Un esprit qui
marche de lueur en lueur
et qui s'arrête éperdu - au bord de l'infini
Victor Hugo
1802 - 1885
Les Châtiments
(début, livre 1)
Au
moment de rentrer en France
(31 août 1870)
Au
moment de rentrer en France Qui peut, en cet instant
où Dieu peut-être échoue, Je vois en même
temps le meilleur et le pire ; J'irai, je rentrerai
dans ta muraille sainte, Puisque c'est l'heure
où tous doivent se mettre à l'oeuvre, Puisque l'idéal
pur, n'ayant pu nous convaincre, Puisqu'on voit dans
les cieux poindre l'aurore noire Puisqu'en ce jour
le sang ruisselle, les toits brûlent, Et mon ambition, quand
vient sur la frontière Puisque ces ennemis,
hier encor nos hôtes, J'insulterai leurs
chants, leurs aigles noirs, leurs serres, Farouche, vénérant,
sous leurs affronts infâmes, France, tu verras
bien qu'humble tête éclipsée Tu me permettras d'être
en sortant des ténèbres Tu ne trouveras pas
mauvais que je t'adore, Naguère, aux
jours d'orgie où l'homme joyeux brille, Quand, ivre de splendeur,
de triomphe et de songes, Alors qu'on entendait
ta fanfare de fête Quand l'empire en
Gomorrhe avait changé Lutèce, Là, tragique,
écoutant ta chanson, ton délire, Mais aujourd'hui qu'arrive
avec sa sombre foule France, être
sur ta claie à l'heure où l'on te traîne J'accours puisque
sur toi la bombe et la mitraille Et peut-être,
en ta terre où brille l'espérance, Bruxelles, 31 août 1870.
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