12 - Cauchemar
Bizoy quen ne consquaff
a maru garu ne marnaff.
Jamais je ne dors que je ne meurs de mort amère.
Ancien proverbe breton.
Les goules de labyme,
Attendant leur victime,
Ont faim :
Leur ongle ardent sallonge,
Leur dent en espoir ronge
Ton sein.
Avec ses nerfs rompus, une main écorchée,
Qui marche sans le corps dont elle est arrachée,
Crispe ses doigts crochus armés dongles de fer
Pour me saisir ; des feux pareils aux feux denfer
Se croisent devant moi ; dans lombre, des yeux fauves
Rayonnent ; des vautours, à cous rouges et chauves,
Battent mon front de laile en poussant des cris sourds ;
En vain pour me sauver je lève mes pieds lourds,
Des flots de plomb fondu subitement les baignent,
À des pointes dacier ils se heurtent et saignent,
Meurtris et disloqués ; et mon dos cependant,
Ruisselant de sueur, frissonne au souffle ardent
De naseaux enflammés, de gueules haletantes :
Les voilà, les voilà ! dans mes chairs palpitantes
Je sens des becs doiseaux avides se plonger,
Fouiller profondément, jusquaux os me ronger,
Et puis des dents de loups et de serpents qui mordent
Comme une scie aiguë, et des pinces qui tordent ;
Ensuite le sol manque à mes pas chancelants :
Un gouffre me reçoit ; sur des rochers brûlants,
Sur des pics anguleux que la lune reflète,
Tremblant, je roule, roule, et jarrive squelette.
Dans un marais de sang ; bientôt, spectres hideux,
Des morts au teint bleuâtre en sortent deux à deux,
Et, se penchant vers moi, mapprennent les mystères
Que le trépas révèle aux pâles feudataires
De son empire ; alors, étrange enchantement,
Ce qui fut moi senvole, et passe lentement
À travers un brouillard couvrant les flèches grêles
Dune église gothique aux moresques dentelles.
Déchirant une proie enlevée au tombeau,
En me voyant venir, tout joyeux, un corbeau
Croasse, et, senvolant aux steppes de lUkraine,
Par un pouvoir magique à sa suite mentraîne,
Et japerçois bientôt, non loin dun vieux manoir,
À langle dun taillis, surgir un gibet noir
Soutenant un pendu ; deffroyables sorcières
Dansent autour, et moi, de fureurs carnassières
Agité, je ressens un immense désir
De broyer sous mes dents sa chair, et de saisir,
Avec quelque lambeau de sa peau bleue et verte,
Son cur demi-pourri dans sa poitrine ouverte.
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