A
GUSTAVE FLAUBERT
MINISTÈRE
DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
ET DES BEAUX-ARTS
SECRÉTARIAT
1er BUREAU
Paris [janvier 1880].
Mon bien cher Maître,
Je commence par vous remercier de tout mon cur de votre lettre
à Mme Charpentier. Avec un pareil appui je suis persuadé
que ça passera.
Je n'avais pas lu La Revue moderne, n'ayant aucun rapport avec ce papier.
Je n'y connais personne. Mon poème n'a pu y être mis que
par Champsaur, que je n'ai jamais vu, mais qui m'a demandé des
vers, par lettre, pour une publication à laquelle il s'intéressait.
J'ai envoyé Le Mur. Je changerai bagatelle, qui est en effet
très mauvais. Nous avons lu cette pièce ensemble à
Croisset, il y a un an, et vous n'aviez rien remarqué qui vous
choquât.
Cette Revue moderne est imbécile. J'ai vu du reste Huysmans,
dont elle annonce une nouvelle et qui ne lui a rien donné.
Après la Ligue, la Renaissance !! Cela est beau.
Comme titre de mon volume de vers, cela vous plairait-il :
DES VERS
par
GUY DE...
Pour le buste de Bouilhet, rédigez une demande adressée
à M. Turquet, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts.
Expliquez la chose et envoyez-moi cette demande ; je la remettrai et
je suivrai sa marche.
Je tâcherai d'aller vous voir au commencement de février
; mais d'ici là je manquerai de fonds. J'ai 200 francs par mois
à dépenser, et je ne puis me permettre ces plaisirs qu'après
avoir fait des économies. J'espère cependant que je serai
en mesure d'aller vous voir au commencement du mois prochain. J'ai grande
envie de connaître ce que vous avez fait de votre roman depuis
mon dernier voyage.
La religion m'attire beaucoup. Car, parmi les bêtises de l'humanité,
celle-là me semble capitale, c'est la plus large, la plus multiple
et la plus profonde.
Adieu, mon bien cher Maître, je vous embrasse tendrement et je
vous remercie. Dites, je vous prie, mille choses de ma part à
madame Commanville si elle est encore près de vous, et rappelez-moi
au bon souvenir de son mari.
Bien à vous.
GUY DE MAUPASSANT
Je crois que Mme
Charpentier a accouché d'une fille hier ou avant-hier1.
1 Cf. réponse
de Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VIII, N° 1933).
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