Où est né
Maupassant ?
Une mise au point
Miromesnil ou
Fécamp ? L'incertitude a longtemps régné sur
cette question. Deffoux et Zavie (Le Groupe de Médan, Crès,
1925) et Georges Normandy (Maupassant, Rasmussen, 1926), se contentant
de témoignages oraux, ont affirmé que Maupassant serait
né à Fécamp, 98 rue Sous-le-Bois (actuellement
quai Guy de Maupassant), chez sa grand-mère, la mère
de Laure de Maupassant, endroit bien moins glorieux que l'aristocratique
château de Miromesnil. Pourtant, aujourd'hui, la question ne
semble plus d'actualité, en fonction des dernières découvertes.
Mais, loin d'être une déclaration de foi, voyons ce que
nous enseignent les différentes biographies et études
sur Maupassant.
L'incertitude est née sans doute à la rédaction
de l'acte de décès de Maupassant sur lequel on peut
lire né à Sotteville. On sait maintenant qu'il s'agit
d'une erreur du scribe qui a confondu Sotteville et Sauqueville, commune
jouxtant le château de Miromesnil. Pourtant, le doute était
lancé.
En 1979, dans sa biographie très complète Maupassant
le Bel-Ami, Armand Lanoux fait le point sur cette question.
Pour les partisans de la thèse fécampoise, le seul argument
en faveur de Miromesnil, c'est l'acte de naissance dressé par
le maire Martin Lecointre. Or, l'État Civil donnant encore
à l'époque beaucoup d'indications fausses, erreurs ou
complaisances, l'hypothèse prend un sérieux coup dans
l'aile.
Par ailleurs, Me Maurice Glin, notaire à Offranville, a confirmé
formellement à Georges Normandy n'avoir trouvé «
aucun bail, aucun renseignement concernant la vente ou la location
de Miromesnil à la famille Maupassant ». On peut certes
imaginer qu'il y ait eu location de gré à gré,
sans bail. Mais c'est étrange pour une demeure de cette importance,
et pour une location d'une durée que l'on a évaluée
entre trois et sept ans. Surtout en Normandie.
Autre argument, une lettre de Maupassant à sa mère,
datée du 22 octobre 1878 et relatant le retour de Guy au château
avec son ami Robert Pinchon. Celui-ci déclare que la façade
du côté de la mer, la direction par laquelle ils sont
arrivés, ne lui rappelle rien. Ils ne poursuivront pas plus
avant la visite parce qu'il était habité et que des
gens à l'air bête se promenaient... Puis la lettre est
justement coupée à cet endroit, au moment où
Guy allait peut-être évoquer le lieu de son enfance.
Pourquoi ? Mystère ! Peut-être parce qu'il y avait des
choses à cacher...
Autre détail troublant, dans une lettre datée cette
fois-ci du 28 janvier 1884 et adressée à Caroline Commanville,
la nièce de Flaubert, Guy parle du banc de Fécamp qui
lui servait de navire et du peuplier où il grimpait. Il me
semble que je ferais encore le dessin de cet arbre... Les souvenirs
portent donc sur Fécamp, et non sur Miromesnil.
Enfin, la réponse de Laure à un gardien de parc de Rouen,
qui se vantait d'être le frère de lait de Maupassant
(c'est-à-dire ayant eu la même nourrice) : « J'ai
été la nourrice de mon fils Guy et ne permettrai à
personne d'usurper ce titre. Je ne pense pas en effet qu'une personne
étrangère puisse s'arroger un pareil droit pour avoir
pendant quatre ou cinq jours allaité mon enfant. Je me trouvais
alors à Fécamp chez ma mère lorsque je fus atteinte
d'une indisposition légère. C'est alors que la fille
d'un fermier voisin fut appelée pour me venir en aide. Voilà
toute la vérité. »
Il y a encore quelques témoignages oraux, cités par
A. Lanoux, mais dont la valeur est, somme toute, assez discutable...
Mais en définitive, l'argument le plus déterminant,
c'est le snobisme de Laure de Maupassant, qui aurait mis en scène
la naissance de son premier fils. Pour preuve de ce trait de caractère,
son souhait que Gustave Maupassant, le futur mari, s'anoblisse en
faisant précéder son nom de la particule de, pour pouvoir
l'épouser. La particule explique le château et, du coup,
c'est Laure qui plaide le mieux pour une naissance clandestine à
Fécamp ! Ce qui explique d'ailleurs toutes ses tentatives de
dissimulation.
Il s'agit donc là d'une hypothèse bien séduisante,
qui n'a pas manqué d'être relayée, mais qui reste
malgré tout une hypothèse.
Voici ce que l'on
peut dire maintenant en faveur de la thèse de Miromesnil :
Tout d'abord, l'authenticité des registres de l'État
Civil n'est pas à remettre en cause et ils sont tout à
fait crédibles. C'est du moins l'opinion de Germain Galérant
pour lequel, dans son livre « Les Roses sadiques de Maupassant
», pourtant peu favorable à l'écrivain, les généalogistes
professionnels assignent une fiabilité absolue aux documents
d'État Civil et aux archives ecclésiastiques qui, côtés
et paraphés, n'ont subi aucune autre altération que
celles qui tiennent à l'orthographe des noms propres.
Ensuite, on ne peut absolument pas déduire mécaniquement,
du fait que Fécamp soit mentionné ici et là dans
une correspondance, que cette ville ait vu naître Maupassant.
Celui-ci y a passé une partie de son enfance, il est normal
qu'il en parle. De même pour Laure qui a certainement allaité
son enfant chez sa mère.
On peut également discuter les tentatives de dissimulation
: si la lettre du 22 octobre 1878 contenait des détails gênants,
pourquoi n'a-t-elle pas été déchirée AVANT
la phrase indiquant que Guy ne reconnaissait pas la façade
? Pourquoi avoir laissé traîner ce détail alors
qu'il aurait été si facile de l'éliminer avec
les autres ?
Mais l'élément le plus décisif, c'est le fameux
contrat de location du château, sur lequel Georges Normandy
n'avait pu mettre la main, qui a été retrouvé
par des érudits locaux à Ouville-la-Rivière,
dans l'étude de Me Legras, alors notaire de la baronne de Marescot,
propriétaire du domaine (je n'ai pas la date précise,
mais Henri Troyat, dans sa biographie en 1989, parle de découverte
récente). Il est stipulé sur ce document (voir cette
biographie) que le château de Miromesnil a été
mis en location dès le mois d'août 1849, « avec
les meubles qui le garnissent », et que ces meubles, mis aux
enchères en octobre, ont été rachetés
en partie par Gustave de Maupassant alors qu'il se trouvait déjà
dans les lieux. Il est donc incontestable que le château de
Miromesnil était bien la résidence principale des Maupassant
et non un domaine loué pour la circonstance, à l'époque
de la naissance de Guy.
Les mauvaises langues diront que Laure a pu malgré tout rendre
visite à sa mère à Fécamp et qu'elle a
été surprise par un accouchement précoce. Mais
il paraît assez vraisemblable que, au vu de l'importance que
revêtait pour la mère une naissance à Miromesnil,
celle-ci ne se soit pas aventurée à quelque 70 km (ce
qui pour l'époque, au vu de l'état des chemins, n'était
pas rien), en son état, à quelques jours d'un évènement
si important. D'ailleurs, même s'il n'en est pas sûr,
Hubert Leroy-Jay, dont la grand-mère était cousine germaine
de Maupassant, pense que la mère de Laure ne se trouvait pas
à son domicile à ce moment, mais séjournait à
Dieppe. Au passage, même si Leroy-Jay ne peut prendre que fait
et cause pour la branche cousine de sa famille, il dément catégoriquement
les prétentions mondaines de Laure, dont l'histoire de la particule,
évoquée plus haut, n'est que pure invention. Les choses
ne sont donc pas si claires. Mais pour en revenir à notre affaire,
nous laisserons le mot de la fin à Louis Forestier, responsable
des volumes Maupassant à l'édition Pléiade, qui
écrit dans la Chronologie préfaçant le tome 1
des Contes et Nouvelles que, au vu de ce contrat de location, «
l'acte de naissance se trouve donc bien exact et la naissance de Guy
à Miromesnil est avérée ». Témoignages
et spéculations d'un côté, documents officiels
de l'autre, la balance semble tout de même bien pencher en fonction
de Miromesnil.
À lire :
L'avis
du conservateur de musée de Fécamp
Deffoux
et Zavie (1925) : Le Groupe de Médan, Crès
Louis Forestier (1996) : Chronologie du tome 1 des Contes et Nouvelles,
Pléiade, Gallimard
Germain Galérant (1992) : Les Roses sadiques de Maupassant,
éditions Bertout, Luneray
Armand Lanoux (1979) : Maupassant, le Bel-Ami, Grasset
Hubert Leroy-Jay (1993) : Guy de Maupassant, mon cousin, éditions
Bertout, Luneray
Georges Normandy (1926) : Maupassant, Rasmussen, collection «
la vie anecdotique et pittoresque des grands écrivains »
Georges Normandy (1927) : Maupassant intime, Albin Michel
Henri Troyat (1989) : Maupassant, Flammarion
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