Le Grand Meaulnes.
CHAPITRE XV. La rencontre.
Nous sommes deux enfants;
nous avons fait une folie. Il ne faut pas que nous montions cette
fois dans le
même bateau. Adieu, ne me suivez pas".
Meaulnes resta un
instant interdit, la regardant partir. Puis il se reprit à
marcher. Et alors le jeune fille,
dans le lointain, au moment de se perdre à nouveau dans la
foule des invités, s'arrêta et, se tournant vers
lui, pour la première fois le regarda longuement. Etait-ce
un dernier signe d'adieu? Etait-ce pour lui
défendre de l'accompagner? Ou peut-être avait-elle quelque
chose encore à lui dire?...
Dès qu'on fut
rentré au Domaine, commença, derrière la ferme,
dans une grande prairie en pente, la
course des poneys. C'était la dernière partie de la
fête. D'après toutes les prévisions, les fiancés
devaient
arriver à temps pour y assister et ce serait Frantz qui dirigeait
tout.
On dut pourtant commencer
sans lui. Les garçons en coustumes de jockeys, les fillettes
en écuyéres,
amenaient les uns, de fringants poneys enrubannés, les autres,
de très vieux chevaux dociles. Au milieu
des cris, des rires enfantins, des paris et des longs coups de cloche,
on se fût cru transporté sur la pelouse
verte et taillée de quelque champ de courses en miniature.
Meaulnes reconnut
Daniel et les petites filles aux chapeaux à plumes, qu'il avait
entendus la veille dans
l'allée du bois... Le reste du spectacle lui échappa,
tant il était anxieux de retrouver dans la foule le
gracieux chapeau de roses et le grand manteau marron. Mais Mlle de
Galais ne parut pas. Il la cherchait
encore lorsqu'une volée de coups de cloche et des cris de joie
annoncèrent la fin des courses. Une petite
fille sur une vieille jument blanche avait remporté la victoire.
Elle passait triomphalement sur sa monture et le panache de son chapeau
flottait au vent.
Puis soudain tout
se tut. Les jeux étaient finis et Frantz n'était pas
de retour. On hésita un instant; on se
concerta avec ambarras. Enfin, par groupes, on regagna les appartements,
pour attendre, dans l'inquiétude
et le silence, le retour des fiancés.
CHAPITRE XVI. Frantz de Galais.
La course avait fini trop tôt. Il était quatre heures
et demie et il faisait jour encore, lorsque Meaulnes se
retrouva dans sa chambre, la tête pleine des événements
de son extraordinaire journée. Il s'assit devant la
table, désoeuvré, attendant le dîner et la fête
qui devait suivre.
De nouveau soufflait
le grand vent du premier soir. On l'entendait gronder comme un torrent
ou passer
avec le sifflement appuyé d'une chute d'eau. Le tablier de
la cheminée battait de temps à autre.
Pour la première
fois, Meaulnes sentit en lui cette légère angoisse qui
vous saisit à la fin des trop belles
journées. Un instant il pensa à allumer du feu; mais
il essaya vainement de lever le tablier rouillé de la
cheminée. Alors il se prit à ranger dans la chambre;
il accrocha ses beaux habits aux portemanteaux,
disposa le long du mur les chaises bouleversées, comme s'il
eût tout voulu préparer là pour un long
séjour.
Cependant songeant
qu'il devait se tenir toujours prêt à partir, il plia
soigneusement sur le dossier d'une
chaise, comme un costume de voyage, sa blouse et ses autres vêtements
de collégien; sous la chaise, il
mit ses souliers ferrés pleins de terre encore.
Puis il revint s'asseoir
et regarda autour de lui, plus tranquille, sa demeure qu'il avait
mise en ordre.
De temps à
autre une goutte de pluie venait rayer la vitre qui donnait sur la
cour aux voitures et sur le
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Alain-Fournier
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