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Gustave Flaubert / 1821 - 1880

Le Candidat

Le Candidat


Résumé :

Rousselin est prêt à tout pour devenir député. Même à changer plusieurs fois d'étiquette politique et de partisans. Même à se laisser duper par les électeurs madrés de sa province. Même à promettre tout ce qu'on voudra. Même à intriguer pour ou contre les intriguants, c'est selon. Même à vendre sa fille et à tolérer l'inconduite de sa femme...


L'écriture du Candidat

« Comme j'avais pris l'habitude, pendant six semaines, de voir les choses théâtralement, de penser par le dialogue, ne voilà-t-il pas que je me suis mis à construire le plan d'une autre pièce ! laquelle a pour titre : le Candidat. Mon plan écrit occupe vingt pages. Mais je n'ai personne à qui le montrer. »

A George Sand. 20 juillet 1873.

« En admettant que le Candidat soit réussi, jamais aucun gouvernement ne voudra le laisser jouer, parce que j'y roule dans la fange tous les partis. Cette considération m'excite. Tel est mon caractère. Mais il me tarde d'en avoir fini avec le théâtre. C'est un art trop faux, on n'y peut rien dire de complet. »

A Marie Régnier. juillet-août 1873.

« Comme j'étais en veine dramatique, je me suis mis, après m'être débarrassé du Sexe faible, à faire le scénario d'une grande comédie politique ayant pour titre : le Candidat. Si jamais je l'écris et qu'elle soit jouée, je me ferai déchirer par la populace, bannir par le Pouvoir, maudire par le clergé, etc. Ce sera complet, je vous en réponds ! Cette idée-là m'a occupé un mois, et mon plan remplit presque trente pages. »

A Edma Roger des Genettes. 4 août 1873.

« J'ai passé toute la journée d'hier avec Carvalho. - Nous cherchons des acteurs. Il n'est pas besoin de te cacher que je lui ai lu le plan du Candidat ! Enthousiasme dudit Carvalho, qui m'a prié de lui permettre de l'annoncer ! Ce que j'ai formellement refusé. Là-dessus, je suis inflexible. »

A sa nièce Caroline. 15 août 1873.

« Sache que j'ai fini le 1er acte du Candidat, dimanche dernier à 3 h 1/2 du matin ! »

A sa nièce Caroline. 24 septembre 1873.

« Et puis le style théâtral commence à m'agacer. Ces petites phrases courtes, ce pétillement continue m'irrite à la manière de l'eau de Seltz, qui d'abord fait plaisir et qui ne tarde pas à vous sembler de l'eau pourrie. D'ici au mois de janvier, je vais donc dialoguer le mieux possible, après quoi, bonsoir ; je reviens à des choses sérieuses. »

A George Sand. 30 octobre 1873.

« Il me tarde d'être sorti de l'Art dramatique. Ce travail fiévreux et pressé me tord les nerfs comme des cordes à violon. - J'ai peur, par moments, que l'instrument n'éclate. »

A la Princesse Mathilde. 12 novembre 1873.

« Le Candidat marche d'un train effroyable : je l'aurai fini, sans aucun doute, avant huit jours. »

A sa nièce Caroline. 17 novembre 1873.

« Eh bien, moi, j'ai fini le Candidat ! Oui, Madame ! et je crois que le Ve acte n'est pas le plus mauvais ? Mais je suis bien éreinté. (...) Il était temps que je m'arrête, ou arrêtasse. Le plancher des appartements commençait à remuer sous moi comme le pont d'un navire, et j'avais en permanence une violente oppression. Je connais cela, qui veut dire : « assez ! »

A sa nièce Caroline. 22 novembre 1873.

« Carvalho est arrivé samedi à 4 heures. - Embrassade suivant les us des gens du théâtre. A 5 heures moins dix minutes a commencé la lecture du Candidat, qu'il n'a interrompue que par des éloges. Ce qui l'a le plus frappé, c'est le 5e acte, et, dans cet acte, une scène ou Rousselin a des sentiments religieux, ou plutôt superstitieux. - Nous avons dîné à 8 heures et nous nous sommes couchés à deux.
Le lendemain, nous avons repris la pièce, et alors ont commencé les critiques : elles m'ont exaspéré, non pas qu'elles ne fussent, pour la plupart, très judicieuses, mais l'idée de retravailler le même sujet me causait un sentiment de révolte et de douleur indicible. - Note que notre discussion a duré tout le dimanche, jusqu'à 2 heures du matin ! et que ce jour-là j'avais les Lapierre à dîner ! Ah ! je me suis peu diverti ! Pour dire le vrai, il y a peu de jours dans ma vie où j'aie autant souffert. Je parle très sérieusement, et Dieu sait combien je me suis contenu ! Carvalho, accoutumé à des gens plus commodes (parce qu'ils sont moins consciencieux), en était tout ébahi. Et, franchement, il est patient !
Les changements qu'il me demandait, à l'heure qu'il est, sont faits, sauf un. - Donc, ce n'était ni long ni difficile. N'importe ! ça m'a bouleversé. Il y a un point sur lequel je n'ai pas cédé. Il voulait que je profitasse « de mon style » pour faire deux ou trois gueulades violentes. Ainsi, à propos de Julien, une tirade contre les petits journaux de Paris. Bref, le bon Carvalho demande du scandale. Nenni ! je ne me livrerai pas aux tirades qu'il demande, parce que je trouve cela facile et canaille. C'est en dehors de mon sujet ! C'est anti-esthétique ! Je n'en ferai rien !
En résumé, le 2e et le 3e acte sont fondus en un seul (je n'ai enlevé qu'une scène), et la pièce aura 4 actes. L'Oncle Sam ne dépassera pas les premiers jours de février. Carvalho voulait même me remmener avec lui à Paris. Toutes mes corrections seront faites demain ou après-demain.
Donc, vers la fin de la semaine prochaine, je fermerai Croisset et j'irai là-bas. - Je suis, d'avance, énervé de tout ce que je vais subir ! et je regrette, maintenant d'avoir composé une pièce ! On devrait faire de l'art exclusivement pour soi : on n'en aurait que les jouissances. Mais, dès qu'on veut faire sortir son oeuvre du « silence du cabinet » on souffre trop, surtout quand on est, comme moi, un véritable écorché. Le moindre contact me déchire. je suis, plus que jamais, irascible, intolérant, insociable, exagéré, Saint-Polycarpien. Ce n'est pas à mon âge qu'on se corrige ! »

A sa nièce Caroline. 2 décembre 1873.

« Votre vieil ami a lu hier aux comédiens du Vaudeville le Candidat, qui a paru leur faire UN GRAND EFFET. Le 1er acte a visiblement amusé. Au milieu du second, l'intérêt a faibli. Mais le 3e était à chaque minute interrompu par les éclats de rire et les bravos, et le 4e a « enlevé tous les suffrages. »
Mon manuscrit est maintenant à la Censure, et les répétitions commencent la semaine prochaine. Je me torture la cervelle pour trouver le moyen d'alléger le second acte ! Il est trop tard, j'en ai peur ? »

A Edma Roger des Genettes. 12 décembre 1873.

« Les répétitions du Candidat sont commencées, et la chose paraîtra sur les planches au mois de février. Carvalho m'en à l'air très-content ! Néanmoins, il a tenu à me faire fondre deux actes en un seul, ce qui rend le premier acte d'une longueur démesurée - J'ai exécuté ce travail en deux jours et le Cruchard a été beau ! Il a dormi sept heures en tout, depuis jeudi matin, jour de Noël, jusqu'à samedi, et il ne s'en porte que mieux. »

A George Sand. 31 décembre 1873.

« Mon Bourreau,
Comme vous avez l'habitude de me couper la parole avant que je n'aie desserré les lèvres, je me permets de vous adresser par écrit les observations ci-dessous, que vous méditerez » dans le silence du cabinet ».
I. Depuis hier au soir, je pressure, sans discontinuer, ma pauvre cervelle, afin d'arranger la scène finale du 3e acte sans femme.
Impossible... et voici pourquoi :
Il faut : 1° qu'on voie l'accord subit de Murel et de Julien, entente qui se fait par des apartés, tandis que les deux femmes sont avec Rousselin. 2° Murel profite de l'occasion pour demander Louise officiellement. Il l'a déjà tant de fois demandée que cette demande doit différer des autres, être plus forte, plus évidente. 3° Il est indispensable de montrer l'amour de Louise ; autrement sa résistance, au 4e acte, n'aurait pas de sens et serait sans préparation. 4° Quant à l'inconvenance qu'il y a à faire cette demande dans un lieu public, elle est relevée par Mme Rousselin elle-même. 5° La présence des femmes au salon de Flore ? Mais Louise dit que c'est une ruse d'elle, pour parler à Murel ! 6° Il faut montrer que Mme Rousselin a réussi, et qu'elle mène son mari par le nez. On ne la verra plus, c'est bien le moins qu'elle paraisse une dernière fois. 7° Raison majeure : sans femme, l'acte est triste comme peinture. Je suis, pour ma part, écoeuré par cette masse de vilains costumes, cette quantité d'hommes ; un peu de robes délassera la vue. On a fait pendant cet acte assez de vacarme, tout ne doit pas être subordonné au mouvement ou à ce qui passe comme tel. Sacrifions aux Grâces !
Enfin, mon cher ami, je ne trouve pas de moyen de changer la scène en question. Ce que j'ai fait n'est pas bon, mais ce que vous me proposez est pire. De cela, je suis sûr.
Je vais aujourd'hui tâcher de mettre en scène, moi-même cette fin d'acte. Nous verrons ce qui en résultera. Vous conviendrez que vous n'avez même pas essayé de voir ce qu'elle donnerait.
(...)
Je suis arrivé à la Censure avec une physionomie et un caractère tout nouveau. Les sieurs de Bauplan et Hallays ne m'ont pas reconnu. L'ombre de Flaubert a proféré quelques sons... confus... et a tout accordé, tout concédé, par lassitude, dégoût, avachissement, et pour en finir. Ah ! c'est une jolie école de démoralisation que le théâtre ! »

A Léon Carvalho. 9 janvier 1874.

« Quant au Candidat, il sera joué, je pense, du 20 au 25 de ce mois. Comme cette pièce m'a coûté très peu d'efforts et que je n'y attache pas grande importance, je suis assez calme sur le résultat.
Le départ de Carvallho m'a contrarié et inquiété pendant quelques jours. Mais son successeur Cormon est plein de zèle. Je n'ai jusqu'à présent qu'à me louer de lui, comme de tous les autres du reste. Les gens du Vaudeville sont charmants. Votre vieux troubadour que vous vous figurez agité et continuellement furieux est doux comme un mouton et même débonnaire ! J'ai fait d'abord, tous les changements qu'on a voulus. Puis on a reconnu qu'ils étaient imbéciles, et on a rétabli le texte primitif. Mais j'ai, de moi-même, enlevé ce qui me semblait trop long. - Et ça va bien, très bien. Delannoy et Saint Germain ont des binettes excellentes et jouent comme des anges. Je crois que ça ira.
Une chose m'embête. La Censure a abîmé un rôle de petit gandin légitimiste, de sorte que la pièce, conçue dans un esprit d'impartialité stricte, doit maintenant flatter les Réactionnaires ? effet qui me désole ; car je ne veux complaire aux passions politiques de qui que ce soit, ayant comme vous savez la haine essentielle de tout dogmatisme, de tout parti. »

A George Sand. 7 février 1874.

« Ma première n'a lieu que mercredi 11. La répétition générale mardi.
C'est à grand-peine que j'ai pu vous faire inscrire pour deux strapontins.
Je crève de rage. »

A Edmond Laporte. 6 mars 1874.

« Pour être un Four, c'en est un ! Ceux qui veulent me flatter prétendent que la pièce remontera devant le vrai public, mais ne n'en crois rien !
Mieux que personne je connais les défauts de ma pièce. Si Carvalho ne m'avait point, durant un mois, blasé dessus avec des corrections imbéciles (que j'ai enlevées) j'aurais fait des retouches ou plutôt des changements qui eussent peut-être modifié l'issue finale. Mais j'en étais tellement écoeuré que pour un million je n'aurais pas changé une ligne. Bref je suis enfoncé.
Il faut dire aussi que la salle était détestable. Tous gandins et boursiers qui ne comprenaient pas le sens matériel des mots. On a pris en blague des choses poétiques. Un poète dit : « C'est que je suis de 1830, j'ai appris à lire dans Hernani et j'aurais voulu être Lara. » Là-dessus, une salve de rires ironiques ! etc.
Et puis, j'ai dupé le public à cause du titre. Il s'attendait à un autre Ragabas ! Les conservateurs ont été fâchés de ce que je n'attaquais pas les républicains. De même les communards eussent souhaité quelques injures aux légitimistes.
Mes acteurs ont supérieurement joué, Saint-Germain entre autres. Delannoy qui porte toute la pièce est désolé. Et je ne sais comment faire pour adoucir sa douleur.
Quant à Cruchard, il est calme, très calme ! Il avait très bien dîné avant la représentation et après la représentation il a encore mieux soupé. Menu : 2 douzaines d'Ostende, une bouteille de champagne frappé, 3 tranches de roastbeef, une salade de truffes, café et pousse-café.
J'avoue qu'il m'eût été agréable de gagner quelque argent - Mais comme ma chute n'est ni une affaire d'art ni une affaire de sentiment, je m'en bats l'oeil profondément. »

A George Sand. 12 mars 1874.

« Comme il aurait fallu lutter et que Cruchard a en horreur l'action, j'ai retiré ma pièce sur 5 mille francs de location ! tant pis ! je ne veux pas qu'on siffle mes acteurs. Le soir de la seconde, quand j'ai vu Delannoy rentrer dans la coulisse avec les yeux humides, je me suis trouvé criminel et me suis dit : « assez ! »

A George Sand. 15 mars 1874.

« Je crois, quoi que vous en disiez, que le sujet était bon. Mais je l'ai raté. - Pas un des critiques ne m'a montré en quoi. - Moi, je le sais. »

A George Sand. 8 avril 1874.

Le Candidat : Texte intégral

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