A
GUSTAVE FLAUBERT
MINISTÈRE
DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Paris, ce mercredi [septembre 1878].
Mon
cher Maître,
J'ai pris les renseignements et on me dit que le chef de cabinet de
M. Bardoux, un M. Charmes ? je crois, que j'ai vu l'autre jour et
qui m'avait chargé de le rappeler à votre souvenir,
pouvait faire ce qu'il voulait dans le ministère. Peut-être
un mot de vous le flatterait-il et le déciderait-il à
trouver un moyen de tourner la difficulté que je vous ai indiquée.
J'ai peur de me tromper de nom ; c'est un jeune homme brun, avec toute
sa barbe et qui a, dans tous les cas, du « charme » dans
sa personne ; son bureau est à côté de celui du
ministre, en face du salon d'attente. Je suis d'autant plus pressé
de trouver quelque chose, et anxieux, qu'une nouvelle tuile vient
de me tomber sur la tête. Mon chef, pour l'unique raison de
m'être désagréable, sans doute, vient de me donner
le plus horrible service du bureau, service que remplissait fort bien
un vieil employé abruti : c'est la préparation du budget,
et les comptes de liquidation des ports : des chiffres, rien que des
chiffres. De plus, je me trouve auprès de lui, ce qui me met
dans l'impossibilité de travailler pour moi, même quand
j'ai une heure de répit. C'est là, je pense, le but
qu'il veut atteindre.
J'ai des tristesses de tous les côtés. Ma mère
va fort mal et ne se trouve même pas en état de quitter
Étretat.
Je vous embrasse fort, mon cher Maître, et vous demande pardon
des embêtements que je vous donne.
GUY
DE MAUPASSANT1
1 Cf. Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VIII, N°
1759).