LES THÈMES
DU MOI
Le
romantisme français se définit par une prédominance
du Moi et de ses sentiments. Cet accent mis sur l'individu se comprend
aisément dès qu'on se rappelle que la génération
romantique naît alors que tous les repères collectifs viennent
de s'effondrer. En effet, après les espoirs suscités par
la révolution de 1789, après les années où
Napoléon avait concentré sur lui les feux de la gloire,
la Restauration ne propose qu'un régime réactionnaire
et mesquin. Après plusieurs décennies où la France
avait été au centre de l'Histoire, à l'avant-garde
de l'aventure humaine, la société proposée aux
jeunes, autour de 1815-1825, semble désespérément
fade. De là, ce repli sur soi caractéristique du romantisme.
La prédominance du
Moi a pris des formes diverses. Chez Stendhal, le culte du Moi se confond
avec une quête effrénée de bonheur, alors que chez
Hugo (par exemple dans Ce siècle avait deux ans) le Je du poète
constitue le centre de la création divine et il est donc, plus
que tout autre homme, capable de comprendre les finalités de
l'univers. Pour Hugo, comme pour Novalis et Hölderlin avant lui,
le poète ressemble à un prophète, à un voyant.
La primauté du Moi
et la confrontation à un univers social désespérément
ennuyeux, surtout après l'exemple de Napoléon, expliquent
l'importance à la fois de la passion et du désenchantement.
La passion, c'est d'abord
la passion amoureuse qui se nourrit d'obstacles et de dépassements.
En ce sens, l'uvre romantique la plus caractéristique est
sans doute le Tristan et Isolde de Wagner: la fusion n'est jamais assez
absolue et seule la mort, débarrassant les deux amants de leurs
corps, apparaît satisfaisante. Toutefois, si l'amour est ce à
quoi on songe en premier, la passion romantique peut prendre bien d'autres
formes comme la révolte (l'exemple de Byron est célèbre
chez les romantiques français), le désir de connaissance
(Faust est une autre influence étrangère importante, notamment
chez Nerval) ou la quête de Dieu (entre autres chez Lamartine).
Enfin, si la passion ne
peut être satisfaite - et chez les romantiques elle l'est rarement
en dehors de la mort - le désenchantement apparaît. On
parle alors de Mal du siècle, de nostalgie, de mélancolie
(El Desdichado est par excellence le poème de la perte mélancolique).
Il est en tout cas remarquable comme le romantisme relève souvent
d'une esthétique du malheur: il a mis en scène d'éternels
automnes, des soleils couchants toujours répétés
et le suicide (cf. Rolla et, dans une toute autre tonalité, Il
n'avait pas vingt ans) lui-même devient un thème à
la mode.
Le romantisme est, plus
que la plupart des courants littéraires du passé, près
de nous; et cela s'explique justement parce qu'il a mis le Moi au centre
de ses intérêts. La dynamique entretenue entre un univers
social insatisfaisant, la quête de passion et le désenchantement
n'est, après tout, pas très différente maintenant
de ce qu'elle fut il y a deux cents ans.
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