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Gustave Flaubert / 1821 - 1880
La première éducation sentimentale
texte complet
La tentation de St Antoine

Le drame de la pensée :
La Tentation de Saint Antoine

par Tim Unwin

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Il est important de rappeler que la source première de La Tentation de saint Antoine est une légende chrétienne, et que son thème principal est celui d'un saint qui résiste aux tentations dont il est assailli. En effet, le christianisme doit triompher à la fin si l'auteur va respecter la légende, et pourtant, vu l'attitude sceptique de Flaubert vis à vis des dogmes et des doctrines, on voit mal comment ce triomphe pourrait se réaliser. Considérons tout d'abord la fin avant de revenir plus généralement sur le statut de la religion chrétienne dans l'oeuvre.

En principe, la fin de la Tentation devrait marquer le salut du saint, qui émerge de sa nuit de malheurs fortifié dans sa foi. Mais ce qui arrive est loin d'avoir un caractère de victoire. Bien que le saint se remette à prier et à implorer le merci de Dieu, et que le Diable et les Péchés le quittent, le rire du Diable se fait encore entendre comme pour signaler que la trêve n'est que provisoire. nous avons donc l'impression que la raison d'être de l'existence d'Antoine est la tentation même. Certes, la religion chrétienne prêche qu'on ne peut jamais compter sur la victoire dans la lutte contre la tentation qu'est la vie humaine, et que la violence même de la tentation peut être un signe que le Seigneur s'intéresse à nous. Mais dans le cas d'Antoine cet enseignement semble être poussé à la limite de la parodie. Il se peut qu'on doive lutter contre la tentation parce qu'on est saint : on n'est jamais saint simplement parce qu'on lutte contre la tentation. Antoine n'a aucun signe que la grâce de Dieu lui est accordée, si ce n'est la tentation même, et tout se passe comme si la tentation devenait pour lui non pas un moyen, mais une fin. Il est d'ailleurs constamment en proie à un sentiment de vide et de futilité, et il soupçonne que sa foi, qui ne peut s'exprimer que par la tentation, est peut être sans fondement.

Dans les reprises de la Tentation, Flaubert ne fait rien pour chasser cette ambiguïté de la fin. La description du lever de soleil dans la version de 1856 (« Un immense soleil d'or... frappe en plein le visage de saint Antoine ; le Diable baisse la tête ») semblerait peut-être d'abord indiquer une victoire pour le saint, mais cela ne modifie en rien les sentiments d'angoisse et de doute qu'il continuera sans doute à éprouver. Il en est de même dans la version de 1874, où les tentations d'Antoine aboutissent à une vision du Christ qui justifie seulement en apparence sa lutte : ce moment d'apothéose vient, dans le nouveau remaniement du texte, au moment où le saint a succombé à la plus grande de toutes les tentations - celle de la matière. La fréquence et le nombre des tentations qui se relayaient avant que le saint ne succombe, était jusque là la garantie de son indemnité, mais il est clair que la vision de la matière se présente comme une solution et une synthèse. Dans cette version du texte, le saint semblerait émerger victorieux de sa lutte non pas, comme le dit la légende chrétienne, parce qu'il a résisté à la tentation, mais justement parce qu'il a capitulé.

S'agit-il bien d'une tentation, cependant ? Certes, la vision de la matière se présente comme une solution mystique où sont dépassés les dogmes et les doctrines dans une intuition supérieure du cosmos, mais Flaubert voit-il la possibilité d'une réconciliation entre le point de vue panthéiste et la point de vue chrétien d'Antoine ? Peut-être, dans la version de 1874 de la Tentation, essayait-il d'intégrer la religion chrétienne dans une vision atemporelle, a-historique. mais déjà, dans la première Tentation, l'ambiguïté du statut de la religion chrétienne relève en partie du fait que l'auteur est obligé, malgré sa philosophie anti-doctrinaire, d'y accorder une certaine importance. Car la religion chrétienne représente, pour Antoine, la seule voie possible dans sa quête de l'Absolu : dans ce sens, elle contient sa part de vérité, et elle est une partie indispensable de cet Absolu. Tout comme le philosophe qui dépasse les facultés rationnelles dont il s'est servi dans l'acquisition d'un point de vue supérieur, Antoine se sert de l'échelle du christianisme pour monter vers une compréhension supérieure des choses. La voie historique, temporelle ou personnelle vers l'intuition de l'absolu est intégrée dans une compréhension plus vaste des choses dont elle fait partie. Le christianisme représente donc un moyen tout aussi bon qu'un autre. Même s'il est faux ou partiel, il est réel pour le saint et donc vrai. Ainsi voyons-nous percer dans l'attitude de Flaubert envers son personnage le point de vue double qui reviendra si souvent dans les romans : d'une part, la condamnation de l'erreur du point de vue cosmique, d'autre part, la compassion du point de vue de l'individu. Flaubert accepte qu'à un certain niveau une religion ou une croyance n'a qu'à entraîner suffisamment l'adhésion pour être vraie, et en 1847 il disait déjà à Louise Colet : « Je ne crois seulement qu'à l'éternité d'une chose, c'est à celle de l'Illusion, qui est la vraie vérité. Toutes les autres ne sont que relatives. » La réaction humaine envers les mystères de l'Absolu, pour être dépendantes des symboles et des mots, n'en est pas moins dans son essence un élan vers l'intuition totale, et les coeurs les plus simples peuvent entrevoir les vérités les plus profondes. On comprend aussi pourquoi, dès 1840, Flaubert trouve la religion chrétienne séduisante. Il s'exprime à ce sujet de façon frappante à ce sujet un jour dans ses Souvenirs, notes et pensées intimes :

Je voudrais bien être mystique ; il doit y avoir de belles voluptés à croire au paradis, à se noyer dans [les] flots d'encens - à s'anéantir au pied de la Croix, à se réfugier sur les ailes de la colombe (...). C'est une belle vie que celle des saints, j'aurais voulu mourir martyr et s'il y a un Dieu bon, un Dieu le père de Jésus, qu'il m'envoie sa grâce, son esprit, je le recevrai et je me prosternerai.

Certaines des plus belles pages de Par les Champs et par les grèves témoigneront aussi de cette fascination chez Flaubert pour la religion chrétienne dans ce qu'elle a de doctrinaire et de ritualiste. Dans la description de sa visite à l'Eglise Sainte-Croix il voit dans l'acte d'adoration collective le signe d'une croyance naturelle et profonde :

Tout le monde priait, nous seuls regardions. La foule chantait avec une joie grave, et des bas côtés, de dessous le porche, de partout, des voix puissantes reprenaient en choeur, après chaque point d'orgue de la voix grêle du prêtre officiant à l'autel. Cela sortait comme d'une seule poitrine un immense cri d'amour.

Mais si dans le geste rituel Flaubert voit le signe d'une âme franche qui s'exprime simplement, son statut d'observateur et d'analyste l'empêche de participer à l'élan joyeux (« Nous seuls regardions...»). Il n'est à aucun moment tenté dans de voir dans le christianisme autre chose qu'une voie possible vers la compréhension de l'Absolu, qu'un moyen entre autres d'exprimer l'instinct religieux. Son attitude contient à la fois un élément de scepticisme et un mouvement de compassion. Attitude qui contaminera d'ailleurs ses héros, qui ont eux-mêmes quelquefois un point de vue détaché sur leurs propres habitudes de pensée. Saint Antoine, soumis à l'influence de la religion chrétienne et convaincu de sa valeur, aura aussi ses périodes de scepticisme et de doute où il luttera avec sa propre lucidité.


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Il y a même un épisode dans le première Tentation où la religion chrétienne devient manifestement futile aux yeux du saint. Il s'agit du moment de l'intervention des trois soeurs théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité. Celles-ci apparaissent pour la première fois vers la fin de la première section du texte, après la confrontation entre Antoine et Apollonius de Thyane. Au début, elles semblent lui apporter une certaine consolation, et elles l'encouragent à persévérer dans sa lutte contre la tentation (comme si la tentation n'était pas une fin en soi, mais un simple obstacle à dépasser). Mais peu à peu, leur inefficacité se révélera, car elles ne pourront faire autre chose que répéter leurs propos (« Crois ! » « Espère ! » « Souffre ! ») et leur retour sur la scène dégénérera en une parodie d'elles-mêmes. Elles sont tout au plus capables de produire l'écho d'une idée reçue, semblables dans leur retour en arrière aux deux bonhommes du dernier roman de Flaubert. Contre les doutes et les incertitudes d'Antoine, elles ne peuvent qu'opposer une attitude elle-même fondée sur une ontologie du désespoir. La Foi en vient à suggérer qu'il faut croire, aveuglément, comme si la croyance seule, et non l'objet de la foi, était importante. Comme elle le dit à Antoine : « Crois, et des attaches de la volonté resserre-toi plus encore à la conviction qui te lie ; crois ce que tu ne vois pas, crois ce que tu ne sais pas, et ne demande point à voir ce que tu espères. » La notion de foi frise ici la caricature, car l'engagement spirituel est entrepris dans le vide total. La seule chose qui puisse nourrir la foi est la foi même, alors que l'objet de cette foi n'est même pas considéré comme pouvant avoir de l'importance. Si l'Espérance explique à Antoine que « les tentations viendront toujours assiéger la croyance du Seigneur », ces tentations n'ont pourtant d'autre point de référence qu'elles-mêmes.

L'autorité des soeurs théologales sera davantage compromise dans leur confrontation avec les Péchés capitaux (auxquels s'ajoutent deux autres « péchés », la Logique et la Science). La Logique fait remarquer à l'Espérance que sa croyance consiste précisément à faire de l'incertitude sa condition première : « Qu'espères-tu, toi, Espérance ? ou ? quand ? quoi ? qu'est-ce ? tu espères, et puis c'est tout. Tu espères ce dont tu n'as ni soupçon ni idée, car si tu en avais l'aperçu même le plus vague [...] tu ne serais plus dès lors cette belle espérance, qui consiste à croire sans preuve ». Bien sûr, le concept que se fait Flaubert de l'infini consiste aussi à reconnaître que la vraie connaissance doit être fondée sur l'incertitude et même sur l'absence, mais, dans son traitement des soeurs théologales, il montre ce qu'une telle notion peut avoir d'absurde et de ridicule quand elle est poussée à sa limite ; et le point de vue d'un Sartre, qui affirme que pour Flaubert « Dieu existe, mais Il ne veut pas que je croie en Lui » devrait être mis en regard de cet épisode de la Tentation, où Flaubert montre justement la folie de l'attitude qui veut que l'absence de Dieu soit la condition de sa présence. Comme Socrate, Flaubert sonde aussi la profondeur de son ignorance et en tire quelques vérités, mais ce n'est pas du tout la même chose que de croire que l'ignorance même est la condition suffisante de l'intelligence. Le but de son attaque contre les soeurs théologales est de montrer que la répétition désespérée des mêmes formules dégénère en bêtise, car le langage ne peut contenir en lui les vérités de l'Absolu. C'est donc contre la doctrine et son expression qu'il s'acharne, non contre l'instinct religieux.

Ceci étant, quelle attitude le saint peut-il adopter ? D'une part, il est chrétien et, s'il peut toujours renier sa foi, il ne peut faire abstraction de sa culture et de ses valeurs. D'autre part, le christianisme n'a qu'une valeur relative et historique, et ses doctrines risquent d'entraîner Antoine, comme les soeurs théologales, vers la bêtise d'un babillage répété. La seule solution est d'essayer de se placer à un point de vue philosophique absolu, où sa propre religion et sa propre culture seraient considérées à la fois comme relatives et comme historiquement nécessaires. Si le religion chrétienne est le point de départ pour Antoine, elle devrait se dépasser à tel point qu'elle se verrait elle-même comme un élément déterminé de l'ordre universel. On a vu que, pour Flaubert, une telle démarche est à peu près possible dans la construction d'une philosophie panthéiste, qui arrive à se voir elle-même comme une manifestation provisoire de l'Absolu, sujette à des révisions infinies. Mais est-il possible d'investir de ce caractère protéen une doctrine qui prend un moment de l'histoire comme point de départ et lui accorde une valeur d'exception ? Le dilemme de sa position est sans cesse rappelé à Antoine : d'une part, le côté doctrinaire et relatif de sa religion est souligné dans les multiples parallèles entre le christianisme orthodoxe et les hérésies ou les autres religions ; d'autre part, le christianisme est pour lui le point de rencontre de toutes ces doctrines, le carrefour d'un nombre infini de possibilités. Sans cesse en proie au vertige et au glissement, il n'a pourtant qu'un seul point de repère dans le labyrinthe de l'histoire des religions. La « pensée » que représente sa propre doctrine devient le terrain où se déchaîne tout l'histoire de la pensée humaine.


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Cette ambivalence est très évidente dans l'épisode des dieux, vers la fin de la troisième partie du texte. Le centre philosophique et spirituel du monde, pour le saint, est la religion chrétienne, et tous les dieux qui défilent devant lui sont définis par rapport ou par opposition au christianisme. Mais si le christianisme sert de baromètre philosophique, pour mesurer la valeur de tous ces prétendus dieux, son caractère relatif est également souligné. La leçon de l'épisode sera d'ailleurs indiquée à Antoine par la Logique, qui lui dit à la fin : « Puisqu'ils sont passés tous, le tien... ». Antoine voit clairement la comparaison implicite avec le Dieu chrétien, et fait le geste de lancer un caillou symbolique à la Logique dans un refus symbolique d'accepter son argument : « Va-t'en, je ne veux pas de toi ! Non ! pas de raisonnement, pas de pensée, tu es la damnation, laisse-moi tranquille, fuis, fuis, que je ne te revoie plus ! ». Mais ses mots trahissent la présence dans son esprit de la pensée inadmissible, et ses batailles verbales avec la Logique symbolisent une lutte intérieure chez lui entre la raison et la foi. Loin d'atteindre à une foi exclusive et sereine, le saint se voit toujours assiégé par la conscience que sa prise de position n'est qu'un point de vue parmi tant d'autres également possibles. Ainsi, dans le défilé des dieux, même si l'auteur semble se perdre dans l'évocation des religions, le lecteur est sans cesse confronté au parallèle qui égalise et qui finit par anéantir les religions spécifiques. La technique de la construction en série, déjà utilisée par Flaubert dans les écrits mystiques des années 1830, a donc ici un but très précis qui est de montrer le naufrage du saint dans l'immense flot des possibilités (le caractère passif d'Antoine, qui est pour beaucoup de lecteurs une des faiblesses de cette oeuvre, est dans ce sens essentiel aux desseins de l'auteur). En effet, comme Flaubert finit par le dire lui-même lorsqu'il se lasse de ses descriptions interminables : « Ce sont encore des dieux, innombrables, infinis, si nombreux qu'on ne peut les compter, vociférant si fort tous à la fois qu'on n'entend pas leurs paroles, si tassés qu'on ne peut même pas les distinguer. ». On serait tenté de croire que c'est la seule fois dans toute l'oeuvre de Flaubert où l'auteur ne semble pas comprendre sa propre ironie !

Un autre aspect de cette même leçon ressort de l'épisode du défilé des Hérésies. Quoiqu'il utilise la même technique de la construction en série, Flaubert met l'accent ici moins sur l'égalité dans la multiplicité que sur la bêtise du langage qui, en voulant fixer une image de l'Absolu, dégénère dans l'Absurde. La section commence avec un débat théologique entre Antoine et la Logique au cours duquel la Logique relève les contradictions de la doctrine chrétienne et montre à quel point Antoine est prisonnier d'une série de conceptions fixes, impossibles à changer. La faiblesse des doctrines est due à leur caractère exclusif ; elles sont incapables d'inclure en elles-mêmes les autres doctrines et les autres points de vue qui représentent, quoiqu'on en dise, des faits historiques objectifs, et donc des réalités inéluctables. Chacune des Hérésies qui défilent devant saint Antoine prétend, comme le christianisme, expliquer l'Absolu. Mais la tentative de définir Dieu ou l'Absolu en termes doctrinaires est vouée à l'échec, car elle est forcément partielle et incomplète, et chaque explication en vaut une autre. Comme disent les Hérésies elles-mêmes : « A la pointe de l'idée, quand en frappant d'aplomb sur son angle intangible le Verbe luit, c'est nous qui sommes les rayons divergents multipliant la lumière, et tous convergent vers sa base pour en augmenter l'étendue ». Aucune des Hérésies n'incorpore dans son point de vue une vision d'elle-même en tant que produit de la création divine. Toutes ces variations dogmatiques de la recherche de l'Absolu s'enchevêtrent, s'emmèlent, tourbillonnent dans un vertige d'explications fantastiques, disparaissent dans une débandade de folie. Et bien sûr, elles entraînent avec elles l'explication à laquelle s'accrochait désespérément Antoine. « Où suis-je ? » demande le saint. « Sont-ce les démons qui parlent ? il me semble que je descends sans en finir les escaliers de l'enfer ; la désolation ruisselle sur ma tête, la folie m'arrive. ». Si Antoine continue à se réfugier dans le rituel de sa doctrine, c'est moins parce qu'il croit y trouver une vérité supérieure aux autres que parce qu'il a peur de l'infini.

Il est d'ailleurs important de remarquer à quel point les explications folles et fantastiques que proposent les Hérésies se recoupent et se rejoignent sur le terrain du christianisme. Ce qui veut dire deux choses : d'abord, que la valeur du christianisme est compromise là où ses propres doctrines reviennent sous un déguisement hérétique et révèlent ce qu'elles contiennent d'arbitraire ou d'absurde ; ensuite que le christianisme est néanmoins le point de rencontre de toutes ces possibilités différentes, et qu'il est donc le principe qui doit structurer la philosophie du monde chez le saint. Présent et absent à la fois, point de vue privilégié et fait historique arbitraire, le christianisme sous-tend toutes les réflexions qui entraînent sa propre mise en cause. Ainsi, dans le dédale des spéculations qui sont proposées au saint, une certaine importance est accordée aux points d'intersection avec la doctrine chrétienne. Les Sabellins, par exemple, croient à la Trinité, et quand Antoine apprend cela il éprouve un soulagement trompeur. « Je suis bien aise de retrouver le fil de ma pensée » murmure-t-il. Retrouver le fil est pourtant aussi un moyen de s'égarer et de se laisser tromper par les apparences, et donc de découvrir tout ce que son propre point de vue a d'arbitraire ou de provisoire. Comme disent les Montanistes à Antoine, d'autres doctrines peuvent avoir les mêmes prétentions que la sienne, et elles peuvent même se vanter d'être supérieures : « Nous avons des saints qui sont plus saints que tes saints, des martyrs plus martyrs que tes martyrs ». Leçon implicite à Antoine signifiant que, même si le christianisme l'aide à comprendre et à organiser son monde, il n'est comme les autres doctrines, qu'une des variations complexes d'un même principe, un stade du mouvement infini des idées. Tout a sa place dans l'histoire des religions, et le monde moral suit exactement les mêmes lois que le monde physique. Même dans le monstrueux et le grotesque il y a un certain reflet de la vérité absolue, car tout est nécessaire dans un monde qui abhorre le vide. On se souvient de la question posée par Flaubert dans Par les Champs et par les grèves, quand il s'interroge sur le rôle des monstres dans la création :

Quel est celui qui saura voir, dans ces manifestations irrégulières de la vie, les expressions multiples et graduées de cet art inconnu, qui gît dans son immobilité mystérieuse au fond des océans, dans la profondeur du globe, dans le foyer de la lumière, y variant les créations successives et perpétuant l'Etre ?

Le christianisme est-il aussi une monstruosité de la nature, et s'il l'est, sa nécessité dans l'ordre des choses n'en est-elle pas tout aussi absolue ? Tout point de vue est arbitraire, mais il faut tout de même avoir un point de départ. Ceci étant, le saint a en même temps raison et tort de s'accrocher à ses convictions religieuses.

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