39 - Le Champ de bataille
En icelle valée oyoit on grant sons
de tabours, trompes et naquerres.
MANDEVILLE.
Or ilz sont mortz, Diex
ayt leurs ames.
Quant est des cors, ils sont pourryz.
Le Grand Testament de Villon.
De dars i ot grant lanceis
Et de pierres grand jeteis
Et de lances grand bouteis
Et despées grand capleis.
Li Romans du Brut.
Aux branches des tilleuls, aux pignons des tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.
Le fracas des canons qui vomissent léclair,
Le rappel des tambours, le sifflement des balles,
Le son aigu du fifre et des rauques cymbales,
Enfin ne troublent plus ni les échos ni lair?;
La brise, secouant son aile parfumée,
A dissipé les flots de lépaisse fumée,
Crêpe noir étendu sur le front pur des cieux?;
Comme aux jours de la paix, tout est silencieux.
Aux branches des tilleuls, aux pignons des
tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.
La lourde artillerie et les fourgons pesants
Ne creusent plus la route en profondes ornières?;
On ne voit plus flotter les poudreuses bannières
Par-dessus les fusils au soleil reluisants?;
Sous les pieds des soldats courant à la maraude,
Sainfoins à rouges fleurs, prés couleur démeraude,
Blés jaunes à flots dor au gré des vents
roulés,
Comme sous un fléau ne meurent plus foulés.
Aux branches des tilleuls, aux pignons des
tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.
Cavaliers, fantassins, lun sur lautre
entassés,
De leurs membres pétris dans le sang et la boue
Par le fer dun cheval ou lorbe dune roue,
Jonchent le sol parmi les affûts fracassés,
Et vers le champ de mort en immenses volées,
Du creux des rocs, du haut des flèches dentelées,
De lest et de louest, du nord et du midi,
Lessaim des noirs corbeaux se dirige agrandi.
Aux branches des tilleuls, aux pignons des
tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.
Dans les bois, les vieux loups par trois fois
ont hurlé,
Levant leur tête grise à lodeur de la proie?;
Lil fauve des vautours a flamboyé de joie
À lombre étincelant comme un phare étoilé,
Et, poussant vers le ciel des clameurs funéraires,
À leurs petits béants sur le bord de leurs aires
Longtemps ils ont porté quelque sanglant lambeau
De ces corps lacérés et restés sans tombeau.
Aux branches des tilleuls, aux pignons des
tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.
Les os gisent rongés, blancs sous le
gazon vert,
Et, spectacle hideux, souvent près dun squelette
Ségrène le muguet, fleurit la violette,
La mousse parasite entoure un crâne ouvert.
Eh bien?! quil vienne ici, celui pour qui le glaive
Est un hochet brillant et qui par lui sélève?;
Si dhorreur et deffroi tout son cur ne bondit,
Malheur à lui?! malheur?! car il nest quun maudit?!
Aux branches des tilleuls, aux pignons des
tourelles,
Sans crainte revenez vous poser, tourterelles.
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