Si
le Romantisme est bien un mouvement menant vers ailleurs, aux mystères
de l'invisible, alors Gérard de Nerval est un des romantiques
les plus absolus qui soient.
Ses souvenirs les plus lointains,
plutôt que de laisser les contingences de la vie ordinaire les
effacer lentement, Nerval a pris soin d'en conserver l'essentiel dans
ses Filles du Feu et dans le récit des légendes du Valois,
ce Valois où il passa son enfance. Mais l'amour de Nerval pour
ce qui n'est plus va bien au-delà d'un travail de mémoire:
pour lui, la nostalgie peut aussi être celle d'un temps qu'il
n'a pas vécu, comme dans Fantaisie où un air de musique
pouvait transporter le poète dans un autre siècle, à
l'époque de Louis XIII.
De la même manière, les amours de Nerval ont toujours été
d'autant plus intenses qu'ils étaient éprouvés
pour des femmes absentes. Pensons à Sophie Dawes que Nerval,
alors enfant, voyait de loin, comme une déesse lui apparaissant
aux abords du château de Mortefontaine. Pensons surtout à
Jenny Colon, pour laquelle il fonda une revue et qu'il perdit deux fois,
d'abord quand elle se maria et ensuite lorsqu'elle mourut. Nerval lui
redonna alors vie, mais une vie hallucinatoire, comme si elle était
une étoile guidant le poète. Elle devint alors, dans Myrtho
et Aurélia, une vision persistante mais nécessairement
insaisissable de l'Idéal; puis elle inspira El Desdichado, là
où Nerval se résigna à sa perte et à n'être
qu'un veuf, inconsolé et mélancolique
.
Mais la manifestation la
plus évidente du prestige que, pour Nerval, devait revêtir
l'invisible se perçoit dans son goût pour le mysticisme.
De fait, Les Chimères ne peuvent se comprendre sans ses références
aux mythes grecs et égyptiens, à la Kabbale et aux traditions
chrétiennes les plus anciennes. Mais, au-delà de la littérature,
son érudition lui servait à mieux comprendre sa propre
destinée: chaque visage rencontré, chaque nom entendu,
chaque chiffre vu sur une porte ou sur la page d'un livre, tout apparaissait
comme un signe à Nerval; et les traditions ésotériques
permettaient au poète de donner un sens à ces messages
que l'au-delà semblait lui envoyer.
Bien sûr, nous savons trop bien que l'univers
ne s'intéresse pas à nous, que nul signe ne nous est soufflé
au visage, qu'il n'y a pas de destin ni d'étoile à suivre.
Aussi peut-on dire que certaines uvres de Nerval -mais ce sont
étrangement les plus belles- ont été créées
par un fou. Pourtant, il existe des moments où, nous aussi, nous
éprouvons la nostalgie de quelque chose d'autre; et alors peu
de poètes mieux que Nerval peuvent nous aider à percer
ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible.
Chronologie
CHRONOLOGIE
1808 Naissance à Paris, le 22 mai, de Gérard Labrunie,
fils d'Étienne Labrunie, médecin, et de Marie Laurent.
de Nerval n'est donc qu'un pseudonyme.
1810 Le 29 novembre, mort de la mère de Gérard. L'enfance
de Nerval se passe dès lors à Mortefontaine, chez son
grand-oncle. Cette enfance sera évoquée dans de nombreuses
uvre, notamment dans Sylvie, dans Fantaisie et dans les Chansons
et légendes du Valois. C'est aussi à Mortefontaine que
Gérard aperçoit Sophie Dawes, jeune aristocrate anglaise
qui lui apparaît telle une vision.
1820 Nerval entre au collège Charlemagne où il fait la
connaissance de Théophile Gautier
1826 Nerval commence à traduire le Faust de Goethe. Cet ouvrage
le rend célèbre, Goethe lui-même reconnaissant la
beauté de la version française de sa pièce.
1828 Nerval entre en relation avec les membres du cénacle romantique,
notamment Victor Hugo.
1830 Nerval participe,
le 25 février, à la bataille d'Hernani
.
1833 Voyage en Belgique.
1834 Après qu'il ait reçu un héritage de 30 000
francs de son grand-père, Nerval part pour l'Italie. A la fin
de l'année, Nerval aperçoit pour la première fois
Jenny Colon, comédienne aux Variétés.
1835 Nerval fonde le Monde dramatique, revue qu'il voue à la
gloire de Jenny Colon. Dès l'année suivante, la revue
fait faillite.
1836 Voyage en Belgique avec Théophile Gautier.
1837 Nerval avoue son amour à Jenny Colon, mais celle-ci se mariera
l'année suivante au flûtiste Louis-Gabriel Leplus.
1838 Nerval travaille à un drame, Léo Buckhardt. Voyage
en Allemagne.
1839 Voyage en Suisse et en Autriche. A Vienne, Nerval fait la connaissance
de Marie Pleyel, dont il tombe amoureux, et de Franz Liszt.
1840 Traduction du second Faust. Voyage en Belgique. Mort de Sophie
Dawes.
1841 Suite à des soucis matériels et au surmenage, Nerval
fait une première crise de folie.
1842 Mort de Jenny Colon. En décembre, Nerval part pour l'Orient
(Malte, Égypte, Syrie, Chypre, Constantinople) où il passera
presque toute l'année suivante.
1844 En septembre, Nerval voyage en Belgique et en Hollande.
1846 Nerval travaille à la Damnation de Faust que Berlioz met
en musique.
1848 En juillet et en septembre,
dans La Revue des Deux Mondes, Nerval publie des traductions de poèmes
de Heine.
1849 Nouvelle crise de folie.
1850 Voyage en Allemagne.
1851 Publication du Voyage en Orient.
1852 En mai, voyage en Hollande puis, en août, dans le Valois.
Publication des Illuminés.
1853 Publication des Petits Châteaux de Bohême dont font
partie les Odelettes. Nouvelle crise le 25 août. La même
année, le 10 décembre, Nerval fait paraître El Desdichado.
1854 Nouveaux problèmes de santé. Voyage en Allemagne.
Publication des Filles du feu et des Chimères. Nerval vit alors
dans une pauvreté extrême.
1855 Le 26 janvier, Gérard de Nerval se pend, rue de la Vieille-Lanterne.
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