Alain Fournier
1886 - 1914

Le Grand Meaulnes -(1)
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE XV. La rencontre.

Le Grand Meaulnes.


CHAPITRE XV. La rencontre.

Voulez-vous me pardonner?

- Je vous pardonne, dit-elle gravement. Mais il faut que je rejoigne les enfants, puisqu'ils sont les maîtres
aujourd'hui. Adieu".

Augustin la supplia de rester un instant encore. Il lui parlait avec gaucherie, mais d'un ton si troublé, si
plein de désaroi, qu'elle marcha plus lentement et l'écouta.

"Je ne sais même pas qui vous êtes", dit-elle enfin. Elle prononçait chaque mot d'un ton uniforme, en
appuyant de la même façon sur chacun, mais en disant plus doucement le dernier... Ensuite elle reprenait
son visage immobile, sa bouche un peu mordue, et ses yeux bleus regardaient fixement au loin.

"Je ne sais pas non plus votre nom", répondit Meaulnes.

Ils suivaient maintenant un chemin découvert, et l'on voyait à quelque distance les invités se presser
autour d'une maison isolée dans la pleine campagne.

"Voici la 'maison de Frantz'", dit la jeune fille; il faut que je vous quitte..."

Elle hésita, le regarda un instant en souriant et dit:

"Mon nom?... Je suis mademoiselle Yvonne de Galais..."

Et elle s"echappa.

La "maison de Frantz' était alors inhabitée. Mais Meaulnes la trouva envahie jusqu'aux greniers par la
foule des invités. Il n'eût guère le loisir d'ailleurs d'examiner le lieu où il se trouvait: on déjeuna en hâte
d'un repas froid emporté dans les bateaux, ce qui était fort peu de saison, mais les enfants en avaient
décidé ainsi, sans doute; et l'on repartit. Meaulnes s'approcha de Mlle de Galais dès qu'il la vit sortir et,
répondant à ce qu'elle avait dit tout à l'heure:

"Le nom que je vous donnais était plus beau, dit-il.

- Comment? Quel était ce nom?" fit-elle, toujours avec la même gravité.

Mais il eut peur d'avoir dit une sottise et ne répondit rien.

"Mon nom à moi est Augustin Meaulnes, continua-t-il, et je suis étudiant.

- Oh! vous étudiez?" dit-elle. Et ils parlèrent un instant encore. Ils parlèrent lentement, avec bonheur, -
avec amitié. Puis l'attitude de la jeune fille changea. Moins hautaine et moins grave, maintenant, elle
parut aussi plus inquiète. On eût dit qu'elle redoutait ce que Meaulnes allait dire et s'en effarouchait à
l'avance. Elle était auprès de lui toute frémissante, comme une hirondelle un instant posée à terre et qui
déjà tremble du désir de reprendre son vol.

"A quoi bon? A quoi bon?" répondait-elle doucement aux projets que faisait Meaulnes.

Mais lorsqu'enfin il osa lui demander la permission de revenir un jour vers ce beau domaine:

"Je vous attendrai", répondit-elle simplement.

Ils arrivaient en vue de l'embarcadère. Elle s'arrêta soudain et dit pensivement:

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