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Le marquis De Sade
1740 - 1814
La Philosophie dans le boudoir
Une
jolie fille ne doit s'occuper que de foutre et jamais d'engendrer.
[Marquis
de Sade]
La philosophie dans le boudoir
La Philosophie dans le boudoir ou Les instituteurs immoraux est un ouvrage du marquis de Sade, publié en 1795. Le sous-titre est Dialogues destinés à l'éducation des jeunes demoiselles. Louvrage se présente comme une série de dialogues retraçant léducation érotique et sexuelle dune jeune fille de 15 ans. Une libertine, Mme de Saint-Ange, veut initier Eugénie « dans les plus secrets mystères de Vénus ». Elle est aidée en cela par son frère (le chevalier de Mirvel), un ami de son frère (Dolmancé) et par son jardinier (Augustin).
Un enseignement
en alternance Le titre du livre évoque déjà cette dualité puisque le boudoir est une petite salle disposée généralement entre la chambre et le salon, cest-à-dire, entre la pièce consacrée aux ébats amoureux et la pièce consacrée à la conversation. La
théorie La réflexion de Sade sinscrit parfaitement dans celle de son époque. Elle prolonge en effet les débats philosophiques sur le concept de Nature et sur le rôle de la société par rapport à cette Nature ainsi que sur linfluence de cette dernière sur les comportements humains. La réflexion libertine exposée par Sade part du principe que la Nature régit lunivers et ses composants. Dieu nexiste que dans lesprit des hommes. Il nest quune idole parmi dautres. Ce retour à la Nature comme seul principe suprême semble puiser ses origines dans la philosophie antique. Cette hypothèse est confortée par la brochure du cinquième dialogue où il est fait notamment lapologie de lathéisme. Le seul culte toléré serait un retour au paganisme romain : "Puisque nous croyons un culte nécessaire, imitons celui des Romains". La Nature étant le seul moteur du monde, tout ce qui suit ses principes en vient à être légitimé par elle. Le sexe, légoïsme, la violence sont autant de manifestations que lon trouve dans la nature et de manifestations de la Nature en lhomme, et partant, elles peuvent être légitimées comme étant "naturelles", au delà du Bien et du Mal. En effet, ces constructions morales (le Bien et le Mal) sont directement visées par cette argumentation. Nexistant pas dans la Nature, elles ne peuvent être prises comme fondements de nos actions. La Nature doit rester notre seul modèle. "La nature, nous dictant également des vices et des vertus, en raison de notre organisation, ou plus philosophiquement encore, en raison du besoin quelle a de lune et de lautre, ce quelle nous inspire deviendrait une mesure très incertaine pour régler avec précision ce qui est bien ou ce qui est mal". A partir de ce principe, la Société perd évidemment tous ses droits. Ses règles, ses lois viennent juguler nos élans naturels. Elles vont contre la Nature et ne sont donc pas tolérables. "Cest une injustice effrayante que dexiger que des hommes de caractères inégaux se plient à des lois égales : ce qui va pour lun ne va pas à lautre". Il devient alors intéressant dopposer la réflexion de Sade à celle de Thomas Hobbes (philosophe anglais). Celui-ci, dans le Léviathan (1651), part du principe que les hommes à létat de nature disposent des mêmes désirs et que ces désirs portent sur les mêmes objets. Il en déduit alors quun état de conflit permanent entre les hommes serait inéluctable. Selon lui, la Société permettrait de contenir ce conflit par linstauration de règles communes, les lois, et en cela, de dépasser létat de nature. On voit bien ici tout ce que Sade doit à la réflexion de Hobbes. Il en reprend le postulat de départ mais se refuse à le dépasser. Lhomme doit, selon lui, demeurer en cet état de nature puisque la Nature demeure la seule force suprême à l'uvre dans le monde. Il est pour lui inconcevable détablir ce Léviathan quest lÉtat : "les lois peuvent être si douces, en si petit nombre, que tous les hommes, de quelque caractère quils soient, puissent sy plier".
Mais ce quil y a de frappant à la lecture de ces ébats, cest la longueur de ceux-ci et le souci du détail qui anime leurs actions. Certains passages en deviennent des cours danatomie appliquée. Chaque partie du corps dévolue aux plaisirs est décrite et détaillée dans sa constitution et, bien entendu, dans ses fonctions.
Les termes concrets succèdent aux concepts abstraits afin de décrire les parties du corps et les ébats : « le foutre, la sodomie, le vit (le pénis) » ne sont que des exemples parmi bien dautres. Dans ce qui sapparente à une volonté de réalisme, Sade, à limage dun Molière par exemple, cherche à rendre le sociolecte du jardinier : « mamselle (...), je le voyons... tatiguai ! ». Le rapport intime qui unit la langue aux exposés philosophique est clair. La logique libertine poussée jusquau bout et les transgressions morales quelle implique ne peuvent saccomplir que dans le cadre dune langue qui subit elle aussi une telle transgression. « Un de mes grands plaisirs est de jurer Dieu quand je bande. Il me semble que mon esprit, alors mille fois plus exalté, abhorre et méprise bien mieux cette dégoûtante chimère... ». Par cette transgression, Sade cherche à agresser le lecteur, à le brutaliser comme ses personnages brutalisent leurs victimes. Mais en poursuivant sa lecture, le lecteur se fait complice des transgressions de lauteur comme la jeune Eugénie finit par devenir la complice de Mme de Saint-Ange et de Dolmancé.
Les trois unités sont également respectées puisque laction se déroule en un seul lieu (le boudoir), au cours dune après-midi et quelle est unique (linitiation dEugénie). Notons encore que lécriture du Marquis de Sade convoque essentiellement les sens de louïe (par les dialogues) et de la vue. En effet, les gestes et les mouvements des personnages prennent une place primordiale lors de la mise en application des préceptes libertins. Cette spatialisation des corps semble, là encore, confirmer la théâtralité de ce récit.
Notons pour finir les limites de cette réflexion : en instaurant la Nature comme moteur et cause première de tous les penchants des hommes, Sade en vient à nier le libre-arbitre et ce faisant à nier la liberté quil prétend prôner. À moins, bien sûr, que la Nature ne soit quun alibi à cette soif insatiable de liberté, une idole de plus nayant pour but que la légitimation de lanarchie. |