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Gustave Flaubert / 1821 - 1880

L'Education Sentimentale

L'Education Sentimentale


L’Éducation sentimentale, histoire d’un jeune homme est un roman écrit par Gustave Flaubert, et publié en 1869

Le cœur du récit est tiré du roman de Sainte-Beuve : Volupté,

.qu’Honoré de Balzac avait déjà traité et d’une certaine manière réécrit avec le Lys dans la vallée. Le roman de Flaubert reprend le même sujet[1] selon des règles narratives entièrement neuves, réinventant le roman d'apprentissage pour lui donner une profondeur et une acuité jamais atteinte. Malgré une critique négative lors de sa parution, il est devenu, depuis Proust, un livre de référence pour les romanciers du XXe siècle.

Le roman, rédigé à partir de septembre 1864 et achevé le 16 mai 1869 au matin, comporte de nombreux éléments autobiographiques (tels la rencontre de Madame Arnoux, inspirée de la rencontre de Flaubert avec Élisa Schlésinger). Il a pour personnage principal Frédéric Moreau, jeune provincial de dix-huit ans venant faire ses études à Paris. De 1840 à 1851, celui-ci connaîtra l’amitié indéfectible et la force de la bêtise, l’art, la politique, les révolutions d’un monde qui hésite entre la monarchie, la république et l’empire. Plusieurs femmes [Rosanette, Mme Dambreuse] traversent son existence, mais aucune ne peut se comparer à Marie Arnoux, épouse d’un riche marchand d’art, dont il est éperdument amoureux. C’est au contact de cette passion inactive et des contingences du monde qu’il fera son éducation sentimentale, qui se résumera pour l’essentiel à brûler, peu à peu, ses illusions.

Avec ce roman, modèle du réalisme dont il est l’inspirateur, Flaubert dépeint avec justesse à la fois l’individu et la société. Les révolutions du monde et celles du cœur sont animées d’un seul mouvement, et l’histoire est inscrite jusque dans les actions et pensées des personnages.

Flaubert avait écrit, de janvier 1843 à janvier 1845, une première Éducation sentimentale qui succédait à la réaction de Novembre, achevée le 25 octobre 1842.

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Les règles de l’art
à propos de "L’éducation sentimentale" - Flaubert par Bourdieu

samedi 29 janvier 2005, par Berthoux André-Michel


Dans L’Education sentimentale, Mlle Vatnaz, la féministe engagée, est l’opposée pourrait-on dire de Rosanette qui elle pense que « les femmes étaient nées exclusivement pour l’amour ou pour élever des enfants, pour tenir un ménage ». Flaubert ne parle pas à travers les propos de la Vatnaz tout comme il ne le fait pas à travers ceux de Rosanette. En fait ces deux personnages, souvent considérés comme mineurs comparativement à Mme Arnoux ou Mme Dambreuse, ont une importance capitale dans le roman puisque Mlle Vatnaz par ses opinions affirmées encourage Frédéric à se présenter aux élections et Rosanette lui offre elle son plus beau moment de bonheur (du moins le ressent-on comme çà) lorsqu’ils partent tous les deux en promenade durant quelques jours hors de Paris ensanglanté par la révolution. Mais on sait que Frédéric est un velléitaire, incapable de choisir. Il renoncera au combat politique et rompra avec la mère de son enfant [1]. Les personnages de l’Education sentimentale répondent à ce type de caractérisation antinomique afin de mieux mettre en évidence les multiples indécisions du personnage principal. J’allais dire que Flaubert tient tous les discours à la fois sans pouvoir choisir lui-même ; c’est ce qui fait que ce roman si extraordinaire ouvre la voie entre autre à Proust.

Dans son ouvrage consacré à Flaubert, Les règles de l’art, Pierre Bourdieu analyse le processus créatif de l’auteur (extrait du prologue “Flaubert analyste de Flaubert”) : « A travers le personnage de Frédéric et la description de sa position dans l’espace social, Flaubert livre la formule génératrice qui est au principe de sa propre création romanesque : la relation de double refus des positions opposées dans les différents espaces sociaux et des prises de position correspondantes qui est au fondement d’une relation de distance objectivante à l’égard du monde social. “Frédéric, pris entre deux masses profondes, ne bougeait pas, fasciné d’ailleurs et s’amusant extrêmement. Les blessés qui tombaient, les morts étendus n’avaient pas l’air de vrais blessés, de vrais morts. Il lui semblait assister à un spectacle” (ES). On pourrait recenser d’innombrables attestations de ce “neutralisme esthète” : “Je ne m’apitoie pas davantage sur le sort des classes ouvrières actuelles que sur les esclaves antiques qui tournaient la meule, pas plus ou tout autant. Je ne suis pas plus moderne qu’ancien, pas plus Français que Chinois” (Flaubert, lettre à Louise Colet, 26 août 1846). “Il n’y a pour moi dans le monde que les beaux vers, les phrases bien tournées, harmonieuses, chantantes, les beaux couchers de soleil, les clairs de lune, les tableaux colorés, les marbres antiques et les têtes accentuées. Au-delà, rien. J’aurais mieux aimé être Talma que Mirabeau parce qu’il a vécu dans une sphère de beauté plus pure. Les oiseaux en cage me font tout autant de pitié que les peuples en esclavage. De toute la politique, il n’y a qu’une chose que je comprenne, c’est l’émeute. Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité ou rien, c’est la même chose” (G. F., lettre à Louise Colet, 6-7 août 1846). A George Sand, qui excite sa verve nihiliste, Flaubert écrit : “Ah ! comme je suis las de l’ignoble ouvrier, de l’inepte bourgeois, du stupide paysan et de l’odieux ecclésiastique ! C’est pourquoi je me perds, tant que je peux, dans l’antiquité” (G. F., lettre à George Sand, 6 septembre 1871). Ce double refus est sans doute aussi au principe de tous ces couples de personnages qui fonctionnent comme des schèmes générateurs du discours romanesque, Henry et Jules de la première Education sentimentale, Frédéric et Deslauriers, Pellerin et Delmar dans l’Education, etc. Il s’affirme encore dans le goût pour les symétries et les antithèses (particulièrement visible dans les scénarios de Bouvard et Pécuchet publiés par Demorest), antithèses entre choses parallèles et parallèles entre choses symétriques, et surtout pour les trajectoires croisées qui conduisent tant de personnages de Flaubert d’un extrême à l’autre du champ du pouvoir (...). Tout porte à croire que le travail d’écriture (“les affres du style”, qu’évoque si souvent Flaubert) vise d’abord à maîtriser les effets incontrôlés de l’ambivalence de la relation envers tous ceux qui gravitent dans le champ du pouvoir. Cette ambivalence que Flaubert a en commun avec Frédéric (en qui il l’objective), et qui fait qu’il ne peut jamais s’identifier complètement à aucun de ses personnages, est sans doute le fondement pratique de la vigilance extrême avec laquelle il contrôle la distance inhérente à la situation du narrateur. Le souci d’éviter la confusion des personnes à laquelle succombent si souvent les romanciers (lorsqu’ils placent leurs pensées dans l’esprit des personnages), et de maintenir une distance jusque dans l’identification dérisoire de la compréhension véritable, me paraît être la racine commune de tout un ensemble de traits stylistiques repérés par différents analystes ... »

Si Flaubert faisait tenir à la Vatnaz des propos qu’il ne partage pas pour montrer toute le ridicule de son engagement le romancier serait un simple pamphlétaire : en caricaturant le personnage qui exprime des idées qui lui sont contraire, l’auteur utiliserait un procédé assez éloigné, il faut bien le dire, de l’écriture qu’il se veut entreprendre. Bourdieu le dit bien, Flaubert tout comme Frédéric fait preuve d’un neutralisme esthète [2]. Si Flaubert exprime son indifférence aux problèmes sociaux, politiques, et même artistiques de son temps ce n’est pas pour dénoncer la bêtise de ses contemporains. Je cite un autre passage du livre de Bourdieu (lorsqu’il parle des analystes du style de Flaubert) : « l’usage délibérément ambigu de la citation (...) peut avoir valeur de ratification ou de dérision, et exprimer à la fois l’hostilité et l’identification ; l’enchaînement savant du style direct, du style indirect et du style indirect libre (...) permet de faire varier de manière infiniment subtile la distance entre le sujet et l’objet du récit et le point de vue du narrateur sur le point de vue des personnages ». Autrement dit, il devient difficile d’affirmer, dans le roman, que Flaubert dénonce les travers du socialisme et du féminisme à travers les propos de la Vatnaz dont il ne partage pas les points de vue. La relation auteur-personnage ne peut être aussi réductrice. Je pense à une lettre de Dostoïevski dans laquelle il exprime son rejet du nihilisme. Cela ne signifie pas pour autant que Ivan ou Stravoguine sont rendus bêtes pour la simple raison qu’ils ne partagent pas les idées de l’auteur. L’écrivain ne choisit pas véritablement entre les voix de ses personnages, tout au plus l’une d’elles, pourrait-on dire, lui est davantage familière. La polyphonie qu’il nous donne entendre constitue le support même de l’écriture romanesque qui ne peut à aucun moment se réduire à la monodie de la correspondance quelque soit les opinions de l’auteur qu’elle recèle. Chacun des personnages de L’Education sentimentale exprime une opinion conformément au champ social auquel il appartient, et l’ensemble de ces champs représente le présent de l’époque que Flaubert ne parvient pas à prendre au sérieux (« le présent dans sa présence insistante, et, par là, terrifiante », Bourdieu). Il crée dès lors par le biais du roman, et non par celui de sa correspondance, un personnage suffisamment proche mais aussi distant de lui, personnage qui lui prend la fiction au sérieux. Mais Flaubert lui peut, à la différence de Frédéric, écrire une oeuvre. Il y a certes un côté ridicule dans tous les protagonistes de l’Education sentimentale, y compris chez Frédéric, bien sûr, et ce malgré les drames qu’ils vivent, mais cet aspect du personnage romanesque est une composante essentielle, bien analysée par Bahktine, du roman moderne. Ses illusions révèlent ainsi un être comico-tragique (comme l’était déjà Don Quichotte). Cette image ambivalente du personnage oscillant entre bouffonnerie et tragédie le rend si proche de nous que la réalité fusionne dès lors étrangement avec la fiction.

André-Michel BERTHOUX

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