Un esprit qui
marche de lueur en lueur
et qui s'arrête éperdu - au bord de l'infini
Victor Hugo
1802 - 1885
Les Contemplations
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L'auteur
a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en lui. La vie,
en filtrant goutte à goutte à travers les événements
et les souffrances, l'a déposé dans son cur. Ceux
qui s'y pencheront retrouveront leur propre image dans cette eau profonde
et triste, qui s'est lentement amassée là, au fond d'une
âme. |
Ce sont, en effet,
toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités,
tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir
une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir
à soupir, et mêlés dans la même nuée
sombre. C'est l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau
et aboutissant à l'énigme du cercueil; c'est un esprit qui
marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse,
l'amour, l'illusion, le combat, le désespoir, et qui s'arrête
éperdu « au bord de l'infini » . Cela commence par
un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon
de l'abîme. Une destinée est écrite là jour à jour. Est?ce donc la vie d'un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! Ce livre contient, nous le répétons, autant l'individualité du lecteur que celle de l'auteur. Homo sum. Traverser le tumulte, la rumeur, le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur, le silence; se reposer dans le sacrifice, et, là, contempler Dieu; commencer à Foule et finir à Solitude, n'est-ce pas, les proportions individuelles réservées, l'histoire de tous ? On ne s'étonnera donc pas de voir, nuance à nuance, ces deux volumes s'assombrir pour arriver, cependant, à l'azur d'une vie meilleure. La joie, cette fleur rapide de la jeunesse, s'effeuille page à page dans le tome premier, qui est l'espérance, et disparaît dans le tome second, qui est le deuil. Quel deuil ? Le vrai, l'unique : la mort; la perte des êtres chers. Nous venons de le dire, c'est une âme qui se raconte dans ces deux volumes : Autrefois, Aujourd'hui. Un abîme les sépare, le tombeau. V. H. Guernesey, mars 1856. |