A
GUSTAVE FLAUBERT
MINISTÈRE
DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Paris, le 4 novembre 1878.
Mon
bien cher Maître,
J'ai été voir ce matin le chef du cabinet de M. Bardoux.
J'avais été invité, par lettre, à me présenter
chez lui.
Il m'a dit que M. Bardoux, sur votre recommandation, l'avait chargé
de voir si on pouvait faire quelque chose pour moi ; mais, le ministre
ne se rappelant plus ce que je faisais ni ce que je demandais, il
m'avait fait venir afin d'être mieux renseigné.
Je lui ai expliqué ma situation, et il m'a promis de s'occuper
de l'affaire ; mais il lui paraît difficile de me donner des
appointements équivalents à ceux que j'ai à la
Marine ; il avisera cependant.
Vous voyez donc que la chose est encore fort douteuse. Avec la retenue
qu'on nous fait sur nos appointements, pour la caisse des Invalides,
je n'ai que 2000 fr. ; plus une pension de 600 francs que me fait
mon père, pension qui me sera supprimée quand mon père
quittera son bureau, dans 4 ans. Mes appointements peuvent être
portés à 2400 francs au jour de l'an. Or, il m'est impossible
d'accepter moins. C'est à peine si je peux vivre et après
avoir payé mon terme, mon tailleur, mon bottier etc., la femme
de ménage, la blanchisseuse et la nourriture sur mes 216 francs
par mois, il ne me reste pas plus de 12 à 15 francs pour faire
le jeune homme. Je crois qu'un simple ouvrier est plus heureux que
moi, ayant moins de dépenses forcées, et autant d'argent
; j'en parle peu parce que cela m'est pénible, mais j'ai voulu
vous indiquer bien exactement ma situation poux le cas où l'on
m'offrirait à l'Instruction Publique une place de 1800 francs
ou 2000 francs.
Je vous écrirai aussitôt que j'aurai du nouveau.
Je vous embrasse, mon cher Maître, et vous prie de présenter
à Madame Commanville mes compliments respectueux.
GUY
DE MAUPASSANT
J'ai
vu Lemerre, qui doit vous envoyer incessamment un projet de traité1.
1
Cf. Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VIII, Nos 1768
et 1771) ; Correspondance inédite (éd. Conard, tome
IV, 1953 ; N° 1089).