(XIX)
Quinzième
journée
Rarement
un lendemain de correction offrait des coupables. Il n'y en eut aucun
ce jour-là, mais toujours strict sur les permissions de chier
le matin, on n'accorda cette faveur qu'à Hercule, Michette,
Sophie et la Desgranges, et Curval pensa décharger en voyant
opérer cette dernière. On fit peu de choses au café,
on se contenta d'y manier des fesses et d'y sucer quelques trous de
culs, et, l'heure sonnant, on fut promptement s'installer au cabinet
d'histoire où Duclos reprit en ces termes:
"Il
venait d'arriver chez la Fournier une jeune fille d'environ douze
à treize ans, toujours fruit des séductions de cet homme
singulier dont je vous ai parlé. Mais je doute que depuis bien
longtemps il eût rien débauché d'aussi mignon,
d'aussi frais et d'aussi joli. Elle était blonde, grande pour
son âge, faite à peindre, la physionomie tendre et voluptueuse,
les plus beaux yeux qu'on pût voir, et dans toute sa charmante
personne un ensemble doux et intéressant qui achevait de la
rendre enchanteresse. Mais à quel avilissement tant d'appas
allaient-ils être livrés et quel début honteux
ne leur préparait-on pas! C'était la fille d'une marchande
lingère du Palais, très à son aise et qui très
sûrement était destinée à un sort plus
heureux que celui de faire la putain. Mais plus par ses perfides séductions
notre homme en question faisait perdre le bonheur à ses victimes
et mieux il jouissait. La petite Lucile était destinée
à satisfaire dès son arrivée les caprices sales
et dégoûtants d'un homme qui, ne se contentant pas d'avoir
le goût le plus crapuleux, voulait encore l'exercer sur une
pucelle. Il arrive: c'était un vieux notaire cousu d'or et
qui avait, avec sa richesse, toute la brutalité que donnent
l'avarice et la luxure dans une vieille âme quand elles y sont
réunies. On lui fait voir l'enfant; quelque jolie qu'elle fût,
son premier mouvement est celui du dédain; il bougonne, il
jure entre ses dents qu'il n'est plus possible à présent
de trouver une jolie fille à Paris; il demande enfin si elle
est bien certainement pucelle, on l'assure que oui, on lui offre de
le lui faire voir: "Moi, voir un con, madame Fournier, moi, voir
un con? Vous n'y pensez pas, je crois; m'en avez-vous vu beaucoup
considérer depuis que je viens chez vous? Je m'en sers, il
est vrai, mais d'une manière, je crois, qui ne prouve pas mon
grand attachement pour eux. -Eh bien! monsieur, dit la Fournier, en
ce cas, rapportez-vous-en à nous, je vous proteste qu'elle
est vierge comme l'enfant qui vient de naître." On monte,
et comme vous l'imaginez bien, curieuse d'un tel tête-à-tête,
je vais m'établir à mon trou. La pauvre petite Lucile
était d'une honte qui ne saurait se peindre qu'avec les expressions
superlatives qu'il faudrait employer pour peindre l'impudence, la
brutalité et la mauvaise humeur de son sexagénaire amant.
"Eh bien! qu'est-ce que vous faites là, toute droite,
comme une bête? lui dit-il d'un ton brusque. Faut-il que je
vous dise de vous trousser? Ne devrais je pas déjà avoir
vu votre cul depuis deux heures?... Eh bien! allons donc! -Mais, monsieur,
que faut-il faire? -Eh, sacredié! est-ce que ça se demande?...
Que faut-il faire? Il faut vous trousser et me montrer les fesses."
Lucile obéit en tremblant et découvre un petit cul blanc
et mignon comme le serait celui de Vénus même. "Hum...
la belle médaille, dit le brutal... Approchez-vous..."
Puis, lui empoignant durement les deux fesses en les écartant:
"Est-il bien sûr qu'on ne vous a jamais rien fait par là?
-Oh! monsieur, jamais personne ne m a touchée. -Allons! pétez.
-Mais, monsieur, je ne peux pas. -Eh bien! efforcez-vous." Elle
obéit, un léger vent s'échappe et vient retentir
dans la bouche empoisonnée du vieux libertin qui s'en délecte
en murmurant. "Avez-vous envié de chier? continue le libertin.
-Non, monsieur. -Oh bien! J'en ai envie moi, et une copieuse, afin
que vous le sachiez. Ainsi préparez-vous à la satisfaire...
quittez ces jupes." Elles disparaissent. "Posez-vous sur
ce sofa, les cuisses très élevées et la tête
fort basse." Lucile se place, le vieux notaire l'arrange et la
pose de manière à ce que ses jambes très séparées
laissent son joli petit con dans le plus grand écartement possible,
et si bien placé à la hauteur du fessier de notre homme
qu'il peut s'en servir comme d'un pot de chambre. Telle était
sa céleste intention, et pour rendre le vase plus commode,
il commence par l'écarter de ses deux mains autant qu'il a
de force. Il se place, il pousse, un étron vient se poser dans
le sanctuaire où l'Amour même n'eût pas dédaigné
d'avoir un temple. Il se retourne et, de ses doigts, enfonce autant
qu'il peut dans le vagin entrouvert le sale excrément qu'il
vient de déposer. Il se replace, en pousse un second, puis
un troisième, et toujours à chaque la même cérémonie
d'introduction. Enfin au dernier, il la fait avec tant de brutalité
que la petite jeta un cri et perdit peut-être par cette dégoûtante
opération la fleur précieuse dont la nature ne l'avait
ornée que pour en faire part à l'hymen. Tel était
l'instant de jouissance de notre libertin. Avoir rempli le jeune et
joli petit con de merde, l'y fouler et l'y refouler, tel était
son délice suprême. Il sort toujours en agissant une
manière de vit de sa brayette; tout mou qu'il est, il le secoue
et parvient, en s'occupant de son dégoûtant ouvrage,
à jeter à terre quelques gouttes d'un sperme rare et
flétri et dont il devrait bien regretter la perte quand elle
n'est due qu'à de telles infamies. Son affaire finie il décampe;
Lucile se lave, et tout est dit.
"On m'en décocha un quelque temps après dont la
manie me parut plus dégoûtante. C'était un vieux
conseiller de grand-chambre. Il fallait non seulement le regarder
chier, mais l'aider, faciliter de mes doigts le dégorgement
de la matière en pressant, ouvrant, comprimant à propos
l'anus, et l'opération faite, lui nettoyer de ma langue avec
le plus grand soin toute la partie qui venait d'être souillée."
"Ah,
parbleu! voilà en effet une corvée bien fatigante, dit
l'évêque: est-ce que ces quatre dames que vous voyez
ici, et qui sont pourtant nos épouses, nos filles ou nos nièces,
n'ont pas ce département-là tous les jours? Et à
quoi diable servirait, je vous prie, la langue d'une femme, si ce
n'était à torcher des culs. Pour moi, je ne lui connais
que cet usage-là. Constance, poursuit l'évêque
à cette belle épouse du duc qui était pour lors
sur son sofa, prouvez un peu à la Duclos votre habileté
dans cette partie; tenez, voilà mon cul très sale, il
n'a pas été torché depuis ce matin, je vous le
gardais... Allons, déployez vos talents." Et la malheureuse,
trop accoutumée à ces horreurs, les exécute en
femme consommée. Que ne produisent pas, grand Dieu, la crainte
et l'esclavage!
"Oh, parbleu! dit Curval en présentant son vilain trou
bourbeux à la charmante Aline, tu ne seras pas le seul à
donner ici l'exemple. Allons! petite putain, dit-il à cette
belle et vertueuse fille, surpassez votre compagne." Et on exécute.
"Allons, continue, Duclos, dit l'évêque, nous voulions
seulement te faire voir que ton homme n'exigeait rien de trop singulier
et qu'une langue de femme n'est bonne qu'a torcher un cul." L'aimable
Duclos se mit à rire et continua ce qu'on va lire:
"Vous
me permettrez, messieurs, dit-elle, d'interrompre un instant le récit
des passions pour vous faire part d'un événement qui
n'y a aucun rapport. Il me regarde seule, mais comme vous m'avez ordonné
de suivre les événements intéressants de mon
histoire même quand ils ne tiendraient pas au récit des
goûts, j'ai cru que celui-ci était de nature à
ne devoir pas rester dans le silence. Il y avait très longtemps
que j'étais chez Mme Fournier, devenue la plus ancienne de
son sérail et celle en qui elle avait le plus confiance. C'était
moi qui le plus souvent qui arrangeais les parties et qui en recevais
les fonds. Cette femme m'avait tenu lieu de mère, elle m'avait
secourue dans différents besoins, n'avait écrit fidèlement
en Angleterre, m'avait amicalement ouvert sa maison au retour, quand
mon dérangement m'y fit désirer un nouvel asile. Vingt
fois elle m'avait prêté de l'argent et souvent sans en
exiger la reddition. L'instant vint de lui prouver ma reconnaissance
et de répondre à son extrême confiance en moi,
et vous allez juger, messieurs, comme mon âme s'ouvrait à
la vertu et l'accès facile qu'elle y avait. La Fournier tombe
malade et son premier soin est de me faire appeler. "Duclos,
mon enfant, je t'aime, me dit-elle, tu le sais et je vais te le prouver
par l'extrême confiance que je vais avoir en toi dans ce moment-ci.
Je te crois, malgré ta mauvaise tête, incapable de tromper
une amie; me voilà fort malade, je suis vieille et ne sais,
par conséquent, ce que ceci deviendra. J'ai des parents qui
vont tomber sur ma succession; je veux au moins leur frustrer cent
mille francs que j'ai en or dans ce petit coffre. Tiens, mon enfant,
dit-elle, les voilà, je te les remets en exigeant de toi que
tu en fasses la disposition que je te vais prescrire. -Oh, ma chère
mère, lui dis-je en lui tendant les bras, ces précautions
me désolent; elles seront sûrement inutiles, mais si
malheureusement elles devenaient nécessaires, je vous fais
serment de mon exactitude à remplir vos intentions. -Je le
crois, mon enfant, me dit-elle; et voilà pourquoi j'ai jeté
les yeux sur toi. Ce petit coffre contient donc cent mille francs
en or; j'ai quelques scrupules, ma chère amie, quelques remords
de la vie que j'ai menée, de la quantité de filles que
j'ai jetées dans le crime et que j'ai arrachées à
Dieu. Je veux donc employer deux moyens pour me rendre la divinité
moins sévère: celui de l'aumône et celui de la
prière. Les deux premières portions de cette somme,
que tu composeras de quinze mille francs chacune, seront l'une pour
être remis aux capucins de la rue Saint-Honoré, afin
que ces bons pères disent à perpétuité
une messe pour le salut de mon âme; l'autre part, de même
somme, tu la remettras, dès que j'aurai fermé les yeux,
au curé de la paroisse, afin qu'il la distribue en aumônes
parmi les pauvres du quartier. C'est une excellente chose que l'aumône,
mon enfant; rien ne répare comme elle, aux yeux de Dieu, les
péchés que nous avons commis sur la terre. Les pauvres
sont ses enfants et il chérit tous ceux qui les soulagent;
on ne lui plaît jamais autant que par les aumônes. C'est
la véritable façon de gagner le ciel, mon enfant. A
l'égard de la troisième part, tu la formeras de soixante
mille livres, que tu remettras, tout de suite après ma mort,
au nommé Petignon, garçon cordonnier, rue du Bouloir.
Ce malheureux est mon fils, il ne s'en doute pas, c'est un bâtard
adultérin; je veux donner à ce malheureux orphelin,
en mourant, des marques de ma tendresse. A l'égard des dix
mille autres livres restantes, ma chère Duclos, je te prie
de les garder comme une faible marque de mon attachement pour toi
et pour te dédommager des soins que va te donner l'emploi du
reste. Puisse cette faible somme t'aider à prendre un parti
et à quitter l'indigne métier que nous faisons, dans
lequel il n'y a point de salut, ni d'espoir de le jamais faire."
Intérieurement enchantée de tenir une si bonne somme
et très décidée, de peur de m'embrouiller dans
les partages, de ne faire qu'un seul lot pour moi seule, je me jetai
artificieusement en larmes dans les bras de la vieille matrone, lui
renouvelant mes serments de fidélité, et ne m'occupai
plus que des moyens d'empêcher qu'un cruel retour de santé
n'allât faire changer sa résolution. Ce moyen se présenta
dès le lendemain: le médecin ordonna un émétique,
et comme c'était moi qui la soignais, ce fut à moi qu'il
remit le paquet, me faisant observer qu'il y avait deux prises, de
prendre bien garde de les séparer, parce que je la ferais crever
si je lui donnais tout à la fois; et de n'administrer la seconde
dose que dans le cas où la première ne ferait pas assez
d'effet. Je promis bien à l'Esculape d'avoir tous les égards
possibles, et dès qu'il eut le dos tourné, bannissant
de mon coeur tous ces futiles sentiments de reconnaissance qui auraient
arrêté une âme faible, écartant tout repentir
et toute faiblesse, et ne considérant que mon or, que le doux
charme de le posséder et le chatouillement délicieux
qu'on éprouve toujours chaque fois qu'on projette une mauvaise
action, pronostic certain du plaisir qu'elle donnera, ne me livrant
qu'à tout cela, dis-je, je campai sur-le-champ les deux prises
dans un verre d'eau et présentai le breuvage à ma douce
amie, qui, avalant avec sécurité, y trouva bientôt
la mort que j'avais tâché de lui procurer. Je ne puis
vous peindre ce que je sentis quand je vis réussir mon ouvrage.
Chacun des vomissements par lesquels s'exhalait sa vie produisait
une sensation vraiment délicieuse sur toute mon organisation:
je l'écoutais, je la regardais, j'étais exactement dans
l'ivresse. Elle me tendait les bras, elle m'adressait un dernier adieu,
et je jouissais, et je formais déjà mille projets avec
cet or que j'allais posséder. Ce ne fut pas long; la Fournier
creva dès le même soir et je me vis maîtresse du
magot."
"Duclos,
dit le duc, soit vraie: te branlas-tu? La sensation fine et voluptueuse
du crime atteignit-elle l'organe de la volupté? -Oui, monseigneur,
je vous l'avoue; et j'en déchargeai cinq fois de suite dès
le même soir. -Il est donc vrai, dit le duc en s'écriant,
il est donc vrai que le crime a par lui-même un tel attrait,
qu'indépendamment de toute volupté, il peut suffire
à enflammer toutes les passions et à jeter dans le même
délire que les actes mêmes de lubricité! Eh bien?...
-Eh bien, monsieur le duc, je fis enterrer honorablement la patronne,
héritai du bâtard Petignon, me gardai bien de faire dire
des messes et encore plus de distribuer des aumônes, espèce
d'action que j'ai toujours eue en véritable horreur, quelque
bien qu'en ait pu dire la Fournier. Je maintiens qu'il faut qu'il
y ait des malheureux dans le monde, que la nature le veut, qu'elle
l'exige, et que c'est aller contre ses lois en prétendant remettre
l'équilibre, si elle a voulu du désordre. -Comment donc,
Duclos, dit Durcet, mais tu as des principes! Je suis bien aise de
t'en voir sur cela; tout soulagement fait à l'infortune est
un crime réel contre l'ordre de la nature. L'inégalité
qu'elle a mise dans nos individus prouve que cette discordance lui
plaît, puisqu'elle l'a établie et qu'elle la veut dans
les fortunes comme dans les corps. Et comme il est permis au faible
de la réparer par le vol, il est également permis au
fort de la rétablir par le refus de ses secours. L'univers
ne subsisterait pas un instant si la ressemblance était exacte
dans tous les êtres; c'est de cette dissemblance que naît
l'ordre qui conserve et qui conduit tout. Il faut donc bien se garder
de le troubler. D'ailleurs, en croyant faire un bien à cette
malheureuse classe d'hommes, je fais beaucoup de mal à une
autre, car l'infortune est la pépinière où le
riche va chercher les objets de sa luxure ou de sa cruauté;
je le prive de cette branche de plaisir en empêchant par mes
secours cette classe de se livrer à lui. Je n'ai donc, par
mes aumônes, obligé que faiblement une partie de la race
humaine, et prodigieusement nui à l'autre. Je regarde donc
l'aumône non seulement comme une chose mauvaise en elle-même,
mais je la considère encore comme un crime réel envers
la nature qui, en nous indiquant les différences, n'a nullement
prétendu que nous les troublions. Ainsi, bien loin d'aider
le pauvre, de consoler la veuve et de soulager l'orphelin, si j'agis
d'après les véritables intentions de la nature, non
seulement, je les laisserai dans l'état où la nature
les a mis, mais j'aiderai même à ses vues en leur prolongeant
cet état et en m'opposant vivement à ce qu'ils en changent,
et je croirai sur cela tous les moyens permis. -quoi, dit le duc,
même de les voler ou de les ruiner? -Assurément, dit
le financier; même d'en augmenter le nombre, puisque leur classe
sert à une autre, et qu'en les multipliant, si je fais un peu
de peine à l'une, je ferai beaucoup de bien à l'autre.
-Voilà un système bien dur, mes amis, dit Curval. Il
est pourtant, dit-on, si doux de faire du bien aux malheureux! -Abus!
reprit Durcet, cette jouissance-là ne tient pas contre l'autre.
La première est chimérique, l'autre est réelle;
la première tient aux préjugés, l'autre est fondée
sur la raison; l'une, par l'organe de l'orgueil, la plus fausse de
toutes nos sensations, peut chatouiller un instant le coeur, l'autre
est une véritable jouissance de l'esprit et qui enflamme toutes
les passions par cela même qu'elle contrarie les opinions communes.
En un mot je bande à l'une, dit Durcet, et je sens très
peu de chose à l'autre. -Mais faut-il toujours tout rapporter
à ses sens? dit l'évêque. -Tout, mon ami, dit
Durcet; ce sont eux seuls qui doivent nous guider dans toutes les
actions de la vie, parce que ce sont eux seuls dont l'organe est vraiment
impérieux. -Mais mille et mille crimes peuvent naître
de ce système, dit l'évêque. -Eh, que m'importe
le crime, répondit Durcet, pourvu que je me délecte.
Le crime est un mode de la nature, une manière dont elle meut
l'homme. Pourquoi ne voulez-vous pas que je me laisse mouvoir aussi
bien par elle en ce sens-là que par celui de la vertu? Elle
a besoin de l'un et de l'autre, et je la sers aussi bien dans l'un
que dans l'autre. Mais nous voici dans une discussion qui nous mènerait
trop loin. L'heure du souper va venir, et Duclos est bien loin d'avoir
fini sa tâche. Poursuivez, charmante fille, poursuivez, et croyez
que vous venez de nous avouer là une action et des systèmes
qui vous méritent à jamais notre estime ainsi que celle
de tous les philosophes."
"Ma
première idée, dès que ma bonne patronne fut
enterrée, fut de prendre moi-même sa maison et de la
maintenir sur le même pied qu'elle. Je fis part de ce projet
à mes compagnes, qui toutes, et Eugénie surtout, qui
était toujours ma bien-aimée, me promirent de me regarder
comme leur maman. Je n'étais point trop jeune pour prétendre
à ce titre: j'avais près de trente ans et toute la raison
qu'il fallait pour diriger le couvent. Ainsi, messieurs, ce n'est
plus sur le pied de fille du monde que je vais finir le récit
de mes aventures, c'est sur celui d'abbesse, assez jeune et assez
jolie pour faire souvent ma pratique moi-même, comme cela m'arriva
souvent et comme j'aurai soin de vous le faire remarquer chaque fois
que cela sera. Toutes les pratiques de la Fournier me restèrent,
et j'eus le secret d'en attirer encore de nouvelles, tant par la propreté
de mes appartements que par l'excessive soumission de mes filles à
tous les caprices des libertins et par le choix heureux de mes sujets.
"Le premier chaland qui m'arriva fut un vieux trésorier
de France, ancien ami de la Fournier. Je le donnai à la jeune
Lucile dont il parut fort enthousiasmé. Sa manie d'habitude,
aussi sale que désagréable pour la fille, consistait
à chier sur le visage même de sa dulcinée, à
lui barbouiller toute la face avec son étron et puis de la
baiser, de la sucer en cet état. Lucile, par amitié
pour moi, se laissa faire tout ce que voulut le vieux satyre, et il
lui déchargea sur le ventre en baisant et rebaisant son dégoûtant
ouvrage.
"Peu après, il en vint un autre qu'Eugénie passa.
Il se faisait apporter un tonneau plein de merde, il y plongeait la
fille nue et la léchait sur toutes les parties du corps en
avalant, jusqu'à ce qu'il l'eût rendue aussi propre qu'il
l'avait prise. Celui-là était un fameux avocat, homme
riche et très connu et qui, ne possédant pour la jouissance
des femmes que les plus minces qualités, y remédiait
par ce genre de libertinage qu'il avait aimé toute sa vie.
"Le marquis de ..., vieille pratique de la Fournier, vint, peu
après sa mort, m'assurer de sa bienveillance. Il m'assura qu'il
continuerait de venir chez moi, et pour m'en convaincre, dès
le même soir il vit Eugénie. La passion de ce vieux libertin
consistait à baiser d'abord prodigieusement la bouche de la
fille. Il avalait le plus qu'il pouvait de sa salive, ensuite il lui
baisait les fesses un quart d'heure, faisait péter, et enfin
demandait la grosse affaire. Dès qu'on avait fini, il gardait
l'étron dans sa bouche et, faisant pencher la fille sur lui,
qui l'embrassait d'une main et le branlait de l'autre, pendant qu'il
goûtait le plaisir de cette masturbation en chatouillant le
trou merdeux, il fallait que la demoiselle vînt manger l'étron
qu'elle venait de lui déposer dans la bouche. Quoiqu'il payât
ce goût-là fort cher, il trouvait fort peu de filles
qui voulussent s'y prêter. Voilà pourquoi le marquis
vint me faire sa cour; il était aussi jaloux de conserver ma
pratique que je pouvais l'être d'avoir la sienne."
En
cet instant, le duc échauffé dit que, le souper dût-il
sonner, il voulait, avant que de se mettre à table, exécuter
cette fantaisie-là. Et voici comme il s'y prit: il fit approcher
Sophie, reçut son étron dans la bouche, puis obligea
Zélamir à venir manger l'étron de Sophie. Cette
manie eût pu devenir une jouissance pour tout autre que pour
un enfant tel que Zélamir; pas assez formé pour en sentir
tout le délicieux, il n'y vit que du dégoût et
voulut faire quelques façons. Mais le duc le menaçant
de toute sa colère s'il balançait une seule minute,
il exécuta. L'idée fut trouvée si plaisante que
chacun l'imita du plus au moins, car Durcet prétendit qu'il
fallait partager les faveurs et qu'il n'était pas juste que
les petits garçons mangeassent la merde des filles pendant
que les filles n'auraient rien pour elles, et, en conséquence,
il se fit chier dans la bouche par Zéphire et ordonna à
Augustine de venir manger la marmelade, ce que cette belle et intéressante
fille fit en vomissant jusqu'au sang. Curval imita ce bouleversement
et reçut l'étron de son cher Adonis, que Michette vint
manger non sans imiter la répugnance d'Augustine. Pour l'évêque,
il imita son frère, et fit chier la délicate Zelmire
en obligeant Céladon à venir avaler la confiture. Il
y eut des détails de répugnance très intéressants
pour des libertins aux yeux desquels les tourments qu'ils infligent
sont des jouissances. L'évêque et le duc déchargèrent,
les deux autres, ou ne le purent, ou ne le voulurent, et on passa
au souper. On y loua étonnamment l'action de la Duclos. "Elle
a eu l'esprit de sentir, dit le duc, qui la protégeait étonnamment,
que la reconnaissance était une chimère et que ses liens
ne devaient jamais ni arrêter ni suspendre même les effets
du crime, parce que l'objet qui nous a servi n'a nul droit à
notre coeur; il n'a travaillé que pour lui, sa seule présence
est une humiliation pour une âme forte, et il faut le haïr
ou s'en défaire. -Cela est si vrai, dit Durcet, que vous ne
verrez jamais un homme d'esprit chercher à s'attirer de la
reconnaissance. Bien sûr de se faire des ennemis, il n'y travaillera
jamais. -Ce n'est pas à vous faire plaisir que travaille celui
qui vous sert, interrompit l'évêque: c'est à se
mettre au-dessus de vous par ses bienfaits. Or, je demande ce que
mérite un tel projet. En nous servant il ne dit pas: je vous
sers, parce que je veux vous faire du bien; il dit seulement: je vous
oblige pour vous rabaisser et pour me mettre au-dessus de vous. Ces
réflexions, dit Durcet, prouvent donc l'abus des services qu'on
rend et combien la pratique du bien est absurde. Mais, vous dit-on,
c'est pour soi-même: soit, pour ceux dont la faiblesse de l'âme
peut se prêter à ces petites jouissances-là, mais
ceux qu'elles répugnent comme nous seraient, ma foi, bien dupes
de se les procurer." Ce système ayant échauffé
les têtes, on but beaucoup et on fut célébrer
les orgies, pour lesquelles nos inconstants libertins imaginèrent
de faire coucher les enfants et de passer une partie de la nuit à
boire, rien qu'avec les quatre vieilles et les quatre historiennes
et de s'exhaler là, à qui mieux mieux, en infamies et
en atrocités. Comme, parmi ces douze intéressantes personnes,
il n'y en avait pas une qui n'eût mérité la corde
et la roue plusieurs fois, je laisse au lecteur à penser et
à imaginer ce qu'il y fut dit. Des propos on passa aux actions,
le duc s'échauffa, et je ne sais ni pourquoi ni comment, mais
on prétendit que Thérèse porta quelque temps
ses marques. Quoi qu'il en soit, laissons nos acteurs passer de ces
bacchanales au chaste lit de leur épouse qu'on leur avait préparé
à chacun pour ce soir-là et voyons ce qui se passa le
lendemain.
