Le Grand Meaulnes.
CHAPITRE
VI. La partie de plaisir ( fin).
Et Mlle de Galais
arriva sur la pelouse comme jadis, je l'imagine, elle descendit vers
la berge du lac,
lorsque Meaulnes l'aperçut pour la première fois.
Donnant le bras à
son père, écartant de sa main gauche le pan du grand
manteau léger qui l'enveloppait,
elle s'avançait vers les invités, de son air à
la fois si sérieux et si enfantin. Je marchais auprès
d'elle. Tous
les invités éparpillés ou jouant au loin s'étaient
dressés et rassemblés pour l'accueillir; il y eut un
bref
instant de silence pendant lequel chacun la regarda s'approcher.
Meaulnes s'était
mêlé au groupe des jeunes hommes et rien ne pouvait le
distinguer de ses compagnons,
sinon sa haute taille: encore y avait-il là des jeunes gens
presque aussi grands que lui. Il ne fit rien qui pût
le désigner à l'attention, pas un geste ni un pas en
avant. Je le voyais, vêtu de gris, immobile, regardant
fixement, comme tous les autres, la si belle jeune fille qui venait.
A la fin, pourtant, d'un mouvement
inconscient et gêné, il avait passé sa main sur
sa tête nue, comme pour cacher, au milieu de ses
compagnons aux cheveux bien peignés, sa rude tête rasée
de paysan.
Puis le groupe entoura
Mlle de Galais. On lui présenta les jeunes filles et les jeunes
gens qu'elle ne
connaissait pas... Le tour allait venir de mon compagnon; et je me
sentais aussi anxieux qu'il pouvait
l'être. Je me disposais à faire moi-même cette
présentation.
Mais avant que j'eusse
pu rien dire, la jeune fille s'avançait vers lui avec une décision
et une gravité
surprenantes:
"Je reconnais
Augustin Meaulnes", dit-elle.
Et elle lui tendit
la main.
CHAPITRE VI. La partie de plaisir ( fin).
De nouveaux venus s'approchèrent presque aussitôt pour
saluer Yvonne de Galais, et les deux jeunes
gens se trouvèrent séparés. Un malheureux hasard
voulut qu'ils ne fussent point réunis pour le déjeuner
à
la même petite table. Mais Meaulnes semblait avoir repris confiance
et courage. A plusieurs reprises,
comme je me trouvais isolé entre Delouche et M. de Galais,
je vis de loin mon compagnon qui me faisait,
de la main, un signe d'amitié.
C'est vers la fin
de la soirée seulement, lorsque les jeux, la baignade, les
conversations, les promenades
en bateau dans l'étang voisin se furent un peu partout organisés,
que Meaulnes, de nouveau, se trouva en
présence de la jeune fille. Nous étions à causer
avec Delouche, assis sur des chaises de jardin que nous
avions apportées lorsque, quittant délibérément
un groupe de jeune gens ou elle paraissait s'ennuyer, Mlle
de Galais s'approcha de nous. Elle nous demanda, je me rappelle pourquoi
nous ne canotions pas sur le
lac des Aubiers, comme les autres.
"Nous avions
fait quelques tours cet après-midi, répondis-je. Mais
cela est bien monotone et nous avons
été vite fatigués.
- Eh bien, pourquoi
n'iriez-vous pas sur la rivière? dit-elle.
- Le courant est trop
fort, nous risquerions d'être emportés.
- Il nous faudrait,
dit Meaulnes, un canot à pétrole ou un bateau à
vapeur comme celui d'autrefois.
< page
précédente | 86 | page
suivante >
Alain-Fournier
- Le Grand Meaulnes