Emile Zola
La Conquete De Plassans
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14 - La Conquete De Plassans XIV
- Tiens! dit madame Rougon, qui se trouvait à la fenêtre de son salon, il y a donc de la brouille? - Vous ne le saviez pas? répondit madame
Paloque, accoudée à côté de la vieille dame;
on en parle M. de Condamin, debout derrière ces
dames, se mit à rire. Il s'était sauvé de chez
lui, en disant que «ça - Ah bien! murmura-t-il, si vous vous arrêtez
à ces histoires!... L'évêque est une girouette,
qui tourne dès - Je ne crois pas, reprit madame Paloque;
cette fois, c'est sérieux... Il paraît que l'abbé
Faujas attire de - Qui prétend cela? demanda madame
Rougon, en clignant les yeux comme pour suivre la procession, qui - Je l'ai entendu dire, je ne sais plus, dit la femme du juge d'un air indifférent. Et elle se retira, assurant qu'on devait mieux
voir de la fenêtre d'à côté. M. de Condamin
prit sa place - Je l'ai vue entrer déjà deux
fois chez l'abbé Fenil; elle complote certainement quelque chose
avec lui.... - Pourquoi? je ne comprends pas, murmura la vieille dame d'un air naïf. M. de Condamin la regarda curieusement; puis il se mit à rire. Les deux derniers gendarmes de la procession
venaient de disparaître au coin du cours Sauvaire. Alors, près d'elle. Puis, se penchant: - Je n'ai pas pu parler librement devant la
mère... On cause beaucoup trop de l'abbé Faujas et de
madame M. de Condamin se contenta de répondre: - Madame Mouret est une femme charmante, très-désirable encore malgré ses quarante ans. - Oh! charmante, charmante, murmura madame Paloque, dont un flot de bile verdit la face. - Tout à fait charmante, insista le
conservateur des eaux et forêts; elle est à l'âge
des grandes passions et Et il quitta le salon, heureux de la rage
contenue de madame Paloque. La ville, en effet, s'occupait - Vois-tu, mon enfant, disait-il à
l'abbé Surin, dans ses heures de confidences, ils sont pires
tous les Le mardi qui suivit la procession générale,
le temps était superbe. Des rires venaient du jardin des Rastoil Vers cinq heures, comme le soleil baissait,
l'abbé Surin proposa aux demoiselles Rastoil une partie de - Si nous allions nous mettre dans l'impasse
des Chevillottes? dit-il, nous serions à l'ombre des Ils sortirent, et la partie la plus agréable
du monde s'engagea. Les deux demoiselles commencèrent. Ce avant, en arrière, sur les côtes, ramassait le volant au ras du sol, le saisissait d'un revers à des hauteurs surprenantes, le lançait roide comme une balle ou lui faisait décrire des courbes élégantes, calculées avec une science parfaite. D'ordinaire, il préférait les mauvais joueurs, qui, en jetant le volant au hasard, sans aucun rhythme, selon son expression, l'obligeaient à déployer toute la souplesse de son jeu. Mademoiselle Aurélie était d'une jolie force; elle poussait un cri d'hirondelle à chaque coup de raquette, riant comme une folle quand le volant s'en allait droit sur le nez du jeune abbé; puis, elle se ramassait dans ses jupes pour l'attendre ou reculait par petits sauts, avec un bruit terrible d'étoffe froissée, lorsqu'il lui faisait la niche de taper plus fort. Enfin, le volant étant venu se planter dans ses cheveux, elle faillit tomber à la renverse, ce qui les égaya beaucoup tous les trois. Angéline prit la place. Dans le jardin des Mouret, chaque fois que l'abbé Faujas levait les yeux de son bréviaire, il apercevait le vol blanc du volant au-dessus de la muraille, pareil à un gros papillon. - Monsieur le curé, êtes-vous
là? cria Angéline, en venant frapper à la petite
porte; notre volant est entré L'abbé, ayant ramassé le volant tombé à ses pieds, se décida à ouvrir. - Ah! merci, monsieur le curé, dit
Aurélie, qui tenait déjà la raquette. Il n'y a
qu'Angéline pour un coup Les rires éclatèrent de nouveau.
L'abbé Surin, rose comme une fille, s'essuyait délicatement
le front, à L'abbé Faujas, son bréviaire
sous le bras, souriant d'un air paternel, resta sur le seuil de la petite
porte. - Dites donc, Péqueur, vint murmurer
plaisamment M. de Condamin à l'oreille du sous-préfet,
vous avez Mais M. Péqueur des Saulaies, qui causait
vivement avec M. Delangre, parut ne pas entendre. Il - Vraiment, mon cher ami, je ne sais où
vous voyez en lui les belles choses dont vous me parlez. L'abbé M. Delangre et M. de Condamin, qui avaient
échangé un regard, se contentèrent de hocher la
tête, sans - A rien du tout, reprit le sous-préfet.
Vous n'avez pas besoin de faire les mystérieux. Tenez, j'ai écrit
à clergé.... On est déjà assez mécontent à Paris, depuis que cet imbécile de Lagrifoul a passé. Je suis prudent, vous comprenez. Le maire échangea un nouveau regard
avec le conservateur des eaux et forêts. Il haussa même - Écoutez-moi bien, lui dit-il au bout d'un silence; vous voulez être préfet, n'est-ce pas? Le sous-préfet sourit en se dandinant sur sa chaise. - Alors, allez donner tout de suite une poignée
de main à l'abbé Faujas, qui vous attend là-bas
en M. Péqueur des Saulaies resta muet,
très-surpris, ne comprenant pas. Il leva les yeux sur M. de - Est-ce aussi votre avis? - Mais sans doute; allez lui donner une poignée de main, répondit le conservateur des eaux et forêts. Puis, il ajouta avec une pointe de moquerie: - Interrogez ma femme, en qui vous avez toute confiance. Madame de Condamin arrivait. Elle avait une
délicieuse toilette rose et grise. Quand on lui eut parlé
de - Ah! vous avez tort de manquer de religion,
dit-elle gracieusement au sous-préfet; c'est à peine si
l'on Elle s'était assise, plaisantant, souriant. - Octavie, murmura le sous-préfet,
lorsqu'ils furent seuls, ne vous moquez pas de moi. Vous n'étiez
pas - Vous n'êtes point sérieux,
mon cher, répondit-elle sur le même ton; cela vous jouera
quelque mauvais Il la regardait avec une véritable épouvante. - Est-ce que «le grand homme»
vous a écrit? demanda-t-il, faisant allusion à un personnage
qu'ils cette séparation. D'ailleurs, je n'ai pas à me plaindre: il s'est montré très-bon, il m'a mariée, il m'a donné d'excellents conseils, dont je me trouve bien.... Mais j'ai gardé des amis à Paris. Je vous jure que vous n'avez que juste le temps de vous raccrocher aux branches. Ne faites plus le païen, allez vite donner une poignée de main à l'abbé Faujas... Vous comprendrez plus tard, si vous ne devinez pas aujourd'hui. M. Péqueur des Saulaies restait le
nez baissé, un peu honteux de la leçon. Il était
très-fat, il montra ses - Décidément, vous êtes
un sot, interrompit-elle d'une voix fâchée. Vous m'agacez
avec votre «Octavie». Elle s'était levée. Elle s'approcha
du docteur Porquier, qui, selon son habitude, venait après ses
visites - Oh! docteur, j'ai une migraine, mais une
migraine! dit-elle avec des mines charmantes. Ça me tient là, - C'est le côté du coeur, madame, répondit galamment le docteur. Madame de Condamin sourit, sans pousser plus
loin la consultation. Madame Paloque se pencha à - Il ne les guérit pas autrement, murmura-t-elle. Cependant, M. Péqueur des Saulaies,
après avoir rejoint M. de Condamin et M. Delangre, manoeuvrait - Très-bien, très-bien! cria le sous-préfet ravi. Ah! monsieur l'abbé, je vous fais mes compliments. Puis, se tournant vers madame de Condamin, le docteur Porquier et les Paloque: - Venez donc, je n'ai jamais rien vu de pareil....
Vous permettez que nous vous admirions, monsieur Toute la société de la sous-préfecture
forma alors un groupe, au fond de l'impasse. L'abbé Faujas n'avait - Cela vous fait trois cent dix points, depuis
qu'on a changé la distance; votre soeur n'en a que Tout en ayant l'air de suivre le volant avec
un vif intérêt, il jetait de rapides coups d'oeil sur la
porte du - Qu'ont-ils donc à rire si fort? lui
demanda M. Rastoil, qui causait avec M. de Bourdeu, devant la table - C'est le secrétaire de monseigneur
qui joue, répondit M. Maffre. Il fait des choses étonnantes,
tout le M. de Bourdeu prit une large prise, en murmurant: - Ah! monsieur l'abbé Faujas est là? Il rencontra le regard de M. Rastoil. Tous deux semblèrent gênés. - On m'a raconté, hasarda le président, que l'abbé est rentré en faveur auprès de monseigneur. - Oui, ce matin même, dit M. Maffre.
Oh! une réconciliation complète. J'ai eu des détails
très-touchants. - Je vous croyais l'ami du grand vicaire, fit remarquer M. de Bourdeu. - Sans doute, mais je suis aussi l'ami de
monsieur le curé, répliqua vivement le juge de paix. Dieu
merci! L'ancien préfet regarda de nouveau le président d'un air singulier. - Et n'a-t-on pas cherché à
compromettre monsieur le curé dans les affaires politiques! continua
M. M. de Bourdeu, du bout de sa canne, dessinait un profil sur le sable de l'allée. - Oui, j'ai entendu parler de ces choses,
dit-il négligemment; il est bien peu croyable qu'un ministre
de la - Des cancans! s'écria le président,
en haussant les épaules. Est-ce qu'on retourne une ville comme
une Il se fâchait. M. Maffre, inquiet, crut devoir se défendre. - Permettez, interrompit-il, je n'ai pas affirmé
que monsieur l'abbé Faujas fût un agent bonapartiste; au diable!... L'abbé Faujas est au-dessus de tous les soupçons. Il y eut un silence. M. de Bourdeu achevait le profil, sur le sable, par une grande barbe en pointe. - L'abbé Faujas n'a pas d'opinion politique, dit-il de sa voix sèche. - Évidemment, reprit M. Rastoil; nous
lui reprochions son indifférence; mais, aujourd'hui, je l'approuve. - Sans doute. - Ajoutez qu'il mène une vie exemplaire.
Ma femme et mon fils m'ont donné sur son compte des détails A ce moment, les rires redoublèrent,
dans l'impasse. La voix de l'abbé Faujas s'éleva, complimentant - Vous entendez? Qu'ont-ils donc à s'amuser ainsi? Cela donne envie d'être jeune. Puis, de sa voix grave: - Oui, ma femme et
mon fils m'ont fait aimer l'abbé Faujas. Nous regrettons M. de Bourdeu approuvait de la tête,
lorsque des applaudissements s'élevèrent dans l'impasse.
Il y eut un - Ma foi! dit-il avec bonhomie, allons voir; je finis par avoir des démangeaisons dans les jambes. Les deux autres le suivirent. Tous trois restèrent
devant la petite porte. C'était la première fois que le Cependant, tous les assistants retenaient
leur haleine. L'abbé Surin, voyant grossir son public, voulut Condamin, qui avait tendu les bras en poussant un cri. Les assistants, le croyant blessé, se précipitèrent; mais lui, chancelant, se rattrapant à terre sur les genoux et sur les mains, se releva d'un bond suprême, ramassa, renvoya à mademoiselle Aurélie le volant, qui n'avait pas encore touché le sol. Et la raquette haute, il triompha, - Bravo! bravo! cria M. Péqueur des Saulaies en s'approchant. - Bravo! le coup est superbe! répéta M. Rastoil, qui s'avança également. La partie fut interrompue. Les deux sociétés
avaient envahi l'impasse; elles se mêlaient, entouraient - J'ai cru qu'il avait la tête cassée
en deux, disait le docteur Porquier à M. Maffre d'une voix pleine - Vraiment, tous ces jeux finissent mal, murmura
M. de Bourdeu en s'adressant à M. Delangre et aux Madame de Condamin allait du sous-préfet au président, les mettait en face l'un de l'autre, répétait: - Mon Dieu! je suis plus malade que lui, j'ai
cru que nous allions tomber tous les deux. Vous avez vu, - C'est cette pierre ronde, vous croyez? demanda M. Péqueur des Saulaies en ramassant le caillou. Jamais ils ne s'étaient parlé
en dehors des cérémonies officielles. Tous deux se mirent
à examiner la - Monsieur l'abbé se trouve mal! s'écrièrent les demoiselles Rastoil. L'abbé Surin, en effet, était
devenu très-pâle, en entendant parler du danger qu'il avait
couru. Il - Rose, de l'eau, du vinaigre! cria l'abbé Faujas en s'élançant vers le perron. Mouret, qui était dans la salle à
manger, parut à la fenêtre; mais, en voyant tout ce monde
au fond de son - Si madame était là, au moins;
elle est au séminaire, pour le petit... Je suis toute seule,
je ne peux pas une tendresse apitoyée de commère. L'abbé Surin, les yeux fermés,
la face pâle entre ses longs cheveux blonds, ressemblait à
un de ces - Vous m'avez fait une belle peur! lui dit
poliment le docteur Porquier, qui avait gardé sa main dans la L'abbé restait assis, confus, remerciant,
assurant que ce n'était rien. Puis, il vit qu'on lui avait déboutonné - Vous êtes très-bien ici, dit M. Rastoil à l'abbé Faujas, qu'il n'avait pas quitté. - L'air est excellent sur cette côte, ajouta M. Péqueur des Saulaies de son air charmant. Les deux sociétés regardaient curieusement la maison des Mouret. - Si ces dames et ces messieurs, dit Rose,
veulent rester un instant dans le jardin.... Monsieur le curé
est Et elle fit trois voyages, malgré les
protestations. Alors, après s'être regardées un
instant, les deux - Vous n'êtes pas un voisin tapageur,
monsieur le curé, répétait gracieusement M. Péqueur
des Saulaies. - Un bon voisin, c'est chose si rare! reprenait M. Rastoil. - Sans doute, interrompait M. de Bourdeu;
monsieur le curé a mis ici une heureuse tranquillité de
cloître. - Voilà Rastoil qui rêve une place de substitut pour son flandrin de fils. M. Delangre lui lança un regard terrible,
tremblant à l'idée que ce buvard incorrigible pouvait
tout gâter; - Et Bourdeu qui croit déjà avoir rattrapé sa préfecture! Mais madame de Condamin venait de produire une sensation, en disant d'un air fin: - Ce que j'aime dans ce jardin, c'est ce charme
intime qui semble en faire un petit coin fermé à toutes
les jardins voisins. M. Maffre et le docteur Porquier hochèrent la tête d'un air d'approbation; tandis que les Paloque s'interrogeaient, inquiets, ne comprenant pas, craignant de se compromettre d'un côté ou d'un autre, s'ils ouvraient la bouche. Au bout d'un quart d'heure, M. Rastoil se leva. - Ma femme ne va plus savoir où nous sommes passés, murmura-t-il. Tout le monde s'était mis debout, un
peu embarrassé pour prendre congé. Mais l'abbé
Faujas tendit les Alors, le président promit de rendre,
de temps à autre, une visite à monsieur le curé.
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