A
M. FONTAINE1
MINISTÈRE
DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Paris, le 24 septembre 1874.
Monsieur,
Nous venons d'apprendre que mon pauvre grand-père touche à
ses derniers moments. Mon père est en ce moment fort souffrant
et obligé de garder la chambre, aussi il me charge de m'occuper
pour lui de régler toutes ses affaires et je viens vous prier,
Monsieur, de bien vouloir nous continuer vos bons soins en cette circonstance.
Nous ne connaissons absolument rien à l'état des affaires
de mon grand-père ; il vivait en ces derniers temps avec sa
fille, Mme Cord'homme, et d'après les lettres mêmes que
mon père a reçues de cette dernière, il semblerait
résulter que mon grand-père lui est venu en aide, probablement
avec un peu d'argent qui lui serait resté de la vente de son
hôtel. Enfin, s'il fallait établir ce fait (chose très
difficile) ce ne serait que dans le but d'éviter la réclamation
de petites dettes courantes contractées autant par Mme Cord'homme
que par mon grand-père et qu'on pourrait essayer de nous faire
payer. On m'a dit, d'un autre côté, qu'il avait passé
son mobilier sur la tête de sa bonne ; enfin, comme nous pouvons
craindre ces choses et que, d'autre part, nous savons certainement
que nous n'avons pas une obole à attendre de cette succession,
nous désirons nous rendre exactement compte de la situation
avant de prendre une détermination quelconque, et mon père
acceptera cet héritage sous bénéfice d'inventaire.
Ignorant absolument quelles sont les démarches à faire
en cette circonstance, je viens vous prier de bien vouloir agir en
notre nom dans ce but, lorsque le moment sera venu.
Si, comme on le dit, les meubles sont au nom de sa bonne, il est probable
qu'elle fera des difficultés pour laisser apposer les scellés.
En ce cas il serait bon, je crois, de constater le refus. Enfin, Monsieur,
nous nous en remettons entièrement à votre obligeance
et à votre amitié pour prendre en main, encore une fois,
nos intérêts en cette circonstance. Nous ne voudrions
pas avoir l'air de vouloir sauver peut-être quelques centaines
de francs. Il nous serait même désagréable qu'on
pût croire que nous agissons dans ce but. Mais nous voulons
uniquement voix clair là-dedans et mettre enfin au grand jour
une situation obscure pour nous depuis si longtemps.
Veuillez présenter, je vous prie, Monsieur, mes hommages et
mes respects à Madame Cullembourg et croire à nos sentiments
de profonde estime et de dévouement. Mille amitiés à
Léon de ma part.
GUY DE MAUPASSANT
1 Père de Léon Fontaine.