31 - La Tête
de mort
Ton test naura plus de peau,
Et ton visage si beau
Naura veines ni artères,
Tu nauras plus que des dents
Telles quon les voit dedans
Les testes des cimetières.
PIERRE RONSARD.
La mort nous fait dormir
une éternelle nuit.
JOACHIM DU BELLAY.
Personne ne voulait aller dans cette chambre,
Surtout pendant les nuits si tristes de décembre,
Quand la bise gémit et pousse des sanglots,
Et que du ciel obscur tombe la pluie à flots.
Car cétait une chambre antique, inhabitée,
À minuit, disait-on, de revenants hantée,
Une chambre où les ais du parquet désuni
Sagitent sous vos pieds, où le plafond jauni
Se partage et sécroule, où la tapisserie
À personnages tremble et sur la boiserie
Ondule à plis poudreux au moindre ébranlement.
On en avait ôté les meubles ; seulement,
Entre de vieux portraits, un crucifix divoire,
Avec du buis bénit, sur une étoffe noire,
Pendait du mur : au bas, eu guise de support,
On avait mis jadis une tète de mort ;
Et me ressouvenant des fables quon débite,
Enfant, je croyais voir au fond de cet orbite,
Que lil nanime plus, de blafardes lueurs ;
Et, quand il me fallait passer là, des sueurs
Minondaient, tour à tour brûlantes et glacées
:
Jaurais fait le serment que les dents déchaussées
De cet épouvantail en ricanant grinçaient,
Et que confusément des mots sen élançaient.
À présent jeune encor, mais certain que notre âme,
Inexplicable essence, insaisissable flamme,
Une fois exhalée, en nous tout est néant,
Et que rien ne ressort de labîme béant
Où vont, tristes jouets du temps, nos destinées,
Comme au cours des ruisseaux les feuilles entraînées,
Sans peur je la regarde, et je dis : « Quelques ans,
Que sais-je ! quelques mois, un espace de temps
Beaucoup plus court, demain, après-demain peut-être,
Les yeux de mes amis ne pourront me connaître,
Tête de mort livide à mon tour. Celle-ci
Est celle dune femme autrefois morte ici,
Dont voilà le portrait qui, dans son cadre, semble
Vous regarder, sourire et remuer ; lensemble
De ses traits ingénus, de fraîcheur éclatants,
Montre quelle touchait à peine à son printemps.
Pourtant elle mourut ; bien des larmes coulèrent
Sans doute à son convoi, bien des fleurs seffeuillèrent
Sur sa tombe, tributs de pieuses douleurs
Sans doute. Mais le temps sait arrêter les pleurs,
Et, des premiers chagrins lamertume passée,
Bientôt lon oublia la belle trépassée.
Belle, qui le dirait ? où sont ces cheveux blonds
Qui roulent vers son col si soyeux et si longs ;
Cette joue aux contours ondoyants, aussi fraîche
Quau beau soleil dété le duvet dune
pêche,
Ces lèvres de corail au sourire enfantin,
Ce front charmant à voir, cette peau de satin,
Où comme un fil dazur transparaît chaque veine,
Ces yeux bleus que lamour, passion creuse et vaine,
Na jamais fait pleurer ? Un crâne blanc et nu,
Deux trous noirs et profonds où loeil fut contenu,
Une face sans nez, informe et grimaçante ;
Du sort qui nous attend image menaçante :
Voilà ce quil en reste, avec un souvenir
Qui séteindra bientôt dans le vaste avenir. »
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