A
GUSTAVE FLAUBERT
CABINET
DU MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Ce lundi [janvier 1879].
Mon
cher Maître,
Je me suis occupé immédiatement de ce qui concerne votre
frère et voici où l'affaire en est.
Il a demandé le 25 8bre un congé pour une année.
Sa demande a été transmise ici par le recteur de l'Académie
de Caen le 2 novembre.
Par lettre du 20 9bre le directeur de l'Enseignement Supérieur
a répondu qu'il était tout disposé à accorder
un congé d'un an à M. Flaubert, et priait de désigner
son suppléant ; mais aucun arrêté ne déterminant
le traitement qui doit être attribué dans ces circonstances,
il invitait le directeur à lui adresser des propositions à
ce sujet, après entente avec les intéressés.
Personne n'a répondu et l'affaire par suite en est restée
là. Nous avons écrit aujourd'hui même à
Caen pour hâter la conclusion et vous pouvez annoncer une réponse
prochaine et favorable.
C'est aujourd'hui que le Ministre doit tomber1. Je n'ai pas de chance.
L'Assommoir est un succès.
Par exemple, c'est interminable et pas très mordant. Mais les
décors sont superbes, et il y a des scènes bien venues.
Le delirium tremens fait évanouir les femmes. On ira voir.
La première a été fort bonne. Quelques murmures
ébauchés ont été arrêtés
par trois salves d'applaudissements. Je crois que la pièce
tiendra longtemps.
Je vous embrasse, mon cher Maître, et vous prie de venir le
plus tôt possible.
GUY
DE MAUPASSANT2
1 Le ministère Dufaure, interpellé le 20 janvier 1879,
obtint une grande majorité ; Dufaure persista à vouloir
se retirer. Après l'élection de Grévy à
la Présidence de la République, Jules Ferry remplaça
Bardoux à l'Instruction publique, dans le cabinet Waddington,
qui, le 4 février 1879, succéda au cabinet Dufaure.
Maupassant conserva son emploi.
2 Cf. réponse de Flaubert, Correspondance (éd. Conard,
tome VIII, N° 193).