16 - Stances
« Vous ne connaissez pas »
La jeune fille rieuse. VICTOR HUGO
Vous ne connaissez pas les molles rêveries
Où lâme se complaît et sarrête
longtemps,
De même que labeille, en un soir de printemps,
Sur quelque bouton dor, étoile des prairies ;
Vous ne connaissez pas cet inquiet désir
Qui fait rougir souvent une joue ingénue,
Ce besoin dhabiter une sphère inconnue,
Dembrasser un fantôme impossible à saisir,
Ces attendrissements, ces soupirs et ces larmes
Sans cause, quon voudrait, mais en vain, réprimer,
Cette vague langueur et ce doux mal daimer,
Pour un objet chéri ces mortelles alarmes ;
Vous ne connaissez rien, rien que folle gaîté
;
Sur votre lèvre rose un frais sourire vole ;
Votre entretien naïf, sérieux ou frivole,
Est égal et serein comme un beau jour dété.
Sur votre main jamais votre front ne se pose,
Brûlant, chargé dennuis, ne pouvant soutenir
Le poids dun douloureux et cruel souvenir ;
Votre cur virginal eN lui-même repose.
Avenir et présent, tout rit dans vos
destins ;
Vous navez pas encore aimé sans être aimée,
Ni, retenant à peine une larme enflammée,
Épié dun regard les aveux incertains.
Jeune fille, vos yeux ignorent linsomnie
;
Une pensée ardente et qui revient toujours
Ne trouble pas vos nuits tristes comme vos jours ;
Votre vie en sa fleur na pas été ternie.
Ainsi quun ruisseau clair où
se mirent les cieux,
Dont le cours lentement par les prés se déroule,
Votre existence pure et limpide sécoule,
Heureuse dun bonheur calme et silencieux
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