La
mort de Stéphane Mallarmé
Stéphane Mallarmé meurt prématurément d'une
crise aiguë d'une affection du larynx, en apprenant sa mort Julie
Manet notait dans son journal en date du 10 septembre 1898 :
" Oh ! quelle terrible chose ! une dépêche nous apprend
la mort de M. Mallarmé, est-ce possible, qu'a-t-il pu avoir,
c'est affreux ! Pauvre Mme Mallarmé ! Pauvre Geneviève
! Ah ! que la mort de ce grand ami de papa et de maman, qu'ils avaient
nommé mon tuteur, me rend malheureuse ! Il était charmant
pour nous , il nous appelait "les enfants "d'une façon
si paternelle. Il me rappelait ces soirées du jeudi, si délicieuses,
à la maison. Que c'est atroce de penser que cet homme que nous
avons encore vu si bien portant en juillet est maintenant disparu. C'est
terrible la mort. M. Renoir est bien émotionné en apprenant
cette horrible nouvelle. Il part avec nous ce soir pour Valvins. Nous
allons coucher à Troyes. ".
La journée du dimanche 11 septembre est des plus sombres, Julie
Manet confie encore à son journal :
"Nous arrivons à Valvins vers 2 heures. Que c'est pénible
de descendre de ce chemin au bord de la Seine vers ce petit coin, on
ne peut pas ne pas penser que celui qu'on pleure n'y est plus. Le bateau
paraît solitaire, son bateau qu'il aimait tant et qui me rappelle
une première promenade faite dedans en 1887 avec maman et papa
qui demande à M. Mallarmé s'il n'avait jamais rien écrit
sur son bateau. Non, répondit-il en jetant un regard sur sa voile,
je laisse cette grande page blanche". Je me sens le coeur bien
gros en entrant dans ce petit jardin, en montant l'escalier et en voyant
ces deux malheureuses femmes, qu'elles sont à plaindre, comment
les soulager, on ne peut que pleurer avec elles. Ah ! cette pauvre Geneviève
quelle vie elle a ! C'est horrible de voir ce charmant intérieur
sans M. Mallarmé, et au lieu de l'entendre causer dans ce jardin
sous le marronnier que Geneviève planta étant petit, d'y
voir son cercueil ; c'est atroce ! Ah ! penser que nous n'entendrons
plus jamais cette voix douce ! Il avait une façon si affectueuse
de dire"maman " lorsqu'il me parlait d'elle. C'est lui que
papa avait nommé mon tuteur, c'est lui et M. Renoir les deux
grands amis de papa et de maman. Ils étaient charmants à
voir ensemble . Certes, je ne me doutais pas cet hiver que nous jouissions
de leurs conversations réunies pour la dernière fois.
Homme de lettres et paysans avec lesquels Mallarmé était
si gentil,, se trouvent réunis en grand nombre dans le jardin
pour suivre cet enterrement si particulièrement navrant et on
sent la douleur peinte sur tous les visages. La cérémonie
à l'église de Samoreau est très simple et très
bien. Le cimetière qui longe la Seine et regarde cette forêt
que M. Mallarmé aimait tant, où il est déposé
prés de son fils qu'il a perdu tout jeune ; Roujon prononce en
tremblant quelques paroles au nom des vieux ; Catulle Mendès,
Dierx, Mars, etc., pleines de simplicité sur le caractère
de son ami, en faisant ressentir toute la douceur ; il arrache des larmes
à tous en disant comment, lorsque dans les moments difficiles
de la vie on avait recours à lui, vous promettant son aide, "
il vous tendait sa main amie en abaissant ses paupières sur ses
grands yeux d'enfants ". Quel portrait juste et discret, comme
M. Mallarmé aurait voulu qu'il soit.
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Paul Valéry
prend ensuite la parole au nom des jeunes ; mais il est tellement émotionné
qu'il ne peut continuer et l'on sort du petit cimetière en sanglotant
avec Geneviève. C'est peut être encore ce qu'il y a de
plus horrible le jour où tous les amis viennent vous embrasser
et pleurer avec vous ; mais ce qui est terrible, c'est de voir la vie
reprendre son cours comme si personne n'avait disparu et peu à
peu l'éloignement de l'époque où il vivait avec
ceux qu'on pleurent. Que c'est lugubre ce soir, lorsque tout le monde
est parti, de ne plus trouver ici que deux femmes seules qui désormais
seront sans celui pour lequel elles étaient. Nous dînons
avec elles et je nous revois à cette table, le 24 juillet, avec
celui que nous nous attendons à chaque instant à apercevoir
entrant par une porte disant une jolie phrase. Tout est lui ici. Valvins
a perdu son âme " .
La mort de Stéphane Mallarmé affecta beaucoup tout son
entourage et particulièrement Misia Natanson et la plongea dans
une profonde tristesse ; elle suivit le corbillard au bras de Paul Valéry
alors que Thadée soutenait Renoir en pleurs. Dans " Peints
à leur tour " Thadée Natanson raconte l'enterrement
du Prince des Symbolistes :
" Renoir ....., il fut de ceux que la mort subite et précoce
de Mallarmé devait affliger le plus profondément du petit
nombre de ceux qui, par un dimanche resplendissant du début septembre
1898, conduisirent ses restes de la maison de Valvins au Cimetière
de Samoreau. De Valvins, vers la fin de l'après-midi, Renoir
se laissa faire emmener par quelques autres d'une petite bande de fidèles
du défunt jusqu'à la maison de campagne, où, à
quelques lieues de là, ce petit monde villégiaturait chez
moi. Ils n'y arrivèrent que tard, et, au repas improvisé
et qu'on avait dû leur faire attendre quelque peu, tous firent,
après une longue journée en plein air, honneur largement
".
Après l'enterrement de Mallarmé, Thadée et Misia
Natanson invitèrent quelques uns de leurs amis à Villeneuve-sur-Yonne
dans leur maison qu'ils avaient acquis en 1896. Une photo représentant
le peintre Bonnard, Ida et Cipa Godebski, Renoir, Thadée et Misia
Natanson dans la cour de cette maison quelques heures après le
retour de l'enterrement de Mallarmé. Annette Vaillant, fille
d'Athis (Alfred) Natanson, écrivit alors :
" Partout, toujours Misia, la femme d'oncle Thadée, câline
elle enlace son mari - son père - le vieux sculpteur Godebski
qui fut l'ami de Litszt. ..... A la fin d'une journée d'été
tout le monde s'assied au jardin autour de Renoir déjà
vieilli, on vient d'enterrer Mallarmé".
Mecislas Golberg, le " Passant de la Pensée" alors
en exil à Bruxelles rendit hommage à Stéphane Mallarmé
dans deux publications : " Tablettes mensuelles " octobre
1898 et dans "Le Crépuscule de l'Art " Malheureusement,
il est impossible de savoir s'il y a eu une correspondance entre M.
Golberg et
S. Mallarmé comme il y en a eu une entre lui et Emile Zola. L'anarchiste
du " Trimard ", prophète en haillon du Sionisme naissant,
mourut en décembre 1907 à Fontainebleau, rue St Merry,
après avoir passé quelques mois au Sanatorium d'Avon.
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