai panorama vivant et bigarré,
Par un pinceau divin ardemment coloré,
Comme nen fit jamais jaillir de sa palette,
Miroir où larc-en-ciel rayonne et se reflète,
Le grand Claude Lorrain, ni Breughel de Velours.
Mais, comme lon ne peut se promener toujours,
On sasseoit sur un tertre ; on dessine une vue,
On fait des vers, on lit, ou lon passe en revue
Ses jeunes souvenirs et ses rêves damour,
Si longtemps caressés et perdus sans retour ;
On rebâtit sa vie au néant écroulée,
On voit ce quelle était, ou joyeuse ou troublée,
On examine à fond ses plaisirs, ses douleurs,
Et souvent la balance est du côte des pleurs.
Comme en un palimpseste à travers dautres signes
Dun ancien manuscrit ressuscitent les lignes,
Le roman de lenfance à travers le présent
Reparaît tout entier, calme, pur, innocent,
Idylle de Gessner, conte de Berquin, rose
Et suave peinture où soi-même lon pose :
Lon compare son moi du jour au moi passé,
Et pour quelques instants le monde est effacé.
Rien de mieux. Mais lhiver, en janvier, quand la
neige
Sentasse aux toits blanchis, quand la rafale assiège
Votre vitre qui tremble et qui frissonne, à quoi,
Mon Dieu, passer le temps ? Il faut se tenir coi,
Se bien claquemurer, et, les talons dans lâtre,
Parler chasse et gibier à quelque gentillâtre,
Faire un cent de piquet avec monsieur labbé,
Lire un ancien Mercure, ou, galant Sigisbé,
Pour passer au salon, prendre par sa main sèche
Une mistress Gryselde ennuyeuse et revêche,
Vrai portrait de famille à son cadre échappé,
Écu dans dautres temps dun autre coin frappé
;
Courtiser à lécart une petite niaise
Sortant de pension, toute rouge et tout aise,
Qui prend feu dès labord au moindre aveu banal
Et simagine avoir trouvé son idéal ;
Écouter un dandy, Brummel de la province,
Beau papillon manqué qui, pour être plus mince,
Barde ses flancs épais dun corset et dun busc,
Et, comme un vieux blaireau, pue à vingt pas le musc ;
Et le maire du lieu, docte et rare cervelle,
Dun air mystérieux colportant sa nouvelle.
Autant et mieux, ma foi, vaudrait être pendu
Que rester enfoui dans ce pays perdu.
1831.
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