Théophile
Gautier (1848)
Salon 184
SALON DE 1848
Le texte de ce Salon a été numérisé à
l'occasion d'un cours de Maîtrise dispensé en
2000-2001 à l'Université Paul Valéry de Montpellier.
Je remercie Aline Kamblock,
Audrey Serodes, Ludivine Bigot, Sylvie Gaspard, Coralie Pecquenard,
Jean-Pierre
Rey, Marie Poutas, Virginie Frantz, Laurent Revel de ce travail d'édition
qui peut
ainsi être mis à la disposition des chercheurs et qui
a été le point de départ de leurs
recherches personnelles.Principes de l'édition: Il n'existe
qu'un état imprimé de ce
texte, celui publié dans La Presse en 1848. Nous le reproduisons
en respectant
l'orthographe d'époque: il s'agit surtout des pluriels en -ans,
-ens, où l'on trouverait
aujourd'hui -ants, -ents, et de l'emploi de l'accent circonflexe (alors
absent dans
grace, ame). Les coquilles évidentes ont été
rectifiées, l'emploi de l'italique étendu.
Les bizarreries confirmées par la présence de (sic).
Parfois, nous avons signalé
entre crochets, avec une astérisque, un mot ou un signe qui
nous aurait paru omis
ou déformé par erreur à l'impression.Certains
noms propres sont mal orthographiés
par Gautier qui écrit Meissonnier au lieu de Meissonier, Sckalken
au lieu de
Schalcken par exemple. Les noms de l'école hollandaise en particulier
ont une
orthographe qui rend parfois l'identification douteuse voire impossible.Au
demeurant, des erreurs de transcription involontaires dont nous ne
saurions être
tenus pour responsables ont pu être commises au cours de ce
travail. François
BRUNET (maître de conférences à l'Université
Paul Valéry de Montpellier)
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 22 avril 1848.
SALON DE 1848
1er article
On nous a demandé si nous ferions cette année notre
revue habituelle du
Salon ? Oui, certainement. Une dynastie a été renversée
et la République
proclamée: lart nen subsiste pas moins. Lart
est éternel parce quil est
humain; les formes de gouvernement se succèdent et il se maintient.
Que
de révolutions, que dempires, que de peuples ont fait
leur bruit et se sont
éteints dans loubli depuis que les cavalcades de Phidias
caracolent dans le
marbre des frises du Parthénon ! Combien démeutes
ont bourdonné au
pied de cet Acropole, émeutes dont nul na souvenir, pas
même
lhistorien !
La fumée du combat remplit dabord les places et dérobe
les perspectives;
Théophile Gautier Salon 1848 4
mais bientôt la brise se lève, dissipe lodeur de
la poudre, balaie les nuages
opaques, et le temple de lArt reparaît dans sa blanche
sérénité, sur lazur
inaltérable.
Lart est au-dessus des agitations et des événemens.
Il domine le fait de
toute la hauteur de lidée, il résume en lui les
civilisations et, de tel grand
bouleversement qui semble devoir changer le monde, il ne reste bien
souvent que la strophe du poète et la statue du sculpteur qui
le mentionne
ou le symbolise. Quimportent les tumultes de la rue et les terreurs
des
bourgeois ! LArt accoudé regarde en rêvant, et
interrompt de temps à
autre sa méditation, pour saisir le stylet, la brosse ou le
ciseau, car il sait
que les siècles sont à lui et que la république
de Platon, pour avoir exilé la
Poésie, tout en la couronnant de fleurs, na pu exister
une minute.
Nous commencerons donc sans crainte notre travail, persuadé
daccomplir
une tâche aussi grave que tous ceux qui se mêlent de la
chose publique,
pérorent dans les clubs et portent les mains aux roues du char
de lEtat
pour le pousser ou larrêter.
Le jury a enfin disparu; il a été emporté par
ce vent acerbe et purificateur
qui a soufflé quinze jours avec tant de violence, et qui venait
dAmérique.
Voilà dix ans que, chaque année nous demandions la suppression
de ce
tribunal inique. Il na pas fallu moins quun tremblement
de terre pour
faire tomber de leurs siéges ces juges prévaricateurs.
Et cependant, que dexclamations, que dinvectives, que
dinjures même
na-t-on pas prodiguées à ce mystérieux
conseil des Dix qui exerçait sur
les peintres le droit de vie et de mort, le droit dombre et
de lumière ! Les
critiques les plus doux devenaient féroces lorsquil sagissait
du jury: en
effet, nétait-ce pas une chose affreuse de refuser à
un pauvre artiste, altéré
de jour et de publicité, un petit coin de cette longue muraille,
la seule où la
France puisse venir voir à quel point en est lart chez
elle ? Le génie de
lhomme est quelque chose de si sacré, que lindignation
est sans mesure
lorsque des profanes y touchent. Nous avons écrit, contre les
membres du
jury, des imprécations, qui sembleraient exagérées,
adressées à des Néron
et à des Phalaris; mais les bourreaux de lesprit ne sont-ils
pas aussi
coupable que les bourreaux du corps, et le meurtre dune idée
nest-il pas
le plus grand des crimes ? Censeurs, membres du jury, tous ceux qui
mutilent la pensée doivent être mis au rang des inquisiteurs
et des
tortionnaires.
Nous voilà, dieu merci, débarrassé de cette philippique
annuelle, et pour
toujours, nous lespérons. Point de jury, sous quelque
nom que ce soit !
Liberté pleine et entière, liberté à tous,
aux jeunes comme aux vieux, aux
inconnus comme aux illustres, aux habiles comme aux maladroits, aux
Théophile Gautier Salon 1848 5
sublimes comme aux ridicules ! Que ce qui est, dans lame en
sorte !
Tombez, vieilles entraves ! soyez renversées, barrières
vermoulues.
Lexamen préalable est inutile; laissez le peuple juger
par lui-même ! Un
jury, même élu par les artistes, ne vaudrait rien. Nayez
pas peur, la part de
chacun sera faite et avec une équité sévère,
comptez-y.
Déjà nous avons vu avec chagrin des esprits bien intentionnés,
mais
timides, alarmés de quelques extravagances, redemander, sinon
lancien
jury, du moins une institution équivalente avec des garanties
électives.
Nous ne voulons pas que la porte soit fermée pour personne:
aujourdhui
lexclusion pourrait être juste, demain elle serait inique.
Une fois lon
rejetterait un barbouillage grotesque et lautre un audacieux
essai du génie.
Quel mal cela fait-il à qui que ce soit quun cadre reste
accroché quelques
semaines à un clou le long dun mur? Ladmission
de mille croûtes nous
chagrinerait moins que le renvoi dun seul tableau de mérite.
Cette année lon a tout reçu et tout exposé.
Le Salon offre-t-il beaucoup de
différence avec les Salons des années précédentes
qui avaient subi
lépuration préalable ? Nullement. Laspect
général en est le même, à part
quelques toiles barbares ou risibles dont le nombre ne dépasse
pas une
douzaine.
Nous regretterions fort, pour notre part, que ces cadres burlesques
naient
pas été suspendus parmi les autres. Sils eussent
été repoussés par un jury,
leurs auteurs neussent pas manqué de crier contre linjustice
et
laveuglement des juges; ils se seraient posés en génies
méconnus, en
Michel-Ange et en Raphaël inédits, et ils auraient plaint
la France dêtre
privée en leurs personnes de ses illustrations futures. Il
nest pas de
couronne que ne se pose sur le front lorgueil solitaire. Les
plus fermes
esprits se trompent sur leur valeur lorsquils nont pas
été en contact avec
le public; cette familiarité terrible ramène bien vite
à leurs justes
proportions les rêves de lamour-propre délirant;
quelle leçon peut valoir
celle donnée par les visiteurs du Louvre, le jour de louverture,
aux
peintres du Turc achetant une esclave, de lAmour louchant dans
des
roses, de la Femme rhinoplastique, etc., etc.! Ce cercle de plaisans
dont la
bruyante hilarité et les rires homériques ébranlaient
les voûtes dorées de la
galerie, ces couronnes dérisoires tressées de foin et
dimmortelles, ces
inscriptions malignement parodiées du Panthéon: "
Aux grands artistes la
patrie reconnaissante ", ne voilà-t-il pas des avertissements
salutaires dans
leur rudesse et qui peuvent faire redoubler de travail une vocation
opiniâtre, mais trop impatiente, ou se tourner vers un état
plus humble, une
velléité sans conscience de sa faiblesse ? Lauteur
dune de ces peintures
excentriques est allé supplier M. le directeur du Musée,
à genoux et à
mains jointes, de lui laisser reprendre sa toile, et a regardé
comme une
Théophile Gautier Salon 1848 6
haute faveur de la pouvoir soustraire aux cruelles railleries du public.
Refusé, il eût aiguisé sa moustache en croc, laissé
croître ses cheveux, et
juré quon persécutait en lui le peintre le plus
original de son siècle.
Dailleurs en art, le détestable vaut mieux que le médiocre,
le barbare que
le bourgeois, lextravagant que le plat, et nous préférons
un fou à un sot;
pour un esprit philosophique, cest un spectacle curieux de voir
la peinture
ramenée par lignorance, qui ne se doute de rien, ni du
métier, ni de la
tradition, aux naïvetés les plus primitives. Les Cimabue
et les Giotto sont
dépassés en raideur archaïque par des pinceaux
tout modernes, et Paris, à
lheure quil est renferme une foule de chinois et de gothiques
dune
indépendance entière à lendroit de lanatomie
et de la perspective: bien
des dessins, qui auraient pu être tracés sur peau de
buffle par un Ioway
avec une arrête (sic) de poisson, ou sur largile dun
vase avec une pointe
de roseau par un potier étrusque, étalent pleins de
candeur leurs silhouettes
sauvagement baroques sous la date de 1847 ou 1848.
Ces exhibitions ont leur bon côté; elles montrent, quand
on arrive aux
toiles sérieuses, limmensité du chemin parcouru;
elles font apprécier à
leur valeur les véritables artistes, on leur sait gré
alors dun mérite quil est
si difficile dacquérir.
Et puis ces conceptions bizarres rendues ou trahies par des exécutions
incomplètes ou extravagantes, ouvrent des perspectives sur
des côtés peu
connus de lesprit humain, sur les steppes, les landes, les marais,
les
fondrières, les dunes sablonneuses, les collines qui seffritent,
toute la
portion inculte, aride, désolée, hérissée,
où ne croissent que le charbon,
lortie, la folle-avoine, les végétations de labandon
et de la solitude, et
dont séloignent les voyageurs qui suivent la grande route
bordée dormes
ou la petite sente cotoyée daubépine. En marchant
au hasard, on court
risque de ségarer, de sembourber dans les marécages,
de tomber dans les
tourbières, mais quelquefois aussi lon rencontre des
sites imprévus, on
saisit la nature en quelque attitude secrète et charmante quelle
ne prend
pas lorsquelle sattend aux visites.
Un choix trop épuré ramène fatalement, au bout
dun certain nombre
dannées, au convenu, au classique, à lacadémique.
Une forêt, malgré sa
confusion darbres, de broussailles et dherbes, ses inextricables
enlacemens de branches, son désordre touffu et luxuriant de
végétation, est
préférable à ces allées de parc Louis
XIV, où les buis tondus aux ciseaux
prennent les formes ridiculement symétriques de pots, de caisses
ou de
colonnes. Nélaguons rien, narrachons pas, et au
risque quil sy trouve
quelque arbre difforme, quelque plante malsaine et monstrueuse, laissons
la forêt telle quelle est.
Théophile Gautier Salon 1848 7
Que chacun traduise son rêve, raconte sa pensée, exprime
son sentiment,
satisfasse son goût même bizarre, sa fantaisie même
insensée sans crainte,
sans fausse honte, dans la sincérité de lhomme
libre, car nul na la
conscience complète de son idée et on la doit communiquer
à ses frères
pour quils la rectifient si elle est mauvaise, pour quils
la consacrent si
elle est bonne; le mot que lon efface, la figure que lon
gratte eussent
peut-être produit un effet merveilleux. Ainsi donc que lartiste
sabandonne franchement à linspiration! plus de
réticences, plus de demijour,
plus dambages; que le poète, le peintre et le statuaire
confessent
hardiment ce quils ont dans le coeur et dans la tête.
Quon repousse même
jusquà cette censure préalable que chacun exerce
sur son oeuvre avant de
la livrer au jour éblouissant de la publicité. Laissons
souffler lEsprit où il
veut et ne renvoyons pas si souvent au nom des règles et des
traditions cet
inconnu qui vient à de certains momens nous tirer la plume
ou la palette
des mains pour mettre dans notre oeuvre le mot ou la touche qui fait
vivre.
Artistes, jamais le moment ne fut plus beau. Rien ne gêne maintenant
votre envergure; nagez à plein vol dans lazur et la lumière,
inondez-vous
de rayons, enivrez-vous dair pur, montez comme lalouette,
comme
lépervier, comme laigle, plus haut, toujours plus
haut ! Posez sur la neige
vierge des sommets inaccessibles lempreinte étoilée
de vos serres ! Que
votre essor entoure la terre comme une écharpe le flanc dune
fiancée !
Lunivers est à vous, le monde visible, le monde intérieur,
les religions, les
poésies et les histoires, les civilisations du passé,
du présent et de lavenir,
tout ce que lame peut rêver ou concevoir.
O vous qui avez le bonheur dêtre jeunes, ne craignez pas
votre jeunesse,
laissez-vous emporter à la fougue, à laudace,
à lenthousiasme, à
lamour ! que ces quatre chevaux de flamme entraînent votre
char rutilant
sur la route de lEmpyrée ! Arrière les timides,
avec leurs histoires
lamentables de Phaéton et dIcare, nayez pas peur
de choir du ciel, cest
déjà beau den tomber. Pour en tomber il faut y
être. Narrêtez pas la vie
qui court en torrent de pourpre dans vos veines fécondes, ne
soyez pas
effrayés des battemens de votre coeur et du tumulte de votre
ame donnant
de grands coups dailes dans sa prison dargile la
seule prison qui
existera désormais : par la force et la persévérance
de vos études, par
laudace et la liberté de votre travail, méritez
dêtre les artistes de ce siècle
colossal et climatérique, de ce grand dix-neuvième siècle,
la plus belle
époque quait vue le genre humain depuis que la terre
amoureuse
accomplit sa ronde autour du soleil. Soyez dignes du temps où
le génie de
lhomme a supprimé la durée, lespace et la
douleur, et fait travailler
comme de vils esclaves la vapeur, le fer, la lumière et lélectricité.
Si vous
le voulez, que seront à côté du nôtre les
siècles tant vantés de Périclès, de
Théophile Gautier Salon 1848 8
Léon X et de Louis XIV. Un grand peuple libre pourra-t-il
moins pour
lart quune petite ville de lAttique, un pape et
un roi?
Ne sommes-nous pas à un instant prodigieux de la vie de lhumanité?
et
nallons-nous pas être comme des dieux, suivant lexpression
biblique ?
Mais, cette fois, ce nest pas la bouche bleue de venin du serpent
qui
susurre la parole tentatrice à loreille de notre orgueil.
Nous prenons enfin
possession de notre planète. Les forces de la nature nous appartiennent:
bientôt elle naura plus de secret pour nous. Une race
plus forte que celle
des Titans de la fable ou des géans bibliques va couvrir le
monde, et nous
allons élever, non plus des Babels de confusion, mais des tours
dharmonie, dont lescalade infatigable atteindra le ciel,
cette fois, sans
provoquer les colères de Dieu, et qui dépasseront tous
les déluges et toutes
les barbaries.
Quel vaste champ est aujourdhui ouvert à lartiste
! Au lieu des trois ou
quatre poncifs grecs et romains, dégradés par une servile
reproduction, il a
à sa disposition tous les types de la grande famille humaine.
LOrient
mystérieux laisse enfin tomber ses barrières et soulève
un coin de son
voile: tous ces beaux visages si purs, si calmes et si rêveurs
à qui lombre
du harem donne sa fraîche pâleur ou quun soleil
de feu rend blonds
comme de l'argent quon recouvrirait dor, et qui sévanouissaient
dans la
solitude et loubli sans laisser deux une silhouette en
image, vont livrer à
présent leurs lignes parfaites et leurs nobles profils aux
études des artistes
et à ladmiration des peuples. Ce monde inconnu, empêché
par la religion
iconoclaste de lIslam, de traduire sa pensée avec les
formes et les
couleurs grâce aux pérégrinations de nos artistes,
commence à nous
devenir familier.
Les scènes de la nature primitive offrent au pinceau mille
sujets
déglogues édéniques. O Tahiti, cette cythère
de lOcéanie, voit tous les
jours des Vénus ruisselantes décume et de perles,
poser leurs beaux pieds
nus sur les coquillages roses de ses rivages; lInde a ses montagnes
ciselées en pagodes, ses idoles monstrueuses, ses éléphans
blancs, qui
portent des tours dor, ses teints de bronze jaune, ses yeux
épanouis
comme de fleurs noires, ses flots de mousseline, ses nuages de parfums,
ses bruissements de bracelets qui tintent aux chevilles des Bayadères,
ses
escaliers de marbre qui descendent au fleuve sacré, ses tigres
rubanés tapis
dans les jangles (sic). Les régions boréales elles-mêmes
ont leurs froides
beautés et leurs grâces neigeuses. LAmérique,
bien que découverte depuis
quatre siècles, est encore le Nouveau-Monde; ses hautes Cordilières,
ses
forêts vierges, ses pampas, ses savanes, ses fleuves géans,
ses oiseaux de
pierreries et ses races bariolées offrent des sujets dune
inépuisable
magnificence.
Théophile Gautier Salon 1848 9
Et ce nest pas seulement dans le spectacle du monde physique
que la
vapeur nous livre, en faisant des voyages de long cours, de faciles
promenades, que les artistes puiseront des inspirations ! tous les
anciens
mythes sont à refaire. Les vieux emblèmes ne signifient
plus rien. Il faut
créer de toutes pièces un vaste symbolisme qui réponde
aux idées et aux
besoins du temps, théologique, politique et allégorique.
Le christianisme a
reçu des interprétations nouvelles ou sest ravivé
aux sources primitives,
de façon à ne plus pouvoir être traduit par les
types du moyen-âge. Les
formules quemployait la République de lancien régime
ne peuvent en
aucune manière convenir à la nouvelle, et sen
servir serait méconnaître ou
fausser les tendances modernes. De même lornementation
de grands
édifices nationaux, la fréquence des fêtes populaires,
tout le mouvement
dune vie générale inconnue jusquà
présent, vont nécessiter de réaliser
sous forme palpable des idées et des abstractions dont ne sétaient
pas
avisés Richardson, Gravelot, César Ripa et les auteurs
diconographie.
Loin de croire comme bien des gens, que lart ait dit son dernier
mot, nous
pensons quil est encore à ses bégaiements.
La terre nest pas vieille,
elle na guère que six mille ans, une bagatelle
pour une planète, elle
vagit encore et sort à peine de ses langes. Les chefs-doeuvre
que lon croit
impossible dégaler ne sont à nos yeux que les
essais dun enfant qui
donne des espérances. Cest maintenant lhomme qui
va travailler, et lon
saura ce que peut la pensée débarrassée de tout
joug. De la nature et de la
liberté, combinées avec la fantaisie, jailliront des
merveilles inattendues, et
bientôt le flot de la croyance universelle soulèvera
les esprits les plus
lourds, comme une onde marine les vaisseaux échoués,
et les entraînera
vers de nouveaux horizons.
On sera tout surpris de voir que malgré tant de musées,
tant de galeries,
tant de bibliothèques, tant de Stanze et de Scuole lon
ait oublié un si
grand nombre daspects frappans et dadorables détails
dans le portrait de
la nature, cette mère universelle toujours jeune et souriante.
A loeuvre donc, heureuses générations, saluez
le terre promise, lîle
fortunée, lEldorado qui émerge étincelant
et radieux des brumes
matinales.
Une renaissance plus lumineuse encore que celle quont illustrée
Michel-
Ange et Raphaël et tous ces immenses génies, aïeux
de la pensée moderne
peut sétoiler du scintillement de vos noms et de vos
gloires.
Sans doute il faut quelque temps pour que ces grands résultats
se
produisent, mais ils se produiront par la force secrète qui
est dans les
choses. Sans doute, poètes et peintres que nous sommes, le
tumulte et la
fumée que font les événemens dans lEurope
étoufferont nos voix et
Théophile Gautier Salon 1848 10
nuageront nos peintures. Il y aura des déchiremens,
des lutes, des
misères, des souffrances. Beaucoup de nous périront
dans la solitude,
labandon et loubli. Quimporte ! Nulle religion nest
responsable de ses
prêtres, nulle théorie de son exécution, nulle
politique de ses ministres,
nulle liberté du peuple quelle délivre.
Ces quelques réflexions nous ont paru nécessaires dans
les circonstances
actuelles avant de commencer une Revue: le livret porte inscrits cinq
mille
cent quatre-vingts numéros, cinq mille tableaux, statues ou
dessins, dans
une année, pour trente-cinq millions dhommes, ce nest
pas trop !
Dans ces cinq mille ouvrages, il y en a cinquante de premier mérite
! Cest
beaucoup.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 23 avril 1848.
SALON DE 1848
2eme article
SCULPTURE
La sculpture, si longtemps enterrée dans les catacombes, les
cryptes et les
syringes de ces deux horribles salles basses où vous attendaient
en
frissonnant les coryzas, les fluxions de poitrine et les rhumatismes,
vient
enfin de sortir du sépulcre et de remonter, non pas au ciel,
ce qui lui serait
difficile, vu son poids, mais au premier étage, au même
niveau que la
peinture, sa soeur légère.
Cest lancien musée Charles X (nous demandons grâce
aux
Basiléophages de ce nom dynastique) qui donne à la statuaire
cette
lumineuse et tiède hospitalité. On pourra désormais
admirer à loisir les
chefs-doeuvre de Pradier et de Clesinger, sans courir le risque
de rester
perclus jusquà la fin de ses jours.
Lamélioration est incontestable, et pour le moment on
ne pouvait faire
mieux. Cependant nous voudrions quon arrangeât lannée
prochaine un
local approprié aux nécessités de la sculpture;
une longue galerie, au rezde-
chaussée, et non souterraine, chauffée par des calorifères,
éclairée de
haut et tendue de vert sombre pour que les frileuses déesses
puissent
développer au jour les blancs poèmes de leur nudité.
Dans le musée
Charles X , déjà encombré de statues antiques,
de vases étrusques, de
cercueils égyptiens, démaux et de faïences,
de tableaux et de dorures
quinonde une lumière diffuse très favorable à
la curiosité mais nuisible à
leffet, les yeux se trouvent distraits par le papillotement
des ors et les
reflets quenvoie du fond des vitrines quelque émail de
Limoges ou
Théophile Gautier Salon 1848 11
quelque plat arabe à vernis métallique, et souvent une
statue reçoit le jour
à gauche et à droite. Dailleurs des masses si
pesantes de bronze ou de
marbre pourraient compromettre la sûreté des planchers,
et pendant leur
ascension périlleuse, malgré toutes les précautions
prises, il ne serait pas
impossible quune Vénus perdît son nez et un Christ
son auréole.
La nouvelle direction a aussi bien mérité de lart
en faisant jeter bas, dès
ses premiers jours dautorité, cet ignoble emplâtre
de bois qui souillait le
flanc du Louvre et semblait recouvrir une plaie hideuse et inguérissable
au
corps de ce noble monument. M.Jeanron, neût-il fait que
cela dans sa vie,
a droit à la reconnaissance publique.
Certes, sil fut un temps peu favorable à la sculpture,
cest le nôtre: notre
religion, nos moeurs, notre morale et notre climat prêtent peu
à la statuaire.
Notre costume pousse à loubli du corps humain,
et si lon peut se
souvenir que lhomme a été fait à limage
de Dieu, ce nest pas en voyant
les civilisés de 1848 avec leurs paletots-sacs, leurs pantalons
à sous-pieds,
leurs cols et leurs chapeaux en tuyau de poêle. Jamais les formes
naturelles
nont été plus grotesquement dissimulées
et travesties, et limmense
succès des tableaux plastiques montra moins un penchant à
la sensualité
que la surprise des populations en retrouvant dans des torses dhomme
ou
de femme, recouverts de maillots de soie, quelques linéamens
des statues
réputées par les bourgeois pure mythologie ou rêves
dartistes délirans. Le
règne qui vient de sécouler navait rien
en lui-même de sculptural comme
tournure, et cependant si Phidias, Praxitèle, Agesandre et
Lysippe venaient
faire un tour au Salon, nous osons espérer quils ne seraient
pas mécontens
de ce quils y verraient et ne mépriseraient pas trop
la statuaire des
Barbares du Nord.
La sculpture est dans une excellente voie, et on doit lui en savoir
gré; car
le public nest pour rien dans ses progrès. En aucun temps
une nation de
trente-cinq millions dhommes na consommé moins
de marbre ou
dairain: une statue est un luxe auquel les plus riches même
ne songent
guère en France, et tel qui paie vingt mille francs un cheval
de course, une
parure, un service dargenterie anglaise, naura jamais
lidée dacheter un
marbre à Pradier ou un bronze à David. A part quelques
bustes et quelques
travaux de peu dimportance, cest le gouvernement seul
qui, jusquici a
soutenu ce bel art, le plus idéal et le plus réel à
la fois de tous les arts; ce
legs divin de la Grèce, ce beau reste du paganisme, qui a sauvé
le monde
de linvasion définitive de la barbarie chrétienne
et gothique, et défendu
loeuvre de Dieu contre les longs fantômes émaciés,
les draperies en suaire,
et les physionomies cadavéreuses, dun ascétisme
mal entendu.
Cet abandon, chose singulière, est une des causes de la perfection
où en est
Théophile Gautier Salon 1848 12
aujourdhui la statuaire. Nayant rien à attendre
du public, les sculpteurs
ont poursuivi solitairement leur travail sévère sans
aucune de ces
concessions funestes auxquelles lindustrie ou la mode obligent
toujours le
talent lorsquelles lemploient. Il y a malheureusement
à côté de tout art un
métier qui lui ressemble, le côtoie et le touche par
toutes sortes de côtés, et
qui cependant nest pas lui. Cest à ce métier
que lart emprunte et
demande des ressources, dettes usuraires et fatales qui le mettent
à la
merci de son trivial compagnon et le forcent tôt ou tard à
sabjurer luimême
dans des besognes accablantes, mais payées. La sculpture
a cela
dagréable quelle fait tout de suite mourir nettement
son homme de faim
sil nest riche ou sil na des commandes. Le
poète a le feuilleton et les
romans, le peintre les portraits et les illustrations, le compositeur
les
leçons de musique, les orchestres de théâtre,
les arrangemens de
quadrilles; larchitecte la bâtisse vulgaire et les maisons
à cinq étages; le
sculpteur na rien qui puisse le faire vivre: à peine
modèlera t-il çà et là
quelque pendule.
Aussi, à de très rares exceptions près, les vocations
dans cette carrière
sont-elles opiniâtres et accompagnées presque toujours
dun talent réel; les
petites adresses, les escamotages, les chics et les ficelles, comme
on dit en
argot datelier, ne servent de rien en cet art visible et palpable
à la fois, et
dont on peut en quelque sorte faire le tour une lampe à la
main. Lon ne
voit pas parmi les sculptures le mélange de choses excellentes
et de choses
détestables, quon remarque le long des galeries où
sont appendues les
oeuvres des peintres.
M. Bonassieux a exposé, il y a quelques semaines, un David
combattant
Goliath, figure très remarquable et qui nous a laissé
un vif souvenir. La
tête respirait une conviction victorieuse, une sécurité
héroïque du plus
beau caractère. Lorgueil divin de lintelligence
qui méprise la force
brutale illuminait cette noble physionomie, qui, avec son accent juif
ou
plutôt biblique, avait quelque chose de la colère dédaigneuse
de lApollon
pythien.
La Jeanne Hachette est la digne soeur de ce marbre triomphant.
Lidée qui se présentait dabord pour faire
une Jeanne Hachette, cétait de
modeler une virago aux allures violentes, au geste hardi. M. Bonassieux
ne
sest pas brisé contre ce vulgaire écueil. Il a
donné à sa Jeanne une taille
élancée, des formes toutes féminines. A ce corps
frêle lénergie ne vient
pas des muscles, elle vient de lâme. Cest le coeur
et non le bras de
lhéroïne qui soulève la Hachette traditionnelle;
sa puissance réside dans
son courage, et les ennemis tombent moins sous les coups quelle
assène
que sous ceux quelle fait porter.
Théophile Gautier Salon 1848 13
Laspect de cette statue est pur, noble et grandiose. La sévérité
sy tempère
heureusement dune élégance mâle et dune
certaine grace guerrière dont
Saint-Michel donnerait plutôt lidée que Bellone;
la Jeanne Hachette de M.
Bonassieux, si lon peut détourner ainsi la frappante
expression de
Lamartine, a lair de lAnge du carnage. Sa tête fière
joue librement sur
son col dégagé, les narines gonflées, la lèvre
dédaigneuse, le sourcil
frémissant, les yeux pleins de ces éclairs blancs quil
est si difficile de
faire jaillir du marbre: le bras droit levé et ployé
encadre ce masque
sublime et soutient la hache prête à décrire un
cercle fulgurant; ce
mouvement décidé, sans être brusque, cambre la
poitrine et anime les
lignes et les détails du torse, chastement indiqués
sous un corsage en
pointe à demi collant, où viennent saccrocher
les plis sobres dune jupe
drapée dans le goût du moyen-âge, dont le bord
laisse voir un pied qui
sappuie fortement sur une pierre du rempart battu en brèche.
Lautre main
traîne par la hampe létendard déjà
reconquis, et complète par un heureux
profil cette grande silhouette, cette magnifique tournure.
La Jeanne Hachette, outre sa perfection, a le mérite de loriginalité
sans
bizarrerie. Sa beauté, aussi pure que celle des types les plus
classiques,
sillumine dune pensée et dun sentiment, et,
tout en ne sortant pas de la
sérénité de lart, a quelque chose de dramatique
et démouvant. Malgré
labondance des étoffes, puisque la tête seule et
les mains sont nues, le
mouvement général se suit dun bout à lautre
et le corps se retrouve
aussitôt lorsque loeil le cherche sous la draperie.
Cette belle figure doit être placée au jardin du Luxembourg;
nul doute
quelle ny produise un grand effet en se découpant
sur un fond de
feuillage.
La Vierge mère, conçue dans un style tout différent,
offre une pensée
délicate et ingénieuse: enveloppée de la tête
aux pieds dun voile dont les
bords sont enrichis dune broderie coloriée et dorée,
dun heureux goût
ornemental, elle entr'ouvre de ses belles mains la draperie virginale
et
présente au monde le divin bambino avec un mélange de
confusion
pudique et dorgueil maternel très bien senti et très
bien rendu. Cette idée
neuve, dans un sujet si rebattu, prouve quil nest pas
de motif usé que la
réflexion ne puisse rajeunir.
Le livret du Salon porte, au nom de Pradier, quelques lignes signées
de
notre nom obscur. Les lecteurs de la Presse les ont sans doute oubliées;
les
voici: " Pour me comprendre, il faut que tu contemples Nyssia
dans léclat
radieux de sa blancheur étincelante, sans ombre importune,
sans draperie
jalouse, telle que la nature la modelée de ses mains
dans un moment
dinspiration qui ne reviendra plus. Ce soir, je te cacherai
dans un coin de
Théophile Gautier Salon 1848 14
lappartement nuptial
Tu la verras. ". Ces quelques
mots sont tirés dun
petite nouvelle antique, où nous avions tâché
de rendre sérieusement ce
que le bon La Fontaine a travesti dune manière grotesque
et bouffonne, en
son style marotique, cest-à-dire lhistoire du roi
Candaule montrant sa
femme au jeune Doryphore Gygès, incapable quil était
de garder le secret
dune telle beauté.
Nous naurions jamais espéré cet honneur de voir
une de nos phrases
taillées dans le pentelique par ce ciseau athénien qui
a caressé tant de
gracieuses figures de nymphes et de déesses, nous, lhumble
disciple de
ces purs modèles dont nous avons tâché de rappeler
dans nos vers et notre
prose, les blanches images en les colorant du léger incarnat
de la vie. Nous
sommes fier, quon nous pardonne cette vanité dartiste,
davoir fait une
étude antique traduite en marbre grec par Pradier.
Nyssia vient de laisser tomber son dernier voile; elle se tient debout
dans
sa chaste nudité de statue, et Gygès, de lombre
où il est tapi, peut juger à
quel point lenthousiasme de Candaule avait raison. Ce corps
divin,
suprême effort de la nature jalouse de lart, développe
ses belles lignes
avec ces ondulations harmonieuses, et ces balancemens rhythmés,
musique de loeil, que les sculpteurs grecs savaient si bien
entendre. Un
des pieds porte sur un pavé de mosaïque dont les nuances
sont indiquées
en tons affaiblis, et semble un flocon de neige sur un bouquet; lautre
fait
ployer à peine la plume dun moelleux coussin, et tous
deux ont des orteils
si élégans, des doigts si délicatement effilés,
des ongles si parfaits quils
paraissent navoir jamais foulé que lazur du ciel
ou la pourpre des roses.
Les bras élevés au-dessus de la tête font ruisseler
des torrens de cheveux
sur un dos charmant quils cachent, hélas! en partie;
opulence regrettable !
Le bout dune de ces mèches vagabondes va se désaltérer
aux parfums
dune longue cassolette placée à côté
de la figure et dun goût plus grec
quasiatique. La tête penchée un peu en avant et
loeil déjà inquiet semble,
comme par un pressentiment de pudeur, chercher dans lombre le
profane
regard de Gygès.
Cette figure brille, comme tout ce que fait Pradier, par un mélange
de style
antique et de réalité moderne, doù létude
nexclut pas la pureté; les
jambes et les cuisses de sa Nyssia ont les lignes sévères
du marbre et la
tendreté de la chair, les genoux surtout sont admirables pour
leur modelé
fin, souple et savant. Lanatomie la plus consciencieuse ny
ôte rien à la
grâce et à la morbidesse; les passages des aines au ventre,
les lignes
serpentines du torse, les attaches de la gorge, le sein lui-même,
détaché et
mis en relief par le mouvement des bras, ont cette beauté placide,
cette
perfection sereine qui caractérisent le talent de Pradier,
un des plus
complets tempéramens de sculpteur qui se soient peut-être
produits depuis
Théophile Gautier Salon 1848 15
le siècle de Périclès.
La Sapho, comme pour faire contraste à la Nyssia, est entièrement
vêtue.
Une souple draperie, flottante et précise comme celle de la
Mnémosyne ou
de la Calliope, enveloppe son corps, dont elle voile les formes tout
en les
accusant. Un de ses bras pend au long de son flanc et retient une
lyre
décaille de tortue près de séchapper;
lautre serre dune main contractée
un rouleau de papyrus sur lequel on lit, en caractères grecs,
les premières
strophes de lode fameuse traduite par Catulle et par Boileau.
La tête
sincline pensive et douloureuse, courbée sous lamer
chagrin dun amour
méconnu. Au bas, sur le pli de la robe, sébattent
et se becquètent deux
colombes: inutile offrande qui na pas désarmé
Vénus!
Jamais Pradier, qui à lexemple des anciens naime
pas à troubler la beauté
des traits par lexpression de la joie ou de la douleur, na
fait une
physionomie plus significative: ordinairement il concentre la vie
dans le
torse, qui est pour lui le principal du corps humain. La prédominence
de la
tête sur le reste du corps est un sentiment spiritualiste et
chrétien ignoré de
lantiquité, et Pradier est un payen pur, adorateur de
Zeus, dHêrè, de
Poseidon et surtout dAphrodite.
Cette fois, comme la draperie couvrait les portions quil excelle
à rendre, il
a donné plus dimportance au masque, et la pensée
en crispe les sourcils
dairain; du reste, Sapho, la grande poétesse, méritait
bien lhonneur quon
logeât une idée sous son front, et le sculpteur lui a
laissé assez de beauté
pour rendre incompréhensible le saut du rocher de Leucate.
Si lillustre cothurne-bleu ressemblait à cette figure,
Phaon a été bien
imbécile et bien fat.
Cette statue demi-nature, si elle était convenablement oxydée
et
vertdegrisée par un séjour prolongé sous la terre
ou dans la mer, qui lui
donnerait la patine antique, pourrait passer pour une des oeuvres
du beau
temps de lart grec ou romain, et se paierait des prix incalculables.
La statuette de M. de Belleyme, bien posée, bien drapée
et très
ressemblante, est une miniature sculpturale qui aurait dû, selon
nous, être
plutôt coulée en bronze que taillée en marbre;
le paros et le carrare, dans
de si petites proportions, prennent des airs de sucre, et les parties
évidées
ou minces deviennent dune transparence qui nuit au modelé
par
limpossibilité où elle met les ombres et les clairs
de sétablir avec leurs
valeurs réciproques.
M.Clesinger a débuté lannée dernière
dune façon si remarquable quon
pouvait craindre pour son avenir, soit une réaction du public,
soit une
impuissance de lartiste à atteindre un succès
pareil. Du premier coup ce
Théophile Gautier Salon 1848 16
sculpteur, inconnu la veille, sétait assis parmi les
maîtres célèbres. Sa
femme piquée par un serpent, que les Ophiologistes eussent
été bien
embarrassés de définir et de classer, avait fait révolution.
De nombreux
groupes sameutaient autour de la gracieuse agonie de ce marbre
palpitant,
de cette Cléopâtre moderne en proie à un mystérieux
aspic et dont un
bracelet de Fossin ou de Froment Meurice cerclait le bras nu. Sous
la
mollesse abandonnées des lignes flamboyait une certaine ondulation
michel-angesque de contours qui dénotait une vigueur peu commune
et
séparait nettement lauteur des statuaires de boudoir.
Peut-être cette femme couchée, avant la morsure du serpent,
ou en même
temps, si vous voulez, avait reçu un baiser; mais cétait
un de ces âcres
baisers de la passion dont parle Saint- Preux, et non une de ces distraites
caresses du libertinage ou de lennui. Cette volupté si
violente et si
furieuse que ses spasmes ressemblaient à la mort à sy
tromper et en
prenaient la chasteté, fit un effet inattendu et général.
On sétonne de voir
ainsi le marbre sagiter dans sa blancheur froide et glaciale,
et faire
impression sur la foule comme la plus chaude peinture. En face de
cette
figure on se demandait avec inquiétude, en pensant au salon
prochain: Estce
un premier ou un dernier moi ? Vient-elle dune de ces natures
qui se
vident en une fois dans un chef-doeuvre unique, et tarissent
leur trésor par
une largesse impossible à recommencer ? On a vu plus dune
fois des
hommes de talent qui navaient au ventre quun mot, quune
page, quune
partition, quun tableau, quune statue, et forcés
ensuite de garder le
silence ou de se répéter, pâles contre-épreuves
deux-mêmes. Ou bien estce
un nouveau filon qui souvre, une veine opulente que lartiste
puisse
poursuivre dans sa gangue, avec chance den extraire des oeuvres
remarquables et nombreuses ? La femme au serpent est-elle un accident
heureux ou le résultat normal dune riche organisation
?
La Bacchante a résolu victorieusement la question. Cette statue
est le
digne pendant de la Femme piquée par un aspic. Dans cette oeuvre
nouvelle, M.Clesinger a su rester fidèle à sa nature
sans se répéter. Il a fait
simplement ce quil aime et ce quil sent. Un artiste moins
bien doué
aurait pu essayer cette fois de prendre un autre chemin de lart
au lieu de
continuer bravement sa route. Cest ainsi quon perd du
temps et quon
navance pas. Tout homme dailleurs a un type intérieur
quil reproduit
sans cesse. Chacun frappe sa monnaie à son coin; loeuvre
des maîtres
même les plus illustres nest guère que le développement
plus ou moins
déguisé dune idée mère unique; et
la recherche outrée de la variété montre
un esprit plus curieux quartiste; le beau na pas besoin
dêtre neuf: des
nuances de style, de caractère et de détails suffisent
à lui donner de la
diversité et de lintérêt, et puis il ne
sort des choses que ce quelles
Théophile Gautier Salon 1848 17
contiennent. Il ne jaillit pas de vin dune barrique deau,
et les pommiers
ont toujours produit de fort mauvaises oranges quand cette fantaisie
les a
piqués de ne pas se répéter à la récolte
prochaine.
M.Clesinger a donc très bien fait de ne pas se laisser aller
à cette
coquetterie dantithèse plus satisfaisante pour la critique
que pour lart, de
nous donner, après une figure nue couchée et convulsive,
une figure voilée
debout et froide.
Sa Bacchante, pour loeil comme pour lesprit, est bien
la soeur de sa
Femme piquée, soeur reconnaissable, mais différente,
comme doivent
lêtre les oeuvres des natures originales. Dans lune,
cest livresse, ou, si
vous le préférez, la douleur de la volupté; dans
lautre, cest le pur délire
orgiaque, la Ménade échevelée qui se roule aux
pieds de Bacchus, le père
de liberté et de joie.
En proie à son Dieu, les veines gonflées par la double
pourpre de la vie et
de la vigne, le cerveau plein du vertige sacré, la folle bacchante
laisse aller
au hasard ses bras dénoués, sa tête qui vacille
sur un oreiller de cheveux et
de pampres.
Un puissant spasme de bonheur soulève par sa contraction lopulente
poitrine de la jeune femme et en fait saillir les seins étincelants
avec une
ligne dune audace étrange et dune violence superbe,
qui rappellent la
fière statue de la Nuit, au tombeau des Médicis.
Le torse ainsi jeté en avant par les reins qui se cambrent
et la tête qui se
renverse, prend la lumière dautorité et accapare
lattention, malgré la
beauté des autres formes et la souplesse chiffonnée
de la draperie qui
écume en blancs flocons autour des membres inférieurs;
en effet, cette
poitrine qui halète sous le dieu invisible qui la presse, ces
contours si
fermes et si pleins quils semblent près déclater,
ces muscles souples et
forts tressaillant sous cette chair drue que saisit la fraîcheur
de lair et que
brûle un feu intérieur, arrêtent invinciblement
le regard et à juste droit, car
cest un des plus beaux morceaux de la sculpture moderne pour
linvention
de la pose, la hardiesse des lignes et la chaleureuse vigueur de lexécution.
Personne aujourdhui ne tordrait mieux que M. Clesinger, sur
ce lit de
feuillages où il baigne sa bacchante, ce corps jeune et vigoureux
qui, dans
ses brusques élans, rebrousse les pampres, foule les grappes,
et fait jaillir
des raisins écrasés le généreux sang de
la vigne.
Une seule chose nous déplaît dans ce beau morceau: cest
un bout de la
draperie ramenée malheureusement sur le haut de la cuisse,
où elle forme
des cassures de plis et des bouillons dun style équivoque.
Si ce
malencontreux chiffon est là dans des idées de pudeur,
il aurait dû laisser
Théophile Gautier Salon 1848 18
cette fonction morale à la feuille de vigne sacramentelle dautant
quil ny
avait quà se baisser pour en prendre. Les plus belles
feuilles du monde se
découpent tout auprès dans le marbre, et ne demandent
pas mieux que
dégarer par là une de leurs vagabondes guirlandes.
M. Clesinger fera bien
dabattre ce pli désagréable. Lart nu est
chaste.
Outre sa Bacchante, M. Clesinger a exposé trois bustes de femme,
un
entrautres, celui de Mme de L., où il a su, comme dans
celui de Mme S.,
tant admiré au Salon dernier, concilier la ressemblance avec
un certain
arrangement mythologique et pompadour, qui en font à la fois
des portraits
charmans et des bustes délicieux, intéressans par eux-mêmes.
Il est
difficile damollir à un tel degré la plus résistante
des matières. M.
Clesinger ne taille pas le marbre, il lestompe, et ses bustes
sont des
pastels. La gaze joue autour des gorges découvertes légère
et transparente,
les rubans laissent flotter leurs bouts satinés, les roses
pompons
seffeuillent dans les cheveux, sur lesquels a neigé un
oeil de poudre: on
dirait des Latour sculptés. Ces têtes, types de beauté
féminines, que M.
Clesinger pétrit comme en se jouant, montrent combien la grace
est aisée à
la force.
M. Lescorné nous a représenté la douleur de Clytie
dans un marbre
touchant et gracieux. En ce temps où lon a bien le droit
davoir oublié sa
mythologie, nous rappellerons en peu de mots lhistoire de cette
infortunée: Clytie était fille, selon les uns, de Téthys
et de lOcéan; selon
les autres, dEurynomè et dOrchamus roi de Babylone.
Elle fut aimée
dApollon qui la trahit pour sa soeur Leucothoé. Clytie,
pour se venger,
dénonça cette intrigue au roi; Leucothoé fut
enterrée vive et le Dieu ne
voulut pas pardonner à sa première maîtresse la
perte de sa nouvelle
conquête dont le corps fit pousser larbre à baume.
Clytie inconsolable se
laissa mourir, tout en suivant du fond de lombre où il
labandonnait la
course de son lumineux amant. Sa tête allanguie se tournait
toujours vers
le disque étincelant, pour ne pas perdre une de ses évolutions.
Phoebus,
Apollon, enfin ému de tant de douleur et damour, changea
Clytie en
tournesol, et la fleur, animée par le coeur de la femme, continue
encore
aujourdhui sa muette adoration.
La tête de Clytie est charmante, elle semble baigner dans la
lumière et
senivrer dun rayon comme dun baiser. Le soleil,
moins cruel peut-être à
ce moment-là, oublie quil est un astre pour se souvenir
quil était un
amant: les bras se croisent sur sa poitrine comme pour y concentrer
lémotion, tandis que le reste du corps, énervé
par cette sensation suprême,
ploie et saffaisse le long dun tronc darbre quentourent
déjà les larges
feuilles du tournesol. Le dieu a pardonné, la métamorphose
commence.
Théophile Gautier Salon 1848 19
Cest une idée singulière et touchante de lantiquité
que celle des
métamorphoses. Presque toutes ces charmantes mortelles qui
faisaient
descendre les dieux de lOlympe ont eu une fin précoce
et fatale, soit que
largile humaine ne pût soutenir le contact de ces êtres
célestes saturés de
nectar et dambroisie, soit que le dieu ne voulût pas laisser
la vieillesse
hideuse flétrir cette beauté honorée de ses caresses.
A lheure marquée par
le destin, la métamorphose épargne à ces corps
divinisés par de hautes
amours les horreurs de la dissolution. Ce que le dieu a aimé
ne devient
jamais un cadavre, et lhabitant de lOlympe semble navoir
pas été ingrat
lorsquil a fait de son ancienne maîtresse un arbre, une
fleur, une fontaine,
un parfum. La mortelle favorisée rentre dans la douce vie universelle
et ne
descend point dans les mornes profondeurs de lHadès;
ainsi Clythie (sic)
peut encore satisfaire son noble amour et se tourner vers la lumière
depuis
laurore jusquau soir.
Cette statue, pleine de grâce et de sentiment, ne laisse rien
à désirer, quun
peu plus de rendu et daccent. Certaines attaches sont trop mollement
indiquées; lexécution, çà et là,
est un peu ronde, mais cest un défaut qui
peut être réparé par huit jours de travail. M.
Lescorné a le ciseau souple et
fin, et, sans nuire à la délicieuse expression de langueur
de sa figure de
Clytie, il pourra lui donner plus de fermeté.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 25 avril 1848.
SALON DE 1848
3eme article
SCULPTURE
M. Daumas nous présente, sous le nom de Victorina, une figure
colossale
en plâtre, d'un aspect mâle et sévère. Cette
Victorina, d'après la notice
insérée au livret, appartenait à une puissante
famille de la Gaule. Elle
jouissait d'une haute influence, et les historiens primitifs racontent
qu'elle
fit élire plusieurs empereurs. Pour elle-même, elle avait
refusé le pouvoir.
La présence de Victorina dans les camps, de largesses faites
à propos, et
plus encore le respect inspiré par son dévoûment,
la firent surnommer la
Mère des camps. A ces causes originelles de son influence,
Victorina
joignait l'autorité d'une ame ferme et virile, d'un esprit
étendu, capable des
résolutions les plus élevées et dont les inspirations
furent bientôt écoutées
comme des oracles.
Sans nous arrêter à la valeur plus ou moins historique
de ces lignes,
admettons, c'est au moins l'intention qu'indique son plâtre,
que dans la
statue de Victorina, M. Daumas ait voulu faire la personnification
de ces
Théophile Gautier Salon 1848 20
héroïques femmes du Nord, gauloises ou germaines, dont
parlent César et
Tacite.
Les barbares avaient sur la femme des idées toutes différentes
de celles qui
régnaient dans le monde grec et romain où la compagne
de l'homme n'était
guère considérée qu'au point de vue plastique
ou reproductif. La femme
sous le rapport moral est un produit de la Barbarie et du Christianisme.
La
civilisation de l'Antiquité ne la connut pas.
Pour les peuples à demi-sauvages qui habitaient sous les ombres
impénétrables des Ardennes et de la Forêt-Noire,
pour les hordes cachées
dans les profondeurs des immenses nuits cimmériennes, la femme
avait
quelque chose d'auguste, de sacré et de divin: c'était
en quelque sorte l'âme
et la pensée visible au-dessus des brutalités de l'action
et de la force
physique, leurs paroles semblaient fatidiques et les décisions
importantes
ne se prenaient pas sans leur conseil.
Ces Gauloises en qui résidait l'autorité morale de la
nation, ne
ressemblaient ni aux Romaines, ni aux Grecques, tièdes statues
dont on
aurait peint les cheveux et les paupières. Elles avaient leur
beauté à elles
faite pour surprendre l'Italie et la Grèce: c'étaient
de femmes de haute
taille, au grand front éclairé par la pensée
et baigné par deux fleuves de
cheveux blonds, au nez impérialement aquilin, aux prunelles
couleur de
mer ou couleur d'acier, aux joues unies et roses comme la neige, sous
un
reflet d'aurore boréale, au col onduleux et souple, à
la poitrine arrondie et
blanche comme celle du cygne, aux bras superbes et puissans; un mélange
de grace et de vigueur, d'où l'assurance virile n'excluait
pas la délicatesse
féminine; la feuille dentelée du chêne remplaçait
sur leurs tempes veinées
d'azur les couronnes de rose, de lierre et de myrte! une tunique courte
se
serrait à leurs flancs, sous un cercle d'or, et elles apparaissaient
grandes,
belles et fortes, au milieu des guerriers farouches appuyés
sur leurs
francisques ou leurs framées aux carrefours mystérieux
des forêts
druidiques.
Telles ont été les prototypes de ces héroïnes
de l'Edda, des Niebelungen et
des grands poètes du Nord, de ces beautés de neige aux
yeux de bleu de
glace qui s'échappent de quelque tour d'argent au bord de la
Baltique, sur
les ailes d'un cygne ou d'un vaisseau magique, en compagnie d'un
Siegfried ou d'un Sigurd quelconque.
De ces nobles femmes, la race n'existe presque plus dans notre France,
devenue presque un pays méridional par la conquête romaine,
l'invasion
rapide des Sarrasins, et ce mouvement de reflux qui attire vers le
Nord les
nations allanguies de l'Orient comme autrefois le mouvement de flux
poussait vers le soleil les hordes polaires sur leurs banquises flottantes.
Le
Théophile Gautier Salon 1848 21
type en est mieux conservé en Allemagne, et de gaulois en quelque
sorte
est devenu germain. Cornélius, ce grand peintre qui ne sait
pas peindre, l'a
pressenti et rendu avec bonheur dans les illustrations sauvagement
puissantes et férocement héroïques des Niebelungen,
cette Iliade de glace
et de granit composée de blocs versifiés.
La figure de M. Daumas est bien campée, d'une belle et grande
tournure
elle tient à la main des couronnes qui symbolisent la part
qu'elle a eue à
l'élection des chefs, on pourrait la prendre au premier aspect
pour la
personnification de quelque austère vertu républicaine.
L'exécution en est
ferme, sérieuse et solide. Nous ne ferons à la
Victorina qu'un reproche:
elle est trop brune, sa chair, ses formes sont celles d'une femme
à cheveux
noirs. Les muscles de ses jambes nerveuses et dures n'ont jamais joué
sous
une peau blanche. Le type blond peut se produire, même en plâtre,
par une
certaine ampleur ondoyante, des nerfs plus enveloppés, un épiderme
plus
satiné et plus poli, quelque chose de long, de soyeux dans
la chevelure, la
hanche large et la taille mince, une certaine exagération du
type féminin
dont la blonde est la représentation par excellence, car la
brune n'est qu'un
homme adouci.
Une des victimes ordinaires du jury, M. Maindron, a exposé
un groupe
colossal de sainte Geneviève arrêtant Attila par ses
prières et sauvant la
ville de Paris. M. Maindron, qui a beaucoup travaillé incognito,
grace à
l'inique tribunal renversé en février, est connu surtout
par une statue de
Velleda qui a échappé, on ne sait comment, à
la proscription, et qui, à
l'heure qu'il est, coupe le gui du chêne avec sa faucille de
marbre sous les
marronniers du Luxembourg. Cette élégante figure a suffi
pour démontrer
l'injustice de ces tortionnaires de l'art et faire casser de confiance
leurs
jugements antérieurs.
Attila, si les portraits que les historiens ont tracé de lui
sont exacts, n'avait
pas la stature gigantesque que lui donne M. Maindron; il était
petit, trapu,
le regard louche et le poil rare. Le profil n'est pas gracieux et
le statuaire a
bien fait de ne pas s'y conformer. Son Attila écaillé,
imbriqué, coiffé d'un
casque fantastique, hérissé d'armes féroces,
donne assez bien l'idée de
celui que les peuples tremblans appelaient le fléau de Dieu
et derrière
lequel couraient, sur leurs maigres cavales, les innombrables hordes
du
Nord, incendiant les bois, tarissant les fleuves, enterrant les cités,
et
laissant les déserts après elles.
La sainte Geneviève a de la suavité et de l'onction,
et le barbare s'arrête
bien, surpris et repoussé par une force inconnue, par l'irradiation
de la
grace et l'effluve de la prière.
Nous n'aimons pas la façon dont certains contours sont bridés;
les
Théophile Gautier Salon 1848 22
cheveux, les draperies se détaillent trop par lanières
et donnent quelque
chose de sec à l'aspect général: mais c'est un
défaut qu'il est facile de faire
disparaître au marbre.
Avec son Attila, M. Maindron a exposé un buste de M. d'Espagnac,
fin de
modelé et ressemblant.
Quatre jolis vers de M. Desplaces ont servi de thème à
la rêverie de M.
Jouffroy:
Elle rêve, mais rien ne trouble sa pensée;
Elle ignore la vie, elle ignore l'amour.
Que sait-elle? La rose en guirlande tressée,
Les chants d'oiseau, l'azur du jour!
Ceci se traduit en marbre par une jeune fille dont les formes virginales
retiennent encore quelque chose de l'enfance, et ont ce charme indécis
des
premiers jours du printemps. C'est la lueur vague et tendre d'une
aurore de
beauté. M. Jouffroy excelle à rendre ce passage difficile
de l'adolescence à
la jeunesse, cette limite extrême où la fleur va se transformer
en fruit, où
l'enfant va devenir femme. La jeune fille confiant son secret à
Vénus a
déjà fait voir l'habileté du statuaire en ce
genre. La Rêverie soutiendra
honorablement la réputation de ses aînées; quelques
lourdeurs dans
certaines parties contrastent avec la délicatesse du reste.
Rien n'est plus
facile à corriger que les fautes en plus. Dans le marbre, on
peut ôter et non
remettre. La tête exprime suffisamment le motif qui a servi
de prétexte à
cette gracieuse étude d'une chaste nudité.
Une composition d'un aspect original dans sa sévérité
funèbre, c'est le
tombeau de deux Polonais par un troisième Polonais, M. Ladislas
Oleszczynski. Deux vieillards, séparés par un ange qui
étend une de ses
ailes sur chacun d'eux, dorment fraternellement côte à
côte de ce froid
sommeil dont on ne se réveille pas. L'un est le général
Kniaziewicz, et
l'autre le sénateur-poète Niecemvicz, auteur de chants
historiques et
nationaux, dont nous avons traduit autrefois un morceau, vers par
vers, sur
une traduction interlinéaire latine, avec une exactitude qui
doit rendre
bienveillante pour nous l'ombre du vieux rimeur slave et nous permet
de
nous arrêter sans crainte devant son tombeau. Ces trois statues,
exécutées
en pierre, dénotent chez M. Ladislas Oleszczinski un talent
vrai et naïf: les
corps ont bien l'affaissement cadavérique, les manteaux se
drapent
sépulcralement en plis de suaires; mais sur les faces aux yeux
fermés, aux
traits placides, une expression d'espérance sereine et de repos
parfait
corrige ce que ces deux figures, d'une réalité saisissante,
pourraient avoir
Théophile Gautier Salon 1848 23
de trop sinistre ou de trop effrayant.
Ce monument commémoratif, élevé par l'émigration
polonaise, sera placé
dans l'église de Montmorency. Que la longue nuit ne soit pas
trop
ténébreuse, trop triste aux deux vieux amis sous ce
tombeau sculpté par un
compagnon avec les deniers de l'exil! Qu'ils reposent en paix leurs
têtes
blanchies sur cette poignée de terre de Pologne, que les bannis
vivans
répandent sur leurs frères morts pour faire à
leurs os l'illusion de la patrie!
Puisque nous en sommes aux sujets funèbres, parlons du Deuil
de M.
Gayrard père, figure sépulcrale dont la place est marquée
pour pleurer
éternellement sur un tombeau. Les draperies, d'un style large,
retombent
autour d'un corps dont on craint de deviner les effrayantes maigreurs
et les
mains se plongent désespérément sous le pan rabattu
d'un capuchon pour
essuyer des yeux invisibles et probablement vides.
Pour nous distraire de ces sombres impressions, jetons les yeux sur
un
charmant groupe miniature de M. Pascal, intitulé: " Laissez
venir à moi les
petits enfans." Sinite parvulos venire ad me. Ce n'est pas le
Sauveur luimême
qui prononce ces douces paroles, c'est un pauvre religieux, un vieux
moine qui les fait dire à son divin maître par la bouche
d'ivoire du crucifix
à deux petits enfans qui se penchent dévotement pour
baiser le céleste fils
supplicié, celui qui ne méprisa jamais les simples et
les humbles de coeur.
Rien n'est plus charmant et plus tendre que cette miniature de marbre.
Le
religieux est plein d'affabilité sénile et d'onction.
Les petits bonshommes
respirent la foi la plus naïve. Comme celui qui baise le crucifix
se penche
avec respect, faisant hausser sa courte chemise par l'inflexion de
son corps,
et comme l'autre attend son tour dans une impatience admirative, curieux
lui aussi de coller sa bouche à la plaie du Sauveur!
Malgré son exiguïté, ce marbre est large d'exécution,
et montre chez M.
Pascal tout le talent nécessaire pour la sculpture de grande
dimension: ce
que nous disons là n'est pas pour rehausser le mérite
des figures colossales
qui peuvent être petites, tandis que les figures hautes de quelques
pouces
sont grandes; mais quelques gens s'imaginent que les proportions
augmentent beaucoup le mérite des choses.
M. Oudiné, d'après Apulée le divin conteur, nous
montre la pauvre Psyché
que le fleuve sombre a rejetée évanouie sur ses bords,
craignant d'offenser
l'Amour et peut-être d'allumer ses froides ondes au contact
de ce corps
charmant. L'aimable fille est là couchée sur ses ailes
qui se replient; son
beau corps assoupli et pâmé s'infléchit légèrement;
ses bras se dénouent,
ses mains s'ouvrent avec langueur; la respiration ne soulève
plus sa gorge
immobile; elle a toute la grace de la mort sans l'effroi qu'elle inspire.
Théophile Gautier Salon 1848 24
Cette statue, de dimension moyenne, a du charme et de la jeunesse.
L'expression de douleur et d'abandon de la tête est délicatement
sentie sans
être marquée de façon à troubler la simplicité
du marbre. Les mains et les
pieds sont d'une élégance exquise et vraiment faits
pour les baisers de
l'amour. M. Oudiné a dans sa statue, rendu aussi vraisemblable
que
possible, la jalousie de Vénus.
La Berthe, mère de Charlemagne, drapée avec goût
et d'une tournure
majestueuse, est un morceau de décoration très convenable,
et tiendra
honorablement sa place parmi les illustrations féminines qui
doivent
peupler le Luxembourg.
Une tête charmante et devant laquelle tout autre qu'un critique
forcé de
jeter au moins un coup-d'oeil à cinq mille objets d'art resterait
en
contemplation des heures entières, c'est la Villanelle de M.
Diébolt. Il est
impossible de voir un profil plus fin, plus pur, plus régulier,
une sérénité
plus candide et plus douce. La coiffure est ajustée avec une
grace parfaite
et encadre à merveille la coupe du front. Nous avions déjà
vu ce délicieux
buste à l'exposition des envois de Rome, et nous l'avons retrouvé
avec
plaisir.
Les mêmes qualités d'élégance, de suavité
de lignes et de perfection
tranquille dans le travail recommandent la Sapho au rocher de Leucade.
Une heure de la nuit, par M. Pollet, surprend tout d'abord pour la
singularité hardie de la pose. Cette Heure, chose peu
croyable pour une
heure sculptée, vole comme une allégorie de plafond.
Ses pieds ne portent
sur rien, elle est littéralement suspendue en l'air. La légèreté
inouïe de
cette pose s'harmonise bien avec les formes gracieuses et frêles
de ce corps
juvénilement maigre; M. Pollet a employé autant d'habileté
à faire tenir sa
statue dans cette attitude improbable que les jongleurs indiens qui
s'asseoient sur le vide et restent dans cette posture sans que rien
paraisse
les soutenir. L'Heure tord ses bras au dessus de sa tête et
se cambre avec
un mouvement de volupté paresseuse et endormie comme si le
sommeil
lui jetait déjà sa poudre d'or dans les yeux, et ses
pieds mignons, rejetés en
arrière comme des pieds d'oiseau, nagent dans l'air bleu de
la nuit; un bout
de draperie diaphane qui voltige autour de l'aérienne figure
et laisse traîner
à terre l'extrémité de la frange, explique à
la raison ce vol que l'oeil ne
saurait comprendre.
Nous ne savons si les lois de la statique permettraient d'exécuter
en marbre
l'Heure de la nuit de M. Pollet, mais on la pourrait certainement
couler en
bronze: une armature antérieure et un contrepoids dans le socle
lui
donneraient toute la solidité désirable. Si l'oeuvre
de M. Pollet n'avait
d'autre mérite que celui d'être un tour de force, nous
nous y serions arrêté
Théophile Gautier Salon 1848 25
moins longtemps, bien que dans un art aussi borné que la sculpture
la
nouveauté vaille qu'on en fasse cas pour elle-même; mais
sa figure très
fine de modelé montre une étude intelligente et curieuse
de la nature.
Quelques misères très vraies du reste, et un peu trop
parisiennes peut-être
donnent à cette jolie figure une sveltesse un peu souffreteuse,
et qui
rappelle les héroïnes phtisiques de Novalis. La sculpture
est assez
ordinairement robuste pour qu'on lui passe, pour une fois, un caprice
de
gracilité aristocratique et d'élégance poitrinaire.
Les trois statues de la fontaine qui épanche ses eaux vis à
vis de la
Bibliothèque, rue Richelieu, ont rendu populaire le nom de
M. Klagmann:
Paris ne possède en effet rien de mieux en [*ce] genre. Tout
en restant
dans les conditions architecturales et ornementales, M. Klagmann a
su être
vrai et naïf. Cette année, il se présente avec
un bas-relief en marbre de
Saint-Béat, destiné à décorer le maître-autel
de l'église Saint-Cyr, à
Issoudun. Ce sont des enfants qui tiennent dans leurs mains les attributs
de
la passion. Le contraste qui résulte de ces petits bras innocens
et des
instrumens de torture dont ils sont chargés, tels que le marteau,
les clous,
la couronne d'épines et les tenailles, est heureusement rendu:
on voit dans
la physionomie de ces bambins une grande envie d'être graves
et tristes,
mais, au fond, ils ne peuvent s'empêcher de songer, avec l'insouciante
légèreté de leur âge, que ces attributs
feraient de bien beaux joujoux.
Les artistes espagnols, passés maîtres en l'art de frapper
vigoureusement
les imaginations, et ceux qui ont le mieux compris la douloureuse
poésie
du christianisme, emploient souvent cette antithèse: Jésus
enfant, endormi
sur la croix, ou souriant coiffé d'une couronne d'épines,
ou dans un jeu
mélancoliquement prophétique, s'amusant des objets qui
plus tard
serviront à son supplice, est un sujet fréquemment traité
par Murillo et par
ces peintres de la Péninsule d'un catholicisme si profond et
si sincère: ces
tableaux, quel que soit leur mérite d'exécution, ont
toujours un côté
saisissant et simplement dramatique qui attache même lorsque
la peinture
est défectueuse.
Le buste de M. E. de G. a le mérite d'une ressemblance parfaite.
Mérite
rare, car cette physionomie calme et fine, qui cache beaucoup de feu
sous
une apparence froide, et de profondeur sous un air de jeunesse, est
certes
des plus difficile à rendre. Essayée plusieurs fois,
on peut dire que jusqu'à
présent elle n'a pas été complètement
réussie.
Ottin n'a exposé cette année qu'un buste colossal et
surhumain de M. de
Prony: ce buste se recommande par une expression singulière
de force et
de puissance intellectuelle, un masque vigoureusement fouillé,
mais peutêtre
le statuaire, cédant à des préoccupations phrénologiques,
a-t-il un peu
Théophile Gautier Salon 1848 26
exagéré les protubérances qui bossèlent
ce front et ce crâne démesuré sous
sa crinière léonine.
L'Haïdée de M. Husson a bien le caractère d'innocence
passionnée,
d'adorable ignorance, de candeur amoureuse que lord Byron a donné
à la
fille du pirate Lambro, sa plus charmante création féminine,
"comme une
jeune colombe elle vole à son jeune ami!" Le marbre de
M. Husson donne
de ces vers délicieux une traduction plus exacte que celle
d'Amédée Pichot
ou de Benjamin La Roche.
S'il existait dans notre langue, si peu faite pour rendre l'expression
plastique, des mots suffisamment variés, nous parlerions plus
en détail de
plusieurs oeuvres qui le mériteraient assurément; mais
il est difficile de
faire sentir avec des phrases les différences, les variations
de ce thème
unique, une figure debout, assise ou couchée: quelque effort
que nous
fassions pour rendre les poses, les inflexions des lignes, le balancement
des attitudes, l'ondulation des contours, la variété
des profils, nous ne nous
flattons pas d'y réussir indéfiniment. Aussi nous contenterons-nous
de
mentionner avec approbation la Petite Femme couchée, statuette
en plâtre
de M. Huguenin, la Bacchante, statuette en bronze de M. Jaley, le
Saint
Marcoul guérissant des Ecrouelles, de M. Bion, l'Eve tentée
marbre de M.
Van der Ven, la Bacchante faisant danser son Enfant, de Schoenewerck,
la
statuette de Pie IX et le buste de Mlle Mars de M. Barre, que tout
le monde
connaît, le buste de Mme Victor Hugo, par M. Vilain, d'une ressemblance
parfaite et d'une exécution très naïve et très
consciencieuse; le petit groupe
en bronze d'Hercule étouffant Antée, par Etex, énergique
étude; Ravaude
et Mascareau, étude de chiens de M. Frémiet, et un mouton
très naïf en
bronze de Mlle Rosa Bonheur.
Nous oublions sans doute encore beaucoup de bonnes choses, cependant
nous pensons n'avoir rien passé qui eût une signification
particulière. Le
talent est aujourd'hui une chose commune en sculpture, qui ne suffit
plus à
faire distinguer un artiste.
Nous devons sans doute à l'absence du jury le plaisir de pouvoir
admirer le
cadre ornemental et les nids d'oiseaux de M. Lechesne. Ces estimables
juges les eussent très probablement repoussés, comme
ils firent il y a
quelques années, du délicieux miroir de Mlle Fauveau,
sous le prétexte
spécieux "que ce n'était pas de l'art."
M. Lechesne est né, comme M. Toussenel, avec l'amour désordonné
des
oiseaux et des bêtes; seulement, ce dernier les chasse et les
décrit, et le
premier les modèle et les sculpte. Aucun naturaliste, aucun
observateur n'a
poussé la science ornithologique au même point que M.
Lechesne; il sait
Théophile Gautier Salon 1848 27
tout ce qui se passe dans les nids et sous la feuillée. Le
chardonneret est
son ami intime; le rouge-gorge n'a pas de secret pour lui; le rossignol
lui
conte ses peines de coeur, il fait avec la pie bavarde de longues
conversations; le pivert et le moineau franc viennent frapper du bec
à son
carreau pour le tenir au courant des commérages de la forêt
et du toit; la
grave cigogne debout sur une patte, lui tend sa serre en guise d'affection;
il
n'est pas jusqu'aux tristes oiseaux de nuit, au grand-duc et à
l'orfraie, qui
ne fixent sur lui, avec un regard bienveillant, leurs jaunes prunelles
de chat
et ne secouent de contentement, en leur présence, leurs aigrettes
en forme
d'oreilles.
Dans l'admirable cadre qu'il expose, M. Lechesne a écrit à
travers un
enroulement de folles brindilles de vigne, un délicieux poème
qui
renferme la vie complète de l'oiseau; ici il chante, sa petite
gorge enflée et
son bec ouvert comme la bouche d'un ténor d'opéra, l'hymne
joyeux du
printemps et les premières amours. Là, il lustre sa
plume, se toilette et se
fait beau; sur une autre branche, il se pend par un pied, se balance,
fait
craquer ses articulations et se livre à cette gymnastique naturelle
que
l'homme dédaigne seul.
Plus loin, il picore soit une baie, soit un insecte, ou bien il secoue
son
plumage après un bain de rosée, et pelotonné
en boule, se chauffe
paresseusement au soleil. Le rameau ornemental fait encore une évolution,
et le drame se complique. Voici les luttes avec les rivaux, les triomphes
amoureux, les palpitations d'ailes, les frémissemens de gorge,
les baisers
bec à bec; puis, là-haut, au point où les branches
de la guirlande se
rencontrant forment un bouquet de feuilles plus touffu et plus ombreux,
l'amour, la famille, la couvée, les petits couverts de duvet,
qui tendent des
cous raides et des becs affamés. C'est charmant, mais
M. Lechesne, qui
n'est pas un poète menteur, un faiseur d'idylles sans loup,
à la façon de M.
le chevalier Florian, n'a pas voulu tromper ses amis les oiseaux et
leur
inspirer une fausse confiance.
Il a fait, parmi ces feuilles, si délicatement découpées,
frétiller le lézard
goulu, ramper le serpent à l'haleine musquée, au regard
fascinateur, et ça et
là des coquilles brisées, un oeil clos, des plumes arrachées,
une aile qui
pend, montrant que cette vie aérienne, qui paraît si
libre et si heureuse, a
aussi ses périls et ses misères, et que, oiseaux ou
femmes, tous les êtres
charmans ont à redouter les replis froids, visqueux et livides.
Ces vilaines
bêtes ne savent pas voler, mais elles savent ramper, et c'est
la même chose.
Il n'en faut pas davantage pour arriver à tuer le bonheur dans
son nid, si
haut qu'il se perche.
Jamais bijou de reine n'a été exécuté
avec autant de perfection que ce
Théophile Gautier Salon 1848 28
cadre. Cellini avouerait ces feuillages, et n'aurait pas fait ces
oiseaux. C'est
le modelé le plus tendre uni à la ciselure la plus précieuse,
un chef d'oeuvre
qu'il faudrait tirer en ivoire, en argent, en or, si quelque matière
pouvait
être plus précieuse que le plâtre ainsi travaillé.
Le Nid et le Combat d'oiseaux, groupes en terre crue, intitulés
Amour et
Jalousie, sont au-dessus de tout éloge: c'est la nature surprise
à son
meilleur moment.
Finissons par la belle coupe en argent repoussé représentant
l'Harmonie
dans l'Olympe, par M. Vechte. L'auteur de ce magnifique vase tant
admiré
l'année dernière, M. Vechte, est digne de prendre place
parmi ces
merveilleux ciseleurs de la Renaissance italienne et allemande, si
pleins
d'invention, de goût et de style, qui, à toute la fougue
imaginative de
l'artiste, savaient joindre la patience d'exécution de l'ouvrier.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 26 avril 1848.
SALON DE 1848
4eme article
PEINTURE
Une des principales curiosités qui préoccupaient les
visiteurs du Musée en
montant les marches du grand escalier par lequel on arrive aux salles
dexposition, cétait de voir de quelle manière
le jury de placement,
composé dartistes, aurait, cette fois, distribué
les tableaux. Nous avouons
avec regret que lamélioration ne nous a pas paru sensible,
et même nous
avons été surpris de trouver aux places les plus lumineuses,
sous les jours
les plus favorables, des toiles de la plus grande faiblesse et indignes
dun
tel honneur, tandis que des oeuvres remarquables et signées
de noms
justement illustres étaient reléguées dans des
coins obscurs.
On nous a donné pour explication que lon avait fait exprès
de mettre en
lumière ces tableaux mauvais ou détestables pour en
faire mieux ressortir
le ridicule. Ceci est bien fin, et le spectacle de lilote ivre
nous semble en
fait dart dune érudition républicaine trop
antique. Colloquer des croûtes
aux endroits les plus visibles et les plus honorables, pour dégoûter
le
public de la mauvaise peinture, cest bien Spartiate. Toutefois
nous
aimerions mieux ce raisonnement un peu compliqué, que le sentiment,
hélas ! trop naturel, qui pousse les majorités à
faire des choix médiocres,
concessions honteuses à la nullité générale.
Ce nest pas daujourdhui que
lEnvie a pris le masque de lEgalité, mais à
travers le carton fardé lon
aperçoit les yeux louches et injectés de fiel du monstre.
Admettons plutôt
Théophile Gautier Salon 1848 29
que dans un trouble et une hâte que les circonstances rendent
très
concevables, les tableaux ont été accrochés à
peu près au hasard, et selon
la dimension des cadres.
Ce que lon appelait jadis la peinture dhistoire nexiste
pour ainsi dire
plus, du moins à la manière dont lentendaient
David, Guérin, Girodet,
Gros, Meynier et les célébrités de lEmpire
et de la Restauration: un sujet
noble et grave traité dune façon épique
dans un style dapparat et, sous de
grandes dimensions. Les peintres qui sadonnaient à cet
exercice
dédaignaient profondément le genre et le paysage: cest
tout au plus sils
se permettaient quelque portrait historié de souverain ou de
haut dignitaire.
Les autres artistes et le public regardaient ces maîtres avec
une humble
terreur; les peintres dhistoire inspiraient la même vénération
somnolente
que les auteurs de tragédies: les Français, ce peuple
léger, nont jamais
admiré que ce qui les ennuyait.
Maintenant on est un peu revenu de la peinture historique et lon
pense
quAndromaque a bien assez pleuré Hector, que Didon doit
avoir fini de
conter ses aventures, quOreste sest bien assez débattu
contre les furies, et
quil a eu le temps daller sasseoir sur la pierre
Cappautas pour se
débarrasser de leurs obsessions. Il fallait dailleurs
trop de place à ces
héros et à ces héroïnes pour déployer
leurs torses cotonneux, leurs
contours vides et leurs draperies étriquées. Nul aujourdhui
nest assez
bien logé pour céder vingt pieds de muraille à
la mythologie, car les
peintres dHistoire tirent tous leurs sujets de la Fable, ce
qui sans doute
leur a valu leur nom.
Les tableaux de cette dimension sont un anachronisme et un non sens,
à
moins quils ne soient faits pour une place spéciale,
et encore vaudrait-il
mieux les peindre sur la muraille même de lédifice
à décorer, soit à
fresque, soit à lhuile, soit à la cire. La peinture,
selon nous, se sépare
naturellement en deux grandes divisions : la peinture monumentale
et la
peinture de chevalet; la première chargée dorner
les édifices nationaux et
publics, les temples de la prière et les temples du plaisir
; la seconde de
peupler les galeries et de satisfaire les goûts individuels:
lune, intimement
liée à larchitecture, doit viser à la composition,
au style, à la couleur
sobre, à lexécution large et simple, et ses proportions
sagrandissent avec
celles du monument; lautre, destinée au déplacement,
na pas besoin
dexagérer ses cadres. Des dimensions moyennes ou petites
lui
conviennent mieux. A elle la fantaisie, le caprice, le fini dexécution,
la
curiosité du détail, le précieux ou le ragoût
de la touche; loriginalité peut
sy déployer librement: cest de la peinture pour
la peinture, de lart pour
lart.
Théophile Gautier Salon 1848 30
Cest par la pratique de la peinture murale que les illustres
maîtres dItalie
se sont fait ce tempérament mâle, robuste, ces façons
hautaines et fières,
ce style soutenu, cette facilité dans le grand que nos artistes,
plus
ingénieux peut-être, plus savans sur lesthétique,
et à coup sûr aussi
habiles, mais habitués à la peinture de chevalet, nont
jamais pu atteindre.
Il y a quelques années lon ne peignait presque plus sur
place en France.
Les églises se décoraient, tant bien que mal, au moyen
de tableaux faits
sans connaissance de lendroit où ils devaient être
suspendus, et qui ne
sadaptaient en aucune sorte aux compartiments de larchitecture.
Depuis
quelque temps, grace à une plus intelligente compréhension
de lart, la
nudité des édifices de Paris commence à se colorer
dun vêtement de
peintures murales.
Les chapelles de Saint-Merry, de Saint-Séverin, de Saint-Germain-des-
Prés, de Saint-Germain-lAuxerrois, des Jeunes-Aveugles,
lescalier du
palais dOrsay, la bibliothèque de la chambre des pairs
et diverses salles
de la chambre des députés ont fourni à MM. Delacroix,
Chasseriau,
Flandrin, Amaury DuvaL, Lehmann, Gigoux, Mottez, Riesener,
Roqueplan, Guichard et plusieurs autres des occasions de développer
une
face nouvelle de leur talent, des qualités qui certes fussent
restées
enfouies, sils sétaient bornés à
peindre sur toile ce qui leur serait venu au
bout de leur pinceau. Il faut que dans cinq ou six ans dici
tous les
monumens de Paris, devenu la métropole de la liberté,
aient revêtu une
robe éclatante de chefs-doeuvre; cest à
cela que doivent semployer ces
légions de jeunes talens qui séparpillent au hasard,
ces multitudes de
mains habiles qui ne savent où dépenser leur adresse
et couvrent les
longues galeries du Louvre de toiles que personne nachète,
malgré tout
leur mérite. Nous voudrions voir sorganiser, pour lexécution
rapide et
parfaite dimmenses travaux destinés à lornement
des édifices, tels que
nous les rêvons pour la vie gigantesque de la République
dans lavenir, des
camps, des armées de peintres près desquels les grandes
écoles dItalie,
avec leurs nombreux élèves, ne seraient que détroits
cénacles.
Sans doute lindividualisme en souffrirait et quelques-uns y
perdraient leur
petite originalité de détail, mais les grandes oeuvres
sont presque toutes
collectives. Personne ne sait les noms de ceux qui ont bâti
et ciselé les
cathédrales: Raphaël lui-même, malgré sa
valeur personnelle, résume toute
une civilisation, et ferme un cycle de peintres dont lentité
sest fondue
dans la sienne. Excepté les critiques qui ont fait lanatomie
de cette gloire,
peu de gens savent combien de génies sappellent de ce
nom unique. Estce
à dire que Raphaël a dépouillé ses collaborateurs
? Non. Il les a
complétés. Il leur a donné ce qui leur manquait.
Isolé, il aurait été aussi
grand, mais non aussi vaste. Le monde seul y eût perdu. La pensée
est
Théophile Gautier Salon 1848 31
rapide, la main lente, la vie bornée. Plus dun artiste
remonte au ciel sans
avoir eu le temps décrire la moitié de son secret.
Pourquoi ne pas
emprunter les doigts qui tracent des figures au hasard attendant une
idée
venue du coeur ou du cerveau ?
Jamais la connaissance des procédés, le maniement de
la brosse et des
couleurs, les façons dempâter et de glacer, tout
le côté matériel de lart,
nont été plus loin; Venise a été
forcée de livrer ses secrets un à un à des
questionneurs pressans. La nuit de Rembrandt a été pénétrée,
et lon en
sait autant quAnvers sur Rubens. Florence et Rome ont été
obligées aussi
de faire leurs confessions dans loreille du père Ingres,
et malgré lair
rébarbatif de ses saints, les plaies sanguinolentes de ses
Christs et les frocs
livides de ses moines cadavéreux, il a bien fallu que lEspagne
catholique
livrât sa sombre et riche palette. Murillo a laissé analyser
les lèvres
pourpres de ses vierges, et Zurbaran les blessures bleuâtres
de ses martyrs.
On sait tout faire, seulement on ne sait que faire. Ces mains si expertes,
ces pinceaux si savans nont rien à peindre; et lon
voit ces pauvres artistes
en peine errer le long des galeries et se répandre en toutes
sortes de
fantaisies plus voulues quinspirées: le thème
à broder de ces mille
variations qui sont tout lart manque évidemment. La République
le
donnera sans doute; nos pères avaient le symbolisme chrétien
auquel les
artistes de la Renaissance mêlèrent heureusement le paganisme
remis en
lumière après un éclipse de plusieurs siècles
; nous autres nous avons la
nature inventée il y a tantôt quatre-vingts ans par Jean-Jacques
Rousseau,
citoyen de Genève; certes la matière est vaste et lon
peut en tirer bien des
sujets; mais la nature est un fait et non une foi, aussi le
nombre des
paysagistes remarquables sest-il accru considérablement,
tandis que le
nombre de peintres idéalistes diminue de jour en jour, et ce
nest ni faute
de talent ni faute de génie car jamais lécole
française na été plus brillante
et plus habile quaujourdhui. Paris est la capitale des
arts, et cest bien à
tort quon envoie les grands prix à Rome.
Un directeur des beaux-arts qui aurait le pouvoir de linitiative
et largent
convenable car le budget attribué à cette importante
branche des
dépenses publiques est dune exiguïté ridicule,
pourrait, en utilisant
toutes ces forces perdues, faire exécuter des travaux qui montreraient
que
lesprit humain na pas dit son dernier mot dans les splendeurs
de
Babylone, dAthènes ou de Rome. Par exemple, un
édifice serait donné
tout entier à peindre à un seul maître, Ingres
ou Delacroix , nous
prenons ces deux noms comme deux clairs symboles du style et de la
couleur, les deux grandes divisions de lart; ce serait
une église ou un
palais. Le plan général de la décoration conçu,
les cartons dessinés et les
esquisses peintes par le maître, les élèves et
les artistes, que ladmiration
Théophile Gautier Salon 1848 32
ou la similarité rendent ses imitateurs volontaires ou involontaires,
se
mettraient à loeuvre et les pans de muraille se couvriraient
avec une
rapidité merveilleuse de compositions pleines dutilité
où linventeur et le
coryphée du travail naurait que quelques touches à
mettre pour les rendre
véritablement siennes, et les velouter de cette fleur légère
qui ne se pose
quau moment suprême et à laquelle on reconnaît
lartiste. Cette idée,
neuve il y a huit jours, va, tant les choses marchent vite à
présent, passer
de létat de rêve à celui de réalité:
le Panthéon tout entier vient dêtre livré
à Chenavard pour être couvert de peintures murales exécutées
dans les
conditions que nous venons de décrire. Quoiquil soit
inconnu de la foule,
Chenavard est un des plus grands artistes de ce temps-ci, et le seul
qui
puisse porter, sans être écrasé, la gigantesque
coupole quon vient de lui
mettre sur le dos. Esprit vaste, tête encyclopédique
pour ainsi dire, élevé
sur les genoux de Michel-Ange, Chenavard a trouvé, comme le
robuste
Florentin, que la peinture à lhuile était bonne
pour les femmelettes, et il
na pas fait trois tableaux dans sa vie. Il sest
occupé exclusivement à
une chose bien négligée dans la peinture moderne: la
composition. A
ceux qui nont pas vu ses dessins dun aspect si magistral,
où se meuvent
et senlacent sans confusion des mondes de figures, nous ne pouvons
guère donner une idée approximative du talent de ce
grand artiste ignoré
aujourdhui, et qui sera célèbre demain, quen
les priant de feuilleter chez
Hauser les cahiers de gravure de Cornélius, de Schnorr et de
Kaulbach.
Ce quon a fait pour le Panthéon, où dans des compositions
colossales se
résumeront toutes les mythologies du monde, et défileront
sur des frises
cinquante fois plus longues que celles du Parthénon, les panathénées
du
genre humain, il faudra le faire successivement ou à la fois
pour tous les
grands édifices de la ville géante, cerveau de lunivers,
pour Notre-Dame,
pour les Invalides, pour les Tuileries, pour la chambre des députés
à qui il
faudra bâtir le long du fleuve un palais babylonien plus vaste
que le
nouveau parlement de Londres, pour le palais de lexposition
de
lindustrie, qui ne se contentera plus désormais dune
barraque de
planches, pour les salles démesurées que va nécessiter
la vie élective et
publique, pour les théâtres de lavenir dans lesquels
devront tenir à laise
vingt mille spectateurs, pour les débarcadères des voies
ferrées, lieux
imposans et sacrés, doù partent les veines artérielles
qui portent la pensée
et la richesse au monde, enfin pour toute cette architecture imprévue
que
va faire jaillir du sol cette nouvelle religion qui se nomme la liberté
et qui
durera plus de trois mille ans, nous lespérons: Comme
après
létablissement du christianisme, lépoque
où la terre se couvrit dun blanc
vêtement déglises, suivant lexpression du
chroniqueur, le monde
affranchi va revêtir une tunique dédifices splendides,
temples de la foi
Théophile Gautier Salon 1848 33
nouvelle, et les peintres ne consumeront plus leurs talens dans de
chétives
toiles et dinsignifiantes fantaisies.
On pourrait déjà discerner dans larmée
indisciplinée des artistes les
généraux de division, les colonels de régiment,
les simples chefs
descouade; tous se groupent naturellement par létude,
lattrait,
ladmiration ou la conformité de nature; il ny a
pas à lheure quil est plus
de dix chefs de file parmi tout ce monde dessinant, sculptant et peignant;
nous les nommerions, si nous ne craignions de froisser inutilement
des
amours-propres quon a toujours dit être fort irritables.
Chacun dans la
marche confuse de cette armée suit son chef de près
ou de loin,
quelquefois sur la même ligne sans trop sen rendre compte.
Souvent lon
sécarte du gros de la troupe; mais un regard furtif,
jeté sur la bannière qui
flotte au-dessus de la foule, rallie bien vite le déserteur
involontaire: ainsi
chaque drapeau savance non pas entouré, mais suivi dun
bataillon fidèle;
alors que celui qui le porte sarrête épuisé
ou blessé à mort, la cohorte
éperdue et découragée ségare jusquà
ce quun nouveau guidon lui
marque la route.
Ce qui se fait obscurément et pour ainsi dire sans conscience,
il sagit,
pour obtenir de grandes oeuvres collectives, de le faire avec méthode
et en
toute connaissance de cause, de régulariser et de systématiser
des élémens
dorganisation qui existent à létat confus;
dachever une ébauche de la
nature qui, par lattrait, a déjà distribué
les séries et enrégimenté à leur
insu les diverses catégories dartistes.
Il ne faudrait pas borner au arts plastiques cette méthode
dorganiser le
travail : Lamartine et Hugo devraient faire le plan dimmenses
poèmes
nationaux et cycliques, des Mahabaratta de cent mille vers, où
les poètes
quils en jugeraient dignes iraient rimer les morceaux quon
leur
désignerait à raison de dix francs par jour, et concourraient,
ouvriers pieux
et soumis, à élever dune assise de plus limpérissable
et glorieux
monument vers lazur ou les brouillards du ciel.
Nous serions, pour notre part, très flatté de sculpter
sous les yeux du
maître un bas-relief ou une volute ornementale, dans une des
chapelles les
moins en vue de cette cathédrale littéraire.
Beaucoup de noms célèbres manquent à lappel.
Ingres continue la longue
bouderie du saint Symphorien. Nous le déclarons ici coupable
du crime de
haute trahison envers lart. Le beau appartient à tous,
et nul na le droit de
laccaparer pour soi. On devrait forcer le peintre du Plafond
dHomère et
du Voeu de Louis XIII à se présenter tous les ans au
Salon. Il doit à son
pays la vue de ses tableaux.
Théophile Gautier Salon 1848 34
Delaroche nexpose plus; Decamps, Ary Scheffer, Gleyre, Jules
Dupré,
nont rien envoyé; Couture na pas fini son Enrôlement
des Volontaires.
Isabey a été gagné par le temps. Robert-Fleury
se réserve sans doute pour
lannée prochaine. Rousseau, Barye et Préault,
ces trois martyrs du jury,
nont pu profiter du bénéfice de la révolution.
Le terme de rigueur pour
ladmission des envois était passé lorsque les
événemens de février
éclatèrent. Quant à Delacroix, malgré
les travaux quil vient dachever
dans la bibliothèque de lancienne chambre des députés
et qui auraient,
certes, excusé son absence, il arrive avec cinq tableaux dimportance
et de
grandeurs diverses. On doit à M. Eugène Delacroix cette
justice que
personne na été plus fidèle que lui à
la cause de lart. Travailleur
infatigable, esprit ardent et progressif, il apporte à chaque
Salon son tribut,
et se soumet, avec le plus complet abandon, à lappréciation
publique. Il
ne fait pas le mystérieux et ninvite pas ses dévots
à venir ladmirer dans
des chapelles particulières. Discuté violemment, exalté
par les uns, dénigré
par les autres, il ne sest jamais piqué damour-propre,
et loué ou blâmé, il
continue son oeuvre avec courage.
Confiant dans lintelligence générale, il livre
lesquisse échevelée comme
le tableau fini, sachant que longle du lion raye quelquefois
puissamment
ces toiles, ébauchées à peine, où il ny
a rien quune idée et du génie,
peu de chose pour ceux qui aiment à se mirer aux casseroles
de la cuisine
de Drolling. Sans outrecuidance et sans fausse modestie, quels
que
soient les travaux qui loccupent ailleurs, il vient chaque année
communier
avec la foule; aussi, quoiquentré bien jeune dans la
carrière, et portant
haut, depuis longtemps déjà, sa bannière dans
la bataille, il ne faiblit pas et
au lieu de vieillir il rajeunit. A mesure quil avance il se
dépouille de ce
que léducation infiltre dacadémique et de
convenu aux meilleures
natures; il progresse vers le vrai, le grand et le simple.
Les cinq tableaux dEugène Delacroix, le plus important,
sinon le
meilleur, est le Christ au Tombeau. Cest là un de ces
vieux sujets
éternellement jeunes, comme lamour et la douleur, que
lon peut traiter
cent mille fois sans les épuiser jamais. Même pour ceux
qui ne voient pas
un dieu dans le Christ, pour lidolâtre, le musulman, le
bouddiste, nest-ce
pas le plus attendrissant spectacle que cette gamme de la douleur
humaine
faisant vibrer ses notes autour du cher cadavre, que ce concert plaintif
du
désespoir de la mère, du deuil de lamante, des
regrets de lami et du
morne abattement des disciples ?
Le corps divin, déjà revêtu comme dun suaire,
de la blancheur bleuâtre de
la mort, repose sur les genoux de la mère désolée,
aux lèvres violettes, aux
yeux rougis de larmes, plus froide que le cadavre dont elle soutient
la tête.
Les personnages sacramentels complètent la scène,
chacun dans une de
Théophile Gautier Salon 1848 35
ces attitudes dramatiques sans effort que M. Delacroix sait varier
à linfini.
Une figure agenouillée sur le devant a la partie inférieure
du corps
enveloppée dune draperie dun de ces rouges dune
crudité violente,
comme Rubens seul peut les risquer. Ce ton si éclatant au milieu
dune
scène de désolation, est-il, de la part dEugène
Delacroix, le coloriste si fin
et si poétique, une faute, un oubli ou un calcul ? Cette tache
écarlate,
plaquée au premier plan, donne une tristesse immense à
la localité
générale du tableau : elle rend terreux, malades, livides
et verdâtres tous
les autres tons. Grace à cette rude dissonnance, rien nest
plus lugubre que
ce ciel lourd, épais, grisâtre, où rampent des
nuages éventrés, que ce
sommet du Golgotha, sinistrement chauve, et boisé seulement
de trois
gibets, dont lun vide et entouré dune auréole
est devenu la croix, et les
autres, garnis encore de leurs fruits infâmes, quaucun
ami nest venu
décrocher, car les voleurs nont que des complices, restent
dignobles et
vulgaires instrumens de torture.
Le second tableau, qui est peut-être un des plus achevés
quait produits
Delacroix, représente la mort de Valentin, le frère
de Marguerite. Le rude
soudard blessé mortellement par Faust est entouré de
voisins qui
sempressent à lui porter secours, Marguerite, accourue
comme les autres,
est arrêtée par les malédictions dont laccable
son frère expirant. Dans le
fond du tableau, on voit Faust et Méphistophélès
qui senfuient.
La scène se passe dans une de ces rues des villes dAllemagne
étroites,
bordées de maisons à pignons aigus, entrecoupées
descaliers, sur
lesquelles savancent les balcons et les étages en saillie,
et dont la vue se
termine par une silhouette déglise gothique, avec contreforts,
arcs-boutans
et clochetons ébauchés dans la brume par un rayon de
lune. Faust et son
digne ami sont déjà loin, et sur le haut de la rampe
le meurtrier repousse
au fond du fourreau lépée rouge de sang. Le frère
à lagonie se soulève, et
jette une injure suprême à sa pauvre soeur. Cette figure
de Marguerite,
haute de quelques pouces, est vraiment sublime !
Jamais le désespoir ne sest figé dans une attitude
plus humblement
dramatique et plus navrante. Elle est là :
"
Sans vie
Digne que par pitié le ciel la pétrifie.
Non, ni lantique mère au flanc sept fois navré
Qui demeura debout, marbre auguste et sacré,
Ni la femme de Loth négalaient en statue
Théophile Gautier Salon 1848 36
Ce fixe élancement dune douleur qui tue !
Les Comédiens ou Bouffons arabes nous plaisent moins. Ce sont
deux
drôles qui jouent en plein vent hors des portes de la ville,
suivans la
coutume orientale, une espèce de parade grossière, au
grand amusement de
Maures et de Juifs qui les écoutent accroupis debout ou couchés.
La
composition un peu diffuse laisse loeil ségarer
à droite et à gauche. Dans
les fonds certains tons verts trop froids ou crus ne sassortissent
pas bien
aux idées marocaines et torrides que font naître le sujet
et le costume des
personnages.
La Mort de Lara nest quune toute petite esquisse assez
négligée, mais le
mouvement plein de passion avec lequel le page mystérieux se
précipite
sur le corps de son maître trahissant son sexe par les sanglots
qui font
éclater son corsage, la rend aussi précieuse quun
vaste tableau achevé
avec soin.
Le Lion dévorant une Chèvre nous montre, sous une de
ses nombreuses
faces le talent si varié de M . Delacroix qui, outre ses autres
mérites, a
celui de peindre les animaux avec une audace et une vérité
étranges. Pour
les chevaux, les lions et les tigres, on ne lui connaît pas
de rival. Le Lion
dans son antre, puissante étude dramatisée, représente
le roi du désert
tenant entre ses griffes un cadavre humain quil sapprête
à déguster en fin
gourmet, clignant ses jaunes prunelles dor et passant sur ses
babines
moustachues sa rude langue hérissée de papilles . Cette
fois cest le gibier
qui mange le chasseur.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 27 avril 1848.
SALON DE 1848
5eme article
PEINTURE.
Les Jeunes Grecs faisant battre des coqs, exposés lannée
dernière, avaient
attiré tout de suite lattention sur M. Gérôme.
Depuis longtemps il ny
avait eu dans la sphère de lart un début plus
plein de promesses. Loeuvre
nouvelle brillait surtout par la délicatesse et la distinction,
qualités rares
aujourdhui, que la recherche de lénergie et des
effets violens semble
préoccuper les jeunes gens avant toutes choses. Une naïveté
savante,
dingénuité instruite, si le mariage de ces adjectifs
avec ces substantifs est
permis, forme le fond du talent de M. Gérôme; il est
naturellement
maniéré.
Théophile Gautier Salon 1848 37
Hâtons-nous de protester aussitôt contre la mauvaise acception
de ce mot.
Nous entendons par là une certaine façon rare de voir
les choses, de les
saisir sous un profil inattendu, sous un angle dincidence particulier,
de
conduire un contour avec une allure spéciale, de donner aux
mains un tour
précieux, de relever les détails par le choix et la
singularité, de plonger
chaque objet dans cette solide trempe du style qui seule peut rendre
une
oeuvre durable. La forte école florentine regorge de sublimes
maniérés, en
tête desquels il faut inscrire Michel-Ange.
Le soin de ces nobles parties de lart entraîne quelquefois
ceux qui sen
inquiètent loin des réalités vulgaires que la
foule peut apprécier en
comparant le tableau à la nature: la vérité apparente
se perd dans la
recherche de la vérité abstraite , le fond fait disparaître
la surface, et lon
peut arriver à sembler faux à force dêtre
naïf, bizarre par trop de
simplicité.
Ainsi, à la vue des deux toiles de M. Gérôme,
lAnacréon et la Madone,
beaucoup de gens , tout en rendant justice au talent quelles
dénotent, se
récrient sur cet air quelles ont de vieilles peintures.
On accuse le jeune
artiste de maniérisme, de puérilités archaïques
détude ou même de
pastiche des anciens maîtres. Sans doute les deux compositions
de M.
Gérôme se détachent nettement de celles qui les
entourent et rappellent en
effet certaines oeuvres du seizième siècle; mais sensuit-il
de là quil ne les
ait pas faites dans toute la sincérité de son coeur
?
Le clavier des natures humaines, quelque étendu quil
soit, nest pas infini,
et, les mêmes caractères, légèrement modifiés,
par les milieux où ils se
trouvent, reparaissent à de certains intervalles. M. Gérôme
a un
tempérament pittoresque du même titre que les artistes
du commencement
de la Renaissance; il leur ressemble, non pas parce quil les
imite, mais
parce quil est pareil. Ce nest pas de sa faute sil
est de même nature que
Perugin ou Raphaël adolescent. Le jour où il plaquerait
ses toiles de
couleurs tapageuses, il tâcherait dobtenir de grossiers
reliefs et copierait
le modèle tel quil sétale sur la table;
ce jour là il mentirait, il deviendrait
maniéré véritablement, car il ferait une chose
qui ne serait pas dans son
individualité.
La nature est plus affectée quon ne le croit; ce quon
appelle simplicité est
un raffinement de civilisation. Par exemple, se tenir bien, signifie,
pour
une femme, avoir le corps raide, les bras tombants, la tête
droite et le corps
immobile. Et bien! cette pose, en apparence si naturelle , il a fallu
vingt
ans de contrainte, de morale et de punition pour lobtenir. Combien
de fois
la mère, la gouvernante, et le maître à danser
ont-ils répété: Mademoiselle,
tenez-vous droite, avant de fixer leur souffre-douleur dans cette
attitude
Théophile Gautier Salon 1848 38
simple. Voyez un enfant, il a des airs penchés, il se contourne;
il prend
cent poses différentes; il se manière à plaisir.
Caché derrière un tronc darbre, épiez dans
la clairière dune forêt, un
animal, chevreuil, daim, ou autre, qui se croit seul. Quels jolis
mouvemens, quelles attitudes coquettes, quelles flexions gracieuses,
comme il penche la tête avec des courbures élégantes,
comme il
sagenouille et se couche voluptueusement, et fait trembler au
soleil son
flanc moiré! Et quand il se relève, quelle démarche
tantôt onduleuse et
rythmée, tantôt légère et piaffante!
Jamais maja andalouse suivie de son
majo et de ses attentifs na, dansé lalanuda , sous
ce feu de mille
prunelles, manégé plus savamment quune biche solitaire
dans la forêt
dArdennes; et la fleur du désert na-t-elle pas
souvent un port affecté au
lieu de pousser perpendiculaire comme si elle était montée
sur fil d archal
ainsi que la simplicité lexigerait?
Anacréon entre Bacchus et lAmour est donc, malgré
son aspect archaïque
et même étrusque, le produit dune inspiration originale
et sincère: certes,
les carnations peuvent paraître un peu bises au premier coup
doeil, mais
quelle harmonie sobre et quelle recherche de tons fins dans cette
gamme
étouffée ! Le chantre de Téos tient dans ses
bras sa grande lyre divoire
dont les franges pendent jusquà terre, et il fait jaillir
des cordes une de ces
chansons ailées qui voltigent encore sur la bouche des hommes.
Il na
nullement lair joyeux dun des biberons du caveau moderne;
sa
physionomie triste, presque austère, serait plutôt celle
dun philosophe que
dun viveur. Mais, comme dit le poète: " Le plaisir
est chose grave, " les
roses ont leur mélancolie, car elles ne sépanouissent
que pour se faner et
font souvenir que la vie seffeuille encore plus vite quelles.
Le vin, pour
éloigner la pensée de la mort, a été obligé
de mêler à ses philtres loubli et
le sommeil; les grands voluptueux sont des sages plus préoccupés
que le
reste des humains de la brièveté des jours; oui, sous
ce beau ciel dIonie,
dans ces bois de lauriers, en face de ces horizons que termine la
ligne
bleue de la mer, ou que coupe langle blanc dun temple
au temps de cette
riante religion, et de ces dieux indulgens passionnés comme
des hommes
et beaux comme des femmes, lidée de la Mort sasseyait
déjà au banquet,
non pas hideuse et décharnée, mais pâle et sereine,
une couronne de
violettes sur son front de marbre, une coupe tarie dans sa main froide.
Anacréon sans doute mêle à sa strophe quelque
réflexion sur la nécessité
de saisir par son aile le temps qui sen va emportant lamour
et la jeunesse,
thème éternel et douloureusement gai de toutes les chansons
à boire.
Lair grave du poète nempêche pas la bacchanale
daller son train. Les
femmes demi-nues font ronfler les tympanons et agitent les rauques
crotales. On emplit et lon vide les coupes; les petits amours
folâtrent, se
Théophile Gautier Salon 1848 39
lutinent et sembrassent. Tout ce monde rit et samuse,
lui, pense et
chante, et il est triste.
Ces personnages se découpent moitié sur un fond de paysage,
moitié sur
un fond de ciel dun ton très fin, très rare, et
dun effet singulier, comme
on voit dans les vieux maîtres italiens. Des petits arbres,
au feuillage clair
semé, tracent délicatement leur silhouette sur la bande
lumineuse, et
montrent que M. Gérôme joint à ses qualités
de peintre dhistoire un talent
de paysagiste remarquable. Toute cette portion du tableau est dune
excellente couleur chaude, sans ardeur fausse, et rappelle les beaux
fonds
que Titien étale derrière ses Vénus et ses Adonis.
Les deux enfans, placés à la droite et à la gauche
dAnacréon sont dune
grace et dune distinction exquises; parfaitement dessinés
et modelés
dune tournure tout à fait magistrale, ces amours ne dépareraient
pas une
composition de Raphaël, et traduits par une de ces fines et intelligentes
gravures allemandes modernes, pourraient très bien se glisser
dans loeuvre
du maître.
A notre avis, ce tableau, quoique moins agréable daspect
que les jeunes
grecs faisant battre de coqs, lui est supérieur et prouve un
grand progrès
chez M. Gérôme. Lavenir du jeune peintre nous paraît
désormais assuré,
car il est bien véritablement jeune, nayant à
lheure que vingt-trois ans,
bien différent en cela dautres artistes qui jouissent
de cette qualité depuis
trente ans, et dont ladolescence un peu trop prolongée
commence à
grisonner fort; car, en ce temps-ci, les vieillards sont imberbes,
mais les
jeunes gens sont chauves.
La madone est conçue dans le goût des premiers ouvrages
de Raphaël.
Lenfant Jésus et le petit saint Jean-Baptiste sappuient
fraternellement aux
genoux de la mère divine, qui laisse tomber sur eux un regard
chargé de
bienveillance et damour. Le goût des têtes, lemmanchement
des mains,
le jet des draperies, la cassure des plis, la sobriété
du faire, le paysage aux
plans détaillés, aux arbres clairs et fluets, donnent
une idée de lart
catholique, à la manière dont lentend Overbeck.
La tête de la Vierge, en
pleine lumière, ne se modèle pas suffisamment. M. Gérôme
na pas
complètement surmonté cette difficulté de faire
distinguer les méplats dun
visage sans ombre, art dans lequel les imagiers gothiques nont
eu de
rivaux que les Chinois.
Un portrait, que son aspect bizarre et surtout le bicorne qui le coiffe
rendent légèrement inquiétant au premier abord,
laisse bientôt voir à
quiconque sy arrête de sérieuses qualités
de dessin et complète le bagage
de M. Gérôme. Dans le tableau mythologique comme dans
le cadre pieux
et le portrait, le jeune artiste A fait preuve doriginalité,
de goût, de
Théophile Gautier Salon 1848 40
délicatesse et de distinction. Le côté un peu
sauvage de sa peinture ne nous
effraye pas. Il nest pas mauvais quune oeuvre ait dans
sa beauté quelque
chose de choquant. Les gravures trop aisément compréhensibles
mènent
très vite à laimable vulgarité et il ny
a pas de mal à ce quun tableau ne
réussisse pas auprès de tout le monde comme un Biard
ou un Destouche.
Que M. Gérôme persévère dans cet étroit
chemin quil sest tracé à côté
de
la grande route, et son talent pur et fin, dégagé de
limitation des maîtres
quil admire, lui donnera bientôt une place au premier
rang.
Un nom nouveau, ou du moins que nous navons pas encore rencontré,
se
lit dans langle dun grand tableau représentant
Cléopâtre sur le Cydnus,
celui de M. Picou. La composition dun pareil sujet présentait
de
nombreuses difficultés.- La scène se passe sur le pont
dune galère, et il
nest guère possible de placer le navire autrement quen
travers; les
personnages se coudoient; avec quelque art quon les varie, les
masses
suivent une ligne directe et ne peuvent guère faire converger
loeil vers le
groupe principal, et cependant cest un sujet à tenter
un peintre que cette
folle reine se promenant sur le fleuve, dans cette trirème
peinte et dorée,
aux voiles de pourpre attachées par des cordages de soie, belle
et nue
comme une Vénus qui aurait repoussé du pied sa conque
de nacre pour
sembarquer, et souriant à son amant, le robuste Héraclide,
au milieu dun
essaim desclaves grecques, de femmes égyptiennes, de
bouffons, de
joueurs de flûte, de nains, de poètes, de beaux enfans
asiatiques couronnés
et guirlandés de fleurs, desclaves bigarrés du
pays de Chuz, ou de la race
Nahasi, suspendant leurs bras nerveux aux rames argentées.
Certes, ce
scintillement dor et de pierreries, ces cassolettes fumantes,
ces étoffes
splendides, ces types si beaux et si variés, tout cet appareil
de luxe antique
avaient de quoi séduire.
Malheureusement ce sont là des richesses stériles; comment
avec de la
toile et des couleurs réaliser de semblables merveilles ? A
ces noms
magiques de Cléopâtre, dAntoine, de Cydnus, les
imaginations les plus
paresseuses séveillent, les philistins les plus économes
et les plus
méthodiques conçoivent des magnificences formidables;
cest tout au plus
si la poésie, qui par son vague même laisse plus de latitude
à lesprit et fait
apparaître les fantômes des choses avec ses formules dévocation,
peut
approcher de ces existences gigantesques du monde antique et en
reproduire quelques épisodes.
M. Picou, et cest faire un grand éloge de son tableau,
na pas été battu
complètement dans sa lutte contre un sujet impossible par sa
beauté même;
sa toile, dune érudition curieuse sans pédanterie,
présente une foule de
détails intéressans, de figures charmantes et de types
reproduits avec
Théophile Gautier Salon 1848 41
fidélité ou contrastés habilement. LEgypte
africaine et grecque se
trouvent là en présence avec ses rondes faces de sphynx
et ses profils de
camée, avec ses teints de bronze fauve ou de marbre rosé.
Comme les têtes
sont jolies, nous ne leur ferons pas le reproche de se tourner plus
volontiers vers le spectateur que vers le groupe central ou pivotal,
pour
nous servir dune expression phalanstèrienne, cest-à-dire
vers Antoine et
Cléopâtre, assis lun près de lautre
à la poupe de la galère. Peut-être aussi
est-ce par discrétion, car la belle reine dEgypte qui
a voulu ce jour-là se
mettre en grande toilette, ne porte pour tout vêtement quune
paire de
boucles doreilles, sans doute ces fameuses unions de perles
qui valaient
des millions de sesterces, et dont une fut fondue dans du vinaigre
à un
souper.
Il sen faut de très peu que ce tableau, le début
de M. Picou, si nous ne
nous trompons pas, ne soit une tout à fait belle chose. Tel
quil est, il
donne les meilleures espérances pour lavenir du jeune
artiste, et se classe
parmi les sept ou huit toiles les plus importantes du Salon. Nous
croyons
que lannée prochaine, M. Picou, en traitant un sujet
moins ambitieux,
obtiendra un succès complet. Cléopâtre sur le
Cydnus, pour en venir à
bout, ce ne serait pas trop de Paul Véronèse, de Titien
ou de Giorgione
tordus ensembles !
Le Sabbat des Juifs à Constantine, de M. Théodore Chasseriau,
avait été
éliminé au dernier Salon par ce stupide et cruel jury
qui semblait sêtre
donné pour mission détouffer tout ce quil
y avait de jeune, de hardi et de
fort parmi les peintres de la génération actuelle. Ces
eunuques avaient une
profonde horreur de la virilité; la vie faisait peur à
ces momies
enveloppées de bandelettes de lInstitut, comme triviale,
tumultueuse,
désordonnée, bruyante, incommode et de mauvais goût:
les chevaux
hongres, à la bonne heure, voilà des animaux sages,
pacifiques, qui vont
tout tranquillement leur petite allure régulière; comme
ils sont préférables
à ces étalons toujours furieux, toujours écumans,
qui secouent leur crinière
échevelée, soufflent le feu par leurs narines, battent
lair de leurs pieds de
devant, éclatent comme des clairons en hennissemens insensés,
savancent
par bonds prodigieux au risque de désarçonner leur cavalier
et de marcher
sur la tête des paysans ! Et les morts, quels gens faciles à
vivre ! très doux,
peu bruyans, ne réclamant jamais, dune décence
admirable, ne faisant pas
de scandale, dun commerce sûr et dune discrétion
à toute épreuve, enfin
les êtres, ou plutôt les non-êtres les plus charmans
du monde ! quel oreiller
moëlleux pour y dormir que le néant ! Heureusement
ce bel état de
quiétude est passé. Ceux quon avait enterrés
vivans pour les rendre
tranquilles ont brisé leur bière et soulevé le
couvercle de leurs tombeaux.
Ils ressuscitent le troisième jour comme le Christ, et les
voici qui
Théophile Gautier Salon 1848 42
sélancent vers la lumière leurs oeuvres à
la main.
Cest la première fois que lOrient se montre à
nous avec les proportions
historiques. Decamps et Marilhat nont pas dépassé
les proportions du
tableau de chevalet; et dans leurs compositions mêlées
darchitecture et de
paysages, les figures malgré limportance quelles
acquièrent par lesprit
avec lequel elles sont touchées, nont ordinairement quune
valeur
épisodique: elles sont faites pour les fonds, et les fonds
ne sont pas faits
pour elles; le véritable sujet du tableau, cest quelque
rue étroite du Caire,
de Damas ou dAlep, un minaret qui sélance comme
un mat divoire, une
coupole arrondie comme un sein plein de lait, un palais élevant
ses assises
roses et blanches, un vol de colombe neigeant sur un palmier, un marais
couvert de plantes étranges que courbe en fuyant le flamant
aux ailes
pourprées; le bizarre profil dune caravane de dromadaires
se dessinant sur
la rougeur du soir à la crête dune colline décharnée,
le peuple dArabes,
de Turcs, de Maugrabins qui se meut à travers tout cela, nous
a fait de
curieuses communications sur la vie orientale; mais jusqu'à
présent, ces
beaux types si purs et si nobles, nont pas étés
étudiés sous leur côté
épique, mais plutôt dans leur sens bizarre, caractéristique
et pittoresque.
Dans son tableau du Sabbat des Juifs de Constantine, Théodore
Chasseriau
nous a montré ces belles races inconnues de lOrient qui
vont bientôt,
hélas ! disparaître sous lenvahissement de notre
fausse civilisation et faire
place à nos types rabougris et dégradés: - Tout
ce beau rêve coloré des
feux du soleil dAfrique est encore vrai; demain ce ne sera plus
quun
rêve; la ville dAchmet-Bey sera remplie daffreux
boutiquiers,
dabominables bourgeois et de femmes mises à la dernière
mode. Dans
cette rue fantastique aux maisons qui surplombent portées par
des escaliers
renversés, aux toits peuplés de cigognes, aux fenêtres
grillées de treillage
de cèdre et que traversent au galop les cavaliers du désert,
vont bientôt
passer des patrouilles de gardes nationaux absolument pareils à
ceux de la
rue Saint-Denis.
Aussi, en face de ces belles femmes assises dans leurs splendides
vêtements mi partis comme des reines du moyen-âge et laissant
nager
leurs prunelles noires dans la limpidité sereine de leurs yeux,
aux
paupières peintes, nous sommes-nous senti saisi dune
tristesse profonde.
Oui, ces purs profils, ces chastes ovales noblement allongés,
ces bouches
aux coins arqués, ces grands yeux de gazelle, ces bras puissans
et fins, ces
tailles de déesse, ces seins de marbre, ces beaux pieds antiques,
ces beaux
corps et ces nobles figures ont quelque chose de fixe, de mystérieux,
dinquiétant, une incurable mélancolie voile leur
beauté, elles ont le
sentiment de leur mort future et de la disparition prochaine de leur
race.
Théophile Gautier Salon 1848 43
Dans ces yeux fixes et profonds, il ny a pas létincelle
de lavenir, le
passé seul les illumine de sa morne lueur.
Elles sont là nonchalamment groupées sur le banc de
pierre ou debout
dans létroite porte de leurs maisons, fins joyaux qui
séchappent de
lécrin entrouvert; le long de leurs tailles souples
glissent les lourdes
ceintures plaquées dor, rugueuses de filigranes, constellées
de pierreries,
pour ne sarrêter quau riche contour de la hanche;
de triples chaînes dor
tombant de leurs coiffures leur font une scintillante mentonnière
qui se
mêle en bruissant à leurs folles pendelocques. Des bracelets
dargent
cerclent leurs chevilles minces. Des étincelles de paillon
piquent de
bluettes de toutes couleurs la bande de velours noir qui ceint leurs
blondes
tempes. Pour fêter le jour du Sabbat, elles ont étalé
tout leur luxe enfantin
et barbare. Judith de Béthulie, se parant pour aller trouver
Holopherne, ne
devait pas avoir dautres robes et dautres bijoux;
les traits non plus
nont pas changé. Le sang de la race proscrite sest
conservé pur par la
malédiction, et lantiquité biblique retrouverait
là tous ses types et tous ses
caractères.
Quelle tournure superbe et quelle tête dune beauté
orientalement sauvage
a la femme à la robe mi partie rouge et vert, qui porte sur
lépaule une
sébille pleine de feuilles de henné, et tient par la
main un jeune enfant nu;
et comme la jeune fille placée à la gauche du spectateur
intéresse par sa
physionomie régulière et douce, triste et tendre à
la fois ! Le peintre a
merveilleusement compris la mélancolie sereine des pays chauds,
cette
indolence dattitudes, et cette espèce daccablement
que produit la lutte du
corps humain contre un climat violent. Il a rendu avec une vérité
singulière, ces mouvemens dantilopes et de gazelles,
ces poses de biche
au fond des bois que prennent, dans leur coquetterie naïve ou
dans leur
ignorance, ces belles créatures que la civilisation na
pas déformées.
Elles sont heureuses celles-là de pouvoir montrer à
nu leurs visages et de
nêtre pas obligées détendre sur leur
beauté, comme les musulmanes, le
linceul mat dun voile qui ne se relève que pour lépoux.
Aussi comme ces cavaliers de Tuggurt ou de Biskarra, qui passent dans
le
fond avec leurs chevaux aux crinières teintes en rose, se haussent
sur leurs
larges étriers et se retournent pour leur lancer un regard
brûlant à ces
admirables filles dIsraël, que Mohammed lui-même
admettrait dans son
paradis sil nétait pas retenu par un préjugé
de religion; aussi comme les
pauvres captives arabes se penchent par les étroites ouvertures
de leurs
cages et jettent un oeil denvie à ces heureuses rivales
qui ne sont pas
forcées dêtre belles incognito !
Dans cette page dune originalité violente, Théodore
Chasseriau, habitué à
Théophile Gautier Salon 1848 44
la sérénité pâle et à la blancheur
de marbre de lart grec, sest donné le
plaisir de faire un bouquet de tons comme un simple coloriste; il
a abordé
sans crainte les tons les plus vifs, et a fait résolument papillotter
les
colliers, les bracelets, les étoffes tramées dor,
les damas à reflet
métallique; il a rougi les mains de henné, les joues
de fard, et tracé dun
pinceau trempé dans le ghrôl larc vigoureux des
sourcils; préoccupé de
garder les tons éclatans et vierges, il sest souvent
contenté dindiquer par
le mouvement de la brosse des détails quil arrête
et modèle ordinairement
avec un soin plus scrupuleux.
A côté de portions très achevées, dautres
restent presque à létat
desquisse, et dans une toile de cette dimension ce qui pourrait,
pour un
tableau de chevalet, être indiqué suffisamment par une
touche spirituelle, a
besoin dêtre plus arrêté et plus nettement
écrit. Théodore Chasseriau a
une fougue de brosse, une prodigieuse facilité dexécution
contre laquelle
il doit se tenir en garde. Le style, la pureté, la noblesse,
toutes les qualités
quil doit à ses études sévères,
pourraient être compromises par
limpatience de cette mains qui se cabre et veut courir sur la
toile aussi
vite que sa pensée.
Outre son Sabbat, Chasseriau a exposé le portrait de Mlle C***.
La jeune fille vêtue dune robe de soie blanche glacée
de quelques reflets
changeans, son mantelet replié sur son bras, se tient debout,
appuyée sur
une causeuse bouton dor de satin capitonnée; une de ses
mains balance un
gros bouquet de violettes de Parme; lautre pend avec nonchalance
le long
de la hanche. Elle est coiffée dune couronne de narcisses
dont les pétales
de nacre étoilent sa brune chevelure; ses grands yeux bleus
nageant dans la
clarté dardent sous leurs cils noirs un regard brillant et
vivace; entre la
pourpre de sa bouche aux dents de perle un sourire éclate comme
un éclair
blanc, et sur les joues, que colore un carmin trop avare, la lumière
effleure
le velouté de la jeunesse.
Ce portrait, admirablement peint, très ressemblant, dune
élégance et dune
distinction parfaite, na dautres défauts quune
certaine pâleur daspect
causée par labus des demi-teintes verdâtres, très
fines de ton, et qui
auraient besoin dêtre rehaussées par un glacis
pourpré ou blond: la fidélité
du portrait y gagnerait, car la vie court en rameaux plus visibles
sous la
peau satinée de loriginal, que léclat de
la santé et la pureté du sang
semblent envelopper dun nuage rose.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 28 avril 1848.
SALON DE 1848
Théophile Gautier Salon 1848 45
6eme article
PEINTURE.
M. Ziégler n'a exposé qu'un tableau d'une seule figure
de moyenne
dimension, et cependant cette toile étroite, par la façon
sérieuse et austère
dont elle est traitée, prend de l'importance et s'élève
aux proportions
historiques.
Il est vrai que ce cadre restreint nous montre un des plus grands
personnages qui ait jamais fait son bruit sur la terre, c'est-à-dire
Charles-
Quint dans sa cellule au monastère Saint-Just.
Rassasié de gloire et de puissance, las des hommes et des choses,
le César
a dépouillé volontairement la pourpre impériale,
déposé le sceptre d'or et
le symbolique globe de cristal. Il a trouvé que les deux têtes
de cette aigle
noire, qui semblaient devoir dévorer la terre, ne faisaient
que lui ronger le
coeur. Arrivé aussi haut que le pied humain puisse gravir,
il a senti que la
statue ne grandit pas, quelque élevé que soit le piédestal,
et l'incurable
mélancolie qui suit le blasement du pouvoir s'est emparée
de son âme. Il a
pressé le monde sur ses lèvres arides, et l'a rejeté
comme une orange
spongieuse.
Convaincu de la vanité des choses d'ici-bas, après avoir
été tout il veut
n'être rien. L'univers ne suffisait pas pour le contenir,
il se cloître dans
une cellule de quelques pieds; il quitte le manteau étoilé
pour le froc de
bure; d'empereur il se fait moine, et la couronne de la tonsure remplace
le
diadème des Césars! Lui qui s'occupait de régler
les affaires du monde, il
règle les horloges, qu'il ne peut faire aller ensemble,
passant ses heures
à en mesurer la fuite. Et bientôt, aussi excédé
du cloître que des palais, du
repos que de l'agitation, il vient, vivant, frapper sur son cercueil
pour
savoir quel son rendra sa mort, et il se joue à lui-même
la lugubre comédie
de ses funérailles, terrible auto-sacramental tout à
fait dans le goût
espagnol. Couché dans sa bière, il entendra psalmodier
autour de lui les
prières des morts et verra luire vaguement les cierges à
travers le drap
funèbre.
C'est un moment avant cette parade sépulcrale que M. Ziégler
nous
introduit dans la cellule du moine de Saint-Just; il est là
debout, revêtu du
froc des Hyéronymites, une main appuyée sur le dos d'une
chaise grossière
et l'autre tenant une miniature qui le représente dans tout
l'éclat et avec les
attributs de sa gloire ancienne. A travers l'obscurité du fond
voilé d'ombres
chaudes, on entrevoit la sinistre boîte oblongue dans laquelle
il doit bientôt
étendre sa fatigue de la vie.
La tête pensive s'encadre austèrement dans le capuchon
grisâtre, et,
Théophile Gautier Salon 1848 46
courbée par la méditation, étale, en l'écrasant
sur la poitrine, cette
proverbiale barbe rousse inséparable de l'idée de Charles-Quint.
Il rêve,
cherchant à relier son présent à son passé,
se demandant si ce portrait paré
des oripeaux du pouvoir et des insignes de l'empire, a bien pu être
le sien,
tant il s'est séparé de sa propre vie, tant ce
rêve de splendeur est déjà
emporté loin! Peut-être aussi un regret traverse-t-il
sa pensée, et son vieux
sang impérial court-il un peu plus vite dans ses veines de
moine à l'aspect
de ce César hautain et triomphant, ruisselant d'or, de pierreries
et de
pourpre, qui lui ressemble si peu et qui fut lui cependant!
Ce tableau, sobre de couleurs, tranquille d'effet, ferme d'exécution,
rappelle les qualités robustes et sérieuses de l'école
espagnole. Le réalisme
s'y marie au style dans une excellente proportion. La robe du moine
impérial, pour l'arrangement, la largeur et la chute naturelle
des plis, vaut
ces beaux frocs blancs aux ombres bleuâtres, livides suaires
d'ascétisme
dans lesquels Zurbaran ensevelit ses chartreux et ses martyrs. La
chaise
foncée de paille que moire la lumière est un de ces
trompe-l'oeil où excelle
la sincérité familière des maîtres de la
Péninsule. On s'y asseoirait pour s'y
reposer, on s'y agenouillerait pour prier.
M. Ziégler semble avoir surpris le secret de ces maîtres
à la fois si
mystiques et si positifs, revêtant l'idéal le plus abstrait
des formes les plus
palpitantes de la réalité, et mettant au service du
catholicisme le plus
spiritualisé la plus puissante exécution matérielle:
son talent se rapproche
de celui de Zurbaran que nous venons de citer et d'un autre peintre
aussi de
l'école andalouse, mais beaucoup moins connu en France, nous
voulons
parler de Juan Valdès Léal, dont les chefs d'oeuvre
sont à l'hôpital de la
Charité à Séville.
Personne n'a poussé plus loin que ce grand peintre l'originalité
romantique
et la saisissante reproduction des objets. Ses tableaux de la mort
apportant
une bière au milieu de tous les attributs de la puissance,
de la richesse et
du plaisir, et des cadavres en décomposition dans une cave
sépulcrale,
sont, malgré la franche horreur du sujet, des merveilles de
dessin, de
couleur et de style. Jamais touche plus ferme et plus nette n'a tracé
de si
terribles images. M. Ziégler, dans l'armure d'or de son saint
Georges,
l'épée de sa Judith, la chaise de son Charles-Quint,
donne une idée de la
manière dont le peintre sévillan traite les accessoires.
Chez Juan Valdès
Léal, cette extrême vérité de détail
forme, avec le fantastique des sujets et
le marasme des figures moribondes ou livides, un contraste étrange
et
sinistre qu'on ne peut oublier.
Le Charles-Quint à Saint-Just, pourrait parfaitement tenir
sa place entre un
Zurbaran et un Valdès, dans un de ces longs corridors de l'Escorrial
(sic),
Théophile Gautier Salon 1848 47
tout usés par l'ennui de Philippe II.
Le tribut de M. Lehmann est des plus varié. Il se compose d'un
tableau de
sainteté, d'une scène mythologique, de trois portraits,
deux de femme et un
d'homme, et une tête de fantaisie.
Commençons par Au pied de la croix. Cette pieta diffère
des autres, en ce
que le Christ n'y figure pas, bien que sa pensée remplisse
la scène. Le
divin cadavre vient d'être enlevé par les ensevelisseurs,
mais le groupe
douloureux est encore réuni autour de l'arbre qu'a rayé
de son sang le Juste
supplicié. Un bout de draperie agitée par le
vent s'enlace aux bas
[*bras] et au tronc de la croix à laquelle s'adossent isolés,
chacun dans son
désespoir, Madeleine l'amoureuse et Jean le disciple bien-aimé.
Madeleine, dont le profil se découpe sur une nappe de cheveux
que
soulève la tempête, suit du regard le corps qu'on emporte,
pour saturer ses
yeux jusqu'au bout de l'aspect de l'être cher, et en conserver
dans l'âme une
empreinte aussi fidèle que celle du linge de Véronique.
Saint Jean, abîmé
dans un chagrin plus abstrait, étanche ses yeux noyés
avec un pan de son
manteau.
Au pied de la croix, la mère des douleurs, la tête ployée,
les bras morts, est
tombée évanouie dans le giron de Saint Joseph et les
saintes femmes.
Devant elle gisent éparpillés les instruments de la
Passion: la couronne
d'épines, les tenailles, le marteau, le fer de lance, le roseau
dérisoire et
l'éponge imprégnée de fiel. Ah! pauvre mère,
ce n'est pas seulement dans
le front de ton fils que cette couronne a enfoncé ses pointes
sanglantes: ces
clous ont percé quatre mains, cette éponge a aussi exprimé
son absinthe
sur tes lèvres; ce fer de lance en ouvrant le flanc du Christ,
a pénétré
jusqu'à ton coeur! Les sept glaives de l'angoisse sont entrés
dans ton âme
de la pointe à la garde; toi aussi tu as été
crucifiée!
Cette composition, bien pensée et arrangée dans le goût
un peu théâtral
qu'affectionne M. Lehmann, fait la pyramide d'une manière heureuse,
quoique avec plus de coquetterie peut-être que n'en comporte
le style
religieux. Le coloris a de la vigueur et plus d'intensité que
n'en offrent
ordinairement les tableaux de M. Lehmann. L'artiste est en
progrès de
ce côté.
On n'a pas oublié les Océanides, montant du fond des
eaux pour consoler
Prométhée, agréable peinture à laquelle
l'on pouvait reprocher l'abus des
tons d'ivoire, jolies femmes qui avaient des airs un peu trop juifs
pour les
filles de la mer. Les Syrènes, groupées dans une toile
demi-circulaire, en
forment le pendant le plus exact.
Les perfides chanteuses, les délicieux monstres étagés
sur un écueil que le
Théophile Gautier Salon 1848 48
flot brode de son feston d'argent ne paraissent pas compter beaucoup
sur la
douceur de leur organe pour attirer Ulysse. Sans doute leur séjour
dans
l'eau salée les a enrouées un peu, et à la tentation
de l'ouïe elles veulent
joindre la tentation de la vue, car elles font sur le rocher, glissant
et tapissé
d'algues, une consommation de poses plastiques assez provoquantes
(sic)!
Elles n'usent de la vague que juste ce qu'il faut pour cacher leurs
jambes
squammeuses (sic) et empêcher le sage roi d'Ithaque de reconnaître
d'avance la vérité de ce vers d'Horace, écrit
quelques siècles plus tard sur
la femme...
Qui belle par le haut se termine en poisson!
Le balancement par trop symétrique de la composition donne
au groupe un
air de pièce d'argenterie à poser au milieu d'un surtout,
car poussé à ce
point, l'enlacement des figures prend quelque chose d'ornemental qui
ressort plutôt de l'orfèvrerie que de la peinture. Nous
insistons sur ce point
parce que M. Henri Lehmann, à force de soin et de recherche,
arrive à des
résultats trop réguliers. Sans doute il faut que l'art
préside à l'arrangement
des personnages et des groupes. Il y a certaines dispositions que
recommande la logique des yeux.
Il faut généralement à un tableau un centre autour
duquel gravitent les
accessoires, un point qui fasse converger à lui les lignes
principales; une
figure plus élevée que les autres termine heureusement
un triangle de
personnages: la composition a sa mathématique et sa statique,
cependant
tout cela ne doit pas paraître et "souvent" dans la
peinture comme dans la
poésie lyrique, "un beau désordre est un effet
de l'art".
La tête de femme désignée au livret sous le nom
de Léonie, et qui n'est
probablement que la copie idéalisée d'un modèle
d'atelier, a une certaine
arrogance de tournure et d'ajustement qui fait penser aux portraits
du
Bronzino. C'est bien la courtisane avec
Son front stupide et fier,
Et ses cheveux plaqués qui sont d'un noir d'enfer!
La superbe créature penche un peu sa tête en arrière
comme pour vous
regarder du haut de sa beauté; son oeil cligne insolemment,
et une smorfia
dédaigneuse abaisse le coin arqué de ses lèvres.
Son bras blanc noyé dans
l'hermine et le velours, s'appuie sans doute au rebord de quelque
loge ou
de quelque balcon bien en vue; car elle pose; et, toute fière
qu'elle soit, on
peut lui dire sans risque qu'elle est belle.
Un médaillon ovale contenant le profil délicat d'une
jeune femme, Mme A.
H., forme le plus parfait contraste avec la Léonie. Les cheveux
ondés et
Théophile Gautier Salon 1848 49
lustrés qu'un simple noeud réunit sur la nuque tranchent
par leur moire
brune, sur une tempe veinée d'azur et une joue lisse légèrement
frappée
d'une rose qui, bientôt, s'évanouit dans la blancheur
lactée du col, avec une
négligence heureuse, une élégance honnête,
qui rendent parée comme pour
un bal cette jeune tête sans fleurs et sans diamans. L'oeil,
limpide et
chastement rêveur, a comme une étincelle d'innocente
malice; la bouche,
d'une coupe si pure et si grecque, tendre et moqueuse à la
fois, hésite entre
un bon sourire et un mot spirituel: une douce plaisanterie se cache
dans un
de ses coins vermeils.
Cette tête très simple, sans prétention a l'effet,
est un des meilleurs
morceaux de M. Henri Lehmann. Nous aimons moins son autre portrait
de femme, malgré la somptuosité de l'ajustement et la
manière dont les
étoffes sont traitées. Le portrait du jeune homme est
de beaucoup
supérieur, bien qu'il rappelle un peu par la pose l'Hamlet
du Salon
précédent.
M. Mottez, l'auteur des fresques extérieures de Saint-Germain-l'Auxerrois,
les seules vraies peintures à fresque modernes qui existent
en France, a fait
trêve à ses travaux archaïques et religieux pour
faire une excursion dans le
domaine de la mythologie. Et cette excursion a été heureuse,
car Ulysse est
à coup sûr le meilleur tableau qu'ait produit M. Mottez:
Ce sujet est le
même que celui traité par M. Lehmann et que nous venons
de décrire
quelques lignes plus haut; seulement ici, comme le titre l'indique,
Ulysse a
plus d'importance, on le voit de plus près se débattre
au mât où il s'est fait
lier par prudence, tandis que ses compagnons, les oreilles bouchées
de
cire, et détournant la tête, se courbent sur leurs rames
pour se hâter de fuir
ces dangereux parages.
Les syrènes levant au-dessus des vagues leurs blondes épaules
et leurs
seins ruisselans de perles, des lyres de nacres dans les mains, murmurent
leurs plus douces chansons, et si Pallas-Athènè ne descendait
du ciel pour
soutenir son favori Odysseus, le fidèle époux de Pénélope
serait trèscapable
de rompre ses liens et de sauter dans la mer, sans prendre garde à
ces cadavres et à ces ossemens de victimes anciennes, que M.
Mottez fait
habilement deviner sous la transparence verdâtre des flots.
La leçon est
ainsi plus complète: en haut dans l'air bleu, et aux rayons
du soleil, les
chants, les sourires, les belles gorges virginales, les bras attirans,
la grâce
dangereuse, mais charmante encore; au milieu, sous l'eau amère,
les replis
écaillés, les queues terminées en spatules, les
formes monstrueuses et
cruelles du vice; en bas, dans la vase, les chairs putréfiées
et les crânes que
roulent le flux et le reflux parmi les algues et les débris
du navire.
FEUILLETON DE LA PRESSE
Théophile Gautier Salon 1848 50
du 29 avril 1848.
SALON DE 1848
7eme article
PEINTURE.
M. Alexandre Hesse avait fait naître, il y a une dizaine d'années,
de très
grandes espérances par ses Funérailles du Titien et
son Léonard de Vinci
rendant la liberté à des oiseaux; mais nous ne savons
sous quelle influence
ce talent, qui paraissait vivace et plein d'avenir, s'est figé
d'abord et ensuite
pétrifié. Il semble que M. Alexandre Hesse ait été
plongé dans une de ces
fontaines qui ont la propriété de couvrir d'une croûte
de cristallisations les
objets qu'on y trempe. Les qualités du peintre existent toujours
sous cette
couche durcie, mais à l'état rigide et concret: la vie
est arrêtée, la sève ne
circule plus. M. Hesse devrait faire un violent effort pour rompre
ces durs
contours et cette raide armure de tons métalliques dans lesquels
l'a
enchâssé quelque enchanteur malveillant pour entraver
sa marche.
Certes, il reste à M. Alexandre Hesse beaucoup de mérites
ankylosés
qu'une gymnastique bien entendue d'esquisses libres et de pochades
faites
avec abandon pourrait assouplir et délier. Pour le guérir
nous lui
conseillons un traitement de négligence, de travail lâché
et de
précipitation; car c'est un malade que nous voudrions bien
voir revenir à la
santé. Il a voulu trop bien faire, et c'est une grande vérité
en art comme en
toutes choses que le bien est l'ennemi du mieux.
La Prise de Baruth par Amaury II, en 1197, tableau destiné
à la salle des
Croisades au Musée de Versailles, renferme des portions très
estimables,
des costumes exacts, des armures curieuses, des morceaux bien rendus
et
bien peints; c'est l'oeuvre d'un homme qui sait et qui a de l'exécution;
malheureusement, cela se passe dans un monde d'airain et de pierre.
L'effet
général est opaque et lourd.
Ses Paysans de Rome, ses têtes d'étude d'homme et de
femme nous
plaisent davantage. La couleur en est chaude, la touche ferme et l'aspect
magistral; un peu plus de souplesse dans les lignes, un peu plus de
sang
sous quelques tons de buis, et l'on se souviendrait encore devant
ces
peintures de l'auteur des Funérailles du Titien.
Une partie, et même tout ce que nous venons d'écrire
là, s'appliquerait
aisément à M. Jean-Baptiste Guignet, portraitiste de
grand talent et de
grand style, atteint très gravement, lui aussi, de la pierre
pittoresque; et qui
a au Salon plusieurs marbres, nous voulions dire plusieurs toiles,
d'après
différens personnages, oeuvres auxquelles on ne peut reprocher
qu'une
Théophile Gautier Salon 1848 51
dureté de porphyre et une habileté infernale.
C'était aussi un peintre qui avait donné de hautes espérances,
que M.
Gallait. Son Abdication de Charles-Quint promettait un coloriste que
ne
tient pas Beaudouin, comte de Flandre, couronné empereur de
Constantinople, grande toile où rien ne s'élève
au-dessus des travaux de
commande. Le Beaudouin couvrira honorablement son pan de muraille
historique dans la salle blasonnée des Croisades, mais c'est
tout, et on était
en droit d'attendre davantage de M. Gallait.
La Bataille d'Ascalon, de M. Schnetz, destinée au même
endroit ne
rappelle que de bien loin l'auteur du Sixte Quint enfant, du Voeu
à la
Madone et de la Jeune fille malade. Ce talent si robuste autrefois,
semble
s'affaiblir avec une rapidité qui n'est pas en rapport avec
le cours des ans.
Les Funérailles de la jeune martyre dans les catacombes à
Rome, au temps
des persécutions, sujet mieux approprié à la
nature de talent du peintre,
offrent des parties vigoureuses encore et une certaine force où
tressaillent
par ressouvenir les muscles de l'athlète alangui. Le jeune
pâtre converti,
qui baise respectueusement en passant le manteau dans lequel est porté
le
corps de la jeune martyre, a cette naïveté et cette ferveur
rustique que M.
Schnetz excellait jadis à rendre. La femme qui tient la petite
fiole
contenant le sang de la victime, recueilli pieusement suivant l'usage
antique, se retourne avec effroi en apercevant les soldats romains
à l'entrée
des catacombes, est bien posée et a de l'expression.
Quant à sa baigneuse si singulièrement campée
un genou en terre, elle fait,
pour tourner vers le spectateur des charmes de couleur et de formes
bizarres, des efforts que M. Schnetz aurait bien dû lui épargner.
Certes, s'il est un sujet à l'ordre du jour, c'est le Serment
du jeu de paume,
par M. A. Couder, et l'on aurait pu croire qu'il obtiendrait un grand
succès
de circonstance, mais nous sommes déjà bien loin du
serment du jeu de
paume, et nos révolutions ont des audaces soudaines qui laissent
loin
derrière elles les hardiesses du passé.
Cette foule de gens en habits noirs à la française,
en culotte courte, en bas
de soie et en soulier à boucle proprets, luisans, vernis, moirés
de petites
lumières violâtres, et ressemblant beaucoup trop à
des baillis d'opéracomique,
la perruque frissonnante d'émotion, le bras tendu tous du même
côté, n'ont rien de bien pittoresque et de bien émouvant
en soi, il faut en
quelque sorte, pour ne pas les trouver ridicules, songer que c'est
ce
magnifique élan qui a donné l'impulsion au monde moderne,
et que nos
libertés sont sorties de cette salle mesquine remplies de gens
en costumes
rococo.
Théophile Gautier Salon 1848 52
David lui-même, à qui, certes, personne ne refusera l'intelligence
et
l'amour de la révolution, n'a pu vaincre entièrement
la difficulté d'un pareil
sujet, et sa composition du Serment du Jeu-de-Paume est restée
à l'état de
dessin.
C'est le malheur des populations civilisées de commettre des
tas de
grandes actions et de traits d'héroïsme dans des costumes
si
abominablement prosaïques et d'une laideur si bourgeoise qu'ils
rendent la
toile ridicule et le bronze grotesque; et cependant, comme chacun
sait, le
bronze est une matière sérieuse qui n'a pas la moindre
envie de rire. Nous
nous prêtons très difficilement à l'idéalisation
et à l'apothéose. Les anciens
étaient bien mieux partagés que nous; ils avaient des
profils superbes, des
vêtemens à plis magnifiques qui se sculptaient tout seuls.
C'étaient des
médailles vivantes toutes frappées par la nature qui
n'attendaient qu'une
légende par derrière. Hélas! que de pauvres diables
ont fait des actes de
dévouement et de courage sublimes avec une atroce queue ou
une catacoua
qui les privera éternellement de l'honneur d'être traduits
en marbre ou en
peinture! que de méchans petits héros grecs voleurs
ou débauchés, plus
dignes des galères que de la divinisation sont reproduits par
le ciseau ou la
brosse avec une opiniâtreté que n'ont pas lassée
trois mille ans!
Cependant l'on peut croire que si Delacroix, Couture ou Chenavard
eussent traité ce sujet, il eussent, par de grands partis d'ombre
et de
lumière, par un tumultueux arrangement des masses, par la véhémence
du
geste, la passion des mouvemens, l'étincelle du regard et la
furie de
l'exécution, donné à cette scène le rayonnement
intelligent et la beauté
morale, la seule à laquelle nous puissions prétendre,
nous autres barbares
du Nord.
La Mort du Précurseur, autrement dit la Décollation
de saint Jean-Baptiste,
de M. Glaize, a un aspect farouche et bizarre qui rappelle les anciennes
peintures des maîtres italiens: à cet élément
vieilli, M. Glaize en joint un
autre tout nouveau. L'introduction des types orientaux ou algériens
modernes dans une scène d'une antiquité presque biblique.
Le grand bourreau à cheveux roux, et vu de dos, qui occupe
le milieu de la
toile, se retrouverait presque tout entier dans le Dominiquin ou le
Corrège;
mais un plagiat pittoresque est moins grave qu'un plagiat littéraire,
et nous
pardonnerons facilement cet emprunt à M. Glaize, en faveur
d'autres
figures qui lui appartiennent bien, et surtout à cause de la
richesse de sa
palette et de la solidité de ses tons.
La jeune Hérodiade qui paraît au seuil du cachot, et
reçoit, sur un plat
d'argent, le chef du saint décapité, a bien la beauté
cruelle, la blancheur
mate et les rouges lèvres de vampire, caractéristiques
de ce type si
Théophile Gautier Salon 1848 53
fémininement irrésistible, et d'une si voluptueuse méchanceté.
Ah! belle Hérodiade, lascive et perfide danseuse, tu as été
bien modeste en
ne demandant qu'une seule tête au tyran, une seule. Celle d'un
pauvre saint
basané et barbu, il t'en aurait donné cinquante pour
un sourire de plus,
mille pour une de ces ondulations de hanches qui font pétiller
d'un feu si
vif les robes brochées d'or sous les lampes de l'orgie. Mais
tu n'en voulais
qu'une, capricieuse! pour que les peintres te représentassent
éternellement
superbe et triomphante, avec ta grace scélérate, tes
regards d'une
innocence diabolique, et ton sourire vermeil comme du sang, tenant
par
une antithèse pleine de charme et d'horreur, dans l'aiguière
d'argent
souillée d'épais caillots, la tête livide et convulsée,
aux yeux renversés par
le spasme suprême; à la bouche tordue, et dont le col
d'une sombre
pourpre laisse paraître, comme des taches blanches, les vertèbres
rompues
et les canaux des artères tranchées. Quelle était
ta raison de haine
contre ce pauvre saint Jean-Baptiste? Sans doute un de tes regards
mêlés
de flamme et de poison s'était éteint contre le mur
de sa chaste froideur.
Pour qu'une femme fasse ainsi couper la tête d'un homme, et
la colporte
sur un plat, il faut qu'elle l'ait aimé furieusement.
Avant de parler de la fin malheureuse de saint Jean, nous aurions
dû le
représenter à l'époque la plus glorieuse de sa
vie, lorsqu'il baptise dans le
Jourdain le Christ, son divin maître; mais nous avions vu le
tableau de M.
Glaize le premier, et nous parlons de celui de M. Le Hénaff
le second, bien
qu'il soit absurde de faire donner le baptême par un saint qu'on
vient de
faire décoller quelques lignes plus haut. Le rendu compte du
Salon est
plein de ces choses-là; et qui voudrait trouver des transitions
et des
déductions logiques, pour des sujets et des époques
si dissemblables,
aurait assurément fort à faire.
Le Saint-Jean-Baptiste de M. Le Hénaff est peint avec ne sobriété
tout
ingresque; le culte du gris n'a pas de plus fervent néophyte
que M. Le
Hénaff: à peine se permet-il quelques tons saumon ou
brique cuite pour
varier, et il a dû réfléchir beaucoup avant de
se décider à mettre du bleu de
ciel. Eh bien! ce tableau, si volontairement pauvre, si sec, si décharné,
a de
la tranquillité, de la noblesse et de la grandeur. Ce paysage,
blanc de
poussière et de roches crayeuses, que mouille à peine
une eau de pierre
ponce, rappelle plus qu'on ne croit la tristesse aride de l'heure
de midi dans
les pays chauds, et toute cette toile pâle a du caractère
et de la distinction.
M. Hippolyte Flandrin n'a pas de tableaux, mais seulement trois portraits
et une tête d'étude qui, par le style, la pureté
et la maestria tranquille avec
lesquels ils sont traités, s'élèvent à
la hauteur de la peinture d'histoire la
plus sérieuse: le premier est un portrait d'homme, celui du
frère de l'auteur,
Théophile Gautier Salon 1848 54
si nous ne nous trompons, peint avec cette douceur puissante, cette
simplicité forte et cette touche soigneuse qui caractérisent
le modeste
auteur des peintures murales de Saint-Germain-des-Prés et de
tant d'autres
belles oeuvres.
Le portrait de femme (cadre ovale) a ce regard doux et profond, cette
bouche discrètement épanouie, cette expression de rêverie
sereine et cette
délicatesse de traits que M. Hippolyte Flandrin reproduit de
préférence
avec ce modèle visible, ce faire enveloppé et fondu
sans mollesse dont il
semble avoir seul le secret aujourd'hui.
L'étude représente une femme posée en penserosa,
le menton sur sa main;
le type de la tête a une noblesse triste, une expression profonde
qui attache
et fait rêver. Nous aimons beaucoup cette peinture, qui arrive
à l'effet sans
moyens apparens, cette manière où l'artiste se dissimule
et pourtant scelle
son oeuvre d'un cachet que nul ne peut méconnaître. Cette
discrétion et
cette placidité dans une époque d'individualisme voulu
et d'originalité
tapageuse sont on ne peut plus louables. Nous recevons à
l'instant où
nous terminons cet alinéa une lettre d'invitation de MM. Baltard
et
Flandrin, qui nous annonce que les grands travaux de Saint-Germain-des-
Prés sont enfin achevés. Bien que nous ayons déjà
parlé autrefois dans la
Presse des portions démasquées que l'artiste avait bien
voulu nous faire
voir, nous consacrerons un nouvel article à l'appréciation
de l'ensemble. La
publicité doit aller chercher ces nobles travaux enfouis dans
l'ombre froide
des églises.
Le peintre ordinaire de l'armée d'Afrique, Horace Vernet, n'a
cette année
qu'un tout petit tableau. Il se repose de ses immenses toiles panoramiques
de la Smala et de la Bataille d'Isly, par un cadre d'un pied carré.
Nous
avions d'abord cru que le tableau représentait un chef arabe
ou kabyle
trouvant, en se promenant aux environs de Deilys ou de Bougie, un
de ses
frères d'armes blessé par ces chiens de chrétiens
et traînant les restes de sa
vie dans la poussière, au pied d'un buisson d'aloès
et de cactus. Le livret
redresse notre erreur et nous apprend qu'il s'agit du bon Samaritain.
Il y a
longtemps qu'Horace Vernet a commencé cette mascarade biblique,
où les
patriarches revêtent le burnous d'Abd-el-Kader ou de Bou-Maza.
Cette fois
le déguisement est complet: mais il n'y a pas grand mal, le
cheval est d'un
blanc argenté et fin, la lumière joue bien sur le satin
de son poitrail: les
deux personnages sont spirituellement touchés, et, après
tout, l'on n'a pas
de renseignements bien positifs sur les modes de Samarie au temps
des
paraboles.
Sur un panneau en forme d'ellipse, qu'il intitule modestement dessus
de
porte, M. Hamon a réalisé une gracieuse fantaisie: trois
jeunes filles
Théophile Gautier Salon 1848 55
assises ou plutôt accroupies dans des poses nonchalamment bizarres,
exécutent un concert qui ne réjouirait pas beaucoup
les dilettantes et les
harmonistes. L'une joue de la guimbarde, l'autre du triangle et l'autre
égratigne d'un doigt plus taquin que mélodieux une espèce
de sistre posé à
côté d'elle. Un tambour de Basque avec ses plaques de
cuivres frissonnants
gît tout auprès, attendant le caprice de la musicienne.
Idée, dessin, couleur,
exécution, tout est original dans ce joli trio charivarique,
aussi agréable à
l'oeil qu'il le serait peu à l'oreille si la peinture était
sonore.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 2 mai 1848.
SALON DE 1848
8eme article
PEINTURE
La défaite dAttila dans les plaines de Châlons
par Aetius et Théodoric, a
fourni à M. Debon le sujet dune vaste toile où
il a trouvé de quoi déployer
ses qualités de dessinateur turbulent et de fougueux coloriste.
Ce fut une
terrible lutte que celle-là. Cette journée doit sinscrire
parmi les plus
sanglantes où se soient jouées les destinées
du monde: 170.000 morts, au
dire de Jornandès, jonchèrent le champs de bataille;
Théodoric, le général
victorieux, fut tué, mais le fléau de Dieu repassa le
Rhin avec ses hordes
décimées.
La peinture tumultueuse et furibonde de M. Debon convenait
merveilleusement à cette mêlée de guerriers sauvages
qui se martèlent
avec des armes bizarrement féroces; à ces chevaux qui
se cabrent, se
mordent au poitrail ou roulent les quatre fers en lair, entraînant
dans leur
chute les cavaliers effarés. Ce nest pas là une
bataille à leau rose,
luisante, proprette et bien peignée, ornée de jolis
cadavres bien frais et de
charmantes blessures répandant des flots de gelée de
groseille ; mais un
combat consciencieux, brutal, acharné, brûlant, dont
il semble entendre la
rumeur, et qui ne cherche pas à prendre de belles poses académiques
pourvu que les coups portent bien.
Il y a dans la Défaite dAttila une rudesse puissante,
une énergie
désordonnée qui, nous font bien augurer de lavenir
de M. Debon. Ce
jeune artiste a un mérite très rare en ce temps-ci,
la virilité. Son talent est
mâle. Aussi ninsisterons-nous pas sur quelques incorrections
et quelques
lourdeurs qui déparent son tableau. Quil se garde aussi
de labus des tons
grisâtres brusquement fouettés de rouge.
Nous rapprocherons ici de la Défaite dAttila, la Bataille
de Tolbiac de M.
Théophile Gautier Salon 1848 56
Luminais, toile de moyenne dimension, remise en lumière par
le
remaniement des tableaux, et située à présent
à lendroit quoccupaient
Tes taureaux du Cantal de Melle Rosa Bonheur, non pas quil y
ait le
moindre rapport entre ces deux oeuvres, mais plutôt pour montrer
comment
un sujet, à peu prés le même, peut se colorer
diversement au prisme
dintelligences différentes.
M. Luminais a fait ses premières armes dans le camps des Bretons,
sous
les ordres du général Adolphe Leleux, en compagnie dArmand
Leleux,
dHédonin, de Guillemin, de Fortin, et autres gens qui
faisaient en peinture
pour la terre dArmorique le même travail que Brizeux en
poésie. Il a pris
à cette rude école un faire épais, naïf,
solide, ayant toutes les fortes
qualités du paysan, mais aussi sa rusticité et sa gaucherie
pesante. Cet
apprentissage un peu massif na pas dinconvénient;
la légèreté de la main,
la facilité viennent toujours assez tôt. M. Luminais
a fait cette année un
grand pas. Sa Bataille de Tolbiac est une oeuvre originale et remarquable.
Le peintre, par une idée heureuse et neuve, na pas pris
le combat au
moment vulgaire, cest-à-dire à celui du choc des
escadrons et de la lutte
acharnée. La bataille est perdue, Clovis lemporte, et
les Germains se
sauvent devant les hordes franques: cest la déroute à
plein vol dune
armée éperdue, que M. Luminais a voulu reproduire. La
multitude vaincue
se présente en raccourci au spectateur, et la fuite continue
hors de la toile:
les chevaux effarés arrivent à fond de train sur des
fondrières, où ils se
précipitent ; les grands boeufs qui traînent les chars
de bagage, fous
dépouvante, se jettent de côté, résistant
à tous les efforts de leurs
conducteurs, et forment, dans ce torrent humain, avec lobstacle
des
chariots, des espèces dîles, autour desquelles
la foule écume et fait des
remous, et que surmontent les bras tordus des femmes au désespoir.
A
lhorizon, tant que le regard peut senfoncer, lon
aperçoit des vagues de
fuyards, où se dresse, ça et là, comme un flot
blanchissant, un cheval qui
se cabre, atteint par la francisque ou la flèche dun
vainqueur. Tout cela est
peint dans une teinte blonde et bien tripotée, avec beaucoup
de
mouvement, de feu et de crânerie; et lartiste a su éviter
les ressemblances
avec la Défaite des Cimbres et des Teutons de Decamps.
La Folie dHaïdée de Ch. Muller, est un sujet qui
ne sexpliquerait pas
aisément de lui-même, si tout le monde navait présent
à la mémoire ce
délicieux épisode des amours de don Juan et de la fille
de Lambro. Mais le
peintre a pu compter sur la fidélité des souvenirs.
Haïdée, qui a perdu la raison depuis quelle est
séparée de son jeune
amant, se tient debout, appuyant contre la muraille de marbre sa tête
qui
ploie comme un lys chargé deau, et où bat la pulsation
de lidée fixe. Ses
Théophile Gautier Salon 1848 57
traits sont immobiles, ses yeux secs, sur sa bouche décolorée
erre un
sourire pâle, lueur folle qui voltige sur le désespoir.
A côté d'elle le vieux
Lambro, sentant fondre à ce spectacle son vieux coeur doiseau
de proie,
essaie de la ramener au sentiment des choses réelles, tandis
que le harpeur
grec pince les cordes de son instrument pour la sortir de cette farouche
stupeur, de cette froide rigidité de statue; car, ainsi que
le dit Jean-Paul
Richter, "la musique est la nostalgie de lâme."
Et comment se faire
entendre de la folie si ce nest par de mélodieux accords
? Au fond, les
compagnes dHaïdée se désolent et couvrent
leurs charmans visages de
leurs belles mains, qui laissent ruisseler des pleurs.
La figure dHaïdée est peinte de main de maître,
dune couleur excellente,
dune pâte grasse et solide, et avec une délicatesse
de pinceau qui nexclut
pas la largeur que lon confond trop aujourdhui avec la
brutalité :
lexpression dégarement, très bien sentie,
et encore mieux rendue, nôte
rien à la beauté des traits ; elle est déchirante,
mais non convulsive. On
comprend à voir cette belle fille immobile et blanche, enfermée
dans sa
douleur comme dans un tombeau dalbâtre, et dont lâme
sest envolée
avec Don Juan, quelle ne peut guérir et se reprendre
à la vie. Nous
croyons même que leffet quelle produit eût
été plus grand si le peintre
lavait laissée toute seule dans la toile. Les autres
figures ne peuvent
intéresser après cellelà, et, quelque bien
peintes quelles soient,
importunent le regard, qui revient obstinément se fixer sur
Haïdée.
Si vous pouvez en détacher vos yeux, examinez avec attention
une jeune
grecque qui pleure dans un coin du tableau, elle en vaut la peine
; on ne
voit que la moitié de son visage, qui inspire le plus vif désir
de connaître le
reste.
La tête du vieux Lambro est dun beau caractère,
et le type grec moderne
se retrouve bien dans lhomme au front découvert, aux
tempes rasées,
coiffé dune calotte rouge, dont les doigts errent sur
la harpe et les yeux
sur Haïdée.
Les pelisses, les ceintures de cachemire, les pistolets et les yataghans,
les
vestes brodées dargent et dor, les étoffes,
les coussins du divan, tous les
accessoires sont peints avec cette perfection qui caractérise
M. Müller, un
de nos jeunes artistes qui sait le mieux son métier. La touche
est ferme, la
couleur chaude, fraîche et lumineuse. M. Müller a, sous
le ciel brumeux de
Paris, beaucoup de qualités vénitiennes.
Son portrait de Mme M
, portrait réel, quoiquarrangé
avec ces
ajustemens fantasques dont le dix-septième et le dix-huitième
siècles ne se
faisaient pas faute, montre quil ne tiendrait qua lui
daccaparer le
Théophile Gautier Salon 1848 58
monopole des ressemblances de jolies femmes, exploité autrefois
par
Dubuffe, et en dernier ressort par Pérignon. Il les ferait
aussi charmantes
au point de vue du monde, tout en restant dans les conditions de lart.
M. Müller est un des rares artistes de ce temps-ci, qui, ayant
du talent, ait
osé sacrifier aux grâces. Une vieille crainte de tomber
dans le classique a
retenu jusquà présent nos peintres plus soucieux
du caractère, de lénergie
et du style que de lagrément. Sans repousser les tableaux
sombres et
farouches, il faut cependant admettre que la peinture est plutôt
faite pour
charmer loeil que pour leffrayer. Une espèce de
dédain semble sattacher
aux oeuvres quon a cherché à rendre séduisantes
daspect, et tel bijou
desprit et de couleur est classé bien après une
grande machine, triste,
maussade et bête, le plus souvent mal dessinée et mal
peinte, mais qui a
lavantage dappartenir au genre dit sérieux. Beaucoup
de gens, pour avoir
lair de critiques austères et forts, exaltent des croûtes
solennelles qui leur
font horreur, et affectent de dénigrer daimables toiles
où il y a cent fois
plus de talent que dans tous ces affreux crucifiemens, et ces ennuyeuses
scènes historiques.
On se souvient du Naufrage et des Exilées de M. Duveau. Cette
année, il a
exposé des Emigrés rencontrés en mer, près
des côtes de Bretagne, par une
embarcation républicaine.
Il y a beaucoup dénergie et de puissance dramatique dans
la manière dont
M. Duveau a rendu cette scène dramatique. Un ciel gris sombre
et lourd
pèse sur une mer sinistrement verdâtre, dont les vagues
déferlent en jetant
leur folle écume sur la frêle embarcation des émigrés.
A lapproche de
lennemi, les hommes se sont portés à la proue
de lembarcation pour
soutenir le choc, les femmes lèvent les mains au ciel, se voilent
les yeux
ou sévanouissent dans lagonie de la terreur.
Les deux barques se sont abordées et un homme vu de dos que
son habit à
la française et la bourse qui enveloppe ses cheveux désigne
pour un des
élégans débris de laristocratie de Versailles,
se collète avec un républicain
qui sefforce de sauter dans le canot des émigrés.
Cette lutte acharnée et
féroce au milieu de la mer, sur deux esquifs chancelans, entre
deux vagues
qui se brisent, offre un spectacle douloureux et navrant : on sent
bien à
quel côté restera la victoire, et déjà
limagination dessine sur les nuques
blanches des femmes qui se courbent le mince fil rouge de la guillotine.
Nous avertissons M.Duveau, qui nous paraît un peintre davenir,
de tâcher
doublier que Delacroix existe; quil sécarte
cette préoccupation de son
esprit et cherche à dégager sa propre originalité;
il la trouvera en sisolant,
en rendant ce quil pense avec ses moyens, en laissant tomber
sur les bords
de la route, comme un bagage inutile, les imitations volontaires ou
Théophile Gautier Salon 1848 59
involontaires, tout le faux acquis des premières années.
Quil n'essaie pas
comme le font quelques-uns, de se guérir de Delacroix par Ingres,
ou
dIngres par Delacroix; quil consulte la nature, qui ne
trompe personne, et
travaille selon son coeur.
Nous voici à peu prés quitte avec les grands tableaux
plus ou moins
historiques. Quand nous aurons cité les Athéniens captifs
à Syracuse de M.
Leloir, oeuvre sage et soignée, les Trois vertus théologales
de M. Leygue,
qui ont du style et de la tournure, le Jugement de Salomon de M.Schopin,
galant traducteur de la Bible, lEve tentée de Mme Calamatta,
la Mimoïs de
M. Cambon, grande étude de femme vue de dos dun goût
assez Carlo
Cignani, nous pourrions passer à la peinture de genre avec
la conscience
de ne rien laisser en arrière de bien caractéristique.
Faisons seulement
la remarque que Mme Calamatta, devant son Eve dune nudité
naïve, à
laquelle Overbeck ne trouverait rien à redire, a posé
un serpent terminé par
un buste dhomme ayant la frisure et loeil fascinateur
dun fashionable
moderne manégeant dans un avant-scène. Voilà
la question de la chute
tranchée à la manière féminine.
La peinture de M. Millet a tout ce quil faut pour faire horripiler
les
bourgeois à menton glabre, comme disait Petrus Borel, le lycanthrope
: il
truelle sur de la toile à torchons sans huile ni essence, des
maçonneries de
couleurs quaucun vernis ne pourrait désaltérer.
Il est impossible de voir
quelque chose de plus rugueux, de plus farouche, de plus hérissé,
de plus
inculte ; eh bien ! ce mortier, ce gâchis épais à
retenir la brosse est dune
localité excellente, dun ton fin et chaud quand on se
recule à trois pas.
Ce vanneur qui soulève son van de son genou déguenillé
et fait monter
dans lair, au milieu dune colonne de poussière
dorée, le grain de sa
corbeille, se cambre de la manière la plus magistrale. Il est
dune couleur
superbe; le mouchoir rouge de sa tête, les pièces bleues
de son vêtement
délabré, sont dun caprice et dun ragout
exquis. Leffet poudreux du grain
qui séparpille en volant ne saurait mieux être
rendu, et lon éternue à
regarder ce tableau. Le défaut de M. Millet le sert ici comme
une qualité.
Nous aimons moins la Captivité de Babylone. Les soldats pressent
les
juives qui se refusent à chanter lhymne de Sion sur la
terre étrangère avec
plus de violence quil ne convient lorsquil sagit
seulement de virtuoses
récalcitrantes. Ils ne se conduiraient pas autrement dans un
assaut ou dans
un sac de ville.
Cette scène de coquetterie musicale au bord de lEuphrate
est vraiment
prise par M. Millet dans un sens trop barbare et trop véhément
; et, comme
la furie de lexécution répond à lénergie
convulsive de la composition, il
Théophile Gautier Salon 1848 60
sensuit que ce concert manqué ressemble à une
tuerie.
Que M. Millet, sans renoncer à la solidité qu'il donne
à sa peinture,
diminue de quelques centimètres lépaisseur de
ses empâtemens, et il
restera encore un coloriste robuste et chaleureux, avec lagrément
dêtre
compréhensible.
Un talent modeste et charmant, cest celui de Célestin
Nanteuil, qui a semé
depuis dix ans sur des vignettes, des lithographies et des illustrations,
plus
desprit, de grace et de savoir quil ny en a dans
les oeuvres de beaucoup
de membres de lInstitut. A peine dans cette vie de labeur a-t-il
eu le temps
de faire deux ou trois tableaux, la Source, les Vendanges, où
il sest relevé
coloriste fin et délicat. Aujourdhui, sous le titre tout
simple dun Rayon, il
expose un petit chef-doeuvre de poésie.
Un jeune homme est étendu sur un lit de mousse dans la clairière
dun
bois. Près de lui leau court, le cresson boit, la plante
scintille de rosée, la
sève parcourt les rameaux, les troncs darbre plongent
leurs doigts noueux
dans lherbe, les branches paresseuses étirent leurs bras
; labeille se roule
au calice des fleurs, la fourmi chemine à travers les filamens
des racines,
le papillon danse avec un atome. Tout le microcosme mystérieux
de la
forêt vit, bourdonne et palpite avec cette confiance et cet
abandon de la
solitude devant le poète, car cen est un assurément
qui est couché là.
Le soleil pousse par les interstices du feuillage, jusquau fond
de ce vert
fouillis de végétation une bande lumineuse où
valsent les milles
fanfreluches dorées que rencontre* toujours en route un rayon
qui ségare.
[*ou: qui rencontrent]
Voilà déjà un effet pittoresque et délicieux,
cette traînée scintillante sur ces
feuilles quelle mordore, et sur ces herbes quelle change
en épis de
diamans. Mais le rêveur voit autre chose que des atomes
dans un rayon
de soleil. Regardez un peu attentivement celui-ci : peu à peu
vous
découvrirez dans la clarté blonde et tremblante, de
vaporeuses figures
comme celle des songes, quon retrouve et quon perd tant
elles sont
transparentes, aériennes, insaisissables. Sont-ce des fées,
des sylphides,
des hamadryades romantiques qui sortent encore du creux des chênes,
pour celui qui aime la nature et comprend encore le sens de la forêt
? ou
plutôt celle-là, qui se penche, charmante, presqueffacée,
avec sa grace
languissante, nest-ce pas le souvenir de ladorée
qui dort là-bas, au flanc
de la colline ? celle-ci, plus colorée, baignée par
un flot de lumière plus
vif, la maîtresse aimée, la souveraine actuelle du coeur
; et cette troisième,
qui sourit si doucement, belle comme lEspérance, a bien
lair dêtre la
femme quon aimera.
Théophile Gautier Salon 1848 61
Lexécution de ce joli tableau est digne de lidée
qui la inspiré. Les
figures sont charmantes et le paysage est traité avec un sentiment
panthéiste de la vie intime de la nature, que bien peu de peintres
possèdent
au même degré; la couleur est riche, nourrie, la touche
légère et
spirituelle : le Rayon peut prendre place parmi les plus agréables
toiles du
Salon, et nous espérons que désormais M. Célestin
Nanteuil quittera plus
souvent le crayon lithographique pour le pinceau.
Nous pouvons placer dans les tableaux de genre, quoique les proportions
en soient aussi grandes que nature, le Départ, de M. Fernand
Boissard:
Un chevalier, recouvert dune armure, dit adieu à sa bien-aimée,
dont le
coeur gonflé palpite sur lacier poli, et à laquelle
il donne ce quon pourrait
appeler le baiser de létrier : Un étendard quil
tient dans la main que lui
laisse libre létreinte suprême, déroule
ses plis au gré du vent, sert de fond
à la figure de la jeune femme, et laisse apercevoir, au dernier
plan, les
tourelles machicoulées dune forteresse du moyen-âge.
Cette peinture, souple et grasse, montre un coloriste qui a vécu
dans la
familiarité des Flamands et des Espagnols. Larmure est
peinte avec une
force de réalité surprenante, et la tête de la
jeune femme ne pleure que
juste ce quil faut pour être plus jolie.
M. Antigna paraît aussi devoir se ranger dans lécole
réaliste. Il cherche
plutôt le vrai que le beau, et sa manière relève
du Caravage et de
lEspagnolet. Sa Pauvre famille dans une mansarde offre les types
populaires, le modelé vigoureux, les ombres rembrunies de ces
maîtres
sombres. Il y a de la force et une certaine sève plébéienne
dans ces
peintures qui semblent tout à fait à lordre du
jour. Nous ne pouvons
quengager M. Antigna à persévérer dans
cette voie.
Si M. Antigna sen tient au positivisme le plus strict, M.Lessore,
au
contraire ségaie dans les fantaisies de lesquisse
et de la pochade des plus
libres. Il a exposé cinq ou six toiles à létat
débauche plus ou moins
avancée, qui sont très amusantes pour le caprice du
sujet, la finesse du ton
et le dévergondage de la brosse. Ce sont de petits mendians,
des enfans
jouant avec des chiens, une jeune fille pleurant son oiseau, un bout
de
muraille algérienne sur laquelle se découpent les silhouettes
dun nègre et
de deux maugrabins jouant aux échecs. Tout cela est poché,
frotté, empâté,
égratigné avec beaucoup daplomb et de prestesse,
et rappelle sous
beaucoup de rapports les manières et les façons de procéder
de la peinture
anglaise, à la fois très fine et très grossière
et qui tire du mélange de
portions achevées avec dautres heurtées brutalement,
des effets que ne
risquent pas assez souvent les artistes français.
Ce style est tout nouveau chez M. Lessore, car ce sont les seules
peintures
Théophile Gautier Salon 1848 62
de ce goût que nous ayons vues de lui. Celles quil avait
exposées aux
précédens Salons se rapprochaient de la manière
actuelle de M. Antigna.
Quel[le] admirable chose que lart, où le caprice est
aussi vrai que
lexactitude!
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 3 mai 1848
SALON DE 1848
9eme article
PEINTURE.
Don Narciso Ruy Diaz de la Peña, prince de la fantaisie, duc
de la couleur,
marquis de la pochade
Ah ! Diable ! nous sommes en république,
et ces
titres aristocratiques ne sont plus de mise
Le citoyen Diaz,
voulionsnous
dire, a essayé de changer sa manière, probablement pour
dérouter ses
imitateurs, qui lui marchent déjà sur les talons ; car
il est impossible
aujourdhui de conserver en propre son individualité,
et une foule de
parasites et de vagabonds, ne sachant où loger, tâchent
de sintroduire dans
votre peau.
Vous êtes tout étonné, pour peu que vous ayez
fait preuve dune nature
originale, moins que cela, apporte un procédé nouveau,
un chic spécial,
une ficelle inédite, de voir au Salon suivant vos tableaux
faits par dautres
artistes, qui ne vous laissent que votre signature.
Cette fois-ci, Diaz a trompé même Faustin Besson et Longuet,
les deux
limiers les plus habiles à dépister sa trace. En sorte
que les faux Diaz ont
seuls lair dêtre de lui, tandis que les vrais semblent
dun autre peintre.
Le Départ de Diane pour la chasse rappelle la manière
du Parmeginiano,
avec son élégance un peu affectée, ses ovales
pointus, ses sourires
retroussés, ses doigts allongés en fuseaux , ses poses
de danseuse et ses
graces de Corrège-Vanloo.
La Diane savance au milieu de son cortège, vêtue
dune tunique jaune
paille fendue sur la cuisse, précédée par ses
grands lévriers et ses molosses
de Laconie, qui sautent de joie et poussent ces aboîmens mêlés
de soupirs
par lesquels les chiens témoignent de leur satisfaction et
de leur ardeur :
les chairs de la déesse sont teintées dune seule
couche plate, et les
contours cernés dune espèce de trait noir qui
arrête également certaines
cassures de la draperie. Cependant la figure, beaucoup plus grande
que ne
les fait habituellement Diaz, a une tournure magistrale et plus de
style
quon ne saurait espérer dun peintre qui, jusquà
présent, sest complu à
des jeux de palette et laissé aller à tous les hasards
et à toutes les bonnes
Théophile Gautier Salon 1848 63
fortunes de lesquisse.
Cette tentative est louable, sans doute, comme tout effort pour gravir
une
spirale supérieure de lart ; Diaz, que des succès
certains attendent dans le
genre quil sest crée, où il na pas
de rival, fait preuve dune nature
consciencieusement amoureuse du beau en cherchant de nouvelles voies
à
ses risques et périls. L'essai fait cette année na
rien de décisif :
remarquable sous plusieurs rapports, son Départ de Diane ne
vaut pas, à
notre avis, ces merveilleux bouquets de couleurs, ces splendides écrins
de
pierreries, où loeil ébloui et charmé démêlait,
sous le ruissellement des
topazes des diamans et des perles, lépaule nue dune
fée, la veste de
velours dune sultane, ou loreille dun kings
charles jappant dans lherbe.
Ce microcosme soyeux, satiné, pelucheux, plein de bluettes
et de rayons,
fourmillant à loeil comme un kaléïdoscope
quon retourne appartenait
bien véritablement à Diaz : il était le seigneur
de cette création fantastique
mais parfaitement homogène. Ses arbres ne pouvaient se détacher
que sur
ses ciels, ses terrains ne pouvaient porter que ses personnages ;
une
nymphe de nacre ne convient-elle pas à un bain de diamant,
une odalisque
de soie à un gazon de velours ; une feuille démeraude
nest-elle pas bien
traversée par un rayon dor? Lharmonie, cest
là ce qui fait le grand
artiste, et bien peu ont la force de soutenir une gamme dun
bout à lautre.
De la réunion de portions également vraies il peut ressortir
un ensemble
faux : ce quil faut avant tout cest la vérité
de rapport.
Faites marcher un personnage dIngres dans un fond de Delacroix,
et
réciproquement, puis vous verrez la dissonnance effroyable
qui en
résultera. Chaque peintre, chaque poète doit avoir son
monde particulier
quil crée et meuble de toutes pièces; et Diaz
sétait fait un petit Eden de
fantaisie très complet : nous craignons pour lui cette dangereuse
maladie
de la recherche du style, qui a perdu ou failli perdre tant dhommes
de
mérite. Saviser du style au milieu de sa carrière,
et lorsque déjà le
talent est formé, cest un peu tard. Diaz na
pas eu linstruction
pittoresque quil faut pour faire un styliste. Emporté
par un attrait
impétueux vers la couleur, il ne sest pas occupé
du dessin. Il na pas la
connaissance familière de lanatomie, et bien quun
artiste de son
intelligence puisse sassurer de la place dun muscle quand
il le veut, il
ressemble alors à un poète qui apprendrait la grammaire
ou la prosodie au
moment décrire.
La poitrine de la Diane est vide, les attaches sont indécises
et molles. Une
touche spirituelle ne suffit pas dans une figure de cette dimension
pour
escamoter une difficulté sous un scintillement de couleur :
cependant, le
Départ pour la chasse contient encore assez des qualités
de Diaz pour être
Théophile Gautier Salon 1848 64
un très agréable tableau : la riche palette du peintre
chauffe et colore les
accessoires, mais la figure principale montre des nuances grises qui
dénoncent des prétentions de dessin funestes.
Vénus et Adonis ont le tort de répéter un sujet
analogue de Prudhon et de
ne pas le faire oublier ; en art le vol ne sexcuse que par le
meurtre, et Diaz
na pas tué Prudhon.
Les Bohémiens écoutant les prédictions dune
jeune fille, la Promenade et
surtout la Meute dans la forêt de Fontainebleau, rentrent dans
la manière
habituelle du peintre, et là nous le retrouvons avec toutes
ses forces et son
originalité.
En relisant ces lignes que nous venons décrire, nous
trouvons que nous
avons traité un peu sévèrement un artiste de
beaucoup de mérite et dont
nous admirons le talent; cest une terrible chose que la critique,
car nous
ne sommes pas bien sûr de ne pas être un peu cause du
changement qui
nous inquiète aujourdhui. Navons-nous pas dit que
Diaz se laissait trop
mener par sa brosse; que sa peinture seffrangeait et seffilait
en
bavochures, et ce contour charbonné que nous lui reprochons
ne nous
cerne-t-il pas un peu dans sa noirceur.[*?]
Voilà comme l'on est : on vous offre une gerbe de tons si fraîchement
épanouie quelle semble parfumée; alors vous parlez
de lignes arrêtées, de
précision, de détails de myologie; vous dites, comme
un pauvre critique
que vous êtes, un tas de stupidités les plus raisonnables
du monde. Vous
déduisez si doctoralement vos raisons que lartiste, à
demi-convaincu,
essaie de perdre son génie. Cest ainsi que de braves
peintres sont poussés
au style par dhonnêtes feuilletonistes qui pensent agir
pour le mieux et
perfectionner les talens quils aiment. Que Diaz se moque donc
des sages
conseils que nous avons pu lui donner, quil dévalise
le prisme et le
spectre solaire, quil flanque sa palette toute chargée
contre sa toile et se
débarbouille comme il lentendra au milieu de cet adorable
gâchis doù
jaillissent, comme dun chaos, des paysages, des figures, des
intérieurs
pittoresques et rayonnans ! Nous ne lui parlerons plus de la ligne
et du
modelé, mais pour Dieu, quil se garde du style.
Après Diaz viennent naturellement se placer ses Sosies : Faustin,
Besson
et Longuet. Les Cygnes de Longuet pourraient parfaitement porter le
paraphe du maître. Les Longuet se distinguent des Diaz en ce
que
limitateur dessine mieux les extrémités que loriginal:
les Femmes et le
secret, Autant en emporte le vent, de M. Besson, pourraient tromper
Diaz
lui-même.
M. Baron continue son élégant poème du bonheur.
Le Printemps en
Théophile Gautier Salon 1848 65
Toscane nous introduit au milieu dune foule de charmantes femmes
et de
galans cavaliers qui, sous lombre dun grand bois de pins
dItalie,
dansent, jouent de la mandore, se promènent par couples gracieusement
assortis ou devisent assis en éventail sur le gazon. Un air
bleu et tiède
baigne la forêt; le soleil descend à travers les feuilles
en rayons familiers;
les violettes et les primevères piquent le gazon détincelles
bleues et
blanches; les yeux scintillent, les bouches sourient, les mains se
cherchent,
les tailles se renversent languissamment, partout le joie, le plaisir
et
lamour; partout la beauté, la fraîcheur, la jeunesse:
cest le printemps de
lannée et le printemps des coeurs. Oh ! que ne pouvons
nous, plus jeunes
de deux siècles, errer aussi dans ce bois de pins parfumés,
entendre ces
doux propos et nous reposer sur cette mousse si épaisse et
si veloutée, que
cette vie de far niente, représentée dune façon
si poétique par M. Baron,
nous fait trouver dans [*dures?] les laborieuses galères où
nous ramons du
matin au soir dans notre absurde existence civilisée !
LEnfant vendu par des pirates nest quun prétexte
pour représenter le
môle dun port de mer du seizième siècle,
couvert de personnages en
costumes pittoresques, se détachant sur un fond darchitecture
de la
renaissance et de galères à châteaux fantastiques,
à tournures
extravagantes, comme les faisaient les anciens constructeurs. Il est
difficile
de voir un coloris plus riche, une touche plus spirituelle et plus
fine. On ne
pourrait reprocher à cette toile que trop de brillant et trop
dintensité de
ton. Tout est allumé, beurré, doré, roussi presque
; des localités grises, des
teintes sombres et tranquilles en de certains endroits, reposeraient
loeil de
cette ardeur et de ce papillottement lumineux.
Un second M. Müller qui demeure à Rome, via Condotti,
près du café
Grec, peut se rattacher à la catégorie des artistes
qui ont pris le bonheur
pour thèse de leurs compositions : les Fêtes doctobre
à Rome, tableau
dune dimension infiniment trop grande pour la scène épisodique
quil
représente, nous fait assister aux joyeuses saltarelles des
contadines et des
paysans, des transteverins et des minintes . On voit là tous
les beaux types
de la campagne romaine quAntony Deschamps a si bien décrit
dans ses
Italiennes :
Ceux de Castel-Gandolfe et ceux de Tivoli
Portent au pied la boucle en argent mal poli,
Les filles de Nettune, au corset d'écarlate,
Ornant de médaillons leur sein où lor éclate,
Et dans un réseau vert enfermant leurs cheveux,
Théophile Gautier Salon 1848 66
Et celles de Lorette où lon tant de voeux ,
Celles de Frascati, dont les beaux yeux sans voiles
Luisent sous le panno comme une double étoile
M. Müller, qui a de la facilité dagencement et dexécution,
découpe un
peu trop crûment les silhouettes de ses personnages, et certaines
portions
de sa toile ont lapparence de papier peint.
Bonne nouvelle ! M.Armand Leleux, qui se confine ordinairement dans
les
intérieurs sombres et bitumineux et ne trouve pas à
son gré dombres assez
rousses, de fond assez obscurs pour y découper ses chasseurs
andalous ou
tyroliens, vient de se décider à sortir de sa nuit,
et à nous conduire aux
environs de la forêt Noire. Ne vous effrayez pas de ce nom rébarbatif.
La
forêt Noire est parfaitement verte
Cest le temps de la fenaison. Un bateau chargé dherbes
fauchées, dont
les brins sont entremêlés des fleurs de la prairie, glisse,
poussé par de
joyeux garçons et de belles filles en costumes bariolés,
sur une eau
dormante, où nage lazur du ciel parmi le reflet des arbres
de la rive, où
sétalent paresseusement les larges feuilles en coeur
du nénuphar, dont les
fleurs jaunes sélèvent à la surface comme
des coupes dor.
Au fond, dans une clairière, on aperçoit la prairie
lumineuse et blonde avec
ses hautes meules aromatiques, ses faneurs et ses faneuses qui se
livrent
gaîment au travail, et font de leurs labeurs un charmant spectacle
pour les
yeux.
Ce tableau est peint avec cette solidité sincère qui
caractérise M. Armand
Leleux, mais avec un progrès réel de couleur et une
certaine grace rustique
quon ne trouverait pas dans ses autres oeuvres: cest une
églogue sans
mensonge; cette manière claire, épanouie et gaie, nous
plaît mieux que sa
manière rembrunie.
Le Cazador Andaluz, lui, a un teint revers de botte et fume sa cigarette
dans un intérieur sombre quil doit être difficile
de trouver en Andalousie,
où lon blanchit toutes les maisons à la chaux
en dedans et en dehors, mais
que M. Armand Leleux a sans doute vu , car il a voyagé en Espagne.
Ce
cazador nous rappelle notre guide Alejandro Romero, chasseur daigles
de
son métier, qui nous accompagna dans notre ascension au Mulhacén,
où
nous fîmes les vers les plus élevés au dessus
du niveau de la mer quon ait
jamais rimés assurément. Cest bien là lair
fier, lindolence hautaine de
ces nobles compagnons qui nont pas quatre réaux vaillant
et sestiment
tout autant que quelque capitaliste que ce soit ; la faja jaune,
le gilet
rouge, sont dun éclat merveilleux et doivent faire retourner
toutes les
Théophile Gautier Salon 1848 67
belles filles sur la Vivarambla et la carrera del Darro : les poteries,
les
bouteilles qui contiennent laguardiente et le Jerès,
pétillent fort à propos
sous une touche de lumière très bien placée.
La Pasiega hilandera (paysanne fileuse), avec son jupon jaune-serin,
sa
figure halée et attitude de Parque tournant le fuseau de la
vie humaine,
nous retrace bien les augustes matrones de la Vieille-Castille, assises
sur le
seuil de leur cahuttes, et montrant les perroquets brodés sur
leur cotte
couleur de soufre.
Quant au Mozo de mulas, cest un garçon mal appris et
bien fait pour vivre
dans la société de bêtes mauvaises et hargneuses;
il tourne le dos au
spectateur et se penche gloutonnement sur un puchero composé
de vache,
de verdure et de garbanzos, quil dévore à lentrée
de lécurie sur un bout
de table boiteuse.
Nous mettons ici M. Adolphe Leleux, parce que son nom vient
naturellement à coté de celui de son frère, et
non dans lidée de faire
aucune espèce de parallèle ente eux. Chacun marche à
présent dans sa
route, et la distance qui les sépare devient plus grande de
jour en jour ; il
ne faudrait donc pas inférer de cette juxta-position que lun
imite lautre ;
tous deux ont trouvé leur originalité et nont
plus rien de commun que la
signature.
Renonçant à ses Bretons et à ses Aragonais, M.
Adolphe Leleux est allé
faire une excursion en Afrique, et nous est revenu avec une toile
représentant un improvisateur arabe.
La scène se passe, si nos souvenirs ne nous trompent pas, à
Constantine,
en dehors des portes de la ville, sur le plateau de Sidi-Mecid.
Limprovisateur est un nègre dassez bonne mine qui,
lair fort content de
lui-même, débite une de ces interminables histoires remplies
de Djinns, de
Péris et dAfrites, que les conteurs orientaux savent
prolonger avec une
ductilité qui ferait envie à Dumas lui-même. Lassemblée,
composée de
Kabyles, de Mozabites, de Biskris, est suspendue aux lèvres
du conteur
par le fil du récit. Un grand gaillard, vu de dos, et revêtu
du burnous rouge
dinvestiture, quelque scheick sans doute dune pauvre tribu
des portes du
désert, écoute avec une attention profonde et une bonhomie
parfaite; un
gamin cuivré, qui se hausse comme il peut pour suivre les jeux
de
physionomie de lorateur, a dû être croqué
tout vif par lartiste, tant son
attitude est naïve et son geste naturel.
Cette scène est bien composée, bien rendue est dune
couleur locale très
exacte. Nous aurions seulement désiré une lumière
un peu plus vive ; nous
savons pour y avoir été, que lAfrique na
pas cette couleur de potiron
Théophile Gautier Salon 1848 68
quon lui prête dans les décorations de mélodrame,
mais M. A. Leleux a
peut-être fait errer quelque nuage de Bretagne sous le ciel
de Constantine.
Nous lui reprocherons aussi certaines négligences dans
les extrémités
de ces figures, que ne doit pas se permettre un maître de sa
force. La
touche, en quelques endroits est incertaine, heurtée et rappelle
les
esquisses de Delacroix: il ne faut pas que M. A. Leleux, qui a débuté
par
être original, subisse, après coup, des influences étrangères.
Quil se défie
de la facilité qui lui vient, et peigne plutôt de la
main gauche. Quon ne
croie pas, daprès ce que nous en disons là, que
lImprovisateur arabe ne
soit pas une toile remarquable; telle nest pas notre pensée.
Seulement,
comme nous nous intéressons beaucoup à M. Adolphe Leleux,
quelques
symptômes de maladie pittoresque, invisibles probablement pour
des yeux
moins attentifs que les nôtres, nous inquiètent dans
cette peinture et celle
quil a exposée lannée dernière.
M. Adolphe Leleux doit éviter de peindre de pratique ou sur
des dessins
faits trop à la hâte : il faut quil copie tout
daprès nature. Il a le bonheur
de nêtre fort quen face de la réalité
; la vérité est sa vie ; un mensonge,
fût-il involontaire, le tuerait. Tempérament robuste
et même rustique, la
forte alimentation des champs lui est indispensable: il sétiolerait
entre les
murs de latelier; limagination, la mémoire nexistent
dans son talent qua
de très faibles doses; faire le mot à mot de la nature,
tel est son lot; ce quil
entreprendrait hors de là ne lui réussirait pas.
Les Femmes du désert puisant de leau à une fontaine,
aquarelle très
vigoureuse de ton, nous révèlent des types inconnus
et curieux pour leur
sauvage beauté. Nous y blâmerons pourtant une certaine
désinvolture à la
Delacroix, contre laquelle M. Adolphe Leleux fera bien de se mettre
en
garde.
Nous sommes sûrs quaverti du danger, le peintre des paysans
et des
contrebandiers va nous faire des Bédouins, Maures et Kabyles
non moins
naïfs, non moins vigoureux que leurs frères basanés;
le burnous, sous son
pinceau raffermi, tombera à plis aussi puissans que les grègues
des gars de
Plomeur ou dAuray, et les champs des palmiers nains se dérouleront
aussi
solides dans ses tableaux quautrefois les landes de bruyères
et dajonc.
Le séjour de plusieurs mois quil a fait en Afrique, des
études terminées et
un immense portefeuille plein de croquis nous en répondent.
M. Edmond Hédouin, qui vient sous notre plume après
les frères Leleux, a
fait avec Adolphe le voyage de Constantine; mais son individualité,
qui se
dessine chaque jour plus nettement, na point eu a souffrir de
ce voisinage.
Son Moulin arabe montre dans toute sa simplicité le mécanisme
patriarcal
Théophile Gautier Salon 1848 69
à laide duquel les braves Africains de Constantine se
procurent la farine
dont ils ont besoin pour leur couscoussou et leurs galettes sans levain.
Une
pauvre rosse aveugle tourne au fond dun hangar sombre une roue
qui fait
mouvoir la meule; tout cela primitif comme au sortir de larche.
Un
misérable enchevêtrement de poutres démanchées
et reliées par des
ficelles, excellent à peindre, mais très impropre à
moudre.
Le toit de la chose est soutenu par un pilier de pierres brutes, sur
lequel
sépate une main blanche, destinée, daprès
les superstitions arabes, à
prévenir les effets du mauvais oeil. Un Maure, au teint de
cuir bouilli,
sappuie contre ce pilier et paraît causer avec un autre
fainéant couché à
terre dans son burnous, dont le capuchon est rabattu. Un autre drôle,
très
cuivré aussi, se teint accroupi près de la machine et
regarde la farine sortir
du blutoir. Voilà. Certes , il ny a là
ni pensée, ni drame: mais on
sarrête devant ce tableau comme on le ferait à
Constantine devant
loriginal. Cest étrange, vigoureux et vrai.
Ne vous imaginez pas, sur ce mot de café nègre, un splendide
établissement orné doeufs dautruche, de
miroirs à facettes et de vitrages
de couleur; rien nest plus simple quun café indigène
en Algérie, et
surtout un café nègre. Nous appellerions cela une cave,
ou tout au plus un
cellier. Figurez-vous quatre murs tout enfumés par la vapeur
du fourneau à
café, car les tasses se cuisinent au fur et à mesure,
une estrade semblable à
un lit de camp de corps-de-garde, recouverte dune mauvaise natte
de
paille; le luxe oriental ne va pas plus loin, du moins en Afrique.
Le café de M. Edmond Hédouin est de la plus authentique
vérité. Nous le
certifions conforme pour avoir pris plusieurs tasses de cet excellent
moka
trouble que les Arabes seuls savent faire apprêter, à
la place même où ces
deux noirs accroupis dodelinent la tête, absorbés par
les péripéties
émouvantes dune interminable partie déchecs:
M. Hédouin na pas cédé
à linnocente tentation de culotter les murs, de forcer
les ombres et les
lumières pour plus de bizarrerie pittoresque; il sest
contenté de copier
fidèlement, aussi a-t-il fait un tableau charmant, acheté
déjà par la société
des Amis des Arts.
FEUILLETON DE LA PRESSE
du 3 mai 1848.
SALON DE 1848
10eme article
PEINTURE.
D'un mélange de Decamps et de Leleux, avec sa propre originalité,
M.
Théophile Gautier Salon 1848 70
Haffner s'est fait une manière très ragoûtante:
il a de la solidité, de la
couleur, de la franchise et une certaine désinvolture qui plaît.
Il excelle à
peindre les rues étroites des vieilles villes comme Rouen,
Strasbourg,
Fontarabie, avec leurs toits aigus, leurs étages qui surplombent,
leurs
poutres qui se fendillent, leurs linges qui sèchent aux fenêtres,
leurs
lucarnes étoilées, leurs murailles lépreuses,
lézardées et moisies, leurs
effets inattendus d'ombre et de chair; les intérieurs picaresques
où les
enfans lappent au même chaudron que les caniches, et dans lequel
pénètre
une lumière bizarre par les trous d'une vieille tapisserie
jetée sur une
corde: les scènes de campement, de cuisine et de frairie
des Bohémiens
en voyage, qui ont fourni tant de spirituelles eaux fortes à
Callot, le peintre
ordinaire de la gueuserie .
Sa Halte de Gitanos est une fort jolie chose; ce sont bien là
les
accoutremens étranges, moitié haillons, moitié
oripeaux; la toilette
délabrée et folle, l'aspect hagard et fier, les teints
hâlés qu'éclairent de
grands yeux sauvages, les tournures déhanchées, les
poses d'animaux
couchés dans les bois de ces braves gitanos, parias chassés
de l'Inde, qui
depuis plus de mille ans promènent leurs hordes basanées
et indomptables
à travers les civilisations. M. Haffner a bien compris
ces prunelles
noires qu'attriste la nostalgie d'une patrie inconnue, cette peau
dorée par un
autre soleil, et cette misère que relève cependant la
liberté, le premier des
biens! La gitana couchée, dont les yeux de jais sont
comme charbonnés
par une épaisse frange de cils noirs, et qui fait brider sa
basquine sur sa
hanche, doit avoir un succès fou dans les Tertulias de l'Albaycin:
un fronfron
(sic) de guitare, un clappement de castagnettes suffirait à
la mettre
debout sur ses petits pieds.
La Bergère des Landes, la Mendiante, la Rue de Strasbourg,
sont peintes
dans la pâte avec une touche libre et spirituelle, et forment
aux yeux un
assez friand régal de couleurs. Pourtant, M. Haffner arrête
trop souvent ses
contours par des pénombres noires qui les allourdissent (sic)
et nuisent à
l'effet. Quant au Passage du Rhin par les Germains, il est traité
d'une façon
si heurtée, avec une telle furie de brosse, un tel luxe d'empâtement,
qu'on
ne se rend pas d'abord aisément compte de la scène.
Les eaux se mêlent au
ciel, et les légions germaines ont l'air, sur les derniers
plans, de bandes de
rats traversant un ruisseau à la nage. Certes, nous ne sommes
pas plus
partisans qu'il ne faut du léché; mais l'esquisse elle-même
a ses limites: de
pareilles toiles sont comme ces racines de buis où l'on voit
tout ce que l'on
veut, un Turc fumant sa pipe, un bateau à vapeur, ou l'empereur
Napoléon.
C'est, à coup sûr, un homme de beaucoup de talent que
M. Adrien
Guignet; seulement, par une bizarrerie moins rare qu'on ne le pense
dans
l'art, l'idée de regarder la nature ne lui est jamais venue;
il ne la connaît
Théophile Gautier Salon 1848 71
que par des traductions, comme un homme qui, ne sachant pas le grec,
lit
Homère en français. Il a vu les objets à travers
Salvator Rosa et Decamps.
Les ciels, les arbres, les rochers, les cavernes, les pans de muraille,
les
croupes de chevaux, les armures, les physionomies de Turcs, de
lansquenets ou de brigands; il a tout appris de ces deux maîtres.
On dirait
qu'enfermé dans une chambre depuis sa naissance, il s'est fait
une idée de
tout ce qui meuble la création d'après les tableaux
et les gravures: et ce qui
montre combien l'art est chose immense, profonde et mystérieuse,
c'est
qu'avec cette étrange éducation, M. Adrien Guignet a
pu devenir un
peintre d'un talent remarquable.
Le Mauvais riche, qui rappelle un peu trop visiblement l'arrangement
d'un
des dessins de Decamps dans l'Histoire de Samson, a des qualités
d'exécution très rares. La muraille, grenue, rugueuse,
égratignée par la
lumière, montre une adresse et une science de procédés
merveilleuses. Les
chiens lèchent très pitoyablement le pauvre Lazare,
et le festin du mauvais
riche s'épanouit, avec toute l'insolence proverbiale, dans
un fond de
vapeurs chaudes et rutilantes.
Nous préférons au Mauvais Riche la Fuite en Egypte,
d'un effet rissolé,
original et plus vrai qu'il n'en a l'air: le long de rochers coupés
à pic, et que
rougissent les rayons du soleil couchant, chemine la Sainte-Famille,
se
hâtant pour arriver au gîte avant la nuit. Cette muraille
de granit, qui
s'effrite et se lézarde sous l'action d'une chaleur dévorante,
a un aspect
profondément égyptien. On sent que dans cette pierre
couleur de chair ont
été taillés bien des obélisques, des stèles
et des sphinx, et que derrière ce
rempart rocheux doivent circuler profondément les corridors
des Syringes
et des Nécropoles. M. Adrien Guignet a un talent rôti,
brûlé, calciné, qui
convient à merveille pour la nature de l'Egypte. Le reflet
rose qui rend le
granit merveille est un effet invraisemblable pour nos pays du Nord;
mais,
à Grenade, la Sierra-Nevada rosit chaque soir comme la joue
d'une jeune
fille pudique.
Que peuvent faire deux véritables philosophes, surtout lorsqu'ils
se
rencontrent sous le buffle et l'acier d'une armure de lansquenet?
s'accouder
l'un en face de l'autre, séparés par une rangée
de pots, assez près d'une
muraille blanche pour que leurs ombres fauves s'y dessinent d'une
façon
bizarrement pittoresque. Cest aussi ce que font les philosophes
de M.
Guignet, qui ont d'atroces mines, même pour des philosophes
de grands
chemins en train de se griser.
Le Paysage agreste où chevauche un chevalier errant en quête
d'aventures,
et le Don Quichotte faisant pénitence dans la Sierra-Morena,
à l'imitation
d'Amadis sur la Roche-Pauvre, sont deux toiles très fines,
très spirituelles,
Théophile Gautier Salon 1848 72
très croustillantes, quoiqu'un peu roussies, comme tout ce
que produit M.
Adrien Guignet, qui ferait bien de profiter du printemps pour s'assurer
que
le ciel est bleu et le feuillage vert, et que la nature n'a pas été
cuite au four,
comme il semble le croire: Qu'il pratique sur son talent l'opération
que
les restaurateurs font subir aux vieilles toiles carbonisées:
qu'il enlève les
trois ou quatre couches de vernis jaune dont il l'enfume à
plaisir, et sa
peinture décrassée sortira claire et fraîche des
nuages qui l'enveloppent.
L'histoire admirable de l'ingénieux hidalgo a aussi fourni
à M. Penguillyl'Haridon
le sujet de deux charmans tableaux: le Célèbre Combat
contre
les moulins à vent et le Retour à la maison.
M. Penguilly a bien rendu la longue, sèche et jaune figure
du chevalier de
la Manche, sans tomber dans la caricature: Rossinante est une rosse
consciencieuse qui montre de longues études à l'écorcherie
de
Montfaucon. Avec quel courage il s'élance sur le géant
ailé, ce digne et
brave Manchègue, tout aussi héroïque dans son genre
qu'Achille ou le Cid!
Aussi avons-nous le coeur navré lorsque nous le voyons en piteux
équipage, son armure faussée, les côtes moulues,
édenté, sanglant, revenir
tristement au logis, posé en travers sur un âne, et conduit
par un paysan
grossier et pataud. Ce retour symbolise le sort qui attend toute illusion
généreuse, tout élan chevaleresque; on part la
tête haute, l'oeil rayonnant,
pour redresser les torts et délivrer le monde, et l'on vous
rapporte roué de
coups sur une ignoble bourrique, objet de pitié pour les uns
et de
moqueries pour les autres. Le gros sens commun, bête, épais
et massif,
vous ramasse sous la figure d'un rustre qui ricane en vous entendant
chanter d'une voix mourante la noble romance du marquis de Mantoue.
Donde estas, señora mia
Que no te duele mi mal?
O no te sabes, señora [,]
O eres falsa y desleal.
O ma Dame! où êtes-vous
Que mon mal si peu vous touche?
Ou bien vous l'ignorez, ma Dame,
Ou bien vous êtes fausse et déloyale.
On dirait que M. Penguilly-l'Haridon a erré lui-même
dans l'aride et
grisâtre plaine de Montiel, tant il a bien rendu l'aspect poussiéreux
de la
Manche; les murailles de la maison de don Quichotte sont d'un grain
excellent; l'âne chemine en vrai grison espagnol pénétré
de son
Théophile Gautier Salon 1848 73
importance; l'armure mise en paquet sur Rossinante joue le fer à
s'y
méprendre, et le laboureur se hausse pour atteindre le marteau
de la porte
avec un mouvement plein de naïveté et de naturel; si des
ombres rousses
ne se juxtaposaient pas trop régulièrement près
de lumières blanchâtres,
ces deux jolis tableaux ne laisseraient rien à désirer.
Outre ces deux toiles, M. Penguilly-l'Haridon en a exposé un
troisième,
représentant les écueils de l'Ile de Batz, dans le Finistère,
par une marée
basse d'équinoxe. M. Penguilly-l'Haridon a, il faut l'avouer,
le goût
farouche pour choisir les sites. L'on se souvient d'un petit cadre
qu'il avait
intitulé sournoisement paysage, et qui n'était autre
chose qu'une aimable
perspective de gibets garnis de leurs accessoires: le paysage de cette
année, pour manquer de pendus, n'en est pas beaucoup plus gai;
rien
n'égale en tristesse ces écueils noirâtres, que
lave et submerge une eau
jaune entraînant et ramenant les algues, les goëmons parmi
l'écume, et les
débris de toutes sortes; des albâtros (sic), des mouettes,
des hirondelles de
mer voltigent en piaillant au-dessus de ce sombre entassement et de
ce
fougueux tourbillon. Un ciel sale, chargé de pluie, pèse
sur cette scène
d'une désolation profonde et d'une tristesse mortelle; du reste,
pas un
vaisseau, pas une voile à l'horizon, pas une fumée,
pas un vestige humain;
rien que la solitude sinistre s'épouvantant elle-même!
En regardant la Sainte-Geneviève de M. Champmartin, on se demande
si
la sainte est le prétexte des moutons, ou si les moutons sont
le prétexte de
la sainte. Nous avions eu d'abord l'idée de ranger cette toile
parmi les
tableaux historiques, et puis nous l'avons mise avec les tableaux
de genre;
mais la place n'y fait rien. Cet embarras se reproduit souvent dans
une
exposition si nombreuse, et dans un temps où toutes les limites
s'effacent.
Il y a dans M. Champmartin quelque chose de contrariant. C'est un
peintre
de mérite, et cependant ce qu'il fait ne vaut rien. Heureusement
doué par la
nature, il est arrivé par l'abus d'une manière systématique
aux résultats les
plus fâcheux: l'empâtement et le rehaut pratiqués
avec la sobriété
convenable peuvent produire d'heureux effets; M. Champmartin en abuse
d'une manière inouïe: un aveugle devinerait le sujet de
ses peintures en
promenant ses mains dessus: les contours se suivraient au doigt.
Les peintres ne doivent pas modeler comme les sculpteurs par un relief
réel, mais par l'opposition des ombres et des lumières.
Si quelquefois
Rembrandt a fait des nez d'une saillie presque réelle, c'est
pour amener un
effet admirable: et les figures si épaisses de M. Champmartin
ne se laissent
pas que d'être fort plates.
Les animaux chats et chiens qui complètent l'exposition de
M.
Champmartin sont plâtrés de blanc et plutôt exécutés
à la truelle qu'au
Théophile Gautier Salon 1848 74
pinceau. Comment se fait-il que l'auteur de la Tuerie des Janissaires,
du
Massacre des Innocens, du Saint Jean dans le désert et de tant
de beaux
portraits si magistralement campés, en soit arrivé à
cette précoce
décadence encore plus étonnante chez un homme que l'
on compte au
nombre des plus spirituels de Paris?
En revanche, M. Landelle progresse: sa Sainte Cécile, sa Tête
d'ange et ses
Portraits d'enfant se distinguent par la grâce, la délicatesse
et la fraîcheur.
M. Landelle, comme les coloristes du nord, trouve des tons fins,
transparens, légers, où la froideur du gris de perle
se réchauffe et se fouette
à propos de rose, où la tempe veinée d'azur s'harmonise
heureusement
avec le duvet blond de la chevelure qui voltige. Il réussirait
on ne peut
mieux à peindre ces beaux enfans de l'aristocratie anglaise,
à la chair de
nacre, à la peau de camélia, délicieuses fleurs
humaines élevées dans la
serre-chaude de la richesse, et dont sir Joshua Reynolds a laissé
de si
ravissans types dans son portrait des enfans de lady Londonderry.
Par le style et la sévérité avec laquelle elle
est traitée, la Léda de M.
Laliman de Labrador se sépare de la catégorie des tableaux
de genre où sa
dimension semble pourtant la classer. C'est une figure d'un goût
un peu
ingresque, d'un dessin pur et d'un modelé très fin,
quoique d'un mince
relief, à cause de la sobre pâleur adoptée par
l'artiste.
Sous le titre de Lecture pantagruélique, M.Hamman nous introduit
à la
cour de François 1er. Maître Alcofribas Nasier, l'abstracteur
de
quintessence, lit un des livres qui contiennent les faits et gestes
"horrificques" du fils de Gargantua. Malgré
son titre joyeux, cette
composition a de la noblesse et de l'élégance et un
certain style qu'on ne
trouve pas habituellement au même degré dans les tableaux
de genre. La
couleur est chaude, riche, et convient à cette scène
d'apparat, dont le sujet
serait peu intéressant par lui-même si le peintre n'y
trouvait un thème de
groupes heureux, de types choisis, d'ajustemens splendides et de belles
étoffes à chiffonner. La Lecture pantagruelique tient
tout ce que
promettaient le Réveil de Montaigne enfant et les Ecoliers
espagnols se
préparant à donner une sérénade.
L'auteur du Molière chez le barbier de Pézenas, M. Vetter,
arrive cette
année avec un Laboratoire d'alchimistes enfoncés dans
les arcanes du
grand oeuvre. Ils sont là trois dans une sombre cellule éclairée
par le reflet
rougeâtre d'un fourneau qu'active un des alchimistes; les deux
autres
adeptes, courbés sur une table chargée de livres et
de papiers, cherchent à
pénétrer le sens des formules mystérieuses d'Hermès,
de Cardan,
d'Agrippa, de Raymond de Lulle, de Flamel et autres auteurs du même
genre. Où en sont-ils de leur oeuvre? Ont-ils fixé et
volatilisé tour à tour le
Théophile Gautier Salon 1848 75
mercure? Approchent-ils de la fontaine de Diane? Ont-ils vu paraître
le
dragon et le corbeau? Le mariage du serviteur rouge et de la femme
blanche est-il près de s'accomplir? Possèdent-ils la
poudre de projection
qui métamorphose en or la pierre philosophale?
Ce sont là de graves questions, et que M. Vetter seul pourrait
résoudre.
Quelque finesse sagace, quelque expression qu'il ait donnée
à ses figures,
il est difficile de savoir au juste à quel point sont parvenus
ces souffleurs si
absorbés par leur travail. Mais ce qui se comprend tout de
suite, c'est que
M. Vetter a fait un charmant tableau, supérieur à celui
de l'année dernière,
et que les Flamands les plus fins et les plus délicats signeraient
avec
plaisir. Nous ne lui ferons qu'une observation: il nous semble
peu
croyable que trois alchimistes se réunissent pour travailler
ensemble.
Quand on cherche la pierre philosophale, c'est-à-dire la richesse
et
l'immortalité, on aime être seul, pour ne pas partager
la recette en cas de
trouvaille.
Nous avons remarqué au bout de la grande galerie une toile
de forme
ronde, qui représente l'anecdote connue du grand Corneille
faisant
raccommoder sa chaussure dans la boutique d'un savetier. Ce tableau
est
de M. Emile Perrin, qui aujourd'hui vient d'être chargé
de la direction d'un
théâtre d'art. Le choix du sujet indique déjà
un esprit méditatif et distingué.
L'harmonie de l'ensemble et le fini des détails révèlent
un peintre de talent.
Corneille s'est assis près de l'ouvrier, dans une pause naturelle
et digne. Sa
noble pensée se reflète sur ses traits, il rêve
au contraste de son génie et de
sa situation, mais sans amertume; et y rencontrant, sans doute, une
de ces
antithèses poétiques naturelles à son talent.
L'ouvrier, jeune, insouciant, a
interrompu son repas, ce qui peut-être le rendra plus exigeant
sur le prix.
Au fond, par la fenêtre ouverte, on voit venir dans la rue un
jeune muguet
à cheval, qui peut-être en passant apercevra le grand
homme dans la
boutique du savetier... Ce tableau est clair, bien compris, plein
de détails
d'une touche heureuse. La composition eût ravi Diderot; l'exécution
fait
honneur de tout point à M. Emile Perrin.
Tony Johannot est un de ces charmans artistes qu'on appelle faciles
parce
qu'ils travaillent douze heures par jour et font sans prétention
une foule de
petits chefs-d'oeuvre, illustrations, croquis, aquarelles, dispersés
çà et là
avec une insouciante prodigalité et où brille la fine
fleur de l'esprit
français. Malheureusement notre pays est l'Eldorado, le Chanaan
des ânes
sérieux. Pour eux, sur cette terre de promission poussent les
chardons les
plus délicatement épineux, les bardanes les plus agréablement
rêches.
Tel qui n'a fait dans sa vie que deux ou trois grands dadais de saintes
volés
aux images d'Epinal, méprise dans le fond de son coeur Tony
Johannot,
Gavarni et Daumier; et ce qu'il y a de fâcheux, c'est que le
public se laisse
Théophile Gautier Salon 1848 76
dominer par le respect qu'inspire l'ennui en France, et n'ose pas
admirer ce
qui lui plaît, l'intéresse et l'amuse; comme s'il n'y
avait pas cent fois plus
d'art dans les eaux fortes de Werther et les contes de Charles Nodier
que
dans telle grande pancarte de sainteté ou d'histoire destinée
à quelque
église de province ou au Musée de Versailles.
Dans la douzaine de petits tableaux qu'a exposés Tony Johannot,
l'Heureuse Mère, la Mère Malheureuse, les Petits Braconniers,
la Jeune
Fille, qui garde un troupeau d'oies blanches comme des cygnes, le
Retour
de la montagne, les Jeunes Femmes de Larunz, les Contrebandiers de
Penticosa, les Dames espagnoles faisant l'aumône, se retrouvent
la touche
légère et spirituelle, l'aimable coloris de l'artiste,
distrait trop souvent de la
peinture à l'huile par ses travaux d'illustrateur et d'aquarelliste:
car si Paris
voulait lutter contre Londres à l'exposition des Vater's coulour's
paintors
(sic), Tony Johannot serait un de nos plus vaillans champions; il
a cette
limpidité, cette transparence, cette couleur chaude et fraîche,
cette sûreté
de lavis dont les Stanfield, les Turner, les Cattermole, les Callow,
les
Roberts, les Allom et les Wyld avaient semblé jusqu'ici s'être
réservé le
monopole. A ces mérites, il joint une vive intelligence des
poètes. Byron,
Walter Scott, Goëthe, Victor Hugo, Lamartine n'ont jamais été
mieux
traduits que par son crayon.
Sous une apparence de légèreté et de caprice,
M. Verdier est un coloriste
très fin, très habile et très sérieux;
son portrait ovale de femme, quoique
touché presque en façon d'esquisse, offre des gammes
de tons d'une étude
et d'un bonheur rares; il y a du sang, de la fraîcheur et de
la vie dans ces
chairs que la lumière pénètre, et dont les ombres
ne sont pas déparées par
ces tons de bois et de brique dont les peintres ne se défient
pas assez.
La Devineresse, la Fantaisie, traitées en pochades, ont cette
virginité de
tons des choses peintes au premier coup, et rappellent heureusement
le
faire de Greuze, de Fragonard. Quant à la Balançoire,
nous ne pouvons
mieux la décrire qu'en transcrivant les jolis vers d'Alexandre
Dumas fils
qui lui servent d'épigraphe:
Or, la tête inclinée un peu sur les épaules,
Dénouant ses cheveux que le vent caressait ;
Sur la corde attachée aux branches de deux saules,
Rieuse et demi-nue elle se balançait.
Le soleil se jouait sur sa blanche poitrine,
De ses pieds élégans les mules de satin
Semblaient près de tomber, et sa rouge basquine
Théophile Gautier Salon 1848 77
Qu'entr'ouvrait à propos le souffle du matin,
Montrait jusqu'au genou sa jambe ronde et fine.
FEUILLETON DE LA PRESSE
DU 6 MAI 1848
SALON DE 1848
11e ARTICLE
PEINTURE
On peut appliquer à Meissonnier la phrase proverbiale sur la
nature :
" Maxime miranda in minimis, " principalement admirable
dans les petites
choses. Toute lexposition de M. Meissonnier, composée
de six tableaux
ou portraits, noccupe pas un pied carré de muraille ;
et certes, sil
acceptait pour rémunération de ses travaux ce paiement
regardé comme la
dernière expression de la munificence, de donner ses peintures
à qui les
couvrirait dor, il ferait un déplorable marché,
car six ou huit quadruples
cacheraient aisément la plus vaste.
Si le roi de Lilliput voulait se faire une galerie, cest à
M. Meissonnier
quil se devrait adresser. ¾ Cependant, si restreints
que soient les cadres
dans lesquels il se circonscrit, M. Meissonnier est un grand maître
aussi
bien que tel ou tel qui a besoin de toiles colossales pour se déployer
; ses
tableaux imperceptibles ont une largeur de faire étonnante
: on ny trouve
pas les pointilleuses mesquineries de la miniature, comme leur dimension
pourrait le faire craindre. Ce sont des chefs-doeuvre dans la
vraie
acception du mot, quon mettrait, si M. Meissonnier jouissait
de
lavantage dêtre mort depuis longtemps, à
côté, sinon au dessus des
productions les plus achevées des Flamands et des Hollandais.
Pour nous qui avons le courage dadmirer ceux de nos contemporains
qui
le méritent, nous nhésitons pas à regarder
dès aujourdhui le peintre des
Trois Amis comme légal des Metsu, des Mieris, des Terburg,
des Brawer
et des Bega.
Les Trois Amis sont une triade de fumeurs et de buveurs de bière,
qui
nappartiennent pas à cette catégorie denragés
dont parle Alfred de
Musset dans le magnifique début de son beau conte de Suzon
Qui jettent la bouteille après le premier verre
Et cassent une pipe après lavoir fumée.
Non. Ils sont tranquilles dans une petite chambre écartée,
savourant le
bonheur dêtre ensemble, de vider la dernière topaze
de leur verre, et
dajouter une nuance brune de plus au culot de leur précieuse
pipe. Leurs
Théophile Gautier Salon 1848 78
vieux sièges sont si commodes, ils ont des habits à
la française si bien
rompus au pli de leurs corps, leurs bas moulent leurs mollets dune
façon
si souple, leurs pieds sont si à laise dans ces bons
souliers à boucle si
bourgeoisement larges ! Ils respirent le repos, le bien être
et le plaisir
toujours nouveau dune habitude satisfaite ; car, soyez-en sûrs,
les trois
amis se réunissent depuis vingt ans peut-être, toujours
à la même heure
dans cet endroit, autour de cette table que leurs coudes ont polie,
chacun à
la place que Meissonnier leur assigne, boivent leur canette et fument
consciencieusement leur once de tabac, ni plus ni moins:
Telle est lhistoire intime qui se devine aussitôt à
laspect de ces trois
honnêtes figures si vraies, si naïves, si amicalement assorties,
si bien à leur
affaire, et qui nont pas lair de se douter quil
existe quelque chose au
monde hors de leur petit cadre.
Quelle force de couleur et quelle finesse dexécution
! Comme les mains
sont rendues et les accessoires précieusement touchés
! Chardin na rien
fait de plus sincèrement bourgeois du dix-huitième siècle,
lui qui en était,
que lami vêtu dun grand habit rouge, tournant à
demi le dos au
spectateur. On dirait vraiment que M. Meissonnier, par un miracle
dintuition rétrospective, passe ses soirées à
voir jouer aux dominos et aux
échec les habitués du café Procope du temps de
Diderot, du neveu de
Rameau, de Piron et de Voltaire, tant il possède familièrement
lair,
lattitude et le geste, la manière de couper les habits
et de porter les choses
de cette époque.
Les Trois Amis sont une des oeuvres les plus parfaites de M. Meissonnier.
Un seul défaut le dépare : le buffet chargé de
bouteilles et de verres , si
merveilleusement touchés dailleurs, nest pas à
sa place, par sa
dimension, beaucoup trop petite, et les lignes de la perspective ;
il recule
bien au-delà des limites de la chambre. Rien nest plus
facile à réparer que
cette inadvertance, ¾ une journée de travail de onze
heures "y suffira. "
Le Jeu de Boules nous présente une société de
joueurs de quelques lignes
de hauteur, qui samusent à cet innocent exercice avec
autant dardeur que
des personnages de cinq pieds : des passions microscopiques se lisent
sur
leurs figures, grosses comme des têtes dépingles.
Pas un muscle ne leur
manque ; on croit démêler le point visuel dans leur oeil
invisible ; de belles
dames en paniers et en corsages à échelle, balançant
leurs parasols de
taffetas, suivent les chances de la partie ou écoutent les
fleurettes que leur
débitent à loreille de petits-maîtres vraiment
dignes de ce nom, cette fois.
¾ La scène se passe dans le jardin de quelque château,
vers la fin du règne
de Louis XV, époque quaffectionne M. Meissonnier. Les
charmilles sont
peignées, taillées, tirées en cordeau daprès
les dessins de quelque
Théophile Gautier Salon 1848 79
successeur de Le Nôtre. A propos darbres, louons M. Meissonnier
davoir
eu le courage de faire ses arbres verts, ce qui lui attirera
mainte critique.
¾ On sait que les paysagistes font des feuillages de toutes
les couleurs,
jaunes, roux, pourpres, gris, bruns, noirs, mais jamais verts. Cependant,
cette couleur nest pas si étrangère aux arbres
quils ont lair de le croire.
Par notre fenêtre, nous apercevons là-bas, dans les terrains
de Beaujon, un
arbre qui a eu lhonneur dêtre peint autrefois par
Louis Cabat, lorsque ce
charmant artiste ne se préoccupait pas du style : il est dun
vert
incontestable, dun vert printanier, dun vert démeraude,
ou lazur et lor
se mélangent par portions égales, aucun paysagiste noserait
le mettre dans
son tableau tel quil est, et M. Meissonnier, qui nest
pas paysagiste de son
état, na pas hésité, ayant besoin, par
hasard, dune charmille, à lhabiller
de vert, comme le sont ordinairement les charmilles. ¾ On fera,
nous nen
doutons pas, le reproche de crudité à son feuillage,
parce quil est vrai. ¾
Il faut espérer que, le progrès aidant, les paysagistes
reconnaîtront, dans
cinq ou six cents ans dici, que les arbres ne sont pas noirs.
Les Soldats sont plutôt des soudards, ¾ reîtres,
condottieri ou lansquenets,
comme il vous plaira, composés de deux tiers de brigands et
dun tiers de
débauchés, comme étaient en général
les bandits soldés du moyen-âge : à
leurs manches tailladées, à leur corselet fourbi, à
leur gorgerin échancré, à
leurs pantalons de buffle, on peut supposer ceux-ci attachés
aux bandes du
connétable de Bourbon : leurs mines brutales, féroces
et rusées à la fois,
sont exprimées avec une finesse et une vérité
extraordinaires; leurs types
contrastés montrent des aventuriers de tous les pays : quant
à leur manière
de passer le temps, il ne faut pas la demander ; les dés, les
cartes et les
gobelets vous lindiquent; ce sont les accessoires obligés
de tous les corpsde-
garde.
Les portraits représentent trois têtes dhommes,
étudiées, rendues avec une
précision merveilleuse, et dune ressemblance qui ne laisse
rien à désirer.
Ces portraits ne sont pas plus grands que des miniatures, et montrent
quon peut atteindre à lhuile et sur bois une délicatesse
aussi précieuse
que sur livoire et avec des couleurs à la gomme : cette
manière, à
lavantage de la solidité, joint celui dun modelé
puissant, gras et souple,
que nont jamais les miniatures les mieux travaillées
: les miniaturistes,
obligés de procéder par points ou par hachures, narrivent,
quoiquils
fassent, quà une très incomplète reproduction
de la nature. Pour la
question davoir un portrait qui puisse senfermer dans
un médaillon ou
sous le chaton dune bague, elle nous paraît résolue
par la façon dont M.
Meissonnier est parvenu à réduire une tête aux
plus petites proportions,
sans lui ôter aucun de ses détails caractéristiques.
Après M. Meissonnier vient naturellement se ranger M. Steinheil,
talent
Théophile Gautier Salon 1848 80
gracieux, naïf et fin qui, lui aussi, ne dépasse pas les
cadres grands comme
la main. Le Matin nous fait entrer dans lintimité dun
jeune ménage qui
ne sen doute guère.
Dans un grand lit côtoyé dun berceau sont couchés,
la tête presque sur le
même oreiller, une jolie femme en frais bonnet de nuit, et un
jeune homme
le menton orné dune barbiche moderne, à qui lenfant
en chemise vient
demander le baiser matinal, oubliant quil est aussi court vêtu
quun amour
de dessus de porte, et négligeant cette loi du décorum
qui veut quon se
montre de face au spectateur.
Cette petite scène bourgeoisement sentimentale est traitée
avec une grâce
charmante ; le rideau de vieille étoffe rayée jaune
et rouge qui enveloppe
le lit des époux et le berceau de lenfant, dans son pli
familial, se drape
parfaitement et joue la soie on ne peut mieux ; tous les détails,
meubles,
tapis, fauteuils, sont de la plus précieuse vérité.
Dans la Jeune Mère, tableau dune dimension un peu moins
restreinte, le
mouvement de lenfant est surpris sur nature : M. Steinheil semble
avoir
fait une étude particulière de lenfance, dont
les types, les expressions et
les attitudes sont très difficiles à rendre en peinture,
à cause de leur
mollesse et de leur mobilité. On peut dire que, généralement,
les enfans
quon voit dans les tableaux sont peints de pratique, tant il
faut de patience
amoureuse et dévouée pour obtenir une séance
de ces petits diables blancs
et roses.
M. Fauvelet sera bientôt un des maîtres de cet art, qui
semble se faire petit
pour quon ne puisse lui objecter quil ny a pas de
place pour lui sur les
étroites murailles de nos alvéoles dabeilles,
maintenant que les architectes
et les propriétaires mesurent lespace dune main
si avare aux pauvres
civilisés.
Sa Nonchalance nest autre chose quune jolie femme sur
un sopha, ¾ le
Sopha de Crébillon fils peut-être. ¾ Son élégante
jupe de soie sépanouit
et se chiffonne en petits plis bouillonnés, comme le coeur
dune rose que
Zéphyr a lutiné dune main un peu vive, ¾
quon nous passe en ce temps
de République tricolore cette comparaison légèrement
rococo, régence et
oeil de poudre, ¾ et laisse voir sous son bord indiscret un
pied mince, fin et
cambré, un pied de duchesse qui a jeté la mule à
talon haut ou létroite
babouche, et luit sous le réseau du bas comme le pied dargent
de Thétys.
¾ Au diable la mythologie ! nous nen sortirons pas. Mais
quand on a
besoin de comparaison gracieuse, cest encore chez les Grecs
quil faut les
aller chercher.
La tête de la charmante paresseuse est grande comme longle,
mais on ny
Théophile Gautier Salon 1848 81
perd rien : ni le feu assoupi de loeil, ni le vague sourire,
ni la fugitive
rougeur que fait monter à la joue la rêverie tendre ou
voluptueuse.
La Promenade au bois se compose de deux jeunes femmes et dun
Kings-
Charles : les femmes vêtues de ce beau costume quaffectionnait
Watteau,
et dans lequel un beau pli part des épaules pour descendre
jusquaux pieds
dun jet abondant et souple, sappuient familièrement
sur le bras lune de
lautre, comme deux amies qui se confient leurs secrets de coeur.
Le
Kings-Charles, moins surveillé, sécarte
un peu, dresse les oreilles et a
lair de flairer la piste de quelque gibier. Le coloris de cette
délicieuse
miniature est tendre, argenté, plein dharmonie et de
finesse.
Depuis Van Huysum jusquà Redouté ou à Saint
Jean, bien des peintres
ont cherché dans les fleurs des motifs de charmer loeil
par lélégance des
formes et léclat du coloris ; mais aucun navait
pensé à la grace du
chardon. M. Fauvelet vient de venger cette plante aimée des
ânes et aussi
des papillons, comme le remarque Alphonse Karr. Dans ses Fleurs et
chardons, il a donné le beau rôle à ces derniers
: il est impossible de voir
quelque chose de plus joli que ces feuilles dentelées, déchiquetées,
avec
leurs nervures et leurs épines, leurs boutons et leurs fleurs
en couronne;
leur couleur glauque et vert-de-grisée qui ressemble aux nuances
de
laigue marine, et leur dessin ornemental et sculptural, qui
ne demande
quà senrouler autour des trèfles et des
colonnettes.
Les artistes du moyen-âge, dont les Académies navaient
pas gâté le
mauvais goût, sétaient bien aperçus du mérite
du chardon, qui tient autant
de place dans larchitecture gothique que lacanthe dans
larchitecture
grecque ; mais, depuis ce temps, le pauvre chardon était tombé
en
désuétude, et il fallait un homme de lesprit de
M. Fauvelet pour le
remettre en honneur. Dans la lutte quil vient de lui faire soutenir
contre la
rose, la rose a été rossée, non par linfériorité
de ces armes, car elle se
hérisse dergots assez crochus, mais comme moins belle
et moins
gracieuse : ainsi, à force de dessin et de couleur, M. Fauvelet
a soutenu le
paradoxe du chardon, de manière à ranger presque tout
le monde de lavis
des baudets et des bourriques.
Sa nature morte brille par les mêmes qualités. Quant
à son portrait de M.
M., nous navons pu le trouver et nous le regrettons, car nous
aurions
voulu voir ce talent si plein de grace et de caprice aux prises avec
la
réalité.
Tout récent quil soit, M. Fauvelet a déjà
sur ses talons un imitateur, car
plus dun peintre peut dire aujourdhui comme le Monipodio
des
Ressources de Quinola de M. Balzac : " Qui est-ce qui marche
là-bas dans
mes souliers ? ¾ Nous ne savons si M. Chavet répondra
avec la naïveté
Théophile Gautier Salon 1848 82
plaisante de la pièce : " Quelquun qui nen
a pas, " mais à coup sûr il a
chaussé les escarpins vernis de M. Fauvelet. La Sortie du bain,
le Doux
rien faire sont très proches parens de la Nonchalance et de
la Promenade.
M. Chavet nous paraît être à M. Fauvelet ce que
M. Longuet est à Diaz, ce
que Lepoitevin est à Isabey. ¾ La Jeune Dame, feuilletant
un carton de
dessin, est une jolie chose.
M. Plassan imite M. Chavet : sa Toilette, au premier coup doeil,
pourrait
être prise pour un Chavet authentique. ¾ Ce que nous
disons là nempêche
pas ces deux Messieurs dêtre très fins, très
adroits, dune couleur
charmante et dune exécution précieuse.
Il taime un peu, beaucoup, par M. Alexandre Couder, a ces mêmes
qualités de délicatesse, de précision et de soin
extrême dans de petites
proportions qui caractérisent la série de peintres dont
nous venons de nous
occuper. Son Chat bien élevé, ses Fleurs et fruits satisferaient,
en fait de
fini et de léché, les Hollandais les plus minutieux,
¾ M. Van Schendel luimême
qui probablement à cause de son nom se croit obligé
à représenter la
nature à la bougie : ¾ le Marché aux poissons,
le Marché aux légumes,
double effet de lune et de lumière de ce dernier, malgré
leur poli excessif,
offrent des détails plus gracieux que le sujet ne semble le
comporter, et
dénotent chez le peintre étranger un talent véritable
qui le place pour le
moins à côté de ce rouge Sckalken, si admiré
en Belgique et dans les Pays-
Bas.
Dans la basse-cour de M. Philippe Rousseau, piaillent, pépient,
gloussent,
cancannent une foule de volatiles rendus avec une vérité
qui implore la
broche. Jamais fumier réel ne fut peuplé de poules plus
authentiques. Celle
qui veut descendre du juchoir et palpite des ailerons va sélancer
et sortir
de la toile. Ses trois tableaux de gibier et de fruits sont des chefs-doeuvre
et pourraient supporter le voisinage des Véchines [?], des
Sneyders, des
Bassans, des Desportes et autres grands animaliers.
M. Jeanron, le directeur actuel du Musée, a aussi une bande
de tableautins
fort gentils, et dont quelques-uns, tels que les Enfans jouant avec
une
chèvre, le Repos, les Deux Colombes, la Rêverie, semblent
des pastiches
volontaires de Prudhon, car pour la dimension, la couleur de la touche,
ils
sortent tout à fait des habitudes de lauteur des Condamnés
javanais
cueillant les fruits de larbre upa, et il serait impossible,
sans la signature,
de le reconnaître comme étant de lui.
Une toile fort étrange, cest létude de M.
Marcel de Pignerolle,
représentant de petites mendiantes de lîle de Capri.
Ces quatre ou cinq
têtes superposées ont laspect le plus bizarre avec
leurs teints fauves qui
varient du citron au cigare, leur noire crinière emmêlée,
leur profond
Théophile Gautier Salon 1848 83
regard danimal sauvage, leur bouche fermée et sérieuse,
leur air
souffreteux et sombrement passionné. Ces visages primitifs,
pour ainsi
dire, et dont la civilisation na émoussé aucun
angle, reproduits par M. de
Pignerolle avec une fidélité abrupte, une sincérité
féroce, attachent le
regard et le retiennent longtemps.
Ces Petites Mendiantes de lîle de Capri nous font regretter
beaucoup de
navoir pas trouvé le Pèlerinage à Lorette
du même auteur, qui doit être
une singulière et bonne chose si ce tableau est fait avec la
même simplicité
violente que létude.
FEUILLETON DE LA PRESSE
Du 7 mai 1848
SALON DE 1848
12e ARTICLE
PEINTURE
Un maître qui nest pas apprécié à
sa juste valeur, malgré lengoûment
dont il est lobjet, cest Watteau : on ne le considère
que comme un peintre
spirituel et facile, bon pour les fêtes galantes et les fantaisies
amoureuses,
et une certaine idée de frivolité reste attachée
à son nom. Cest pourtant le
plus grand coloriste qui se soit produit depuis Rubens, et loriginalité
la
plus tranchée que les derniers siècles aient à
opposer à la splendide
floraison de la Renaissance. Au reste, ce nest pas M. Wattier
quil faudra
accuser de ne pas comprendre tous les mérites de Watteau, dont
il est
presque lhomonyme. Il sest consacré au culte de
ce maître charmant, et
ce culte va jusquà ladoration, jusquau renoncement
absolu à sa propre
personnalité.
A force dadmiration, il sest presque métamorphosé
en son modèle : ces
avatars ou incarnations dun artiste mort dans un artiste vivant
se
renouvellent assez fréquemment, et lon en pourrait citer
plus dun
exemple singulier : ¾ il semblerait quil ait été
formé au commencement
du monde un nombre déterminé de talens, qui se continuent
sous plusieurs
noms, et qui, au fond, sont toujours les mêmes. ¾ Ce
serait un travail
curieux que de faire la généalogie dune individualité
et de la poursuivre
sous ses diverses apparitions, en remontant du temps actuel au jour
où elle
est sortie des mains du Créateur
Ainsi, pour ne parler
que de
Mais
voici bien de la philosophie
, retournons à nos moutons,
cest à dire à M.
Wattier, la transition nest pas mauvaise pour un peintre de
bergeries.
La Vie champêtre, lEntrée du bois, les Rivales,
le Midi, le Triomphe, les
Quatre heures du jour, sont le plus mignon et le plus complet amalgame
de
Théophile Gautier Salon 1848 84
marquises, de bergères, dactrices de lancienne
comédie italienne, de
petits-maîtres et de Colins quon puisse imaginer : les
jupes gorge de
pigeon sétalent sur des gazons montés comme des
sophas ; les noeuds de
ruban serrent les cous frêles de leur cravate diaprée;
les chignons sétagent
sur les nuques, et les épaules de nacre jaillissent des corsages
de taffetas,
lassassine mouchète les joues fardées, léventail
siffle entre les doigts
minces, la mule quitte les petits pieds de satin, tandis quau
fond les petits
amours de marbre sembrassent sur des piédestaux ; les
tritons de la
vasque soufflent à travers le feuillage leur jet de cristal,
qui retombe en
fumée; les fleurs débordent des vases ou retombent en
nappes le long des
terrasses; les lointains se colorent de bleu ou de vert-pomme, et
tout le
paysage prend des airs de coulisses dopéra.
Le Premier et le dernier quartier de la lune de miel, de M. Debay,
sont un
sujet double, renfermé dans le même tableau: cest
une idée ingénieuse,
rendue avec beaucoup de grâce. Sur le sombre azur dun
ciel nocturne,
tout piqueté détoiles lointaines, sarrondissent,
comme deux arcs dargent,
le premier et le dernier quartier de la lune. Dans la pénombre
de lastre
transformé en alcôve, on voit deux jeunes amans, époux
de la veille,
lAmour et Psyché, si vous voulez, qui sembrassent
comme le marbre de
Canova; la jeune femme ne se prête aux caresses légitimes
pourtant
quavec une pudeur rougissante et une réserve virginale
encore: lautre
quartier nous montre lAmour endormi, et Psyché qui, soulevée
sur le
coude, observe le sommeil de son compagnon avec un sourire pétillant
dironie dédaigneuse et de malice diabolique. La lune
rousse va bientôt
aiguiser sa corne fauve sur les nuages qui déjà sassemblent
au fond de ce
ciel si pur.
Dans Seule au monde, M. Compte-Calix a fait preuve de ce talent
élégiaque et coquet, maniéré et tendre
qui le caractérise. Seule au monde
est une toile dune pâleur délicate et dune
tristesse douce qui ne manque
pas de charme.
M. Gendron, lauteur de la Valse des Willis sur le lac, et dUne
âme,
compositions que distinguait un sentiment gracieux et poétique,
a exposé
cette année une scène antique et lIle de Cythère,
où se retrouvent la grâce
suave et la morbidesse élégante de ses premiers tableaux.
Que dire de M. Lepoitevin, ce peintre si adroit, si preste, si sûr
de sa
brosse, qui connaît si bien sa palette: sa main la perdu;
ses tableaux ont
lair dêtre faits à lemporte-pièce.
Sa touche est comme une griffe. Ses
doigts ont une telle habileté, quil peut peindre avant
de penser et sans
regarder presque. Son David Teniers conduisant don Juan dAutriche
à la
Kermesse, la Chasse au Marais, Backuysen et les sept ou huit tableaux
Théophile Gautier Salon 1848 85
quil a exposés, sont détaillés avec une
adresse merveilleuse, mais toujours
la même : il y a dans tous des tons très fins, des morceaux
très bien faits.
Seulement la pratique domine et la nature ny apparaît
que comme un
souvenir lointain et presque effacé: M. Lepoitevin possédait
cependant,
sil avait voulu respecter et prendre au sérieux ses dons
naturels, une
véritable organisation pittoresque; mais il sest laissé
emporter par la
facilité et le chic, et il a gâté à plaisir
les plus heureuses qualités, puis il a
été possédé par Isabey, et un artiste
ne doit être que possédé du diable.
Depuis longtemps M. Biard était en possession de faire rire
les
promeneurs bourgeois du Salon: ses succès dhilarité
sont dépassés par
une foule de comiques involontaires. Les pochades les plus bouffonnes
paraissent tristes à côté de lAmour louchant
dans les roses, et autres
productions analogues: qui pourrait valoir cette sérénité
du grotesque,
cette imperturbabilité dans labsurde, ce sérieux
exhilarant et cette
solennité désopilante ? Le Propriétaire montrant
les magnificences de son
jardin, grottes de rocaille, temple de lamour, cascade alimentée
par une
carafe, jardinier et jardinière de plâtre peinturluré;
le Conseil de révision,
caricatural spécimen de la race humaine de 1847, sont en somme
des
charges assez réjouissantes et qui auraient pu exciter la gaîté
dans une
exposition moins riche en ce genre : nous conseillons franchement
à M.
Biard de renoncer vu la concurrence à ces bambochades à
qui suffirait le
crayon lithographique.
Le Sahara et la Promenade artistique au rocher dHestmandoë
par le
travers du cercle polaire ont une certaine valeur, sinon comme art,
du
moins comme curiosité et renseignement : ¾ Le portrait
de Mlle L. B., de
la Comédie-Française a une espèce dafféterie
gracieuse qui nest pas sans
charme; il est, en outre, fort ressemblant.
Les portraits, quoique nombreux, nont rien de bien caractéristique:
après
quon a cité le beau portrait dhomme par Amaury
Duval, traité avec ce
soin sévère, cette étude consciencieuse et ce
dessin dune finesse gothique
qui rappelle Hans Holbein; la Mme de P
, de M. Tissier, figure
bien
posée, bien peinte, et dune grâce vivace, ou ceux
dHippolyte Flandrin,
dont nous avons parlé dans un de nos précédents
articles, et la tête de M.
Nicolle, par M. de Hoddencq, on peut passer tranquillement à
une autre
catégorie de peinture. M. Pérignon nest plus que
lombre de lui même:
respect aux morts et aux absens.
Les animaliers nous serviront de transition pour passer de la peinture
de
genre au paysage. A la tête de la cohorte il faut placer une
femme, Mlle
Rosa Bonheur; ce nest pas ici de notre part une affaire de galanterie:
Mlle
Théophile Gautier Salon 1848 86
Rosa Bonheur na aucun besoin de lindulgence polie de la
critique, et lon
peut la traiter sérieusement. Elle a, dans la représentation
des taureaux, des
boeufs et des moutons, dépassé de beaucoup Brascassat,
réputation parfaite
[*surfaite?], selon nous, et, si ce nétait le respect
superstitieux des gloires
anciennes, nous dirions que nous la mettons sur la même ligne
que Paul
Potter, le Raphaël de létable. Nous avons vu au
musée de La Haye ses
taureaux et ses vaches les plus célèbres, et nous en
pouvons parler avec
connaissance de cause.
Les Taureaux du Cantal, de Mlle Rosa Bonheur, ruminent paisiblement
sur
le revers dune pente gazonneuse, agenouillés dans lherbe
fine et courte,
déjà tondue par leurs langues. Leur haleine humide lustre
leurs mufles
noirs, leurs grands yeux, doù les Grecs, connaisseurs
en fait de beauté,
tiraient une comparaison flatteuse pour les yeux de la soeur et de
la femme
de Zeus, brillent immobiles sous leurs paupières arquées,
ou vaincus par la
somnolence rêveuse de lanimal, abaissent en palpitant
leur frange de cils
roux. Loreille de lun deux semble remuer, inquiétée
par une mouche
taquine. Le soleil moire dombre et de lumières leurs
flancs lustrés qui
frémissent et leurs fanons aux plis majestueux. Rien nest
oublié, pas
même la bave blanche qui tombe en mousse argentine du coin de
leur
bouche agitée par le travail de la mastication.
Quelle vérité et quelle observation parfaite ! ¾
Ce ne sont pas là des
animaux de Bucoliques traduites par labbé de Lille; regardez
ces jarrets:
comme les os et les muscles se dessinent fermement sous ce pelage
terre
de Sienne brûlée ou bai cerise, et le paysage comme il
est simple, vrai sans
minutie et facilement lumineux. Le ciel bleu clair que traverse une
étroite
bande de nuage est plein de transparence et de profondeur et couronne
bien cette calme solitude.
Le Pâturage des Boeufs de Solers, quoique moins important comme
grandeur et comme composition que les Taureaux du Cantal, se
recommande par les mêmes qualités. Peut-être même
y trouverions-nous
une nature plus naïve encore et plus surprise sur le fait. Les
Boeufs de
Solers ne font pas tableau et se contentent dêtre une
admirable étude, et
de ruminer sans souci du spectateur au milieu de leur pâturage
agreste, en
compagnie des bergeronnettes qui voltigent et picorent autour deux.
Les Moutons sont habillés dune laine si vraie, quils
appellent la tonte :
nous ne croyons pas quon puisse aller plus loin en fait de reproduction
intelligente et sincère. Le chien de cette race de Vendée
que Toussenel
préfère aux limiers anglais, montre que le chenil est
aussi familier que
létable à Mlle Rosa Bonheur. Quant à lEtude
de Boeuf, nous navons rien
à lui dire, quon lattèle à une charrue
et quon lui chante la chanson de
Théophile Gautier Salon 1848 87
Pierre Dupont.
Nous serions très curieux de voir Mlle Rosa Bonheur peindre
ces
magnifiques races de taureaux dEspagne, qui sont aux nôtres,
pour la
beauté, la force, la noblesse et l'élégance,
ce que les chevaux arabes pur
sang sont aux lourds chevaux de brasseurs. Quels magnifiques modèles
lui
offriraient les ganaderias dUtiera, de Gaviria, du duc de Veraguas
et
autres éleveurs célèbres qui alimentent les cirques
de produits admirables
pour la légèreté, la vigueur et la perfection
des formes: lencierro et la
station des bêtes de combat à larroyo dAbrunigal
lui fourniraient des
sujets tout à fait dans la nature de son talent. Nous aimerions
aussi quelle
représentât un de ces beaux chars antiques, à
roues pleines et glapissantes,
traîné par des boeufs coiffés de thiares, comme
des mages qui gravissent à
pas lents les sierras de lAragon et de lAndalousie.
Malgré les travaux quil exécute au palais du Luxembourg,
où il peint dans
un ciel de turquoise et de rose, le blanc quadrige de lAurore,
M.
Godefroid Jadin a trouvé le temps dachever plusieurs
toiles pour
lexposition. Son Hallali du cerf dans la forêt de Compiègne,
est une toile
extrêmement remarquable: son cerf et ses chiens valent autant,
sinon
mieux, que ceux dOudry, et le paysage est traité de main
de maître: dans
un genre qui peut sembler secondaire, M. Godefroid Jadin apporte des
qualités tout à fait sérieuses. Dans lacception
stricte du mot, il est difficile
de mieux peindre que lui; sa pâte est ferme, sa couleur solide
et forte dans
sa matte épaisseur, il évite avec beaucoup dart
les luisans et les tons
rances de lhuile: le portrait de Louloup, les Ratiers, le Chien
du bateleur,
et la Nature morte, ont une vigueur, un relief et une force de réalité
extraordinaire. M. Jadin semble avoir hérité de la palette
avec laquelle
Decamps peignit limmortel Opitalle des chien galeus.
Comme lEspagnol Menendez, qui a peint des myriades de ces tableaux,
quon appelle au-delà des Pyrénées du nom
générique de Bodegon, et dont
le sujet varie dun citron à moitié pelé
et souriant dans la spirale de son
écorce à un melon montrant son coeur vermeil par la
blessure de ses côtes,
M. Léger Cherelle se renferme peut-être trop strictement
dans sa corbeille
de fleurs et de fruits. Cette année, un peu plus osé,
il a peint lAlouette et
ses petits, avec le maître du champ, avec cette couleur vive,
forte, un peu
crue, qui est à la fois sa qualité et son défaut.
M. Coignard est un digne émule de Mlle Rosa Bonheur. Il entend
à
merveille la poésie bucolique : ses boeufs et ses vaches nagent
à pleine
poitrine dans lherbe fraîche, hument lair avec inquiétude,
enfoncent leurs
mufles dans leau verte de la mare, sagenouillent et se
couchent sur le
flanc avec une vérité parfaite sur le penchant des collines,
à lombre des
Théophile Gautier Salon 1848 88
grands bois, dans la prairie bordée de joncs: pourtant, M.
Coignard est plus
exclusivement paysagiste que Mlle Rosa Bonheur: ses animaux peuplent
mais ne couvrent pas ses pacages. ¾ Un arbre peut, à
ses yeux, si le soleil
sy joue dune certaine manière, avoir autant dimportance
quun boeuf, ce
que sa rivale nadmettrait pas: il savancerait assez dans
la forêt pour
laisser au besoin son troupeau en arrière, et il dirait comme
le berger de
Virgile: " Allez sans moi, allez, à la maison, "
vers que Mlle Rosa Bonheur
ne prononcerait jamais: M. Coignard a dans ses fonds quelque chose
de
feuillu, de touffu et dopulent qui rappelle Diaz lorsquil
senfonce dans
quelque allée encombrée de végétation
au Bas Breau à Fontainebleau.
LIntérieur de cuisine, de M. Hoguet, sur le compte duquel
nous aurons à
revenir lorsque nous traiterons du paysage, prouve toute la puissance
de
lart, et combien le sujet est indifférent pour un talent
véritable. Le drame
de ce tableau se compose dun chou, dun chaudron, dun
paquet de
carotte, et a pour acteur principal un mou de veau accroché
à la muraille:
ce personnage, venu de la triperie, joue le plus grand rôle
dans la toile de
M. Huguet. Chose étrange, ces objets bas, vulgaires et mêmes
ignobles,
font leffet le plus charmant; le rose du mou compose avec le
blanc de la
muraille, lor du chaudron et le vert prasin du chou, une symphonie
de
tons très harmonieuse et très réjouissante à
loeil.
M. Kiorboë nous a peint le sort malheureux dune chienne
de Terre-Neuve
attachée dans sa niche et noyée avec sa famille par
une inondation. Cest
bien dramatique.
Le fashionable M. Eugène Lami se sépare de cette troupe
rustique, parmi
laquelle le ramène cependant son amour des chiens et des chevaux.
Son
Arrivée à Chantilly est touchée avec beaucoup
desprit, de finesse et de
brillant. M. Eugène Lami est, avec Gavarni, un des rares artistes
qui
possèdent le sentiment de la vie moderne: il comprend nos modes
de salon
et décurie, nos voitures et nos wales proofs, nos attelages
et nos
pantalons. Il sait donner à ses figurines le chic du boulevard
de Gand, du
jockey-club et de la Croix-de-Berny. Le Stud-Book et le turf nont
pas de
secret pour lui.
Lon peut placer sans discordance près de M. Eugène
Lami M. Alfred
Dedreux. Nul ne sait mieux peindre la vie de château, les belles
amazones
inondant de velours la croupe satinée dun pur-sang; les
jolis enfans
aristocratiques galoppant (sic) sur un poney dEcosse dans les
allées
sablées dun parc; les frileuses levrettes vêtues
de leurs housses armoriées;
les calèches à roues étincelantes, corbeilles
de jeunes femmes et de babies
aux joues roses quentraînent quatre beaux chevaux demi-sang
menés à la
Daumont; les fox-hounds, avec les habits écarlates, les haies
à sauter et la
Théophile Gautier Salon 1848 89
meute muette qui se précipite; tous les épisodes de
cette vie luxueuse et
noble à laquelle nos neveux ne voudront pas croire, et qui
déjà nous
semble un rêve.
Son amazone en costume de fantaisie est un de ses meilleurs morceaux,
et
cest vraiment dommage de progresser dans un moment qui nest
rien
moins que favorable à la peinture de ce que les Anglais appellent
higt-fife
[*high life ].
Ce que nous disons de M. Alfred Dedreux sapplique également
à M.
Achille Giroux, qui sétait adonné à létude
du cheval pur sang et qui nous
donne les portraits de Wors, de Phaëton, dAméricaine
et de Promenade,
nobles bêtes au jarret dacier, à lencolure
de cygne, dignes de figurer sur
la pelouse dEpsom ou larène de Chantilly.
Maintenant, laissant de côté cette foule de personnages
de tous les temps
et de tous les pays, dirigeons-nous, après avoir donné
une tape amicale sur
le col des étalons et sur le flanc des boeufs, vers les belles
campagnes que
déroulent devant nous les paysagistes. ¾ Sortons avec
eux de la ville
triviale, inquiète, affairée et tumultueuse; allons
chercher le repos et la
fraîcheur au sein de cette nature, peinte il est vrai, mais
aussi réelle que
lautre, car la création de lart vaut la création
de Dieu. Le ciel est bleu, le
soleil luit, laubépine jette sa neige et son parfum,
allons par les prés, par
les bois, par les vallons, par les collines, avec Corot, Flers, Lapierre,
Anastasi et tous ces charmans compagnons de route qui nous apportent
lodeur des prés et larome du jeune feuillage.
THEOPHILE GAUTIER
Annexe:
Artistes et ouvrages concernés par ce Salon avec leur titre
ou leur
description et leur numéro dans le Livret.
1) Sculpture:
Barre (Jean-Auguste): 4605. Buste du pape Pie IX. 4606. Buste de Mlle
Mars.
Bion (Eugène): 4616. Saint Marcoul guérit les écrouelles.
Bonassieux (Jean-Marie): 4623. Jeanne Hachette. 4624. La Vierge mère.
Bonheur (Rosa): 4621. Une brebis.
Clésinger (A.-J.): 4667. Bacchante. 4669. Buste de Mme de L.
Daumas (Louis-Joseph): 4690. Victorina.
Diébolt (Georges): 4714. Sapho sur le rocher de Leucade. 4715.
Buste de
Théophile Gautier Salon 1848 90
Villanella.
Etex (Antoine): 4738. Hercule étouffant Antée.
Frémiet (Emmanuel): 4757. Ravaude et Mascareau, chiens de l'équipage
de M. de V....
Gayrard Raymond: 4766. Le Deuil.
Huguenin (Victor): 4794. Une petite femme couchée.
Husson (Aristide): 4801. Haïdée.
Jaley (Jules): 4808. Bacchante.
Jouffroy (François): 4814. Rêverie.
Klagmann (Jean-Baptiste-Jules): 4817. Enfants tenant les attributs
de la
passion de notre seigneur Jésus-Christ. 4818. Buste de M. E.
de G...
Lechesne (Auguste): 4824. Modèle de cadre, composé de
branchages;
animaux et groupes d'oiseaux. 4825. Amour et jalousie, combat d'oiseaux.
4826. Nid d'oiseaux.
Lescorné (Joseph): 4832. Clytie.
Maindron (Hippolyte): 4839. Sainte Geneviève, par les prières,
désarme
Attila et sauve la ville de Paris. 4840. Buste du fils de M. d'Espagnac.
Oleszczynski (Ladislas): 4865. Un ange de paix veille sur Niemcewicz
et
Kniaziewicz.
Ottin (Auguste): 4866. Buste de M. de Prony.
Oudiné (Eugène-André): 4867. La reine Berthe,
mère de Charlemagne.
4868. Psyché.
Pascal (François-Michel): 4870. Laissez venir à moi
les petits enfants.
Pollet (Joseph-Marie): 4875. Une heure de la nuit.
Pradier (James): 4881.Nyssia. 4882. Sapho. 4883. M. de Belleyme.
Schoenewerk (Alexandre): 4900. Bacchante faisant danser un enfant.
Van der Ven (J.-A.): 4918. Ève en tentation.
Vechte (Antoine): 4924. Intérieur de coupe en argent repoussé,
représentant l'harmonie dans l'Olympe.
Villain (Victor): 4925: Buste de Mme Victor Hugo.
2) Peinture:
Théophile Gautier Salon 1848 91
Amaury-Duval (Eugène-Emmanuel): 48. Portrait d'homme.
Antigna (Alexandre): 94 à 100. Aucun des titres des 7 tableaux
exposés
par cet artiste (L'éclair, Le matin, Leçon de lecture,
Le soir, Scène
d'atelier, Portrait de Mme, Portrait de M. V...) ne permet de deviner
quel
est le tableau que Gautier intitule Pauvre famille dans une mansarde.
Baron (Henry): 201. Un printemps en Toscane. 202. Enfant vendu par
des
pirates.
Besson (Faustin): 336. Les femmes et le secret. 337. Autant en emporte
le
vent.
Biard (François): 353. Les prisonniers au Sahara. 354. Promenade
artistique au rocher d'Hesmandoë par le travers du cercle polaire,
en 1839.
355. Le propriétaire. 356. Le conseil de révision en
1847. 358. Mlle L. B...
de la Comédie-Française.
Bonheur (Rosa): 460. Boeufs et taureaux du Cantal. 461. Moutons au
pâturage. 462. Pâturage des boeufs de Solers. 463. Chien-courant,
race de
Vendée, étude. 464. Un boeuf.
Boissard (Fernand): 444. Le départ.
Calamatta (Mme Joséphine): 715. Ève.
Cambon (Armand): 728. Simoïs.
Champmartin (Émile): 806. Sainte Geneviève. 807. Un
chien gardant des
moutons. 808. Une chienne de chasse. 809. Deux chats. 810. idem.
Chassériau (Théodore): 840. Le jour du sabbat dans le
quartier juif, à
Constantine. 841. Portrait de Mlle ... [de Cabarrus].
Chavet (Victor): 855. La sortie du bain. 857. Le doux rien faire.
860.
Jeune dame feuilletant un carton de dessins.
Cherelle (Léger): 867. L'alouette et ses petits, avec le maître
du champ.
Coignard (Louis): ce peintre a exposé 8 tableaux (925 à
932). Gautier
parle de tous en même temps.
Compte-Calix (François-Claudius): 964. Seule au monde.
Couder (Alexandre): 1001. Il t'aime, un peu, beaucoup. 1002. Un chat
bien
élevé. 1003. Fleurs et fruits.
Couder (Auguste): 1004. Le serment du Jeu de Paume (20 juin 1789).
Debay (Auguste): Le premier et le dernier quartier de la lune de miel.
Debon (Hippolyte): 1109. Défaite d'Attila dans les plaines
de Châlons.
Théophile Gautier Salon 1848 92
Dedreux (Alfred): 1126. Amazone en costume de fantaisie.
Dehodencq (Alfred): 1150. Portrait de M. Henri Nicolle.
Delacroix (Eugène): 1157. Le Christ au tombeau. 1158. Mort
de Valentin.
1159. Mort de Lara. 1160. Comédiens ou bouffons arabes. 1161.
Le lion
dans son antre. 1162. Lion dévorant une chèvre.
Diaz de la Peña (Narcisse): 1281. Départ de Diane pour
la chasse. 1282.
Vénus et Adonis. 1283. Bohémiens écoutant les
prédictions d'une jeune
fille. 1284. La promenade. 1285. Meute dans la forêt de Fontainebleau.
Duveau (Louis): 1507. La rencontre.
Fauvelet (Jean): 1616. Nonchalance. 1617. Promenade au bois. 1618.
Fleurs et chardons. 1619. Nature morte. 1620. Portrait de M. M...
Flandrin (Hippolyte): 1685. Portrait de Mlle... 1686. Portrait de
M... 1687.
Portrait de Mme...
Gallait (Louis): 1855. Baudouin, comte de Flandre, couronné
empereur de
Constantinople (16 mai 1204).
Gendron (Auguste): 1913. L'île de Cythère. 1914. Scène
antique.
Gérôme (Jean-Léon): 1932. Anacréon, Bacchus
et l'Amour. 1933. La
Vierge, l'Enfant-Jésus et saint Jean. 1934. Portrait de M.
A. G...
Giroux (Achille): 1998 Wors, cheval pur sang, appartenant à
M. E. G...
1999. Phaéton, appartenant à M. O. A... 2000 Américaine,
appartenant à
M. H. D... 2001. Promenade, appartenant à M. P. G...
Glaize (Auguste): 2002. Mort du Précurseur.
Guignet (Adrien): 2135. Le mauvais riche. 2136. La fuite en Égypte:
paysage, effet du soleil couchant. 2137. Deux philosophes. 2138. Un
chevalier errant: paysage. 2139. Don Quichotte faisant le fou.
Guignet (Jean-Baptiste): 2140. Portrait du général de
division Pujol. 2141.
Portrait de M. M. 2142. Portrait de Mme... 2143. Portrait du fils
de M....
2144. Portrait de M. C. N...
Haffner (Félix): 2167. Halte de gitanos. 2168. La mendiante.
2169.
Intérieur de la ville de Strasbourg. 1170. Bergerie des Landes.
1171.
Passage du Rhin par les Germains.
Hamann (Édouard): 2176. Lecture pantagruélique.
Hamon (Jean-Louis): 2178. Fantaisie; dessus de porte.
Hédouin (Edmond): 2198. Moulin arabe (Constantine). 2199. Café
nègre;
Théophile Gautier Salon 1848 93
idem.
Hesse (Alexandre): 2238. Prise de Baruth par Amaury II, en 1197. 2239.
Paysans des environs de Rome. 2240. Tête d'homme. 2242. Tête
de
femme.
Hoguet (Charles): 2285. Intérieur de cuisine.
Jadin (Godefroid): 2373. Hallali d'un cerf, forêt de Compiègne.
2374. Le
chien du bateleur. 2375. Les ratiers. 2376. Portrait de Louloup. 2377.
Nature morte.
Jeanron (Philippe-Auguste): 2392. Enfants jouant avec une chèvre.
2393.
Le repos. 2394. Les deux colombes. 2395. Rêverie.
Johannot (Tony): 2403. L'heureuse mère. 2404. La mère
malheureuse.
2405. Petits braconniers. 2406. Une jeune fille. 2407. Le soir. 2408.
Le
matin. 2409. Le retour de la montagne (Pâtres de la vallée
de Larunz).
2410. Jeunes femmes de la vallée de Larunz (Basses Pyrénées).
2411. La
prière à la Vierge, vallée de Larunz. 2412. Contrebandiers
espagnols de
Panticos. 2413. Dames espagnoles faisant l'aumône. 2414. Petits
pêcheurs.
Kiörboé (Charles-Frédéric): 2488. Chienne
de Terre-Neuve enchaîné à sa
cabane submergée par une inondation.
Laliman de Labrador (Edmond): 2590. Léda.
Lami (Eugène): 2623. L'arrivée aux courses de Chantilly.
Landelle (Charles): 2827. Sainte Cécile. 2629. Portraits des
enfants de
Mme H. d'O. 2632. Tête d'ange.
Le Hénaff (Alphonse): 2842. Baptême du Christ.
Lehmann (Henri): 2843. Au pied de la croix. 2844. Syrènes.
2845.
Léonide. 2846. Portrait de Mme Louis de B... 2847. Portrait
de Mme
Arsène H... 2848. Portrait de M. Paul F...
Leleux (Adolphe): 2875. L'Improvisateur arabe (Algérie). 2876.
Femmes
arabes du désert (Algérie).
Leleux (Armand): 2877. La fenaison (environs de la Forêt-Noire).
2878.
Cazador Andaluz. 2879. Hiladora Pasiega. 2880. Mozo de Mulas.
Leloir (Auguste): 2882. Les Athéniens captifs à Syracuse.
Lepoittevin (Eugène): 2923. David Téniers conduisant
don Juan
d'Autriche, son élève, visiter une kermesse. 2929. La
chasse au marais.
2930. Bakuysen offrant sa bourse à des marins pour l'embarquer
par un
gros temps.
Théophile Gautier Salon 1848 94
Lessore (Émile): 2969. Le malheur. 2970. Enfants jouant avec
un chien.
2971. Jeune fille pleurant un oiseau. 2972. Une muraille à
Alger; Arabes
jouant aux échecs. 2973. Jeune fille et son ami.
Leygue (Eugène): 2997. La Foi, l'Espérance et la Charité.
Longuet (Marie-Alexandre): 3028. Le déjeuner des cygnes.
Luminais (Évariste-Vital): 3078. Déroute des Germains
après la bataille de
Tolbiac.
Meissonnier (Ernest): 3250. Trois amis. 3251. Partie de boules. 3252.
Soldats. 3253. Trois portraits (même numéro).
Millet (Jean-François): 3340. Captivité des Juifs à
Babylone.
Mottez (Victor): 3404.Ulysse.
Müller (Charles-Frédéric): 3425. Les Fêtes
d'octobre à Rome.
Müller (Charles-Louis): 3426. La folie de Haïdée.
3427. Portrait de Mme...
Nanteuil (Célestin): 3434. Un rayon de soleil.
Penguilly-L'Haridon (Octave): 3574. Écueils de l'île
de Batz par une marée
basse de l'équinoxe (Finistère). 3575. Combat de Don
Quichotte contre les
moulins à vent. 3576. Retour de Don Quichotte.
Perrin (Émile): 3609. Pierre Corneille chez le savetier.
Picou (Henry-Pierre): 3666. Cléopâtre et Antoine sur
le Cydnus.
Pignerolle (Charles-Marcel de): 3685. Petites mendiantes de l'île
de Capri.
Plassan (Antoine-Émile): 3725. La toilette.
Rousseau (Philippe): 3995. Une basse-cour. 3996. Deux tableaux de
nature morte, gibier; même numéro. 3997. Fruits.
Schnetz (Jean-Victor): 4103. Bataille d'Ascalon. 4104. Funérailles
d'une
jeune martyre dans les catacombes, à Rome, au temps des persécutions.
4105. Une baigneuse.
Schopin (Henry-Frédéric): 4108. Salomon.
Steinheil (Louis-Charles-Auguste): 4175. Une jeune mère. 4176.
Le matin.
Tissier (Ange): 4278. Portrait de Mme de P...
Van Schendel (Pierre): 4393. Un marché aux poissons, double
effet de
lune et de lumière. 4394. Un marché aux légumes,
double effet de lune et
de lumière.
Verdier (Marcel): 4433. La Devineresse. 4434. Fantaisie. 4435.
Théophile Gautier Salon 1848 95
Balançoire.
Vernet (Horace): 4447. Le bon Samaritain.
Vetter (Hégésype-Jean): 4455. Alchimistes à la
recherche de la pierre
philosophale.
Wattier (Émile): 4545. La vie champêtre. 4546. L'entrée
du bois. 4547.
Les rivales. 4546. Le midi. 4547. Le triomphe. 4548. Les quatre heures
du
jour.
Ziégler (Jules): 4596. Charles-Quint ayant préparé
ses funérailles, reçoit
un portrait qui le représente avec la cérémonie
et le manteau impérial.