Stéphane Mallarmé

1842 - 1898

Les grandes heures de Valvins

Mallarmé à Valvins.

Cette foule hagarde ! Elle annonce : Nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs
Stéphane Mallarmé
Extrait de Toast funèbre


 

Mallarmé à Valvins.


Louis Lutrine laissa ses impressions sur Fontainebleau en cette manière : "Lorsque je m'aventure dans cette forêt, je tâche d'être à la fois un simple promeneur, un poète, un historien, un artiste, mais je ne suis pas un géomètre, un directeur du cadastre ou un inspecteur des eaux et forês ".

Mais qu'est-ce qui fascinait tant les poètes et les touristes à Valvins ?
Victor Hugo passa quelques jours aux Plâtreries et Samois depuis 1841 avait trois endroits d'accueil entre le Petit Pont, les Plâtreries et Valvins car l'arrivée des bateaux vapeurs pouvait capter une partie de la clientèle. La forêt impressionnait toujours les poètes, les peintres et les musiciens qui passaient doucement du romantisme au symbolisme. Sénancourt, qui avait aimé l'Auberge de Valvins, écrivait en 1795 et l'immortalisa : "Isolé au pied d'une éminence, sur une petite plage entre la rivière et les bois ".

A Valvins, Stéphane Mallarmé avait aménagé lui même son ermitage à la mode de l'époque. Henri Roujon nous laissa ses notes sur la Maison de Valvins : " quelques toiles de Jouy aux murs blanchis à la chaux, de bons vieux fauteuils, des livres, des amis, quelques kimonos, une pendule de Saxe digne d'un musée donnaient à cet asile champêtre une grâce d'aristocrate". Au début les Mallarmé étaient logés au premier étage de la modeste maison de Valvins, même s'ils étaient meublés sommairement c'était avec un goût raffiné : un bureau, un lit à baldaquin tapissé de toile de Jouy rouge, un tapis persan sur le sol carrelé et une toile de Berthe Morisot sur le mur peint à la chaux sans oublier la pendule de Saxe sur la cheminée.

Disposant d'un potager, d'un verger, d'un puits, il aimait le travail manuel qui le reposait d'autres travaux ; on pouvait le voir peindre ses chaises de jardin ou venir son canot. Dans une lettre à sa femme Marie et à sa fille Geneviève, il écrivait : " Tous les matins je me promène avec le sécateur et fais leur toilette aux fleurs avant la mienne ". Il avait également embelli le dôme campagnard de Valvins de ses mains, justifiant bien cette élection propice à la fois au loisir du rameur et à son rêve de poète : de belles eaux où faire nager son canot et un site où s'allie au miroir du fleuve le reflet changeant de la forêt. Dans cette maison de location de Valvins, Stéphane Mallarmé se reposait, écrivait à ses amis, repensait son oeuvre, parcourait la forêt ou canotait sur le fleuve. Ses promenades fluviales le menaient du Pont de Valvins à l'écluse de Samois ou dans l'autre sens vers Thomery.
Henri Mondor relate l'anecdote suivante : " On l'a vu un jour ou deux dans la forêt, avec un bâton au bout duquel était fixé un clou. Il ramassait et jetait dans un panier les morceaux de papiers épars. Comme on s'étonnait de ses soins :" J'aurai demain Régnier et quelques amis, je prépare les lieux ".
Christian de Bartillat a écrit : "Avec Mallarmé, ses amis, ses disciples, la poésie semble sortir de la forêt de Fontainebleau et verser du côté de la Seine pour se jouer de l'eau ". Grâce à lui, le pont de Valvins, cinq fois reconstruit depuis les Romains, est devenu le haut lieu de la littérature française ". André Billy, à propos du Pont de Valvins, déclara : " il a joué dans la méditation de Mallarmé un rôle presque aussi important que son cabinet de travail ou son jardin " alors qu'Henri Mondor rappelait que c'est au Pont de Valvins que Mallarmé rencontra un baigneur qui perdant connaissance était en train de se noyer : et ce baigneur n'était autre que Paul Valéry. En 1885 dans une lettre à Paul Verlaine, Mallarmé s'épanchait : "J'oubliais mes fugues aussitôt que pris de trop de fatigue l'esprit, sur le bord de la Seine et de la Forêt de Fontainebleau, en un lieu le même depuis des années ». A Valvins, Stéphane Mallarmé y péchait également auprès de son ami Nadar et il eut pour voisins : Elémir Bourges, Henri de Régnier, Edouard Dujardin, Paul et Victor Margueritte, Odilon Redon, Camille Mauclair, Armand Point, Stuart Merrill, Gabriel Seailles, Renoir etc.... Il y recevait donc des amis arrivant de Paris ou d'alentours : Berthe Morisot et sa fille Julie Manet, Paul Valéry, Manet, Léon Dierx, Vuillard, Marcel Schwob ou les Natanson. Stéphane Mallarmé n'appelait-il pas affectueusement la femme de Thadée Natanson : " la gentille Misia " car il l'avait connu jeune fille chez son père Cyprian Godebski. Dès que les Natanson étaient à Valvins, " tous les soirs vêtu d'une longue houppelande et chaussé de sabots en bois, une lanterne à la main, et une bonne bouteille de vin dans l'autre Mallarmé longeait le sentier boueux qui conduisait chez les Natanson pour partager un des copieux repas de Misia. En entrant à la Grangette, il enlevait ses sabots, révélant de ravissants chaussons noirs. Il racontait des histoires pour faire rire Misia et, secoué par le rire à son tour s'exclamait :" Qu'elle est gentille ! "racontent A. Gold et R. Fizdale dans leur livre sur la vie de Misia Sert. Le jour de l'an, rituellement Mallarmé offrait à Misia Natanson un éventail japonais avec une dédicace ; celui qui a survécu porte encore ces vers :



"Aile que du papier repolie

Bats toute si t'initia

Naguère à l'orage et la joie

De son piano Misia".

Stéphane Mallarmé aimait l'auto-dérision, son adresse à l'auberge de Cayenne, à Valvins, en est un exemple :

 

" Monsieur Mallarmé, le Pervers

A nous fuir pour les bois s'acharne

Ma lettre, suit sa trace vers

Valvins, par Avon, Seine et Marne ".