Aux mânes de
lEmpereur [1]
XV DÉCEMBRE MDCCCXL
Quand sous larc triomphal où sinscrivent nos gloires
Passait le sombre char couronné de victoires
Aux longues ailes dor,
Et quenfin Sainte-Hélène, après tant de souffrance,
Délivrait la grande ombre et rendait à la France
Son funèbre trésor,
Un rêveur, un captif, derrière
ses murailles,
Triste de ne pouvoir, aux saintes funérailles,
Assister, lil en pleurs,
Dans létroite prison, sans échos et muette,
Mêlant sa note émue à lode du poète,
Epanchait ses douleurs :
« Sire, vous revenez dans votre capitale,
Et moi, quen un cachot tient une loi fatale,
Exilé de Paris,
Japercevrai de loin, comme sur une cime,
Le soleil descendant sur le cercueil sublime
Dans la foule aux longs cris.
Oh ! non! nen veuillez pas, sire, à votre famille
De navoir pas formé, sous le rayon qui brille,
Un groupe filial,
Pour recevoir, au seuil de son apothéose,
Comme Hercule ayant fait sa tâche grandiose,
Lancêtre impérial !
Vos malheurs sont finis ; toujours durent
les nôtres.
Vous êtes mort là-bas, enchaîné, loin des
vôtres,
Titan sur un écueil ;
Pas de fils pour fermer vos yeux que lombre inonde;
Même ici, nul parent, oh ! misère profonde !
Conduisant votre deuil !
Montholon, le plus cher comme le plus fidèle,
Jusquau bout, du vautour affrontant les coups daile,
Vous a gardé sa foi ;
Près du dieu foudroyé, quun vaste ennui dévore,
Il se tenait debout, et même il est encore
En prison avec moi.
Un navire, conduit par un noble jeune homme,
Sous larbre où vous dormiez, Sire, votre long somme,
Captif dans le trépas,
Est allé vous chercher avec une escadrille ;
Mais votre il sur le pont cherchait votre famille
Qui ne sy trouvait pas.
Quand la nef aborda, France, ton sol antique,
Votre âme réveillée à ce choc électrique,
Au bruit des voix, des pas,
De sa prunelle dombre entrevit dans laurore,
Palpiter vaguement un drapeau tricolore
Où laigle nétait pas.
Comme autrefois le peuple autour de vous sempresse;
Cris damour furieux, délirante tendresse,
A genoux, chapeau bas !
Dans lacclamation, les prudents et les sages
Murmurent, au César faisant sa part dhommages :
« Dieu! ne léveillez pas ! »
Vous les avez revus peuple élu
de votre âme-
Ces Français tant aimés que votre nom enflamme,
Héros des grands combats ;
Mais sur ton sol sacré, patrie autrefois crainte,
Du pas de létranger on distingue une empreinte
Qui ne sefface pas.
Voyez la jeune armée, où les
fils de nos braves,
Avides daction, impatients dentraves,
Voudraient presser le pas ;
Votre nom les émeut, car vous êtes la gloire ;
Mais on leur dit : « Laissez reposer la Victoire ;
Assez. Croisez les bras. »
Sur le pays, le peuple, étoffe rude
et forte,
Sétend comme un manteau qui vaillamment supporte
Lorage et les frimas;
Mais ces grands si petits, chamarrés de dorures,
Qui cachent leur néant sous de riches parures,
Ne les regrettez pas.
Comme ils ont renié, troupe au parjure
agile,
Votre nom, votre sang, vos lois, votre évangile,
Pour vous suivre trop las !
Et quand jai devant eux parlé de votre cause,
Comme ils ont dit, tournés déjà vers autre chose
:
« Nous ne comprenons pas. »
Laissez-les dire et faire, et sur eux soit la honte!
Quimporte pierre ou sable au char qui toujours monte
Et les broie en éclats ?
En vain vous nomment-ils « fugitif météore, »
Votre gloire est à nous, elle rayonne encore ;
Ils ne la prendront pas.
Sire, cest un grand jour que le quinze
décembre !
Votre voix, est-ce un rêve? a parlé dans ma chambre:
« Toi qui souffres pour moi,
Ami, de la prison le lent et dur martyre,
Je quitte mon triomphe et je viens pour te dire :
Je suis content de toi ! »
29 avril 1869
Note
? Tout le monde connaît la pièce qui a inspiré ces
vers ; cependant, peut-être nous saura-t-on gré de la reproduire
:
Citadelle de Ham, le 15 décembre 1840
« Sire,
« Vous revenez dans votre capitale, et le peuple en foule salue
votre retour ; mais moi, du fond de mon cachot, je ne puis apercevoir
quun rayon du soleil qui éclaire vos funérailles.
« Nen veuillez pas à votre famille de ce quelle
nest pas là pour vous recevoir. Votre exil et vos malheurs
ont cessé avec votre vie ; mais les nôtres durent toujours
! Vous êtes mort sur un rocher, loin de la patrie et des vôtres
; la main dun fils na point fermé vos yeux. Aujourdhui
encore aucun parent ne conduira votre deuil.
« Montholon, lui que vous aimiez le plus, parmi vos dévoués
compagnons, vous a rendu les soins dun fils ; il est resté
fidèle à votre pensée, à vos dernières
volontés ; il ma rapporté vos dernières paroles
; il est en prison avec moi !
« Un vaisseau français, conduit par un noble jeune homme,
est allé réclamer vos cendres; mais cest en vain
que vous cherchiez sur le pont quelques-uns des vôtres ; votre
famille ny était pas.
« En abordant au sol français, un choc électrique
sest fait sentir ; vous vous êtes soulevé dans votre
cercueil ; vos yeux un moment se sont rouverts : le drapeau tricolore
flottait sur le rivage, mais votre aigle ny était pas.
« Le peuple se presse comme autrefois sur votre passage, il vous
salue de ses acclamations comme si vous étiez vivant; mais les
grands du jour, tout en vous rendant hommage, diront tout bas : «
Dieu ! ne léveillez pas ! »
« Vous avez enfin revu ces Français que vous aimiez tant;
vous êtes revenu dans cette France que vous avez rendue si grande;
mais létranger y a laissé des traces que toutes
les pompes de votre retour neffaceront pas !
« Voyez cette jeune armée ; ce sont les fils de vos braves;
ils vous vénèrent, car vous êtes la gloire ; mais
on leur dit : « Croisez vos bras ! »
« Sire, le peuple, cest la bonne étoffe qui couvre
notre beau pays ; mais ces hommes que vous avez faits si grands, et
qui étaient si petits, ah ! Sire, ne lés regrettez pas.
« Ils ont renié votre évangile, votre idée,
votre gloire, votre sang; quand je leur ai parlé de votre cause,
il nous ont dit : Nous ne comprenons pas.
« Laissez-les dire, laissez-les faire ; quimportent, au
char qui monte, les grains de sable qui se jettent sous les roues !
Ils ont beau dire que vous êtes un météore qui ne
laisse pas de trace ; ils ont beau nier votre gloire civile ; ils ne
vous déshériteront pas !
« Sire, le 15 décembre est un grand jour pour la France
et pour moi. Du milieu de votre somptueux cortège, dédaignant
certains hommages, vous avez un instant jeté vos regards sur
ma sombre demeure, et vous souvenant des caresses que vous prodiguiez
à mon enfance, vous mavez dit : « Tu souffres pour
moi, je suis content de toi. »
LOUIS-NAPOLEON.
Ces rimes françaises sur une matière
à mettre en vers latins, et la prose qui les suit, sont une réimpression
textuelle de la brochure : XV Décembre MDCCCXL ; imp. du Journal
officiel, MDCCCLXIX, A. Wittersheim et Cl8, in-4, 16 p., papier vergé,
tirée.à.44 exemplaires, offerts à Napoléon
III, disparus pour la plupart dans lincendie des Tuileries
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