CHAPITRE XVI
FIN DES ORGIES - DISSERTATION
- COMMENT LA SOCIÉTÉ SE SÉPARE - FUITE DE JUSTINE
La luxurieuse assemblée,
réunie le lendemain pour de nouvelles infamies, s'amusa tout
aussi gaiement que si la plus atroce de toutes les cruautés n'eût
pas été commise la veille. Et voilà quelle est
l'âme de ces libertins ; absolument blasés sur toute autre
sensation que celle de leurs vices, la plus coupable indifférence
ou les entraîne à de nouveaux crimes, ou les console bientôt
des anciens. Rose et Lili soutinrent ce jour-là et les deux suivants,
tout le poids des lubricités de ces monstres. Pour Gernande,
s'acharnant sur Marceline, sa sur, à laquelle il trouvait
les plus beaux bras du monde, il la saigna dix fois dans ces deux jours,
collant sans cesse sa bouche sur les jets de sang, les laissant jaillir
dans son gosier, et s'en humectant les entrailles. « Il me semble,
lui disait Bressac, très partisan de ce raffinement, il me semble,
mon oncle, que ce ne peut être qu'ainsi que votre fantaisie doit
avoir des charmes. Quand on aime le sang, il faut s'en rassasier ; l'anthropophagie
n'est constatée qu'alors, et j'avoue que l'anthropophagie me
fait bander. » Tous essayèrent ce charmant épisode
; Dorothée même avala le sang de Marceline. Ces horreurs
s'entremêlaient de promenades, pendant l'une desquelles Bressac
découvrit une jeune fille de quatorze ans, belle comme le jour,
et qu'il enleva pour en amuser la société. Rien ne fut
reçu comme ce présent ; et il n'y eut sorte de vilenies,
de supplices et d'exécrations qui ne se commirent avec cette
malheureuse. On raisonnait un soir sur l'heureux hasard de cette découverte,
quand madame de Gernande s'avisa de dire : « Croyez-vous, messieurs,
que si les parents de cette infortunée se trouvaient aussi puissants
que vous, ils ne poursuivraient pas l'infamie dont vous venez de les
accabler ? Or, si la misère est la seule cause de la tranquillité
dans laquelle ils vous laissent, n'êtes-vous pas des scélérats
d'en abuser ainsi ! »
- Mon ami, dit Verneuil à son frère, si ma femme eût
osé me faire un raisonnement aussi absurde que celui-là,
je l'eus fait mettre à genoux devant la compagnie, et fustiger
jusqu'au sang par mon laquais ; mais comme madame ne m'appartient pas,
je vais me contenter de pulvériser son objection.
- Voilà qui est à merveille, répondit le maître
du château ; mais comme je ne prétends pas être plus
doux que mon frère, la société trouvera bon que
madame de Gernande n'écoute le discours qui va lui être
fait, que dans une attitude de douleur. Je la condamne donc à
être à quatre pattes, les fesses fort en l'air ; deux bougies,
très près de son cul, en grésilleront lentement
la peau pendant ce temps-là.
Des bravos retentirent ; madame de Gernande est placée, et Verneuil
commence.
- Établissons d'abord, je vous prie, dit Verneuil, comme bases
inébranlables de tout système sur pareilles matières,
qu'il y a nécessairement dans les intentions de la nature une
classe d'individus essentiellement soumise à l'autre par sa faiblesse
et par sa naissance ; ceci posé, si le sujet sacrifié
par l'individu qui se livre à ses passions est de cette classe
faible et débile, le sacrificateur, en ce cas, n'a pas fait plus
de mal que le propriétaire d'une ferme qui tue son cochon. Douteriez-vous
de mon premier principe ? Parcourez l'univers, je vous défie
d'y trouver un seul peuple qui n'ait eu sa caste méprisée
; les Juifs formaient celle des Égyptiens ; les Ilotes celle
des Grecs ; les Parias celle des Brames ; les Nègres celle de
l'Europe. Quel est, je vous prie, le mortel assez imbécile pour
oser affirmer, en dépit de l'évidence, que tous les hommes
naissent égaux en droits et en force ! Il n'appartenait qu'à
un misanthrope comme Rousseau d'établir un pareil paradoxe, parce
que, très faible lui-même, il aimait mieux rabaisser à
lui ceux auxquels il n'osait s'élever. Mais de quel front, je
vous le demande, le Pygmée de quatre pieds deux pouces pourra-t-il
s'égaler à ce modèle de taille et de vigueur à
qui la nature accorde et la force et la taille d'Hercule ? Ne vaudrait-il
pas autant dire que la mouche est égale à l'éléphant
? La force, la beauté, la taille, l'éloquence : telles
furent les vertus qui, dans l'origine des sociétés, firent
décerner l'autorité à ceux qui les gouvernèrent.
Une famille, une bourgade, contrainte à défendre ses possessions,
choisit bien certainement dans son sein l'être qui lui paraît
réunir une plus grande somme des qualités que nous venons
de peindre. Ce chef, une fois revêtu de l'autorité qui
venait de lui être confiée, prit des esclaves parmi les
plus faibles, et les immola sans pitié au plus léger besoin
de ses intérêts ou de ses passions... à la fantaisie
même de ceux qui l'avaient mis en place. Combien de fois peut-être
cette cruauté fut-elle nécessaire au maintien de son autorité
? Qui doute que le despotisme des premiers empereurs de Rome ne fût
utile à la splendeur de cette souveraine de l'univers ? Lorsque
les sociétés s'établirent, les descendants de ces
premiers chefs, accoutumés à représenter, quoique
souvent leurs forces ou leurs qualités morales n'égalassent
plus celles de leurs pères, continuèrent de maintenir
l'autorité sur leurs têtes ou dans leurs maisons ; voilà
l'origine de la noblesse dont la tige se découvre dans la nature
même. Des esclaves continuèrent de se ranger autour d'eux,
ou pour les servir, ou pour maintenir, sous les ordres de ce chef, la
grandeur et la prospérité de la nation ; et ce maître,
sentant combien il lui devenait essentiel d'en imposer, tant pour son
intérêt que pour l'intérêt général,
devint cruel par nécessité, par ambition, et le plus souvent
par libertinage. Tels furent les Néron, les Tibères, les
Héliogabale, les Venceslas, les Louis XI, etc. Ils héritaient
d'un pouvoir transmis à leurs prédécesseurs par
nécessité ; ils en abusaient par caprice. Mais quel mal
entraînaient ces abus ? beaucoup moins sans doute que le retranchement
de leurs pouvoirs ; car l'abus maintenait l'empire, en faisant tomber
quelques victimes ; la suppression de l'autorité ne les épargnait
pas, et plongeait les peuples dans l'anarchie. Il y a donc (et c'est
où j'en veux venir) très peu d'inconvénients à
ce que le plus fort abuse de sa puissance ; on ne saurait mettre d'obstacle
à ce qu'il écrase le plus faible. Toutes les opérations
de la nature ne sont-elles pas d'ailleurs des exemples de cette lésion
nécessaire du fort sur le faible ? L'aquilon brise le roseau
; les soulèvements intérieurs de la terre culbutent, dégradent
la frêle habitation imprudemment élevée sur elle
; l'aigle engloutit le roitelet ; nous ne respirons pas, nous ne remuons
pas un de nos membres, que nous ne détruisions des fourmilières
d'atomes. Et bien ! vous disent ici les imbéciles partisans d'une
impossible égalité, nous ne pouvons disputer la priorité
physique et morale de certaines créatures sur d'autres : elle
nous frappe, il faut en convenir ; mais accordez-nous au moins que tous
les êtres doivent être égaux aux yeux de la loi.
Et voilà certes ce dont je me garderai bien de convenir. Comment
voulez-vous en effet que celui qui a reçu de la nature la plus
extrême disposition au crime, soit à cause de la supériorité
de ses forces, de la délicatesse de ses organes, soit en raison
de l'éducation nécessitée par sa naissance ou par
ses richesses ; comment, dis-je, voulez-vous que cet individu puisse
être jugé par la même loi, que celui que tout engage
à de la vertu ou de la modération ? Serait-elle plus juste
la loi qui punirait de même ces deux hommes ? Est-il naturel que
celui que tout invite à mal faire, soit traité comme celui
que tout engage à se comporter prudemment ? Il y aurait à
ce procédé une inconséquence affreuse, une injustice
abominable, que toute nation prudente et sage ne pourrait jamais se
permettre. Il est impossible que la loi puisse également convenir
à tous les hommes. Il en est de ce médicament moral comme
des remèdes physiques. Ne ririez-vous pas du charlatan qui, n'ayant
qu'une pratique semblable pour tous les tempéraments, purgerait
le fort de la halle comme la petite maîtresse à vapeurs
? Eh ! non, non, mes amis, ce n'est que pour le peuple que la loi est
faite. Se trouvant à la fois le plus faible et le plus nombreux,
il lui faut absolument des freins dont l'homme puissant n'a que faire,
et qui ne peuvent lui convenir sous aucun rapport. La chose essentielle,
dans tout gouvernement sage, est que le peuple n'envahisse pas l'autorité
des grands ; il ne l'entreprend jamais, sans qu'une foule de malheur
ne bouleversent l'état, et ne le gangrènent pendant des
siècles. Mais, tant qu'il n'y aura, dans une nation quelconque,
d'autre inconvénient que celui de l'abus des pouvoirs du fort
sur le faible, comme le résultat n'en est que de river les fers
au peuple, cette action deviendra bonne au lieu d'être mauvaise
; et toute loi qui la protégera, tournera dès lors à
la gloire de l'état et à sa prospérité.
Le régime féodal favorisait cette manière de voir
; et c'est sous lui que la France est parvenue au dernier degré
de sa grandeur et de sa prospérité... à l'exemple
de Rome qui ne fut jamais si grande, que quand le despotisme fut à
son dernier période. Il y a une infinité de gouvernements
en Asie où les grands peuvent tout faire, où le peuple
seul est enchaîné. C'est agir contre la nature, que de
prétendre diminuer la force de ceux auxquels sa main l'a départie
; c'est la servir que d'imiter les modèles de cruauté,
de despotisme, qu'elle offre sans cesse à nos regards... que
d'user de tous les moyens qu'elle a mis dans nous pour déployer
notre énergie ; celui qui s'y refuse est un sot qui ne mérite
pas le présent qu'il a reçu d'elle... Et Verneuil, revenant
ici à l'objet de la discussion : Nous n'avons donc nul tort,
mes amis, de faire servir cette créature à tous les caprices
de notre lubricité. Nous l'avons enlevée ; et nous sommes
les maîtres dès que la nature nous rend les plus forts,
d'en faire tout ce que nous voudrons. Il n'y aurait que les imbéciles
ou des femmes qui pourraient le trouver mauvais ; parce que ces deux
sortes d'individus, faisant partie de la classe des faibles doivent
nécessairement en prendre le parti.
- Eh ! qui doute, dit Bressac, électrisé par la morale
de son oncle, qui peut ne pas être convaincu que la loi du plus
fort ne soit la meilleure de toutes, la seule qui règle les ressorts
du monde, qui soit à la fois la cause et des vertus qui rétablissent
le désordre, et des crimes qui maintiennent l'ordre dans chacun
des rouages de ce vaste univers ?
Nos lecteurs imaginent aisément que de tels systèmes,
dans la tête des gens dont ils lisent l'histoire, devaient nécessairement
exalter leurs écarts. Madame de Gernande fut condamnée,
malgré ses douleurs, à rester dans la même attitude
où ces scélérats l'avaient mise, et ce fut sur
elle que se raffinèrent, avec la nouvelle victime, toutes les
manières de saigner, et toutes les lubricités possibles
à exécuter pendant l'effusion du sang. D'Esterval prétendit
qu'il devait être délicieux de foutre pendant ce temps-là
; il le fit ; et les éloges qu'il prodigua à cette nouvelle
passion engagèrent les autres à l'imiter. Verneuil dit
qu'il fallait pincer, piquer, molester la créature phlébotomisée,
tout en la foutant : on la couvrit de meurtrissures. Gernande voulût
qu'elle branlât les vits de chaque main, et que ces engins s'inondassent
de sang : autre caprice qui fut trouvé délicieux. Victor
prétendit qu'il fallait donner des clystères, et les voir
rendre pendant la saignée. La d'Esterval soutint que ce qu'il
y avait de mieux à faire était de la pendre par les cheveux
pendant que les saignées couleraient des quatre membres ; nouvelles
décharges. On en fit tant enfin que la malheureuse enfant fut
bientôt rejoindre Cécile. On l'enterra près d'elle
; et de nouveaux forfaits embrasèrent bientôt l'imagination
de ces cannibales.
Au sortir d'un dîner où l'on s'était permis les
plus grandes débauches, où les têtes, prodigieusement
exaltées, n'admettaient plus ni freins ni barrières, où
l'on avait érigé l'indécence en principe, la cruauté
en vertu, l'immoralité en maxime, l'athéisme en opinion
seule faite pour le bonheur des hommes, tous les crimes en systèmes
; où la volupté la plus crapuleuse, ayant entremêlé
les excès de la table, on avait porté l'égarement
au point d'enculer des bardaches, sans cesser de boire et de manger
; où l'on avait mêlé aux aliments dont on se gorgeait,
les excréments exhalés du corps de ces gitons, leurs larmes,
leur sueur et leur sang ; au sortir de ce repas infernal, Gernande et
Verneuil décidèrent enfin que le sang de Cécile
et de la jeune personne que l'on venait d'immoler, ne suffisait pas
aux dieux infernaux à qui s'adressait cette fête, et qu'il
fallait essentiellement une victime de plus. Ici toutes les femmes frémirent.
Notre malheureuse Justine, sur laquelle plusieurs yeux se tournèrent,
pensa se trouver mal, lorsque Gernande proposa à l'assemblée
de convenir que la victime serait choisie à la supériorité
des fesses ; et voici le sophisme dont il se servit pour étayer
son opinion : Celle qui a le plus beau cul, disait-il, doit nécessairement
être celle qui nous a fait le plus décharger. Or, la créature
qui a le plus excité nos désirs, doit être celle
dont nous devons être le plus dégoûtés : c'est
donc elle dont il faut indispensablement se défaire...
- Non, dit Verneuil, il y aurait de la partialité ; il faut l'exclure
absolument, et que le sort seul en décide. Consultons le Dieu
qui déjà sut nous indiquer de si bonnes actions ; sa voix
désignera la victime, il ne pourra plus nous rester de regrets...
- Excellente manière de se rassurer, dit d'Esterval en éclatant
de rire ; jamais les dogmes jésuitiques ne furent raffinés
à ce point, Allons, notre dieu sera bientôt réédifié
; allons le consulter dans son temple.
On écrivit sur des bulletins les noms de Justine, des dames de
Gernande et de Verneuil, de Marceline. de Laurette et de Rose. Ces six
noms, placés dans le calice qui avait servi aux précédentes
orgies, furent présentés par Lili à l'effigie de
l'Éternel, qui, après un moment de réflexion, met
sa main dedans, et jette le billet qui en sort. Bressac le ramasse avec
empressement ; il y lit le nom de madame de Gernande... Je l'aurais
parié, dit froidement le mari ; j'ai toujours cru le ciel juste
à mon égard ; je suis ravi que, par un choix aussi plein
d'équité, sa réputation se conserve. Allons, ma
tendre amie, dit-il en s'approchant de sa malheureuse femme, allons,
mon cur, un peu de courage. De toutes les occasions où
il faut savoir prendre son parti avec fermeté, celle-ci, sans
doute, est la plus importante... c'est un mauvais moment à passer...
oh ! bien mauvais mon ange... car nous vous ferons incroyablement souffrir,
cela est certain. Mais cela finira ; vous rentrerez paisiblement alors
dans le sein de cette nature qui vous aime tant... et qui néanmoins
vous destine une assez vilaine manière de vous réunir
à elle. Rassurez-vous, cependant, mon amour ; ne vaut-il pas
mieux mourir tout de suite, que de poursuivre l'ennuyeuse carrière
où mes passions vous précipitaient ? C'était une
suite continuelle de tourments ; ils vont finir : une éternité
de bonheur vous attend, vos vertus vous l'assurent. Ce qui m'afflige,
moi, mon enfant, je vous le répète, c'est la route épineuse...
le chemin excessivement douloureux, par lequel vous allez parvenir aux
délices qui vous sont préparées pour toujours.
Et le cruel époux persiflerait peut-être encore sa malheureuse
femme, si le fougueux Verneuil ne se fût à l'instant jeté
sur la victime, pour en jouir délicieusement, disait-il dans
l'état de crises et d'angoisses où elle devait être.
Le scélérat l'enconne, la lime avec ardeur... cueille
avec impudence des baisers luxurieux sur une bouche flétrie par
les plus amères douleurs, et qui ne s'ouvre plus qu'aux plaintes
et au désespoir...
- Attends, dit Gernande à son frère en l'engageant à
ne point précipiter son extase, il faut que ce soit en jouissant
d'elle, toi par devant, Bressac en cul, moi dans la bouche, d'Esterval
et Victor sous les aisselles, que nous prononcions tous cinq son supplice.
Qu'on nous donne ce qu'il faut pour écrire, poursuit-il dès
qu'il voit son idée remplie ; je vais commencer par tracer le
mien.
Et le scélérat, avec réflexion, le fait en jouissant
de sa malheureuse épouse qu'il considère à chaque
mot qu'il peint. Victor en fait autant ; il écrit avec flegme,
sur les épaules de sa tante, l'espèce de torture où
il la destine, et qui paraît le mieux convenir à son insigne
noirceur. Les autres imitent le procédé ; et, pour mettre
à toutes ces infamies les plus bizarres recherches, comme Gernande
connaissait l'attachement de Justine pour sa maîtresse, il veut
que ce soit elle qui fasse la lecture de la sentence qui vient d'être
prononcée. Hélas ! à peine la pauvre fille eut-elle
la force de bégayer ces mots barbares ; mais, comme on la menaçait
de la même mort, si elle n'obéissait pas, et que son refus
n'eût servi de rien, il fallut se soumettre ; elle lut. La Gernande
n'a pas plus tôt entendu son arrêt, qu'elle se précipite
aux pieds de ses bourreaux. Eh ! ce n'est point dans de telles âmes
que naquit jamais la pitié ! On insulte cette infortunée,
on la bafoue ; et, pour procéder sur-le-champ à son supplice,
on s'enferme dans le salon, où s'étaient commises les
horreurs dont on a précédemment rendu compte. Tout ce
qui convenait aux exécrations projetées s'y voyait avec
appareil.
On exigea d'abord de la patiente, de demander tout haut pardon à
Dieu et aux hommes, des crimes qu'elle avait commis. La pauvre femme,
dont l'esprit n'y était déjà plus, prononça
tout ce qu'on voulut. Chacun infligeait celle qu'il avait ordonnée
; et, pendant qu'il agissait, deux individus de l'un ou de l'autre sexe,
étaient obligés de l'exciter ou de se prêter à
ses luxures intermédiaires. Les vieilles aidaient aux supplices.
Verneuil commença. Justine et Dorothée le servaient. Il
tourmente la victime deux heures ; et, dans l'instant où elle
éprouvait une crise horrible, le paillard, fouetté par
la d'Esterval, déchargea dans le cul de Justine, qu'une vieille
épilait pendant ce temps-là, pour donner aux mouvements
des reins de la patiente une plus grande agilité.
Victor se présente, servi par Laurette et madame de Verneuil
; c'est-à-dire, que le jeune élève torturait sa
tante, en assouvissant ses lubricités sur sa mère et sa
sur. Madame de Verneuil éprouva un moment d'horreur insurmontable,
que son fils devina malheureusement. Le petit monstre tenait alors une
aiguille d'acier, dont il lardait les fesses de sa tante ; il la lance
dans les tétons de sa mère, en l'invectivant d'une façon
cruelle. La société prend fait et cause ; le cas paraît
sérieux ; on interrompt l'opération pour juger la coupable
; et, sur la simple accusation de son fils, la mère est à
l'instant condamnée à quatre cents coups de fouet indistinctement
distribués sur tout le corps, et cela malgré les blessures
qu'elle vient de recevoir. L'arrêt, par la main de ces quatre
barbares, est aussitôt mis à exécution. Victor demande
que la gorge lui soit livrée ; et le scélérat la
flagelle, pendant que Gernande lui suce le vit, et que son père
le socratise. On se remet à l'ouvrage. Le petit scélérat,
excité, prolonge trois heures les tortures qu'il fait endurer
à sa tante, et décharge deux fois en la travaillant ;
l'une en se branlant lui-même, l'autre en sodomisant sa mère,
pendant que sa sur lui gamahuchait le trou du cul.
Gernande s'empare de sa femme ; il la crible de coups de lancette, et
perd son foutre dans la bouche d'un giton, en dardant une dernière
piqûre dans l'il droit de cette malheureuse.
D'Esterval surpasse tout par ses horreurs ; c'est le con de Justine
qui reçoit son foutre ; il lui moleste sévèrement
les tétons, en le lui lançant dans la matrice.
Quand la victime arrive à Bressac, à peine a-t-elle la
force de souffrir. Pâle, défigurée, ce beau visage,
où régnaient autrefois les grâces, n'offrait plus
maintenant que la plus déchirante image de la douleur et de la
mort. Elle a pourtant encore la force de se jeter aux pieds de son mari,
pour implorer de nouveau son pardon ; mais Gernande, inflexible, se
plaît à la fixer dans cet état d'angoisses.
- Oh ! sacredieu, s'écrie-t-il, quel plaisir de voir une femme
en pareille situation ! que la douleur est belle à contempler
! Viens me branler, Justine, sur le visage de ta maîtresse...
- Mon ami, dit Verneuil, il faudrait fouetter ce beau visage...
- Chier dessus, dit Victor...
- Le souffleter, dit d'Esterval...
- L'enduire de miel et y lâcher des guêpes, dit Dorothée...
- Un peu de patience, dit Gernande, qui savourait sur cette charmante
figure toutes les différentes gradations douloureuses qu'occasionnait
chacune de ces propositions ; il est impossible de nous satisfaire tous.
Chacun a-t-il envie de faire ce qu'il a proposé ?... Oui... Eh
bien, contentez-vous, mes amis ; je vous la livre. Toutes ces différentes
horreurs s'exécutent. Cinq monstres s'acharnent sur cette malheureuse
; et c'est ainsi, qu'après une vie bien courte, terminée
par onze heures des plus déchirants supplices, cet ange céleste
remonte vers le ciel, d'où il n'était descendu que pour
orner un moment la terre.
Le croira-t-on ? Le corps de cette belle femme est mis au milieu de
la table ; on sert autour le plus magnifique souper.
- Voilà comme j'aime le plaisir, dit Verneuil ; si celui qui
veut le goûter n'écarte pas tous les freins, il ne l'atteindra
jamais... Qu'il est délicieux de se repaître ainsi du crime
que l'on vient de commettre !... voilà comme il est bon, le crime
; c'est en le savourant, c'est en se délectant de ses suites...
Oh ! mes amis, à quel point la férocité a l'art
puissant d'aiguillonner les plaisirs !... La voilà pourtant celle
qui vivait il y a une heure... qui nous entendait... qui nous redoutait...
qui nous implorait... Un moment a tout terminé ; et cette créature,
si sensible il n'y a qu'un instant, n'est maintenant plus qu'une masse
informe qu'ont désorganisée nos passions... Oh ! quelles
sont belles et grandes, les passions qui conduisent à de tels
écarts ! que leur élan est majestueux !... qu'il est noble
et sublime ! S'il était vrai qu'il existât un Dieu, n'en
serions-nous pas les rivaux, en détruisant ainsi ce qu'il aurait
formé ? Oh ! oui, oui, je le soutiens, le meurtre est la plus
grande, la plus belle, la plus délicieuse de toutes les actions
ou l'homme puisse se livrer... Eh bien, mes amis, où est-elle
cette âme merveilleuse, que nos excès viennent de séparer
de ce corps ? par où a-t-elle passé ?... qu'est-elle devenue
? Ne faut-il pas être insensé pour en admettre un moment
l'existence ? N'avons-nous pas vu cette âme s'affaiblir à
mesure que nous agacions les organes, ou que nous en détruisions
les ressorts ? Tout cela n'était donc que matière. Or,
je demande, où peut être le crime à déformer
un peu de matière ?...
- Un moment, dit Bressac ; puisque nous faisons tant que de raisonner
sur une chose aussi importante, je vous demande la permission de vous
révéler mes idées sur le dogme de l'immortalité
de l'âme, qui depuis si longtemps, agite les différentes
classes de la philosophie...
- Oui, oui, dit Gernande, écoutons mon neveu dans cette discussion,
je sais qu'il est en état de l'approfondir.
- En remontant aux époques les plus reculées, dit Bressac,
nous ne trouvons malheureusement d'autres garants de l'absurde système
de l'immortalité de l'âme que parmi les peuples plongés
dans les plus grossières erreurs. Si l'on examine les causes
qui purent faire admettre cette affreuse ineptie, on les trouve dans
la politique, dans la terreur et dans l'ignorance ; mais, quelle que
soit l'origine de cette opinion, la question est de savoir si elle est
fondée. Je crains bien qu'en l'examinant, nous ne la trouvions
tout aussi chimérique que les cultes qu'elle autorise. L'on conviendra
que, dans les siècles même où cette opinion sembla
la plus accréditée, elle trouva toujours des gens assez
sages pour la révoquer en doute.
Il était impossible de ne pas sentir à quel point devenait
nécessaire aux hommes la connaissance de cette vérité
; et cependant aucun des dieux qu'avait érigé leur extravagance
ne prenait le soin de les en instruire. Il parait que cette absurdité
naquit chez les Égyptiens, c'est-à-dire chez le peuple
le plus crédule et le plus superstitieux de la terre. Une chose
pourtant est à remarquer ; c'est que Moïse, quoique élevé
dans ses écoles, n'en dit pas un seul mot aux Juifs. Assez bon
politique pour créer d'autres freins, il n'osa jamais, on le
sait, employer celui-là chez son peuple ; trop de bêtise
le caractérisait, pour qu'il imaginât de s'en servir. Jésus
lui-même, ce modèle des fourbes et des imposteurs, cet
abominable charlatan, n'avait aucune notion de l'immortalité
de l'âme ; il ne s'exprime jamais qu'en matérialiste ;
et lorsqu'il menace les hommes, on voit que c'est à leurs corps
que ses discours s'adressent ; jamais il n'en sépare l'âme1.
Mais ce n'est point à chercher l'origine de cette fable hideuse
que je dois m'attacher ici ; vous en démontrer toute la folie,
devient l'unique objet de mon travail.
Parlons d'abord un instant, mes amis, des causes qui purent la produire.
Les malheurs du monde, les bouleversements qu'il éprouva, les
phénomènes de la nature, furent incontestablement les
premières ; la physique, mal connue, mal interprétée,
dut autoriser les secondes ; la politique devint la troisième.
L'impuissance où est l'entendement humain, par rapport à
la faculté de se connaître lui-même, vient moins
de l'inexplicabilité de l'énigme, que de la manière
dont elle est proposée. D'anciens préjugés ont
prévenu l'homme contre sa propre nature ; il veut être
ce qu'il n'est pas ; il s'épuise en efforts pour se trouver dans
une sphère illusoire, et qui, quand même elle existerait,
ne saurait être la sienne. Comment, d'après cela, peut-il
se retrouver ? N'a-t-on donc pas suffisamment démontré
le mécanisme de l'instinct chez les bêtes, par le seul
moyen de l'accord parfait de leurs organes ? L'expérience ne
nous prouve-t-elle pas que l'instinct, dans ces mêmes bêtes,
s'affaiblit en raison de l'altération qui survient en elles,
soit par accident, soit par vieillesse, et que l'animal est enfin détruit,
quand cesse l'harmonie dont il n'était que le résultat
? Comment peut-on s'aveugler au point de ne pas reconnaître que
ce qui arrive chez nous est absolument la même chose ? Ce que
vous venez de faire souffrir à cette femme dont voilà
le cadavre sous nos yeux, ne vous le prouve-t-il pas évidemment
? Mais pour achever d'identifier en nous ces principes, il faut commencer
par nous convaincre que la nature, quoique une dans son essence, se
modifie cependant à l'infini ; ensuite ne pas perdre de vue cet
axiome d'éternelle vérité, qu'un effet ne saurait
être supérieur à sa cause ; et, définitivement,
que tous les résultats d'un mouvement quelconque sont divers
entre eux ; qu'ils s'augmentent ou s'affaiblissent en raison de la vigueur
ou de la faiblesse du poids qui donne le branle au mouvement.
Aidés de l'usage de ces principes, vous parcourrez à pas
de géant la carrière de la nature sensible. Au moyen du
premier, vous découvrirez cette unité qu'il annonce ;
partout, dans le règne animal, il y a du sang, des os, de la
chair, des muscles, des nerfs, des viscères, du mouvement, de
l'instinct.
Par le second, vous vous rendrez raison de la différence qui
se trouve entre les divers êtres vivants de la nature ; vous n'irez
pas comparer l'homme à la tortue, ni le cheval au moucheron ;
mais vous vous ferez un plan de diversité gradué, et tel
que chaque animal y tienne le rang qui lui convient. L'examen des espèces
vous convaincra que l'essence est partout la même, et que les
diversités n'ont uniquement que les modes pour objet. D'où
vous conclurez que l'homme n'est pas plus supérieur à
la matière, cause productrice de l'homme, que le cheval n'est
supérieur à cette même matière, cause productrice
du cheval ; et que s'il y a supériorité entre ces deux
espèces, l'homme et le cheval, c'est seulement dans les modifications
et les formes.
Vous verrez, par le troisième principe, lequel dit que les résultats
d'un mouvement quelconque sont divers entre eux, et qu'ils s'augmentent
ou s'affaiblissent en raison de la vigueur ou de la faiblesse des poids
qui donnent le branle au mouvement ; vous vous persuaderez, dis-je,
par ce principe, qu'il n'existe plus rien de merveilleux dans la construction
de l'homme, quand on vient à le comparer aux espèces d'animaux
qui lui sont inférieurs ; de quelque manière que l'on
s'y prenne, on ne voit que de la matière dans tous les êtres
qui existent. Quoi ! direz-vous, l'homme et la tortue sont une même
chose ! Non, certes, leur forme est différente ; mais la cause
du mouvement qui les constitue l'un et l'autre, est très certainement
la même chose : « Suspendez un pendule, au bout d'un fil,
à ce plancher2, mettez-le en mouvement ; la première ligne
que décrira ce pendule, aura toute l'étendue que permettra
la longueur du fil, la seconde en aura moins, la troisième moins
encore, jusqu'à ce qu'enfin le mouvement du pendule se réduise
à une simple vibration, laquelle se terminera à un repos
absolu. »
Sur cette expérience, je me dis : L'homme est le résultat
du mouvement le plus étendu, la tortue n'est que celui d'une
vibration, mais la matière la plus brute fut la cause de l'un
et de l'autre3.
Les partisans de l'immortalité de l'âme, pour expliquer
le phénomène de l'homme, le douent d'une substance inconnue
; nous autres matérialistes, bien plus raisonnables sans doute,
nous ne considérons ses qualités que comme le résultat
de son organisation. Les suppositions tranchent bien des difficultés,
nous en convenons ; mais elles ne terminent pas les questions. Volant
au but d'un pas bien plus rapide, ce ne sont que des preuves que je
vous présente. Ce qu'il y a de particulier, c'est qu'aucun de
ces demi-philosophes ne s'accordent sur la nature de la substance immatérielle
qu'ils admettent ; la contrariété de leurs sentiments
serait même, il faut en convenir, l'un des plus forts arguments
que l'on pourrait leur faire ; mais, dédaignant de m'en servir,
je me livre plutôt à l'examen de la question qui fait de
l'âme une substance créée.
Mille pardons, mes amis, si dans le cours de cette dissertation je me
trouve contraint d'employer un moment l'admission de cet être
chimérique connu sous le nom de Dieu. Vous me rendez, j'espère,
assez de justice pour être bien convaincu que l'athéisme
étant le plus sacré de mes systèmes, ce ne peut
jamais être que par nécessité, et momentanément,
que je me sers de ces suppositions ; mais toutes les erreurs s'enchaînant
dans l'esprit de ceux qui les admettent, on est souvent obligé
de réédifier l'une pour combattre et dissiper l'autre.
Je demande donc, d'après cette hypothèse de l'admission
d'un Dieu, ou ce Dieu a pu trouver l'essence de l'âme ? Il l'a
créée, me dites-vous. Mais cette création est-elle
possible ! Si Dieu existait seul, il occuperait tout, excepté
l'absurde néant. Dieu ennuyé du néant, a créé,
dit-on, la matière, c'est-à-dire, qu'il a donné
l'être au néant ; voilà donc tout occupé,
deux êtres remplissent tout l'espace : Dieu et la matière.
Si ces deux êtres remplissent tout, s'ils forment le tout, il
n'y a pas lieu à de nouvelles créations ; car il est impossible
qu'une chose soit et ne soit pas en même temps. L'esprit remplit
dès lors tout le vide métaphysique ; la matière
remplit physiquement tout le vide sensible ; donc plus de place pour
les êtres de nouvelle création, à quelque point
que l'on réduise leur existence. Ici l'on a recours à
Dieu, et l'on dit que ce Dieu reçoit en lui-même ces nouvelles
productions. Si Dieu a pu loger dans la sphère spirituelle de
son infinité spirituelle de nouvelles substances de même
nature, il s'ensuit clairement qu'il n'était pas une infinité
complète et parfaite, puisqu'il a souffert des additions ; qui
dit infinité, dit exclusion de toute limite ; or, un être
qui exclut toute limite, n'est point susceptible d'additions.
Si l'on dit que Dieu, par sa toute-puissance, a resserré son
essence infinie pour faire place à des substances nouvellement
créées, je réponds qu'alors il n'a plus été
infini, parce que, lors du resserrement, le côté où
il s'est fait a laissé voir une limite.
Quand Dieu aurait pu recevoir dans sa sphère les substances nouvellement
créées, il est toujours certain que cette sphère
éprouvera un vide au départ de chaque substance qui en
sortira pour venir, dans la sphère de la matière, animer
un corps.
Ce vide pourra subsister toujours ; car, selon les amateurs de cette
absurdité, les âmes condamnées au supplice ne sortiront
jamais de l'enfer.
Si Dieu remplit continuellement le vide causé par l'absence d'une
âme, il faut qu'il fasse faire à sa propre substance un
effet rétroactif, lorsque quelques-unes de ces âmes retournent
à sa sphère ; ce qui est absurde ; car un infini complet
comme votre Dieu, et dont les parties sont elles-mêmes infinies,
ne saurait se replier ni s'étendre.
Si le vide, causé par l'absence d'une âme, n'est point
rempli, c'est un néant ; car il faut que tout espace contienne
esprit ou matière. Or, Dieu ne peut remplir ce vide, ni par sa
propre substance, ni par des portions de matière ; car Dieu ne
saurait contenir de la matière : donc il y a du néant
dans la divinité.
Ici nos adversaires prennent un ton plus doux. Quand nous disons, prétendent-ils,
que Dieu créa l'âme humaine, cela veut dire seulement qu'il
la forma. Il faut convenir que cette modification de terme n'apporte
pas un grand changement dans la dispute.
Si Dieu a formé l'âme humaine, il l'a formée de
quelque essence ; c'est dans l'esprit ou dans la matière qu'il
a puisé.
Ce n'a pu être dans l'esprit, parce qu'il n'y en a qu'un seul,
qui est l'infini, ou Dieu lui-même ; or, tout le monde sent qu'il
est absurde de supposer l'âme une portion de la divinité.
Il est contradictoire de se rendre un culte à soi-même
: c'est ce qui arriverait, si l'âme était une portion de
Dieu. Il ne l'est pas moins qu'une substance punisse éternellement
une portion détachée d'elle-même. En un mot, dans
cette hypothèse, ne venez donc point me parler ni d'enfer ni
de paradis ; car il serait absurde que Dieu punît ou récompensât
une substance émanée de lui.
Dieu a donc formé l'âme de matière, puisqu'il n'y
a que matière et esprit ? Mais si l'âme a été
formée de matière, elle ne peut être immortelle.
Dieu, si vous voulez, a pu spiritualiser, diaphaniser de la matière
jusqu'à l'impalpabilité ; mais il ne peut la rendre immortelle,
car ce qui eut un commencement doit assurément avoir une fin.
Les déistes eux-mêmes ne peuvent concevoir l'immortalité
de Dieu que par son infinité ; et il n'est infini que parce qu'il
exclut toute limite.
La matière, pour être spiritualisée, n'en est pas
moins divisible, parce que la divisibilité est essentielle à
la matière, et que la spiritualisation ne change point l'essence
des choses. Or, ce qui est divisible est sujet à l'altération
; et ce qui est susceptible d'altération n'est point permanent,
et encore bien moins immortel.
Nos adversaires, poussés à bout par toutes ces objections,
se rejettent sur la toute-puissance de Dieu. Il nous suffit, disent-ils,
d'être persuadés que nous sommes doués d'une âme
spirituelle et immortelle ; peu nous importe de savoir comment et quand
elle a été créée. Ce qu'il y a de constant,
ajoutent-ils, c'est que, par ses facultés, on ne peut la juger
d'une autre substance que celle qu'on suppose aux esprits angéliques.
Avoir sans cesse recours a la toute-puissance, comme font les théistes,
n'est-ce donc pas ouvrir la porte à tous les abus ? n'est-ce
pas introduire un pyrrhonisme universel dans toutes les sciences ? car
enfin, si la toute-puissance agit contre les lois qu'elle-même
a, prétend-on, déterminées, je ne pourrai jamais
être sûr qu'un cercle n'est pas un triangle, puisqu'elle
pourra faire que la figure que j'aurai sous les yeux soit en même
temps l'un et l'autre.
La plus saine partie des déistes, sentant combien il répugnait
à la raison de supposer l'âme une substance semblable à
celle de leur Dieu, n'a pas hésité à dire qu'elle
était une substance, une entéléchie de forme particulière,
prise je ne sais où ; et, sur ce qu'on leur a objecté,
qu'à l'exception de Dieu qui, à cause de son infinité,
excluant toute limite, n'avait point de forme, tout ce qui restait dans
la nature devait avoir une figure, et par conséquent une étendue,
ils ont avoué, sans difficulté, que l'âme humaine
a une extension, des parties, un mouvement local, etc. Mais c'est assez
argumenter contre nos adversaires. Ils nous accordent, on le voit, que
l'âme a une extension, qu'elle est divisible, qu'elle a des parties
; c'en est suffisamment pour nous porter à croire que ceux-là
mêmes qui soutiennent son immortalité, ne sont pas fort
convaincus de sa spiritualité, et que cette opinion est insoutenable
; il est temps de vous en convaincre.
Qui dit une substance spirituelle, dit un être actif, pénétrant,
sans que, dans le corps qu'il pénètre, on aperçoive
aucun vestige de son passage : notre âme est telle, dans cette
hypothèse. Elle voit sans regarder, elle entend sans prêter
l'oreille, elle nous meut sans se mouvoir elle-même : or, un tel
être ne peut exister sans renverser l'ordre social.
Pour le prouver, je demande de quelle manière voient les âmes
? Les uns ont répondu que les âmes voyaient tout dans la
divinité, comme dans un miroir où se réfléchissent
les objets ; les autres ont dit que la connaissance leur était
aussi naturelle que les autres qualités dont elles sont pourvues.
Assurément, si la première de ces opinions est absurde,
on peut bien assurer que la seconde l'est pour le moins autant ; et,
en effet, n'est-il pas impossible de comprendre comment une âme
peut connaître dans une espèce générale toutes
les particularités qui s'y rencontrent, et toutes les conditions
de ces particularités. Supposons l'âme pourvue de la connaissance
du bien et du mal en général ; cette science ne lui suffira
pas pour rechercher l'un et pour l'abstenir de l'autre. Il faut, pour
qu'un être se détermine constamment à cette fuite
ou à cette recherche, qu'il ait connaissance des espèces
particulières du bien ou du mal qui sont contenues sous ces deux
genres absolus et généraux. Les partisans du système
de Scot soutenaient que l'âme humaine n'avait point en soi la
force de voir, qu'elle ne lui avait point été donnée
au moment de sa création, qu'elle ne recevait ses propriétés
qu'à l'occasion des circonstances où elle était
obligée de s'en servir.
Dans la supposition précédente, l'âme qui a une
connaissance née avec elle du mal en général, est
une substance impuissante ; car elle voit le mal à venir et n'en
détourne pas ; la matière alors est l'agent, elle le patient,
ce qui est absurde. De l'opinion de Scot, il résulte que l'homme
ne peut rien prévoir ; ce qui est faux. Si vraiment l'homme en
était réduit là, sa condition serait bien inférieure
à celle de la fourmi, dont la prévoyance est inconcevable.
Dire que l'homme imprime la connaissance à l'âme à
mesure qu'elle a besoin d'exercer ses facultés, est faire de
votre Dieu l'auteur de tous les crimes ; et je vous demande si ces conditions
ne révolteraient pas les plus fermes sectateurs de ce Dieu. Voilà
donc les partisans de l'âme immortelle et spirituelle réduits
au silence sur la question de savoir comment et par quel moyen cette
âme voit et connaît les choses. Ils n'abandonnent pourtant
point encore la partie : l'âme humaine, disent-ils, voit et connaît
les choses à la façon des autres substances subtiles ou
spirituelles qui sont de même nature qu'elle ; ce qui, comme on
le voit, est absolument ne rien dire.
Dans la défense d'une fausse opinion, les difficultés
renaissent à mesure qu'on semble les abattre. Si l'âme
humaine n'a pas la faculté de pénétrer les objets
présents, ni celle de se représenter les absents qui lui
sont inconnus, et de s'en former des idées vraies, d'après
quoi elle puisse juger de leurs dispositions intérieures, si
elle ne saurait recevoir d'impression que par la présence sensible
des objets, et si elle ne peut juger de leur qualité que par
les symptômes extérieurs qui les caractérisent ;
son intellect alors n'a ni plus de finesse, ni plus de propriétés
que l'instinct des brutes qui recherchent ou fuient certains objets,
d'après les mouvements qu'excitent en eux les lois inaltérables
de la sympathie ou de l'antipathie. Si cela est, comme tout nous le
prouve... comme il est impossible d'en douter, quelle est donc la folie
des hommes de se supposer une créature formée de deux
substances distinctes, tandis que les bêtes, qu'ils regardent
comme de pures machines matérielles, sont douées, en raison
de la place qu'elles occupent dans la chaîne des êtres,
de toutes les facultés qu'on remarque dans l'espèce humaine
! Un peu moins de vanité, et quelques instants de réflexion
sur soi-même, suffiraient à l'homme pour se convaincre
qu'il n'a de plus que les autres animaux que ce qui convient à
son espèce dans l'ordre des choses ; et qu'une propriété
indispensable de l'être auquel elle est attachée n'est
point le présent gratuit de son fabuleux auteur, mais une des
conditions essentielles de cet être, et sans laquelle il ne serait
pas ce qu'il est.
Renonçons donc au ridicule système de l'immortalité
de l'âme, fait pour être aussi constamment méprisé
que celui de l'existence d'un Dieu aussi faux, aussi ridicule que lui.
Abjurons, avec le même courage, et l'une et l'autre de ces fables
absurdes, fruits de la crainte, de l'ignorance et de la superstition
; ces épouvantables chimères ne sont plus faites pour
en imposer à des gens tels que nous. Laissons la plus vile populace
s'en repaître tant qu'elle le voudra ; mais ses préjugés,
comme ses murs, ne doivent pas nous enchaîner un instant
: qu'elle se console de sa misère par un avenir chimérique...
Nous, heureux du présent, tranquilles sur ce qui le suit, n'aimant
que nous, ne rapportant tout qu'à nous, les plus piquantes...
les plus sensuelles voluptés sont seules faites pour fixer nos
curs ; à elles seules doivent se rapporter nos cultes,
nos uniques hommages. Mille et mille fois maudit soit l'épouvantable
imposteur qui, le premier, s'avisa d'empoisonner les hommes par de telles
infamies ; le plus affreux supplice eut encore été trop
doux pour lui. Ah ! puisse-t-on y condamner de même tous ceux
qui promulguent ou qui suivent d'aussi détestables erreurs !
- Je ne connais rien, dit Verneuil, qui mette à l'aise comme
ces systèmes ; car il est bien certain que, d'après eux,
n'étant plus les maîtres d'aucune des actions de notre
vie, nous ne devons plus ni nous effrayer, ni nous repentir d'aucune.
- Et, qui s'effraie ? dit Dorothée ; qui peut se repentir ?
- Des esprits faibles, reprit Verneuil, des gens qui, point encore suffisamment
familiarisés avec les vrais principes que vient d'établir
mon neveu, conservent souvent malgré eux les sots préjugés
de leur enfance.
- Et voilà pourquoi, dit Bressac, je ne cesse de dire qu'on ne
saurait étouffer trop tôt les germes de ces préjugés
absurdes ; ce sont les premiers devoirs des parents... des instituteurs...
de tous ceux à qui la jeunesse est confiée ; et j'estime
un malhonnête homme, celui qui, dans cette classe, ne regarde
pas comme son premier soin de les éteindre.
- C'est aux plus fausses notions de la morale que sont dues, selon moi,
toutes les imbécillités religieuses, dit Gernande.
- C'est tout le contraire, répondit Bressac ; les idées
religieuses furent les fruits de la crainte et de l'espoir ; et ce fut
pour les fomenter et pour les servir que l'homme arrangea sa morale
sur la bonté imaginaire de son absurde Dieu.
- Ma foi, dit Gernande, en sablant du champagne, que l'un vienne de
l'autre, ou que celui-ci ait produit le premier, toujours est-il que
j'ai pour tous deux la plus profonde horreur, et que mon immoralité,
fondée sur mon athéisme, me fera bafouer et ridiculiser
les liens sociaux avec autant de charmes et d'énergie que je
détruirai la religion.
- Voilà comme il faut penser, dit Verneuil ; toutes ces imbécillités
humaines ne peuvent enchaîner que les sots ; et des gens d'esprit
tels que nous doivent les mépriser à jamais.
- Il faut aller plus loin, dit d'Esterval, il faut les heurter de front
; il faut que toutes les actions de notre vie n'aient pour but que d'enfreindre
la morale et de pulvériser la religion ; ce n'est que sur les
débris de l'une et de l'autre de ces chimères que nous
devons établir notre félicité dans ce monde.
- Oui, dit Bressac ; mais je ne connais aucun crime qui satisfasse bien
ce degré d'horreur que j'ai pour la morale ; aucun qui détruise,
comme je le voudrais, toutes les superstitions religieuses. Qu'est-ce
que tout ce que nous faisons ? Il n'y a dans tout cela rien que de simple.
Tous nos petits forfaits immoraux se réduisent à quelques
sodomies, quelques viols, quelques incestes, quelques meurtres ; nos
petits crimes religieux, à quelques blasphèmes, quelques
profanations. Y en a-t-il un de nous ici qui puisse se dire suffisamment
délecté de ces misères ?
- Non, certes, répondit la fougueuse épouse de d'Esterval
; je souffre peut-être encore plus que vous de la médiocrité
des crimes dont la nature me laisse le pouvoir. Il n'y a, dans tout
ce que nous faisons, que des idoles et des créatures d'offensées
; mais la nature ne l'est pas, et c'est elle que je voudrais pouvoir
outrager. Je voudrais déranger ses plans, contrecarrer sa marche,
arrêter le cours des astres, bouleverser les globes qui flottent
dans l'espace, détruire ce qui la sert, protéger ce qui
lui nuit, édifier ce qui l'irrite, l'insulter, en un mot, dans
ses uvres, suspendre tous ses grands effets ; et je ne puis y
réussir.
- Voilà ce qui prouve qu'il n'y a point de crime, dit Bressac
; le mot ne conviendrait qu'aux actions qu'établit ici Dorothée,
et vous voyez qu'elles nous sont impossibles : vengeons-nous en sur
ce qui nous est offert, et multiplions nos horreurs, ne pouvant les
améliorer.
On en était là de cette conversation philosophique, lorsque
tout le monde s'aperçut d'un mouvement convulsif dans le cadavre
de la Gernande. Victor eut une si grande peur, qu'il laissa tout aller
sous lui ; mais Bressac le retenant aussitôt :
- Ne vois-tu donc pas, petit imbécile, lui dit-il, que ce qui
arrive là est précisément la preuve évidente
de ce que j'ai avancé tout à l'heure, sur la nécessité
du mouvement dans la matière. Vous voyez, mes amis, qu'il n'est
nullement besoin d'âme pour faire mouvoir une masse. C'est par
une suite de mouvements semblables que ce cadavre va se dissoudre...
engendrer en même temps d'autres corps qui n'auront pas plus d'âmes
que lui4. Allons, foutons, mes amis, poursuivit Bressac en s'introduisant
au cul tout merdeux de Victor, oui, foutons ; que ce phénomène
de la nature, l'un des plus simples de sa force motrice, ne prenne rien
sur nos plaisirs. Plus la putain se développe à nous,
et mieux nous devons l'outrager ; ce n'est qu'en l'invectivant qu'on
la démêle : on ne la tonnait bien que par des outrages.
D'Esterval s'empare de madame de Verneuil, qui, depuis quelque temps,
paraît l'occuper beaucoup ; Verneuil rend à d'Esterval
les cornes que lui fait porter celui-ci.
- Un moment, dit Gernande ; avant que de vous indiquer la délicieuse
jouissance que vous paraissez oublier, il faut que je donne l'essor
au superflu de mes entrailles.
- Ne sortez pas pour cela, mon oncle, dit Bressac toujours enculant
; on dit que vos selles sont des passions ; veuillez vous y livrer devant
nous.
- Réellement, vous voulez voir cela ? répondit Gernande.
- Oui, oui, répondit d'Esterval, tout ce qui tient aux écarts
du libertinage est sublime, et nous ne devons en perdre aucune leçon.
- Vous allez donc être satisfaits, dit Gernande en tournant son
énorme cul du côté des spectateurs.
Et voici comme ce libertin procédait à cette dégoûtante
opération. Quatre bardaches l'entouraient alors ; l'un lui soutenait
le pot de chambre ; le second tenait une bougie très près
du trou, pour que l'action fût bien éclairée ; le
troisième lui suçait le vit ; et le quatrième tenant
une serviette très blanche à la main, lui baisait la bouche.
Gernande, appuyé sur les deux gitons de devant, poussait à
demi-courbé : aussitôt que paraissait l'énorme quantité
de merde qu'il était dans l'usage de déposer, vu l'immense
nourriture qu'il prenait, le giton tenant le vase était obligé
de louer l'excrément... « La belle merde ! s'écriait-il,
ah ! monsieur, le superbe étron !... vous chiez délicieusement.
» Avait-il fini ; le bardache armé de la serviette venait,
avec sa langue, nettoyer les parois de l'anus, pendant que celui qui
tenait le pot, le rapportant sous le nez de Gernande, le lui faisait
examiner, en redoublant ses éloges. La bouche du suceur se trouvait
alors pleine d'urine, qu'il était obligé d'avaler à
mesure ; la serviette achevait de nettoyer l'anus ; et les quatre gitons,
n'ayant plus rien à faire terminaient leurs opérations,
en venant sucer fort longtemps, tour à tour, la langue, le vit
et le trou du cul de ce libertin.
- Oh ! foutre, dit Bressac toujours sodomisant Victor, qui maniait les
fesses de sa jolie petite sur Cécile pendant ce temps-là
; sacredieu, mes amis, je n'ai jamais vu chier si lubriquement... En
vérité, je vais prendre la même habitude. Allons,
mon oncle, dis-nous donc maintenant qu'elle est cette jouissance que
tu prétends être oubliée ?
- Vous allez le voir, dit Gernande en s'emparant de Justine, et la faisant
lier par John et Constant, absolument ventre contre ventre, sur le cadavre
de sa femme ; je vais en cet état, dit-il, enculer la soubrette,
collée sur sa maîtresse. Vous m'avouerez, poursuit-il en
exécutant, que cette circonstance vous était échappée.
Chacun applaudit à l'idée et chacun veut l'exécuter,
sitôt que Gernande a fini. Mais la malheureuse Justine répugne
tellement à cette horreur que ses traits s'altèrent, elle
s'évanouit.
- Eh bien ! dit Bressac qui l'enculait pendant ce temps-là, ce
seront deux mortes, au lieu d'une : il n'y a pas grand mal à
cela.
- Il faut la fouetter, dit Verneuil, la pincer vigoureusement ; soyez
sûrs qu'il n'est que ce moyen pour redonner du ton aux organes.
- Il vaudrait mieux atteindre les nerfs et les piquer, s'il était
possible, dit d'Esterval, qui maniait les fesses de Cécile, pendant
qu'un giton le branlait.
- Il n'y a qu'à tout essayer en commençant par le plus
simple, dit Verneuil, qui commençait à fouetter déjà
la victime, tout en enculant Dorothée, dont la petite Rose suçait
le clitoris ; si les premiers moyens ne réussissent pas, nous
passerons de suite aux seconds.
Heureusement ils furent inutiles, Justine, impitoyablement fustigée,
rouvrit les yeux, et ce ne fut, hélas ! que pour se voir couverte
de sang. « Oh ! grand Dieu ! dit-elle en arrosant de ses larmes
le visage inanimé de sa maîtresse, contre lequel était
collé le sien, oh ! juste ciel ! je serai donc toujours un objet
de douleur et de scandale. Hâte-toi de trancher mes jours, Être
suprême ; j'aime cent fois mieux la mort que l'horrible vie que
je mène. » L'invocation n'excita que des éclats
de rire, et les débauches se poursuivirent.
Ici d'Esterval sortant du cul de madame de Verneuil, qu'il venait de
limer un moment, s'approche du mari, et lui demande par quel motif il
ne réunirait pas sa femme à sa belle-sur.
- Ah, ah ! dit Verneuil tout en sodomisant la femme de celui qui le
questionne, est-ce que cette idée te fait bander ?
- Tu le vois, répondit d'Esterval en montrant son engin menaçant
le ciel ; je t'assure que le supplice de cette gueuse m'irriterait infiniment.
Elle est d'un intérêt puissant dans les pleurs ; et je
voudrais, poursuivit ce libertin en se branlant, lui en faire couler
de réelles.
- Eh bien ! mon ami, dit Verneuil, j'y consens ; mais voici les deux
conditions que j'y mets. La première, qu'en tuant ma femme, tu
me céderas la tienne, que j'aime beaucoup, et que je désire
m'approprier.
- Accordé, s'écrièrent à la fois d'Esterval
et Dorothée.
- La seconde clause, poursuivit Verneuil, est que le supplice que tu
prépares à ma digne compagne soit épouvantable...
qu'il s'exécute dans une chambre extrêmement voisine de
celle où, pendant ce temps-là, je foutrai la tienne, afin
que je décharge aux cris de ta victime.
- Je souscris â tout cela, dit d'Esterval, mais j'exige également
une condition de mon côté : il me faut une femme ; je te
demande Cécile ; il sera délicieux pour moi d'épouser
la fille, les mains teintes encore du sang de la mère.
- Oh ! mon père, s'écria Cécile en frémissant
de cette affreuse idée, pourriez-vous consentir à me sacrifier
ainsi ?
- Assurément, dit Verneuil, et la répugnance que tu montres
cimente le contrat.. Je le signe. D'Esterval, vous avez ma parole ;
formez un peu cette petite fille, je vous en prie.
- Oh ! parbleu, dit Bressac, où sera-t-elle mieux pour se familiariser
avec le meurtre, que dans une maison où l'on tue tous les jours.
Eh bien ! moi, poursuivit Bressac, je demande le pot-de-vin du marché.
- Quel est-il ?
- Je vous prie, mon oncle, de me céder Victor votre fils ; j'aime
à la folie ce jeune homme ; confiez-le moi pour deux ou trois
ans, jusqu'à ce que j'aie pu perfectionner son éducation.
- Il ne saurait être en de meilleures mains, dit Verneuil ; qu'il
te ressemble, mon ami, c'est le plus heureux des souhaits que je puisse
lui faire. Corrige principalement ses faiblesses ; initie-le dans nos
principes ; automatise son âme, et fais-lui détester les
femmes.
- Il ne pourrait être mieux placé pour toutes ces choses,
dit Justine ; le malheureux enfant ! quel dommage ! combien je le plains
! et...
- Je suis bien loin d'en dire autant, interrompit vivement Dorothée,
M. de Bressac est peut-être le meilleur instituteur que je connaisse
; je voudrais avoir dix enfants, je les lui confierais tous à
la minute.
- En vérité, mes amis, dit Gernande, je suis fort aise
de vous voir aussi bien arrangés ; il me paraît que dans
tout ceci je suis le seul qui soit oublié.
- Non, dit Verneuil ; je voulais t'enlever Justine, je te la laisse
; ne te plains pas du lot ; il vaut bien tous les nôtres ; il
n'est pas dans la société une plus belle fille, une plus
douce, une plus vertueuse que celle-là. Tu m'as parlé
d'un nouveau mariage ; Justine, au fait de la conduite à observer
avec tes femmes, te devient réellement précieuse ; je
renonce à tous mes projets sur elle ; tu vois, mon frère,
que tu ne seras pas seul.
- Ainsi donc, vous me quittez tous, dit Gernande.
- Oh ! oui, demain ; c'est notre intention, dit d'Esterval.
- Il faut s'y résoudre, dit Gernande ; allons, je vais me presser
de prendre une autre femme, afin de nous réunir bientôt
pour quelques nouvelles orgies.
On se retira, D'Esterval, aidé de John et de l'une des vieilles,
emmena madame de Verneuil dans une chambre sûre, et qui n'était
séparée de celle de Verneuil que par la plus mince cloison.
En partant, son féroce mari lui enfonça quelques instants
le vit dans le cul ; elle pleura, et d'Esterval qui n'avait pas envie
de la ménager, bandait constamment. Verneuil prit Marceline et
Dorothée ; Cécile, Rose, Justine et deux gitons, furent
la part de Gernande.
La scène préparée fut horrible. Bressac et Victor
s'étaient secrètement introduits chez d'Esterval ; et
le plaisir de celui-ci et de son ami Bressac fut de faire supplicier
la mère par l'enfant. On connaît assez le caractère
de ce petit monstre, pour être sûr du plaisir que lui procura
cette scène, et du courage qu'il mit à son rôle.
Bressac et d'Esterval ne cessaient de le tenir tour à tour enculé,
pendant qu'il exécutait les supplices ordonnés par eux.
On laissa quelques heures ignorer à Verneuil la part qu'avait
son fils à cette horreur. Nous verrons bientôt comment
il l'apprit ; parlons avant du bonnet singulier dont on avait coiffé
la victime. Comme on savait que les voluptés de Verneuil ne devaient
s'allumer qu'aux cris qu'il allait entendre pousser à sa femme,
on avait affublé son crâne d'un casque à tuyau,
organisé de manière que les cris que lui faisaient jeter
les douleurs dont on l'accablait ressemblaient aux mugissements d'un
buf.
- Oh ! foutre, qu'est ceci ? dit Verneuil en entendant cette musique,
et se ruant sur la d'Esterval... il est impossible de rien entendre
de plus délicieux... que diable lui font-ils donc, pour la faire
beugler ainsi ?
Enfin, les cris diminuèrent, et l'on entendit à leur place
ceux de la crise de d'Esterval, communément très expressifs.
- Il a fini, dit Verneuil en dardant également son foutre au
cul de Dorothée... me voila veuf...
- Je le crois, dit l'aimable épouse de d'Esterval, que Marceline
branlait pendant ce temps-là ; mais il nous reste le douloureux
regret de ne l'avoir pas vue.
- Peut-être aurais-je eu moins de plaisir, dit Verneuil ; la scène
à nu ne m'eût offert que des choses... que je sais par
cur... en laissant tout deviner â mon imagination, elle
s'est bien plus irritée...
- Oh ! mon ami, dit la nouvelle compagne de Verneuil, ce que tu dis
là est délicieux ; j'aime ta tête à la folie,
et je crois que nous ferons des choses bien fortes ensemble.
- Oui, dit Verneuil, toujours sous la condition que je vous payerai...
que je vous couvrirai d'or ; peut-être, sans cette clause, ne
me verriez-vous plus rien éprouver pour vous... Et vous le savez,
ma chère, il faut encore que cet argent s'emploie à des
infamies ; il faudra que vous échauffiez ma tête du récit
de celles que vous aurez payées de cet argent ; plus elles seront
affreuses, plus vous recevrez de nouveaux fonds.
- Oh ! sacredieu, répondit Dorothée, cet épisode
étant de tous ceux que tu exiges de moi celui qui me plaît
le plus, comment m'y refuserais-je ? L'argent n'est fait que pour se
procurer des plaisirs.
- Je n'en fais cas que comme l'instrument de tous les crimes et de toutes
les passions, dit Verneuil ; et si j'avais le malheur d'en manquer,
j'avoue qu'il ne serait pas de moyen dont je ne me servisse pour m'en
procurer.
- Quoi ! tu volerais ?
- Oh ! je ferais pis.
- Ah ! je le vois, Verneuil, ta tête s'échauffe ; il faut
encore que tu perdes du foutre.
- Faisons quelques nouvelles folies, mon ange... passe dans la chambre
de ton mari, je l'entends foutimacer encore ; engage-le à te
faire foutre par John sur le cadavre de ma femme... que je vous entende
décharger tous deux... John et vous. Tu reviendras mouillée
de foutre, et couverte du sang de ma femme ; je t'enculerai dans cet
état, et je sens que cette recherche me fera goûter le
plus grand plaisir... Mais, écoute... écoute une formalité
qu'il y faut mettre pendant que tu agiras... tu le vois, Dorothée
je bande en te prescrivant tout ceci ; pendant que tu te pâmeras,
dis-je, sous le membre vigoureux de John, tu me crieras, tant que tu
auras de force : Verneuil !... Verneuil ! tu es veuf et cocu ; mon mari
vient d'assassiner ta femme... et moi, je t'outrage... Oui, mon ange,
oui, tu me crieras ces mots de toutes tes forces et tu verras, au retour,
l'état dans lequel de pareils propos m'auront mis.
- Oh, Verneuil ! quelle imagination ! s'écria Dorothée
en s'apprêtant à obéir... Oh ! mon cher Verneuil,
quelle tête !
- Elle est pourrie... putréfiée, j'en conviens ; mais
que veux-tu, ma chère ! si les débauches m'ont perdu,
c'est à leur délire à me remettre.
Quel fut l'étonnement de Dorothée, quand elle vit que
Bressac et Victor venaient d'être les complices du crime exécuté
près d'elle ! On lui fit signe de ne rien dire ; mais, au lieu
de John, ce fut Victor qui lui mit le vît au derrière ;
et, au moment de sa décharge, le petit coquin se met à
crier : « C'est moi, mon père... c'est moi qui ai tué
ta femme, et c'est moi qui te fais cocu. » Verneuil n'y tient
pas ; il se précipite dans la chambre de d'Esterval, bandant
comme un furieux. On lui fait voir le corps de sa femme, ou plutôt
les lambeaux sanglants de cette malheureuse expirée dans des
tourments qui feraient horreur à peindre. Verneuil encule son
fils, qui, comme on vient de le dire, foutait Dorothée ; Bressac
fout son oncle ; John sodomise Bressac ; Marceline fouette... encourage
tous les acteurs de cette furibonde orgie, qui ne se ralentit que pour
prendre de nouvelles formes et pour se prolonger jusqu'au lever de l'astre
qui devait éclairer enfin la séparation de ces scélérats5.
On imagine aisément que cette séparation ne se fit qu'avec
les plus fortes promesses de se revoir bientôt ; chacun se le
jura, et partit escorté des nouveaux amis qu'il emmenait.
Gernande, de son côté, fut passer quelques jours au château
de l'épouse qu'il convoitait et ramena bientôt dans le
sien. Mme de Volmire n'accompagna point sa fille ; rongée de
goutte et de rhumatismes, elle ne pouvait plus quitter son fauteuil
; moyennant quoi Gernande, en possession de la jeune personne, parvint
bientôt à l'isoler comme l'autre. Au lieu de démence,
on parle d'épilepsie ; la jeune comtesse a besoin d'être
gardée à vue ; elle n'a pas un instant de calme ; la mère
de cette infortunée, peu riche, et couverte de biens par Gernande,
n'ose rien vérifier ; l'opinion prévaut ; on la maîtrise
avec de l'argent ; et le libertin, en paix, jouit bientôt, avec
cette nouvelle victime, des plaisirs qui le délectaient avec
l'autre.
Ce fut dans l'intervalle de ces nouveaux nuds, que Justine pensa
à la fuite ; et certes elle l'eût exécutée
sur-le-champ, si elle n'eût entrevu l'espoir d'être plus
heureuse avec cette seconde maîtresse, qu'avec celle que venait
de lui enlever la cruauté de ces monstres. Mlle de Volmire, âgée
de dix-neuf ans, bien plus belle et plus délicate encore que
celle qui l'avait précédée, sut intéresser
Justine à tel point qu'elle résolut de la sauver, quels
que pussent en être les dangers. Il y avait environ six mois que
le perfide Gernande assouplissait à ses infâmes caprices
cette douce et charmante fille ; la saison allait ramener toute la bande
infernale, et par conséquent les mêmes atrocités.
Justine ne balança plus ; elle s'ouvrit à sa jeune maîtresse...
lui témoigna avec tant de franchise le désir qu'elle avait
de briser ses fers, que celle-ci lui donna toute sa confiance.
Il s'agissait d'instruire la mère et de lui dévoiler les
atrocités du comte. Mlle de Volmire ne doutait pas que celle
qui lui avait donné le jour, telle incommodée qu'elle
pût-être, n'accourût aussitôt pour la délivrer
; mais, comment réussir ? on était si soigneusement gardé.
Accoutumée à sauter les remparts, Justine mesura de l'il
ceux de la terrasse ; à peine avaient-ils trente pieds. Aucune
clôture extérieure ne parait à ses yeux ; elle croit
être dans la route du bois, sitôt qu'elle aura franchi les
murailles. Mlle de Volmire, arrivée de nuit, ne peut rectifier
ses idées, et, pendant l'absence de Gernande, Justine, gardée
par les vieilles, n'a pu se procurer aucunes connaissances locales.
Notre brave et sincère amie se résout donc à tenter
l'escalade. Volmire écrit à sa mère de la façon
la plus faite pour l'attendrir et la déterminer à venir
au secours d'une fille aussi malheureuse. Justine met la lettre dans
son sein, embrasse cette chère et intéressante femme ;
puis, aidée de ses draps, elle se laisse glisser au bas de la
forteresse. Que devient-elle, grand Dieu ! quand elle reconnaît
qu'il s'en faut bien qu'elle soit hors de l'enceinte, et qu'elle n'est
que dans un parc environné des plus hautes murailles, dont la
vue lui avait été dérobée par l'épaisseur
et par la quantité des arbres ; ces murs, hauts de trente pieds,
larges de trois, étaient garnis de verre sur leur crête...
Que devenir ? Le jour allait la surprendre dans cette perplexité.
Que penserait-on d'elle, en la voyant dans un lieu où l'on ne
pouvait raisonnablement la trouver, qu'en lui supposant un projet constaté
d'évasion ? Pourrait-elle se soustraire à la fureur du
comte ? Quelle apparence que cet ogre pût lui faire grâce
!... Il allait s'abreuver de son sang ; elle le savait ; c'était
la peine promise... Le retour était impossible : Volmire avait
aussitôt retiré les draps ; frapper aux portes, était
se trahir plus sûrement encore. Peu s'en fallut que la tête
de notre pauvre Justine ne tournât tout à fait alors, et
qu'elle ne cédât aux violents effets de son désespoir.
Si elle avait reconnu quelque pitié dans l'âme de son maître,
l'espérance un instant l'eût peut-être abusée
; mais un tyran, un barbare, un homme qui détestait les femmes,
et qui cherchait depuis longtemps l'occasion de l'immoler elle-même,
en lui faisant perdre son sang goutte à goutte, pour voir combien
d'heures elle serait à mourir par ce supplice ! quel moyen d'échapper
à son sort ? Ne sachant donc que devenir, trouvant des dangers
partout, elle se jette aux pieds d'un arbre, en se résignant
en silence aux volontés de l'Éternel. Le jour paraît
enfin ; le premier objet qui la frappe, est le comte lui-même.
Il était sorti pour guetter des petits garçons auxquels
il faisait tacitement permettre de venir ramasser des branches dans
son parc, afin d'avoir le plaisir de les prendre sur le fait, et de
les fouetter jusqu'au sang par punition. Une de ces expéditions
se présente ; il la consomme ; il déchire les fesses du
petit malheureux, le poursuit à coups de canne, quand ses yeux
tombent sur Justine ; il croit voir un spectre... il recule. Rarement
le courage est la vertu des traîtres. Justine se lève tremblante
; elle se précipite à ses genoux.
- Que faites-vous là ? lui dit aigrement cet anthropophage.
- Oh ! monsieur, punissez-moi, je suis coupable, et n'ai rien à
répondre...
L'infortunée... elle a malheureusement oublié de déchirer
la lettre de sa maîtresse. Gernande la soupçonne ; il la
demande, aperçoit le fatal écrit, le saisit, le dévore,
et ordonne à Justine de le suivre.
On rentre dans le château par un escalier dérobé
qui donne sous les voûtes ; le plus grand silence y régnait.
Après quelques détours, le comte ouvre un cachot ; il
y précipite Justine.
- Fille imprudente, lui dit-il, je t'avais prévenue que le crime
que tu viens de commettre se punissait de mort ; prépare-toi
donc à subir ce juste châtiment ; demain, en sortant de
table, je viens t'expédier.
La pauvre créature se précipite de nouveau aux genoux
de ce barbare ; mais la saisissant par les cheveux, le cruel la traîne
à terre, lui fait faire ainsi deux ou trois fois le tour de la
prison, et finit par la précipiter contre les murs, de manière
à l'y écraser.
- Tu mériterais que je t'ouvrisse à l'instant les quatre
veines, lui dit-il, en fermant la forte ; et si je retarde ton supplice,
sois sûre que c est pour le rendre plus long et plus horrible
encore.
On ne se peint point la nuit que passa Justine ; les tourments de l'esprit,
joints à plusieurs contusions que les traitements de Gernande
venaient de lui faire éprouver, rendirent cette nuit l'une des
plus affreuses de sa vie.
Il faut avoir été malheureux soi-même pour se figurer
les angoisses d'un infortuné qui attend son supplice à
toute heure... à qui l'espoir est enlevé, et qui ne sait
pas si la minute où il respire ne sera pas la dernière
de ses jours. Incertain du genre des douleurs qui l'attendent, il se
les représente sous mille formes plus horribles les unes que
les autres. Le plus léger bruit lui paraît être celui
de ses bourreaux ; son sang se glace ; son cur s'arrête,
et le glaive qui va terminer ses jours, est moins affreux pour lui,
que l'instant qui le menaçait.
Il est vraisemblable que le comte commença par se venger sur
sa femme. L'événement qui sauva Justine, nous l'a fait
au moins présumer. Il y avait trente-six heures que notre héroïne
était dans la crise que nous venons de peindre, sans qu'on lui
eût apporté aucun secours, lorsque les portes s'ouvrirent,
et que Gernande parut à la fin. Il était seul ; la fureur
éclatait dans ses yeux.
- Vous connaissez, lui dit-il, la mort qui vous attend : il faut que
ce sang pervers s'écoule en détail ; vous serez saignée
trois fois par jour, je vous l'ai dit, c'est une expérience que
je brûle de faire ; je vous remercie de m'en avoir fourni les
moyens.
Et le monstre, sans s'occuper pour lors d'autres passions que de sa
vengeance, prend un des bras de Justine, le pique, et bande la plaie
après l'effusion de trois palettes de sang. Il avait à
peine fini, que des cris se font entendre.
-Monsieur, monsieur, lui dit en accourant une des vieilles, venez au
plus vite, madame se meurt, elle veut vous parler avant que de rendre
l'âme ; et la messagère revole auprès de sa maîtresse.
Quelque accoutumé que l'on soit au forfait, il est rare que la
nouvelle de son accomplissement n'effraie celui qui vient de le commettre.
Cette terreur fait rentrer un instant la vertu dans des droits que lui
ravit bientôt le crime. Gernande sort égaré, il
oublie de fermer les portes. Justine profite de la circonstance ; quelque
affaiblie qu'elle soit par une diète de près de quarante
heures, et par une abondante saignée, elle s'élance hors
de son cachot, traverse les cours ; et la voilà dans le grand
chemin, sans que qui que ce soit l'aperçoive... Marchons, se
dit-elle, marchons avec courage ; si le fort méprise le faible,
il est un Dieu puissant qui protège celui-ci, et qui ne l'abandonne
jamais6.
Peine de ces consolantes et chimériques idées, elle s'avance
avec ardeur, et se trouve, vers la nuit, dans une chaumière,
à plus de six lieues du château.
Croyant sa maîtresse morte, n'ayant plus la lettre où l'adresse
de la mère avait été mise, elle renonça
à tout espoir d'être utile à la jeune Volmire, et
partit dès le lendemain matin, abandonnant de même tout
projet de plaintes, tant anciennes que nouvelles, et ne pensant plus
qu'à se diriger sur Lyon, où elle arriva le huitième
jour, bien faible, bien souffrante, mais sans avoir été
poursuivie. C'est là, qu'après s'être reposée,
rétablie pendant quelque temps, elle reprit la résolution
de gagner Grenoble, où le bonheur (d'après ses idées)
l'attendait infailliblement. Mais voyons, avant l'exécution de
ce projet, tout ce qui lui arriva de fait pour être transmis au
lecteur indulgent qui veut bien prendre la peine de nous lire.
1 « Si votre bras, dit quelque part cet insolent baladin, vous
est un objet de scandale, coupez-le et jetez-le loin de vous ; car il
vaut mieux entrer dans le royaume des cieux avec un bras de moins, que
d'être précipité tout entier dans l'enfer. »Est-il
rien de plus matérialiste que ce propos ?
2 Nous ne nous cachons point d'emprunter cette savante comparaison d'un
homme de beaucoup d'esprit ; c'est pourquoi nous la différencions
du texte par des guillemets. Nous userons de ce procédé
partout où nous nous permettrons de joindre à nos idées
celles des autres.
3 Voilà qui va à merveille, vont dire ici les amis du
ridicule système de la divinité. Mais vous admettez donc
une cause au mouvement. Or, quelle est cette cause, si ce n'est Dieu
? Quel misérable syllogisme ! Non, je n'admets aucune cause au
mouvement de la matière ; elle a dans elle-même le principe
de sa force motrice ; elle est toujours en mouvement ; et c'est ce perpétuel
mouvement, bien reconnu dans elle, qui joue le rôle de l'agent
dont je me sers dans la comparaison que j'adopte.
4 Sitôt qu'un corps parait avoir perdu le mouvement, par son passage
de l'état de vie à celui que l'on appelle improprement
mort, il tend, dès la même minute, à la dissolution
: or, la dissolution est un très grand état de mouvement.
Il n'existe donc aucun instant où le corps de l'animal soit dans
le repos ; il ne meurt donc jamais ; et parce qu'il n'existe plus pour
nous, nous croyons qu'il n'existe plus en effet : voilà où
est l'erreur. Les corps se transmutent... se métamorphosent ;
mais ils ne sont jamais dans l'état d'inertie. Cet état
est absolument impossible à la matière qu'elle soit organisée
ou non. Que l'on pèse bien ces vérités, l'on verra
où elles conduisent, et quelle entorse elles donnent à
la morale des hommes.
5 « On dit mieux les choses en les supprimant, écrit Lamettrie
quelque part ; on irrite les désirs, en aiguillonnant la curiosité
de l'esprit sur un objet en partie couvert, qu'on ne devine pas encore,
et qu'on veut avoir l'honneur de deviner. » Tels sont les motifs
de la gaze que nous jetons sur les scènes que nous ne faisons
qu'annoncer.
6 Justine, si constamment abandonnée de ce Dieu, pouvait-elle
raisonner ainsi ?
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