Alain Fournier
1886 - 1914

Le Grand Meaulnes -(1)
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE VIII. L'Aventure.

Le Grand Meaulnes
Alain-Fournier

Connais-tu maintenant le chemin jusq'au bout?

- J'en connais une bonne partie. Et il faudra bien que nous trouvions le reste! répondit-il, les dents
serrées.

- Ecoute, Meaulnes, fis-je en me mettant sur mon séant. Ecoute-moi: nous n'avons qu'une chose à faire;
c'est de chercher tous les deux en plein jour, en nous servant de ton plan, la partie du chemin qui nous
manque.

- Mais cette portion-là est très loin d'ici.

- Eh bien, nous irons en voiture, cet été, dès que les journées seront longues".

Il y eut un silence prolongé qui voulait dire qu'il acceptait.

"Puisque nous tâcherons ensemble de retrouver la jeune fille que tu aimes, Meaulnes, ajoutai-je enfin,
dis-moi qui elle est, parle-moi d'elle".

Il s'assit sur le pied de mon lit. Je voyais dans l'ombre sa tête penchée, ses bras croisés et ses genoux.
Puis il aspira l'air fortement, comme quelqu'un qui a eu gros coeur longtemps et qui va enfin confier son
secret...


CHAPITRE VIII. L'Aventure.


Mon compagnon ne me conta pas cette nuit-là tout ce qui lui était arrivé sur la route. Et même lorsqu'il se
fut décidé à me tout confier, durant des jours de détresse dont je reparlerai, ce resta longtemps le grand
secret de nos adolescences. Mais aujourd'hui que tout est fini, maintenant qu'il ne reste plus que
poussière

de tant de mal, de tant de bien,

je puis raconter son étrange aventure.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A une heure et demie de l'après-midi, sur la route de Vierzon, par ce temps glacial, Meaulnes fit marcher
la bête bon train car il savait n'être pas en avance. Il ne songea d'abord, pour s'en amuser, qu'à notre
surprise à tous, lorsqu'il ramènerait dans la cariole, à quatre heures, le grand-père et la grand'-mère
Charpentier. Car, à ce moment-là, certes, il n'avait pas d'autre intention.

Peu à peu, le froid le pénétrant, il s'enveloppa les jambes dans une couverture qu'il avait d'abord refusée
et que les gens de la Belle-Etoile avaient mise de force dans la voiture.

A deux heures, il traversa le bourg de La Motte. Il n'était jamais passé dans un petit pays aux heures de
classe et s'amusa de voir celui-là aussi désert, aussi endormi. C'est à peine si, de loin en loin, un rideau se
leva, montrant une tête curieuse de bonne femme.

A la sortie de La Motte, aussitôt après la maison d'école, il hésita entre deux routes et crut se rappeler
qu'il fallait tourner à gauche pour aller à Vierzon Personne n'était là pour le renseigner. Il remit sa jument
au trot sur la route désormais plus étroite et mal empierrée.
Il longea quelque temps un bois de sapins et rencontra enfin un roulier à qui il demanda, mettant sa main
en porte-voix, s'il était bien là sur la route de Vierzon. La jument, tirant sur les guides, continuait à

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