Stéphane Mallarmé

1842 - 1898

Les grandes heures de Valvins

La mort de Stéphane Mallarmé

Cette foule hagarde ! Elle annonce : Nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs
Stéphane Mallarmé
Extrait de Toast funèbre


 

La mort de Stéphane Mallarmé


Stéphane Mallarmé meurt prématurément d'une crise aiguë d'une affection du larynx, en apprenant sa mort Julie Manet notait dans son journal en date du 10 septembre 1898 :

" Oh ! quelle terrible chose ! une dépêche nous apprend la mort de M. Mallarmé, est-ce possible, qu'a-t-il pu avoir, c'est affreux ! Pauvre Mme Mallarmé ! Pauvre Geneviève ! Ah ! que la mort de ce grand ami de papa et de maman, qu'ils avaient nommé mon tuteur, me rend malheureuse ! Il était charmant pour nous , il nous appelait "les enfants "d'une façon si paternelle. Il me rappelait ces soirées du jeudi, si délicieuses, à la maison. Que c'est atroce de penser que cet homme que nous avons encore vu si bien portant en juillet est maintenant disparu. C'est terrible la mort. M. Renoir est bien émotionné en apprenant cette horrible nouvelle. Il part avec nous ce soir pour Valvins. Nous allons coucher à Troyes. ".

La journée du dimanche 11 septembre est des plus sombres, Julie Manet confie encore à son journal :

"Nous arrivons à Valvins vers 2 heures. Que c'est pénible de descendre de ce chemin au bord de la Seine vers ce petit coin, on ne peut pas ne pas penser que celui qu'on pleure n'y est plus. Le bateau paraît solitaire, son bateau qu'il aimait tant et qui me rappelle une première promenade faite dedans en 1887 avec maman et papa qui demande à M. Mallarmé s'il n'avait jamais rien écrit sur son bateau. Non, répondit-il en jetant un regard sur sa voile, je laisse cette grande page blanche". Je me sens le coeur bien gros en entrant dans ce petit jardin, en montant l'escalier et en voyant ces deux malheureuses femmes, qu'elles sont à plaindre, comment les soulager, on ne peut que pleurer avec elles. Ah ! cette pauvre Geneviève quelle vie elle a ! C'est horrible de voir ce charmant intérieur sans M. Mallarmé, et au lieu de l'entendre causer dans ce jardin sous le marronnier que Geneviève planta étant petit, d'y voir son cercueil ; c'est atroce ! Ah ! penser que nous n'entendrons plus jamais cette voix douce ! Il avait une façon si affectueuse de dire"maman " lorsqu'il me parlait d'elle. C'est lui que papa avait nommé mon tuteur, c'est lui et M. Renoir les deux grands amis de papa et de maman. Ils étaient charmants à voir ensemble . Certes, je ne me doutais pas cet hiver que nous jouissions de leurs conversations réunies pour la dernière fois. Homme de lettres et paysans avec lesquels Mallarmé était si gentil,, se trouvent réunis en grand nombre dans le jardin pour suivre cet enterrement si particulièrement navrant et on sent la douleur peinte sur tous les visages. La cérémonie à l'église de Samoreau est très simple et très bien. Le cimetière qui longe la Seine et regarde cette forêt que M. Mallarmé aimait tant, où il est déposé prés de son fils qu'il a perdu tout jeune ; Roujon prononce en tremblant quelques paroles au nom des vieux ; Catulle Mendès, Dierx, Mars, etc., pleines de simplicité sur le caractère de son ami, en faisant ressentir toute la douceur ; il arrache des larmes à tous en disant comment, lorsque dans les moments difficiles de la vie on avait recours à lui, vous promettant son aide, " il vous tendait sa main amie en abaissant ses paupières sur ses grands yeux d'enfants ". Quel portrait juste et discret, comme M. Mallarmé aurait voulu qu'il soit.

Paul Valéry prend ensuite la parole au nom des jeunes ; mais il est tellement émotionné qu'il ne peut continuer et l'on sort du petit cimetière en sanglotant avec Geneviève. C'est peut être encore ce qu'il y a de plus horrible le jour où tous les amis viennent vous embrasser et pleurer avec vous ; mais ce qui est terrible, c'est de voir la vie reprendre son cours comme si personne n'avait disparu et peu à peu l'éloignement de l'époque où il vivait avec ceux qu'on pleurent. Que c'est lugubre ce soir, lorsque tout le monde est parti, de ne plus trouver ici que deux femmes seules qui désormais seront sans celui pour lequel elles étaient. Nous dînons avec elles et je nous revois à cette table, le 24 juillet, avec celui que nous nous attendons à chaque instant à apercevoir entrant par une porte disant une jolie phrase. Tout est lui ici. Valvins a perdu son âme " .

La mort de Stéphane Mallarmé affecta beaucoup tout son entourage et particulièrement Misia Natanson et la plongea dans une profonde tristesse ; elle suivit le corbillard au bras de Paul Valéry alors que Thadée soutenait Renoir en pleurs. Dans " Peints à leur tour " Thadée Natanson raconte l'enterrement du Prince des Symbolistes :

" Renoir ....., il fut de ceux que la mort subite et précoce de Mallarmé devait affliger le plus profondément du petit nombre de ceux qui, par un dimanche resplendissant du début septembre 1898, conduisirent ses restes de la maison de Valvins au Cimetière de Samoreau. De Valvins, vers la fin de l'après-midi, Renoir se laissa faire emmener par quelques autres d'une petite bande de fidèles du défunt jusqu'à la maison de campagne, où, à quelques lieues de là, ce petit monde villégiaturait chez moi. Ils n'y arrivèrent que tard, et, au repas improvisé et qu'on avait dû leur faire attendre quelque peu, tous firent, après une longue journée en plein air, honneur largement ".

Après l'enterrement de Mallarmé, Thadée et Misia Natanson invitèrent quelques uns de leurs amis à Villeneuve-sur-Yonne dans leur maison qu'ils avaient acquis en 1896. Une photo représentant le peintre Bonnard, Ida et Cipa Godebski, Renoir, Thadée et Misia Natanson dans la cour de cette maison quelques heures après le retour de l'enterrement de Mallarmé. Annette Vaillant, fille d'Athis (Alfred) Natanson, écrivit alors :

" Partout, toujours Misia, la femme d'oncle Thadée, câline elle enlace son mari - son père - le vieux sculpteur Godebski qui fut l'ami de Litszt. ..... A la fin d'une journée d'été tout le monde s'assied au jardin autour de Renoir déjà vieilli, on vient d'enterrer Mallarmé".


Mecislas Golberg, le " Passant de la Pensée" alors en exil à Bruxelles rendit hommage à Stéphane Mallarmé dans deux publications : " Tablettes mensuelles " octobre 1898 et dans "Le Crépuscule de l'Art " Malheureusement, il est impossible de savoir s'il y a eu une correspondance entre M. Golberg et
S. Mallarmé comme il y en a eu une entre lui et Emile Zola. L'anarchiste du " Trimard ", prophète en haillon du Sionisme naissant, mourut en décembre 1907 à Fontainebleau, rue St Merry, après avoir passé quelques mois au Sanatorium d'Avon.