CHAPITRE XVIII
HISTOIRE DE SÉRAPHINE
- COMMENT JUSTINE QUITTE LES MENDIANTS - NOUVEL ACTE DE BIENFAISANCE
DONT ON VERRA LE SUCCÈS - CE QU'EST ROLAND - SÉJOUR CHEZ
LUI
Je suis née à
Paris, d'un homme et d'une femme dont la réputation fort équivoque
ne devait pas faire espérer pour le fruit de leur amour une somme
de moralité très étendue. Mon père était
le gardien des capucins du Marais ; ma mère, une très
jolie coquine du quartier, que le père Siméon, auteur
de ma naissance, entretenait avec l'argent du couvent, dans une maison
qui n'en était pas fort éloignée. J'avais un frère
plus âgé que moi d'un an, résultat de la même
intrigue, et que Pauline, ma mère, élevait comme moi dans
des principes assez négligés. Ce petit frère, que
l'on nommait de L'Aigle, du nom de famille de mon père, était
à la fois et le plus bel enfant et le plus insigne libertin qu'il
y eût peut-être dans tout Paris. Les inclinations les plus
vicieuses s'annonçaient en lui dés ses plus jeunes années
; et le petit fripon n'avait rien de plus à cur que de
me les suggérer toutes. A peine avait-il dix ans, qu'il était
déjà paillard, ivrogne, voleur et cruel, et qu'il m'inspirait
tous les vices, en me les préconisant avec une force d'esprit
et de raison très extraordinaire à son âge. Ce fut
lui qui me révéla les secrets de notre naissance, en faisant
naître en moi, pour ceux de qui nous la tenions, le plus excessif
mépris. Cependant de L'Aigle aimait sa mère, il la convoitait
même ; cela se voyait aisément. Je n'ai que dix ans, Séraphine,
me disait-il quelquefois ; mais je coucherais avec ma mère, tout
aussi bien que Siméon ; je suis bien sûr que je lui en
ferais tout autant que lui... je les ai vus... je sais tout, et je te
l'apprendrai quand tu voudras. Malheureusement, comme je vous l'ai dit,
Pauline favorisait un peu toutes ces mauvaises dispositions ; elle idolâtrait
mon frère ; elle le couchait avec elle ; et de L'Aigle ne fut
pas longtemps à m'avouer que c'était de cette mère
incestueuse, qu'il apprenait une grande partie des choses dont il avait
tant d'envie de m'instruire. Cette intempérance pouvait être
tolérée par l'âge de ma mère, qui, ayant
mis mon frère au monde à treize ans, en avait à
peine vingt-trois. Pleine d'ardeur, et jolie comme un ange, la coquine
excusée par la nature, en écoutait infiniment plus la
voix que celle de la raison. Il m'avait été facile de
voir, aux conseils que je recevais d'elle, que sa morale était
fort relâchée. Mais n'ayant pas encore assez d'esprit pour
interpréter ses motifs, je prenais pour de la tendresse ce qui
n'était l'effet que de la plus complète corruption.
Tels étaient à peu près les motifs pour lesquels
notre éducation se négligeait ; lire et écrire
était à peu près tout ce qu'on nous enseignait
; mais point de talents... point de morale... point de religion. Siméon,
le plus impie, le plus libertin de tous les hommes, avait expressément
défendu que l'on nous entretînt jamais de Dieu. Il serait
à souhaiter, disait-il, qu'on eût égorgé
le premier qui put en prononcer le nom. Préservons la jeunesse
de ces dangereuses connaissances ; ce seront autant d'êtres échappés
à l'erreur ; puissent tous les pères agir de même
! et la philosophie planerait bientôt sur les hommes.
Voilà, m'allez-vous dire peut-être, bien de l'esprit pour
un capucin ; mais mon père en avait beaucoup. Aussi était-il
fort libertin ; tant il est vrai que ce défaut est presque toujours
celui des grands hommes, et que bien rarement celui qui a des lumières
est exempt d'athéisme ou d'immoralité.
Quoique l'intrigue de Siméon avec ma respectable mère
durât depuis treize ans, puisqu'il l'avait dépucelée
à dix, et qu'elle-même était le fruit d'une première
liaison de ce révérend père avec une marchande
du quartier, d'où il résultait que Pauline, à la
fois sa fille et sa maîtresse, avait un double titre à
mériter son cur ; quoiqu'il y eût, dis-je, treize
ans que cet arrangement durât, à raison du double lien
dont on vient de parler, leur amitié n'était nullement
refroidie. La complaisance absolue de ma mère, son extrême
docilité aux irréguliers caprices du capucin, l'assemblage
de tous ces motifs, en un mot, lui rendait la société
de Pauline précieuse, et il n'y avait pas de jours où
il ne vint passer cinq à six heures chez elle. Le supérieur
du couvent, père Ives, qui entretenait, de son côté,
une très jolie fille de dix-huit ans, nommée Luce, se
réunissait à ce couple, avec sa maîtresse. Dans
chaque ménage il y avait une très jolie servante qui se
trouvait communément à ces assemblées libidineuses
; et là, ordinairement après un ample repas, on offrait
à Vénus des sacrifices immondes, dont l'ordonnance et
les détails ne peuvent appartenir qu'à des génies
de moines.
La bande joyeuse venait de se réunir un jour, lorsque mon frère
vint me trouver en hâte.
- Séraphine, me dit-il, es-tu curieuse de savoir à quoi
ces bons religieux passent leur temps ?
- Sans doute.
- Mais, ma chère petite sur, j'exige une condition, avant
que de te faire jouir de ce spectacle.
- Quelle est-elle ?
- Tu me laisseras faire avec toi ce que nous leur verrons exécuter
entre eux.
- Et que font-ils entre eux ?
- Tu le verras, ma sur... Eh bien ! y consens-tu ?
Et le petit espiègle appuya sa proposition d'un baiser si chaud
sur mes lèvres, que les premiers symptômes du tempérament
de feu que m'avait donné la nature se déclarèrent
aussitôt en moi : je déchargeai dans les bras de mon frère.
Le petit drôle, déjà très au fait, profite
de ma faiblesse, me précipite sur un lit, me trousse, écarte
mes cuisses, et recueille dans sa bouche, avec empressement, les marques
non équivoques du plaisir qu'il vient d'éveiller.
- Tu perds ton foutre, ma sur, me dit de L'Aigle... Oui, mon amour,
ce que tu viens de faire s appelle ainsi... Tu es plus avancée
que moi ; je n'en puis encore faire autant. Ma mère a beau me
branler, me sucer, rien ne paraît ; elle dit que cela viendra...
qu'il faut que j'attende ma quatorzième année ; mais je
n'en ai pas moins de plaisir. Tiens, continua mon frère en saisissant
ma main, et la portant sur un petit membre, déjà très
roide et d'une fort jolie grosseur, secoue cela, ma sur, tu vas
voir comme je jouirai... Ou bien, attends, je vais t'arranger comme
maman me place avec elle.
Et le fripon, en disant cela, me débarrasse de mes jupons, quitte
ses culottes, et, m'ayant couchée sur le lit, il s'étend,
en sens contraire, sur moi, de manière à pouvoir placer
son vit dans ma bouche, et que ses lèvres se posent sur mon con.
Je le suce, il me le rend ; nous restons ainsi près d'une heure,
à nous pâmer, sans varier la posture. Enfin, le bruit qui
se fait dans la pièce voisine, en attirant notre attention, nous
avertit qu'il faut changer de rôle, et que, d'agents, il faut
devenir spectateurs.
Cette première scène de libertinage, dont mon frère
me procurait la vue, est trop intéressante pour ne pas vous être
détaillée, et je vais, sans crainte de vous déplaire,
en tracer jusqu'aux plus légères circonstances. Les expressions
dont il faudrait que je me servisse, devraient être aussi pures,
je le sens, que l'âge que j'avais alors ; mais mon récit
perdrait à vous être transmis sous ces voiles ; et le dois,
pour être plus exacte, employer les termes dont je me servirais,
si j'avais aujourd'hui cette même scène à décrire.
Commençons par les personnages.
Ma mère, vous le savez, avait vingt-trois ans ; elle était
belle comme un ange ; les cheveux châtains ; la taille pleine,
quoique leste et dégagée ; des chairs fermes et d'une
grande fraîcheur ; de superbes yeux, mais le visage un peu allumé
par le trop fréquent usage de l'intempérance de table...
sorte de vice où l'avait entraînée le désir
de plaire à son amant, qui ne jouissait jamais aussi voluptueusement
d'elle, que lorsque l'excès du vin et des liqueurs lui avait
fait perdre la raison.
Luce, maîtresse du père Ives, le supérieur du couvent
et l'ami de mon père, avait dix-huit ans, ainsi que je viens
de le dire ; elle était blonde ; de beaux yeux bleus, du plus
grand intérêt ; la plus belle peau possible ; la gorge...
les fesses sublimes ; et l'un des cons les plus étroits, à
ce que prétendaient nos paillards, qu'il fût possible de
donner à foutre à des capucins.
Les deux servantes étaient surs, dépucelées
par nos deux libertins, dès l'âge de dix ans, et à
leur service depuis cette époque. L'aînée, que l'on
appelait Martine, pouvait avoir environ seize ans ; Léonarde,
sa cadette, en avait à peine quinze ; de jolies figures, de la
taille, de la fraîcheur, voilà ce qui, sans exagération,
plaçait l'une et l'autre fille dans la classe des plus jolies
villageoises de France.
Pour nos moines, ils étaient à peu près du même
âge. Mon père, cependant, paraissait l'aîné
; il pouvait avoir quarante ans ; tourné comme un satyre, la
barbe bleue, les yeux noirs ; une étonnante vigueur, une imagination
de feu, et l'un des plus superbes vits de l'Europe, après celui
du père Ives, qui l'emportait cependant de beaucoup, puisqu'il
avait onze pouces de long, tête franche, sur huit de pourtour.
Ives n'avait que trente-huit ans ; sa physionomie était moins
agréable que celle de mon père ; les yeux petits, le nez
long ; mais vigoureusement taillé, et plus libertin encore.
Toute la compagnie sortait de table, quand nous sautâmes au bas
du lit où nous venions de faire des extravagances, pour appliquer
nos yeux contre les fentes d'une cloison, qui séparait la chambre
où nous étions de celle où les orgies allaient
ce célébrer.
A l'embrasement où nous vîmes les têtes, il nous
parut que les sacrifices qu'on se préparait à offrir se
ressentiraient de ceux qu'on venait de célébrer sur les
autels du dieu de la bonne chère. Mon père, surtout, me
parut complètement gris.
- Ives, dit-il à son confrère, faisons déshabiller
ces garces ; celle qui sera plus tôt nue sera foutue la première...
la plus paresseuse, au contraire, recevra cinquante coups de fouet de
chacun.
- J'y consens, répondit Ives ; aussi bien ai-je autant d'envie
de fouetter que de foutre. Ce n'est pas qu'à mon gré le
premier ne vaille infiniment mieux que le second ; mais, comme je bande
beaucoup aujourd'hui, j'ai besoin d'élancer du sperme, et je
ne le perds jamais si bien qu'en foutant.
Le bougre, en disant ces mots, soutenait l'argument d'un vit musculeux,
dont la tête écarlate menaçait le ciel.
- Sacredieu, lui dit mon père en venant empoigner ce membre...
oh ! bougre de dieu, mon ami, comme tu bandes... Conviens, Pauline,
que voilà ce qui s'appelle un superbe engin. Tiens, je l'avoue,
ma chère, je jouirai toujours plus voluptueusement de te le voir
mettre par un vit comme celui-là, que de te foutre moi-même.
Si j'avais été marié, je n'aurais pas eu de plus
grand plaisir que de me voir cocufier par un engin de cette espèce.
-- Infâme libertin, répondit père Ives en déboutonnant
la culotte de son confrère, dont le froc était déjà
au diable, conviens qu'il est encore un endroit où tu aimerais
mieux voir ce vit-là, que dans le con de ta maîtresse.
- Où donc ?
- Dans ton cul, mon ami ! dans ton cul !
- Cela est vrai, dit Siméon ; regarde-le, ce cul dont tu parles
; vois comme il est beau ; balaye-le donc un instant, avant que d'entrer
dans le con de ma garce.
- Tiens, jean-foutre, te voilà content, dit le père Ives
en couchant Siméon sur un canapé, et lui dardant son nerveux
engin dans le cul.
- Ah ! foutre !... foutre ! s'écrie mon père en contrefaisant
la putain, et frétillant comme une anguille ; oui, sacre-dieu,
voilà ce que je voulais.
Et le paillard, faisant aussitôt glisser une des jeunes servantes
sous lui, l'enconne, pendant qu'on l'encule. Mais ces attaques n'étant
que des préludes, tous deux se retirent sans perdre de foutre
; et l'on met dans la scène lubrique un peu plus de régularité.
Malgré ce petit épisode préliminaire, nos moines
n'avaient bas perdu la carte ; ils avaient fort bien remarqué
que la jeune Martine avait été la dernière à
se déshabiller, et ma mère, la première nue.
- Exécutons l'arrêt, dit Siméon. Pauline, donnez-nous
des verges ; et toi, père Ives, empare-toi de cette petite putain
; lie-lui les mains avec ton cordon ; penche-la sur tes genoux ; je
vais lui apprendre à être paresseuse ; quand je l'aurai
mise en sang, tu prendras ma place.
La pauvre petite fille est saisie ; elle a beau crier, se défendre
; on ne l'écoute pas. Siméon fixant son attitude au moyen
du bras gauche, dont il lui entoure les reins, lui applique du droit
une fessée si nerveuse qu'en moins de vingt coups ses fesses
sont toutes rouges.
- Venez vous mettre à genoux devant cet engin, Léonarde,
dit-il à l'autre petite fille, et branlez-le sur vos petits tétons.
Toi, Luce, pendant que je fouette, tu devrais polluer mon cul, encore
escorié de l'attaque qu'il vient de recevoir ; tu vois comme
il s'offre à toi tout entier ; chatouille-le, ma bonne. Et toi,
Pauline, viens te faire patiner par mon confrère, pour le consoler
un peu des peines qu'il prend de me contenir cette petite gueuse...
Eh bien ! ne vous ai-je pas dit que cela allait former le plus joli
groupe du monde ; examinez dans cette glace combien il est intéressant.
Allons, changeons, père Ives ! viens à ma place, je vais
prendre la tienne ; achève de m'étriller ce cul-là,
de manière à ce qu'il s'en ressente au moins quinze jours.
Ives ne se fait pas attendre ; et la malheureuse Martine ne sort de
ses mains qu'en sang.
- Allons, dit Siméon, nous avons puni, récompensons. Pauline
a été la première nue ; tu sais ce que nous avons
promis a cet acte d'obéissance ; enfile-là, père
Ives ; je vais te servir de maquereau, sous condition qu'après
tu me tiendras lieu de bardache.
- J'y consens, dit père Ives ; il y a longtemps qu'à l'exemple
de César, j'aime fort à être le mari de toutes les
femmes, et la femme de tous les maris.
Ma mère se place ; la bougresse avait tant d'ardeur, qu'elle
déchargeait déjà. Siméon conduit lui-même
le vit, il le présente, il le fait pénétrer.
- Ah ! foutre, s'écrie ma mère, dès qu'elle le
sent... quel engin monstrueux... je décharge.
A peine sont-ils ensemble, que Siméon s'empare du derrière
de celui qui le cocufie ; il braque son vit sans le mouiller, et se
trouve presque aussitôt au fond du cul de son rival, que celui-ci
l'est au fond du cul de Pauline... Tous deux foutent... tous deux s'agitent...
ce sont les flots de la mer agités sous l'aquilon qui les boursoufle.
Mais il leur faut des épisodes.
- Martine, dit mon père, viens te mettre à cheval sur
les reins d'Ives, je veux baiser ton cul, pendant que je sodomise celui
du fouteur de ma maîtresse ; et toi, Léonarde, place-toi
de même, à califourchon, sur le sein de Pauline ; tu lui
poseras le con sur la bouche ; la tribade te sucera ; elle aime à
gamahucher une femme, pendant qu'on la fout ; et père Ives te
baisera les fesses ; il est quelquefois nécessaire de baiser
un cul, quand on lime un vagin ; c'est un contre-poison.
- Et moi, dit Luce, que ferai-je ?
- Fouette-moi, dit Siméon, et, de temps en temps, fais-moi baiser
et ta bouche et ton cul ; ensuite tu danseras autour de nous, comme
David devant l'arche et tu pisseras, tu chieras en circulant ainsi ;
ces ordures nous égaieront. En fait d'orgies, il faut tout essayer
: plus ce qu'on imagine est sale, et mieux l'on bande. Au diable la
foutaise sans crapule ; tous les vices se prêtent la main, ils
s'enchaînent, ils se communiquent mutuellement des forces ; on
doit les exercer tout en foutant.
- Il faut aussi qu'elle nous apporte à boire, dit père
Ives ; j'aime à m'enivrer en me livrant aux luxures ; et je pense
comme toi, mon ami, que tous les vices donnent des forces à celui-ci,
et qu'on ne saurait en trop réunir au moment où l'on veut
perdre du foutre... Tout est délicieux quand on bande ; et plus
on fait de choses alors, plus on est vivement chatouillé.
- Allons, décharge... décharge, répondit mon père
; car le sperme souille tes idées, et tu ne sais bientôt
plus ce que tu dis.
- Eh bien ! foutre, je vais au moins te prouver que je sais ce que je
fais ; car, pour ne pas procréer un enfant à ta garce,
je vais lui lâcher ma bordée sur le ventre.
- Non, non, dit Siméon en s'opposant au vertueux mouvement de
son confrère, ne te gêne point pour cela ; il y a ce qu'il
faut dans notre jardin ; fous toujours, mon cher ; et, quand la putain
enflera, je me charge de remettre les choses en ordre.
Ives, encouragé, redouble avec ardeur ; les mouvements de mon
père achèvent de l'embraser ; tous deux goûtent
en même temps le souverain plaisir ; et tous deux, merveilleusement
servis par les acolytes, dardent à la fois, dans le vase qui
le reçoit, le foutre épais qui leur tourne la tête.
Mais tous les deux, trop libertins pour en rester là, ne font
que changer de jouissance. Ives encule Siméon, qui, à
son tour, enconne la maîtresse de son ami ; les deux petites filles
font baiser leurs fesses, et Pauline est chargée des circonvallations
libidineuses. Elles les accomplit avec tant d'art, elle satisfait si
bien, tour à tour, les différents besoins de la nature,
qu'elle précipite l'extase de nos fouteurs, dont une seconde
éjaculation vient promptement couronner le délire.
- Oh ! pour le coup, reposons-nous, dit mon père ; je ne bande
plus que je n'aie bu au moins six bouteilles de vin de Champagne.
Profitons de cet instant pour vous rendre compte maintenant de tout
ce qui s'était passé entre mon frère et moi, pendant
cet intéressant spectacle.
Souvent de L'Aigle avait quitté le rôle de spectateur pour
s'acquitter de celui d'agent ; et, comme la position dans laquelle j'étais
lui rendait la jouissance de mon devant assez difficile, le petit libertin
s'en dédommageait par derrière. Il avait relevé
ma chemise sous mon corset ; et, maître de mon cul par mon attitude,
il le dévorait des plus ardents baisers. Nullement écolier
sur rien, le fripon l'écartait, y dardait sa langue... son doigt
; et, sur la fin de la scène, s'étant incliné sur
mes reins, il était parvenu à m'insinuer son petit dard
à l'entrée du con. Encouragé par ces préliminaires
: « Prête-toi, ma sur, m'avait-il dit, dès
qu'il vit nos acteurs à table... reste dans la même posture
; incline-toi seulement un peu, et tu verras que j'entrerai. »
Très échauffée de ce que je voyais, je m'appuie
fortement sur la cloison, en présentant, du mieux que je peux,
mon derrière à de L'Aigle... Mais, grand Dieu ! quel événement
! La planche, mal assurée, se détache, et va tomber sur
la tête de Martine, d'une manière si forte, et dans un
sens si dangereux, qu'elle la renverse sans connaissance, en lui faisant
un trou à la tête, dont le sang sort à gros bouillons.
Cependant nos deux moines, très étonnés de nous
voir rouler à terre le long de cette planche, tous les deux dans
une attitude et dans un état qui ne leur laisse rien à
deviner, ne savent auquel ils courront le plus vite ; secourront-ils
Martine ? viendront-ils à nous ? La luxure l'emporte ici sur
la pitié, ainsi que cela doit être dans l'âme d'un
vrai libertin. Tous deux, singulièrement émus de la nudité
où ils nous voient, nous relèvent, promènent leurs
mains sur nos charmes, nous grondent... nous caressent tour à
tour, et laissent les femmes secourir la blessée, qui se trouve
dans un tel état, qu'on est obligé de la mettre au lit.
Cette malheureuse planche avait causé tant de désordre,
que la table sur laquelle elle avait également porté s'était
anéantie, en entraînant avec elle les plats et les bouteilles,
dont les débris inondaient la chambre.
- Nettoyez donc cela, dit Siméon en arrachant Léonarde
aux soins qu'elle donne à sa compagne, et faisant voir, par cette
dureté, qu'il s'occupe bien plus du local de ses plaisirs, que
des soins dus à la malheureuse victime de cette aventure... Eh
bien ! elle est blessée, poursuit-il... à la bonne heure,
on verra ce que c'est...
- Mais, mon père, dit Léonarde, elle est tout en sang.
- Il n'y a qu'à étancher ; on verra le reste quand nous
aurons foutu...
Et pendant ce dialogue... objet des caresses de mon père, pendant
que de L'Aigle l'est de celles du père Ives, nos cruels paillards,
sans s'inquiéter nullement de l'état de la pauvre Martine,
ne paraissent émus que des plaisirs qu'ils attendent des deux
nouvelles jouissances sur lesquelles ils ne comptaient guère.
- Regarde donc, disait Siméon à père Ives, comme
cette petite coquine-là a déjà de la gorge !...
et sa petite motte, comme elle s'ombrage !... C'est pourtant moi qui
ai mis cela au monde... Sais-tu qu'avant six mois cela sera bon à
prendre ?
- Pourquoi pas sur-le-champ ? dit père Ives ; quelle nécessité
y a-t-il d'attendre six mois ? Tiens, continua-t-il en montrant le cul
de mon frère, regarde comme cela est déjà formé
! Allons... allons, puisque le hasard nous les donne, profitons-en ;
et pas tant de délicatesse.
Cependant de L'Aigle et moi, très honteux, n'osions rien opposer
aux projets que l'on affichait sur nous. Ma mère s'était
emparée de mon frère ; et le baisant avec ardeur :
- Charmant amour, lui disait-elle en branlottant son petit vit, ne résiste
point à ton père, c'est ton bonheur qu'il veut ; s'il
peut s'attacher à toi, ta fortune est faite... Viens... viens
dans mes bras, petit bougre ; viens placer ton vit dans le même
lieu qui te donna la vie ; le plaisir que tu ressentiras de cette jouissance
adoucira peut-être les tourments de la défloraison qu'on
te prépare.
- Ah ! l'excellente idée ! dit Siméon ; je vais foutre
mon fils, pendant qu'il enconnera sa mère ; quel tableau pour
toi, père Ives !
- Crois-tu, répond celui-ci, que je le considérerai de
sang-froid ? je vais dépuceler ta fille pendant ce temps-là.
- Non, sacre-dieu, dit Siméon ; tous deux sont mes enfants, et
je veux les foutre tous deux. Tiens, mon ami, il y a une jouissance
aussi piquante que voluptueuse à te procurer ici ; car, je sens
bien qu'au spectacle d'une immoralité, il faut devenir très
impur et très irrégulier soi-même. Encule Martine,
qui vient d'avoir la tête cassée... elle souffre comme
une malheureuse, ton vit la vexera prodigieusement ; et, de cette double
crise de douleur, résultera nécessairement, tu le conçois,
une somme immense de volupté ; car tu sais, mon ami, combien
la douleur produite sur l'objet dont on jouit rapporte à nos
sens de plaisirs !
- Ah ! foutre, l'idée est aussi neuve qu'excellente, s'écrie
père Ives, menaçant déjà de son vit énorme
les fesses de la pauvre petite blessée... Allons, putain, viens
présenter ton cul.
- Mais, mon père, je souffre horriblement.
- Tant mieux, c'est ce qu'il me faut.
- Père Ives, dit Siméon, fais ôter ce mouchoir,
aies la plaie sous tes yeux... Tout s'exécute, malgré
les résistances naturelles et nécessitées par les
disproportions qui se trouvent entre l'énorme engin de père
Ives et le cul mignon de la jeune Martine. L'attaque se commence ; Luce
aide son amant... le baise... l'excite, pendant qu'il agit. La malheureuse
victime, à la fois vexée par les douleurs du coup qu'elle
a reçu, et par l'antinaturelle intromission du vit donc on la
perfore, jette des cris inhumains ; et Siméon, ayant cet intéressant
tableau sous les yeux, se met bientôt à la besogne. Déjà
Pauline s'était introduit le petit engin très dur de mon
frère ; déjà le petit bougre foutait sa mère,
quand Siméon, voyant le cul de son fils bien à sa portée,
se présente à l'orifice en vainqueur. Des difficultés
sans nombre accompagnent l'entreprise ; mais Siméon n'est pas
homme à se laisser repousser par aucune. Léonarde contient
l'enfant ; elle lui écarte les fesses ; le moine mouille son
vit... il le présente ; deux bonds furieux, accompagnés
d'énormes blasphèmes, engloutissent déjà
la tête. Siméon redouble ; ma mère contient et caresse
son fils ; l'enfant pleure. Les plaisirs qu'on lui donne par devant
ne le dédommagent pas des douleurs qu'il ressent par derrière
; mais on s'inquiète peu de ce qu'il éprouve. De seconds
élans décident enfin la victoire ; le paillard est au
fond, et de nouveaux blasphèmes précèdent ses lauriers.
Léonarde est sous sa main ; il la patine, il la langotte, tout
en sodomisant son fils ; et, pour que l'inceste soit mieux prononcé,
le paillard veut baiser mes fesses, pendant qu'il encule mon frère.
On m'établit en conséquence sur les reins du bardache
filial de sa révérence, et le sodomiste s'en donne à
son aise. Cependant, et toujours sous les yeux de mon père, Ives
porte au cul de Martine les plus sensibles coups, pendant que sa maîtresse
l'encule lui-même avec un godemiché.
- Ives, dit Siméon, bandes-tu comme moi ?
- Oui, foutre, répond celui-ci en retirant, pour le lui prouver,
son vit couvert de merde du cul qu'il sodomise, et le renfonçant
aussitôt, ce qui renouvelle tellement les douleurs de la malheureuse
blessée, qu'elle est près de s'en évanouir... tu
le vois, si je bande.
- Eh bien ! sacre-dieu, si cela est, dit Siméon, fais donc souffrir
cette putain. Et l'infortunée contre laquelle s'arrangeaient
de si lâches complots inondait la chambre de son sang. Double
foutu dieu, poursuit le scélérat, fous le trou qu'elle
s'est fait à la tête, puisque tu bandes, et fais-en un
autre à côté, tout en déchirant celui-là.
Cette nouvelle exécration s'exécute. Le féroce
père Ives décide la blessée, la fait mettre à
genoux... darde son vit sur la plaie, s'y enfonce, y décharge,
en fracassant à coups de canne l'autre partie saine du crâne
de cette infortunée.
- Voilà ce que c'est, dit Siméon en déchargeant
de son côté dans le cul de mon frère, pendant qu'il
mord mes fesses ; oui, voilà ce que c'est ; j'aime les horreurs,
moi... je ne décharge jamais aussi bien que quand j'en fais,
que j'en vois, ou que j'en fais faire.
- Attends, poursuit mon père, pour me remettre en train, je vais
fustiger cette garce.
- Oh ! foutre, dit père Ives... elle est dans un état
à ne pouvoir plus rien endurer.
- Tu te fous de moi, dit Siméon ; jusqu'à ce qu'une putain
crève, elle est en état de tout soutenir. Le gueux la
saisit en disant cela ; la courbant sous son bras gauche, d'une de ses
jambes il lui enlace les deux siennes, et la fustige de la main droite
avec une telle violence, qu'en moins de soixante coups, ses cuisses
sont inondées du sang que son derrière distille. Rien
ne l'arrête ; il continue. Ives imagine de lui rendre ce qu'il
fait à cette pauvre fille ; le cul de son confrère, entièrement
à nu, se trouvait bien à sa portée. Une nouvelle
scène se lie aussitôt. Siméon veut que Léonarde
suce son vit, pendant qu'il flagelle Martine. Élevé sur
le lit, il baise encore le mien ; et Luce continue de travailler avec
un godemiché le cul du père Ives, qui, tout en fouettant
son ami, touche brutalement les tétons de ma mère.
- Ne déchargeons pas ainsi, dit Siméon, cela n'en vaut
pas la peine ; il vaut mieux foutre. Tiens, sodomise mon fils encore
une fois dans les bras de sa mère ; moi je vais placer ma fille
à cheval sur les tétons de la maman ; je l'enconnerai,
pendant que, de ses fesses, elle pressurera le visage de sa mère
; Léonarde et Martine nous fouetterons pendant ce temps-là,
et Luce nous fera baiser ses fesses.
Je ne vous peindrai point les douleurs que je ressentis à la
perte de mon pucelage ; le vit de mon père était monstrueux,
et il ne me ménageait pas. Un nouveau supplice m'était
préparé ; ma mère, en déchargeant, ne sachant
plus ce qu'elle faisait, saisit avec ses dents un morceau de mes fesses,
qui, comme vous savez, reposaient sur son visage. Je jette un cri en
poussant vigoureusement mes reins sur le vit monstrueux qui me perfore
; ce mouvement précipite l'extase de mon père... il décharge
; son confrère l'imite ; la posture se rompt, et quelques instants
de calme viennent rafraîchir à la fois les sens et les
esprits de nos libertins.
- Buvons, dit mon père ; les seuls excès de table produisent
de bon foutre ; et vous ne verrez jamais un véritable libertin
qui ne soit ivrogne et gourmand. Donne le meilleur vin que nous ayons,
dit père Ives à Luce ; nous avons encore de la besogne
à faire.
- Attends, dit Siméon, pendant que nous allons nous gorger de
nourriture, il faut que ces deux enfants ne cessent de nous branler...
Et toute liberté pendant le repas... nous mangerons, nous boirons,
nous pisserons, nous péterons, nous chierons, nous déchargerons...
nous nous livrerons à la fois à tous les besoins de la
nature.
- Oui, foutre... oui, bougre de dieu, dit père Ives chancelant,
il n'y a que cela de délicieux dans le monde ; et quand on fait
tant que de célébrer des orgies, il faut que tout y soit
crapuleux... sale et cochon, comme le dieu que l'on y révère
; il faut se vautrer dans l'ordure, à l'exemple des pourceaux,
et ne chérir, comme eux, que la fange et que l'infamie. Martine,
quoique baignée dans son sang, est mise sur la table ; ses fesses
ensanglantées servent à poser les plats ; et, quand on
en est au second service, les libertins mangent dessus des omelettes
bouillantes. Après une heure de cette cruelle restauration, on
parle de me foutre en cul ; je n'avais perdu qu'un de mes pucelages,
il s'agissait d'attaquer l'autre.
- Il faut la mettre entre nous deux, dit père Ives, je foutrai
son con tandis que tu l'enculeras ; Pauline t'arrangera l'engin de son
fils dans le derrière, et te fouettera pendant ce temps ; Luce
me rendra le même service ; Léonarde galopera autour de
nous, en pissant et chiant dans la chambre, et en appliquant, à
chaque tour, tantôt un soufflet, tantôt une claque, ou même
un coup de poing à la très intéressante Martine
qui crèvera sans doute dans l'opération.
Tout s'arrange. Mais, Dieu du ciel ! si j'avais souffert à la
première de ces introductions, que ne ressentis-je pas à
la seconde ! Je crus que le vit de Siméon me partageait en deux
; il me semblait que c'était une barre rouge que l'on introduisait
dans mes entrailles ; et cependant, quelque jeune que je fusse, j'éprouvais,
au travers de tout cela, de légères étincelles
de plaisir, signes certains de celui que je recevrais un jour par cette
voluptueuse manière de foutre. Une dernière décharge
couronna l'uvre ; je sentis couler à la fois, et par devant
et par derrière, les deux émissions que l'on dardait en
moi ; et, retombant anéantie au milieu de mes deux athlètes,
je fus plus d'un quart d'heure à revenir de la secousse que de
telles attaques venaient de porter à mon tempérament.
Enfin, l'heure de la retraite au couvent fit promptement lever la séance.
On se sépara. Martine fut envoyée à l'hôpital,
où elle creva huit jours après. Nous continuâmes
à rester chez ma mère. Quelques jour après, on
recommença la même scène ; et Pauline, qui ne se
cachait plus, se dédommageait dans nos bras des abstinences forcées
où la contraignait son amant. Nous couchions tour à tour
avec elle, et souvent tous les deux ensemble. Alors de L'Aigle et moi
nous exécutions sous ses yeux mille postures plus lubriques les
unes que les autres ; et la friponne, dirigeant nos luxures, nous rendait
aussitôt toutes les leçons qu'elle recevait de son amant
; elle nous inspirait ses principes, et ne négligeait rien de
tout ce qui pouvait le plus promptement corrompre nos esprits et nos
curs.
Lorsque nous eûmes atteint treize ou quatorze ans, la chère
maman n'en resta point là. L'infâme créature osa
nous conduire dans une maison où deux libertins s'amusèrent
d'elle et de nous tout à la fois. Cent louis étaient la
récompense de cette prostitution ; elle nous en donnait dix à
chacun, sous les clauses du plus profond mystère ; et si, continuait-elle,
nous étions exacts à ne rien révéler, elle
nous procurerait bien d'autres aventures. Nous la satisfîmes,
et, dans moins de six mois, la bonne dame nous vendit ainsi l'un et
l'autre à plus de quatre-vingts personnes, lorsque de L'Aigle,
un jour, par unique principe de méchanceté, dévoila
tout à mon père. Siméon, furieux, battit ma mère
d'une si terrible force, qu'elle en tomba malade, et qu'au bout de huit
jours elle se vit aux portes du tombeau.
- Ne restons pas ici, me dit mon frère ; cette bougresse-là
va crever ; et Siméon, ou nous gardera pour sa jouissance, ce
qui ne nous rapportera pas grand-chose, ou nous fera mettre à
l'hôpital, ce qui deviendrait encore pis. Tu es assez jolie pour
faire fortune toute seule ; et moi, ma sur, je trouve un homme
qui me couvre d'or, si je veux le suivre en Russie ; je pars.
- Mais cette pauvre femme qui est dans son lit ?
- Si sa situation te touche si vivement, il n'y a qu'à l'étrangler
; elle ne souffrira plus.
- Scélérat, dis-je en souriant, et comme peu révoltée
d'un pareil projet ; veux-tu donc nous faire rouer ?
- Séraphine, me dit mon frère, on est bien près
du crime, quand on n'est plus arrêté que par l'échafaud.
- Je te jure que cette crainte me touche bien peu.
- Eh bien ! exécutons.
- Ma foi, j'y consens ; je n'ai jamais trop aimé cette garce.
Et, n'écoutant plus que notre fureur... que notre envie d'être
libres, et de nous enrichir des dépouilles de cette malheureuse,
nous entrons dans sa chambre comme deux forcenés... Elle reposait
; nous nous jetons sur elle, et nous l'étranglons. « Partageons
vite le coffre-fort », me dit mon frère. Nous y trouvons
vingt mille francs, pour la moitié autant de bijoux ; et, ayant
noblement partagé, les portes se ferment, et nous décampons.
Nous fûmes dîner au bois de Boulogne ; et, après
nous être fait les plus tendres adieux, nous être promis
le plus rigoureux secret, nous nous séparâmes. Mon frère
suivit l'homme qui devait l'emmener ; et moi, je fus trouver un des
libertins que m'avait fait connaître ma mère, et sur lequel
je comptais, d'après quelques promesses qu'il m'avait faites.
- Mon enfant, me dit cet homme, dès que je fus chez lui, ce n'était
pas de moi dont je te parlais ; je vois beaucoup de filles, mais n'en
entretiens point. L'individu auquel je te destine vaut beaucoup mieux
; mais tu seras contrainte, je dois t'en prévenir, aux plus aveugles
soumissions ; je vais l'envoyer prendre ; vous vous arrangerez.
Ce personnage arrive. C'était un homme de soixante-cinq ans,
très riche, frais encore, et qui, après avoir remercié
son confrère de la bonne fortune qu'il lui procurait, me fit
passer dans le boudoir de son ami, où nous nous expliquâmes.
Cet homme, que l'on nommait Fercour, avait pour passion de laisser foutre
en con sa maîtresse devant lui, par un jeune homme qu'il enculait
pendant ce temps-là ; mais il ne déchargeait pas dans
le cul du jeune homme ; il le quittait au milieu de la course, plaçait
son vit merdeux dans la bouche de la femme, pendant que le jeune homme
étrillait cette femme ; et, dès qu'il lui voyait le cul
en sang, le paillard la sodomisait ; le ganymède le fouettait
alors et l'enculait au bout de quelques minutes. Peu content de ces
préliminaires, la femme s'étendait sur le dos dans un
vaste canapé ; et là, pendant qu'on lui enfonçait
des épingles dans le derrière et dans les couilles, il
en plaçait de même plus d'un cent dans les tétons
de sa maîtresse. Une vieille gouvernante, qui ne paraissait qu'alors,
lui faisait perdre son foutre en lui chiant dans la bouche.
Quelque dures que dussent me paraître ces propositions, le besoin
les fit accepter. Peu à peu je gagnai seule toute la confiance
de Fercour ; au bout de deux ans j'en profitai pour écarter de
lui tous les témoins qui m'étaient incommodes. Un jour
que mon Crésus s'amusait sous mes yeux à compter ses richesses,
elles me tentèrent. Mes réflexions furent bientôt
faites : on passe promptement à un second crime, quand on n'a
point conçu de remords du premier. Je jetai dans son chocolat
six gros d'arsenic acheté pour détruire les rats, et dont
on m'avait imprudemment confié la garde. Le vilain creva dans
vingt-quatre heures. Je le volai, et passai sur le champ en Espagne.
J'ai parcouru deux ans les plus grandes villes de cette contrée,
y exerçant le métier de courtisane dans toutes avec autant
d'agrément que de profit. Ô mes amis, c'est là,
c'est dans ces belles provinces où j'ai reconnu les passions
de l'homme mille fois plus exaltées que dans aucun pays de l'Europe
! c'est là où je les ai vus parvenir à des résultats
dont on ne se doute point dans le reste de la terre. Il semble que l'excessive
ardeur du soleil et la force de la superstition leur donnent un degré
d'énergie inconnu aux autres hommes. Ce n'est vraiment que là
où les piquants plaisirs du blasphème et du sacrilège
s'amalgament délicieusement avec ceux du libertinage. Ce n'est
que là où la mutuelle énergie qu'ils se prêtent,
ajoute au dernier degré du délire et de l'égarement.
Ah ! si vous saviez ce que c'est que de foutre aux pieds d'une madone...
au fond d'un confessionnal ou sur le bord d'un autel, ainsi que cela
m'arrivait tous les jours ! Non, rien au monde n'est délicieux
comme l'existence de ces freins uniquement réalisés pour
se procurer le plaisir de les rompre. Comme il est divin de rendre ainsi
tout le paradis témoin de ses écarts ! Oh ! croyez-moi,
les Espagnols sont les hommes de la terre qui raisonnent le mieux leurs
voluptés... les seuls qui sachent le mieux en raffiner tous les
détails. J'étais enfin la coquine la plus riche et la
plus heureuse du monde, lorsqu'une aventure affreuse vint m'arrêter
à Tolède au milieu de ma brillante carrière. Le
duc de Cortès, ayant acquis de mon personnel une connaissance
assez profonde, pour se flatter que je lui serais utile dans l'affreux
parricide qu'il méditait, me fit entrer dans la maison de son
père sur le pied de femme de charge. Le coup était prêt
à éclater ; cinq cent mille livres de rente devenaient
pour le jeune duc le prix de son forfait ; quatre mille pistoles en
payaient l'exécution. Un malheureux valet de chambre découvre
le mystère, et saisit le poison sur moi ; le duc se sauve...
On m'arrête. Au bout de dix-huit mois d'une affreuse prison, je
vais enfin subir mon jugement, lorsque votre camarade Gaspard que vous
voyez ici, et détenu lui-même pour quelque crime semblable,
m'offre d'essayer la fuite avec lui. Nous réussissons. Il est
un Dieu pour les grands coupables, les petits seuls n'échappent
jamais. Nous repassâmes les monts ensemble ; et, après
avoir mendié près d'un an, nous trouvâmes enfin
votre troupe. Vous savez, mes camarades, comme je m'y suis conduite
depuis que j'ai l'honneur d'y être agréée. Voilà
tout ce que j'avais à vous dire. Ce récit, je vous en
avais prévenus, peu fertile en événements, ne méritait
pas l'attention de gens qui, comme vous, ont passé leur vie d'aventures
en aventures ; n'importe, je vous ai obéi, et vous ai convaincus
par là, que je mettrai toujours avec vous la soumission au rang
de mes premiers devoirs.
L'histoire de Séraphine avait néanmoins allumé
quelques étincelles de luxure dans le cur de ces libertins
; la passion de Fercour surtout trouva des imitateurs. Ô malheureuse
Justine ! ton beau sein servit de plastron aux deux scélérats
qui voulurent copier cette manie ; et, dès que tu fus sur ton
triste grabat, les larmes que te faisait si fréquemment verser
l'injustice des hommes, recommencèrent à couler avec plus
d'abondance... Infortunée, tu te plaignais au ciel, sans te douter
que ce même ciel te préparait pourtant l'aurore du beau
jour qui devait t'enlever à cette cruelle situation... non pour
terminer tes malheurs, mais pour en changer au moins la nature.
Malgré l'état d'avilissement où l'on tenait cette
malheureuse fille dans le souterrain, Séraphine continuait pourtant
de la protéger ; et, comme elle l'employait souvent dans ses
plaisirs particuliers, elle lui procurait de temps en temps quelques
douceurs.
- Mon ange, lui dit-elle un jour, déjà trompée
d'une manière cruelle par une de mes camarades, je crains de
ne pas t'inspirer, à mon tour, un degré bien entier de
confiance. Je te proteste pourtant de ne t'en imposer sur rien, et que
la vérité pure va t'être offerte ici par ma bouche
; mais, de la discrétion, ou ma vengeance serait terrible. On
me demande à Lyon une jolie fille pour un vieux négociant,
dont les goûts sont bizarres, il est vrai, mais qui les paye assez
généreusement pour consoler des peines ou des dégoûts
qu'ils peuvent inspirer. Il s'agit de profanation ; l'homme dont je
te parle est un impie ; il te maniera pendant qu'on dira la messe devant
lui ; à l'élévation il sortira d'une petite boîte
une hostie aussi bien consacrée que celle qui s'élèvera
devant toi ; il t'enculera avec cette hostie, pendant que le célébrant
viendra te foutre, à son tour, avec celle qu'il viendra de consacrer.
- Quelle horreur ! s'écria Justine.
- Oui, j'ai senti qu'avec tes principes une telle proposition te répugnerait...
Mais vaut-il mieux rester ici ?
- Non, sans doute.
- Eh bien ! décide-toi donc.
- Je le suis, dit Justine avec un peu de remords ; fais de moi ce que
tu voudras, je me livre.
Séraphine vole chez Gaspard, elle lui représente que la
punition de Justine est assez longue ; qu'il ne faut pas priver plus
longtemps la troupe des services qu'une telle fille est en état
de lui rendre au dehors ; qu'elle en demande l'assistance dans ses différentes
opérations, et qu'elle en répond sur la surface de la
terre comme dans les entrailles du globe. La grâce s'obtient ;
on renouvelle les leçons de Justine ; on lui fait subir un examen
; et, au bout d'un séjour de cinq mois dans cet abominable repaire,
elle obtient enfin la permission d'en sortir et de suivre sa protectrice
à Lyon.
- Grand Dieu ! se dit Justine en revoyant le soleil, une uvre
de pitié vient de m'engloutir toute vive pendant cinq mois ;
la promesse d'un crime rompt mes fers. Ô Providence ! explique-moi
donc tes incompréhensibles décrets, si tu ne veux pas
que mon cur se révolte.
Nos deux voyageuses s'arrêtèrent dans un cabaret pour déjeuner.
Justine ne disait mot, mais elle n'en combinait pas moins son projet
de liberté.
- Madame, s'écria-t-elle en s'adressant à la maîtresse
du logis, femme très douce et assez jolie, oh ! madame, je vous
conjure de m'accorder votre secours et votre protection. La créature
avec laquelle vous me voyez malgré moi, m'a fait jurer de la
suivre en un lieu où mon honneur est compromis ; je l'ai fait
pour me tirer d'une bande de coquins où j'avais le malheur d'être
prisonnière avec elle. Mon intention n'est pas de l'accompagner
plus longtemps ; je vous prie de l'engager à renoncer aux prétentions
qu'elle se croit sur mon individu, de la prier de suivre sa route, et
de me garder chez vous jusqu'à demain, époque où,
séparée d'elle, je prendrai, pour mon compte, une route...
si opposée à la sienne, que de la vie nous ne nous rencontrerons.
- Scélérate, dit Séraphine, furieuse, paye-moi
du moins si tu veux me quitter.
- J'atteste le ciel, dit Justine, que je ne lui dois rien... qu'elle
ne me force pas à m'expliquer plus clairement.
Séraphine effrayée disparaît en sacrant ; et Justine,
caressée, consolée par l'hôtesse, la plus honnête
et la plus aimable des femmes, passe quarante-huit heures dans cette
maison, avec la prudence de ne jamais dire, en racontant ses aventures,
rien qui puisse compromettre les malheureux qu'elle venait de quitter.
Le troisième jour au matin, elle se remit en marche, comblée
de présents... des amitiés de madame Delisle, et dirige
ses pas du côté de Vienne, décidée à
vendre ce qui lui restait, pour arriver à Grenoble, où
ses pressentiments ne cessaient de lui dire qu'elle devait trouver le
bonheur. Nous allons voir comment elle y réussit, après
avoir préalablement raconté les nouvelles traverses qui
l'attendaient, avant que de parvenir à cette capitale du Dauphiné.
Justine marchait tristement, toujours dirigée vers la ville de
Vienne, lorsqu'elle aperçoit, dans un champ à droite du
chemin, deux cavaliers qui foulaient un homme aux pieds de leurs chevaux,
et qui, après l'avoir laissé comme mort, se sauvèrent
à bride abattue. Ce spectacle affreux l'attendrit jusqu'aux larmes.
Hélas ! dit-elle, voilà un homme plus à plaindre
que moi ; il me reste au moins la santé et la force ; je puis
gagner ma vie ; et, si ce malheureux n'est pas riche, que va-t-il devenir
en l'état où ces fripons viennent de le mettre ?
A quelque point que Justine eût dû se défendre des
mouvements de la commisération, quelque funeste qu'il eût
été de tous les temps pour elle de s'y livrer, elle ne
put vaincre l'extrême désir qu'elle éprouvait de
se rapprocher de cet homme, et de lui prodiguer ses secours. Elle vole
à lui, lui fait respirer quelques gouttes d'eau spiritueuse,
et jouit enfin de toute la reconnaissance de l'infortune qu'elle soulage.
Plus ses soins réussissent, plus elle les redouble. Un des seuls
effets qui lui restent, une chemise... elle la met en pièces
pour étancher le sang du blessé. Ces premiers devoirs
remplis, elle lui donne à boire quelques gouttes de cette même
liqueur spiritueuse. Le voyant tout à fait remis, elle l'observe.
Quoique à pied, et dans un équipage assez leste, cet homme
ne lui paraît pourtant pas dans la médiocrité ;
il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, des boîtes
; mais tout cela fort endommagé par son aventure.
- Quel est, dit-il, dès qu'il put parler, quel est l'ange bienfaisant
qui me secourt ? et que puis-je faire pour lui témoigner toute
ma gratitude ?
Ayant encore la simplicité d'imaginer qu'une âme, liée
par la reconnaissance, doit lui appartenir en entier, l'innocente Justine
croit pouvoir jouir du doux plaisir de faire partager ses pleurs à
celui qui vient d'en verser dans ses bras ; elle l'instruit de ses revers.
Il les écoute avec intérêt ; et, quand elle a fini
le récit de la dernière catastrophe qui vient de lui arriver
:
- Que je suis heureux, s'écrie l'aventurier, de pouvoir enfin
reconnaître tout ce que vous venez de faire pour moi !... Écoutez...
écoutez, mademoiselle, et jouissez du plaisir que j'éprouve
à vous convaincre qu'il est peut-être possible que je puisse
m'acquitter envers vous.
On me nomme Roland ; je possède un fort beau château dans
la montagne, à quinze lieues d'ici ; je vous invite à
m'y suivre ; et, pour que cette proposition n'alarme point votre délicatesse,
je vais vous expliquer tout de suite à quoi vous me serez utile.
Je suis garçon ; mais j'ai une sur que j'aime passionnément,
qui s'est vouée à ma solitude, et qui la partage avec
moi ; j'ai besoin d'un sujet pour la servir ; nous venons de perdre
celle qui remplissait cet emploi ; je vous offre sa place.
Justine, après avoir remercié son protecteur, lui demanda
par quel hasard un homme comme lui s'exposait à voyager sans
suite, et, ainsi que cela venait de lui arriver, à être
molesté par des fripons ?
- Un peu replet, jeune et vigoureux, je suis, depuis plusieurs années,
dit Roland, dans l'habitude de venir de chez moi à Vienne de
cette manière. Ma santé et ma bourse y gagnent. Ce n'est
pas que je sois dans le cas de prendre garde à la dépense
; car je suis riche ; vous en verrez bientôt la preuve, si vous
me faites l'amitié de venir chez moi ; mais l'économie
ne gâte jamais rien. Quant aux deux hommes qui viennent de m'insulter,
ce sont deux gentillâtres du canton, auxquels je gagnai cent louis
la semaine passée, dans une maison à Vienne. Je me contentai
de leur parole ; je les rencontre aujourd'hui, je leur demande ce qu'ils
me doivent, et voilà comme les scélérats me payent.
Notre compatissante voyageuse continuait de plaindre cet infortuné,
du double malheur dont il était victime, lorsque l'aventurier
lui proposa de se remettre en route.
- Grâce à vos soins, je me sens un peu mieux, lui dit-il
; la nuit approche ; gagnons une maison qui doit être à
deux lieues d'ici ; les chevaux que nous y prendrons demain, nous déposeront
chez moi le même soir.
Absolument décidée à profiter des secours que le
ciel lui envoyait, Justine aide Roland à se mettre en marche
; elle le soutient, et trouve effectivement, à deux lieues de
là, l'auberge annoncée par son compagnon de route. Tous
deux y soupent honnêtement ensemble. Après le repas, Roland
la recommande à la maîtresse du logis ; et le lendemain,
sur deux mulets de louage, qu'escortait un valet de l'auberge, nos gens
gagnent la frontière du Dauphiné, se dirigeant toujours
vers les montagnes. La traite étant trop longue pour ne remplir
qu'un jour, ils s'arrêtèrent à Virieu, où
Justine éprouva les mêmes soins, les mêmes égards
de son patron ; et le jour suivant, ils continuèrent leur marche,
toujours dans la même direction. Sur les quatre heures du soir,
ils arrivèrent au pied des montagnes ; là, le chemin devenant
presque impraticable, Roland recommanda au muletier de ne pas quitter
Justine, et tous trois pénétrèrent dans les gorges.
Notre héroïne, que l'on faisait tourner, monter et descendre,
depuis plus de quatre heures, et qui ne reconnaissait plus aucune trace
de chemin, ne put s'empêcher de témoigner un peu d'inquiétude.
Roland la démêle, et ne dit mot. Un tel silence effrayait
davantage cette malheureuse fille, lorsqu'elle aperçut enfin
un château perché sur la crête d'une montagne, au
bord d'un précipice affreux, dans lequel il semblait prêt
à s'abîmer. Aucune route ne paraissait y tenir ; celle
que l'on suivit, seulement pratiquée par des chèvres,
remplie de cailloux de tous cotés, arrivait cependant à
cet effrayant repaire, ressemblant bien plutôt à un asile
de voleurs, qu'à l'habitation de gens honnêtes.
- Voilà ma maison, dit Roland, dès qu'il crut que le château
avait frappé les regards de Justine ; et, sur ce que celle-ci
lui témoignait son étonnement de le voir habiter une telle
solitude : C'est ce qui me convient, lui répond-il avec brusquerie.
Cette réponse, comme on l'imagine aisément, redoubla les
craintes de notre infortunée. Rien n'échappe dans le malheur
; un mot, une réflexion, plus ou moins prononcée chez
ceux de qui l'on dépend, étouffe ou ranime l'espoir. Mais,
n'étant plus à même de prendre un parti différent,
Justine se contint. Enfin, à force de tourner, l'antique masure
se trouva tout a coup en face. Roland descendit de sa mule ; par ses
ordres. Justine en fait autant ; et, ayant remis ses montures au valet,
il le paye et le congédie. Ce nouveau procédé déplut
encore, Roland le vit.
- Qu'avez-vous, Justine ? demanda-t-il assez doucement, tout en s'acheminant
vers son habitation ; vous n'êtes point hors de France, cette
maison est sur les frontières du Dauphiné ; elle dépend
de Grenoble.
- Soit, monsieur... mais, comment vous est-il venu dans l'esprit de
vous fixer dans un tel coupe-gorge ?
- C'est que ceux qui l'habitent ne sont pas des gens très honnêtes,
dit Roland ; il serait possible que vous ne fussiez pas fort édifiée
de leurs occupations.
- Ah ! monsieur, vous me faites frémir ! où me menez-vous
donc ?
- Je te mène servir des faux-monnayeurs, dont je suis le chef,
dit Roland en saisissant le bras de Justine, et lui faisant traverser
de force un petit pont qui s'abaissa et se releva tout de suite après.
Vois-tu ce puits, continua-t-il dès que l'on fut entré,
en montrant à Justine une grande et profonde grotte, située
au fond de la cour, où quatre femmes, nues et enchaînées,
faisaient mouvoir une roue ; voilà tes compagnes, et voilà
ta besogne. Moyennant que tu travailleras journellement dix heures à
tourner cette roue, et que tu satisferas, comme ces femmes, tous les
caprices où il me plaira de te soumettre, il te sera accordé
six onces de pain noir et un plat de fèves par jour. Pour ta
liberté, renonces-y, tu ne l'auras jamais. Quand tu seras morte
à la peine, on te jettera dans le trou que tu vois à côté
de ce puits, avec deux cents autres coquines de ton espèce qui
t'y attendent, et l'on te remplacera par une nouvelle.
- Oh ! grand Dieu ! s'écria Justine en se précipitant
aux pieds de Roland, daignez vous rappeler, monsieur, que je vous ai
sauvé la vie... qu'un instant, ému par la reconnaissance,
vous semblâtes m'offrir le bonheur, et que c'est en m'engloutissant
dans un abîme éternel de maux que vous acquittez mes services.
Ce que vous faites est-il juste ? et le remords ne vient-il pas déjà
me venger au fond de votre cur ?
- Qu'entends-tu, je te prie, par ce sentiment de reconnaissance dont
tu t'imagines m'avoir captivé ? dit Roland. Raisonne mieux, chétive
créature. Que faisais-tu, quand tu vins à mon secours
? Entre la possibilité de suivre ton chemin et celle de venir
à moi, n'as-tu pas choisi le dernier parti comme un mouvement
inspiré par ton cur ? Tu te livrais donc à une jouissance.
Par où diable prétends-tu que je sois obligé de
te récompenser des plaisirs que tu te donnes ? et comment te
vint-il jamais dans l'esprit qu'un homme qui, comme moi, nage dans l'or
et dans l'opulence, daigne s'abaisser à devoir quelque chose
à une misérable de ton espèce ? m'eusses-tu rendu
la vie, je ne te devrais rien, dès que tu n'as agi que pour toi.
Au travail, esclave, au travail. Apprends que la civilisation, en bouleversant
les principes de la nature ne lui enlève pourtant pas ses droits.
Elle créa, dans l'origine, des êtres forts et des êtres
faibles, avec l'intention que ceux-ci fussent toujours subordonnés
aux autres. L'adresse, l'intelligence de l'homme varièrent la
position des individus ; ce ne fut plus la force physique qui détermina
les rangs ; ce fut l'or. L'homme le plus riche devint le plus fort,
le plus pauvre devint le plus faible. A cela près des motifs
qui fondaient la puissance, la priorité du fort fut toujours
dans les lois de la nature, à qui il devenait égal que
la chaîne qui captivait le faible fût tenue par le plus
riche ou par le plus vigoureux, et qu'elle écrasât le plus
faible ou bien le plus pauvre. Mais ces mouvements de reconnaissance
dont tu veux me composer des liens, elle les méconnaît,
Justine ; il ne fut jamais dans ses lois que le plaisir où l'un
se livrait en obligeant, devint un motif pour celui qui recevait de
se relâcher de ses droits sur l'autre ; vois-tu, chez les animaux
qui nous servent d'exemples, de ces sentiments que tu réclames
? Lorsque je te domine par mes richesses ou par ma force, est-il naturel
que je t'abandonne mes droits, ou parce que tu as joui en m'obligeant,
ou parce qu'étant malheureuse, tu t'es imaginé de gagner
quelque chose à ton procédé ! Le service fût-il
même rendu d'égal à égal, jamais l'orgueil
d'une âme élevée ne se laissera courber par la reconnaissance.
Celui qui reçoit n'est-il pas toujours humilié ? et cette
humiliation qu'il éprouve ne paye-t-elle pas suffisamment le
bienfaiteur, qui, par cela seul, se trouve au-dessus de l'autre ? N'est-ce
pas une jouissance pour l'orgueil, que de s'élever au-dessus
de son semblable ? en faut-il d'autre à celui qui oblige ? Et
si l'obligation, en humiliant celui qui reçoit, devient un fardeau
pour lui, de quel droit le contraindre à le garder ? Pourquoi
faut-il que je consente à me laisser humilier chaque fois que
me frappent les regards de celui qui m'a obligé ? L'ingratitude,
au lieu d'être un vice, est donc la vertu des âmes fières,
aussi certainement que la reconnaissance n'est que celle des âmes
faibles ! Qu'on m'oblige tant qu'on voudra, si l'on y trouve une jouissance
; mais qu'on n'exige rien pour avoir joui.
A ces mots, auxquels Roland ne donna pas à Justine le temps de
répondre, deux valets la saisissent par ses ordres, la dépouillent,
font examiner son corps à leur maître, qui le touche et
le manie brutalement ; puis, l'enchaînent avec ses compagnes qu'elle
est obligée d'aider tout de suite, sans qu'il lui soit seulement
permis de se reposer une minute de la marche fatigante qu'elle vient
de faire. Roland l'approche alors ; il lui touche une seconde fois les
cuisses, les tétons et les fesses ; pétrit durement dans
ses doigts toutes ces chairs tendres et délicates ; l'accable
de sarcasmes et de mauvaises plaisanteries, en découvrant la
marque avilissante et peu méritée dont le cruel Rombeau
avait autrefois flétri cette malheureuse ; puis, s'armant d'un
nerf de buf, toujours là, il lui en applique soixante coups
sur le derrière, qui, boursouflant et meurtrissant toute la peau,
arrachent des cris à cette malheureuse, dont retentissent les
voûtes sous lesquelles elle est.
- Voilà comme tu seras traitée, coquine, dit cet infâme,
lorsque tu manqueras à ton devoir ; je ne te fais pas sentir
l'échantillon de ce traitement pour aucune faute déjà
commise, mais seulement pour te montrer comme j'agis avec celles qui
en font.
Justine redouble ses cris ; elle se débat sous ses fers ; et
les cruelles expressions de sa douleur ne servent que d'amusement à
son bourreau.
- Ah ! je t'en ferai voir bien d'autres, putain, dit Roland en venant
frotter avec la tête de son vit les gouttes de sang que faisaient
jaillir les coups qu'il continuait d'appliquer ; tu n'es pas au bout
de tes peines, et je veux que tu connaisses ici jusqu'aux plus barbares
raffinement du malheur.
Il la laisse.
Six réduits obscurs, situés sous une grotte autour de
ce vaste puits, et qui se fermaient comme des cachots, servaient pendant
la nuit de retraite aux malheureuses dont on vient de parler. Dès
que la nuit fut venue, on détacha Justine et ses compagnes, et
on les renferma dans ces niches, après leur avoir servi le mince
souper dont Roland avait fait la description.
A peine notre héroïne fut-elle seule, qu'elle s'abandonna
tout à l'aise à l'horreur de sa situation. Est-il possible,
se disait-elle, qu'il y ait des hommes assez durs pour étouffer
en eux le sentiment de la reconnaissance ?... Cette vertu où
je me livrerais avec tant de charmes, si jamais quelques âmes
honnêtes me mettaient dans le cas de la sentir, peut-elle donc
être méconnue de certains êtres et ceux qui l'étouffent
avec tant d'inhumanité doivent-ils être autre chose que
des monstres1 ?
Justine était plongée dans ces réflexions, lorsqu'elle
entend tout à coup ouvrir la porte de son cachot ; c'est Roland.
Le scélérat vient achever de l'outrager en la faisant
servir à ses odieux caprices... Et quels caprices, juste ciel
! On suppose aisément qu'ils devaient être aussi féroces
que ses procédés, et que les plaisirs de l'amour dans
un tel homme portaient nécessairement les teintes de son odieux
caractère. Mais comment abuser de la patience de nos lecteurs
pour leur peindre ces nouvelles atrocités ? N'avons-nous pas
déjà trop souillé leur imagination par d'infâmes
récits ? devons-nous en hasarder de nouveaux ? Hasarde... hasarde,
nous répond ici le philosophe ; on n'imagine pas combien ces
tableaux sont nécessaires au développement de l'âme.
Nous ne sommes encore aussi ignorants dans cette science, que par la
stupide retenue de ceux qui voulurent écrire sur ces manières.
Enchaînés par d'absurdes craintes, ils ne nous parlent
que de ces puérilités connues de tous les sots, et n'osent,
portant une main hardie dans le cur humain, en offrir à
nos yeux les gigantesques égarements. Obéissons, puisque
la philosophie nous y engage, et, rassurés par sa voix céleste,
ne craignons plus d'offrir le vice à nu.
Roland, qu'il est essentiel de peindre avant que de le mettre en scène,
était un petit homme court et gros, âgé de trente-cinq
ans, d'une vigueur incompréhensible, velu comme un ours, la mine
sombre, le regard farouche, fort brun, des traits mâles et prononcés,
le nez long, de la barbe jusqu'aux yeux, des sourcils noirs et épais,
et le vit d'une telle longueur, d'une grosseur si démesurée,
que jamais rien de pareil ne s'était encore présenté
aux yeux de Justine. A ce physique un peu repoussant, notre fabricateur
de faux louis joignait sur tous les vices qui peuvent résulter
d'un tempérament de feu, de beaucoup d'imagination et d'une aisance
toujours trop considérable pour ne l'avoir pas plongé
dans de grands travers. Roland achevait sa fortune. Son père,
qui l'avait commencée, l'avait laissé fort riche ; moyennant
quoi ce jeune homme avait déjà beaucoup vécu. Blasé
sur les plaisirs ordinaires, il n'avait plus recours qu'à des
horreurs ; elles seules parvenaient à lui rendre des désirs
épuisés par trop de jouissances. Les femmes qui le servaient
étaient toutes employées à ses débauches
secrètes ; et, pour satisfaire à des plaisirs un peu moins
malhonnêtes, dans lesquels ce libertin put néanmoins trouver
le sel du crime qui le délectait mieux que tout, Roland avait
sa propre sur pour maîtresse ; c'était avec elle
qu'il achevait d'éteindre les passions qu'il venait allumer près
des autres.
Il était presque nu quand il entra ; son visage très enflammé,
portait à la fois des preuves de l'intempérance de table
où il venait de se livrer, et de l'abominable luxure qui le dévorait.
Un instant il considère Justine avec des veux qui la font frémir.
- Quitte ces vêtements, lui dit-il en arrachant lui-même
ceux qu'elle avait repris pour se couvrir pendant la nuit... oui, quitte
tout cela, et suis-moi. Je t'ai fait sentir tantôt ce que tu risquerais
en te livrant à la paresse. Mais s'il te prenait envie de nous
trahir, comme le crime serait bien plus grand, il faudrait que la punition
s'y proportionnât ; viens donc voir de quelle espèce elle
serait.
La saisissant aussitôt par le bras, le libertin l'entraîne
; il la conduisait de la main droite, de la gauche il tenait une petite
lanterne, dont leur marche était faiblement éclairée.
Après plusieurs détours, la porte d'une cave se présente
; Roland l'ouvre ; et, faisant passer Justine la première, il
lui dit de descendre pendant qu'il referme cette clôture. A cent
marches, on en trouve une seconde, qui s'ouvre et se referme d'une égale
manière ; mais, après celle-ci, il n'y avait plus d'escalier
; c'était un petit chemin taillé dans le roc, rempli de
sinuosité, et dont la pente était extrêmement raide.
Roland ne disait mot. Ce silence effrayant redoublait la terreur de
Justine, qui, parfaitement nue, ressentait encore plus vivement l'horrible
humidité de ces souterrains. De droite et de gauche du sentier
qu'elle parcourait, étaient plusieurs niches où se voyaient
des coffres renfermant les richesses de ces malfaiteurs. Une dernière
porte de bronze s'offre enfin ; elle était à plus de huit
cents pieds dans les entrailles de la terre ; Roland l'ouvre ; et celle
qui le suit tombe à la renverse, en apercevant l'affreux local
où on la conduit. La voyant fléchir, Roland la relève,
et la pousse rudement au milieu d'un caveau rond, dont les murs, tapissés
d'un drap mortuaire, n'étaient décorés que des
plus lugubres objets. Des squelettes de toute sorte d'âges et
de toute sorte de sexes, entrelacés d'ossements en sautoir, de
têtes de morts, de serpents, de crapauds, de faisceaux de verges,
de disciplines, de sabres, de poignards, de pistolets, et d'armes absolument
inconnues : telles étaient les horreurs qu'on voyait sur les
murs qu'éclairait une lampe à trois mèches, suspendue
à l'un des coins de la voûte. Du cintre partait une longue
corde, qui tombait à huit pieds de terre, et qui, comme vous
allez bientôt le voir, n'était là que pour servir
à d'affreuses expéditions. A droite, était un cercueil,
qu'entrouvrait le spectre de la mort, armé d'une faux menaçante
; un prie-dieu était à côté ; sur une table,
un peu au delà, se voyait entre deux cierges noirs, un poignard
à trois lames crochues, un pistolet tout armé, et une
coupe remplie de poison. A gauche, le corps tout frais d'une superbe
femme, attaché à une croix ; elle y était posée
sur la poitrine, de façon qu'on voyait simplement ses fesses...
mais cruellement molestées ; il y avait encore de grosses et
longues épingles, dans les chairs, et des gouttes d'un sang noir
et caillé formaient des croûtes le long des cuisses ; elle
avait les plus beaux cheveux du monde ; sa belle tête était
tournée vers nous, et semblait implorer sa grâce. La mort
n'avait point défiguré cette sublime créature ;
et la délicatesse de ses traits, moins offensée de la
dissolution que de la douleur, offrait encore l'intéressant spectacle
de la beauté dans le désespoir. Le fond du caveau était
rempli par un vaste canapé noir, duquel se développaient
aux regards toutes les atrocités de ce lieu.
- Voilà où tu périras, Justine, dit Roland, si
tu conçois jamais la fatale idée de quitter cette maison
; oui, c'est ici que je viendrai moi-même te donner la mort...
que je t'en ferai sentir les angoisses par tout ce que je pourrai trouver
de plus dur.
En prononçant cette menace, Roland s'enflamme ; son agitation,
son désordre le rend semblable au tigre prêt à dévorer
sa proie. C'est alors qu'il met au jour le redoutable membre dont il
est pourvu.
- En as-tu quelquefois vu de semblables ? dit-il en le faisant empoigner
à Justine. Tel que le voilà, poursuivit ce faune, il faudra
pourtant bien qu'il s'introduise dans la partie la plus étroite
de ton corps, dussé-je le fendre en deux. Ma sur, bien
plus jeune que toi, le soutient dans cette même partie ; jamais
je ne jouis différemment des femmes : il faudra donc qu'il te
déchire aussi. Et pour ne laisser aucun doute sur le local qu'il
veut dire, il y introduit trois doigts armés d'ongles aigus,
en disant : Oui, c'est là, c'est là que j'enfoncerai tout
à l'heure, ce membre qui t'effraie ; il y entrera de toute sa
longueur ; il te déchirera l'anus ; il te mettra en sang ; et
je serai dans l'ivresse.
Il écumait en disant ces mots entremêlés de jurements
et de blasphèmes odieux. La main dont il effleure le temple qu'il
paraît vouloir attaquer, s'égare alors sur toutes les parties
adjacentes ; il les pince, il les égratigne ; il en fait autant
à la gorge, et la meurtrit tellement, que Justine en souffrit
quinze jours des douleurs horribles. Il la place ensuite sur le canapé,
frotte d'esprit de vin tout le poil de la motte, y met le feu, et le
brûle en totalité ; ses doigts s'emparent du clitoris,
ils le froissent rudement ; il les introduit de là dans l'intérieur,
et ses ongles molestent la membrane qui le tapisse. Ne se contenant
plus, il dit à Justine que puisqu'il la tient dans son repaire,
il vaut tout autant qu'elle n'en sorte plus, que cela lui évitera
la peine de redescendre... Notre infortunée se précipite
à ses genoux ; elle ose lui rappeler encore les services qu'elle
lui a rendus, et s'aperçoit bientôt qu'elle l'irrite davantage,
en lui parlant des droits qu'elle se suppose à sa pitié.
- Tais-toi, lui dit ce monstre en la renversant d'un coup de genou vigoureusement
appliqué dans le creux de son estomac... Allons, continue-t-il
en la relevant par les cheveux, allons, prépare-toi, bougresse,
il est certain que je vais t'immoler.
- Oh ! monsieur.
- Non, non, il faut que tu périsses ; je ne veux plus m'entendre
reprocher tes petits bienfaits ; je ne veux rien devoir à personne
; c'est aux autres à tenir tout de moi. Tu vas mourir, te dis-je.
Place-toi dans ce cercueil, que je voie si tu pourras y tenir.
Il l'y étend... il l'y enferme, et sort du caveau. Justine se
crut perdue ; jamais la mort ne s'était approchée d'elle
sous des formes plus sûres et plus hideuses. Cependant Roland
reparaît ; il la sort du cercueil.
- Tu serais au mieux, là-dedans, lui dit-il ; il semble que cette
bière ait été faite pour toi ; mais, t'y laisser
finir tranquillement, ce serait une trop belle mort ; je vais t'en faire
sentir une d'un genre différent, et qui ne laisse pas d'avoir
ses douceurs. Allons, implore ton foutu Dieu, putain ; prie-le d'accourir
te venger, s'il en a vraiment la puissance...
La malheureuse se jette sur le prie-dieu ; et pendant qu'elle ouvre
à haute voix son cur à l'Éternel, Roland
redouble, sur les parties postérieures qu'elle lui expose, ses
vexations et ses supplices. Il flagellait ces parties de toute sa force
avec un martinet armé de pointes d'acier, dont chaque coup faisait
jaillir le sang jusqu'à la voûte.
- Eh bien ! continuait-il en blasphémant, il ne te secourt pas,
ton Dieu ; il laisse ainsi souffrir la vertu malheureuse ; il l'abandonne
aux mains de la scélératesse ! Ah ! quel Dieu, Justine,
que ce Dieu-là... quel infâme bougre de Dieu ! Combien
je le méprise et le bafoue de bon cur ! Viens, lui dit-il
ensuite ; viens, ta prière doit être achevée ; en
faut-il tant pour un abominable Dieu qui t'écoute si mal ? Et
la plaçant, en disant ces mots, sur le bord du canapé
qui faisait le fond de ce lieu sépulcral : Je te l'ai dit, Justine,
reprit-il, il faut que tu meures. Il se saisit de ses bras, il les lie
sur ses reins ; puis il passe autour du cou de la victime un cordon
de soie noire, dont les deux extrémités, toujours tenues
par lui, peuvent, en se serrant à sa volonté, comprimer
la respiration de la patiente et l'envoyer dans l'autre monde dans le
plus ou le moins de temps qu'il lui plaira.
- Ce tourment est plus doux que tu ne penses, Justine, dit Roland ;
tu ne sentiras la mort que par d'inexprimables sensations de plaisir.
La compression de cette corde opérera sur la masse de tes nerfs,
va mettre en feu les organes de la volupté ; c'est un effet certain.
Si tous les gens condamnés à ce supplice savaient dans
quelle ivresse il fait mourir, moins effrayés de cette punition
de leurs crimes, ils les commettraient plus souvent et avec bien plus
d'assurance. Quel être balancerait à s'enrichir aux dépens
des autres, quand, à côté de la presque certitude
de n'être pas découvert, il aurait, pour toute crainte,
dans le cas où il le serait, la complète assurance de
la plus délicieuse des morts. Cette charmante opération,
poursuivit Roland, comprimant de même le local où je vais
me placer (et il enculait en disant cela), va doubler aussi mes plaisirs.
Mais ses efforts sont vains ; il a beau préparer les voies, beau
les ouvrir, et beau les humecter ; trop monstrueusement proportionné
pour réussir, ses entreprises sont toujours repoussées.
C'est alors que sa fureur n'a plus de bornes ; ses ongles, ses mains,
ses pieds servent à le venger des résistances que lui
oppose la nature. Il se présente de nouveau ; le glaive en feu
glisse au bord du canal voisin ; et de la vigueur de la secousse, il
y pénètre de plus de moitié. Justine pousse un
cri terrible. Roland, furieux de l'erreur, se retire avec rage, et,
pour cette fois, frappe l'autre porte avec tant de vigueur, que le dard
humecté s'y plonge en déchirant les bords. Roland profite
des succès de cette première secousse ; ses efforts deviennent
plus violents ; il gagne du terrain. A mesure qu'il avance, le fatal
cordon qu'il a passé autour du cou se resserre. Justine pousse
des hurlements épouvantables. Le féroce Roland, qu'ils
amusent, l'engage à les redoubler ; trop sûr de leur inutilité,
trop maître de les arrêter quand il voudra, il s'enflamme
à leurs sons aigus. Cependant l'ivresse est près de s'emparer
de lui ; les compressions du
cordon se modulent sur les degrés de son plaisir. Peu à
peu l'organe de notre infortunée s'éteint. Les serrements
alors deviennent si vifs, que ses sens s'affaiblissent sans qu'elle
perde néanmoins sa sensibilité. Rudement secouée
par le membre énorme dont Roland déchire ses entrailles,
malgré l'affreux état où elle est, elle se sent
inondée des jets de foutre de son épouvantable enculeur
; elle entend les cris qu'il pousse en le versant. Un instant de stupidité
succède ; mais, bientôt dégagée, ses yeux
se rouvrent à la lumière, et ses organes semblent s'épanouir.
- Eh bien ! Justine, lui dit son bourreau, je gage que si tu veux être
vraie, tu n'as senti que du plaisir.
Rien malheureusement n'était aussi sûr : le con tout barbouillé
de notre héroïne démontrait l'assertion de Roland.
Un instant elle voulut nier.
- Putain, dit le scélérat, crois-tu m'en imposer, lorsque
je vois le foutre inonder ton vagin ! tu as déchargé,
bougresse ; l'effet est inévitable.
- Non monsieur, je vous jure.
- Eh ! que m'importe ! tu dois, je l'imagine, me connaître assez
pour être bien certaine que ta volupté m'inquiète
infiniment moins que la mienne dans ce que l'entreprends avec toi ;
et cette volupté que je recherche a été si vive,
que je vais encore m'en procurer les jouissances.
C'est de toi, maintenant, dit Roland, c'est de toi seule, Justine, que
tes jours vont dépendre. Il passe alors autour du cou de cette
malheureuse la corde qui pendait au plafond. Dès qu'elle y est
fortement arrêtée, il lie au tabouret, sur lequel Justine
était montée, une ficelle dont il tient le bout, et va
se placer dans un fauteuil en face. Dans une des mains de la patiente
est une serpe très effilée, dont elle doit se servir pour
couper le corde au moment où, par le moyen de la ficelle qu'il
tient, il fera manquer le tabouret sous les pieds de Justine. Tu le
vois, ma fille, lui dit-il alors, si tu manques ton coup, je ne manquerai
pas le mien je n'ai donc pas tort de dire que tes jours dépendent
de toi. Le scélérat se branle le vit ; c'est au moment
de sa décharge qu'il doit tirer le tabouret, dont la fuite va
laisser Justine pendue au plafond. Il fait tout ce qu'il peut pour feindre
cet instant : il serait transporté, si Justine venait à
manquer d'adresse. Mais il a beau faire, elle le devine : la violence
de son extase le trahit. Justine saisit le mouvement ; le tabouret échappe,
elle coupe la corde, et tombe à terre, entièrement dégagée...
Là, le croira-t-on ? quoique à plus de douze pieds du
libertin elle est inondée des jets du foutre que Roland perd
en blasphémant.
Une autre que Justine, sans doute, profitant de l'arme qu'elle se trouvait
entre les mains, se fût aussitôt jetée sur ce monstre.
A quoi lui eût servi ce trait de courage ? N'ayant pas les clefs
de ces souterrains, en ignorant les détours, elle serait morte,
avant que d'en avoir pu sortir. D'ailleurs, Roland était sur
ses gardes. Elle se releva donc, laissant l'arme à terre, afin
qu'il ne conçût même pas sur elle le plus léger
soupçon. Il n'en eut point ; et, content de la douceur, de la
résignation de sa victime, bien plus que de son adresse, il lui
fit signe de sortir ; et tous deux remontèrent au château.
Le lendemain Justine examina mieux ce qui l'entourait. Ses quatre compagnes
étaient des filles de vingt-cinq à trente ans. Quoique
abruties par la misère et déformées par l'excès
des travaux, elles avaient de grands restes de beauté. Leur taille
était belle ; et la plus jeune, appelée Suzanne, avec
des yeux charmants, avait encore des traits délicieux. Roland
l'avait prise à Lyon ; et, après l'avoir enlevée
à sa famille, sous le serment de l'épouser, il l'avait
conduite dans son affreuse maison. Elle y était depuis trois
ans, et, plus particulièrement encore que ses compagnes, l'objet
des férocités de ce monstre. A force de coups de nerf
de buf, ses fesses étaient devenues calleuses et dures
comme une vieille peau de vache desséchée au soleil ;
elle avait un cancer au sein gauche, et un abcès dans la matrice,
qui lui causaient des douleurs inouïes. Tout cela était
l'ouvrage du perfide Roland ; chacune de ces horreurs était le
fruit de ses lubricités. Ce fut d'elle que Justine apprit que
ce coquin était à la veille de se rendre à Venise,
si les sommes considérables qu'il venait de faire dernièrement
passer en Espagne lui rapportaient les lettres de change qu'il attendait
pour l'Italie, parce qu'il ne voulait point porter son or au delà
des monts. Il n'y en envoyait jamais ; c'était dans un pays différent
de celui ou il se proposait d'habiter, qu'il faisait passer ses fausses
espèces. Par ce moyen, ne se trouvant riche, dans le lieu où
il voulait se fixer, que des papiers d'une autre contrée, ses
friponneries ne pouvaient jamais se découvrir. Mais tout pouvait
manquer dans un instant ; et la retraite qu'il méditait dépendait
absolument de cette dernière négociation, où la
plus grande partie de ses trésors était compromise. Si
Cadix acceptait ses piastres, ses sequins, ses louis faux, et lui envoyait
pour cela des lettres sur Venise, Roland était heureux le reste
de sa vie ; si la fraude était découverte, un seul jour
suffisait à culbuter le frêle édifice de sa fortune.
- Hélas ! dit Justine en apprenant ces particularités,
la Providence sera juste une fois ; elle ne permettra pas les succès
d'un tel monstre, et nous serons toutes vengées... Infortunée
! après les leçons que t'avait données cette même
Providence, sur laquelle tu avais la faiblesse de compter encore, était-ce
à toi de raisonner ainsi ?
On laissait à ces malheureuses, vers midi, deux heures de repos,
dont elles profitaient pour aller toujours séparément
respirer et dîner dans leurs chambres. A deux heures, on les rattachait,
et on les faisait travailler jusqu'à la nuit, sans qu'il leur
fût jamais permis d'entrer dans le château. Si elles étaient
nues, c'était afin d'être mieux à même de
recevoir les coups que venait leur appliquer Roland, qui trouvait toujours
des prétextes, et qui ne manquait jamais de vigueur. On leur
donnait l'hiver un gilet et un pantalon dégarni sur toute la
superficie du derrière, de façon que leurs corps n'en
étaient pas moins, en toute saison, exposé aux coups du
scélérat, dont l'unique plaisir était de les rouer.
Huit jours se passèrent sans que Roland parût. Le neuvième,
il vint au travail ; et, prétendant que Suzanne et Justine tournaient
la roue avec trop de mollesse, il leur distribua cinquante coups de
nerf de buf à chacune, depuis le milieu des reins jusqu'au
gras des jambes.
Au milieu de la nuit qui suivit ce même jour, le vilain homme
entra chez Justine ; il voulut contempler les meurtrissures du beau
cul de cette infortunée. Le coquin les baisa ; et, bientôt
échauffé par ces préliminaires, il lui mit le vit
dans le cul ; il lui pinçait la gorge en la sodomisant, et se
plaisait à lui dire des horreurs qui faisaient frémir
la nature. Quand il eut complètement déchargé,
Justine voulut profiter de ce moment de calme pour le supplier d'adoucir
son sort. La pauvre créature ignorait que si, dans de telles
âmes, le moment du délire rend plus actif le penchant qu'elles
ont à la cruauté, le calme ne les ramène pas davantage
aux douces vertus de l'honnête homme : c'est un feu plus ou moins
embrasé par les aliments dont on le nourrit, mais qui brûle
toujours sous la cendre.
- Et de quel droit, lui répondit Roland, prétends-tu que
j'allège tes chaînes ? est-ce en raison des fantaisies
que je veux bien me passer avec toi ? Mais, vais-je à tes pieds
implorer des faveurs de l'accord desquelles tu puisses exiger quelque
dédommagement ? Je ne te demande rien ; je prends, et ne vois
pas que, de ce que j'use d'un droit sur toi, il doive en résulter
qu'il me faille abstenir d'en exiger un second. Il n'y a point d'amour
dans mon fait ; l'amour est un sentiment chevaleresque souverainement
méprisé par moi, et dont mon cur ne sent jamais
les atteintes. Je me sers d'une femme par nécessité comme
d'un pot de chambre : j'emploie celui-ci quand le besoin de chier se
fait sentir, et l'autre, quand le besoin de décharger m'aiguillonne
; mais de ma vie je ne fis plus de cas de l'un que de l'autre. N'accordant
jamais à la femme, que mon argent et mon autorité soumettent
à mes désirs, ni estime ni tendresse, ne devant ce que
j'enlève qu'à moi-même, et n'exigeant jamais d'elle
que de la soumission, je ne puis être tenu, d'après cela,
à lui accorder aucune gratitude. Je demande à ceux qui
voudraient m'y contraindre, si un voleur qui arrache la bourse d'un
homme dans un bois, parce qu'il se trouve plus fort que lui, doit quelque
reconnaissance à cet homme du tort qu'il vient de lui causer
? Il en est de même de l'outrage fait à une femme : ce
peut être un titre pour lui en faire un second, mais jamais une
raison suffisante pour lui accorder des dédommagements.
- Oh ! monsieur, dit Justine, à quel point vous portez la scélératesse
!
- Au dernier période, dit Roland. Il n'est pas un seul écart
au monde où je ne me sois livré, pas un crime que je n'aie
commis, et pas un que mes principes n'excusent ou ne légitiment.
J'ai ressenti sans cesse au mal une sorte d'attrait tournant toujours
au profit de la volupté. Le crime alluma ma luxure ; plus il
est affreux, plus il m'irrite ; je bande en le projetant, je décharge
en le consommant ; et ses doux souvenirs réveillant mes esprits,
ce n'est jamais que dans l'intention d'un nouveau, que le foutre picote
mes couilles. Tiens, vois mon vit, Justine ; j'ai la ferme résolution
de t'assassiner : voilà d'où vient qu'il est en l'air
; le sperme en t'égorgeant en jaillira par flots, et de nouvelles
horreurs lui rendront bientôt toute son énergie. Il n'est
que le crime au monde pour faire bander un libertin ; tout ce qui n'est
pas criminel est fade ; et ce n'est jamais qu'au sein de l'infamie que
la lubricité doit naître.
- Ce que vous dites est affreux, répondit Justine ; mais malheureusement
j'en ai vu des exemples.
- Il en est mille, mon enfant. Il ne faut pas s'imaginer que ce soit
la beauté d'une femme qui irrite le mieux l'esprit d'un libertin
; c'est bien plutôt l'espèce de crime, qu'ont attaché
à sa possession les lois civiles ou religieuses ; la preuve en
est que, plus cette possession est criminelle, et plus nous en sommes
irrités. L'homme qui jouit d'une épouse qu'il dérobe
à son mari, d'une fille qu'il enlève à ses parents,
est bien plus délecté sans doute que le mari qui fout
sa femme ; et plus les liens qu'on brise paraissent respectables, plus
la volupté s'agrandit. Si c'est sa mère, son fils, sa
sur, sa fille, dont il jouisse, nouveaux attraits aux plaisirs
éprouvés. A-ton goûté tout cela, on voudrait
que les digues s'accrussent encore, pour donner plus de charmes à
les franchir. Or, si le crime assaisonne une jouissance, détaché
de cette jouissance, il peut donc en donner lui-même. Il y aura
donc alors une jouissance certaine dans le crime seul ; car il est impossible
que ce qui prête du sel n'en soit pas très pourvu soi-même.
Ainsi, je le suppose, le rapt d'une fille, pour son propre compte, donnera
un plaisir très vif ; mais le rapt, pour le compte d'un autre,
donnera tout le plaisir dont la jouissance de cette fille se trouvait
améliorée par le rapt. Le vol d'une montre, d'une bourse,
etc., en donnera également ; et, si j'ai accoutumé mes
sens à se trouver émus au rapt d'une fille, en tant que
rapt, ce même plaisir, cette même volupté, se retrouvera
au rapt de la montre, à celui de la bourse, etc. Et voilà
ce qui explique la fantaisie de tant d'honnêtes gens qui volent
sans en avoir besoin. Rien de plus simple de ce moment-là, et
que l'on goûte les plus grands plaisirs à tout ce qui sera
criminel, et que l'on rende, par tout ce que l'on pourra imaginer, les
jouissances simples aussi criminelles qu'il sera possible de les rendre.
On ne fait, en se conduisant ainsi, que prêter à cette
jouissance la dose de sel qui lui manquait, et qui devenait indispensable
à la perfection du bonheur. Ces systèmes mènent
loin, je le sais ; peut-être même te le prouverai-je avant
peu, Justine ; mais qu'importe, pourvu qu'on se soit délecté.
Y avait-il, par exemple, chère fille, quelque chose de plus naturel
que de me voir jouir de toi ? mais tu t'y opposes ; tu me prouves que
j'abuse de mes droits, que je deviens un monstre d'ingratitude en te
violant ; voilà la masse du crime augmentée. Je n'écoute
rien ; je brise tous les nuds qui captivent les sots ; je t'asservis
aux plus sales désirs ; et de la plus simple... de la plus monotone
jouissance, j'en fais une vraiment délicieuse. Soumets-toi donc,
putain, soumets-toi ; et, si jamais tu reviens au monde sous le caractère
du plus fort, abuse de même de tes droits, et tu connaîtras
de tous les plaisirs le plus délicieux et le plus vif.
Roland, à ces mots, passe autour du cou de Justine une corde
qu'il avait apportée, et l'encule, en serrant si prodigieusement
cette corde, qu'il la laisse sans connaissance. Qu'importe, il avait
déchargé ; et le vilain, sans s'inquiéter des suites,
ne s'en retira pas moins avec calme.
Il y avait six mois que notre héroïne était dans
cette maison, servant de temps en temps aux insignes débauches
de ce scélérat, lorsqu'elle le vit entrer un soir dans
sa prison avec Suzanne.
- Viens Justine, dans ce caveau qui t'a tant effrayée : suivez-y
moi toutes les deux ; mais ne vous attendez pas à remonter de
même ; il faut absolument que j'en laisse une ; nous verrons sur
laquelle tombera le sort. Justine se lève ; elle jette des yeux
alarmés sur sa compagne ; elle la voit en pleurs... Le bourreau
marche, il faut le suivre.
Dès qu'elles sont entrées dans le souterrain, Roland les
examine toutes deux avec des regards féroces ; il se complaît
à leur répéter leur arrêt, et à les
convaincre à tout instant, l'une et l'autre, qu'assurément
il en restera une des deux.
- Allons, dit-il en s'asseyant, et en les faisant tenir droites devant
lui, travaillez chacune à votre tour au désenchantement
de ce perclus ; et malheur à celle qui lui rendra son énergie.
- C'est une injustice, dit Suzanne ; celle qui vous fera le mieux bander
doit être celle à qui la grâce est due.
- Point du tout, répondit Roland ; dès qu'il sera prouvé
que c'est celle qui m'irrite davantage, il devient constant que c'est
celle dont la mort me donnera le plus de plaisir ; et je ne vise qu'à
la plus grande dose de volupté. D'ailleurs, en accordant la grâce
à celle qui va me mettre le plus tôt en état, vous
y procéderiez l'une et l'autre avec une telle ardeur, que vous
me feriez peut-être décharger avant que je n'aie assassiné
l'une des deux ; et c'est ce que je ne veux pas.
- C'est désirer le mal pour le mal seul, monsieur, dit Justine
effrayée ; le complément de votre extase doit être
la seule chose que vous devriez désirer, et si vous y arrivez
sans crime, quelle nécessité y a-t-il d'en commettre ?
- Parce que je ne perdrai mon foutre voluptueusement qu'ainsi, et que
ce n'est que pour en égorger une que je suis descendu dans ce
caveau. Je sais parfaitement que je réussirais sans cela ; mais
j'ai la méchanceté délicieuse d'exiger cela pour
réussir.
Et, ayant choisi Justine pour commencer, il se fait à la fois
branler par elle le vit et le trou du cul, pendant qu'il manie à
son aise toutes les parties de ce beau corps.
- Il s'en faut encore de beaucoup, Justine, dit Roland en pressant les
fesses, que ces belles chairs soient dans l'état de callosité...
de mortification où voilà celles de Suzanne : on brûlerait
les siennes sans qu'elle le sentit. Mais toi, Justine... mais toi, ce
sont encore des roses qu'entrelacent des lis... Nous y viendrons...
Nous y viendrons.
On n'imagine pas combien cette menace tranquillisa Justine ; Roland
ne se doutait pas sans doute, en la faisant, du calme qu'il répandait
en elle. N'était-il pas certain, en effet, que puisqu'il projetait
de la soumettre à de nouvelles cruautés, il n'avait pas
envie de l'immoler encore ?... Tout frappe dans l'infortune : Justine
se rassura. Autre surcroît de bonheur : elle n'opérait
rien ; et cette masse énorme, mollement repliée sur elle-même,
résistait à toutes les secousses. Suzanne, dans la même
attitude, était palpée dans les mêmes endroits ;
mais, comme les chairs étaient bien autrement endurcies, Roland
ménageait beaucoup moins. Suzanne était pourtant plus
jeune.
- Je suis persuadé, disait ce libertin, que les fouets les plus
effrayants ne parviendraient pas maintenant à tirer une goutte
de sang de ce cul-là.
Il les courbe l'une et l'autre ; et, s'offrant, par cette inclinaison,
les quatre routes du plaisir, sa langue frétille dans les deux
plus étroites ; le vilain crache dans les autres. Il les reprend
par devant, les fait mettre à genoux entre ses cuisses, de façon
que les deux gorges se trouvassent à hauteur de son vit.
- Oh ! pour les tétons, dit Roland en s'adressant à Justine,
il faut que tu le cèdes à Suzanne ; jamais cette partie
ne fut aussi belle en toi ; tiens, vois comme c'est fourni.
Et il pressait, en disant cela, le sein de cette pauvre Suzanne, jusqu'à
la meurtrir dans ses doigts. C'était elle qui le branlait alors.
A peine ce changement de main s'était-il opéré,
que le dard, s'élançant du carquois, menaçait déjà
tout ce qui l'entourait.
- Triste Suzanne, s'écria Roland, voici d'effrayants succès
; c'est ta mort... c'est l'arrêt de ta mort, coquine, poursuivit-il
en lui pinçant, en lui égratignant le bout des mamelles.
Pour celles de Justine, il les suçait et les mordillait seulement.
Il plaça enfin Suzanne à genoux sur le bord du sofa ;
il lui fait courber la tête, il l'encule dans cette posture. Tourmentée
par de nouvelles douleurs, Suzanne se débat ; et Roland, qui
ne veut qu'escarmoucher, content de quelques courses, vient se réfugier
au trou du cul de Justine, pendant qu'il ne cesse de palper et de molester
l'autre femme.
- Voilà une bougresse qui m'excite bien incroyablement, dit-il
en lui enfonçant une grosse épingle sur la fraise du téton
gauche ; je ne sais ce que je voudrais lui faire.
- Oh ! monsieur, dit Justine, ayez pitié d'elle ; il est impossible
que ses douleurs soient plus vives.
- Elles pourraient l'être beaucoup plus, dit le scélérat.
Ah ! si j'avais ici ce fameux empereur Kié, l'un des plus grands
monstres que la Chine ait vus sur son trône, nous ferions bien
autre chose, vraiment2. Sa femme et lui, chaque jour, immolaient des
victimes ; tous deux, dit-on, les faisaient vivre dans les plus terribles
angoisses, et dans un tel état de douleur, qu'elles étaient
toujours prêtes à rendre l'âme, sans pouvoir y réussir
par les soins cruels de ces barbares qui, les faisant flotter de secours
en tourments, ne les rappelaient cette minute-ci à la lumière
que pour leur offrir la mort celle d'après... Moi, je suis trop
doux, Justine, poursuivait ce taureau toujours limant, toujours déchirant
le sein de Suzanne... oh ! oui, je suis trop doux... je n'entends rien
à tout cela... je ne suis qu'un écolier.
Au bout d'une courte carrière, Roland se retire enfin, sans terminer
le sacrifice, et cause plus de mal à Justine par cette retraite
précipitée, qu'il ne lui en a fait en l'introduisant.
Il se jette, tout bandant, dans les bras de Suzanne ; et joignant le
sarcasme à l'outrage :
- Aimable créature, lui dit-il, comme je me rappelle avec délices
les premiers instants de notre union ! jamais femme ne me donna des
plaisirs plus vifs ! jamais je n'en aimai comme toi !... Embrassons-nous,
Suzanne ; nous allons nous quitter pour bien longtemps, peut-être.
- Tigre, répond cette malheureuse en repoussant avec horreur
celui qui lui tient d'aussi cruels discours, éloigne-toi ; ne
joins pas aux tourments que tu m'infliges le désespoir de m'entendre
outrager ainsi. Monstre, assouvis ta rage ; mais respecte au moins mes
malheurs.
Roland, furieux, la saisit ; il la couche sur le canapé, les
cuisses très ouvertes, le vagin bien bâillant, et bien
à sa portée. Puis poursuivant ses indignes sarcasmes :
- Temple de mes anciens plaisirs, s'écrie cet infâme ;
vous qui m'en procurâtes de si délicieux quand je cueillis
vos premières roses, il faut bien que je vous fasse aussi mes
adieux... L'indigne... il y introduit ses ongles ; et farfouillant avec,
plusieurs minutes, dans l'intérieur, pendant lesquelles Suzanne
jetait les hauts cris, il ne les retire que couverts de sang. Ne croyant
pas avoir fait assez de mal, il y fait pénétrer une grosse
aiguille, et la lance jusqu'à la matrice. Le sang ruisselait
à bouillons ; il le faisait couler sur son vit, et voulait que
Justine vint baiser ce vit, inondé du sang de sa compagne.
Rassasié de ces horreurs, et sentant bien qu'il ne lui était
plus possible de se contenir :
- Allons, dit-il, allons, chère Justine, dénouons tout
ceci par une petite scène du jeu de coupe-corde3 : tel était
le nom de cette funeste plaisanterie dont nous avons parlé plus
haut. Notre orpheline monte sur le trépied ; le vilain lui attache
la corde au cou, et se met vis-à-vis d'elle. Suzanne, quoique
dans un état affreux, l'excite de ses mains. Au bout d'un instant,
il tire le tabouret ; mais, armée de la serpe, Justine coupe
la corde, et tombe à terre, sans nul mal.
- Bien, bien, dit Roland ; à toi, Suzanne ; souviens-toi que
je te fais grâce, si tu t'en tires avec autant d'adresse.
Suzanne est mise à la place de Justine ; mais on la trompe sur
l'arme qui lui est confiée ; c'est une serpe qui ne coupe point.
Roland se plaît à la contempler un instant dans cet état
; il la touche, la manie partout, lui baise le cul avec délices,
et va s'asseoir en face ; Justine le branle. Tout à coup le tabouret
glisse ; mais les mouvements de Suzanne sont inutiles ; les plus affreuses
convulsions démontent les muscles de son visage, sa langue s'allonge.
Roland se lève... il se plaît extraordinairement à
considérer ainsi cette fille. Le croirait-on ? il suce avec volupté
cette langue que fait allonger la douleur.
- Oh ! Justine, s'écrie-t-il, quelle volupté ! La voilà
pendue, la garce ; la voilà morte... Oh ! double foutu dieu,
jamais il n'exista pour moi de plus délicieux spectacle... Redescendons-la...
appuyons-la sur ce canapé, je veux l'enculer dans cet état
; on dit que c'est la seule façon de prendre les femmes pour
les trouver étroites. Il exécute. Suzanne n'a plus de
connaissance ; et cependant, le monstre en jouit. Rattachons-là,
dit-il, elle n'est pas morte ; il faut qu'elle expire ; et c'est toi,
Justine, que je veux sodomiser en l'assassinant.
Voilà Suzanne suspendue de nouveau ; et le bougre, s'agitant
dans le cul de Justine, qu'il avait fait placer bien en face, décharge,
en étranglant sa maîtresse. Il ouvre une pierre qui masquait
un caveau plus profond encore, y précipite le cadavre, et sort
avec Justine.
- Douce fille, lui dit-il en chemin, tu as vu ce qui vient de se passer
; souviens-toi bien que tu ne rentreras plus dans ce caveau, que ce
ne soit ton tour.
- Quand vous voudrez, monsieur, répondit Justine ; je préfère
la mort à l'affreuse existence que vous me laissez : est-ce à
des malheureux comme nous que la vie peut être encore chère
? Et Roland, sans répondre, la renferme dans son cachot.
Le lendemain, les compagnes de Justine lui demandèrent ce qu'était
devenue Suzanne. Elle le leur apprit, et ne les étonna point
; toutes s'attendaient à la même fin ; et toutes, à
l'exemple de Justine, voyant le terme de leurs maux, désiraient
cette mort avec empressement.
Un an se passa de cette manière, pendant lequel deux des filles
qu'avait trouvées Justine en arrivant furent traitées
comme la malheureuse Suzanne, et remplacées par de nouvelles.
Une troisième disparut encore. Mais quel ne fut l'étonnement
de Justine, en voyant celle qui allait prendre le rang de cette dernière
victime !... C'était madame Delisle, l'hôtesse intéressante
chez qui Justine s'était séparée de l'infâme
catin qui ne l'avait sortie du repaire des mendiants que pour la prostituer
dans Lyon.
- Oh ! madame, s'écria Justine en la voyant... vous que la nature
a créée si douce et si bonne, à quel sort vous
voilà réduite ! est-ce donc ainsi que le ciel récompense
la sagesse, l'hospitalité, la bienfaisance, et toutes les vertus
qui font le bonheur des hommes !
Les charmes de madame Delisle avaient tellement échauffé
Roland, qu'il lui avait fait faire son entrée au caveau dès
le même soir de son arrivée. On imagine aisément
qu'elle n'avait pas été plus ménagée que
Justine ; elle en revint dans un état cruel ; et ce fut une consolation
pour toutes deux, de pouvoir au moins pleurer leur malheur ensemble.
- Oh ! mon aimable dame, répondait Justine aux détails
que la Delisle lui faisait des horreurs qu'elle venait d'éprouver,
que ne donnerais-je pas pour vous rendre tous les bienfaits que j'ai
reçus de vous ! mais, hélas ! malheureuse moi-même,
à quoi puis-je vous être bonne ? Ah ! si je pouvais briser
mes fers, comme je me hâterais de rompre les vôtres ! j'aurais
plus de plaisir à vous rendre libre, qu'à le devenir moi-même...
Ô Dieu ! vaine espérance ; nous ne sortirons jamais d'ici.
- L'infâme, répondait Delisle, il ne m'a traitée
ainsi que parce qu'il me doit. Il y a trois ans qu'il dépense
des sommes considérables dans ma maison, sans jamais payer. Dernièrement
il m'engage à une promenade ; j'ai la faiblesse d'y consentir
; deux de ses gens m'attendaient au coin d'un bois ; ils m'ont garrottée...
intercepté la respiration, et conduite ici, derrière un
mulet, enveloppée dans un manteau.
- Et votre famille ?
- Je n'ai qu'un enfant en bas âge ; mon mari mourut l'an passé,
et je suis orpheline. Le monstre était bien au fait de toutes
ces particularités, et voilà d'où vient qu'il a
cru pouvoir abuser de ma situation. Que va faire ma malheureuse petite
fille ? sans secours... sans protection, livrée a une servante
qui m'attend... Que tout cela va-t-il devenir ? J'ai supplié
ce malhonnête homme de me laisser au moins écrire... il
me l'a refusé. Je suis une femme perdue... Et des larmes coulaient
en abondance des beaux yeux de cette intéressante créature...
- Et ses jouissances, demandait notre aimable consolatrice, vous ont
outragée sans doute comme elles flétrissent toutes celles
qui en sont victimes ? A ces mots la pudique créature montrait,
pour toute réponse, son joli derrière à Justine...
- Hélas, lui disait-elle, ma bonne, vous voyez ce qu'il m'a fait,
j'en suis toute escoriée... toute meurtrie... toute déchirée...
Oh ! de quels vices la nature a pétri cette vilaine âme
!
Telle était la situation des choses, lorsque l'on publia dans
le château que les désirs de Roland étaient satisfaits
; que non seulement il recevait pour Venise la quantité immense
de papiers qu'il avait désirée, mais qu'on lui redemandait
même encore dix millions de fausses espèces, dont on lui
ferait passer les fonds à volonté pour l'Italie. Il était
impossible que ce scélérat fit une plus belle fortune
; il partait avec plus de deux millions de rente, sans les espérances
qu'il pouvait concevoir. Tel était le nouvel exemple que la Providence
préparait à Justine ; telle était la nouvelle manière
dont elle voulait encore la convaincre que le bonheur n'était
que pour le crime, et l'infortune pour la vertu.
Ce fut alors que Roland vint chercher Justine pour descendre une troisième
fois dans le caveau. La malheureuse frémit en se rappelant les
menaces qu'il lui avait faites la dernière fois qu'ils y étaient
descendus.
- Rassure-toi, lui dit-il, tu n'as rien à craindre ; il est question
d'une chose qui ne concerne que moi... une volupté singulière,
dont je veux jouir, et qui ne te fera courir nul risque. Justine suit...
Dès que toutes les portes sont fermées :
- Chère fille, dit Roland, il n'y a que toi dans la maison à
qui j'ose me confier pour ce dont il s'agit ; il me fallait une très
honnête femme ; j'ai bien pensé à la Delisle, mais
toute sage que je la suppose, je la crois vindicative... et quant à
ma sur, je l'avoue, je te préfère à elle...
Pleine de surprise, Justine conjure Roland de s'expliquer.
- Écoute-moi, répond ce roué. Ma fortune est faite
; mais quelques faveurs que j'aie reçues du sort, il peut m'abandonner
d'un instant à l'autre ; je puis être guetté...
saisi dans le transport que je vais faire de mes richesses, et si ce
malheur m'arrive, ce qui m'attend, Justine, c'est la corde ; c'est la
même punition dont je compose mes plaisirs avec les femmes, qui
deviendra la mienne. Je suis convaincu, autant qu'il est possible de
l'être, que cette mort est infiniment douce ; mais comme les femmes
à qui j'en ai fait éprouver les premières angoisses,
n'ont jamais voulu être vraies avec moi, c'est sur mon propre
individu que je désire d'en éprouver la sensation. Je
veux savoir, par mon expérience même, s'il n'est pas très
certain que cette compression détermine dans celui qui l'éprouve
le nerf érecteur à l'éjaculation. Une fois persuadé
que cette mort n'est qu'un jeu, je la braverai bien plus courageusement
; car ce n'est pas la cessation de mon existence qui m'effraie ; mes
principes sont faits sur cela ; et, bien persuadé que la matière
ne peut jamais redevenir que matière, je ne crains pas plus l'enfer
que je n'attends le paradis ; mais j'appréhende les tourments
d'une mort cruelle ; ainsi que tous les gens voluptueux, je crains la
douleur ; je ne voudrais pas souffrir en mourant.
- Oh ! monsieur, dit Justine, vous aimez pourtant bien à tourmenter
les autres.
- Eh vraiment oui, c'est précisément ce qui fait que je
ne veux pas l'être moi-même. Essayons donc. Tu me feras
tout ce que je t'ai fait. Je vais me mettre nu ; je monterai sur le
tabouret ; tu lieras la corde ; je me branlerai le vit un moment ; puis,
sitôt que tu me verras bander, tu retireras le tabouret, et je
resterai pendu ; tu m'y laisseras jusqu'à ce que tu voies ou
des symptômes de douleur, ou mon foutre s'élancer par flots
; dans le premier cas, tu couperas la corde sur-le-champ ; dans l'autre,
tu laisseras agir la nature, et tu ne me détacheras qu'après
ma décharge. Eh bien, Justine, tu le vois, je vais mettre ma
vie entre tes mains ; ta liberté, ta fortune, tel sera le prix
de ta bonne conduite.
- Oh ! monsieur, répondit Justine, il y a de l'extravagance à
cette proposition.
- Non, non, je le veux, répondit Roland en quittant ses habits
; mais conduis-toi bien ; vois quelle preuve je te donne de ma confiance.
A quoi servait-il à Justine de balancer une minute ? Roland n'était-il
pas maître d'elle ? Il lui paraissait d'ailleurs que le mal qu'elle
allait faire serait aussitôt réparé par l'extrême
soin qu'elle prendrait pour lui conserver la vie ; et, quelles que pussent
être les intentions de Roland, celles de Justine étaient
toujours pures.
On se dispose. Roland s'échauffe par quelques-uns de ses préliminaires
d'habitude ; la conversation tomba sur la Delisle.
- Cette créature ne te vaut pas, dit Roland ; j'aime assez son
cul... il est fort blanc, très bien coupé ; mais il est
moins étroit que le tien... elle n'est pas d'ailleurs si intéressante
que toi dans les larmes, et je la vexe enfin avec moins de plaisir...
Elle y passera, Justine, elle y passera, sois-en sûre.
- Et voilà donc, monsieur, comme vous payez vos dettes ?
- N'est-ce donc pas la meilleure de toutes les façons ! et le
meurtre n'est-il pas mille fois plus délicieux quand il emporte
avec lui l'idée du vol ? Allons, fais-moi baiser tes fesses,
Justine, et sois très sûre que je tuerai Delisle. Et comme
Roland bandait à ces mots, il s'élance sur le tabouret.
Justine lui lie les mains, l'attache ; il veut qu'elle l'invective pendant
ce temps-là, qu'elle lui reproche toutes les horreurs de sa vie
; notre héroïne le fait. Bientôt le vit de Roland
menace le ciel ; lui-même fait signe de retirer le tabouret...
Le croira-t-on ?... Rien de si vrai que ce qu'avait cru Roland ; ce
ne furent que des symptômes de plaisir qui se manifestèrent
sur le visage de ce libertin, et presque au même instant, des
jets rapides de semence s'élancent à la voûte. Quand
tout est répandu, sans que Justine ait aidé en quoi que
ce puisse être, elle vole le dégager. Il tombe évanoui
; mais à force de soins, elle lui fait bientôt reprendre
ses sens.
- Oh ! Justine, dit-il en ouvrant les yeux, on ne se figure point ces
sensations ; elles sont au-dessus de tout ce qu'on peut dire. Qu'on
fasse maintenant de moi ce qu'on voudra, je brave le glaive de Thémis.
Tu vas me trouver bien coupable envers la reconnaissance, Justine, dit
Roland en lui liant les mains derrière le dos ; mais que veux-tu,
ma chère, on ne se corrige point à mon âge. Chère
créature, tu viens de me rendre la vie, et je n'ai jamais si
fortement conspiré contre la tienne. Tu as plaint le sort de
Suzanne, eh bien, je vais te réunir à elle, je vais te
plonger vive dans le caveau où repose son corps.
Justine a beau pleurer, beau gémir, Roland n'écoute plus
rien. Il ouvre le caveau fatal, il y descend une lampe, afin que la
malheureuse puisse discerner encore mieux la multitude de cadavres dont
il est rempli ; il lui passe ensuite une corde sous les bras, qui, comme
on vient de le dire, étaient liés derrière son
dos, et, par le moyen de cette corde, il la descend à vingt pieds
au fond de ce caveau. On ne se peint point les douleurs de Justine ;
il semblait d'ailleurs qu'on lui arrachât les membres. De quelle
crainte ne devait-elle pas être saisie... quelle perspective s'offrait
à ses yeux ! des monceaux de corps morts, au milieu desquels
l'infortunée allait finir ses jours et dont l'odeur l'infectait
déjà. Roland arrête la corde autour d'un bâton
fixé en travers du trou ; puis, armé d'un couteau, l'il
fixé sur le poids qui pend au bâton, le vilain se branle
le vit.
- Allons, putain, s'écrie-t-il, recommande ton âme à
Dieu, l'instant de mon délire sera celui où je te jetterai
dans ce sépulcre, où je te plongerai dans l'éternel
abîme qui t'attend... Ahe... ahe... ahe... foutre, ah ! double
foutre dieu, je décharge. Et Justine se sent inondée d'un
déluge de sperme, sans que le monstre eût coupé
la corde... Il la retire.
- Eh bien, lui dit-il, as-tu eu bien peur ?
- Ah ! monsieur.
- C'est ainsi que tu mourras, Justine, sois-en bien assurée ;
et j'étais bien aise de t'y accoutumer... On remonte.
- Grand Dieu ! se dit encore Justine, quelle récompense de tout
ce que je viens de faire tout récemment pour lui ! Mais ne pouvait-il
pas m'en arriver davantage ? Oh ! quel homme !
Roland, enfin prépara son voyage ; il vint voir Justine la veille
à minuit. La malheureuse se jette à ses pieds ; elle le
conjure avec les plus vives instances de lui rendre sa liberté,
et d'y joindre quelque peu d'argent pour pouvoir se faire conduire à
Grenoble.
- A Grenoble ! assurément non, tu nous dénoncerais.
- Eh bien ! monsieur, dit Justine en arrosant de larmes les genoux de
ce scélérat, je vous fais serment de n'y jamais aller
; et, pour vous en convaincre, daignez me conduire avec vous jusqu'à
Venise. Peut-être n'y trouverai-je pas des curs aussi durs
que dans ma patrie ; et, une fois que vous aurez bien voulu m'y rendre,
je vous jure de ne vous y jamais importuner.
- Je ne t'accorderai pas pour secours un denier, répondit brutalement
cet insigne coquin. Tout ce qui tient à la pitié, à
la commisération, à la reconnaissance, est si loin de
mon cur, que, fussé-je trois fois plus riche encore, on
ne me verrait pas donner un écu à un pauvre. Le spectacle
de l'infortune m'irrite, il m'amuse ; et quand je ne puis faire du mal
moi-même, je jouis avec délices de celui que fait la main
du sort ; j'ai des principes sur cela dont je ne m'écarterai
jamais. Justine, le pauvre est dans l'ordre de la nature. En créant
les hommes de forces inégales, elle nous a convaincus du désir
qu'elle avait que cette inégalité se conservât de
même dans les changements que notre civilisation apporterait à
ses lois. Soulager l'indigent est anéantir l'ordre établi
; c'est s'opposer à celui de la nature ; c'est renverser l'équilibre
qui est la base de ses plus sublimes arrangements ; c'est travailler
à une égalité dangereuse pour la société
; c'est encourager l'indolence et la fainéantise ; c'est apprendre
au pauvre à voler l'homme riche, quand il plaira à celui-ci
de refuser l'aumône, et cela par l'habitude où ses secours
auront mis le pauvre de les obtenir sans travail.
- Oh ! monsieur, que ces principes sont durs ! Parleriez-vous de cette
manière, si vous n'aviez pas toujours été riche
?
- De même, assurément, Justine. L'aisance ne fait pas les
systèmes, elle les consolide ; mais leur germe est dans notre
cur ; et ce cur, tel qu'il puisse être, n'est jamais
l'ouvrage que de la nature.
- Et la religion, monsieur, s'écria Justine... la bienfaisance
et l'humanité.
- Sont les pierres d'achoppement de tout ce qui prétend au bonheur,
dit Roland. Si j'ai consolidé le mien, ce n'est que sur les débris
de tous ces infâmes préjugés de l'homme ; c'est
en me moquant des lois divines et humaines ; c'est en sacrifiant toujours
le faible quand je le trouvais dans mon chemin ; c'est en abusant de
la bonne foi publique ; c'est en ruinant le pauvre et servant le riche,
que je suis parvenu au temple escarpé de l'unique Dieu que j'encensais.
Que ne m'imitais-tu ? La route étroite de ce temple s'offrait
à tes yeux comme aux miens. Les vertus chimériques que
tu as préférées, t'ont-elles consolée de
tes sacrifices ? Il n'est plus temps, malheureuse, il n'est plus temps
; pleure sur tes fautes ; souffre et tâche de trouver, si tu peux,
dans le sein des fantômes que tu révères, ce que
le culte que tu leur as rendu t'a fait perdre.
Le cruel Roland, à ces mots, s'élance sur Justine et la
fait encore une fois servir aux indignes voluptés qu'elle abhorrait
avec tant de raison. Elle crut cette fois qu'elle serait étranglée.
Tout à coup il s'arrête sans terminer sa course. Ce procédé
fait frémir Justine ; elle y croit lire son malheur.
- Je suis bien dupe de me gêner, dit ce monstre en se retirant,
le vit écumant de luxure ; n'est-il donc pas temps que la garce
ait son tour ?
Il se lève, sort, et ferme le cachot. On ne rend point l'inquiétude
où il laissa cette infortunée. Mille pressentiments s'emparent
d'elle ; à peine a-t-elle la force de discerner celui qui l'agite
avec le plus d'empire. Son cachot s'ouvre au bout d'un quart d'heure.
C'est Roland ; il est avec sa sur ; c'est la première fois
que cette belle et intéressante créature s'offre aux yeux
de Justine. Oui, belle, elle l'était au-dessus de toute expression
; intéressante... assurément, puisqu'elle était,
comme les autres, à cela près d'un peu de bien-être,
esclave des passions d'un frère, qui, malgré l'amour qu'il
avait, disait-il, pour elle, la brutalisait pourtant chaque jour, et
cela, quoiqu'elle fût enceinte de lui.
- Suivez-moi toutes deux, dit Roland d'un air égaré. On
parvient en silence au funeste caveau. Tout est fini pour vous, ose
annoncer d'un air ferme et terrible ce redoutable anthropophage ; vous
ne verrez plus le jour. En prononçant ces funestes paroles, il
se saisit de sa sur ; et, s'emparant d'une poignée de verges,
il la fouette un quart d'heure entier sur tout le corps et particulièrement
sur le ventre.
- De combien de mois es-tu grosse ? s'écria le barbare en feu.
- De six, répond cette aimable et douce créature en se
jetant aux pieds de son frère. Si ta rage te porte à sacrifier,
à la fois, dans ma seule existence, ta sur, ta maîtresse,
ton amie, la mère de ton enfant, que ce ne soit au moins qu'après
que ce malheureux fruit de ton amour aura vu la lumière.
- J'en serais, sacredieu, bien fâché, dit Roland ; la terre
a bien assez d'un monstre tel que moi ; je ne veux point lui en rendre
l'image. Tu sais bien d'ailleurs que je n'aime pas la progéniture
; rien ne fut plus maladroit de ta part, comme de te laisser faire un
enfant ; tu traçais toi-même ton arrêt de mort avec
le foutre dont tu lui donnais la vie.
- Oh ! mon cher Roland.
- Eh, non, non, il faut que tu périsses avec ton fruit ; je veux
que dans une heure il ne soit pas plus question de la mère que
de l'enfant. Mais ne t'inquiète point, poursuit le scélérat,
en liant et garrottant sa malheureuse sur sur un banc de bois,
les cuisses très écartées et les reins relevés
par un sac de bourre ; non, ne t'inquiète point, je veux, en
arrachant l'arbre, en planter sur-le-champ un autre. Branle-moi, Justine,
pendant que j'opérerai.
L'infâme ! Oh ! grand Dieu ! comment rendre de telles exécrations
! Le monstre abominable ouvre avec un scalpel le ventre de sa sur...
en arrache lui-même le fruit, le foule aux pieds, et remplace
le germe qu'il détruit, par le foutre écumeux que lui
fait dégorger Justine. Il laisse cette malheureuse femme ouverte
et respirant encore. A ton tour, dit-il à Justine ; mais je veux
augmenter l'outrage de quelques procédés plus barbares
: le poids de la reconnaissance revient peser sur mon cur attendri
; il faut que je m'acquitte, il le faut. Et le gueux se rebranlait en
disant cela. Je vais te lier aux restes ensanglantés de cette
intéressante sur, et te descendre ainsi dans le caveau
des morts. Là, délaissée, sans secours, sans nourriture,
au milieu des crapauds, des rats et des couleuvres, tu satisferas toute
vive à la faim de ces animaux, en expirant toi-même à
petit feu des tourments de ce cruel besoin. Exécrablement aiguillonnée
par lui, tu dévoreras le cadavre auquel je t'attacherai... Oh
! bougresse, il faut bien que cette idée soit délicieuse
; car tu vois l'état où elle me met, quoique je viens
de perdre mon foutre. Viens, Justine. il faut que je t'encule encore
une fois avant que de te quitter pour la vie... Ah ! le beau cul, coquine
! quel dommage de livrer si tôt tant de charmes aux vers ! que
je te fouette, mon ange ; que je t'ensanglante à loisir pour
mieux décider l'érection.
Sa sur respirait encore ; elle haletait. C'est sur l'estomac de
cette moribonde que Roland place Justine. en telle sorte que les fesses
de celle-ci soient perpendiculaires aux deux tétons de l'autre.
L'opération commence ; le bourreau frappe à la fois et
la gorge palpitante de sa malheureuse sur, et les fesses charnues
de notre héroïne, qu'il courbe quelquefois, afin que sa
tête s'enfonce dans les entrailles que déchire sa rage.
- Ah ! putain, dit-il à Justine en la flagellant de toutes ses
forces, je voudrais te faire rentrer dans le ventre de ma sur,
t'y coudre, t'y enfermer, et t'y faire trouver ton cercueil... Mais,
cruel oubli ! je ne me le pardonne pas. Eh quoi ! Justine, une de tes
amies respire encore dans ces lugubres lieux, et ce n'est point dans
ses bras que je t'immole... Attends... attends, je vais la chercher.
Le monstre sort avec promptitude, et laisse sa triste victime tête
à tête avec cette femme expirante, et dont les cris déchiraient
le cur. La sensible Justine veut profiter de ce moment pour donner
quelques soins à sa compagne d'infortune. Hélas ! il n'est
plus temps ; le plus grand service qu'on pût lui rendre serait
de l'achever ; et ce ne sont pas des soins de cette espèce qui
s'allient à l'âme de Justine. Tout ce qu'elle fait est
donc inutile. On ne lui laisse d'ailleurs le temps de rien ; Roland
reparaît avec Delisle :
- Tiens, Justine, dit-il en la lui présentant ; rends grâces
à mes attentions ; je veux que ton amie meure avec toi.
Mille caresses, suivant l'usage, de ce scélérat, précèdent
ses atrocités. Le malheureux s'y livre à la fin ; c'est
avec une férule, armée de pointes de fer, que Roland s'apprête
à déchirer les belles fesses de la compatissante hôtelière
; il les met en sang. La fixant sur les deux autres femmes, il l'encule,
et les arrange si bien toutes les trois, qu'il passe alternativement
du ventre déchiré de l'une dans la bouche de l'autre,
et de celle-ci dans le cul de la troisième. Il saisit à
la fin la Delisle ; il la pend, lui monte sur les épaules, et
foule la tête avec les pieds pour mieux lacérer les vertèbres
du cou.
- Oh ! Justine, dit-il en se branlant de toutes ses forces, je te traiterais
de même si je ne bandais pas excessivement à l'idée
de t'enterrer toute vive... Ce supplice est affreux... mon foutre est
prêt à s'élancer sur la seule idée de te
voir souffrir.
Il se saisit en disant cela, de cette malheureuse, l'attache fortement
aux deux cadavres, et lie la masse entière à une grosse
corde. Entrouvrant alors le caveau des morts, il laisse couler une lampe
; puis se prépare à y placer de même les trois corps.
- Allons, Justine, il est temps, dit-il en continuant de se branler,
il est temps de nous séparer pour jamais... oui, pour jamais
; Justine, nous ne nous reverrons plus. Fille aveuglée, poursuivit-il,
voilà pourtant le fruit de tes vertus ; regarde s'il n'eût
pas mieux valu pour toi de ne jamais me secourir quand tu me rencontras,
que de donner à ton bourreau, par ces secours, tous les moyens
de te faire expirer de la plus effrayante des morts. Il descend les
corps en disant cela ; puis, dès qu'il sent que le poids est
à terre, le scélérat décharge au-dessus
de leur tête, et d'affreuses invectives accompagnent encore les
derniers élans de sa frénésie. Tout se termine
et la pierre se ferme.
Ô malheureuse Justine ! ô fille trop infortunée !
te voilà donc vivante au milieu des morts, liée entre
deux cadavres, et plus morte toi-même que ceux qui t'environnent
!
- Juste Dieu ! s'écrie-t-elle en contemplant l'horreur de sa
situation ; est-il dans la nature un être aussi à plaindre
que moi ? Dieu que j'implore, ne m'abandonne pas, et donne-moi la force
nécessaire à me préserver du désespoir où
mon triste sort me réduit. Rien de ce que tu fais n'est sans
but ; je ne t'interroge point sur tes décrets : ils doivent être,
je le sais, incompréhensibles comme toi ; mais, de quel crime
suis-je donc coupable pour être traitée comme je le suis
? N'importe, si tu le veux, je m'y soumets ; que ta volonté s'accomplisse
; j'étais peut-être un instrument du crime, que ta justice
veut briser. Je t'abandonne, ô mon Dieu, ce corps épuisé
par la douleur, et qu'ont si longtemps desséché les larmes
de la misère et du désespoir ; mais laisse revoler vers
toi cette âme aussi pure que quand il te plût de me la donner,
et que tes bras consolateurs s'ouvrent au moins pour y recevoir une
malheureuse qui n'a jamais vécu que pour toi.
Justine n'était éclairée que d'une lampe funèbre
; elle profite du moment où brûle ce fatal luminaire, pour
se débarrasser de ses fers ; les corps entre lesquels on l'avait
liée ne vivant plus, elle eut moins de peine à se dégager
; elle y réussit à la fin. Son premier mouvement est d'en
rendre grâces à l'Être suprême. Elle jette
ensuite un il d'horreur sur ce qui l'environne ; il lui est impossible
de compter les cadavres dont est couvert le sol impur de ce lieu d'horreurs
; elle y croit reconnaître pourtant ceux des femmes qui l'ont
précédée. Il paraissait que la dernière
qu'on y avait descendue, y était, comme Justine, arrivée
pleine de vie, et qu'elle y avait même souffert les horreurs de
la faim. Presque droite, appuyée contre le mur, elle tenait encore
dans des doigts un crâne dans lequel, sans doute, la malheureuse
a cru trouver la chétive subsistance exigée par l'impérieuse
loi de la nature...
- Oh ! Dieu ! Dieu ! voilà donc quelle sera ma fin, s'écrie
Justine ; voilà les tourments que je vais ressentir, et les angoisses
qui vont terminer ici mes déplorables jours ! Elle avait déjà
passé quinze heures dans ce lieu dégoûtant, où
le défaut d'air et l'infection, en absorbant en elle toutes les
facultés de son existence, l'avaient jusqu'alors empêchée
d'éprouver aucun besoin. Depuis longtemps la lampe ne brûlait
plus. Assise entre deux cadavres, l'infortunée attendait en silence
qu'il plût à l'Être Suprême de la rappeler
vers lui ; et ses idées, comme on l'imagine aisément,
étaient aussi lugubres que sa position... lorsque tout à
coup elle entend du bruit... Elle écoute ; ce n'est point une
illusion. Les portes s'ouvrent... Il n'y a rien, disent confusément
des voix d'hommes et de femmes qu'elle distingue à peine...
- Vous vous trompez, dit-elle en criant de toutes ses forces, une malheureuse
victime respire dans ces lieux d'horreurs ; daignez prendre pitié
d'elle, et délivrez-la le plus tôt qu'il vous sera possible.
Elle expire...
On écoute. Justine pousse de nouveaux cris. On cherche la pierre
qui bouche le caveau ; notre prisonnière l'indique comme elle
peut... Elle se lève enfin.
- Au nom du ciel, sauvez-moi d'ici, dit Justine...
- Quoi !... Justine ! dit une voix de femme.
- Elle-même. Sauvez-la du cruel traitement où notre maître
commun l'a condamnée.
- Il ne règne plus sur nous, répond la même femme,
que Justine reconnaît pour une de ses anciennes compagnes ; le
ciel nous en a délivrés... Viens jouir de la prospérité
commune que cet événement nous donne à tous. Une
échelle se descend aussitôt ; et voilà Justine remontée
dans l'affreux boudoir de Roland. Elle s'imagine être déjà
dans le monde, en revoyant ce caveau dans lequel elle ne descendait
jamais sans se croire à mille lieues de l'univers. Sa camarade
l'embrasse. Les deux hommes qui l'accompagnent s'empressent de lui apprendre
que Roland est enfin parti, et que le nouveau chef de cette maison est
maintenant Delville, homme doux et sensible, dont les premiers soins
ont été de réparer toutes les atrocités
de son prédécesseur. C'est par les ordres de cet honnête
individu que tout se fouille avec exactitude ; c'est par ses bontés...
par son zèle, que tout se calme et se civilise dans ce séjour,
où des crimes assez grands se commettent déjà,
dit Delville, sans les accompagner d'épisodes inutiles et qui
font frémir la nature.
Justine remonte au château, pleine d'espérance et de joie.
On la soigne... on la restaure... on lui demande ses dernières
aventures ; elle les raconte ; et, dès le même soir, elle
est établie, comme ses compagnes, dans de très bonnes
chambres où l'on ne les occupe plus qu'à la taille des
pièces de monnaie, métier moins fatigant, sans doute,
que celui qu'elles exerçaient auparavant, et dont elle était
récompensée, ainsi que les autres, par tout plein d'égards
et par une excellente nourriture.
Au bout de deux mois Delville, successeur de Roland, fit part à
toute la maison de l'heureuse arrivée de son confrère
à Venise. Il y était établi ; il y avait réalisé
sa fortune, et y jouissait de tout le repos... de tout le bonheur dont
un homme pouvait se flatter. Il s'en fallut bien que le sort de celui
qui le remplaçait fût le même. Le malheureux Delville
était honnête dans sa profession ; n'en était-ce
pas plus qu'il n'en fallait pour être promptement écrasé
?
Un jour que tout était tranquille à la maison... que,
sous les lois de ce bon maître, le travail, quoique criminel,
s'y faisait pourtant avec gaîté... où la malheureuse
Justine, plus calme, s'occupait doucement des moyens de pouvoir quitter
ces gens-ci, les portes s'enfoncent tout à coup, les fossés
s'escaladent et le château, avant que ceux qui l'habitent aient
le temps de songer à leur défense, se trouve rempli de
soixante cavaliers de maréchaussée. Il faut bien se rendre
; il ne reste aucun moyen de faire autrement. On enchaîne tous
ces misérables comme des bêtes ; on les attache sur des
chevaux, et on les conduit à Grenoble.
- Eh bien ! dit Justine en y entrant, c'est donc l'échafaud qui
va faire mon sort dans cette ville, où j'avais la foi de croire
que le bonheur devait naître pour moi... Ô pressentiments
de l'homme, à quel point vous êtes trompeurs !
Le procès des faux monnayeurs fut bientôt fait ; tous furent
condamnés à être pendus. Lorsque l'on vit la marque
dont Justine était flétrie, on s'évita presque
la peine de l'interroger ; et elle allait être traitée
comme les autres, quand elle essaya d'obtenir enfin quelque peu d'attention
du magistrat fameux, honneur de ce tribunal... juge intègre...
citoyen chéri... philosophe éclairé, dont la sagesse
et la bienfaisance graveront à jamais, au temple de Thémis,
le nom célèbre en lettres d'or. Il l'écouta. Convaincu
de la bonne foi de cette infortunée, et de la vérité
de ses malheurs, il daigna mettre à l'examen de son procès
un peu plus d'importance que n'en avaient mis ses collègues à
l'affaire des autres coupables. M S... devint lui-même l'avocat
de Justine. Les plaintes de cette pauvre fille furent écoutées
; les dépositions générales des faux monnayeurs
vinrent à l'appui du zèle de celui qui prenait la défense
de la vertu dans les fers ; et notre intéressante héroïne
fut unanimement déclarée séduite, innocente, et
pleinement déchargée d'accusation, avec l'entière
liberté de devenir ce qu'elle voudrait. Son protecteur joignit
à ce service le produit d'une quête entreprise pour elle,
et qui lui rapporta plus de cinquante louis. Enfin, Justine voyait luire
a ses yeux l'aurore du bonheur ; elle se croyait au terme de ses maux...
le ciel paraissait juste à son égard, quand il plut à
la Providence de la convaincre que ses desseins sur elle ne varieraient
jamais, et qu'elle était encore bien loin de voir réaliser
les chimères que son esprit trompé croyait enfin saisir.
1 Justine ici raisonne en égoïste ; il est impossible de
se le dissimuler. Elle est malheureuse, et par conséquent surprise
d'être repoussée. Mais l'homme heureux, raisonnant d'après
les mêmes principes, ne dira-t-il pas également : Pourquoi,
moi qui ne souffre point, moi qui peux satisfaire à tout sans
avoir besoin de personne, irai-je, ou froidement mériter la reconnaissance
des autres, ou m'exposer, par mes bienfaits, à ne trouver que
des ingrats ? L'apathie, l'insouciance, le stoïcisme, la solitude
de soi-même, voilà le ton où il faut nécessairement
monter son âme, si l'on veut être heureux sur la terre.
2 L'empereur chinois, Kié, avait une femme aussi cruelle et aussi
débauchée que lui. Le sang ne leur coûtait rien
à répandre ; et, pour leur seul plaisir, ils en versaient
journellement des flots. Ils avaient, dans l'intérieur de leur
palais, un cabinet secret où leurs victimes s'immolaient sous
leurs yeux pendant qu'ils foutaient. Théo, l'un des successeurs
de ce prince eut, comme lui, une femme très cruelle. Ils avaient
inventé une colonne d'airain, que l'on faisait rougir, et sur
laquelle on attachait des infortunés sous leurs yeux. «
La princesse, dit l'historien dont nous empruntons ces traits, s'amusait
infiniment des contorsions et des cris de ces tristes victimes ; elle
n'était pas contente, si son mari ne lui donnait fréquemment
ce spectacle. » Hist. des Conj. pag. 43, tom. 7.
3 Ce jeu, qui a été décrit plus haut, était
fort en usage chez les Celtes, dont nous descendons. (Voyez l'Histoire
des Celtes, par Peloutier.) Presque tous les écarts de débauche,
les passions singulières du libertinage décrites dans
l'histoire de Justine, et qui réveillaient si ridiculement jadis
l'attention des lois, étaient, dans des temps plus reculés
encore, ou des jeux de nos ancêtres, ou des coutumes légales,
ou des cérémonies religieuses. Dans combien de cérémonies
pieuses des païens, par exemple, ne faisait-on pas de la fustigation
? Plusieurs peuples employaient ces mêmes tourments pour installer
leurs guerriers : cela s'appelait Huscanavar. (Voyez les cérémonies
religieuses de tous les peuples de la terre.) Ces plaisanteries, dont
tout l'inconvénient est, au plus, la mort d'une putain, étaient
des crimes capitaux dans le dernier siècle, et dans les quatre-vingts
premières années de celui-ci ; mais on s'éclaire,
et, grâce à la philosophie, un honnête homme ne sera
plus sacrifié pour une raccrocheuse. Mettant ces viles créatures
à leur véritable place, on commence à sentir qu'uniquement
faites pour servir de victimes à nos passions, ce n'est que leur
désobéissance qu'il faut punir, et non pas nos caprices.
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