A
GUSTAVE FLAUBERT
MINISTÈRE
DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
ET DES BEAUX-ARTS
CABINET ET SECRÉTARIAT
1er BUREAU
Paris, le 13 mai 1879.
Mon bien cher Maître,
Je ne suis rentré chez moi que hier au soir, étant allé
dimanche à la campagne, de sorte que je ne puis répondre
à vos deux lettres qu'aujourd'hui. J'ai été trouver
immédiatement le chef du cabinet pour avoir des explications.
Voici :
Je crois qu'on a senti qu'il serait fort difficile de disposer de 5000
fr. sur les fonds des pensions d'ici à longtemps et qu'on a préféré
alors vous offrir une place où vous n'auriez rien à faire,
ce qui permettrait, un peu plus tard, de vous offrir en outre une rente
de 2000 fr. sur le chapitre des Pensions - About avait en effet parlé
de vous au Ministre qui lui a répondu par la proposition que
vous connaissez et en ajoutant que votre vieille amitié pour
M. Baudry permettrait de vous mettre ensemble - About très lié
avec le peintre Paul Baudry a fait une confusion entre les deux et est
allé chez ce dernier. Voilà comment vous avez eu une lettre
de lui. Maintenant je regrette beaucoup que vous ne soyez pas venu il
y a quinze jours ou 3 semaines comme vous l'aviez annoncé parce
que tout aurait pu se terminer en q.q. jours. Je vous aurais fait rencontrer
avec le chef du cabinet qui est un charmant homme. Vous auriez causé
et on aurait tout décidé sans même en parler, il
vous aurait laissé comprendre ce qu'il vous offrait. Vous auriez
laissé entendre que vous acceptiez - et cela aurait suffi. -
Enfin je lui ai dit que vous ne refuseriez pas une place honorable qui
vous laisserait toute liberté. Et je vous serais bien reconnaissant
de m'écrire tout de suite une lettre à montrer ou vous
me direz la même chose ; le Ministre ayant peur d'un refus. -
Il ne faut pas attendre parce que le cabinet peut sauter en huit jours.
Ferry a grande envie de le faire ; le chef de cabinet aussi ; mais ne
vous connaissant pas, n'ayant de vous aucune promesse d'acceptation
directe ils ont les mains liées.
J'aurais mille choses à vous dire sur ce sujet et sur d'autres.
Quand serez-vous ici ?
Tourgueneff a oublié ce qu'il avait à me demander.
Je vous embrasse bien tendrement mon cher Maître. Écrivez-moi
vite.
Votre
GUY DE MAUPASSANT
J'ai laissé
la lettre de M. Paul Baudry entre les mains du chef du cabinet. - Je
vous expliquerai pourquoi. Si vous avez oublié son adresse c'est
56, rue Notre-Dame-desChamps1.
1 Cf. Flaubert, Correspondance
inédite (éd. Conard, tome IV, Nos 1179 et 1184).

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