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Gustave Flaubert / 1821 - 1880

Dictionnaire des Idées Reçues

Le Dictionnaire des idées reçues, publié à titre posthume en 1913, est un texte peu connu dans lequel Flaubert s’amuse et nous amuse en raillant la sottise des idées préconçues. Fruit de notes accumulées pendant de nombreuses années, il offre un large florilège de telles idées ou des automatismes de langage : le flegme est toujours imperturbable, les félicitations sincères ou cordiales, l’incapacité notoire, le radeau de la Méduse, et l’esplanade des Invalides... L’humour de certaines définitions annonce Pierre Dac, ainsi de l’exception : « dites qu’elle confirme la règle, ne vous risquez pas à expliquer comment », ou du déicide : « s’indigner contre, bien que le crime ne soit pas fréquent ».

« Il faudrait que, dans tout le cours du livre,
il n'y eût pas un mot de mon cru, et qu'une fois qu'on l'aurait lu on n'osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s'y trouvent. ».


« J'ai quelquefois des prurits atroces d'engueuler les humains et je le ferai à quelque jour, dans dix ans d'ici, dans quelque long roman à cadre large ; en attendant , une vieille idée m'est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (sais-tu ce que c'est ?). La préface surtout m'excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre), aucune loi ne pourrait me mordre quoique j'y attaquerais tout. Ce serait la glorification historique de tout ce qu'on approuve? J'y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort. J'immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées. Ainsi, pour la littérature, j'établirais, ce qui serait facile, que le médiocre, étant à portée de tous, est le seul légitime et qu'il faut donc honnir toute espèce d'originalité comme dangereuse, sotte, etc. Cette apologie de la canaillerie humaine sous toutes ses faces, ironique et hurlante d'un bout à l'autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes effrayants (ce serait facile), est dans le but, dirais-je, d'en finir une fois pour toutes avec les excentricités, quelles qu'elles soient. Je rentrerais par là dans l'idée démocratique d'égalité, dans le mot de Fourier que les grands hommes deviendront inutiles ; et c'est dans ce but, dirais-je que ce livre est fait. On y trouverait donc, par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, tout ce qu'il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable.
Ainsi on trouverait :
ARTISTES : sont tous désintéressés.
LANGOUSTE : femelle du homard.
FRANCE : veut un bras de fer pour être régie.
BOSSUET : est l'aigle de Meaux.
FENELON : est le cygne de Cambrai.
NEGRESSES : sont plus chaudes que les blanches.
ERECTION : ne se dit qu'en parlant des monuments, etc.
Je crois que l'ensemble serait formidable comme plomb. Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n'y eût pas un seul mot de mon cru, et qu'une fois qu'on l'aurait lu on n'osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s'y trouvent. »

A Louise Colet. 16 décembre 1852.

« Dans quelle fange morale ! dans quel abîme de bêtise l'époque patauge ! Il me semble que l'idiotisme de l'humanité arrive à son paroxysme. Le genre humain, comme un tériaki saoûl d'opium, hoche la tête en ricanant, et se frappe le ventre, les yeux fixés par terre. - Ah ! je hurlerai à quelque jour une vérité si vieille qu'elle scandalisera comme une monstruosité. Il y a des jours où la main me démange d'écrire cette préface des Idées reçues. »

A Louise Colet. 20 avril 1853.

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