Poésies nouvelles
et inédites
À Charles Garnier
Épitre monorime
1867
RÉPONSE À UNE INVITATION À DÎNER
Garnier, grand maître du fronton,
De lastragale et du feston,
Demain, lâchant là mon planton,
Du fond de mon lointain canton
Jarriverai, tardif piéton,
Aidant mes pas de mon bâton,
Et précédé dun mirliton,
Duilius du feuilleton,
Prendre part à ton gueuleton,
Quarrosera le piqueton.
Sans gants, sans faux col en carton,
Sans poitrail à la Benoîton,
Et sans diamants au bouton,
Ce qui serait de mauvais ton,
Je viendrai, porteur dun veston
Jadis couleur de hanneton,
Sous mon plus ancien hoqueton.
Qe ce soit poule ou caneton,
Perdreaux truffés ou miroton,
Barbue ou hachis de mouton,
Pâté de veau froid ou de thon,
Nids dhirondelles de Canton,
Ou gousse dail sur un croiton,
Pain bis, galette ou panaton,[1]
Fromage à la pie ou stilton,
Cidre ou pale-ale de Burton,
Vin de Brie ou branne-mouton,
Pedro-jimenès ou corton,
Chez Lucullus ou chez Caton,
Avalant tout comme un glouton,
Je men mettrai jusquau menton,
Sans laisser un seul rogaton
Pour la desserte au marmiton.
Pendant ce banquet de Platon,
Mêlant Athène à Charenton,
On parlera de Wellington
Et du soldat de Marathon,
DAspasie et de Mousqueton,
Du dernier rôle de Berton,
Du Prêtre-Jean et du Santon,
De jupe à traîne et de chiton,[2]
De Monaco près de Menton,
De Naple et du ministre Acton,
De la Sirène et du Triton,
DOverbeeck et de Bonnington ;
Chacun lancera son dicton,
Tombant du char de Phaéton
Aux locomotives Crampton,
De lIliade à lOncle Tom,
De Paul de Kock à Mélanchthon,
Et de Babylone à Boston.
Dans le bruit, comment saura-t-on
Si lon parle basque ou teuton,
Haut-allemand ou bas-breton ?
Puis, vidant un dernier rhyton,[3]
Le ténor ou le baryton,
Plus faux quun cornet à piston,
Quune crécelle ou quun jeton,
Saccompagnant du barbiton,
Sur lair de Ton taine ton ton,
Chantera Philis et Gothon,
Jusquà lheure où le vieux Tithon
Ôte son bonnet de coton.
Mais cest trop pousser ce centon
À la manière dHamilton,
Où, voulant ne rimer quen ton,
Jai pris pour muse Jeanneton ;
Dans mon fauteuil à capiton,
En casaque de molleton,
Je mendors et je signe : Ton
ami THÉOPHILE GAUTIER.
28 octobre 1867.
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