Le Candidat
Résumé :
Rousselin est prêt à
tout pour devenir député. Même à changer
plusieurs fois d'étiquette politique et de partisans. Même
à se laisser duper par les électeurs madrés de
sa province. Même à promettre tout ce qu'on voudra. Même
à intriguer pour ou contre les intriguants, c'est selon. Même
à vendre sa fille et à tolérer l'inconduite de
sa femme...
L'écriture du Candidat
« Comme j'avais pris l'habitude,
pendant six semaines, de voir les choses théâtralement,
de penser par le dialogue, ne voilà-t-il pas que je me suis mis
à construire le plan d'une autre pièce ! laquelle a pour
titre : le Candidat. Mon plan écrit occupe vingt pages. Mais
je n'ai personne à qui le montrer. »
A George Sand. 20 juillet 1873.
« En admettant que le Candidat
soit réussi, jamais aucun gouvernement ne voudra le laisser jouer,
parce que j'y roule dans la fange tous les partis. Cette considération
m'excite. Tel est mon caractère. Mais il me tarde d'en avoir
fini avec le théâtre. C'est un art trop faux, on n'y peut
rien dire de complet. »
A Marie Régnier. juillet-août
1873.
« Comme j'étais
en veine dramatique, je me suis mis, après m'être débarrassé
du Sexe faible, à faire le scénario d'une grande comédie
politique ayant pour titre : le Candidat. Si jamais je l'écris
et qu'elle soit jouée, je me ferai déchirer par la populace,
bannir par le Pouvoir, maudire par le clergé, etc. Ce sera complet,
je vous en réponds ! Cette idée-là m'a occupé
un mois, et mon plan remplit presque trente pages. »
A Edma Roger des Genettes. 4
août 1873.
« J'ai passé toute
la journée d'hier avec Carvalho. - Nous cherchons des acteurs.
Il n'est pas besoin de te cacher que je lui ai lu le plan du Candidat
! Enthousiasme dudit Carvalho, qui m'a prié de lui permettre
de l'annoncer ! Ce que j'ai formellement refusé. Là-dessus,
je suis inflexible. »
A sa nièce Caroline.
15 août 1873.
« Sache que j'ai fini le
1er acte du Candidat, dimanche dernier à 3 h 1/2 du matin ! »
A sa nièce Caroline.
24 septembre 1873.
« Et puis le style théâtral
commence à m'agacer. Ces petites phrases courtes, ce pétillement
continue m'irrite à la manière de l'eau de Seltz, qui
d'abord fait plaisir et qui ne tarde pas à vous sembler de l'eau
pourrie. D'ici au mois de janvier, je vais donc dialoguer le mieux possible,
après quoi, bonsoir ; je reviens à des choses sérieuses.
»
A George Sand. 30 octobre 1873.
« Il me tarde d'être
sorti de l'Art dramatique. Ce travail fiévreux et pressé
me tord les nerfs comme des cordes à violon. - J'ai peur, par
moments, que l'instrument n'éclate. »
A la Princesse Mathilde. 12
novembre 1873.
« Le Candidat marche d'un
train effroyable : je l'aurai fini, sans aucun doute, avant huit jours.
»
A sa nièce Caroline.
17 novembre 1873.
« Eh bien, moi, j'ai fini
le Candidat ! Oui, Madame ! et je crois que le Ve acte n'est pas le
plus mauvais ? Mais je suis bien éreinté. (...) Il était
temps que je m'arrête, ou arrêtasse. Le plancher des appartements
commençait à remuer sous moi comme le pont d'un navire,
et j'avais en permanence une violente oppression. Je connais cela, qui
veut dire : « assez ! »
A sa nièce Caroline.
22 novembre 1873.
« Carvalho est arrivé
samedi à 4 heures. - Embrassade suivant les us des gens du théâtre.
A 5 heures moins dix minutes a commencé la lecture du Candidat,
qu'il n'a interrompue que par des éloges. Ce qui l'a le plus
frappé, c'est le 5e acte, et, dans cet acte, une scène
ou Rousselin a des sentiments religieux, ou plutôt superstitieux.
- Nous avons dîné à 8 heures et nous nous sommes
couchés à deux.
Le lendemain, nous avons repris la pièce, et alors ont commencé
les critiques : elles m'ont exaspéré, non pas qu'elles
ne fussent, pour la plupart, très judicieuses, mais l'idée
de retravailler le même sujet me causait un sentiment de révolte
et de douleur indicible. - Note que notre discussion a duré tout
le dimanche, jusqu'à 2 heures du matin ! et que ce jour-là
j'avais les Lapierre à dîner ! Ah ! je me suis peu diverti
! Pour dire le vrai, il y a peu de jours dans ma vie où j'aie
autant souffert. Je parle très sérieusement, et Dieu sait
combien je me suis contenu ! Carvalho, accoutumé à des
gens plus commodes (parce qu'ils sont moins consciencieux), en était
tout ébahi. Et, franchement, il est patient !
Les changements qu'il me demandait, à l'heure qu'il est, sont
faits, sauf un. - Donc, ce n'était ni long ni difficile. N'importe
! ça m'a bouleversé. Il y a un point sur lequel je n'ai
pas cédé. Il voulait que je profitasse « de mon
style » pour faire deux ou trois gueulades violentes. Ainsi, à
propos de Julien, une tirade contre les petits journaux de Paris. Bref,
le bon Carvalho demande du scandale. Nenni ! je ne me livrerai pas aux
tirades qu'il demande, parce que je trouve cela facile et canaille.
C'est en dehors de mon sujet ! C'est anti-esthétique ! Je n'en
ferai rien !
En résumé, le 2e et le 3e acte sont fondus en un seul
(je n'ai enlevé qu'une scène), et la pièce aura
4 actes. L'Oncle Sam ne dépassera pas les premiers jours de février.
Carvalho voulait même me remmener avec lui à Paris. Toutes
mes corrections seront faites demain ou après-demain.
Donc, vers la fin de la semaine prochaine, je fermerai Croisset et j'irai
là-bas. - Je suis, d'avance, énervé de tout ce
que je vais subir ! et je regrette, maintenant d'avoir composé
une pièce ! On devrait faire de l'art exclusivement pour soi
: on n'en aurait que les jouissances. Mais, dès qu'on veut faire
sortir son oeuvre du « silence du cabinet » on souffre trop,
surtout quand on est, comme moi, un véritable écorché.
Le moindre contact me déchire. je suis, plus que jamais, irascible,
intolérant, insociable, exagéré, Saint-Polycarpien.
Ce n'est pas à mon âge qu'on se corrige ! »
A sa nièce Caroline.
2 décembre 1873.
« Votre vieil ami a lu
hier aux comédiens du Vaudeville le Candidat, qui a paru leur
faire UN GRAND EFFET. Le 1er acte a visiblement amusé. Au milieu
du second, l'intérêt a faibli. Mais le 3e était
à chaque minute interrompu par les éclats de rire et les
bravos, et le 4e a « enlevé tous les suffrages. »
Mon manuscrit est maintenant à la Censure, et les répétitions
commencent la semaine prochaine. Je me torture la cervelle pour trouver
le moyen d'alléger le second acte ! Il est trop tard, j'en ai
peur ? »
A Edma Roger des Genettes. 12
décembre 1873.
« Les répétitions
du Candidat sont commencées, et la chose paraîtra sur les
planches au mois de février. Carvalho m'en à l'air très-content
! Néanmoins, il a tenu à me faire fondre deux actes en
un seul, ce qui rend le premier acte d'une longueur démesurée
- J'ai exécuté ce travail en deux jours et le Cruchard
a été beau ! Il a dormi sept heures en tout, depuis jeudi
matin, jour de Noël, jusqu'à samedi, et il ne s'en porte
que mieux. »
A George Sand. 31 décembre
1873.
« Mon Bourreau,
Comme vous avez l'habitude de me couper la parole avant que je n'aie
desserré les lèvres, je me permets de vous adresser par
écrit les observations ci-dessous, que vous méditerez
» dans le silence du cabinet ».
I. Depuis hier au soir, je pressure, sans discontinuer, ma pauvre cervelle,
afin d'arranger la scène finale du 3e acte sans femme.
Impossible... et voici pourquoi :
Il faut : 1° qu'on voie l'accord subit de Murel et de Julien, entente
qui se fait par des apartés, tandis que les deux femmes sont
avec Rousselin. 2° Murel profite de l'occasion pour demander Louise
officiellement. Il l'a déjà tant de fois demandée
que cette demande doit différer des autres, être plus forte,
plus évidente. 3° Il est indispensable de montrer l'amour
de Louise ; autrement sa résistance, au 4e acte, n'aurait pas
de sens et serait sans préparation. 4° Quant à l'inconvenance
qu'il y a à faire cette demande dans un lieu public, elle est
relevée par Mme Rousselin elle-même. 5° La présence
des femmes au salon de Flore ? Mais Louise dit que c'est une ruse d'elle,
pour parler à Murel ! 6° Il faut montrer que Mme Rousselin
a réussi, et qu'elle mène son mari par le nez. On ne la
verra plus, c'est bien le moins qu'elle paraisse une dernière
fois. 7° Raison majeure : sans femme, l'acte est triste comme peinture.
Je suis, pour ma part, écoeuré par cette masse de vilains
costumes, cette quantité d'hommes ; un peu de robes délassera
la vue. On a fait pendant cet acte assez de vacarme, tout ne doit pas
être subordonné au mouvement ou à ce qui passe comme
tel. Sacrifions aux Grâces !
Enfin, mon cher ami, je ne trouve pas de moyen de changer la scène
en question. Ce que j'ai fait n'est pas bon, mais ce que vous me proposez
est pire. De cela, je suis sûr.
Je vais aujourd'hui tâcher de mettre en scène, moi-même
cette fin d'acte. Nous verrons ce qui en résultera. Vous conviendrez
que vous n'avez même pas essayé de voir ce qu'elle donnerait.
(...)
Je suis arrivé à la Censure avec une physionomie et un
caractère tout nouveau. Les sieurs de Bauplan et Hallays ne m'ont
pas reconnu. L'ombre de Flaubert a proféré quelques sons...
confus... et a tout accordé, tout concédé, par
lassitude, dégoût, avachissement, et pour en finir. Ah
! c'est une jolie école de démoralisation que le théâtre
! »
A Léon Carvalho. 9 janvier
1874.
« Quant au Candidat, il
sera joué, je pense, du 20 au 25 de ce mois. Comme cette pièce
m'a coûté très peu d'efforts et que je n'y attache
pas grande importance, je suis assez calme sur le résultat.
Le départ de Carvallho m'a contrarié et inquiété
pendant quelques jours. Mais son successeur Cormon est plein de zèle.
Je n'ai jusqu'à présent qu'à me louer de lui, comme
de tous les autres du reste. Les gens du Vaudeville sont charmants.
Votre vieux troubadour que vous vous figurez agité et continuellement
furieux est doux comme un mouton et même débonnaire ! J'ai
fait d'abord, tous les changements qu'on a voulus. Puis on a reconnu
qu'ils étaient imbéciles, et on a rétabli le texte
primitif. Mais j'ai, de moi-même, enlevé ce qui me semblait
trop long. - Et ça va bien, très bien. Delannoy et Saint
Germain ont des binettes excellentes et jouent comme des anges. Je crois
que ça ira.
Une chose m'embête. La Censure a abîmé un rôle
de petit gandin légitimiste, de sorte que la pièce, conçue
dans un esprit d'impartialité stricte, doit maintenant flatter
les Réactionnaires ? effet qui me désole ; car je ne veux
complaire aux passions politiques de qui que ce soit, ayant comme vous
savez la haine essentielle de tout dogmatisme, de tout parti. »
A George Sand. 7 février
1874.
« Ma première n'a
lieu que mercredi 11. La répétition générale
mardi.
C'est à grand-peine que j'ai pu vous faire inscrire pour deux
strapontins.
Je crève de rage. »
A Edmond Laporte. 6 mars 1874.
« Pour être un Four,
c'en est un ! Ceux qui veulent me flatter prétendent que la pièce
remontera devant le vrai public, mais ne n'en crois rien !
Mieux que personne je connais les défauts de ma pièce.
Si Carvalho ne m'avait point, durant un mois, blasé dessus avec
des corrections imbéciles (que j'ai enlevées) j'aurais
fait des retouches ou plutôt des changements qui eussent peut-être
modifié l'issue finale. Mais j'en étais tellement écoeuré
que pour un million je n'aurais pas changé une ligne. Bref je
suis enfoncé.
Il faut dire aussi que la salle était détestable. Tous
gandins et boursiers qui ne comprenaient pas le sens matériel
des mots. On a pris en blague des choses poétiques. Un poète
dit : « C'est que je suis de 1830, j'ai appris à lire dans
Hernani et j'aurais voulu être Lara. » Là-dessus,
une salve de rires ironiques ! etc.
Et puis, j'ai dupé le public à cause du titre. Il s'attendait
à un autre Ragabas ! Les conservateurs ont été
fâchés de ce que je n'attaquais pas les républicains.
De même les communards eussent souhaité quelques injures
aux légitimistes.
Mes acteurs ont supérieurement joué, Saint-Germain entre
autres. Delannoy qui porte toute la pièce est désolé.
Et je ne sais comment faire pour adoucir sa douleur.
Quant à Cruchard, il est calme, très calme ! Il avait
très bien dîné avant la représentation et
après la représentation il a encore mieux soupé.
Menu : 2 douzaines d'Ostende, une bouteille de champagne frappé,
3 tranches de roastbeef, une salade de truffes, café et pousse-café.
J'avoue qu'il m'eût été agréable de gagner
quelque argent - Mais comme ma chute n'est ni une affaire d'art ni une
affaire de sentiment, je m'en bats l'oeil profondément. »
A George Sand. 12 mars 1874.
« Comme il aurait fallu
lutter et que Cruchard a en horreur l'action, j'ai retiré ma
pièce sur 5 mille francs de location ! tant pis ! je ne veux
pas qu'on siffle mes acteurs. Le soir de la seconde, quand j'ai vu Delannoy
rentrer dans la coulisse avec les yeux humides, je me suis trouvé
criminel et me suis dit : « assez ! »
A George Sand. 15 mars 1874.
« Je crois, quoi que vous
en disiez, que le sujet était bon. Mais je l'ai raté.
- Pas un des critiques ne m'a montré en quoi. - Moi, je le sais.
»
A George Sand. 8 avril 1874.
Le
Candidat : Texte intégral