Mallarmé
à Valvins.
Louis
Lutrine laissa ses impressions sur Fontainebleau en cette manière
: "Lorsque je m'aventure dans cette forêt, je tâche
d'être à la fois un simple promeneur, un poète,
un historien, un artiste, mais je ne suis pas un géomètre,
un directeur du cadastre ou un inspecteur des eaux et forês ".
Mais qu'est-ce qui fascinait tant les poètes et les touristes
à Valvins ?
Victor Hugo passa quelques jours aux Plâtreries et Samois depuis
1841 avait trois endroits d'accueil entre le Petit Pont, les Plâtreries
et Valvins car l'arrivée des bateaux vapeurs pouvait capter une
partie de la clientèle. La forêt impressionnait toujours
les poètes, les peintres et les musiciens qui passaient doucement
du romantisme au symbolisme. Sénancourt, qui avait aimé
l'Auberge de Valvins, écrivait en 1795 et l'immortalisa : "Isolé
au pied d'une éminence, sur une petite plage entre la rivière
et les bois ".
A Valvins, Stéphane Mallarmé avait aménagé
lui même son ermitage à la mode de l'époque. Henri
Roujon nous laissa ses notes sur la Maison de Valvins : " quelques
toiles de Jouy aux murs blanchis à la chaux, de bons vieux fauteuils,
des livres, des amis, quelques kimonos, une pendule de Saxe digne d'un
musée donnaient à cet asile champêtre une grâce
d'aristocrate". Au début les Mallarmé étaient
logés au premier étage de la modeste maison de Valvins,
même s'ils étaient meublés sommairement c'était
avec un goût raffiné : un bureau, un lit à baldaquin
tapissé de toile de Jouy rouge, un tapis persan sur le sol carrelé
et une toile de Berthe Morisot sur le mur peint à la chaux sans
oublier la pendule de Saxe sur la cheminée.
Disposant d'un potager, d'un verger, d'un puits, il aimait le travail
manuel qui le reposait d'autres travaux ; on pouvait le voir peindre
ses chaises de jardin ou venir son canot. Dans une lettre à sa
femme Marie et à sa fille Geneviève, il écrivait
: " Tous les matins je me promène avec le sécateur
et fais leur toilette aux fleurs avant la mienne ". Il avait également
embelli le dôme campagnard de Valvins de ses mains, justifiant
bien cette élection propice à la fois au loisir du rameur
et à son rêve de poète : de belles eaux où
faire nager son canot et un site où s'allie au miroir du fleuve
le reflet changeant de la forêt. Dans cette maison de location
de Valvins, Stéphane Mallarmé se reposait, écrivait
à ses amis, repensait son oeuvre, parcourait la forêt ou
canotait sur le fleuve. Ses promenades fluviales le menaient du Pont
de Valvins à l'écluse de Samois ou dans l'autre sens vers
Thomery.
Henri Mondor relate l'anecdote suivante : " On l'a vu un jour ou
deux dans la forêt, avec un bâton au bout duquel était
fixé un clou. Il ramassait et jetait dans un panier les morceaux
de papiers épars. Comme on s'étonnait de ses soins :"
J'aurai demain Régnier et quelques amis, je prépare les
lieux ".
Christian de Bartillat a écrit : "Avec Mallarmé,
ses amis, ses disciples, la poésie semble sortir de la forêt
de Fontainebleau et verser du côté de la Seine pour se
jouer de l'eau ". Grâce à lui, le pont de Valvins,
cinq fois reconstruit depuis les Romains, est devenu le haut lieu de
la littérature française ". André Billy, à
propos du Pont de Valvins, déclara : " il a joué
dans la méditation de Mallarmé un rôle presque aussi
important que son cabinet de travail ou son jardin " alors qu'Henri
Mondor rappelait que c'est au Pont de Valvins que Mallarmé rencontra
un baigneur qui perdant connaissance était en train de se noyer
: et ce baigneur n'était autre que Paul Valéry. En 1885
dans une lettre à Paul Verlaine, Mallarmé s'épanchait
: "J'oubliais mes fugues aussitôt que pris de trop de fatigue
l'esprit, sur le bord de la Seine et de la Forêt de Fontainebleau,
en un lieu le même depuis des années ». A Valvins,
Stéphane Mallarmé y péchait également auprès
de son ami Nadar et il eut pour voisins : Elémir Bourges, Henri
de Régnier, Edouard Dujardin, Paul et Victor Margueritte, Odilon
Redon, Camille Mauclair, Armand Point, Stuart Merrill, Gabriel Seailles,
Renoir etc.... Il y recevait donc des amis arrivant de Paris ou d'alentours
: Berthe Morisot et sa fille Julie Manet, Paul Valéry, Manet,
Léon Dierx, Vuillard, Marcel Schwob ou les Natanson. Stéphane
Mallarmé n'appelait-il pas affectueusement la femme de Thadée
Natanson : " la gentille Misia " car il l'avait connu jeune
fille chez son père Cyprian Godebski. Dès que les Natanson
étaient à Valvins, " tous les soirs vêtu d'une
longue houppelande et chaussé de sabots en bois, une lanterne
à la main, et une bonne bouteille de vin dans l'autre Mallarmé
longeait le sentier boueux qui conduisait chez les Natanson pour partager
un des copieux repas de Misia. En entrant à la Grangette, il
enlevait ses sabots, révélant de ravissants chaussons
noirs. Il racontait des histoires pour faire rire Misia et, secoué
par le rire à son tour s'exclamait :" Qu'elle est gentille
! "racontent A. Gold et R. Fizdale dans leur livre sur la vie de
Misia Sert. Le jour de l'an, rituellement Mallarmé offrait à
Misia Natanson un éventail japonais avec une dédicace
; celui qui a survécu porte encore ces vers :
"Aile que du papier repolie
Bats
toute si t'initia
Naguère
à l'orage et la joie
De
son piano Misia".
Stéphane Mallarmé
aimait l'auto-dérision, son adresse à l'auberge de Cayenne,
à Valvins, en est un exemple :
"
Monsieur Mallarmé, le Pervers
A
nous fuir pour les bois s'acharne
Ma
lettre, suit sa trace vers
Valvins,
par Avon, Seine et Marne ".
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