Le
romantisme est une pensée de l'Ailleurs.
Pour échapper à
un monde de plus en plus prosaïque, bourgeois, où la science
ne laisse plus d'espace au merveilleux et où la religion elle-même
a moins affaire avec la foi ardente qu'avec la morale la plus plate,
les romantiques rêvent à ce qu'il y a de plus lointain
de l'univers social qui devrait être le leur.
Aussi, la plupart des romantiques
français voyagent-ils beaucoup, davantage en tout cas que les
écrivains des siècles précédents. Presque
tous ont vu l'Italie, plusieurs l'Espagne, et ils n'ont pas été
rares ceux qui, comme Nerval ou Lamartine, ont eu l'audace de visiter
le Proche ou le Moyen-Orient
.
Les pays du sud sont ceux
qui fascinent le plus les romantiques et on aurait tort de ne voir là
qu'un hasard: ce qu'on cherche là-bas ce sont des moeurs radicalement
nouvelles, étranges, aussi peu civilisées que possible.
De fait, ce n'est pas seulement le pittoresque qui attire Hugo ou Musset
en Espagne, en Italie ou en Afrique du Nord; c'est surtout la sauvagerie
qui n'existe plus dans les sociétés trop bien policées
où ils ont grandi. D'ailleurs, ce n'est pas tant Madrid ou Rome
qui inspire les artistes français du début du XIXe siècle;
ce sont les sorcières de Goya, les eaux troubles de Venise et
les cavalcades d'Algérie, autrement dit ce qui est barbare, qui
excitent l'imagination des poètes et des peintres.
Naturellement, les romantiques
n'ont pas fait que voyager: ils ont également exploité
l'exotisme dans leurs livres et sur leurs toiles. Cela a parfois permis
l'usage d'un vocabulaire renouvelé (à ce propos, on peut
lire Grenade de Victor Hugo; en peinture, pensons à Delacroix
et à son travail sur les couleurs). Mais, plus souvent encore,
c'est l'ardeur des passions que sert l'exotisme: L'Enfant grec qui veut
se venger par les armes de ceux qui ont tué sa famille en est
un bel exemple, mais on peut aussi songer à la sensualité
de Sara la baigneuse ou à la férocité du bandit
Henriquez.
L'exotisme apparaît
donc comme une compensation à un univers social d'où l'aventure
est singulièrement absente. En France, au XIXe siècle,
les haines ne se règlent plus par des duels, mais par des procès.
Aussi est-il dans l'ordre des choses que, pour ceux qui veulent vivre
avec ardeur, les contrées les plus lointaines - et surtout les
plus sauvages - soient les plus attirantes.
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