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Gustave Flaubert / 1821 - 1880

Bouvard et Pécuchet

Bouvard et Pécuchet


« Tout cela dans l'unique but de cracher sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent ».

Résumé

S'étant rencontrés par hasard, deux copistes, Bouvard et Pécuchet, se sont liés d'amitié. Un héritage imprévu leur permet de réaliser leur rêve : se retirer à la campagne, dans une propriété qu'ils comptent exploiter eux-mêmes. Mais c'est l'échec.

Voulant en comprendre les causes, ils se lancent tour à tour dans l'étude de chacune des sciences, puis dans l'archéologie et dans l'histoire, avant de se tourner vers la littérature, la politique, la gymnastique, et de vouloir comprendre l'amour, la magie, la philosophie, la religion et l'éducation.

Leur quête inlassable ayant à chaque fois tourné à la catastrophe, ils décident finalement de se remettre à la copie, et de constituer ainsi un florilège des bêtises de l'humanité.

Bouvard et Pécuchet est un roman français inachevé de Gustave Flaubert, publié en 1881, à titre posthume.

Par une chaude journée d'été, à Paris, deux hommes, Bouvard et Pécuchet, se rencontrent et font connaissance. Ils découvrent que, non seulement ils exercent le même métier (copiste), mais en plus ils ont les mêmes centres d'intérêts. S'ils le pouvaient, ils aimeraient vivre à la campagne. Un héritage fort opportun va leur permettre de changer de vie. Ils reprennent une ferme dans le Calvados, non loin de Caen et se lancent dans l'agriculture. Leur incapacité à comprendre va n'engendrer que des désastres. De la même manière, ils vont s'intéresser à la médecine, à la chimie, la géologie, la politique avec les mêmes résultats. Lassés par tant d'échecs, ils retournent à leur métier de copiste.

Commentaire

Gustave FlaubertLe projet de ce roman remonte à 1872, puisque l'auteur en fait part à George Sand, dans un courrier où il affirme son intention comique. Dès cette époque, il songe à écrire une vaste raillerie sur la vanité de ses contemporains. Entre l'idée et la rédaction interrompue par sa mort il aura eu le temps de collecter une impressionnante documentation : on avance le chiffre de mille cinq cents livres[1]. Lors de l'écriture, Flaubert avait songé au sous-titre : « encyclopédie de la bêtise humaine » et c'est effectivement en raison du catalogue qu’il nous en propose que le roman est célèbre. Le comique vient de la frénésie des deux compères, à tout savoir, tout expérimenter, et surtout leur incapacité à comprendre correctement. Le roman que nous connaissons ne constitue que la première partie du plan. L'accueil fut réservé, mais certains le considèrent comme un chef-d'œuvre[1].

L'écriture de Bouvard et Pécuchet

« Sacré nom de Dieu ! il faut se raidir et emmerder l'humanité qui nous emmerde ! Oh ! je me vengerai ! je me vengerai ! Dans 15 ans d'ici, j'entreprendrai un grand roman moderne ou j'en passerai en Revue ! »

A Louise Colet. 28 juin 1853.

« Je sens contre la bêtise de mon époque des flots de haine qui m'étouffent. Il me monte de la merde à la bouche, comme dans les hernies étranglées. Mais je veux la garder, la figer, la durcir. j'en veux faire une pâte dont je barbouillerais le XIXe siècle, comme on dore de bougée de vache les pagodes indiennes. »

A Louis Bouilhet. 30 septembre 1855.

« Je suis attiré par l'histoire de mes cloportes. - Dont j'ai aussi travaillé le plan. Celui-là, il est bon, j'en suis sûr ! malgré des difficultés effroyables pour varier la monotonie de l'effet. - Mais je me ferai chasser de France et de l'Europe si j'écris ce bouquin-là !. »

A Jules Duplan. 2 avril 1863.

« C'est l'histoire de ces deux bonshommes qui copient, une espèce d'encyclopédie critique en farce. Vous devez en avoir une idée ? Pour cela, il va me falloir étudier beaucoup de choses que j'ignore : la chimie, la médecine, l'agriculture. Je suis maintenant dans la médecine. - Mais il faut être fou et triplement frénétique pour entreprendre un pareil bouquin ! »

A Edma Roger des Genettes. 19 août 1872.

« Car je commence mes grandes lectures pour Bouvard et Pécuchet. Je t'avouerai que le plan, que j'ai relu hier soir après mon dîner, m'a semblé superbe, mais c'est une entreprise écrasante et épouvantable. »

A sa nièce Caroline. 22 août 1872.

« J'avale force volumes et je prends des notes. Il va en être ainsi pendant deux ou trois ans, après quoi je me mettrai à écrire. Tout cela dans l'unique but de cracher sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent. Je vais enfin dire ma manière de penser, exhaler mon ressentiment, vomir ma haine, expectorer mon fiel, éjaculer ma colère, déterger mon indignation. - Et je dédierai mon bouquin aux Mânes de saint Polycarpe. »

A Léonie Braine. 5 octobre 1872.

« Moi, je lis du matin au soir, sans désemparer, en prenant des notes pour un formidable bouquin qui va me demander cinq ou six ans. Ce sera une espèce d'encyclopédie de la Bêtise moderne ? Vous voyez que le sujet est illimité. »

A Adèle Perrot. 17 octobre 1872.

« Mais avant de crever, ou plutôt en attendant une crevaison, je désire « vuider » le fiel dont je suis plein. Donc je prépare mon vomissement. Il sera copieux et amer, je t'en réponds. »

A Ernest Feydau. 28 octobre 1872.

« Je ne suis pas sûr du tout d'écrire de bonnes choses, ni que le livre que je rêve maintenant puisse être bien fait. - Ce qui ne m'empêche pas de l'entreprendre. Je crois que l'idée en est originale, rien de plus. Et puis comme j'espère cracher là-dedans le fiel qui m'étouffe, c'est-à-dire émettre quelques vérités, j'espère par ce moyen me purger et être ensuite plus Olympien. »

A George Sand. 12 décembre 1872.

« Merci, mon cher vieux, pour vos deux élucubrations agricoles, qui me semblent à première vue splendides de bêtise.
Vous me demandez si je ne suis pas effrayé par le développement d'icelle (la bêtise), mais, mon bon, je ne fais pas autre chose que de vouloir en montrer, en décrire l'étendue. La moralité de votre ami consiste en cela !
Je crois que le problème social consiste à la refouler au second plan ; quant à l'anéantir, c'est impossible. En attendant, nous n'avons qu'une chose à faire : l'analyser.»

A Frédéric Baudry. 8 juin 1874.

« Le samedi 1er août, je commence, enfin, Bouvard et Pécuchet ! Je m'en suis fait le serment ! Il n'y a plus à reculer ! Mais quelle peur j'éprouve ! Quelles transes ! Il me semble que je vais m'embarquer pour un très grand voyage vers des régions inconnues et que je n'en reviendrai pas.
Malgré l'immense respect que j'ai pour votre sens critique (car chez vous le Jugeur est au niveau du Producteur, ce qui n'est pas peu dire) je ne suis point de votre avis sur la manière dont il faut prendre ce sujet-là. S'il est traité brièvement, d'une façon concise et légère, ce sera une fantaisie plus ou moins spirituelle, mais sans portée et sans vraisemblance, tandis qu'en détaillant et en développant, j'aurai l'air de croire à mon histoire, et on peut en faire une chose sérieuse et même effrayante. Le grand danger est la monotonie et l'ennui. Voilà bien ce qui m'effraie cependant...
Et puis, il sera toujours temps de serrer, d'abréger. D'ailleurs il m'est impossible de faire une chose courte. Je ne puis exposer une idée sans aller jusqu'au bout. »

A Ivan Tourgueneff. 29 juillet 1874.

« Je patauge, je rature, je me désespère. J'en ai eu, hier au soir, un violent mal d'estomac. Mais ça ira, il faut que ça aille. N'importe ! les difficultés de ce livre-là sont effroyables. Je suis capable d'y crever à la peine ? L'important, c'est qu'il va m'occuper de longues années. Tant qu'on travaille, on ne songe point à son misérable individu. »

A sa nièce Caroline. 6 août 1874.

« Au mois d'août, je me suis mis à mon bouquin dont les premières pages m'ont semblé impossibles. J'ai cru un moment que je ne pourrais pas continuer ! et ma désolation était indescriptible ! mais enfin, j'y suis, ça va ! (en attendant quelque désespoir nouveau). Si je mène à bien une pareille oeuvre, la terre ne sera pas digne de me porter ! mais j'ai peur de faire un four absolu. C'est abominable d'éxécution !. »

A Edma Roger des Genettes. 26 septembre 1874.

« L'introduction est faite. C'est bien peu comme nombre de pages, mais enfin je suis en route ! ce qui n'était pas commode. Mais quel livre ! Hier au soir, à minuit, j'en suais à grosses gouttes, bien que ma fenêtre fût ouverte. Le difficile dans un sujet pareil, c'est de varier les tournures. Si je réussis, ce sera, sérieusement parlant, le comble de l'Art. »

A sa nièce Caroline. 15 octobre 1874.

« Bouvard et Pécuchet m'emplissent à un tel point que je suis devenu eux ! Leur bêtise est mienne et j'en crève. Voilà peut-être l'explication.
Il faut être maudit pour avoir l'idée de pareils bouquins ! J'ai enfin terminé le 1er chapitre et préparé le second, qui comprendra la chimie, la médecine, et la géologie, tout cela devant tenir en 30 pages ! et avec des personnages secondaires, car il faut un semblant d'action, une espèce d'histoire continue pour que la chose n'ait pas l'air d'une dissertation philosophique. Ce qui me désespère, c'est que je ne crois plus à mon livre. La perspective de ses difficultés m'écrase d'avance. Il est devenu pour moi un pensum. »

A Edma Roger des Genettes. 15 avril 1875.

« Quant à moi, ça ne va pas ! Ça ne va pas du tout ! B. et P. sont restés en plan. Je me suis lancé dans une entreprise absurde. Je m'en aperçois maintenant, et j'ai peur d'en rester là. Je crois que je suis vuidé.»

A Ivan Tourgueneff. 3 juillet 1875.

« Ce sacré bopuquin me fait vivre dans le tremblement. Il n'aura de signification que par son ensemble. Aucun morceau, rien de brillant, et toujours la même situation, dont il faut varier les aspects. J'ai peur que ce ne soit embêtant à crever. »

A Emile Zola. 5 octobre 1877.

« L'ouvrage que je fais pourrait avoir comme sous-titre "Encyclopédie de la bêtise humaine". L'entreprise m'accable et mon sujet me pénètre. »

A Raoul-Duval. mi février 1879.

« B. & P. m'épuisent. Je n'ai plus que quatre pages pour avoir fini mon chapitre de la Philosophie - Après quoi, je commencerai l'avant-dernier chapitre. Ces deux derniers me mèneront jusqu'au mois de mars ou d'avril. Puis, restera le second volume. Bref, dans un an, j'y serai encore attelé. Il faut avoir le génie de l'ascétisme pour s'infliger de pareilles besognes ! En de certains jours, il me semble que je suis saigné aux quatre membres et que ma crevaison est imminente. Puis je rebondis et je vais quand même. Voilà. »

A Ivan Tourgueneff. 9 août 1879.

« Ce que c'est ? Cela est difficile à dire en peu de mots. Le sous-titre serait : Du défaut de méhode dans les sciences. Bref, j'ai la prétention de faire une revue de toutes les idées modernes. Les femmes y tiennent peu de place, et l'amour aucune. Votre américain a été mal renseigné. Je crois que le public n'y comprendra pas grand chose. Ceux qui lisent un livre pour savoir si la baronne épousera le vicomte seront dupés, mais j'écris à l'intention de quelques raffinés. Peut-être sera-ce une lourde sottise ? A moins que ce ne soit quelque chose de très fort ? Je n'en sais rien ! et je suis rongé de doutes, accablé de fatigue. »

A Madame Tennant. 16 décembre 1879.

« Maintenant je suis perdu dans les systèmes d'éducation - y compris les moyens de prévenir l'onanisme ! Grande question ! Plus je vais, plus je trouve farce l'importance que l'on donne aux organes uro-génitaux. Il serait temps d'en rire, non pas des organes, mais de ceux qui veulent coller dessus toute la moralité humaine. »

A Ivan Tourgueneff. 4 mars 1880.

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