Aloysius Bertrand est
l'un des représentants les plus originaux du romantisme français.
On le sait, l'auteur de Gaspard de la Nuit est l'un de ceux qui,
après Rousseau et Chateaubriand, avant Baudelaire et Rimbaud,
inventèrent le poème en prose. Jouant, dans une forme
cependant plus libre, de procédés inspirés de la
poésie la plus rigoureuse - pensons à ce propos aux rythmes
du Maçon, aux effets en parallèles d'Un Rêve et
aux jeux sonores d'Ondine - Bertrand a créé un univers
langagier neuf, à la fois plein de fantaisie et singulièrement
maîtrisé.
Pourtant, la nouveauté
de Gaspard ne réside pas que dans la manière dont ce recueil
a été écrit. Là-dessus, il convient notamment
de souligner que le goût qu'a Bertrand pour le Moyen Age n'est
pas celui, plus convenu, de la plupart des romantiques: les tournois,
les preux chevaliers, les princesses et les troubadours que les romanciers
du début du 19e siècle appréciaient tant laissent
la place, chez Bertrand, aux gueux, aux bibliophiles, aux Juifs.
L'univers populaire
prend dès lors une place considérable, ce que confirme
d'ailleurs les allusions à une école flamande où
il est aisé de reconnaître une parenté avec Breughel.
Les personnages que Bertrand
met en scène sont le plus souvent fantasques: Gaspard de la Nuit
en est un exemple, mais nous pouvons aussi penser à Scarbo, à
Ondine ou à Jean des Tilles. Ces êtres sont vifs, aussi
mouvants que les eaux qu'ils habitent parfois; et ce n'est nullement
un hasard si les mots qui décrivent le mieux ces êtres
que Bertrand a inventés - ils sont ondoyants, fuyants, instables
- sont aussi ceux qui désignent le mieux l'art du poète
lui-même.

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