Poésies nouvelles
et inédites
La Neige
Fantaisie dhiver
1850
La bruine toujours pleure
Sur notre sol consterné ;
Le soleil piteux demeure
De brouillards enfariné.
La neige, fourrure blanche,
Ourle le rebord des toits ;
Elle poudre chaque branche
De la perruque des bois.
Sous son linceul elle enferme
Les plus lointains horizons ;
À la barbe du Dieu Terme
Elle suspend des glaçons.
Dans ses rets froids et tenaces
Au vol elle abat loiseau,
Et, se durcissant en glaces,
Fige le poisson dans leau.
Sur la vitre des mansardes
Elle étale ses pâleurs,
Et fait aux lunes blafardes
Un teint de pâles couleurs.
Des Vénus trop court vêtues
En cachant la nudité,
La neige tisse aux statues
Un voile de chastité.
Bonne en ces heures maussades,
En ces mortelles saisons,
Elle fournit des glissades
Pour la jeu des polissons !
Elle coiffe la montagne
Dun cimier fol et changeant,
Et jette sur la campagne
Son manteau de vif-argent.
Sous les pieds de la fillette
Elle étend son blanc tapis,
Et pour lamant qui la guette
Rend ses pas plus assoupis.
Elle attache la pituite
Au nez transi des bourgeois ;
Mais au rêveur qui médite
Elle dit, trouvant la voix :
« Cest moi qui suis ta Giselle,
Ta vaporeuse willi ;
Je suis jeune, ja suis belle,
Jai froid ; ouvre-moi ton lit !
« Déposant ma houppelande
Et mes gants en peau de daim,
Je te dirai la légende
Du grand paradis dOdin. »
Or, un poète un peu tendre,
Et qui chez lui fait du feu,
Ne peut jamais faire attendre
Une fillette à lil bleu !
1 janvier 1850.
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