Autour de Germinal
2 - ETIENNE LANTIER
Comme l'avait fait Balzac dans
la Comédie Humaine, Zola avait projeté d'étudier,
de suivre et de faire évoluer des personnages caractéristiques.
Etienne Lantier est le personnage principal de Germinal. Il ouvre et
ferme le roman ; il le reflète. Germinal est un roman d'apprentissage.
Etienne est le fil conducteur de ce roman. Il y est entièrement
décrit : son origine et son portrait, son hérédité
chargée, son amour pour Catherine, lui en tant qu'ouvrier consciencieux
et enfin lui en tant que militant révolutionnaire.
I-Origine et portrait.
Etienne Lantier, personnage principal du roman
de Zola, Germinal, ouvre et ferme le roman. La première partie
de son existence est décrite dans deux autres oeuvres de Zola,
La fortune des Rougon (1871) et L'Assommoir(1877).
Né en 1846, Etienne Lantier est le
fils de Gervaise Macquart et de son amant, Auguste Lantier (ouvrier
tanneur à Plassans, dans le midi). Après avoir été
abandonnée par Lantier, Gervaise se console en épousant
Coupeau, un ouvrier zingueur, qui maltraite souvent l'enfant.
A 12 ans, Etienne est employé comme apprenti dans une fabrique
de boulons, puis, est, par la suite, envoyé à Lille comme
mécanicien. Lorsqu'il apparaît dans Germinal, Etienne a
21 ans. Il erre depuis huit jours sur les routes du Nord à la
recherche d'un travail. Il vient alors de Lille où il a été
renvoyé de son travail de mécanicien pour avoir giflé
son chef.
Physiquement, ce personnage est vu comme "très brun, joli
garçon, l'air fort malgré ses membres menus" (p.
57). Différent de celui de ses camarades, son physique est de
type méridional. Catherine, elle, dit de lui : "joli, avec
son visage fin et ses moustaches noires" (p. 92).
Etienne a un comportement de révolté, ce qui stimulera
la combativité des mineurs ; il est parfois envahi par des excès
de folie homicide (VII. 2).
II-Une hérédité
chargée.
Etienne Lantier est possédé
par un mal héréditaire. En effet étant le dernier
enfant d'une race d'alcooliques, il souffre "dans sa chair de toute
cette ascendance trempée et détraquée d'alcool"(p.
93). Son hérédité alcoolique se manifeste, quand
il boit, par une rage de tuer. Ce trait physiologique justifiera ensuite
un épisode dramatique du roman (V. 4). En effet, la boisson le
rend extrêmement méchant. Il dit lui-même à
Catherine : "Quand je bois, cela me rend fou."(p. 93). Lorsqu'
Etienne gifla son chef, à Lille, il était sous l'emprise
de l'alcool. De plus, la plupart des affrontements avec Chaval ont lieu
après qu'il eut bu.
Dans la série des Rougon-Macquart, Zola voulait illustrer la
théorie des lois de l'hérédité. Il voulait
mettre chez Etienne cette névrose familiale qui peut dégénérer
en folie homicide.
Le besoin de tuer surgit périodiquement chez lui, mais, chaque
fois, il parvient à le vaincre. Ainsi, lors d'une rixe violente
avec Chaval à "l'Avantage", Etienne ressent "une
brusque folie du meurtre, un besoin de goûter au sang ..."
(p. 465). Mais il lutte contre ce mal héréditaire. D'ailleurs,
lorsqu'il tue son rival, c'est dans un contexte de légitime défense.
III-Etienne et l'amour.
Etienne est l'un des trois protagonistes de
l'intrigue amoureuse. En effet, une femme, Catherine, oppose deux hommes,
Etienne et Chaval. Cependant, il se laisse devancer par Chaval, qui
devient l'amant de Catherine.
L'intrigue amoureuse réunit, autour de Catherine, Chaval et Etienne,
et les mets ainsi en situation de rivalité. Cette rivalité
est de plus, déjà annoncée au début du roman
par l'hostilité de Chaval pour Etienne.
A la lutte pour l'amour de Catherine se superpose une lutte politique.
En effet, Zola fait de Chaval et Catherine des non-grévistes
(IV. 3) afin que l'opposition entre Etienne et son rival atteigne son
paroxysme (VI. 3).
L'intrigue amoureuse et l'intrigue sociale se lient, Chaval est doublement
jaloux d'Etienne. Ainsi, Chaval joue les briseurs de grèves et
les provocateurs. Alors a lieu le second affrontement entre Chaval et
Etienne.
La situation décrite correspond à une situation triangulaire
: Chaval a pris possession de Catherine symboliquement en l'embrassant,
puis physiquement plus tard, et tout cela devant Etienne. Elle est et
reste alors sa maîtresse avec une "soumission héréditaire".
Cependant, la situation triangulaire est présente à chaque
instant. En effet, Catherine pense tout de même à Etienne
: "l'ombre d'un autre homme, du garçon entrevu le matin,
passait dans le noir de ses paupières closes". Le désir
réciproque entre Catherine et Etienne est construit sur la même
structure psychique que la relation entre Jeanlin, Lydie et Bébert.
Ce désir reste insatisfait à cause de Chaval, qui a embrassé
Catherine devant Etienne, tout comme le désir réciproque
entre Lydie et Bébert, non assouvi à cause de Jeanlin,
qui caresse lydie sous les yeux de Bébert. Plusieurs sentiments
entourent l'amour d'Etienne pour Catherine. Tout d'abord, il y a le
sentiment d'interdit. En effet, dans une scène du roman, Catherine
est comme "morte", c'est dire qu'un interdit pèse sur
cet amour, qui ne peut être vécu que dans l'angoisse. De
plus, l'interdit de l'amour entre Catherine et Etienne n'est transgressé
que dans un lieu clos souterrain, figurant l'enfer des pulsions inconscientes
; et cet interdit a lieu dans un moment où Catherine délire.
En outre, l'intrigue se dénoue par la mort de Chaval et de Catherine,
qui est comme une punition, un châtiment (même châtiment
d'ailleurs que celui appliqué à Bébert et Lydie).
D'autre part, le sentiment de culpabilité est également
présent. Les désirs réciproques de Catherine et
d'Etienne ont toujours été présentés comme
coupables. La pudeur inhabituelle de la jeune fille et la timidité
excessive d'Etienne sont la marque d'un fort sentiment de culpabilité.
De plus, la mort de Catherine, comme celle de Bébert et de Lydie,
est le châtiment infligé aux coupables, pour avoir transgressé
l'interdit. Etienne sort amoindri de l'épreuve (l'auteur ne pouvant
sacrifier ce personnage). En outre, Chaval incarne une forme de loi
que Catherine formule à sa façon : elle doit lui être
fidèle. D'ailleurs, la présence de Chaval est obsédante.
Par ailleurs, la maladresse, le malaise entourent l'amour d'Etienne.
La relation entre Etienne et Catherine est ambivalente. La gêne
est très présente dans cette relation : Catherine est,
lors de leur première rencontre, "un peu effrayée".
Un malaise persistant intervient dans cet amour impossible : "hontes"
et "répugnances"... Etienne est présenté
comme timide avec les femmes, réservé vis à vis
d'elles. De plus, ce jeune homme n'a connu aucune expérience
réelle de l'amour : "n'ayant eu à Lille que des filles
de l'espèce la plus basse". Contrairement à lui,
Chaval et les autres mineurs sont, dans ce domaine, assez précoces.
D'ailleurs, Chaval et Levaque ne sont que des coureurs de jupons tout
juste capables de révoltes éphémères. Chaval,
qui est un homme viril et brutal, correspond à un stéréotype
idéologique : les personnages révolutionnaires sont souvent
caractérisés par leur frustration affective et sexuelle.
En effet, l'homme révolutionnaire fait figure d'impuissance,
et son activité de meneur ou de penseur correspond à une
sublimation des désirs refoulés. Ainsi, la chasteté
d'Etienne le rapproche de la figure solitaire de Souvarine, et l'oppose
donc aux ouvriers. Il déclare ainsi à Chaval le soir de
la Ducasse : "Moi, pour la justice, je donnerais tout, la boisson
et les filles". (III. 2)Or, "la boisson et les filles"
sont les seuls plaisirs des mineurs.
On peut voir la liaison entre l'amour et la politique : il existe un
lien entre le désir et la discussion politique, qui laisse Etienne
"heureux" et Catherine "toute secouée", à
cause de la sensualité de l'activité révolutionnaire.
La situation triangulaire se révéle, en fait, être
une situation oedipienne. Chez Etienne, le désir et la culpabilité
font de lui un homme chaste (III. 2). La connotation incestueuse apparaît
: "Etienne parlait sans la moindre gêne avec la Maheude en
train d'allaiter Estelle, un sein hors du corsage et tombant jusqu'au
ventre". Lorsque Chaval arrive, brutal, et accuse Etienne de coucher
avec la mère et la fille, alors Etienne devient agressif, et
ne peut se retenir : "J'aurai ta peau". Puis, finalement,
un désir coupable l'envahit : "Malgré son effort,
il revenait quand même à sa gorge, à cette coulée
de chair blanche, dont l'éclat maintenant le gênait".
La mère soudain est devenue virtuellement une amante monstrueuse,
un peu comme un double de Catherine. La confusion des deux personnages
féminins dans la jalousie de Chaval et l'amour d'Etienne confirme
l'existence de la situation oedipienne, dans laquelle Etienne est le
fils. Dans une perspective psychanalytique, cette situation triangulaire
de type oedipien établit Chaval comme le père ayant pris
possession de la mère, Catherine. Cette possession s'opposerait
au désir incestueux du fils, Etienne.
IV- Un ouvrier consciencieux.
Lorsqu'Etienne arrive, il est tout d'abord
employé comme herscheur. Malgré la difficulté du
travail, il s'accommode bien au rythme de la mine : "Au bout de
trois semaines, on le citait parmi les bons herscheurs de la fosse".
Il entre finalement dans l'équipe de Maheu, grâce à
l'emploi de haveur qu'on lui propose ensuite.
V- Un militant révolutionnaire.
Il se lance à corps perdu dans l'action
révolutionnaire, révolté par la misère et
la résignation de ses camarades. L'emportant sur les autres mineurs
par son intelligence, son courage et sa personnalité, il devient
leur chef. Il correspond régulièrement avec Pluchart,
son ancien contremaître, secrétaire de la Fédération
du Nord. Celui-ci pousse Etienne à créer une section de
l'Internationale à Montsou, (la première venait de se
créer à Londres en 1864). Avec cette Internationale, le
pouvoir appartiendrait désormais à l'union des travailleurs
du monde entier.
Etienne se met à lire, sans méthode, des journaux engagés,
diverses brochures ou traités d'économie politique, et
même un livre de médecine. Il endoctrine les Maheu et révolutionne
peu à peu le coron : tous l'écoutent, espérant
dans leur vie " une trouée de lumière". Il prophétise
une société future idéale, de nature communiste,
reposant sur l'abolition de la propriété privée
des moyens de production : "Etienne chevauchait sa question favorite,
l'attribution des instruments de travail à la collectivité".
Le peuple prendrait le pouvoir, quitte à payer sa liberté
par le sang et la violence : "et ni le feu et ni le sang ne lui
coûtaient". Etienne devient donc le meneur, le chef incontesté,
mais il se laisse déborder par la fureur des grévistes.
Finalement, la grève échoue, et Etienne repart comme il
était venu, un matin d'avril.
Lui qui a longtemps cru que la violence révolutionnaire était
un moyen de changer le monde, envisage à la fin du roman des
solutions plus pacifistes : l'action syndicale, organisée et
bien maîtrisée pourrait permettre aux ouvriers de connaître
le triomphe légalisé. Le coeur léger malgré
l'échec, il sait que rien ne sera plus jamais comme avant : les
germes de la révolte seront récoltés dans les siècles
futurs.
Le personnage d'Etienne est plein de contradictions. En effet, son savoir
livresque fragmentaire le rend supérieur par rapport aux mineurs.
Cependant, c'est est insuffisant pour faire face à la situation.
Il y a donc un embourgeoisement du personnage, prouvé par son
début d'instruction. Cet embourgeoisement provoque chez lui un
dégoût à l'égard des mineurs.
L'évolution du personnage est assez "spectaculaire".
En effet, tout d'abord marxiste et pour la violence, il est passé
au rejet de la violence et au collectivisme socialiste. C'est d'ailleurs
pour le collectivisme qu'il part à Paris (pour être un
homme politique). Etienne doute de lui-même. Il éprouve
une sensible souffrance pour ses camarades mineurs, lors des quinze
jours de grève, mais sa vanité, son goût pour le
pouvoir et son ambition ("il montait d'un échelon, il entrait
dans cette bourgeoisie exécrée, avec des satisfactions
d'intelligence et de bien-être qu'il ne s'avouait pas") lui
font vite retrouver sa combativité.
Des rapports ambigus s'établissent entre les mineurs naïfs
("hallucinés de la misère") et le meneur qui
les conduit (plus par intérêt personnel). Ces rapports
ambigus s'établissent par des discours utopiques. Un lien s'établit
également entre le socialisme et la religion (III. 3 et IV. 7).
Ce lien est présent dans le discours idéaliste, mystique
et sectaire de l'Abbé Ranvier. D'ailleurs, les personnages d'Etienne
et de Ranvier sont assez similaires (comme l'a remarqué la Maheude).
Ils substituent tous deux la parole aux actes. L'Abbé est surtout
animé par le désir de ramener les mineurs à la
religion, de diriger le peuple. Il semble être une caricature
d'Etienne : il participe à la même vision du révolutionnaire.
De plus, une ressemblance est également présente dans
leurs noms, qui forment un couple de paronymes.
Etienne prend le contrôle de la foule avec une grande habilité
: "en affectant l'éloquent scientifique", "d'une
voix changée". De plus, pour obtenir l'approbation des mineurs,
il utilise des phrases interronégatives et un vocabulaire péjoratif.
Il se lance dans le collectivisme, avec Pluchart. Ce collectivisme est
de Jules Guesde, vulgarisateur de Marx et fondateur du parti ouvrier
1882. S'appuyant sur une analyse à prétention scientifique,
il prône la révolution violente et la collectivisation
(et non l'Etatisation ) des moyens de production. Ainsi, Pluchart, par
l'internationale, souhaite renverser la société bourgeoise
et établir une "société libre où celui
qui ne travaillerait pas ne récolterait pas". Etienne s'isole
peu à peu, à cause de sa supériorité et
de son embourgeoisement. Après la journée de violence,
il est dit, sur le plan politique : "pas un qui causait sérieusement".
Les mineurs refusent la politique (la Maheude, elle, parle de la crevaison
du pauvre monde). Ce refus traduit la défiance de Zola des révolutionnaires
professionnels.
Les mineurs se détachent de leur meneur, Etienne. Ils n'avait
retenu que des images anarchiques de ses discours("qui semblait
chercher au loin la cité de la justice promise", "la
haine du travail mal payé", "des années et des
années de faim les torturaient d'une fringale de massacre et
de destruction".). Etienne est donc victime d'un échec.
Persuadé de l'échec de la grève, il ne souhaitait
plus que finir en martyr (IV. 3). Embourgeoisé, Etienne est dégouté
de cette foule sauvage. Après avoir fait un bilan, il se rend
compte qu'il vit un véritable cauchemar. Tout ceci est conforme
à la vision : le meneur, le Saint(Etienne) a une mission mécanique
et la foule est son peuple.
Etienne Lantier, né en 1846, fils de Gervaise Macquart et d'
Auguste Lantier, a été marqué son hérédité
alcoolique. Cette hérédité réveille en lui
une rage de tuer dangereuse. Malgré son besoin inassouvi d'amour
avec Catherine, Etienne est un ouvrier consciencieux, et un bon militant
révolutionnaire. L'aventure de ce personnage est une formation
personnelle : il apprend un métier, il découvre la passion,
il se forme comme un militant ouvrier et symbolise la prise de conscience
de toute une classe, la classe ouvrière. Il fait de Germinalun
roman d'apprentissage.
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